vendredi 1 août 2008

L'"Esprit d'escalier" (Mc 8)

L’ « Esprit d’escalier » - A propos de l’évangile : Marc ch 8

Nous sommes dans le contexte de la multiplication des pains…,

Si on se souvient de toute la signification du pain dans l’histoire du peuple de Dieu : pérégrination du peuple dans le désert, l’intercession de Moïse, la manne qui descend du ciel… etc, Jésus apparaît ici comme le “vrai Moïse” que Moïse lui-même a annoncé.

Le geste de la « multiplication des pains » est clair quand on le replace dans cette histoire du peuple de Dieu। Jésus est le Nouveau Moïse qui, de la part de Dieu, enseigne, éclaire, conduit, nourrit, libère…

Et c’est à ce moment-là que les pharisiens, comme par hasard, sortent et se mettent à discuter avec Jésus :

Les Pharisiens sortirent et se mirent à discuter avec lui ; ils demandaient de lui un signe venant du ciel, pour le mettre à l'épreuve. Gémissant en son esprit, il dit : "Qu'a cette génération à demander un signe? En vérité, je vous le dis, il ne sera pas donné de signe à cette génération." Et les laissant là, il s'embarqua de nouveau et partit pour “l'autre rive”.
Quand on va voir Matthieu :

“Génération mauvaise et adultère ! elle réclame un signe, et de signe, il ne lui sera donné que le signe de Jonas." Et les laissant, il s'en alla”.

Jésus reproche justement de ne pas savoir interpréter les signes des temps… à partir des signes déjà accomplis par Dieu tout au long de l’histoire. C’est souvent la « mémoire » qui manque !

Jésus s’en va sur l’autre rive… Et St Matthieu y voit le signe de Jonas : l’universalité du salut par le mystère pascal du Christ. Car l’autre rive, ce sont les païens… (Décapole)

Alors, il y a ici quelque chose d’un peu curieux :
“Ils avaient oublié de prendre des pains et ils n'avaient qu'un pain avec eux dans la barque ! ”.

Or il leur faisait cette recommandation : "Ouvrez l'oeil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d'Hérode."
Et eux de faire entre eux cette réflexion : ils n'ont pas de pains (même après la multiplication des pains, c’est trop ridicule !).
Le sachant, Jésus leur dit : "Pourquoi faire cette réflexion, que vous n'avez pas de pains ? Vous ne comprenez pas donc pas encore et vous ne saisissez pas ? Avez-vous donc l'esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre? Et ne vous rappelez-vous pas, quand j'ai rompu les cinq pains pour les 5.000 hommes, combien de couffins pleins de morceaux vous avez emportés ?" Ils lui disent : "Douze" - "Et lors des sept pour les 4.000 hommes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées ?" Et ils disent : "Sept." Alors il leur dit: "Ne comprenez-vous pas encore?"

On peut dire que Jésus a bien expérimenté la condition humaine… : Quand on a discuté assez fortement avec quelqu’un (ici : Jésus avec les pharisiens), après l’entrevue, la conversation continue à “tourner”… dans la tête, si l’on peut dire. Et Jésus, comme chacun de nous en cette situation, après l’affrontement avec les pharisiens, reste dans le registre de leur polémique. Et il pense avoir quelque réconfort auprès de ses disciples, une compréhension auprès de ses apôtres qu’il connaît de longue date et qui, normalement, auraient dû comprendre le sens de sa controverse avec la pharisiens.

Et voilà que Jésus, juste après l’affrontement des pharisiens et se retrouvant dans la barque avec les disciples, constate simplement que ceux-ci s’aperçoivent qu’“ils avaient oublié de prendre des pains” : “Ils n’avaient qu’un seul pain avec eux dans la barque”.

Alors Jésus leur fait cette recommandation (mais Jésus continue, là, à penser dans la lancée de la discussion qu’il a eu avec les pharisiens…!) : “Ouvrez l'œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d'Hérode”.
Alors, les disciples se regardent et constatent bien qu’ils ont oublié le “pique-nique” ! Ils ne pensent pas plus loin que ce manque matériel.

Voyez les deux registres de pensées :

* Registre de Jésus, après le geste de la multiplication des pains (Geste au singulier, geste important), geste qui a provoqué la réaction des pharisiens qui n’ont pas compris…

* et registre des apôtres qui en restent, eux, au pain matériel…, au “pique-nique” !

“Ne comprenez-vous donc pas ?” –
On sent combien Jésus se sent incompris non seulement de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui, non seulement de sa famille, de ses proches… mais aussi de ses apôtres. Jésus est dans la solitude.

Car son esprit, à lui Jésus, évolue toujours dans la dimension verticale de signification : l’échelle de Jacob est, pour lui, toujours dressée. Le signifié est pour lui plus important, plus réel que le signifiant : Rappelons-nous : il y a le vent et l’Esprit ; l’eau et l’eau vive ; le vin et le sang ; les noces et l’Alliance…

Ici, c’est la même chose. Les apôtres raisonnent au plan horizontal : “Qu’est-ce que c’est, à quoi ça sert ?…”. L’eau, c’est H2O ; ça sert à laver, à boire… etc. Mais la signification de l’eau ?… Et Jésus pense dans la dimension de la signification. Le levain des pharisiens, c’est justement cette doctrine qui empêche les spontanéités verticales de jouer, qui bouchent l’intelligence, qui empêchent… de comprendre réellement.

Aussi, Jésus parlera très cruellement, à d’autres endroits, de ceux qui ont pris la clef de la science, qui empêchent les autres d’entrer et qui ne sont pas entrés eux-mêmes. C’est terrible, cela !

Et, justement, aussitôt, dans St Marc - il est le seul à le rappeler -, à Bethsaïde, il y a la guérison d’un aveugle.

Dans l’évangile, il y a beaucoup de guérisons d’aveugles. Ce sont des guérisons d’aveugles qui ne voyaient pas clair et qui se mettent à voir clair. Mais c’est surtout la signification qui est importante : que l’intelligence accède à la compréhension du dessein de Dieu, à la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse des hommes. Finalement, on a tous besoin de ce miracle…Ici, Jésus qui s’afflige de ce que les apôtres ne comprennent pas, guérit alors un aveugle… C’est très curieux comme récit. Et c’est une guérison progressive.

Il faut sans cesse s’efforcer de n’avoir pas l’« Esprit d’escalier » et de se mettre sans cesse sur le registre de Jésus, nouveau Moïse, Libérateur qui éclaire, guide, nourrit…
(D’après les propos recueillis auprès de Jacques Fontaine o.p. BST)