samedi 21 août 2010

Les Elus - 21e Dimanche du T.O. 10/C

“Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens qui seront sauvés?”, La question surgit de la curiosité, peut-être de l'inquiétude. Elle était passionnément débattue par les intellectuels contemporains de Jésus. Et depuis lors, cette question a fait couler beaucoup d’encre ! Elle fut sous-jacente au jansénisme qui fit tant de mal en notre Eglise de France ! … Mais que veut donc dire Jésus ?

D’abord il ne se laisse pas entraîner, lui, par ces questions sans doute excitantes pour l'imagination, mais stériles pour la vie. Il répond malicieusement : “Efforcez-vous donc d'entrer par la porte étroite !”, par cette porte étroite que votre question suggère ! Et vous verrez ! Et Jésus de s’en expliquer par la petite parabole qui suit.

Il fait ainsi, car il ne veut pas qu’on se réfugie dans d'interminables débats théoriques pour mieux s'évader de ses responsabilités concrètes, qu'on se projette dans l'avenir pour mieux fuir le présent. L'important n'est-il pas de savoir ce que chacun fait ou ne fait pas aujourd'hui pour entrer dans le Royaume ? L'avenir, c'est surtout le présent, et Il se construit actuellement.

Car il y a des questions dont on peut discuter indéfiniment pour se dispenser finalement de vivre le quotidien : “La fin du monde, quand sera-t-elle ? Avec le nucléaire, la pollution, les guerres…, n'est-ce pas pour bientôt ? Et l'enfer, le ciel, qui ira ? Qui n'ira pas ?...”. Avec légèreté, les réponses fusent, ridiculement souvent, alors que la réponse divine a été donnée depuis longtemps. Isaïe (1ère lecture) la rappelle : “Je viens rassembler les hommes de toutes nations et de toutes langues”. En Dieu, un seul désir : voir toute l’humanité parvenir à la réussite. Hors de cette volonté unique de salut universel, toute supposition d’une quelconque ségrégation de la part de Dieu ne peut être que blasphématoire.

Si nous voulons à tout prix que Dieu soit un juge sévère qui trie et exclut pour privilégier un petit nombre, cela vient de nous et de notre incapacité à entrer nous-mêmes dans le projet de Dieu, dans son amour universel qui veut rassembler toutes les nations. Un tel amour, nous avons du mal à l’imaginer, à le concrétiser. Et nous mettons une “porte étroite”. Même dans nos vies familiales et, bien plus, dans nos rencontres sociales, nous sentons combien nos petitesses perturbent nos relations : et si ce n’est le règne de la jalousie, des rivalités, l’attrait du pouvoir quel qu’il soit, c’est le souci d’une tranquillité, la peur d’un en-gagement dérangeant.

Inconsciemment, nous trions avec soin nos relations. Or, en l’occurrence, trier consiste à exclure, à poser une “porte étroite” ; et nous disons que les amis se comptent toujours sur les doigts d’une main. La “porte étroite” de notre existence nous sécurise !

C’est cette douloureuse expérience que nous projetons sur Dieu lui-même ! Nous le voudrions incapable, lui aussi, d’amour universel pour pouvoir le rendre responsable du “petit nombre d’élus”… Et Jésus de dire avec un humour grinçant : “Efforcez-vous donc d’entrer par cette porte étroite”, la vôtre! C’est vous qui ferez des exclusions, alors que beaucoup viendront de l’orient et de l‘occident…!

En Dieu, il ne peut en être qu’ainsi ! D’ailleurs Jésus, lui, accueillait tous les hommes, même les pécheurs ; il accueillait avec compréhension et exigence tout à la fois. A la femme adultère qui n’entre certes pas par notre “porte étroite”, il dit : “Moi non plus je ne te condamne pas”. Mais il ajoute : “Va et ne pèche plus !”. C’est ici que l’on mesure la grande liberté de Jésus. Il ne condamne pas, il n’exclut pas ! Mais il invite à un effort vers plus de vérité, cette vérité “qui balaye le fond du cœur“, qui est l’une des autoroutes du ciel et que nous voulons rétrécir par la porte de notre existence étriquée qui oblige à une sélection !

A un autre niveau de notre cœur rétréci, nous sommes encore piégés par notre propre expérience mesquine. Lorsque, malgré tout, nous voulons aimer tout le monde, nous sommes tentés de tout aseptiser dans nos relations, en évitant soigneusement les sujets difficiles. C’est si facile ! Nous refusons la vérité qui exige souvent discussions légitimes, affrontements nécessaires, et cela, parfois, au prix de beaucoup de démissions. Nous avons le sentiment d’aimer tout le monde ; mais c’est une illusion ; en fait, la “porte étroite” de notre cœur est si bien ver-rouillée que peu de monde ose la franchir. On reste dans un monde imaginaire où plus personne, bien sûr, ne condamne personne, puisque personne n’est véritablement reçu !

Aussi Jésus répète : “Efforcez-vous donc de passer par la porte étroite” de votre cœur. Et vous serez rejetés selon les critères que vous disposez vous-mêmes ! Car vous n’entrerez pas dans le Royaume grâce à des recommandations, titres, diplômes, à des savoir-faire, ni mêmes à des dévotions multiples ! Ni parce que vous êtes de telle ou telle catégorie sociale ou religieuse. “Je ne sais d’où vous êtes”, nous sera-t-il dit ! Car la terre avec ses catégories aura disparue, dit l’Apocalypse. Dieu sera tout en tous !

Quand Jésus invite ainsi ses disciples à “passer par cette porte étroite”, lui-même est en route vers Jérusalem. La ville est à l'horizon. Elle sera pour lui la ville de la souffrance, de la mort et de la résurrection. Il y sera victime des cœurs trop étroits. Mais il sera surtout témoin de son immense amour pour Dieu, son Père, et pour les hommes qu’il a voulu ses frères, malgré leurs fautes.

La voilà bien la véritable porte : “Je suis la porte des brebis”, avait-il dit. Porte de lumière qui ouvre sur l'humanité entière et sur Dieu, Père, tandis que la “porte étroite” reste de notre côté à cause de nos lenteurs, de nos refus, de notre égoïsme et surtout de notre orgueil. N’en accusons pas Dieu lui-même.

Les élus et les non-élus dont parle Jésus, ils sont chez nous, sur notre terre et nous sommes tous du nombre. Tous appelés à emprunter les chemins du courage et de la recherche de la vérité. Soyons nombreux à nous décider pour ce chemin-là, à la suite de Jésus. Et allons crier comme le proclame la 2ème lecture : “Redonnez de la vigueur aux mains inertes et aux jambes qui fléchissent ; nivelez la piste pour y marcher. Ainsi celui qui boite ne se tordra pas le pied ; bien plus, il sera guéri”.