lundi 31 janvier 2011

Prédication !

4 T.O. Lundi - La prédication chez les païens ! (Mc 5.1…20)

Jésus est en Décapole, chez les Géraséniens. On parle beaucoup de la Décapole dans les évangiles ! On peut se demander par où Jésus passait quand il voyageait de la Galilée en Judée. Il semble qu’il ne passait que rarement par la Samarie. Jean et Luc ne précisent que deux fois cet itinéraire. La Samarie est un pays montagneux : il faut donc descendre et monter, redescendre pour remonter. C’est fatiguant ! Jésus - comme les voyageurs de son temps et ceux qui se rendaient à Jérusalem pour les fêtes - passait probablement par la vallée du Jourdain et donc par la Décapole.

Le climat est plus tempéré et le chemin de la vallée moins fatiguant, exception faite du parcours final et difficile, il est vrai, de Jéricho à Jérusalem. Autrement dit - c’est peut-être à remarquer - Notre Seigneur, sans être le moins du monde paresseux, ne recherchait pas obligatoirement les difficultés. La vie offre assez de contraintes pénibles sans devoir les provoquer sous prétexte de pénitence gratuite. Jésus aimait la vie ! Et il cherchait certainement à alléger la fatigue de ses amis. Cependant la véritable Vie, c’est Dieu. Et l’acquisition de cette Vie oblige à un dépassement du fait de notre nature pècheresse. Et s’il faut savoir s’entraîner, comme le souligne St Paul, à ce combat de Vie - c’est tout le mystère pascal -, il n’est pas nécessaire de toujours rechercher les plus dures conditions de la vie. Il y a là certainement toute une réflexion à faire - et St Benoît nous y aide fortement - pour acquérir un salutaire équilibre spirituel, propre à chacun d’ailleurs.

Si c’est une simple réflexion, il y a cependant une constatation : Jésus semblait facilement s’attarder en cette Décapole. Lorsqu’il apprend, par exemple, que Lazare, son ami, est malade, il est en Transjordanie ; et il s’y attarde !
Il y a peut-être une raison que l’on oublie facilement. Pour employer un grand mot, Jésus pouvait se considérer comme une “réfugié politique“ : non seulement il s’éloigne de sa parenté qui affirme qu’il a “perdu la tête“ (Mc 3.21), mais surtout il est obligé de fuir la police de Hérode-Antipas qu’il n’avait pas hésité à traiter de “vieux renard“. Et sans doute avait-il eu d’autres réflexions peu amènes à son égard. Or, ce tétrarque régnait et sur la Galilée et sur la Pérée (la région de Jéricho que Jésus était toujours pressé de traverser). La Décapole, cet ensemble administratif de dix villes franches qui avait été constitué par Pompée comme rempart contre les incursions parthes, offrait un tranquille refuge à Jésus recherché sans doute par les services de sécurité du despote Hérode. En tous les cas, c’est une occasion de prier, avec Jésus pour tous les réfugiés politiques. Et ils sont encore nombreux ceux qui le sont à cause de leur foi !

Mais il y a une autre constatation plus étonnante et profonde : La proclamation de la “Bonne Nouvelle“ se faisait plus facilement en pays païens : en Phénicie (épisode de la Syro-Phénicienne), en Trachonitide, aux sources du Jourdain où l’on vénérait le dieu Pan qui inspirait une peur “panique“ ; et en Décapole, païenne elle aussi (de culture grecque). Or notre évangile se termine ainsi : l’homme délivré par Jésus de son esprit mauvais “se mit à proclamer ce que Jésus avait fait“. Le mot employé est le verbe “kéruzein“, d’où vient le mot “kérygme“ : proclamation, prédication.

C’est en ces pays païens qu’on “proclame“ facilement l’évangile… Il est vrai qu’après la guérison du démoniaque, “les gens se mirent à supplier Jésus de quitter leur territoire“. Ils ne le chassent pas avec violence, étant dans l’admiration sans doute de la merveille opérée par Jésus, mais ils le supplient ! Que voulez-vous ! Même si on admire Jésus, il y a parfois des raisons économiques, sociales pour ne pas pleinement adhérer à son message. C’est courant encore cela ! On préfère ses cochons et la richesse qu’ils représentent à Dieu lui-même !

Manifestement, ces récits ont été rédigés alors que déjà se dévoilait le mystérieux et étonnant paradoxe du dessein de Dieu : par la prédication de Paul et de ses compagnons, les païens se convertissaient alors que le peuple élu restait indifférent, devenait hostile ! C’est tellement curieux : ce sont chez des païens et tellement païens qu’ils mangent du cochon (animal impur) que l’Evangile est le mieux proclamé ! C’est une réflexion-interrogative : “France, fille aînée de l’Eglise, qu’as-tu fait de ton baptême ?“.

Enfin, une remarque - vous en ferez une réflexion appropriée - sur les puissances armées qui occupent certains pays illégitimement ou qui rançonnent le menu peuple au profit des dirigeants, obligés de fuir parfois avec leurs profits accumulés - c’est encore d’actualité ! -. “Quel est ton nom ?“, demande Jésus au possédé. - “Mon nom est : Légion !“. En filigrane, il y a là certainement une critique, une moquerie de la puissance occupante, ces étrangers, païens par excellence, qui formaient la légion romaine, la “legio décima fretensis“ (“fretensis“, région du détroit entre l’Italie et la Sicile, d’où cette légion romaine venait), cette légion qui avait pour emblème le sanglier ! Alors du sanglier au cochon, il n’y a pas loin ! Mais à ces occupants aussi (pourtant absents des villes franches de la Décapole) s’adresse l’Evangile !

Les parcours de Jésus au cours de sa vie… considéré comme “réfugié politique“, chez des païens… chez qui son message est proclamé, parfois admis, du moins admiré… : objets de méditation, me semble-t-il. Et Jésus de nous dire de façon un peu sarcastique : sachez-le bien : je ne suis pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs… !

dimanche 30 janvier 2011

Bonheur

4ème dimanche du T.O. 11/A

Il y a des mots qui font l'unanimité. "Bonheur" est au nombre de ceux-là. On peut se tromper sur le chemin qui mène au bonheur. Mais c'est toujours le bonheur que l'on recherche. “Tout homme veut être heureux, disait Rousseau, mais pour parvenir à l'être, il faudrait commencer par savoir que qu'est le bonheur“ !

Oui, qu'est-ce que le bonheur ?
Il me semble que les hommes ont répondu à cette question capitale, de trois façons :
- Il y a le bonheur d'ordre matériel et sensible.
- Il y a le bonheur d'ordre moral.
- Il y a enfin le bonheur chrétien, celui que nous propose Notre Seigneur dans l'évangile.

Il y a d'abord le bonheur sensible : le contentement de ses désirs les plus naturels, ceux que l'on souhaite par exemple au seuil d'une nouvelle année : santé, richesse, accomplissement de ses projets etc… C'est la conception la plus courante du bonheur. Elle n'est pas mauvaise, bien sûr; mais est-elle suffisante ? Car, ce bonheur-là qui est une jouissance sensible, résulte trop d'une chance que nous n'avons pas le pouvoir de capter nous-mêmes : la santé, et bien des plaisirs… ne sont, comme disaient les anciens, que des faveurs du destin.

Et si l'on ne s'attache qu'à ce "bonheur"-là, on est vite déçu, déception que beaucoup d'écrivains, de poètes ont exprimée : “Le sort qui toujours change, ne nous a pas promis un bonheur sans mélange“ (Racine). “Au banquet du bonheur, bien peu sont conviés“ (V.Hugo). Et certains iront jusqu'à dire que “le bonheur est un mensonge dont la recherche cause toutes les calamités de la vie“ (Flaubert). On ira même jusqu'à affirmer que l'on ne peut être heureux, que “notre bonheur, c'est le silence du malheur“.

Et, devenant facilement désabusés devant ce bonheur-chance-hasard, il n'est pas étonnant que l'on pose des questions parfois injurieuses concernant la bonté de Dieu, sa Providence… Si Dieu est bon, pourquoi ne suis-je pas dans le bonheur ? Mais ce bonheur est-il le véritable bonheur ? Bien sûr, je souhaite à tous ce bonheur, mais je le souhaite encore plus riche.

Aussi, certains, ont-ils cherché la conception du bonheur à un niveau supérieur, au niveau de l'action morale. C'est l'acquisition de la vertu, cette qualité d'être qui rend l'homme bon, honnête, juste et finalement très équilibré, le “kallosagathos“ grec, l’homme beau et bon, ce gentleman qui sait mesurer choses et événements à leur juste valeur, qui recherche les actions bien faites et s'en réjouit pour lui-même et pour les autres.

Ce bonheur est supérieur au précédent, car il n'est pas le résultat de circonstances extérieures, d'une chance ; il est l'œuvre d'une volonté qui veut le bien de l'homme. Il ne peut résulter que d'un amour de l'homme pour l'homme, qui pousse souvent à un certain détachement de soi-même. Et c'est bien dans ce contexte que je placerai volontiers l'ancienne et juste définition de l'amour, celle qu’Aristote adresse à son fils Nicomaque : “une volonté de bienveillance mutuelle fondée sur la communication des personnes“. Cette volonté d’amour réciproque est certainement source de bonheur. Puissions-nous l’avoir pour l’épanouissement de tous ceux qui nous entourent…

Mais une question alors se pose : si l'on s'en tient à cette conception du bonheur, qui résoudra le scandale apparent du bonheur des méchants et du malheur qui frappe les meilleurs. Ce fut la grande question exprimée dans l’Ancien Testament, dans les psaumes, dans le livre de Job et dans celui des Rois à propos de la mort absurde du jeune et saint roi Josias !

C'est que par-delà le bonheur humain, il y a un autre bonheur que nous annonce l'Evangile : on n'est pas totalement heureux parce qu'on agit bien. On sera totalement heureux lorsqu'on atteindra à une Réalité extérieure et supérieure à l'homme. Et cette Réalité, c'est Dieu. Le bonheur n'est pas une jouissance, il n'est même pas l'homme en tant qu'il se perfectionne. Le bonheur, c'est Dieu ; c'est d'aimer Dieu d'un amour généreux ; c'est recevoir son amour afin de pouvoir le communiquer et, ainsi, mettre les hommes en relation avec Dieu, Etre parfait et donc source de bonheur. - Les bonheurs humains ne sont pas à dédaigner ou à mépriser. Mais ils doivent être situés comme des préparations ou des conséquences au bonheur suprême qu'est Dieu.

Et ce n'est que dans cette compréhension que l'on peut relire maintenant les formules paradoxales de l'évangile d’aujourd’hui :
- Etre pauvre de cœur, c'est pouvoir accueillir la richesse même de Dieu parce que nous aurons tout partagé avec l'autre, les autres.
- Etre doux, c'est se préparer à recevoir la force de Dieu dont la puissance procède uniquement de la tendresse.
- Etre pur, c'est se rendre libre de tout ce qui n'est pas Dieu, afin de le reconnaître partout, et surtout en ceux avec qui je vis.
- Etre miséricordieux, c'est avoir le cœur plus grand que le mal et s'offrir la joie de tout noyer dans le pardon, comme Jésus.
- Lutter pour la justice et pour la paix, c'est refuser, comme Dieu, d'être heureux tout seul ; l'amour ne peut le supporter.
- Souffrir pour la foi, c'est donner à Dieu une telle priorité dans notre existence que rien, ni personne ne parvienne à nous faire reculer quand il s'agit d'habiter déjà au ciel en confessant son Nom sur la terre.

Tout cela, c'est le bonheur fou selon l'évangile, non au terme d'une conquête humaine, mais dans le creux d'une vie simple que Dieu saura remplir de lui, de lui qui est le Bien suprême. “Cherchez le Seigneur, disait la première lecture, vous serez à l’abri…“ !
Sachons nous donner à Dieu et aux autres. Voilà le secret du bonheur, selon l'évangile. Un secret de vie !

Et alors, si l'on pouvait faire un fond de l'âme comme le médecin fait un fond de l'œil, on verrait apparaître comme une couleur dominante, celle de la joie. Cette couleur varierait bien sûr avec les jours. Elle serait très souvent vive et légère, même aux heures de tristesse, de lassitude et de mal-être, parce que, pratiquant le seul remède qui vaille : “sortir de soi-même vers l'autre, les autres“. Et l’on expérimente alors que le bonheur est la seule chose au monde que l'on puisse donner sans toujours l'avoir soi-même. Mais paradoxe de l’Evangile : aux heures difficiles, il peut arriver parfois de faire naître ou renaître chez quelqu'un la paix que l’on a perdu momentanément. Mais, obligatoirement, cette paix revient vers nous, comme par ricochet, comme s'il y avait des réalités telles que l'on ne peut s'en approcher qu'en les donnant. N'est-ce pas d'ailleurs une des significations du mot Jésus : “Qui perd sa vie la gagne“ ?

Oui, le secret du bonheur évangélique, celui qu’il faut nous souhaiter, c'est une ferveur à vivre. Cette ferveur est fragile. Je ne la possède pas moi-même toujours. Elle est toujours à recevoir et à donner. Comme un amour… Car ce que je crois, c'est qu'elle est en nous la présence gratuite de… de Celui qui est le Visage des visages, de l'Innommable, de Dieu-Amour… qui souvent choisit “ce qui est fou aux yeux du monde pour couvrir de confusion les sages de ce monde, ce qui est faible pour confondre les forts“.

samedi 29 janvier 2011

Parole de Dieu !

3 T.O. Samedi Notre destinée ! (Heb 11.)

Il faudrait lire et relire, méditer et re-méditer ce chapitre 11ème de la lettre aux Hébreux! L’histoire de nos “pères dans la foi“ - à la suite d’Abraham - résume notre destinée, tout le sens de notre pèlerinage ici-bas au terme duquel nous chanterons comme Marie l’accomplissement, en nous, des “promesses faites à Abraham et à sa descendance pour toujours“.

Comme à Abraham, il nous est dit : “Va !“, littéralement : “va pour toi !“, “va pour ton bonheur !“ Et nous nous mettons en route, à la découverte non pas du Dieu des philosophes, mais du Dieu vivant, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui nous appelle à nous diriger vers cette “ville pourvue de vraies fondations dont il est l’architecte et le fondateur !“.

Et, pour entrer dans cette cité sainte, il nous faut faire cette rencontre, comme Abraham, d’un Dieu qui est plus fort que la mort elle-même, qui seul “a les issues de la mort“ ! Car chacun aura à faire son ascension du mont Moriah, non pour offrir un fils, mais sa propre vie ! Et nous ferons l’expérience, peut-être au fond de l’absurde - car nous ne savons pas par quel chemin Dieu nous mène - que, malgré tout, le Seigneur ne nous a pas quittés du regard. Nous serons alors au seuil de cette expérience : voir, Celui qui nous voit sans cesse, le voir comme il nous voit ! Et cette vision sera “transformante“ : nous serons “divinisés“, disent les Pères de l’Eglise à la suite de St Jean. C’est notre destinée à la suite de notre “Père dans la foi“ !

Tout nous est dit dans l’histoire d’Abraham, dans l’Histoire de ceux qui ont marché, à sa suite, dans la foi ! Comme nous y invite le Concile Vatican II et le pape Benoît XVI (Lettre “Parole du Seigneur“), il nous faut faire cette lecture transcendantale, verticale, analogique… de la Bible : Il n’y a pas de doute, par exemple, qu’on a “introjecté“ dans l’histoire d’Abraham l’expérience vécue de tout un peuple qui méditait et méditait encore et qui, en méditant, prenait conscience d’un Dieu qui “a les issues de la mort !“
- D’abord, c’est un récit qui enseignait de ne pas faire des sacrifices humains comme les Cananéens.
- Ensuite, comme Dieu a droit à tout puisqu’il est le Créateur, on ne sacrifie pas des être humains, mais on les “rachète (“rachat des premiers-nés“)…
- en admirant la foi d’Abraham qui n’a pas hésité à sacrifier celui sur qui reposaient toutes les promesses et qui l’a retrouvé non comme son propre fils, mais comme fils de la promesse !
- Et alors, toutes les catastrophes que pourra vivre ce peuple avec cette foi d’Abraham ne seront jamais vécues comme des anéantissements. Mais comme Job et tous les souffrants, comme les exilés à Babylone, on ne cessera ce crier que Dieu, notre Dieu, a les issues de la mort, de toute mort !

Dans la Bible le temps qui s’écoule est valorisant. Et les récits bibliques ne sont pas tant des récits d’événements “journalistiques“ qu’une méditation que le peuple de Dieu fait sur ces événements. Et au fur et à mesure que les siècles s’écoulent, il y a comme une densité de méditation qui est faite à partir du passé en vue de l’avenir.
Et c’est ainsi que Paul écrira, après avoir longuement médité (ou par une méditation fulgurante) : “Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous, lui qui n’a pas épargné son propre Fils“ (Rm 8.31-32). Et sous le mot “épargné“, on retrouve l’expression qu’il y a dans la Genèse, au “commencement“, à propos d’Abraham : “Parce que tu n’as pas épargné ton propre fils“

Dans le Nouveau Testament, ce n’est pas une élucubration “mystico-gazeuse“, mais la réponse de Dieu au sacrifice d’Abraham, la vision, à l’exemple de Marie, de l’accomplissement des promesses divines… : Lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ?
Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu justifie ! - Qui condamnera ? Jésus Christ est mort, bien plus il est ressuscité, lui qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous ! - Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? …
Mais en tout cela, nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés… Ni la mort ni la vie, … ni le présent ni l'avenir, … rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur. (Rm 8)

Déjà, avec nos “Pères dans la foi“, ceux de l’Histoire Sainte et ceux de l’Histoire de l’Eglise, tout est dit : on fait l’expérience d’un Dieu vivant, tellement vivant qu’il est capable de ressusciter les morts… Et c’est ainsi que nous marchons vers cette ville dont Dieu seul est l’architecte et le fondateur, faite de pierres précieuses. Et nous sommes les pierres de cet édifice qui reflètera l’harmonie de Dieu, l’harmonie du mystère trinitaire, non seulement du Dieu Un, mais du Comment Dieu est Un : “Père que tous soient un comme nous sommes Un…“

Ainsi on voit que Dieu nous a tout dit, mais on le découvre au fur et à mesure des siècles et des jours de notre propre vie, au cours de notre marche. On pourrait évoquer le vieux principe scholastique : “Ce qui est dernier dans l’ordre de l’exécution est premier dans l’ordre de l’intention“ : ce que l’Artiste divin va produire au terme de sa création, c’est ce qu’il avait comme intention dès le commencement, au début de la création, au début de notre propre vie.
Aussi, il nous est redit à chacun : “Va pour toi ! Va pour ton bonheur“… Alors nous nous disons légitimement comme Abraham : “Même un mort, Dieu est capable de le ressusciter !“.

P.S. : Je reviens tout juste d’une absence. Veuillez donc excuser le style et le clair-obscur de cette réflexion trop rapide. Mais je ne pouvais passer sous silence ce magnifique texte du chapitre 11ème de la lettre aux Hébreux !!!

lundi 24 janvier 2011

François de Sales

24 Janvier 2011 - St St François de Sales

St François de Sales est “un oiseau rare !“, s’exclame Henri IV en parlant de cet extraordinaire évêque de Genève qui ne posa pratiquement jamais les pieds dans sa ville épiscopale. C’était l’époque des conflits épouvantables entre catholiques et protestants. Et Genève était aux mains des dures calvinistes !

C’est presque une gageure de vouloir résumer la vie de ce grand saint, tant la nature et la grâce l’avaient doté de dons extraordinaires.

Des qualités naturelles, il possédait celles qui faisaient l’“honnête homme“ du 17ème siècle : toujours affable non sans humour, bon et aimant, il avait tout à la fois l’intelligence percutante et le cœur tendre. Son talent principal fut certainement celui de la parole ; grand orateur, il savait convaincre avec grande finesse intellectuelle et chaleur au point qu’il fut comparé aux Athanase, Ambroise, Augustin… Sa plume au service de l’Evangile égalait sa parole de grand prédicateur au point qu’il fut proclamé et est toujours le saint patron des journalistes… C’est ainsi qu’il ramena un grand nombre de protestants à la foi catholique. L’“Introduction à la vie dévote“ et son “traité de l’Amour de Dieu“ eurent grandes influences. Ce furent des classiques spirituels qu’on lisait encore couramment il y a quelques décades.

Ses qualités surnaturelles n’étaient pas moindres. Il s’attachait grandement à la réflexion et à la prière et s’appliquait avec fidélité à l’oraison du matin (de grand matin !). Conscient de la présence de Dieu, il se faisait au-dedans de lui-même comme un temple, une solitude intérieure où il était tellement attentif à Dieu qu’il semblait ne pourvoir en être distrait par aucune affaire. Cela ne l’empêchait aucunement d’avoir un grand zèle pour le salut des âmes. Sa prudence paraissait avec éclat dans la direction des âmes tant il respectait l’action de l’Esprit Saint en chacun… On peut dire que sa douceur - une douceur ferme parfois - résume toute sa vie ; ce fut en quelque sorte la caractéristique de sa sainteté.

Il rencontre Jeanne de Chantal à Dijon, en 1604. Cette jeune veuve de 28 ans a quatre enfants. Une grande amitié spirituelle naît entre eux ; et le 6 Juin 1610, ils fondent ensemble la Congrégation des Religieuses de la Visitation. Il meurt à Lyon en 1622.

Je me permets de vous laisser pour aujourd’hui quelques-unes de ses maximes dont il avait le secret :
- “La plus lâche de toutes les tentations est celle du découragement !“
- “On a beau dire, mais le cœur parle au cœur ; la langue ne parle qu’aux oreilles !“
- Ce n’est point par la grandeur de nos actions que nous plaisons à Dieu, mais par l’amour avec lequel nous les faisons“.
- Et la plus connue : “On prend plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec une barrique de vinaigre !“.

Et je me permets également de vous transmettre la belle prière à Marie qui avait été retenue autrefois, à Solesmes, pour le CD “Les Scènes mariales“ :

Ayez mémoire et souvenance, très douce Vierge,
que vous êtes ma Mère et que je suis votre fils ;
que vous êtes puissante et que je suis un pauvre homme, vil et faible.
Je vous supplie, très douce Mère,
que vous me gouverniez dans toutes mes voies et actions.
Ne dites pas, gracieuse Vierge, que vous ne pouvez !
car votre bien-aimé Fils vous a donné tout pouvoir,
tant au ciel comme en terre.
Ne dites pas que vous ne devez ; car vous êtes la commune Mère
de tous les pauvres humains et particulièrement la mienne.
Si vous ne pouviez, je vous excuserais, disant :
il est vrai qu'elle est ma Mère et qu'elle me chérit comme son fils,
mais la pauvrette manque d'avoir et de pouvoir.
Si vous n'étiez ma Mère, avec raison je patienterais, disant :
elle est bien assez riche pour m'assister ;
mais, hélas ! n'étant pas ma Mère, elle ne m'aime pas.
Puis donc, très douce Vierge, que vous êtes ma Mère, et que vous êtes puissante, comment vous excuserais-je
si vous ne me soulagez et ne me prêtez votre secours et assistance ?
Vous voyez, ma Mère,
que vous êtes contrainte d'acquiescer à toutes mes demandes.
Pour l'honneur et la gloire de votre Fils, acceptez-moi comme votre enfant,
sans avoir égard à mes misères et à mes péchés.
Délivrez mon âme et mon corps de tout mal
et me donnez toutes vos vertus, surtout l'humilité.
Enfin, faites-moi présent de tous les dons, biens et grâces
qui plaisent à la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

P.S. Devant m’absenter pour une petite intervention dentaire (pas grave) et pour participer à un “colloque“ sur la “Parole de Dieu“, je ne pourrai vous envoyer mon “mot“ durant une semaine. Veuillez m’en excuser. CELA NE VEUT PAS DIRE QUE JE VOUS OUBLIERAI DANS MA PRIERE ! Au contraire !

dimanche 23 janvier 2011

Unité !

3ème dimanche du T.O. 11/A

Jean-Baptiste a achevé sa mission. Il est entré dans l'ombre. Il a même été mis à l'ombre : le voici dans les prisons d'Hérode dont il ne sortira que par le sang.

L'heure de Jésus vient. Il prend la suite de Jean qui d’ailleurs l’avait désigné comme celui qui venait après lui. Quittant Nazareth, il entre dans la phase publique de sa vie, choisissant comme base de sa mission le site de Capharnaüm, “ville située au bord du lac, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali”, précise St Matthieu.

Jésus commence donc son ministère aux limites de son pays. Capharnaüm était une cité frontière et les évangiles mentionnent nombre de ses habitants : depuis le centurion commandant la garnison jusqu'au douanier Lévy qui deviendra St Matthieu, en passant par Jaïre, chef de la Synagogue dont Jésus ressuscitera la fille, et tous ces hommes de la pêche parmi lesquels les premiers disciples.

Jésus a donc commencé l'annonce de la “Bonne Nouvelle” parmi une population très diverse - un “capharnaüm“, cette ville ! - marquée d'influences païennes et considérée comme marginale du peuple de Dieu. Il faut le souligner : les débuts de Jésus se déroulent donc dans un lieu peu recommandable, et très loin du “Saint des Saints” de Jérusalem, lieu de la présence divine. Cette Galilée, abhorrée des Juifs de Judée, est décidément bien typique de l’évangile de Matthieu.

Aussi prend-t-il soin de reproduire le tableau qu'Isaïe avait déjà brossé de la région : “Pays de Zabulon et de Nephtali, pays au-delà du Jourdain, Galilée, toi, le carrefour des païens”. Pourtant, le prophète avait parlé de cette région ténébreuse comme la première appelée à recevoir le message de lumière. “Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays de l'ombre et de la mort, une lumière s'est levée”.

Le peuple des petits, des païens, de tous ceux qui n’ont rien et sont considérés comme rien, va être le premier attentif à la parole de Jésus.
Tous,
- de la classe dirigeante (officiers et publicains) aux boiteux, aux aveugles et lépreux,
- des pieux de la Synagogue aux péripatéticiennes telle que Marie Magdeleine,
- des foules affamées aux pêcheurs du lac,
nul n'échappait à la parole libératrice de Jésus, à ses gestes guérisseurs des corps et des consciences. Quelle leçon pour nous tous !…
Pour le moment, il semble que Jésus n’ait d’autre message à transmettre que celui du prophète Jean, le baptiste : Convertissez-vous… Allons-nous entendre nous-mêmes cet appel aussi bien que ces gens de Capharnaüm facilement méprisés ?

A la première surprise de voir Jésus aborder le peuple d'Israël dans sa part la plus lointaine, la moins reluisante, s'ajoute une seconde : le choix des premiers disciples parmi les hommes de la pêche, personnes simples, souvent rudes et frustes.
St Matthieu livre un raccourci de ce choix : “Il vit deux frères, Simon appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans le lac. Il leur dit : « Venez, je vous ferai pêcheurs d'hommes ». Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.” Ils le suivirent, non parce qu’il les avait vus simplement, mais certainement parce qu’il avait posé sur eux un regard qui les a pénétrés, bouleversés, révélés à eux-mêmes et appelés. - Et puis c'est le tour de Jacques et de son frère Jean, et de même les autres... Un jour ces humbles artisans, sans relief et sans culture, constitueront, sous la houlette de Simon, devenu Pierre, la première cellule de l'Eglise que l'Esprit de Pentecôte lancera dans les nations et les siècles.

Cette double surprise des commencements de l'Evangile est une leçon à ne pas oublier. Les choix que Jésus fit du pays de l'Evangile et de ses disciples, nous avertissent que Dieu ne fait acception de personne, qu'il est le Père de tous et que la ségrégation, quelle qu’elle soit, lui est aussi étrangère qu'insupportable la division qu'elle engendre. Le risque est permanent !

C’est en ce sens que St Paul écrit aux Corinthiens. Il réagit vigoureusement contre la tentation de ceux qui se réclament respectivement de lui, Paul, ou de Pierre ou d'Apollos, alors que tous appartiennent indistinctement au Christ, Fils du Dieu vivant, venu parmi nous en passant par la Galilée des païens et en s'entourant de disciples qui ne connaissaient que la pêche ! L’Apôtre semble même se fâcher, tant la chose est grave. Il s’agit de la vie ou de la mort de toute communauté : son unité. La division engendre une opposition paralysante et provoque toujours des manques d’amour.

Il est vrai que Corinthe est une ville moins recommandable encore que Capharnaüm : ville portuaire exigeant une importante main d’œuvre d’esclaves (les 2/3 de la population), et, pour d’autres raisons, ville de débauche et de luxure (C’est la ville dédiée à Aphrodite !) : on employait un barbarisme “corinzenthai“ pour signifier “vivre en débauché“ ! - C’est une ville exubérante parce que cosmopolite, traversée de multiples courants d’idées et de croyances transmis par les vents des deux mers pratiquement communes : la mer Egée et la mer Adriatique. Aussi les divisions émergeaient facilement de cette exubérance de vie ! Et il est bien naturel que les chrétiens de cette ville, “tout neufs”, adorent discuter, discutailler, approfondir, faire cliqueter les idées… et les noms aussi ! – “Moi, je suis pour Paul ! - Moi pour Pierre. - Moi pour Apollos !…”. Eternel problème des leaders : et on prend parti ! – Pour qui ?, demande rudement St Paul. Pour des hommes ! Vous appartenez à des hommes alors qu’il faut appartenir au Christ !

C’est bien la question : une communauté chrétienne ne se construit pas sur des hommes, elle se construit sur le Christ, “pierre angulaire”, dira-t-il par ailleurs. Il y aura toujours des chefs, des fondateurs, des créatifs. Mais dès qu’ils empêchent de voir le Christ, dès qu’ils arrêtent les regards sur eux-mêmes, il faut le répéter : ce ne sont que des hommes !
Mais alors, dira-t-on, s’il n’y a pas de chefs, de leaders, de meneurs ou même de contestataires, il n’y a plus de vie ! Oh bien sûr que si, répondra St Paul. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a toujours du Satan en chacun de nous. Et le Satan est le “diviseur”, par excellence. Il y a du “Satan”, en nous, quand nous passons de la discussion objective (idées, projets divers) à la passion subjective (procès de tendances, engouements). Malheur aux groupes qui n'ont pas de contestataires ! Mais malheur aussi s'ils n'ont pas des pacifiants. Vive l'unité quand elle est vivante, quand elle est riche ! Mais que cette unité est difficile ! N’en soyons pas étonnés ! De nos jours, St Paul aurait stigmatisé autant les “progressistes“, comme on dit, que les “traditionalistes“, alors qu’il faut, aurait-il précisé, être tous des “progressants“ ! Des progressants dans l’Amour du Christ qui doit tous nous unir !
Tous les chrétiens appartiennent au Christ, mais quel Christ ? Il n'est pas divisé, dit St Paul, et cela veut dire qu'on ne peut opposer le Christ de Pierre à celui d'Apollos… Oui, vivons du Christ, du Christ de Matthieu, de Jean, de Paul, d'Irénée et de tant d’autres au long des siècles, du Christ de Benoît XVI comme celui de Mère Térésa et de tant d’autres aujourd’hui ! Oui, l’unité sera toujours difficile ; pourquoi ne pas l’avouer ? Car cette unité doit être vivante ; elle n'est pas obligatoirement la paix d'un cimetière.
Et puis n’oublions surtout pas - St Paul le rappellera souvent - que le Christ s’est d’abord adressé aux gens de Capharnaüm, c’est-à-dire aux petits aux pauvres, aux païens, à tous ceux qui n’ont rien et qui sont considérés comme rien. L’Apôtre Paul, le théologien, insistera : “J’ai été faible avec les faibles” (I Co 9/22). Aussi “accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules”. “Que le faible ne périsse pas grâce à ta connaissance. Car en blessant sa conscience qui est faible, c’est contre le Christ que vous péchez” (I Co. 8/10sv).

Alors, que l’on soit faible ou fort, c’est à tous que le Christ nous dit aujourd’hui : “Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est là”. Oui, l’Esprit de Dieu est en nous. Lui seul peut nous libérer !

samedi 22 janvier 2011

Liturgie

2 T.O. Mardi imp. - Liturgie au Dieu vivant - (Heb. 9)

Un Simple mot aujourd’hui à propos de la lettre aux Hébreux que nous entendons depuis le début du Temps Ordinaire.

Vous connaissez certainement la structure du temple, en son essentiel : Il y a le parvis des gentils, ensuite un mur qui empêchait les non-Juifs d’aller par-delà ; les prêtres vaquaient à leur service autour du point central, le “Saint des Saints“. Seul le grand prêtre, une fois par an, le jour du Kippour, le jour de l’expiation, pénétrait derrière le voile, murmurait le nom de Dieu et obtenait le pardon des péchés.
Cette architecture du temple est à connaître si on veut comprendre cette lettre aux Hébreux - Ch 8 ou 9, surtout -. Elle explique qu’au moment de la mort de Jésus sur la croix le voile se déchire - les trois Synoptiques insistent sur ce fait ! -. C’est qu’il est, lui, Jésus, le véritable Grand Prêtre, qui entre une fois pour toutes dans le véritable Saint des Saints.
non pas dans un temple fait de la main d’homme, mais dans la demeure même de Dieu ;
non pas avec le sang des boucs, des béliers, de toutes les victimes mais avec son propre sang.
Il y entre pour obtenir la rédemption définitive,
non pas de quelques descendants d’Abraham selon la chair seulement,
mais de tous ceux qui, à travers le temps et l’espace, vont bénéficier de ce sacrifice universel du véritable Grand Prêtre.
"Tandis que chaque prêtre se tient chaque jour pour remplir ses fonctions et offre fréquemment les mêmes sacrifices qui sont à jamais incapables d'enlever les péchés, lui, par contre, après avoir offert pour les péchés un sacrifice unique, siège pour toujours à la droite de Dieu... Par une offrande unique, en effet, il a mené pour toujours à l'accomplissement ceux qu'il sanctifie." (Heb 10/11 sv).

Et notre texte d’aujourd’hui se termine par cette phrase : “Il a purifié nos consciences des œuvres mortes pour faire de notre vie une liturgie au Dieu vivant”. St Pierre dira, lui : “Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis pour proclamer les louanges de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière !“ (I Pet 2.9).

Déjà ici-bas, la liturgie elle-même nous fait chanter, célébrer les louanges, l’action de grâce, les bénédictions qui sont proclamées dans la Jérusalem céleste en l’honneur du Christ qui, vainqueur de la mort, nous a délivrés de toutes nos entraves peccamineuses.
La liturgie, disait naguère le Cal Daneels, n’est pas tant l’expression de nous-mêmes, une satisfaction de nous-mêmes (“On a bien chanté !”, “c’était un plaisir partagé !“) que l’expression du chant victorieux du Christ qui, traversant le voile du temple, siège désormais, avec son humanité, à la droite de son Père !

Il faut souvent en revenir au sens étymologique des mots. Liturgie : “leitos urgos“. La Liturgie est un “travail“ (urgos) (non pas une contemplation, une méditation, même si la liturgie provoque à ces états de prière, mais en d’autres moments), un “travail“ “en commun“ (“leitos“) (1). Mais ce “travail en commun“ - ressentie avec peine ou plaisir selon les circonstances, mais peu importe ; ce n’est pas le but - est au service d’un “travail“ de “communion“ avec le Christ qui, traversant le voile du temple éternel, nous entraîne avec lui “à la droite de son Père“, à “l’accomplissement de ceux qu’il sanctifie“.

C’est ainsi qu’en conséquence, dira par la suite cette lettre aux Hébreux, la liturgie célébrée ici-bas, nous appelle à faire de toute notre vie une “liturgie au Dieu vivant“ : s’efforcer de marcher à la suite du Christ, traverser nous-mêmes ce voile du temple qui nous empêche encore de “voir Celui qui nous voit sans cesse“ afin de participer à la Vie même de Dieu qui s’exprime en l’éternel chant d’amour des trois Personnes divines !

De cette divine et grandiose réalité, nous en avons comme une anticipation, car les Sacrements de la Nouvelle Alliance véhiculent, à travers le temps et l'espace, la réalité même de ce qu'ils signifient. Quand on célèbre l'Eucharistie avec une grande foule ou avec quelques-uns, au japon ou en un autre endroit du globe…,
"celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui".
ce qui s'est passé "une fois pour toutes" lorsque le voile s'est déchiré est rendu présent, de présence réelle, à travers le temps et l'espace.

“Si tu savais le don de Dieu !“, disait Jésus. Si on savait ce qu’est la Messe“, disait le Curé d’Ars.

(1) Pour la petite histoire : l’ancien Père Abbé de Solesmes, Dom Cozien, lorsqu’il revenait d’un “pontifical“ tout en sueur, en était tout heureux : il lui semblait avoir “bien travaillé“ ! Et le P. Prou, à sa suite, répétait souvent que notre travail principal était la liturgie !

vendredi 21 janvier 2011

La montagne !

2 T.O. Vendredi imp. - “La « Montagne » ! (Mc 3.13-19)

“Jésus s’en alla dans la montagne et il appelle auprès de lui ceux qu’il voulait“

“La montagne“ est dans la Bible et dans les évangiles plus un lieu théologique qu’un lieu topologique.

Et cela depuis Abraham qui, à l’appel de Dieu, partit avec Isaac, vers la montagne de Moriah pour y sacrifier son fils (préfiguration de la croix et de la résurrection) : “Même un mort, se disait-il, Dieu est capable de le ressusciter. Aussi, dans une sorte de préfiguration, il retrouva son fils !“. (Heb 11.17).

Ce fut ensuite le départ des Hébreux d’Egypte vers la montagne du Sinaï afin de passer de la “servitude“ (esclavage) au “service“ de Dieu (même jeu de mots en hébreu). Là, au Sinaï, Dieu fit alliance avec le peuple !

Et ce peuple, après quarante ans, se stabilisa en la “terre promise“ au tour de la montagne de Sion, “ce lieu que Dieu avait choisi pour y faire habiter son Nom“. Voilà l’important ! Elle n’est pas haute, cette montagne de Sion, mais Dieu l’a choisie ! “Montagne de Bashan (Hermon), montagnes sourcilleuses, pourquoi jalouser la montagne que Dieu a choisie ?“ (Ps. 68.16).

Jésus lui-même reprendra ce même parcours de montagne en montagne à la suite de Moïse (et d’Elie également).
C’est la première fois, en notre passage d’aujourd’hui, qu’il est question d’une montagne en St Marc. Or, près du lac, il n’y a pas de montagne véritable. D’ailleurs, il n’y a aucune précision de lieu. Peu importe. La “montagne“ est le lieu de la solitude, de la prière, de la proximité avec Dieu. Jésus monte donc sur une montagne pour signifier qu’il va accomplir quelque chose d’important pour sa mission : l’institution du groupe des douze apôtres qu’il enverra ensuite dans le monde entier.

Puis Jésus se dirigera vers les hautes montagnes de l’Hermon. Là, aura lieu un autre événement important : la Confession de Pierre. Jusque là, partout à la vue de Jésus, on demandait - d’après Marc - : “mais qui est donc cet homme“ qui parle comme jamais homme n’a parlé et qui accomplit des merveilles ? Dans les montagnes du Nord, c’est Jésus qui pose la question : “Pour vous, qui suis-je ?“ Et Pierre répond admirablement au nom des Douze : “Tu es le Christ !“. (8.29) C’est la fondation de l’Eglise.

Et quelques jours après, encore sur une “haute montagne“, Jésus leur dévoile le sens de l’“Exode“ qu’il va accomplir à Jérusalem (son mystère pascal). C’est la Transfiguration.

Enfin, résolument, dira St Luc, il se dirigera pour accomplir sa “Pâques“ vers Jérusalem, cette montagne que “Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom“ et ainsi se dévoiler au monde entier.

Si, dans la Bible, la montagne est souvent lieu de solitude, de détresse, de tentation, c’est également et surtout le lieu où Dieu parle. Dieu dira par le prophète Amos : “Au désert, je parlerai“ (en hébreu il y a un jeu de mot : “midbar dibarti“). Dieu parle. Et il se révèle toujours de façon personnelle afin que chacun le suive à travers son mystère pascal vers la solitude de la mort, certes, mais surtout vers la VIE. “Ce Dieu est pour nous le Dieu des victoires et les portes de la mort sont à Dieu, le Seigneur“ (Ps 68.21).

En parlant ainsi, je pense particulièrement à ceux qui traversent de dures combats - physiques ou spirituels - comme des “combats à mort“ ou à ceux qui approchent de la mort à ce monde. Je pense à ceux-là et me permets de leur dire, en ma prière, la parole du Christ : “Pour vous, je suis le VIVANT !“.

jeudi 20 janvier 2011

Ne craignez pas !

20 Janvier – Bx Basile-Marie Moreau (1799-1873, prêtre du diocèse du Mans, fondateur de la Congrégation de Sainte Croix).
(Lecture, celle du jour - Evangile de la fête : Math 10.28-32)

“Ne craignez pas” ! En adressant ces paroles à ses apôtres, Jésus pensait également à tous ceux qui leur succéderaient, à son Eglise, aux chrétiens et aux missionnaires de tous les temps. Il le disait au Bx Basie-Marie Moreau, au lendemain de la Révolution et dans les moments où il était attaqué de tous côtés ! Jésus le redit à nous aussi, aujourd'hui.

Pourquoi nous dit-il cela ? Tout simplement parce qu'il savait que ce ne serait pas toujours facile de le suivre, d'être véritablement chrétiens, d’être religieuses, religieux. Oui, c'est dur d’être “témoins de Dieu”, “témoins du Christ” jusque dans nos recueillements ! Nous sommes si fragiles ! La première lecture le rappelait à sa manière : “Selon la Loi de Moïse, ce sont des hommes remplis de faiblesse qui sont désignés, comme grands prêtres !“. Ce sont des hommes, des femmes remplis de faiblesse qui, aujourd’hui encore, répondent cependant à son appel !

Jésus devine qu'à toutes les époques de l'histoire, et dans toutes les circonstances, ses disciples risqueront d'avoir peur, qu'ils seront tentés de se replier frileusement sur eux-mêmes, comme les Juifs au retour d’exil pour mieux retrouver, pensaient-ils, leur identité religieuse ! Et ce fut une catastrophe ! Comme cela peut arriver pour chacun d’entre nous ! Se replier sur soi-même, c’est toujours la cause d’une grande stérilité ! Il disait au contraire : " Vous êtes sel de la terre, lumière du monde !“ - “N’ayez pas peur !“ - "N'ayez pas peur !. Ce fut le première parole du pape Jean-Paul II. - "Lumière du monde !" C'est l'affirmation que lance Benoît XVI !

Il est vrai qu’il y a bien des raisons d'avoir peur : le nombre des chrétiens, des prêtres diminue !… Notre société se sécularise… Et puis, le monde se transforme à une vitesse grand V : de grands changements nous attendent…, présage le pape Benoît XVI dans son livre “Lumière du monde !“ C'est pour cela que Jésus dit et redit : "Ne craignez donc pas, soyez sans crainte", comme il disait à ses apôtres aux prises avec la tempête sur le lac de Tibériade : "Pourquoi avez-vous peur ? Oubliez-vous donc que je suis là, avec vous ?"

A l’occasion de la fête de l’un de chez nous - le Bx Basile Moreau - le Christ nous invite donc aujourd'hui à la fierté d'être chrétiens, au courage de le montrer quand l'occasion s'en présente, même à l’intérieur d’une même famille quelle qu’elle soit. Il nous invite à la confiance.
- Confiance en l'Eglise de notre temps qui, en certains endroits, n'a jamais été aussi fervente et dynamique. Cette Eglise - notre Eglise - ne cesse de nous répéter : “Le Seigneur est avec vous !“.
- Confiance en nous-mêmes, car le Seigneur compte sur nous ; malgré notre faiblesse, nos défauts. Oui, nous sommes faibles ; mais avec le Christ, nous sommes forts, capables de faire face aux difficultés diverses. “Car lorsque je suis faible, disait St Paul, c’est alors que je suis fort !“ (2 Co. 12.10)
- Confiance surtout en Jésus ressuscité, victorieux de la peur, du mal et de la mort. Grâce au Christ, nous pouvons aller répétant, comme le chantent les psaumes : “Notre Dieu est un Dieu des victoires !“, de la victoire sur la mort elle-même !

C'est vrai qu'à notre époque, la foi en Jésus-Christ apparaît souvent comme une opinion parmi d'autres. Pourtant - nous le savons -, la foi est avant tout une relation : les chrétiens croient au Christ toujours vivant ! Notre foi est adhésion à quelqu'un de bien vivant aujourd'hui même, un attachement au Christ mort et ressuscité par amour pour nous. Et il nous envoie son Esprit pour nous remplir de son dynamisme, de sa lumière. Par nous, il veut être présent là où nous vivons !

Alors : Courage et confiance, nous dit-il ! Ne craignez pas ! C’est vraiment le leitmotiv de tout l’Evangile !

“Ne craignez pas ceux qui tuent le corps” ! Ayons à la pensée, en notre prière l'exemple intrépide de tous ceux qui aujourd’hui - en ce moment même - sont plus forts que les menaces et les tortures sous toutes les latitudes politiques ! Souvenons-nous de la force des saints, tel le P. Basile Moreau : en toutes circonstances, ils se savaient aimés de Dieu, en sécurité dans le cœur du Christ, et peu importait le reste. Du moment que Dieu-Père veillait sur ses enfants, l'essentiel ne pouvait leur manquer, dans la mort comme dans la vie !

“Craignez plutôt ceux qui peuvent faire périr l’âme !” Voilà la véritable crainte salutaire chez ceux qui veulent suivre le Christ. Car le pire peut aussi nous arriver : que l'Evangile demeure enfoui sous nos silences, nos tremblements, et en étant trop obsédés par l'utile et le futile au point d'en oublier l'unique nécessaire, à savoir la présence de Dieu au cœur de notre vie.
Alors efforçons-nous de proclamer notre foi avec hardiesse, comme disait St Paul (un mot qu’il affectionnait !). Nous savons que le Christ nous entraîne toujours, même à travers l’ombre du Vendredi Saint parfois, vers la lumière de Pâques. Aussi, il nous le redit aujourd’hui, comme il l’a dit très souvent au Bx Basile Moreau, comme il le redit aux actuels témoins de la foi qui entendent plus, peut-être, que cette seule parole : “ne craignez pas, n'ayez pas peur, soyez sans crainte !”

mercredi 19 janvier 2011

Melchisédeck !

2 T.O. Mercredi Roi et prêtre de la Création (Heb 7.1…17)

La lecture fait allusion à un mystérieux personnage, Melchisédech, qui est nommé dans la première Prière Eucharistique : “Dieu de gloire et de majesté,… comme il t’a plus d’accueillir le sacrifice que t’offrit Melchisédech, ton grand prêtre, en signe du sacrifice parfait, regarde cette offrande avec amour, … accepte-la !“.
Cette prière fait allusion à un court passage de l’épopée d’Abraham qui revient victorieux des combats qu’il a menés afin de délivrer son neveu Loth qui avait été capturé avec toute sa famille et ses biens… C’est alors que s’avance ce mystérieux personnage : “Melchisédech, roi de Shalem, apporta du pain et du vin ; il était prêtre du Dieu Très Haut. Il prononça cette bénédiction : « Béni soit Abram par le Dieu Très Haut qui créa ciel et terre, et béni soit le Dieu Très Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains ».“ (Gen 14.18-20).

Permettez-moi d’imaginer : Jésus passait souvent dans la vallée du Cédron, en contrebas du mont des Oliviers et près de Jérusalem sise sur la petite hauteur de la colline de Sion, ce lieu que “Dieu avait choisi pour y faire résider son Nom“.
On peut imaginer : Jésus passe dans cette vallée appelée encore “vallée des rois“ !
- Et là, il se souvient certainement de son ancêtre le roi David qui a fait la conquête de cette petite colline de Sion, “la montagne de Dieu“…
- Il pense aussi à Abraham, l’ancêtre de tout son peuple, à Abraham, “notre père dans la foi“ marchant vers le mont Moriah - et c’est peut-être encore Sion - pour “voir celui qui nous voit sans cesse“ !
- Dans cette “vallée des rois“, Jésus revoit la rencontre d’Abraham avec ce mystérieux personnage, Melchisédech, roi de Shalem, est-il dit - c’est encore sans doute Jérusalem -. Il revoit son geste d’hommage par les présents du pain et du vin !

Ce Melchisédech est roi ! Comme à Adam, Dieu lui a donné les biens de ce monde.
Ce Melchisédech est prêtre : Comme Adam en avait reçu vocation, il fait hommage à Dieu de tout ce que le Créateur lui a donné.

Alors, on peut imaginer : dans cette “vallée des rois“, près de Jérusalem où il va faire hommage, offrande de tout lui-même à son Père au nom de toute la Création, Jésus s’identifie à ce mystérieux personnage des premiers temps, roi et prêtre, selon la vocation d’Adam…, de tout homme..
Jésus se retourne en quelque sorte avec ce mystérieux personnage vers l’Alpha de l’histoire, le commencement.
- Comme Adam (comme Melchisédech), “sans père, sans mère, sans généalogie“, Jésus ramasse en lui-même, comme prêtre, toute la création pour en faire hommage au Créateur, …à la manière de Melchisédech.
- Comme Adam (comme Melchisédech), Jésus est roi…, roi de justice pour “ajuster“ toute chose à Dieu ; il est roi… de paix en partageant avec justice les biens du Créateur à tous les hommes sans exception, …à la manière de Melchisédech.

Oui, c’est là qu’on peut non plus imaginer mais penser : Jésus réconforté comme Abraham par ce mystérieux personnage Melchisédech, après avoir jeté un regard vers l’Alpha de l’histoire, reprend sa route vers l’Oméga de l’histoire, en tant que roi et prêtre …“à la manière de Melchisédech“ : en lui, il reprend toute la création - il en est le roi - pour en faire, en sa personne, hommage à Dieu son père - car il est le prêtre par excellence -. Il se dirige vers Jérusalem avec tout le cortège de l’humanité “pour voir celui qui nous voit sans cesse“. Il va vers cette Jérusalem, “la ville pourvue de fondations dont Dieu est l’Architecte et le constructeur“ (Heb 11.10).

Et nous, chrétiens, incorporés au Christ, vivons avec lui dans le temps présent comme “roi de la Création“, mais en faisant cependant hommage de toute notre vie au Créateur, notre vie de baptisés, de sanctifiés dans le Christ, notre vie de consacrés.

Et avec le Christ, nous parviendrons de plus en plus à discerner la présence de Dieu en notre vie, marchant avec lui, vers la Jérusalem céleste pour parvenir finalement, en tant que “roi et prêtre“, à “voir celui qui nous voit sans cesse“.

Tout est à vous, disait St Paul. Mais vous, vous êtes au Christ, Roi et Prêtre …à la manière de Melchisédech. Car le Christ, lui, est à Dieu !

mardi 18 janvier 2011

Projet divin

T.O. 2 Mardi - Le Shabbat (Heb. 2.5-12 -Mc. 1.21-28)

Quel est donc le sens du shabbat si critiqué, semble-t-il, au temps de Notre Seigneur et aujourd’hui encore, peut-être ?
Il faut d’abord relire le passage de l’Exode (31.12sv) : “Vous observerez mes shabbat, car c’est un signe entre vous et moi d’âge en âge pour qu’on reconnaisse que c’est moi le Seigneur qui vous sanctifie… Pendant six jours, on fera son ouvrage ; mais le septième jour, c’est le shabbat, le jour de repos consacré au Seigneur… pour en faire, d’âge en âge, une alliance éternelle… Il est le signe qu’en six jours le Seigneur a fait le ciel et la terre, mais que le septième jour, il a chômé et repris son souffle…“.

Dieu a tout créé. Il a créé l’homme “à son image et ressemblance“. Il l’a donc associé et l’associe à son projet créateur. Oui, Dieu a un projet : il met l’humanité en marche vers une ville dont il est, lui, “l’architecte et le fondateur“ (Heb. 11.10). Cette ville sera faite de “pierres précieuses“. Et il n’y a pas deux pierres précieuses semblables (Apoc. 21). Chacun de nous est appelée à être l’une de ces pierres vivantes de la Jérusalem céleste, une pierre particulière, réservée, irremplaçable. En nous créant, Dieu n’a pas travaillé en série et comme à la chaîne. Dès lors, à chacun Dieu dit : “Je te connais par ton nom“ (Ex 33.17) ; “je t’appelle par ton nom“ (Is 43.1-5), par ton nom propre, “car tu as du prix à mes yeux“.

Mais au lieu de rentrer dans le projet de Dieu avec enthousiasme, foi, confiance et amour, les hommes “s’amusent“, à élaborer des contre-projets. Ils font des “brisques“ pour construire à leurs idées, une ville, une tour de Babel… et que sais-je encore, pour “créer“ eux-mêmes : “Faisons des briques, construisons une ville…, une tour ! Faisons-nous un nom !“. (Gn 11)

Que se passe-t-il alors immanquablement ? Au lieu de remonter vers son Créateur dans un élan harmonieux d’action de grâces, le monde, par la faute de l’homme qui est bien le roi de la création mais qui oublie d’en être le prêtre, qui oublie d’en faire hommage à Dieu, retombe alors dans le chaos, dans la multiplicité du chaos. Et l’homme lui-même ne comprend plus rien… Il était fait pour les épanouissements d’une fécondité extraordinaire grâce à son alliance avec son Créateur. Et le voilà qu’il tombe dans les esclavages de la production : produire et encore produire, “faire des briques“ et encore des “briques“. Et “faire des briques“, c’est élaborer son système à soi : on adore l’œuvre de ses mains.

Nous sommes faits pour un bon usage de la création dans l’action de grâces et aussi le partage. C’est la vocation de l’homme à la fois royale et sacerdotale. Il prend possession du monde et, par ses diverses activités, il l’élève vers Dieu son Créateur. A ce moment-là, il y a une harmonie qui s’établit : chaque homme peut trouver sa place.

Sinon l’homme se précipite égoïstement sur les biens de consommation, sur les “briques“ fabriquées en dehors du projet de Dieu… Il en devient esclave comme en l’Egypte. Et c’est la division, la guerre, et peut-être la “catastrophe globale“ à laquelle il est fait allusion dans le livre du pape Benoît XVI, “Lumière du monde“ où est rappelé la célèbre phrase de l’abbesse (et médecin) Hildegard von Bingen (12ème s.) : “Quand l’être humain pèche, le cosmos souffre !“. Il y a d’ailleurs un jeu de mots dans la Bible à ce sujet, chez le prophète Osée (11.8) : Quand Dieu vit le péché des hommes (à Sodome et Gomorrhe), le cœur de Dieu fut renversé ; et parce que le cœur de Dieu fut renversé, la terre se renversa ! La Catastrophe !

Oui, le monde meurt et mourra faute de ne pas se tourner vers Dieu, dans un shabbat perpétuel, dans une continuelle action de grâce qui est la clef de l’harmonie universelle : “Tu béniras ton Dieu…“ ; tu feras la bénédiction ( = tu feras eucharistie !).
“Bénis le Seigneur, ô mon âme ! Seigneur, mon Dieu tu es si grand !“ (Ps 104)

L’homme est fait pour chanter, pour rebondir de tout son être dans un sentiment de reconnaissance. De par sa condition initiale, il est un “être royal et sacerdotal“ : il prend possession du monde (il en est le roi) et il doit rebondir dans l’action de grâce (il en est le prêtre). Il “fait hommage à Dieu“ de toute la Création. “Toute ma vie, je chanterai le Seigneur ; le reste de mes jours, je jouerai pour mon Dieu. Que mon poème lui soit agréable. Et que le Seigneur fasse ma joie“ (Ps 104. 33-35).

Pour un Juif (mot dont la racine veut dire “merci“, en quelque sorte), user des biens de la création en oubliant d’en “rendre grâce“, c’est un vol. Aussi toute la vie juive est rythmée par des bénédictions. Depuis la réforme liturgique, l’Eglise a repris la formule juive de la bénédiction du pain et du vin au début de l’Eucharistie : “Béni sois-tu, Roi de l’Univers, qui fais sortir le pain de la terre. Béni sois-tu, Roi de l’Univers, qui donne le fruit de la vigne“. Jésus institue l’Eucharistie dans le cadre d’un repas d’action de grâce !

Nous sommes faits pour “rebondir“ de tout notre être dans l’action de grâce, en écho à la “Parole de Dieu“ qui est faite pour “descendre jusque dans nos entrailles“ et nourrir notre vie … (Cf. Ez. 3.1 sv). - “Par lui, avec lui et en lui, dans l’Esprit Saint, tout honneur et toute gloire au Père“.

Voilà le sens du shabbat. Et pour nous, le Dimanche ? Jour du Seigneur ? Et, en ce sens, savons-nous mesurer la grandeur du don de l’Eucharistie quotidienne, l’Action de grâce par excellence ?

dimanche 16 janvier 2011

Etre Saint !

2ème dimanche du T.O. 02/A

Il faut quelque peu connaître cette communauté de Corinthe à laquelle s’adresse St Paul pour mieux comprendre la lettre qu’il leur adresse.
Corinthe est une ville très cosmopolite, un port qui a besoin de beaucoup de main d’œuvre : la population est composée d’esclaves pour les deux tiers. De plus, pour des raisons diverses, c’est une ville aux mœurs dissolues ; on employait même un barbarisme, le verbe “corinzeinthai” pour signifier : “vivre à la corinthienne”, c’est-à-dire “vivre en débauché” !
Et pourtant, c’est dans ce milieu, dans ce port, dans cette cité libertine que Paul fonda sa première et grande communauté chrétienne. Naturellement, ce ne fut pas sans incidents, difficultés, intrigues, révoltes, disputes, divisions. On connaît encore cela malheureusement ! L’Apôtre en a beaucoup souffert, mais il aimait cette communauté ; il la chérissait. Mais son amour restait exigeant…

C’est dans ce contexte qu’il faut relire la lettre qu’il leur adresse et le début de cette lettre que l’on vient d’entendre. Éloigné de ses chers Corinthiens, recevant des nouvelles plus ou moins conformes à l’idéal chrétien, et des demandes de conseil, Paul leur écrit longuement.
Il commence, selon les usages de l'époque, par la présentation de l'auteur, la mention des destinataires et une salutation. Que voulez-vous, même en ce temps reculé, on restait poli ! Même s’il y a des désaccords ! Cependant, on a l’impression que son ardeur apostolique va vite au-delà de ces banalités.

Immédiatement, il engage un face-à-face sans concession : “Je vous rappelle que je suis Apôtre du Christ Jésus et vous, vous êtes l'Église de Dieu à Corinthe, vous qui avez été sanctifiés dans le Christ Jésus !” Le sous-entendu est à peine voilé : moi j'ai reçu mission de vous parler avec autorité ; vous, vous avez le devoir d'être des saints !
En lisant la suite de la lettre de l’apôtre (et je vous y invite), il ne faudra pas oublier cette hauteur à laquelle Paul situe son dialogue pastoral, modèle pour tout missionnaire et pour toute communauté. Vous êtes ce que vous êtes, leur répétera Paul, et moi aussi ; mais il y a, au-dessus de nous, deux appels : je suis appelé à faire grandir le Christ en vous ; vous, vous êtes appelés à la sainteté. Je ne douterai jamais de vous, mais je ne vous laisserai pas descendre au-dessous de cet idéal. Cette lettre aux Corinthiens aura toujours ces deux couleurs : un apôtre passionné porte une communauté difficile. Belle occasion pour nous à méditer nos propres comportements apostoliques et communautaires.

Oui, pour Paul, être un baptisé, un croyant, un appelé à vivre “dans le Christ Jésus”, c'est-à-dire en union intime et vitale avec lui, c'est avoir droit au titre de “saint”, de “sanctifié” ! Docker, prostituée, marin, riche commerçant ou artiste, abîmé par la suffisance ou le charnel, peu importe, semble dire St Paul, tu es d’abord chrétien ; déjà tu es donc un saint, tu dois l'être !

Parole en forme d’aiguillon pour les Corinthiens ; et pour nous aussi ! Nous l'émoussons, cette parole, quand nous plaçons la sainteté dans la rareté, chez certains grands saints seulement, un François d'Assise ou une Thérèse de Lisieux. Le Concile Vatican II n’a-t-il rappelé avec vigueur que “l'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection s'adresse à tous ceux qui croient au Christ” (Église, 40). Quand une biographie de saint nous décourage, la réaction devrait être immédiate : “Ce n'est probablement pas à ce même genre de vie que je suis appelé, mais à une sainteté taillée à mes mesures. Je n'ai pas à faire ce que d'autres ont fait, mais ce que moi je peux faire. Et par la grâce de Dieu je dois le faire”. Voilà ce que St Paul nous dirait encore aujourd’hui.

Cette haute conception de la condition du chrétien, déjà Isaïe l’évoquait quand il reconnaissait : “Oui, j’ai du prix aux yeux du Seigneur ; c’est mon Dieu qui est ma force !”. Ce cri qui traverse déjà tout l’Ancien Testament, est un cri de reconnaissance de l’amour de Dieu envers tout homme ! Et l’apôtre Paul est simplement envoyé, dit-il, pour que chacun fasse entendre ce cri de reconnaissance qui permet alors à la toute puissance de Dieu de se déployer en nous et de nous sanctifier en Jésus Christ !

Oui, la sainteté, c’est d’abord un cri de reconnaissance envers le Christ qui sanctifie. Et l’évangile explicite ce cri : une reconnaissance envers l’“Agneau de Dieu”. Or l’Agneau de Dieu, chez St Jean, désigne deux images : celle, bien sûr, de l’agneau pascal qui sera immolé sur la croix pour enlevé le péché du monde ; et l’image de l’agneau, selon Isaïe, l’agneau-serviteur qui est envoyé pour annoncer au peuple la lumière, éclairer les nations, leur transmettre la splendeur de Dieu, son amour.

Oui, le Christ, est l’“Agneau de Dieu” qui non seulement enlève le péché du monde, mais nous éclaire de la lumière de Dieu, nous enveloppe de son amour. Oui, pouvons-nous répéter, “j’ai du prix aux yeux du Seigneur”. Car non seulement il nous enveloppe de son amour, mais il nous le donne : “J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et demeurer sur lui”, disait Jean-Baptiste. L’Esprit demeure sur Jésus ; mais s’il demeure sur Jésus, c’est essentiellement pour qu’il descende sur nous et y demeure. St Jean explicitera cette conviction quand il rapportera le discours de Jésus lors de l’institution de l’Eucharistie.

St Paul avait donc bien raison : vous êtes déjà sanctifiés par l’amour de Dieu. Laissez-vous donc faire par cet amour, c’est-à-dire, laissez-vous gagner, comme dans tout amour, par la gratuité de cet amour, par la gratuité de cet amour qui vous précède et vous appelle. Cet amour vous précède de partout, cette présence divine qui est là au plus profond de votre cœur et que vous avez à exploiter pour être véritablement des “saints”.

Aussi, je ne peux terminer mon propos qu’à la façon de l’apôtre : Que par l’Esprit Saint en vos vies de baptisés, la grâce et la paix soient avec vous de la part de Dieu-Père et de Jésus-Sauveur !

samedi 15 janvier 2011

Sts Maur et Placide

15 Janvier 2011 - Sts Maur et Placide

On ne peut pas ne pas faire mémoire, ici en ce prieuré, de St Maur et St Placide, disciples de St Benoît ! Cependant, vous connaissez aussi bien que moi - sinon plus - ce qu’en dit St Grégoire, dans ses “Dialogues“, à propos de la vie du Patriarche des moines d’Occident !
On peut retenir l’exemple d’obéissance qu’il nous transmet : le jeune Placide, tombé dans un lac tout proche, allait se noyer ! Benoît envoie Maur pour l’y en tirer. Aussitôt le disciple court et, par la puissance de l’obéissance à son Maître, est capable de marcher sur les eaux, comme Pierre à l’appel de Jésus, et de sauver le jeune garçon. Même magnifié, l’exemple se veut une illustration de l’enseignement de St Benoît sur l’obéissance !

On se rappelle aussi la grandeur d’âme de St Benoît à propos d’un prêtre, voisin, qui multipliait, à son encontre, vexations, critiques, intrigues… Ce “persécuteur“ meurt subitement. Le jeune Maur en éprouve un grand contentement, heureux de voir son Maître délivré de cet importun… ! Mais St Benoit fut attristé et de la mort de son “persécuteur“ et surtout de la joie qu’en ressentait son disciple. Il lui inflige une pénitence appropriée… Ne faut-il pas aimer même ses ennemis ? En tous les cas, comme il est dit dans la Règle, il faut “par amour du Christ, prier pour ses ennemis“ !

Et puis, n’oublions : Maur fut envoyé par St Benoît, pour fonder le monastère qui devait devenir célèbre, au Mont-Cassin !

Ce que l’on connaît moins, c’est l’extension du monachisme bénédictin en notre pays, due à un évêque du Mans ! Ce n’est pas relaté, bien sûr, dans les “Dialogues“ du pape Grégoire, mais dans une biographie attribuée - ce qui est très contesté aujourd’hui - à un certain Odon, moine de Glanfeuil qui voulut voir en un Abbé de ce monastère, Maur, le disciple de St Benoît.

Selon cette biographie, vers 542, arrivent au Mont-Cassin deux envoyés de l’évêque du Mans, demandant la fondation d’un monastère en notre pays. St Benoît envoie Maur et quelques disciples. Ce groupe arrive à Orléans où ils apprennent le décès de l’évêque du Mans. Ils continuent leur voyage jusqu’à Glanfeuil s/Loire, et, finalement, s’y établissent !… Là encore et plus peut-être, le récit est émaillé de “merveilleux“ pour mieux magnifier l’extension de l’Ordre bénédictin en notre pays. Après trente-huit ans d’abbatiat parsemés de miracles, Maur meurt paisiblement le 15 janvier 584.

Que retenir pour notre aujourd’hui ? Notre évêque m’a dit un jour : “On ne sait plus ce qu’est l’obéissance !“ Parce que très mal pratiquée parfois, elle n’est plus comprise ! Obéir ! “Ob-audire“ : Ecouter - “faites donc attention à votre manière d’écouter“ (Lc 8.15) -, et cela autant dans une famille monastique que dans une famille domestique. Pour comprendre quelque peu, il faut toujours contempler, d’abord, le Christ lui-même !

Toute son existence ici-bas fut aussi bien un déploiement de charité qu’une exacte dépendance à la volonté de son Père !
- Depuis son entrée dans le monde…
“Je suis descendu du ciel non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé“ (Jn 6.38) – “Entrant dans le monde, il dit… : Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté“ (Heb. 10.7)
- … jusqu’à la mort,
Dans son agonie, il priait : “Père, non pas ma volonté, mais la tienne“ (Mth 26.42). Et aussitôt il dira à ses apôtres : “Afin que le monde sache que j’aime le Père et que j’agis conformément à ce que le Père m’a prescrit, , partons d’ici…“ (Jn 14.31).
- … il n’est pas un acte qu’il n’ait accompli pour obéir à son Père :
“Ma nourriture est de faire le vouloir de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre“ (Jn 4.34) – Je fais toujours sa volonté“ (Jn 8.29) – “Mon enseignement n’est pas de moi, mais de Celui qui m’a envoyé“ (Jn 7.16) – “Ce que je dis, je le dis tel que le Père me l’a dit“ (12.49) – “En vérité, le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voie faire au Père ; car ce que fais Celui-ci, le Fils le fait pareillement“ (5.19) – “Je ne puis rien faire de moi-même“ (5.30).

On ne peut imaginer obéissance plus stricte ; c’est que le Père et le Fils sont un (10.30). “Le Père qui demeure en moi accomplit ses propres œuvres“ (14.10). St Thomas d’Aquin dira : “La volonté humaine de Jésus était toujours mue au gré de la volonté divine“ (IIIa 18.1 ad 4m).

Ayant pratiqué pendant trente ans la plus docile soumission à ses parents (Lc 2.51), il “apprendra“ dans les circonstances les plus ignominieuses ce que l’obéissance demande de totale abnégation de soi-même (Cf. Heb 5.8). “Il fut obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix“ (Phil. 2.8). Et St Paul a donc raison de voir dans cette héroïque obéissance au Père la source du rachat des fils de désobéissance (Cf Rm 5.19).

Aussi, cette dépendance du Seigneur à son Père engage tous les disciples dans la voie de l’obéissance la plus concrète. Lorsque l’apôtre évoque l’“abaissement jusqu’à la mort“, c’est après avoir demandé aux chrétiens d’avoir “les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus“ (Phil 2.5). Aussi il conclura : “… selon cette obéissance dont vous avez toujours fait preuve…, travaillez à accomplir votre salut“ (2.12 – Cf. Heb. 5.8-9). Les élus sont ceux “que Dieu notre Père a connus d’avance, qu’il a sanctifiés par l’Esprit, pour obéir à Jésus-Christ“ (I Pet. 1.2).

Il faut, bien sûr, répéter encore et encore que cette obéissance n’a de sens que comme manifestation d’un amour qui adopte les vouloirs de celui qui est aimé. De même que le Sauveur a mis dans sa soumission au Père toute la ferveur de sa charité filiale (Cf. Jn 10.17-18 ; 14.31 ; 15.10), ses disciples n’observent les préceptes que par amour (Cf I Pet 1.22 ; Jn 14.15 etc). “Ce qui rend l’obéissance digne de louange, c’est la charité qui l’inspire… La charité est inséparable de l’obéissance…, car amour d’amitié, elle réalise l’identité des vouloirs“ (St Thomas d’A. IIa IIae 104. 3 sed c).

Aussi, il faudrait poursuivre la lecture du N.T. (surtout Rm et Gal) pour montrer combien cette obéissance inclut la vérité et la liberté comme l’enseigne Jésus à la Samaritaine : la “Loi“ ne doit plus, comme dans l’A.T., s’imposer de l’extérieur, comme un “sur-moi“ aliénant et pesant, mais que, de l’extérieur, elle passe à l’intérieur de sorte qu’on obéisse à la volonté de Dieu dans les spontanéités de la liberté. Non plus comme des “esclaves sous la Loi“, mais comme des êtres libres dans un régime de grâce, comme des amoureux de la beauté spirituelle, “pulchritudinis amatores“ ! Tout un programme !

vendredi 14 janvier 2011

Debout !

1 T.O. Vendredi – Parole de VIE (Mc 2.1-12)

Depuis le début de l’évangile selon St Marc, il y a comme un refrain qui revient sans cesse à nos oreilles : “Lève-toi !”
D’abord il est question d'un possédé que l'esprit mauvais secouait. Jésus en fait un homme debout.
Ensuite, c’est la guérison de la belle-mère de Simon-Pierre. Elle était au lit. Jésus s’approche, la fait se lever et aussitôt, elle se met au service de Jésus et de ses disciples ! C'est dire qu'elle était bien debout et vaillante.
Hier, c’était l’histoire d’un lépreux. Jésus le guérit, si bien qu'il se met à courir partout, proclamant la nouvelle de sa guérison. L'ex-lépreux n'est plus un homme mutilé, exclu de la société, mais un vivant bien debout dans la société des hommes.
Aujourd'hui, nous avons un double “Lève-toi !” Non seulement “Lève-toi”, ton péché n'est plus en toi, la lourdeur qui paralysait les jointures de ton cœur et de ton âme ne sont plus ; mais “lève-toi” de ton grabat, de ta maladie. Ne sois plus un homme mort, dans la position des allongés, mais un homme debout, capable de ridiculiser le symbole de la mort en portant sous le bras ton brancard.

Au début du récit, Marc avait précisé que Jésus est dans la maison de Pierre. Et il note : “Jésus annonçait LA PAROLE”. En d'autres termes on pourrait dire que Jésus s'annonce lui-même. Il se dit lui-même, non seulement par ce qu'il dit, mais par le seul fait qu'il soit là : Jésus est la PAROLE faite Chair, le Verbe fait chair, la Parole venue chez les hommes…
LA PAROLE ! Cela rappelle le vieux texte de la Bible sur les origines de l'homme. Dieu DIT UNE PAROLE : et les masses informes deviennent terre et mer. Dieu DIT UNE PAROLE : et la lune, le soleil apparaissent. Dieu DIT UNE PAROLE : et les êtres vivants se multiplient. Dieu DIT UNE PAROLE : faisons l'homme à notre image... et l'homme se tient debout.

Oui, DIEU PARLE et sa PAROLE n'est que VIE. Aussi, quand le Fils de Dieu, Jésus, Parole, Verbe de Dieu annonce la PAROLE au milieu de ses amis, il dit Dieu, il dit la VIE ; la Vie du Père et la sienne et celle qu'ensemble, ils nous donnent par leur Esprit commun, Esprit d’amour, Esprit de vie ! Benoît XVI note dans son Exhortation “Verbum Domini“ : “Dès le début, les chrétiens ont eu conscience que, dans le Christ, la PAROLE de Dieu est présente, en tant que personne“ (n° 12).

Aussi, nous devinons qu'avant même que les gens n'arrivent avec leur brancard et leur paralytique, la PAROLE de Dieu qui a tout créé, la PAROLE de VIE est là, plus forte que la mort. La mort, elle, a besoin de porteurs et d'ingéniosité pour démolir un toit et arriver devant Jésus…

Er quand la PAROLE de VIE est là, c’est toujours une création, une re-création ! Pour peu que cette PAROLE de VIE soit cherchée, accueillie ! Benoît XVI note encore : “La Parole divine dévoile le péché qui habite le cœur de l’homme…“. - Il nous faut reconnaître “la racine du péché dans la non-écoute de la Parole du Seigneur…“, il nous faut “accueillir en Jésus, le Verbe de Dieu, le pardon qui nous ouvre au salut“ (n° 26).

C’est pourquoi, Jésus, Parole de Dieu, par qui la vie de Dieu s’est manifestée et se manifeste, DIT UNE PAROLE, comme au matin de la création, pour une re-création : “pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de pardonner, je te l'ordonne...”. Jésus dit, et cela est, à la manière de Dieu-Créateur. Il le fait aussi à la manière humaine pour que tous comprennent bien, puisque la PAROLE de DIEU s’est faite PAROLE d’HOMME !

Le “lève-toi” semble nous dire : quitte ton mal qui t'embarrasse et sois signe de vie. “L'homme se leva, prit aussitôt son brancard et sortit devant tout le monde.” Le paralytique n'avait pu entrer à cause de la foule et voilà que maintenant, par la Parole de Jésus, il se lève et peut sortir “devant tout le monde”. On a même l'impression qu'il sort facilement, que personne ne le gêne, alors même qu'il a son brancard sous le bras ! C’est la VIE libérée de tout mal qui triomphe ! C’est comme une première annonce du mystère pascal.

Il faudrait rester en silence et prier pour que chacun puisse voir les lieux où il lutte pour que la vie l’emporte sur les forces du mal quelles qu’elles soient. Chacun devrait pouvoir murmurer à Jésus, PAROLE de VIE : “lève-moi, viens, relève-moi...”. Que je sois bien debout, vivant ! “La gloire de Dieu, disait St Irénée, c’est l’homme vivant“, debout !

Voilà comment Jésus annonce LA PAROLE !
Et il est à noter que, depuis lors, cette formule (“annoncer la Parole“) est devenue une expression consacrée pour la prédication chrétienne. Il est dit dans les Actes des Apôtres : “Pierre et Jean priaient ainsi : “Accorde à tes serviteurs, Seigneur, de dire ta Parole avec une entière assurance… “ - Alors ils furent remplis du Saint-Esprit et disaient avec assurance la Parole de Dieu“ (Ac 4.29, 31). La prédication chrétienne n’est que le prolongement de la PAROLE de VIE de Jésus. Ainsi, Pierre dira un jour au paralysé à l’entrée du temple de Jérusalem : “Je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus, lève toi et marche !“ (Act 3.6).

jeudi 13 janvier 2011

Colère bienfaisante !

T.O. 1. Jeudi – Jésus “irrité“ !… (Mc 1..40sv)

On m’a appris qu’il y a une règle d’or dans la lecture de la Bible : les versions les plus difficiles sont souvent les plus authentiques. St Marc en donne un exemple. J’ai lu : “Un lépreux tombe à genoux devant Jésus et le supplie… Pris de pitié, Jésus étend la main…”. Or des manuscrits, nombreux et plus anciens rapportent : “Jésus, non pas “pris de pitié”, mais “irrité”, (en colère). Difficile à comprendre ! Et plus loin : une fois le lépreux guéri, Jésus le rudoie ; il est encore irrité ! - Décidément ! Jésus se fâche contre un lépreux qui demande sa guérison ; Il l’exauce ; et, à nouveau irrité, il le chasse. Comment comprendre ? Je risque une explication. Car ce lépreux ressemble comme un frère …à nous-mêmes, parfois !

Réfléchissons : Jésus se présente comme celui qui vient apporter la “Bonne Nouvelle” de Dieu. Et il s'impatiente devant la lenteur des foules et même des disciples… De fait, on vient à lui surtout parce qu'il opère des miracles.
La première journée de prédication de Jésus est significative : Jésus enseigne, certes ; mais ce qui frappe surtout ce sont les guérisons qu'il opère. Et naturellement, elles suscitent une grande attente : “Tout le monde le cherche !“, lui dit-on. Mais Jésus se dérobe. Il se réfugie dans un lieu désert et là il prie. Quand les disciples le découvrent, il insiste sur sa mission spécifique : "Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j'y proclame aussi la “Bonne Nouvelle“ car c'est pour cela que je suis sorti." (1.35sv). C'est à ce moment-là que se situe la rencontre du lépreux. - Il est très bien ce lépreux : il croit en Jésus : "Si tu le veux, tu peux me purifier." On ne voit pas tout de suite pourquoi une telle confiance irrite Jésus. Répondant mot pour mot, et brusquement, Jésus lui dit : "Je le veux, sois purifié". Et immédiatement, la colère revient : "S'irritant contre lui, Jésus le chassa aussitôt".

Jésus a le sentiment d'une “embrouille” : il est venu apporter la “Bonne Nouvelle“ ; et les gens ne retiennent que son pouvoir de guérisseur. Il est venu parler de Dieu-Père ; et l'on attend ses miracles. C'est ce reproche qu'il formulera un jour : "Vous me cherchez parce que vous avez mangé des pains…" (Jn 6/26). Il y a comme un malentendu ; et l'essentiel de la mission de Jésus est négligé. Pourtant, Jésus continuera à prodiguer guérisons, miracles.

De plus, l'efficacité de ces miracles n'est pourtant pas évidente. Il suffit de se souvenir d'une autre affaire, celle de dix lépreux. Jésus agit avec eux comme avec le lépreux de Capharnaüm : il leur enjoint d'aller se montrer au prêtre, à Jérusalem. Pendant leur voyage, ils sont guéris. Un seul sur les dix, un Samaritain, a compris le sens du miracle et reconnu l'action de Dieu dans le geste de Jésus. Il revient rendre gloire à Dieu. Cet épisode aide à comprendre l’irritation de Jésus par rapport au lépreux de Capharnaüm. Jésus se rend compte que la guérison n'entraînera peut être pas la conversion. Il sait même le pourcentage de réussite : un sur dix !

Les gestes de Jésus, l'Eglise s’efforce de les accomplir principalement par les sacrements, par des actes de compassion (Je pense, par exemple, à cette compassion extraordinaire dont témoignent les Sœurs de la charité que j’ai rencontrées à Jérusalem, Bethléem…, envers des palestiniens !). Mais, ce qui irritait Jésus peut parfois nous irriter. On demande facilement des actes d’entr’aide, voire de guérison, mais recherche-t-on l’union avec Dieu ? Le pourcentage de ceux qui veulent entendre la “Bonne Nouvelle” du Christ n'a peut être guère évolué depuis Jésus ! Au contraire ! Ceux qui réclament un signe ne vont pas tous s’attacher pour autant au message du Christ ! Bien plus, on constate que certains chrétiens qui travaillent fort à l'architecture de leur église négligent cependant le Saint-Sacrement.

Ainsi, l’irritation de Jésus s'explique. Nos irritations aussi. Mais la pratique de Jésus n'a pas été pour autant modifiée. Il a continué de faire les gestes de guérison, de compassion. Nous aussi, sachons accomplir modestement de petits gestes qui empêchent les autres de souffrir. C’est parfois le seul témoignage à notre portée. Même à l’intérieur, surtout à l’intérieur de nos communautés, ne méprisons pas ces modestes signes.
Oh ! Il ne s’agit sans doute pas ici de convertir son frère, sa sœur… ! Quoique ! Quoique ! Ne sommes-nous pas tous entrés ici sur le chemin d’une perpétuelle conversion ? Il s’agit, en tous les cas, par de modestes signes, de témoigner de l’Amour de Dieu qui est si grand… ! Je l’avoue simplement : une de mes grandes souffrances pastorales, ce fut de constater que, sous prétexte de rigorisme, de règlements, de morale souvent mal comprise ou mal expliquée, on écartait finalement des personnes qui sollicitaient une guérison…, qui cherchaient Dieu ! Jésus savait, au besoin, manger avec les pécheurs ! Et il savait dénigrer, parfois violemment, toute pratique religieuse qui recélait un manque d’amour, de charité ! Les Religieuses de Port-Royal, a-t-on dit, étaient “pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons !“. En ce cas, St Augustin avait bien raison de remarquer : “L'Eglise a des enfants parmi ses ennemis et des ennemis parmi ses enfants !“.

Sur le chemin de la conversion, je préfère mériter l’irritation du Seigneur. Car Jésus le sait : il faut du temps pour que notre foi trouve sa force, sa vigueur et puisse aller plus avant dans la découverte du mystère de Dieu. Alors, je sais, moi, - et c’est toute mon espérance - que finalement il me guérira de ma lèpre et, dans sa main qu’il me tendra, je deviendrai “plus blanc que neige !“.

mardi 11 janvier 2011

Une réponse svp !

T.O. 1 Mardi - Pour vous qui suis-je ? (Heb. 2.5-12 -Mc. 1.21-28)

Nous commençons l’évangile de St Marc. On peut considérer l’œuvre de cet évangéliste comme s’articulant autour de la “Confession de Pierre“ à Césarée de Philippe ! (8.27). Avant cet épisode-phare, Jésus provoque étonnement, interrogation… Mais qui donc est cet homme ? Qui est-il, lui qui guérit, témoigne d’une grande sagesse, parle avec autorité… ? Les opinions divergent à l’extrême. Ici, c’est l’enthousiasme ; là, c’est la suspicion, et principalement de ses concitoyens de Nazareth ! De sa ville de jeunesse, on envoie des émissaires pour l’épier, le surveiller tant on soupçonne qu’il “a perdu la tête“ ! Dans les plus hauts milieux politiques (à la cour d’Hérode), on s’interroge ! Serait-il Jean-Baptiste ressuscité, ou Elie qui doit revenir, un prophète ? (Cf 6.14). Bref, qui donc est cet homme, Jésus ?
N’est-ce pas toujours la question. Et aujourd’hui plus que jamais, les opinions se multiplient et divergent totalement. (Ex. le best-seller de Max Gallo)

Après la “Confession de Pierre“, cette question devient secondaire, insignifiante. Elle est soumise à une autre question plus fondamentale qui demande une réponse, et une réponse qui engage. C’est Jésus lui-même qui pose la question essentielle : “Pour vous, qui suis-je ? Les opinions du monde peuvent changer et changeront… Mais, pour vous, pour chacun de vous, qui suis-je ? On connaît la réponse de Pierre, spontanée, vive, sans détour : “Tu es le Christ !“. Et à partir de ce moment, Jésus va expliciter, détailler, approfondir cette réponse en se dirigeant avec détermination, dira St Luc, vers Jérusalem, lieu de sa manifestation : Il est “Dieu fait homme“ venu pour le salut de tous, comme le rappelle la lecture d’aujourd’hui.

“Pour vous, qui suis-je ?“. La question est d’actualité pour chacun de nous ! Pour nous, qui est Jésus véritablement ? Comment préciser notre réponse sans employer obligatoirement des formules théologiques, toutes vraies mais parfois si conventionnelles… Car c’est à chacun de nous que la question est posée ; et c’est donc une réponse personnelle qui est demandée !

Comment répondre ? L’évangile nous suggère un moyen qui engage à une réponse permanente parce que toujours à actualiser, étant le résultat d’un dialogue que Dieu entame à chaque instant.
En effet, le premier acte de Jésus en St Marc, c’est d’enseigner ; et on dirait que chez cet évangéliste, Jésus enseigne à tout instant : “On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité… Voilà un enseignement nouveau, proclamé avec autorité !“. Oui, Jésus enseignait et enseigne aujourd’hui encore ! Jésus parle ! Il suffit donc d’abord de l’écouter à tout instant pour pouvoir lui répondre à tout moment. Comment répondre si nous ne savons pas écouter ?

Jésus parle à chaque instant. Le pape Benoît XVI le rappelle explicitement dans son “exhortation“ sur la “Parole de Dieu“, en commentant les premiers mots du prologue de St Jean ! “Dieu invisible, dans l’immensité de sa charité…, s’adresse aux hommes comme à des amis…, pour les inviter à entrer en communion avec lui“. Car Dieu est mystère d’amour en lequel “le Père depuis l’éternité exprime sa Parole dans l’Esprit Saint“.
Et cette Parole - le Verbe, comme dit St Jean - se fait entendre dans toute la création (actuellement encore) nous parvient à travers toute l’histoire du salut, à travers les écrits des prophètes… Et finalement, le Verbe s’est fait chair : la Parole de Dieu, s’est faite “parole d’homme“… Et elle résonne aujourd’hui encore dans les écrits des apôtres, dans l’Eglise…, elle retentit par les écrits et la vie des saints, par la liturgie, par tous les événements… Jésus parle toujours jusqu’en la conscience de tout homme ! Oui, à chaque instant, Dieu nous parle ! Le Verbe de Dieu se fait en nous parole d’homme pour que notre réponse d’homme devienne parole d’éternité, parole d’amour, de cet amour que s’échangent les trois Personnes divines…

Ainsi, pour répondre à la question essentielle : “Pour vous, qui suis-je ?“, il faut d’abord laisser la Parole divine descendre en nous. Aujourd’hui ! En ce moment ! C’est elle qui nous inspirera une parole d’homme, une réponse humaine appelée à devenir divine !

Puissions-nous ne jamais entendre ce reproche divin formulé par Isaïe : “Pourquoi suis-je venu et il n’y a personne ; pourquoi ai-je appelé et personne n’a répondu“ (Is 50.2) - Pourtant, “j’ai appelé, mais vous n’avez pas répondu ; j’ai parlé, mais vous n’avez pas écouté !“ (Is 65.12 - 66.4 ; Cf. Jr. 7.13).

dimanche 9 janvier 2011

Baptême de Jésus

Baptême de N.S. 11

Il était une fois - c'était au 4ème siècle -, un évêque qui allait faire visite aux solitaires d'Égypte, ces Pères du désert que les moines considèrent comme leurs ancêtres. Entré chez l'un d'eux, il se mit en devoir de lui laver les pieds. Ce moine, loin de se récrier, se laissa faire et, au témoignage de l'évêque, montra ainsi cette humilité authentique que celui-ci voulait éprouver.

Notre solitaire se souvenait probablement du lavement des pieds à la dernière Cène, quand Jésus voulut faire ce geste du serviteur auprès de ses disciples. Pierre avait protesté : “Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais !”. Le Seigneur s'était contenté de répondre : “Si je ne te lave pas, tu n'as pas de part avec moi”, montrant ainsi que son attitude de serviteur était liée au mystère de sa seigneurie d'amour. Pierre ne comprend pas, mais quand il saisit qu'il y va de son amitié avec Jésus, il en redemande en avançant les mains et la tête (Jn 13, 6-9) !

Pour rester en communion avec le Christ, il faut se laisser faire. Nos pensées ne sont pas les pensées de Dieu (Mt 16,23) : ce qu'il nous demande peut nous paraître incompréhensible et même indigne de lui, mais puisque c'est lui qui parle, il ne reste plus qu'à obéir avec simplicité : “Faites tout ce qu'il vous dira”, selon l'unique recommandation que l'Evangile nous rapporte de la Vierge Marie (Jn 2,5).

Faire ce qu’il dira ! Mais Jean le Baptiste, avant Pierre et avant l'humble solitaire d’Egypte, se trouve ans une position qui lui semble impossible : “C'est moi qui ai besoin de me faire baptiser par toi, et c'est toi qui viens à moi !”. C'est l'évangile que nous venons d'entendre (Mt 3,14). Jean-Baptiste ne semblait pas pouvoir accepter ce renversement de situation, lui qui avait proclamé à tous les échos du désert de Juda : “Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne connaissez pas, celui qui vient derrière moi, dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie de sandale, autrement dit d’être son serviteur. Moi je baptise dans l'eau ; lui baptise dans l'Esprit Saint !”. (Jn 1,26-27.33).

Jean se savait Baptiste, mais n'avait jamais imaginé devoir être le Baptiste de son Seigneur. Comment celui qui s'estime indigne d'enlever les sandales du Messie pourrait-il le baptiser comme les pécheurs qui venaient à lui ? “Il n'en est pas question !”, a-t-il dû dire en substance, ou bien : “Jamais de la vie !”. - “Il voulait l'en empêcher”, écrit St Matthieu ! Comme Pierre, plus tard, après sa confession de Césarée suivie de la première annonce de la Passion, qui tirera Jésus à lui et se mettra en devoir de le morigéner en lui disant : “Dieu t'en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t'arrivera pas !”. (Mt 16,22). Nous connaissons la réponse presque violente de Jésus à Pierre : “Arrière, Satan, tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !”. (v. 23).

Avec Jean Baptiste qui se récuse, Jésus est plus amène qu'avec le bouillant Pierre : “Laisse faire pour l'instant, car c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice”. (Mt 3,15). Cette première parole de Jésus dans l'évangile selon Matthieu est de grande portée ; elle est de celles qu'il faut garder au cœur, savourer et vivre.
Le texte grec est d'une grande concision : aphes arti ; sa traduction latine aussi : sine modo. Dans les deux cas, la signification est simple : “Laisse maintenant !” Qu'est-ce à dire ? Jean Baptiste est gêné, comme le sera Pierre plus tard - c'est le moins que l'on puisse dire - ; il se trouve dans le cas, prévu plus tard par St Benoît dans sa Règle, de l'obéissance à des choses impossibles : la position en laquelle se présente Jésus est indigne de lui, pense le Baptiste. Alors qu'elle est parfaitement cohérente avec la prophétie d'Isaïe sur le Serviteur, désigné par Jean lui-même comme cet “Agneau de Dieu” qui porte les péchés du monde ! Dans l'acte symbolique du baptême de pénitence, Jésus assume en effet tous nos péchés.

Face à ce mystère de la substitution rédemptrice, que lui-même ne comprend pas - pas plus que Pierre à Césarée -, Jean Baptiste est invité à “laisser faire” : laisser Dieu faire, laisser Dieu accomplir un dessein dont lui seul connaît la grandeur et la parfaite cohérence.

“Tu ne comprends pas maintenant, lui dit Jésus. Laisse faire ! Laisse-toi faire !” - “Pour le moment, laisse-moi faire !”, laisse entendre la traduction liturgique, qui n'est pas la plus heureuse, car, précisément, Jésus ne veut pas faire, mais se laisser faire, lui aussi, se laisser baptiser par Jean. Jean, lui, est invité à cette forme supérieure de laisser faire, qui, paradoxalement, est de faire : en effet, pour le Baptiste, le laisser faire au Jourdain consiste à baptiser le Seigneur. On se rend compte que l’“Abandon à la divine Providence“ (comme disait le P. de Caussade) peut être finalement, parfois, actif.

Mais ce qu’il faut surtout souligner, c’est que Jean Baptiste et Jésus sont dans la même attitude : l'un et l'autre obéissent à un dessein divin supérieur, même s'il parait paradoxal ou même scandaleux. Jésus sait que l'humilité qu'il manifeste au Jourdain, identique à son obéissance jusqu'à la mort de la Croix annoncée, mimée en son baptême, est son parfait ajustement à la volonté de son Père en fonction de notre salut. Jésus et son Baptiste se laisseront faire jusqu'au bout, jusqu'au non-sens de la mort sur la Croix et de la décapitation dans la prison obscure de Machéronte.

C'est ainsi que l'un et l'autre “accomplissent toute justice”, en ce sens qu'ils s'ajustent parfaitement à la volonté divine de salut. “Alors, conclut Matthieu, Jean le laisse faire”, ce qui veut dire que le Baptiste se laissa faire en faisant, c'est-à-dire en baptisant Jésus, tandis que ce dernier se laisse faire absolument. Déjà Jésus prie : “Père, que ta volonté soit faite, et non la mienne !“.

Nous savons donc ce qui nous reste à faire, si, dans le Christ, nous voulons consentir à l'amour de prédilection du Père : nous laisser faire, même quand, pour Dieu, il nous faut faire ce qui semble nous dépasser. St Benoît nous amène à le comprendre pratiquement, lui qui nous affirme, quand il amorce la conclusion de sa Règle : “lis sauront que c'est par cette voie de l'obéissance qu'ils iront à Dieu”. (chap. 71,2).