lundi 28 février 2011

Regards !

6 T.O. Lundi - Regards de Jésus (Mc 10 17-27)

La tradition scripturaire a toujours lié l'évangile de Marc - celui que nous entendons en cette année liturgique - à Pierre, le chef des Apôtres. Or Simon, d'après St Jean, a été gagné à Jésus au premier regard : "Jésus le regarda“, littéralement, "Jésus regarda en lui", ce qui le transforma au point qu'il devint un autre homme, Pierre. Ce regard de Jésus, cet apôtre ne l’a certainement pas oublié. Aussi, Marc, le disciple de Pierre, note très souvent l'acuité des regards de Jésus. Il serait instructif d’en faire une recension en cet évangile !

Mais contentons-nous de notre péricope d’aujourd’hui qui signale trois regards de Jésus !

1. Il s’agit du jeune homme riche qui semble tourner ses yeux vers l’“héritage de la vie éternelle“ ! Alors, Jésus, est-il dit, “fixa sur lui son regard et l'aima". - Le mot grec est le même que celui par lequel St Jean évoque la première rencontre de Jésus et de Pierre : un regard intérieur, un regard d'amour !
Dans les yeux de ce jeune homme descendirent les yeux du Fils de Dieu, chargés de son amour infini. Comment a-t-il pu non pas résister à cette tendresse, mais détourner son regard, biaiser ? C'est ce qui nous plonge dans l'étonnement et nous fait mesurer toute la réalité de notre liberté.
- Pierre, lui, s'est laissé aimer par Jésus, il a été touché au cœur ;
- le jeune homme riche - qui pourtant voulait avoir en héritage la vie éternelle -, a fermé ses yeux et son cœur à Celui qui est la Vie, pour les fixer sur les biens dont il était l'héritier !

2. Le regard d'amour de Jésus dut alors se voiler de tristesse. Marc note ce second regard : "Jésus regarde autour de lui et dit à ses disciples: «Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu !»“. Bien plus, il insiste au point que ses disciples se demandent : "Qui peut être sauvé ?"

3. C'est alors que nous trouvons une troisième mention : "Jésus les regarde et répond : «Pour les hommes, c'est impossible, mais pas pour Dieu, car tout est possible à Dieu»".

- Le premier regard de Jésus se pose sur le cœur d'un jeune homme qui se croit assez riche de lui-même pour aller vers Dieu ;
- Le deuxième se porte sur tous ceux qui s'étonnent d'une telle incompatibilité entre la richesse du monde et celle du Royaume de Dieu ;
- Le troisième atteint le cœur de ceux qui acceptent de se livrer à la toute-puissance de Dieu : ils deviennent alors capables de rompre tous les liens qui s'opposent au regard de l’Amour divin.

En effet, tout détachement nous est impossible,
si nous restons livrés à nous-mêmes
et si nous détournons, - violemment ou poliment -, notre regard de celui qui se pose sur nous avec un amour infiniment délicat.
Mais si nous acceptons d'être regardés, d'être aimés, de ne plus avoir d'yeux que pour cet amour, alors tout devient facile.

D'ailleurs, combien de fois, dans la Bible (Psaumes) il est question de la face du Seigneur, ("Seigneur, montre-moi ta face"), combien de fois il est question du regard de Dieu. Autrement dit, l'essentiel, c'est le regard d'amour de Dieu sur chacun d'entre nous.

Il ne s'agit pas tant, d'abord, de "voir" Dieu - ici-bas, c’est impossible, répète la tradition juive -, mais d'être vu par lui. Car sans ce regard, nous ne pouvons être adaptés à la vision divine. Lorsque Job, dans sa terrible souffrance, se plaint de ce que Dieu lui cache sa face, il ne déplore pas tant de ne point "voir Dieu" que de cesser d'être vu, c'est-à-dire d'être aimé par lui !

On peut donc résumer : la vie chrétienne, à la suite de Pierre, consiste à se laisser regarder : un regard d'amour divin. La vie chrétienne est d'abord consentement plénier au regard d'amour de Dieu : être chrétien, c'est se laisser regarder par Jésus, et aussitôt, avec une humble et vraie tendresse, aimer et regarder à son tour.

"Ne rien préférer à l'amour du Christ", disait St Benoit. Renoncer aux richesses du monde pour déjà posséder la richesse de l’amour de Dieu. Plus nous serons fidèles à cette préférence d'amour absolue, plus nous aurons dans les yeux la lumière et la joie de Dieu !

dimanche 27 février 2011

Argent

8e Dimanche 2011/A

Il paraît qu’entre Suisses - mais il y a de tels Suisses partout -, on parle souvent d’argent ; mais on se garde bien de citer des chiffres précis, même s’il s’agit de les inscrire sur sa feuille d’impôts. Notre pudeur n’est plus aujourd’hui sentimentale - on peut parfois le regretter -, mais bien plutôt financière !

Et à entendre les “conversations d’affaires“ - et j’en ai eues -, on a toujours l’impression qu’il y a deux catégories de citoyens :
- Certains ont trop d’argent ; mais ils refusent de l’avouer. On les accuse même de gloutonnerie, car ils en veulent toujours davantage, tant l’argent attire l’argent… Et ils vont s’enlisant, inconsciemment parfois, dans un matérialisme épais au point d’étouffer sous l’édredon de leur confort insolent.
- D’autres, par contre, croient ne pas avoir assez de ressources, sans savoir pour autant s’ils les utilisent convenablement, tant il est vrai qu’être bon comptable ne signifie pas être bon gestionnaire ! Et ils sont rongés par les soucis du lendemain, obsédés par les fins de mois et les dettes à rembourser !
Bref, à écouter à droite et à gauche, on peut se dire que nul n’est heureux avec son porte-monnaie, soit parce qu’il pèse trop lourd, soit parce qu’il est trop plat !

Or Jésus nous dit aujourd’hui que pour servir Dieu - et c’est bien l’essentiel de notre vie, à nous chrétiens -, il faut avoir une liberté intérieure à l’égard des richesses surtout, mais à l’égard également de tout le reste. Habituellement le religieux a fait vœu de pauvreté… Mais, en ce domaine, il faut se souvenir de l’enseignement de Cassien qui rapporte celui de plus anciens : un oiseau ne peut pas s’envoler s’il est entravé ; mais qu’il soit retenu par une corde ou par un simple fil, peu importe. Or, on le sait bien, dans la vie religieuse, on peut devenir riche d’un simple stylo, d’un emploi que l’on a confié et que l’on accomplit de façon individualiste, par des manières de faire qui ne peuvent qu’être qu’invariables… et que sais-je encore ? On dit, chez nous, à Solesmes, par paradoxe évidemment, qu’il est plus facile de demander à un moine de changer de monastère que de changer de cellule… tant d’un rien du tout, on peut se faire une richesse. Et si ce rien vient à manquer, c’est pire qu’une crise financière ; c’est un tsunami qui peut tout détruire ! Bref, au-delà de ces plaisanteries, il faut se souvenir que “la racine de tous les maux, comme dit St Paul, c’est l’amour de l’argent (I Tm 6.10). Le service de Dieu doit être sans partage.

Bien sûr, on va s’écrier : la leçon des oiseaux qui trouvent nourriture sans autre effort que de picorer ça et là, et ces fleurs qui tissent leur robe de parade en flirtant aves le soleil et la rosée, n’est-ce pas là un évangile de clochards ? N’est-ce pas vouloir transformer les hommes en cigales imprévoyantes ?

Sans doute, Notre Seigneur parle par paradoxe. Car lui-même qui fut pauvre n’a jamais canonisé la misère ni exalté l’indigence qui sont, la plupart du temps, les fruits de l’injustice et les causes de la deshumanisation. Et là, nous avons le devoir - un devoir strict - de lutter contre ! A ce sujet, il y aurait beaucoup à dire aujourd’hui, en un temps où bien des hommes n’ont pas de quoi vivre honnêtement. C'est une honte pour l'humanité, pour nous! La misère est inadmissible, surtout quand elle n’est pas le résultat d’une négligence chez ceux qui la subissent !
Mais l’évangile d’aujourd’hui s’adresse plutôt à ceux qui possèdent suffisamment et qui pourtant doivent se poser la question de l’utilisation de leurs richesses quelles qu’elles soient.

Pour ceux-là les paroles de Notre Seigneur sont à prendre comme des coups de poing sur la table, par lesquels le Maître réveille l’attention de ses élèves. St Paul l’avait bien compris, lui qui affirmait que l’important est d’être de ceux “qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas véritablement“ (I co. 7.31).

Autrement dit, il nous faut accueillir cet évangile des oiseaux et des fleurs comme une contestation de notre société de consommation qui transmet à quiconque, riches ou plus démunis, la contagion de la possession. Jésus sait trop combien est dangereux le piège qui enferme notre vie dans la cage plus ou moins dorée des propriétés et surtout de l’égoïsme, source d’inquiétude pour ce que l’on a, ce que l’on est, source d’accaparement, d’oppressions multiples, d’envies incessantes. Tel est le cancer de la civilisation occidentale en laquelle on peut vendre facilement son âme pour quelques pièces d’argent supplémentaires.

Mais alors quel remède à tout ce matérialisme qui gangrène nos cœurs, nos familles, des peuples entiers ? Comment soigner ceux qui ont fait de l’agent, de l’avoir, la pire des drogues ? - Jésus répond : “Cherchez d’abord le Royaume et sa justice ; et tout le reste vous sera donné par surcroît“. Autrement dit, il nous faut nous comporter avec les biens de ce monde en fils de Dieu et non en esclaves de Mammon, de l’argent, de l’égoïsme. Nous devons nous comporter avec les biens de ce monde comme des enfants de Dieu. Et voilà qui change tout : notre regard, notre cœur, notre conduite !

C’est dire : quel temps, quelle attention, quels moyens consacrons-nous à la recherche du Royaume de Dieu en comparaison de ceux que nous vouons à la quête du bien-être et de l’enrichissement. Franchement, quel est mon maître ? A quel trésor mon cœur est-il attaché ; qu’est-ce qui le fait battre ? Où mène mon existence. A l’abri trompeur de mon bien-être ou dans la sécurité du Royaume des Cieux, là où nous serons pauvres de tout parce que riches de Dieu seul dont la vie même sera partagée entre tous pour la joie éternelle de chacun.

Notre Seigneur nous dit aujourd’hui : Prenez mon évangile de ce dimanche dans une main et un billet de banque dans l’autre main. Lisez, méditez, priez surtout. Peut-être que les lis des champs et les oiseaux du ciel vont-ils vous paraître plus évangéliques que l’image chiffrée de votre matérialisme.

Nous allons prochainement entrer en carême, période de réflexion par excellence. Alors réfléchissons :
- combien de temps consacrons-nous à Dieu par la prière : quelques secondes par jour, à la dérobée, quelques minutes le dimanche accordées parcimonieusement…
- combien de temps consacrons-nous à nos semblables en comparaison du temps que nous réservons à notre bien-être. Et pourtant, c’est avec eux que nous jouirons un jour d’un même et seul Bien : Dieu, et Dieu seul !

vendredi 25 février 2011

Célibat

7e T.O. Vendredi - Mariage – Célibat ! (Mc 10.1-12)

“Moïse a permis de renvoyer sa femme…“ ! - “Mais au commencement, quand Dieu créa l’humanité, il les fit homme et femme… Donc ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !“ - Matthieu ajoute : “Les disciples lui disent : “Si telle est la condition de l’homme envers sa femme, il n’y a pas intérêt à se marier !... Jésus de répondre : “Il y en a qui ne se marient pas “à cause du Royaume des cieux. Comprenne qui peut comprendre !“.

Peut-être que l’on ne peut comprendre sans un don de Dieu !

A propos de Moïse qui, selon Jésus, permettait de renvoyer sa femme, il y a dans la Bible une phrase assez énigmatique : C’est à propos de Jéthro, le beau-père de Moïse, qui va à la rencontre de celui-ci, émerveillé de ce que Dieu a fait par l’intermédiaire de son gendre : la libération du peuple de l’esclavage en Egypte ! Il est dit :
Ex. 18.2 : “Jéthro prit avec lui Cippora, la femme de Moïse, après qu’il l’eût renvoyée…“.
Curieux ! Car nulle part il n’est dit que Moïse renvoya son épouse ! Certains fouineurs disent que Moïse aurait renvoyée Cippora après la vision du Buisson ardent, comme si son attention avait été, en quelque sorte, dépolarisée de son épouse pour se polariser sur Dieu.

C'est une remarque peu fondée sans doute, mais judicieuse ! On entend toujours dire que la chasteté chrétienne, est une contamination du gnosticisme, d’une méfiance vis-à-vis de la nature que Dieu a faite bonne. Eh bien, NON ! La sexualité, dans la Bible, est magnifiée. Il n'y a aucune méfiance ; mais ceci dit, la femme et l'homme sont faits, personnellement, l'un et l'autre, "à l'image de Dieu" ! L’amour horizontal de l’homme et de la femme est, dans le mariage, le signe et le réceptacle de l’amour vertical de Dieu pour l’homme, du Christ pour l’Eglise ! C’est peut-être parfois difficile, mais beau ! Cependant, pour Dieu, pour Dieu seul, on peut "télescoper" les valeurs les plus belles de la création, pour aller directement vers le Créateur. On peut se priver du signe (l’amour humain) pour mieux tendre au signifié (l’amour de Dieu) ! On voit déjà cela dans l'A.T. Et, dans le N.T., Jésus, la Sainte Vierge ont vécu cela, cette polarisation absolue vers Dieu.

Et, paradoxalement, - c’est à remarquer - l'histoire des saints nous montre que c’est quelquefois entre des êtres qui sont complètement polarisés par Dieu que se nouent les amitiés les plus extraordinaires (1ère lecture : “Un ami fidèle n’a pas de prix !“). Il y a un centuple qu'on trouve d'autant plus qu'on ne le cherche pas (St François de Sales et Ste Jeanne de Chantal, - St François d'Assise et Ste Claire, - Ste Thérèse d'Avila et St Jean de la Croix. Etc… (Cf Jacqueline Kene : “Les Amitié célestes“).
C'est dans la mesure où chacun garde, personnellement, sa dimension verticale (rapport avec Dieu), que les rapports horizontaux s'en trouvent meilleurs, sont ce qu'ils doivent être. C'est vrai des ménages ; c'est vrai aussi des communautés religieuses. C'est dans la mesure où les frères et sœurs ont une vie personnelle de prière que les rapports horizontaux sont les plus beaux. C'est un paradoxe que l'on trouve dans la Bible, dans le Nouveau Testament !

D’ailleurs, sur ce sujet, il y a un autre passage qui souligne qu’il faut se sanctifier pour aller à la rencontre du Dieu trois fois Saint ! Le "Saint", c'est le "Séparé". C’est quand les Hébreux sont invités à se préparer à l’Alliance avec Dieu (Sinaï) :
“Tenez-vous prêts pour après-demain, ne vous approchez pas de la femme”. (Ex. 19/15).
Il ne faudrait pas voir là un tabou, mais simplement une invitation à aller par-delà tout ce qu'il y a de plus beau, pour aller à la rencontre du Créateur qui est au-dessus de ce qu'il y a de plus beau ici-bas.

Et Saint Paul, dans l'épître aux Corinthiens, dit aussi que, dans le mariage, il y a certains moments où il ne faut pas se refuser l'un à l'autre (à retenir !), mais que, pour vaquer à la prière, d'un commun accord, il faut se laisser "polariser" par Dieu.
Ne vous refusez pas l'un à l'autre (qui a dit que St Paul était misogyne ?), sauf d'un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière…”. (1 Co. 7/5).

Et bien, veuillez, s’il vous plaît, vous consacrer à la prière pour que tous comprennent cette apparente exigence de l’amour de Dieu. Et veuillez prier pour tous ceux et celles qui ont consacré leur vie dans la chasteté. Elle est la vertu, disait Jean XXIII, qui dilate le cœur pour l’amour le plus vrai, le plus vaste et le plus universel.

Pour retrouver les principaux textes, voir Blog : http://mgsol.blogspot.com/

samedi 19 février 2011

Soyez saints !

7e Dimanche 2011/A

«Soyez saints, car moi, le Seigneur, je suis saint », dit Dieu dans la première lecture.
« Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous », nous dit Paul dans la deuxième lecture.
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », nous dit Jésus dans l'évangile.

C'est donc un triple appel à la sainteté que le Sei­gneur nous adresse aujourd'hui.

Instinctivement, nous sommes portés à penser que la sainteté est réservée à des gens que Dieu met à part, à des gens qui sortent de l'ordinaire, qui ne vivent pas comme tout le monde. Certes, il y a en effet des gens que Dieu met à part : religieux, religieuses. Il y a aussi des gens qui ont beaucoup d'occupations spécifiquement religieuses : les prêtres, les missionnaires, les laïcs en mission…, engagés !
Mais il y a aussi tous les gens qui ont une vie ordinaire, un travail ordinaire ; des gens qui ont une famille ordinaire, des maladies et des joies ordinaires, des soucis et des préoccupations ordinaires. Bref, il y a des gens ordinaires !
Et bien, cet appel à devenir des saints que Dieu nous adresse aujourd'hui ne s'adresse pas simplement aux gens à part ; il s'adresse à nous dans la vie ordinaire de chaque jour.

Même à nous, les prêtres, religieux, religieuses, qui avons beaucoup d'occupations spécifiquement religieuses, il nous arrive souvent de nous trouver plongés dans la vie ordinaire de tout le monde. Quand nous tombons malades et que nous sommes hospita-lisés, nous sommes des malades ordinaires avec d'autres malades ordinaires, soignés par des médecins, des infirmiers ou des soignantes ordinaires, (même si leur dévouement est très souvent extraordinaire). Et nous les prêtres, nous avons bien d'autres occupations qui ne sont pas spécifiquement religieuses. Car il y a aussi des prêtres ou des religieux qui sont engagés dans des travaux professionnels ordinaires : dans l'édition, dans les médias, dans l'enseignement…, dans les soins des malades, et en bien d'autres lieux…
Alors, comme tous les chrétiens, nous nous demandons souvent, nous les prêtres, religieux, religieuses, comment devenir des saints, dans cette vie et dans ces tâches ordinaires de tout le monde, dans ce monde qui semble n'avoir aucune préoccupation religieuse ?

Il y a d'abord la PRIERE !
La prière des gens ordinaires, c'est d'abord d'être bien convaincus que Dieu n'est pas simplement présent dans nos églises ou dans nos monastères - matériellement parlant -, mais qu'il s'intéresse à toutes les occupations les plus simples et les plus ordinaires de ses enfants. Il est là, avec nous, dans le dévouement de cette infirmière ou dans la vie de cet homme (peut-être plus ou moins croyant) qui me parle de son travail et de ses responsabilités, dans le cœur de cette assistante sociale qui fait tout ce qu'elle peut pour telle ou telle famille en difficulté. Ou plus simplement encore, le Seigneur est là dans la manière de faire la cuisine, le ménage pour sa famille, sa communauté… Guy de Larigaudie avait raison, naguère, de noter qu’il peut être plus beau de peler des pommes de terre avec amour que de construire des cathédrales !

Oui, dans cette vie ordinaire et dans les activités ordinaires où Dieu semble aujourd'hui n'avoir aucune place, nous croyons qu'il est présent dans les efforts de dévouement, d’entraide, de solidarité, dans l’aspiration à bien faire ce que nous avons à faire pour le bien de ceux, de celles qui nous entourent !

Alors, quand on commence à y croire, notre prière s'élargit à tous ceux que nous côtoyons chaque jour. La prière des gens ordinaires, c'est celle qui prend en charge tous ceux qui sont comme nous, avec nous ; c'est la prière qui s'enracine dans la vie ordinaire qu'on mène tous les jours ; c'est la prière des simples gens de l'Eglise visible - comme nous ce matin pour cette Eucharistie - qui présente à Dieu la vie des gens de l'Eglise invisible, je veux dire celle des gens qui n'ont pas encore pris conscience de leur vocation à entrer dans l'Eglise visible et dont leur vie, pourtant, s'inspire de l'Evangile. C’est cela aussi la “communion des saints“ !

Et puis, bien sûr, comme Jésus nous le dit aujourd’hui, vivre en chrétiens dans la vie ordinaire de tout le monde, c'est vivre dans l'AMOUR DES AUTRES.
Aimer les autres, c'est les prendre tels qu'ils sont et là où ils en sont, à l'exemple de Jésus qui nous prend nous-mêmes tels que nous sommes et là où nous en sommes ; c'est les respecter dans leurs convictions profondes, alors même que nous pouvons légitimement nous opposer à eux par des opinions diverses, voire opposées ; c'est leur pardonner, les aimer "quand même" malgré leurs défauts - défauts que nous avons tous, d’ailleurs -, à l'exemple de Jésus qui ne cesse de nous offrir son pardon.
Progresser dans cet amour semblable à celui de Jésus, mort et ressuscité pour tous les hommes sans distinction, c'est progresser dans la sainteté, c'est devenir de plus en plus de vrais fils de notre Père qui est dans les cieux, lui qui “fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et tomber les pluie sur les justes comme sur les injustes“ (Mth 5.45).

Dans la sainteté ordinaire, il y a aussi souvent l'EXPERIENCE DE LA SOUFFRANCE, physique ou morale, comme Jésus l'a faite : la souffrance qu'on ne peut plus supporter, qui vous prend tout entier, qui vous rend incapable de penser à quoi que ce soit d'autre. On comprend alors à quel point on n'est qu'un pauvre homme ordinaire, pas plus courageux que les autres. Même prêtre ou évêque ; Je pense, par exemple, aux paroles du Cardinal Veuillot sur son lit de mort : “Ne parlez pas de la souffrance, tant que vous ne l’avez pas vécue“, disait-il. Ce fut son chemin de sainteté !
Etre chrétien, être saint, ce n'est pas forcément être plus fort, plus héroïque que les autres. La sainteté ordinaire, ce n'est pas affaire d'héroïsme, c'est affaire de persévérance, c'est affaire de confiance en Dieu quoi qu'il arrive

« Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ». Oui, la sainteté n'est pas réservée à une élite. La sainteté, c'est une voie ouverte à tous. C'est laisser entrer en nous Jésus et son évangile ; c'est nous laisser évangéliser, transformer par l'Esprit de Jésus. Tous les événements, petits ou grands, de notre vie familiale ou religieuse, voyons-y des appels de Dieu à mieux aimer, à être plus attentifs aux autres, à être plus fidèles dans toutes nos tâches ordinaires, et avec le sourire si possible. Comme Ste Bernadette que nous avons fêtée il y a quelques jours ! Alors qu’elle était alitée depuis plusieurs semaines, sa supérieure lui dit (sans grande charité, me semble-t-il) : “Vous êtes un poids pour la Communauté! Et elle de répondre avec un humour hautement spirituel : “Oui, c’est vrai ; mais un poids, il sert à faire avancer les aiguilles de l’horloge !“

Faire avancer l’heure sainte ! Pour nous, pour tous !
Soyons saints, non pas des héros, non pas des saints extraordinaires, mais des saints ordinaires, dans la vie ordinaire de chaque jour. C’est l’appel permanent que Dieu nous lance, quel que soit notre âge, lui qui cherche sans cesse à faire alliance avec nous, qui veut s’unir à chacun d’entre nous. Mais pour s’unir à lui, il nous appelle - avec son aide qui ne manque jamais - à être saint comme il est saint : “Soyez saints, puisque moi je suis saint !“.

mercredi 16 février 2011

Voir !

6 T.O. Mardi - L’aveugle se met à voir ! (Mc 8.14-21…)


“Personne n’a parlé comme cet homme !“, pose des “signes“ de puissance divine que les pharisiens réfutent, que sa famille et même parfois ses disciples ne comprennent pas… Jésus s’éloigne vers l’autre rive du lac…

Et puis, d’après St Marc - il est le seul à le rapporter -, il revient vers Bethsaïde où il rend la vue à une aveugle ! Jésus qui s’affligeait de ce que les apôtres ne comprennent pas ses actions, ses paroles, guérit un aveugle ! Dans l’évangile, il y a beaucoup de guérisons d’aveugles, des guérisons d’aveugles qui ne voyaient donc pas et qui se mettent à voir clair ! Et certains se mettent à suivre Jésus…

En tous les cas, la signification est limpide : les apôtres et nous-mêmes avec eux, nous avons tous besoin de ce miracle pour que notre intelligence accède à la compréhension du dessein de Dieu, du projet de Dieu sur chacun de nous qui est un projet de folie : la folie de l’amour de Dieu pour l’homme, une folie qui est plus sage que la sagesse des hommes, aimera à souligner St Paul.

Peut-être nous faut-il du temps pour cela ! Remarquons que la guérison d’aujourd’hui est un peu curieuse : c’est une guérison progressive ! Autrement dit, le temps que Dieu nous accorde en sa Providence est l’éternité déjà commencée et toujours en progrès ! Et en ce sens chacune de nos minutes a un sens ; il s’agit de savoir le saisir… toujours davantage.
Comme j'ai eu l’occasion de le dire : nous sommes tous des distraits et, de ce fait, des aveugles ; nous sommes tous victimes, plus ou moins, de ce que Pascal appelait le “divertissement“. On peut faire moult choses extraordinaires, accumuler des connaissances multiples, même sur la Bible… et être des aveugles : ne pas voir la présence de Dieu qui est là à chaque instant de notre vie. Il s’agit pourtant de faire de notre temps, déjà, une dimension de l’éternité de Dieu…, quand on l’accueille !

mardi 15 février 2011

Vrai homme, vrai Dieu !

6 T.O. Mardi - Jésus, vrai Dieu et vrai homme ! (Mc 8.14-21…)


“Personne n’a parlé comme cet homme !“, disait-on de Jésus qui, en même temps, pose des “signes“ de puissance divine : les noces de Cana… et, comme on l’a vu, LE SIGNE par excellence : la multiplication des pains !

C’est alors que les pharisiens l’attaquent sur ce signe précisément. La discussion a du être assez vive. Aussi, Jésus l’interrompt brusquement :
[évangile d’hier : Matthieu dit franchement : “il les plaqua“, là, carrément, sans ménagement“ (Math 16.4) -, Il monte dans la barque de ses apôtres et part. Pas content du tout, Jésus ! Et on le comprend, comme on comprendra son geste impétueux face aux vendeurs du temple !]
Il s’embarque pour l’autre rive… St Matthieu y voit le signe de Jonas, le signe le plus universaliste qui soit. Et l’“autre rive“, c’est, justement, le pays des païens !

Et à ce moment, il y a un petit événement assez curieux et qui me plaît, je l’avoue, parce qu’il dénote que Jésus n’a pas “triché“ avec la condition humaine : il était pleinement homme !
Lisons avec attention : Les apôtres, à peine éloignés du rivage, s’aperçoivent qu’ils ont oublié de prendre du pain (pas malin quand même après la multiplication des pains !) : “Ils n’avaient qu’un seul pain avec eux dans la barque !“. Or, Jésus, l’esprit tout imprégné encore de la vive discussion avec les pharisiens, leur dit : “Gardez-vous du levain des pharisiens et du levain d’Hérode !“ (1). Mais les apôtres, préoccupés, eux, de leur garde-manger, de reprendre cette réflexion : ils n’ont pas de pain ! Jésus, en quelque sorte s’énerve : “Vous ne comprenez donc pas ; vous ne saisissez pas ? Avez-vous donc l’esprit bouché, des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre. Autrement dit : vous non plus, vous n’avez pas compris le geste de la multiplication des pains ? Et il leur rappelle ce qu’il vient de faire avec quelques détails significatifs…

Vous savez ! Quand on a vivement discuté avec quelqu’un, comme Jésus avec les pharisiens, après l’entrevue, “ça continue à tourner dans la tête“, si je puis dire : on aurait du dire ceci et encore cela… Jésus a bien connu la condition humaine ! Et après son affrontement avec les pharisiens, encore tout étourdi par leurs répliques de mauvaise foi, il pense avoir quelque réconfort, quelque compréhension auprès de ses apôtres qu’il connaît depuis un certain temps déjà. Or, voilà qu’ils restent, eux, sur un registre bien inférieur, celui du pain (A remarquer, au passage, l’insistance sur le mot “pain“ !). Alors Jésus précise : c’est au levain des pharisiens, d’Hérode que je pense, moi ! Mais eux, de continuer à constater qu’ils ont bien oublié le pique-nique ! Jésus et ses apôtres ne sont pas sur la même longueur d’onde, sur le même palier d’escalier, comme on dit. Il y a quiproquo ! C’est assez courant cela, n’est-ce pas ? Et en ce cas, on ne peut se comprendre : “Ne comprenez-vous donc pas ?“

On sent combien Jésus, à l’occasion d’une mauvaise communication, se sent incompris non seulement de ses contradicteurs, non seulement de sa famille, de ses proches, mais aussi de ses apôtres. Jésus s’enfonce de plus en plus dans une solitude effroyable !

Car l’esprit de Jésus évolue toujours dans la dimension verticale de signification, une dimension divine. Pour lui, l’échelle de Jacob est dressée en permanence. Le signifié est pour lui mille fois plus important que le signifiant, plus réel ! Comprenez : il y a le vent et l’Esprit ; le vin et le sang, les noces d’un village et l’Alliance éternelle; l’eau et l’eau vive (Samaritaine). L’eau, c’est H2O, n’est-ce pas. Elle sert à se laver, à boire… Mais la signification de l’Eau : l’Eau vive que Jésus propose ! Jésus pense toujours dans la dimension de la signification. Le levain des pharisiens, c’est le pain qui ne nourrit pas, c’est la doctrine qui empêche de comprendre, qui bouche les intelligences… Jésus parlera cruellement, à d’autres endroits, de ceux qui ont pris la clef de la science, qui empêchent les autres d’entrer et ne sont pas entrés eux-mêmes (Cf .Lc 11.52). C’est terrible cela ! Et cela s’adresse bien sûr principalement aux prêtres, religieux, responsables divers… !

Et aussi à nous tous, aussi. Il ne faut pas rester sur deux registres continuellement, ce qui engendre des quiproquos : “Jusqu’à quand sauterez-vous sur deux branches ?“, demandait déjà le prophète Eli (I Rois 18.21) (2). Il faut se poser toujours la vraie question, comme St Bernard qui, entré dans la vie monastique, se posait sans cesse cette question : “Pourquoi suis-je venu ici ?“ - Pourquoi suis-je chrétien ?

(1) Hérode ! Il n’en était pas question ! On peut en conclure que l’action de ce despote contre Jésus est toujours latente.
(2) On traduit souvent : “jusqu’à quand danserez-vous d’un pied sur l’autre ?“.

lundi 14 février 2011

Sottise !

6 T.O. Lundi - Sottise ! (Mc 8.11-13)

Un bref mot, ce matin, en correspondance au court passage de l’Evangile !

Le Verbe de Dieu - le Christ - s’est fait Parole d’homme ! Il enseigne. Tous sont dans l’admiration : “Personne n’a parlé comme cet homme !“. Il pose des signes qui sont aussi paroles divines : les noces de Cana, la multiplication des pains, LE SIGNE, par excellence. Et tous sont dans l’étonnement (cf. Mth 21.15)

Mais, en même temps que se répand la Parole de Dieu, que se manifeste le Christ - Verbe de Dieu -, on constate, surtout chez Marc, une situation très curieuse qui ira allant jusqu’à son paroxysme au moment du procès de Jésus : une opposition se durcit de plus en plus fortement. Les païens arrivent de l’ouest et de l’est, alors qu’au centre, en Judée, parmi les responsables du Peuple élu, on refuse…

C’est frappant en notre évangile d’aujourd’hui. Juste après la multiplication des pains, les pharisiens, comme par hasard, sortent du bois, si je puis dire, et se mettent à discuter avec Jésus. Après le signe de la multiplication des pains - le Signe par excellence -, ils lui demandent “un signe venant du ciel !“. Ils n’ont donc rien compris ou ne veulent pas comprendre ! Ou plutôt, dit le texte, c’est pour mettre Jésus à l’épreuve, le narguer. “Jésus gémit en son esprit“, est-il dit. Puis - Matthieu est plus explicite et précis -, Jésus répond avec agacement : “Génération mauvaise et adultère ! Elle réclame un signe ; et de signe, il ne lui sera donné que celui de Jonas !“ (Mth 16.4). On aura l’occasion, sans doute, de parler de ce “signe de Jonas“, le signe le plus universaliste qui soit dans toute la Bible ! En tous les cas, la discussion a du être vive !

En quittant les pharisiens - Matthieu dit franchement : “en les plaquant là" carrément, sans ménagement (Math 16.4) -, Jésus monte dans la barque de ses apôtres et part. Pas content du tout, Jésus ! Et on le comprend, comme on comprendra son geste impétueux face aux vendeurs du temple !

Cependant une question d’importance : ne serions-nous pas parfois, inconsciemment, du côté des orgueilleux pharisiens ou des profiteurs du temple ? Ou, plus ordinairement, la sottise ne nous empêcherait-elle pas de comprendre les signes que Dieu pose en notre temps, en notre vie, à l’exemple des pharisiens qui ne voulaient rien savoir des signes que Jésus - Verbe de Dieu - posait en son temps ? La sottise est si courante.

Dans le langage biblique, la sottise, ce n’est pas l’idiotie plus ou moins congénitale, ni la débilité plus ou moins profonde. Le sot, c’est bien autre chose qu’un imbécile. Le sot, c’est celui qui ne sait pas voir Dieu parce qu’il pense précipitamment et juge orgueilleusement personnes et choses selon ses petits critères. Ainsi “le sot s’emporte facilement, plein d’assurance“ (Pr. 14.16). “Ne juge pas trop vite, dit un midrash, sous le coup de la colère, comme un sot ; c’est mauvais pour la santé et, de plus, c’est dangereux !“.

Ainsi, ne pas comprendre ce qui se passe derrière les apparences, c’est de la sottise : ne pas se saisir de la main de Dieu là où elle se manifeste ! C’est le cas des “sages“ d’Egypte dont se gausse le prophète : “Les sages conseillers de Pharaon forment un conseil d’abrutis“ (Es 19.11). “S’ils étaient des sages, ils comprendraient“ (Dt 32.29), proclamait Moïse à propos des rebelles qui oublient les signes de délivrance que Dieu a posés en faveur de son peuple ! Tous ceux-là “se prétendant sages sont devenus fous“, disait St Paul dans un autre contexte.

Il est vrai que “le langage de la croix est folie…“, concède l’apôtre (I Co. 1.18). Mais une folie d’amour ! Or “ce qui est folie pour le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages“ (Id. 1.27). Aussi, c’est en déchiffrant les “signes“ que le Christ - Verbe de Dieu - fait à notre égard, qu’il “est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance“ (id 1.30). Et l’apôtre de conclure : si nous subissons la sottise des hommes, vous, "vous êtes (vous devez être) sages en Christ !" (Cf id 4.10).

dimanche 13 février 2011

Morale !

6ème dimanche du T.O. 11/A

Aujourd’hui, la “morale“ n’a pas “bonne presse“ ! Au seul mot de “morale“, on éprouve le besoin de s’excuser : “Loin de moi l’idée de faire de la morale… !“. A tel point qu’on utilise désormais les mots de “éthique“ ou “déontologie“ : cela fait moins vieux jeu, plus savant ! Mais c’est plus hypocrite !

D’où vient ce discrédit de la morale ? Probablement de ce qu’on en a fait, trop souvent, une affaire d’interdits, de règlements, sans qu’on sache très bien pourquoi : “Tu ne feras pas ceci ! Tu dois faire cela ! - Mais pourquoi ? Parce que c’est comme cela ! C’est la tradition ! On a toujours fait comme cela ! Nous savons pourtant la différence entre “habitus“ et “habitude“. L’“habitus“ manifeste toujours une raison profonde de la manière de faire. Et pour nous, cette raison est l’imitation du Christ. Et ce n’est jamais une habitude !
Il est amusant de noter à ce propos que les Hébreux pratiquaient le calendrier lunaire que notre calendrier liturgique a suivi en grande part ! Pourquoi ? Parce que le soleil, c’est trop régulier ! On risque de s’habituer. La lune, elle, est plutôt fantasque ! On ne sait jamais très bien quand elle se couche, quand elle se lève… Elle est là parfois, en plein midi, on ne sait pourquoi. Bref, on ne peut s’habituer à la lune. Alors, on préfère le calendrier lunaire pour éviter l’habitude, la routine… Selon la tradition juive, ceux qui s’habituent, on les appelle : les “akoum“, ceux qui adorent le déterminisme du soleil et des étoiles… Ainsi, il y a une façon de s’habituer qui fait qu’on ne se reporte plus vers Dieu toujours en travail de création… “Mon Père travaille toujours ; et moi aussi je travaille !“ (Jn 5.17)

La jeunesse s’est révoltée contre l’habitude. Elle n’a pas eu tort : “Interdit d’interdire!“, a-t-elle dit. Malheureusement, comme souvent, on est tombé dans l’excès inverse : “Tout est permis !“. Et nous vivons encore, plus ou moins, sous ce régime de permissivité…

La seule “morale“ qui vaille, c’est, comme dit St Paul, de “revêtir“ le Christ (Rm 13.14 ; Gal 3.27). C’est vivre les mystères du Christ ! Dans la Tradition chrétienne, il y a un Saint qui, admirablement, a exprimé ce sens de la morale : St Jean Eudes : “Nous devons continuer et accomplir en nous, dit-il, les états et les mystères de Jésus, et le prier souvent qu’il les consomme et accomplisse en nous et en toute son Eglise. Car les mystères de Jésus ne sont pas encore dans leur entière perfection et accomplissement. Bien qu’ils soient parfaits et accomplis dans la personne de Jésus, ils ne sont pas néanmoins encore accomplis et parfaits en nous qui sommes ses membres, ni en son Eglise qui est son Corps mystique. Car le Fils de Dieu a dessein de mettre une participation et de faire comme une extension et une continuation de ses mystères en nous et en toute son Eglise, par les grâces qu’il veut nous communiquer et par les effets qu’il veut opérer en nous par ces mystères… C’est pourquoi St Paul dit (par exemple) qu’il accomplit dans son corps la passion de Jésus Christ…”.

Le Christ a déjà tout dit, tout fait. Mais il nous reste à vivre chrétiennement. Nous sommes chrétiens ; mais il nous reste encore à la devenir ! Et tous les siècles de l’histoire de l’Eglise démontrent que c’est difficile de vivre chrétiennement. Et actuellement, nous vivons dans un contexte de moralité aussi compliqué qu’au temps de Jésus. Aussi, nous avons à fixer constamment notre regard sur Jésus pour adopter des attitudes chrétiennes. Ce n’est pas tellement la référence à une casuistique plus ou moins subtile que nous serons véritablement chrétiens. Et l’exemple moral qui nous est donné n’est pas extérieur à nous ! Le Christ est en nous, espérance de gloire : nous sommes incorporés au Christ et appelés à vivre ses mystères. Tant que l’on n’a pas compris cela, on ne sait pas véritablement ce que c’est que la Morale chrétienne. C’est en laissant le Christ nous habiter que nous sommes capables d’affronter les réalités de l’existence. C’est important, cela, me semble-t-il …

Au temps de Jésus, ce n’était pas le régime de permissivité qui régnait, mais le régime de la Loi interprétée par les Scribes et les Pharisiens. Ceux-ci avaient dressé tout un catalogue de rites et d’interdictions qui rendaient la vie quotidienne presque impossible. Aussi, Jésus dénonce-t-il très souvent ces interdits qui dénaturent le vrai sens de la Loi de Dieu : Les Scribes et les Pharisiens ont lié de pesants fardeaux et les ont mis sur les épaules des hommes (Cf. Mth 23.4)… ! “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau… Mettez-vous à mon école…, car mon joug, à moi, est facile à porter, et mon fardeau léger…“ ! (Mth 11.28-30)

Oui, mettons-nous à l’école de Jésus ! Que nous dit-il aujourd’hui. Ecoutons-le avec l’oreille intérieure de la foi : “je ne suis pas venu abolir la Loi de Moïse. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir !“ “Accomplir“ signifie ici “parfaire“ ! Et parfaire en nous, comme disait St Jean Eudes ! Tout ce qui était déjà dans l’Ancien Testament était comme en attente, comme une plante est, aux premiers rayons du soleil de printemps, en attente de sa floraison. La Loi de Moïse venait de Dieu ; elle était sainte ! Avec Jésus, elle n’est donc pas périmée ; elle attend au contraire son plein accomplisse-ment. Les “dix commandements“ ne sont pas remplacés par autre chose ; ils sont approfondis par Jésus qui est venu nous révéler la “Sagesse du Mystère de Dieu“, autrement dit le projet de Dieu sur l’homme !

Et ce projet de Dieu sur nous, c’est de nous initier à sa propre vie, c’est de nous donner son Esprit qui nous transformera et fera de nous ses enfants. Dieu est notre Père ! La paternité aimante de Dieu est au centre du message de Jésus !

Il n’est donc plus question désormais de pratiquer la “Loi de Dieu“ comme on applique des consignes, des règlements. Il faut vivre dans un esprit filial à son égard, agir en toutes choses par amour pour Dieu, notre Père ! “Celui qui m’a envoyé est avec moi… parce que je fais toujours ce qui luis plaît“, disait Jésus (Jn 8.29). Telle était sa “Morale“ ! Il doit en être de même pour nous. Il s’agit de dépasser toutes les réglementations des moralistes, et de nous dépasser nous-mêmes !
Comme on est loin alors de la “bonne conscience“ des pharisiens pour qui la “Loi de Dieu“ était surtout affaire de rites et d’obligations extérieurs à observer. Vivre en face de Dieu comme un enfant en face de son père, cela change tout !

Et Jésus de prendre quelques exemples :
- “On vous a dit : « Tu ne tueras pas ! ». Bien sûr ! Mais moi, je vous dis : ne vous mettez même pas en colère contre vos frères, car vous êtes tous frères, tous fils de Dieu. Faites-vous donc les uns pour les autres, un cœur semblable à celui de votre Père du ciel. - Si vous venez apporter votre offrande à l’autel (participer à l’Eucharistie), tout en entretenant dans votre cœur un grief contre votre voisin, ne voyez-vous pas à quel point votre démarche est fausse et mensongère ? Allez donc vite vous réconcilier afin de vous remettre à l’unisson du cœur de Dieu ! (Cf. Mth. 5.23sv)
- “On vous a dit : « Tu ne commettras pas d’adultère ! ». Bien sûr ! Mais l’adultère, ce n’est pas simplement l’acte extérieur. Il a son origine dans les désirs, dans les pensées, dans le cœur ! Encore là, c’est votre cœur qu’il faut guérir et purifier. Car Dieu voit le fond de votre cœur (Cf. Mth 6). Que vos cœurs soient parfaitement purs et transparents comme le cœur même de Dieu !
- On vous a dit : “Tu respecteras l’étranger !“. Qu’il vienne de loin ou de la ville voisine… Bien sûr ! Mais non seulement le respecter, mais le faire proche de toi, comme le bon Samaritain s’est fait proche de l’homme sur le bord du chemin ! Le traiter comme un frère, car lui aussi est “fils de Dieu“, aimé de Dieu comme toi !

“La vraie Morale se moque de la morale“, écrivait Pascal. La Morale de Jésus se moque de la morale des Scribes et des Pharisiens, car celle-ci n’était qu’une affaire de consignes et de règlements à observer, comme si Dieu était un gendarme ou un adjudant.

Quant on aime, on ne connaît plus d’autre Loi que celle de l’amour ; et l’on éprouve alors la vraie Liberté, la liberté des enfants de Dieu qui n’agissent plus par contrainte, comme des esclaves timorés, mais librement, joyeusement, par amour ! “Là où est l’Esprit du Seigneur, l’Esprit d’amour, là est la Liberté !“. (2 Co 3.17).

Avec le Christ, c’est donc bien un monde nouveau qui commence : c’est le Royaume de Dieu comme on disait à son époque, c’est-à-dire le monde dont Dieu rêve depuis le matin de la création, un monde ou on ne se contente plus de fidélité extérieure, mais un monde où l’ont vit dans l’amour fraternel et dans l’amour filial pour Dieu, un monde où l’on vit sous le règne de l’Esprit de Dieu qui est Amour !
C’est ce monde-là que Jésus nous invite à bâtir avec lui, jour après jour, animés de son Esprit.

samedi 12 février 2011

Pain du ciel

5 T.O. Samedi - Multiplication des pains (Mc 8.1sv)

Il faut toujours se rappeler la réalité de la “Bonne Nouvelle“, de l’Evangile : “Le Verbe s’est fait chair !“. Et dès le commencement de sa vie publique, Jésus - Verbe de Dieu - s’est fait parole d’homme ! Il a enseigné (Discours sur la montagne, paraboles…). Il enseignait si bien que l’on disait : “Jamais homme n’a parlé comme cet homme !“ - “Il ne parle pas comme les scribes… Il parle avec autorité !“. Pour un Juif, ce mot évoque l’expression parfaite des paroles prononcées par Dieu - le Dieu de l’Alliance - au Sinaï. Jésus - Verbe de Dieu - parle donc avec autorité divine !

Et tout est parole en Jésus : gestes, comportements, silences, regards… Marc nous a déjà présenté le premier geste de Jésus aux noces de Cana qui nous projette immédiatement à la réalité des noces de la nouvelle et éternelle Alliance, aux noces du mystère pascal… Et puis, il y a le geste de la multiplication des pains. C’est LE GESTE par excellence que soulignera surtout St Jean. C’est le geste en lequel Jésus se met tout entier, si je puis dire, comme il le précisera littéralement lors du dernier repas de la Cène.

Une petite précision : en Matthieu et Marc, il y a deux multiplications des pains. Quand on lit un peu les ouvrages sur la question, on aurait tendance à attribuer ces deux multiplications à deux traditions différentes : l’une dans la tradition judéo-chrétienne et l’autre dans la tradition pagano-chrétienne. On a vu que Marc surtout montre souvent Jésus en séjour chez les païens. Peut-être a-t-il cru bon de transcrire, d’adapter pour ces derniers devenus chrétiens le récit primitif de Matthieu. Et, ensuite, les deux textes se seraient comme réfractés, reflétés en deux traditions. C’est possible ! Peu importe sinon pour signaler - et c’est d’importance - que l’évangéliste Marc, avec sa préoccupation très universaliste, a eu le souci d’évangéliser tout homme quel qu’il soit : “Allez dans le monde entier…“.

La multiplication des pains ! Il faut se rappeler qu’on en trouve trace déjà dans la “geste d’Elisée“, Elisée qui était à la tête d’une communauté de “prophètes“ (les charismatiques de l’époque si je puis dire non de façon péjorative). Ils vivaient très pauvrement dans des sortes de “bicoques“, au bord du Jourdain (comme Jean-Baptiste, plus tard). Or, dans leur cuisine très sommaire (peut-être pas très hygiénique) un incident s’est produit qui a failli tous les empoisonner ! Elisée multiplia les quelques pains (biologiques, ceux-là) qu’on lui apporta ! Pour le bien de ses frères ! (Cf. II Rois 4.42sv). Je remarque cela pour rappeler que nous sommes tous des empoissonnés par le péché !

Il y avait aussi, bien sûr, un signe analogue, accompli par son maître, le prophète Eli auprès de la veuve de Sarepta (I rois 17) : “Cruche de farine ne se videra ; jarre d’huile ne désemplira…“, avait-il prophétisé.

Mais surtout, il faut remonter encore plus haut, se rappeler tout ce qui est dit de la manne que Dieu donne en nourriture au peuple affamé dans le désert… Jésus, se montre, en ce geste comme le nouveau Moïse annoncé par Moïse lui-même !

Tous ces récits viennent enrichir le geste de Jésus qui prendra sa signification (surtout chez St Jean) dans le repas de la Cène, dans le repas avec le disciples d’Emmaüs comme en ceux que Jésus partage après sa résurrection, signification qui se prolonge actuellement, bien sûr, dans l’Eucharistie en attente du repas dans le Royaume de Dieu : “heureux, celui-là qui prendra part au repas du Royaume de Dieu !“ (Lc 14.15).
C’est pourquoi Jésus, juste avant sa mort, sera encore plus explicite : “Je suis le pain vivant qui descend du ciel“ (Jn 6.41) - “Celui qui mangera de ce pain vivra éternellement !“ (6.51).

Or, nous sommes tous des sous-alimentés (spirituellement) comme les “prophètes“ au temps d’Elisée. Aussi, est-il dit, “Jésus fut pris de pitié“. Le terme évoque les entrailles maternelles. Jésus est toujours profondément ému devant notre détresse !

Mais comment rassasier des hommes dans un désert ?, est-il écrit. Pourtant, Jésus est bien en Galilée, non dans un désert ! D’ailleurs il sera noté par Jean (et aussi par Marc) qu’il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Que voulez-vous, dans la Bible, la géographie revêt souvent une signification théologique. Ne sommes-nous pas tous des “errants“ dans le désert de ce monde, comme les Hébreux à la sortie d’Egypte ?

Il est précisé dans le premier récit (ch. 6ème) : “Jésus commanda aux apôtres d’installer tout le monde par groupes de 100 ou 50. Cette notation rappelle la structuration du peuple hébreu faite par Moïse dans le désert. C’est le “Pain venu du ciel“ qui structure le peuple de Dieu, qui structurera l’Eglise primitive (“Ils étaient assidus à la fraction du pain“ Ac. 2.42), qui structure notre Eglise : “Aucune Communauté chrétienne, dit le Concile Vatican II, ne peut se construire sans trouver sa racine et son centre dans la célébration de l’Eucharistie“.

Il est encore précisé : “Jésus donnait aux apôtres qui, eux, donnaient à la foule“. Ce n’est pas un détail anodin, là non plus. En tous les cas, on ne se passait pas la corbeille de l’un à l’autre… !

Jésus prend le pain, il le lèvre et la donne… Le geste à la fois vertical et horizontal, comme le signe de la croix ! C’est toute la condition humaine, à la fois royale et sacerdotale, qui est là comme restaurée. Comme c’est consolant de pouvoir renouveler en notre vie ce geste auquel il ne manque plus rien : “Par lui, avec lui, en lui, tout honneur et toute gloire…“.

Un auteur spirituel avait raison de commenter : “On ne peut aller au-delà, ni rien ajouter ; après l’Eucharistie, il n’est plus rien vers quoi on puisse tendre. Il faut s’arrêter là !“.

vendredi 11 février 2011

Cana

5 T.O p. Jeudi – Notre Dame de Lourdes ! (Jn 2.1-11) (Profession d’oblate)

Pourquoi l’évangile des “noces de Cana“ a été choisi en la fête de Notre Dame de Lourdes, en cette “Journée des malades“ qui, humainement parlant, ne sont pas toujours “à la noce“ ! Mais nous sommes tous des malades, spirituellement parlant. Aussi, essayons de déchiffrer.

Dieu, sans cesse - toute la Bible l’affirme - ne cherche qu’à faire alliance avec l’homme ! C’est surtout le prophète Osée (pas uniquement) qui a déchiffré ce mystère de l’union de Dieu avec l’homme à partir de sa vie conjugale qui, semble-t-il, n’a pas été très heureuse. Et justement, il n’a pas trouvé meilleure comparaison que l’amour de l’homme et de la femme, malgré tous les “avatars“ que cet amour peut véhiculer, pour signifier l’Alliance indéfectible de Dieu avec l’homme. Malgré les infidélités de son épouse - c’est-à-dire du peuple de Dieu comme de nous-mêmes -, non seulement Dieu lui reste fidèle, mais il la conduit au désert afin de mieux la séduire (le mot hébreu est très fort), afin de mieux lui parler “cœur à cœur“ (1). Comme au temps de sa jeunesse, des premiers amours ! (Cf Osée 2.16 sv ; cf Jér. 4.24).

“Comme au temps où elle monta du pays d’Egypte“, dit le texte, du pays de sa déchéance. “Israël - car c’est bien lui l’épouse - vit alors avec quelle main puissante le Seigneur avait agi. Le peuple craignit le Seigneur et mit sa foi dans le Seigneur et en Moïse son serviteur !“ (Ex 14.31).

Par cette précision, nous sommes projetés aux noces de Cana : “Jésus manifesta sa gloire (sa puissance) ; et ses disciples crurent en lui !“. Le rapprochement est d’évidence : le premier signe par lequel Jésus manifeste sa puissance divine et qui entraîne ses disciples à croire en lui est semblable au signe de puissance de Dieu, lors de la sortie d’Egypte, qui permit au peuple de croire en lui et de faire alliance avec lui !

A Cana, Jésus n’a pas fait un “tour de passe-passe“ par simple amabilité! Il pensait dans les dimensions verticale et horizontale tout à la fois. Jésus n’était pas un distrait. Tout pour lui a une signification. Et pour lui, le signifié est encore plus important que le signifiant. Jésus est invité à des noces ! “Et quelles noces !, s’écrie St Augustin. Les noces de Dieu avec l’humanité !“. Il ne peut pas ne pas penser à ces noces-là, l’Alliance de Dieu avec l’homme. N’est-ce pas le sens de toute oblation de vie, de toute profession religieuse : manifestation de l’Alliance de Dieu avec l’homme !

Et, dans l’A.T., il n’y a pas d’alliance sans sacrifice, le sang étant symbole de vie, d’un contrat de vie. Après la sortie d’Egypte, il en fut ainsi au Sinaï, la montagne de l’Alliance : “Moïse prit le livre de l’Alliance et en fit lecture “. Puis il prit le sang des victimes et en aspergea le peuple...“. “Les fils d’Israël contemplèrent Dieu (2) ; ils mangèrent et burent !“. (Ex 24). C’est tout le langage de l’Alliance : “livre d’Alliance“ ; “sang d’Alliance“ ; “repas d’Alliance“ ! Il en sera ainsi sur la route d’Emmaüs : les disciples passeront de la liturgie de la Parole à la liturgie de la table, Jésus ayant versé son sang pour l’ALLIANCE. C’est tout le sens de nos Eucharisties : Parole de Dieu, Sacrifice du Christ, Repas d’alliance. Et déjà, en ce mystère d’alliance, nous contemplons Dieu : et “Les fils d’Israël contemplèrent Dieu !“

A Cana, Marie dit : “Ils n’ont plus de vin !“. Il faut savoir que le mot “vin“ se dit parfois en hébreu : “le sang de la grappe !“. Aussi Jésus répond : “Mon heure n’est pas encore venue !“. La pensée de Jésus évolue des noces d’un village aux noces de l’éternelle Alliance, du vin de la noce, du “sang de la grappe“ au sang de l’Alliance, quand “son heure sera venue“ ! Il y a là une inclusion voulue : Le “premier“ signe de Cana devient déjà “l’unique“ signe d’Alliance éternelle. C’est d’une densité de signification telle que tout l’évangile de St Jean - qui est au sommet de le pensée néo-testamentaire - est inclus entre les “noces de Cana“ et les “noces de la Croix“ ! Comme il est bon que toute oblation, consécration, profession soit incluse en l’Eucharistie, signe d’Alliance éternelle !

Et la mère de Jésus était à Cana, comme elle sera présente au pied de la croix, au moment des noces de la nouvelle Alliance. Il ne s’agit plus de donner du vin pour la gaieté d’une noce de village. Il s’agit, pour Jésus, de verser son sang pour la consommation des noces de la nouvelle et éternelle Alliance. Le premier signe d’alliance fut le sang d’un agneau au moment de la sortie d’Egypte. Le premier des signes de Jésus fut celui du “sang de la grappe“ qui annonçait le sang qu’il allait verser pour les noces éternelles…

Et la mère de Jésus était là. Notre Dame des douleurs avant d’être Notre Dame de l’Assomption dans la gloire de son divin Fils ! Et en ce mystère, elle devient la mère des croyants : “Femme, voici ton fils“, lui dit Jésus en désignant Jean. Elle devient la mère de tous les souffrants pour les conduire aux Noces du Royaume, elle devient la mère principalement de tous ceux - les malades - qui participent de façon si visible au mystère pascal du Christ : mystère de mort et de vie. Marie - Notre Dame de Lourdes - se penche avec un amour maternel sur ceux qu’elle voit sur la croix de son Fils ! C’est là que se situe toute oblation ! - “Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, dit Claudel. Il n’est même pas venu l’expliquer. Il est venu la remplir de sa présence !“. La croix du chrétien et la croix du Christ forment une même croix ! Incapable de souffrir maintenant, le Christ souffre en nous de nos souffrances faites siennes ! “Qu’il nous faut du temps pour nous apercevoir que nous sommes nés crucifiés !“, disait Mauriac. Mais sachons bien que là où se trouve la croix, la résurrection n’est pas loin ! C’est l’espérance de toute oblation. Et le monde en a besoin !


(1) Il y a un jeu de mots en hébreu : “au désert, je parlerai“: “midbar, dibarti“.
(2) Ce n’est pas ainsi qu’a compris la massore : Contempler Dieu, ici-bas, ce n’est pas possible. Alors on a transcris par le passif : “ils furent vus du Seigneur !“ !

mercredi 9 février 2011

le Coeur !

5 T.O. Mercredi - Le cœur ! (Mc 7.14-23)

“C’est ce qui sort du cœur…“ qui est important ! Bien plus que que toutes les observations diverses de la Loi, si chères aux pharisiens que critiquait ouvertement Jésus dans l’évangile d’hier !

Les résonnances qu’éveille le mot “cœur“ ne sont pas identiques en hébreu qu’en français. Pour nous, le mot “cœur“ est lié très souvent à la vie affective : “Rodrigue, as-tu du cœur … ?“, un cœur qui aime ou déteste, qui désire ou craint. En hébreu, le cœur revêt un sens beaucoup plus large. Dans le cœur, il y a, certes, les sentiments, mais aussi les pensées, les raisonnements. Pour faire court, le cœur, c’est - avec les sentiments, les pensées, les raisonnements - la “faculté de projet“. Et ce sont les projets de vie qui sont importants ! Et, dit le livre des proverbes (19.21), “nombreux, les projets dans le cœur humain ! Mais seul le dessein du Seigneur tiendra !“.

Aussi, faut-il non pas vouloir se “faire un cœur semblable au cœur de Dieu“ (Ezch. 28.6) pour se croire Dieu, mais écouter le cœur de Dieu qui, toujours veut parler cœur à cœur , comme à une épouse selon Osée :“je la conduirai au désert, dit Dieu ; et je parlerai à son cœur“ (2.16). Le projet de Dieu, c’est toujours de nous faire entrer en son intimité, de nous faire part du merveilleux projet de son cœur à notre égard… Alors, “aujourd’hui, écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur…“ (Ps.94)

Mais l’homme ne répond pas au projet du cœur de Dieu, Il a souvent les “oreilles incirconcises“ : “C’est un peuple à l’esprit égaré ; ils ne connais-sent pas mes chemins“ (Ps. 94.10). Alors le monde entier, au lieu de converger vers l’harmonie voulue par Dieu dès la création, retourne au chaos. St Paul avait bien compris cela : “livrée au pouvoir du néant, la création toute entière gémit“ (Rm. 8.20,22). C’est l’image de Sodome et Gomorrhe. Dans la Bible quand on parle de Sodome - le point le plus bas du globe -, on parle de “Marhapera Sedom“. “Marhapera“, c’est le “contraire“, le “retournement“. On dirait que la terre elle-même se révulse tellement qu’il y a une solidarité entre le cosmos et l’homme, entre l’Adam et le Adama.

Bien plus, selon Osée, c’est le cœur de Dieu qui est retourné : “Mon peuple est cramponné à son infidélité… Mon cœur en moi se retourne“ (11.1sv). Mais Dieu ne se décourage pas pour autant : “Des cieux il se penche vers les fils d’Adam pour voir s’il en est un de sensé, un qui cherche Dieu“ (Ps. 14.2). Dans sa prière d’intercession, Abraham s’était arrêté au nombre de dix, parce que pour un Juif, la prière légitime, c’est la prière synagogale qui doit réunir pas moins de dix personnes. Mais Dieu, lui, ne cherche qu’un seul ! Malheureusement, “tous son dévoyés, aucun n’agit bien, pas même un seul !“ (Ps 14.2-3 ; cf. Jer. 5.1).

Finalement, Dieu se dit : “Que faire ?“. Je vais envoyer mon Fils bien-aimé. Lui - le “Juste“, l’“Innocent“, lui, le seul, “qui a toute ma faveur“ (Mth 3.17) -, ils vont bien l’écouter ! “Mais à la vue du Fils, les vignerons (de la terre, les hommes) se dirent entre eux : « tuons-le »“. (Mth 21 ; Mc 12 ; Lc 20). Pourtant, ce fils bien-aimé du Père est bien cet homme unique que Dieu, à la recherche d’un seul de sensé, distingue parmi les hommes. Oui, il est l’Unique ! Et il s’avance de plus en plus seul, incompris de ses contradicteurs de plus ou moins de bonne foi, rejeté de sa famille qui le considère comme fou, éloigné de ses propres amis qui souvent ne le comprennent pas et qui fuient lorsqu’il est arrêté. Il est complètement seul - l’Unique - quand, élevé entre terre et ciel, il rend son esprit !

Un seul de ses disciples regarde ce “Fils Unique“. Il regarde le cœur du Christ en croix transpercé par la lance du soldat ; et il comprend… Il comprend que c’est le cœur de Dieu qui est transpercé, se souvenant de la prophétie de Zacharie : “Ils regarderont vers moi, dit Dieu, celui qu’ils ont transpercé !... Ce jour-là, une source jaillira en remède au péché…“ (Zach. 12.10, ; 13.1). Et Jean voit du côté droit du Christ de l’eau jaillir, semblable à l’eau de la vision d’Ezéchiel (Ez 47) qui sort du côté droit du temple pour aller régénérer la région de Sodome, ce lieu retourné (Marhapera) parce que le cœur de Dieu avait été retourné à la vue des fautes de ses habitants : “Partout, avait prophétisé Ezéchiel, où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra…“ ! C’est comme une résurrection, une recréation : “Voici, dit Dieu, que j’ouvre vos tombeaux ; je vais vous faire remonter de vos tombeaux… Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez !“ (Ez 37.7sv).

Pour nous chrétiens, bien sûr, le cœur de Dieu retourné à cause du péché des hommes, c’est le cœur du Christ transpercé sur la croix. Du cœur de Dieu coule une source plus réelle que celle d’Ezéchiel, un fleuve capable de ressusciter le monde entier, de refaire le cosmos tout entier selon l’harmonie voulue par Dieu au matin de la création, car “là où le péché a abondé, la grâce a surabondé“ (Rm 5.20). A la suite de St Jean, nous comprenons et nous chantons l’hymne pascale, l’hymne de la résurrection : “Vidi aquam…“ – “J’ai vu l’eau vive sortir du côté droit du temple ; et tous ceux près de qui parvient cette eau sont sauvés et chantent : Alleluia“

Et ce n’est pas fini… Ce grand mystère est tellement actuel ! Car le baptême - cette source de grâce - vivifie ceux qui répondent par la foi à Dieu qui du ciel regarde toujours pour voir s’il n’y a pas un seul homme de sensé. Et tous ceux-là vont proclamant : Ce Jésus, crucifié, transpercé, Dieu l’a ressuscité ! Par la foi, ils s’incorporent à la Personne du Christ ; ils deviennent le Christ “répandu et communiqué“ (Bossuet), ils deviennent cet homme Unique recherché par Dieu ! Et c’est ainsi que commence cette grande “récapitulation“ dont parle St Paul, la récapitulation du monde entier dans l’unité posée au centre - qu’est le Christ - “quand est venu l’accomplissement du temps… “ (Gal 4.4).

Alors, comme l’avait prophétisé Zacharie (14.9) : “le Seigneur se montrera le roi de toute la terre. En ce jour-là (Pour Ezéchiel, c’est le “Yom erad“, le“ jour Unique“, comme au premier jour de la création : “Yom erad“, comme s’il ne devait pas y avoir d’autres jours…), en jour-là, Dieu sera Unique et son Nom Unique". Tout est récapitulé dans l’unité divine !

Et c’est en contemplant ce grand mystère qu’est né la véritable dévotion au Sacré-Cœur de Jésus pour que notre cœur lui-même soit rempli du projet d’amour de Dieu à notre égard ! Car c’est “ce qui sort du cœur“ qui est important !

mardi 8 février 2011

Pharisaïsme !

5 T.O. Mardi - Pharisaïsme ! (Mc 7.1-13)

Quand même ! - “Le doux Jésus“, comme on dit parfois -, il y a va fort avec les pharisiens ! J’avoue aimer ces passages, non à cause des pharisiens rabroués, mais parce que Jésus se montre pleinement homme, avec une sensibilité, une intelligence tellement humaines - on l’oublie parfois - ; et comme un homme, ses réactions sont parfois vives, même avec ses disciples à qui il prête, de temps à autre, une intelligence complètement “bouchée“ !

Oui, mais enfin, ce sont des gens bien, ces pharisiens, d’excellents “pratiquants“, fidèles à toutes les coutumes religieuses, c’est-à-dire aux 613 commandements (248 prescriptions et 365 interdictions !). En fait, ce n’est pas cette fidélité que Jésus reproche, mais de s’abriter derrière elle et d’en oublier l’essentiel ! C’est le danger de toute vie religieuse : s’abriter derrière une collection de rites et de doctrines qui peuvent empêcher d’entendre Dieu lui-même. Tout peut devenir objet d’idolâtrie, malheureusement !

Naguère, on m’avait demandé un petit exposé sur ce sujet, à propos de la liturgie. Et j’avais d’abord rappelé la première faute de David, car ç’en était une : construire à Dieu une maison, alors que Dieu seul peut se construire une maison ! Cette “inversion sacrilège“ est souvent dénoncée dans la Bible : se mettre à la place de Dieu ! Quelle énormité !
C’est ce qui distingue, par exemple, les vrais des faux prophètes. Ces derniers prétendent parler “à la place de Dieu“ (plus fréquent qu’on ne le pense), alors que le vrai prophète ne doit être seulement qu’un “porte-parole“ de Dieu. Moïse, est-il dit, parlait, lui, “al pi Adonaï“, “sur la bouche de Dieu“. Il ne faisait que prêter sa bouche à la bouche de Dieu ! Je suis intérieurement agacé quand on me dit : “Ah ! quelle belle homélie !“. J’ai envie de répondre : “Et Dieu, lui, vous a-t-il parlé ?“. Le grand St Augustin avait raison de dire : “Moi, je ne suis que le répétiteur extérieur du Maître intérieur qui seul instruit les cœurs !“ Il s’agit de découvrir les pensées de Dieu et non celles d’un homme !

Oui, c’est Dieu qui construit sa maison… ! A telle enseigne que Dieu lui-même avait prescrit à Moïse - avec moult détails - la manière de construire l’Arche d’Alliance, signe de sa présence au milieu du peuple (David, justement, semblait l’avoir oublié !) : “Je vais te montrer le plan de la demeure ; c’est exactement comme cela que vous ferez…, selon le plan qui t’a été montré sur la montagne… Tu dresseras la demeure d’après la règle qui t’é été montrée sur la montagne !“. (Cf. Ex 25.10-15).
“Selon le modèle vu sur la montagne !“. La créativité doit s’exercer dans la liturgie ! Ce n’est pas de l’immobilisme. L’histoire de la liturgie le démontre. Cependant, on n’adore pas Dieu n’importe comment. Sinon, on verse facilement dans l’“inversion sacrilège“, l’“idolâtrie“. L’idolâtrie, ce n’est pas seulement adorer des idoles, mais adorer Dieu d’une manière qu’il n’a pas demandée !

Il y a un autre texte encore qui stigmatise l’attitude pharisienne. Un texte de St Paul, un peu abscons, il est vrai (raison sans doute pour laquelle il n’est pas dans le lectionnaire). Vous pourrez vous y référer : Colossiens 2.16 sv.
- “Que nul ne vous condamne pour des questions de nourriture… à propos du shabbat…“. Tout cela, c’est de l’ombre ; la réalité, c’est le Christ… Et vlan pour les pratiques judéo-chrétiennes pharisiennes !
- Ne vous laissez pas abuser “par des gens qui se complaisent dans une dévotion“ qui viendrait soi-disant d’un “culte des anges".Ceux-là se plongent dans leurs visions ; leur intelligence se gonflent de chimères !“ Et vlan pour certaines pratiques ésotériques “charismatisantes“ de mauvais aloi !
- “Vous êtes morts avec le Christ aux éléments du monde !“. Alors “pourquoi vous plier à des règles comme si votre vie dépendait du monde ? Ne prends pas, ne goûte pas, ne touche pas… Tout cela pour des choses qui se décomposent à l’usage. Voilà bien les commandements et les doctrines des hommes ! Ils ont beau faire figure de sagesse - religiosité, dévotion, ascèse -, ils sont dénués de toutes valeurs et ne servent qu’à contenter la chair…“. Et vlan pour le faux ascétisme !

“Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez ce qui est en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu !“ Soit ! “Sursum corda !“. Mais comment des attitudes, des pratiques qui peuvent être belles soient si facilement critiquées par St Paul ? St Paul se montre, là, très subtil : tout peut devenir objet d’idolâtrie ! Tout ! Même les cérémonies et les règles que l’on a instituées pour éviter l’idolâtrie quand elles deviennent des fins, alors qu’elles ne sont que des moyens, quand “les quo“ deviennent “des quod“, disait le P. Congar. Et plus l’idole est noble, plus c’est dangereux, parce que plus on s’arrête, plus notre aventure d’homme “à l’image de Dieu“, en voyage vers Dieu - jusqu’à ce que l’on puisse voit Celui qui le voit sans cesse - risque d’être contrariée, interrompue.

St Paul avait bien compris la parole du Christ à l’adresse des pharisiens de tous poils : “Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Il est inutile le culte qu’ils me rendent… !“.

vendredi 4 février 2011

Vertus chrétiennes

4. T.O. Vendredi - Vertus chrétiennes (Héb. 13.1-8)

La lettre aux Hébreux se termine par quelques conseils évangéliques qui tous sont en référence à l’amour, celui qui nous a été manifesté en Jésus Christ. On peut regretter l’omission, avant l’énumération de ces conseils, de cette toute petite incise qui débute le chapitre 13ème : “Persévérez dans l’amour fraternel !“. St Paul le rappelle si souvent : “Que l'amour fraternel vous lie d'une mutuelle affection ; rivalisez d'estime réciproque“ (Rm 12.10). Car “Vous avez personnellement appris de Dieu à vous aimer les uns les autres“ (I Thess 4.9). “Apprendre de Dieu !“ Et oui, puisque “Dieu est Amour“ (I Jn 4.8)… et “cet amour de Dieu s’est manifesté au milieu de nous : Dieu a envoyé son Fils dans le monde afin que nous vivions par lui“ (I Jn 4.9). Aussi St Bernard écrivait : “L’amour est une grande chose si néanmoins il retourne à son principe, s’il remonte à son origine et à sa source, s’il en tire comme de nouvelles eaux pour couler sans cesse“.

“Persévérez dans l’amour fraternel !“ N’oublions pas le mot de Voltaire, toujours sarcastique, à propos des moines, des communautés chrétiennes : “des gens qui s’assemblent sans se connaître, qui vivent ensemble sans s’aimer et qui se quittent sans se regretter !“. Notre Seigneur l’a assez dit aux pharisiens : Des commandements, des règles, des codes, des pratiques ne sont rien sans l’amour qui doit les inspirer. St Augustin avait raison d’écrire : “Une fois pour toutes t’est donné ce court précepte : Aime et fais ce que tu veux“. Autrement dit, il peut y avoir des originaux dans une communauté. Mais ce grand évêque ajoutait : “Si tu te tais, tais-toi par amour ; si tu parles, parle avec amour ; si tu corriges, corrige par amour ; si tu pardonnes, pardonne par amour. Aie au fond du cœur la racine de l’amour : de cette racine, il ne peut rien sortir que de bon“.

Et si, comme on l’a dit (Lacordaire), l’amour n’a qu’un mot et en le disant toujours il ne se répète jamais; il doit surtout se mettre dans les actes plus que dans les paroles (Ignace de Loyola). Ainsi notre lettre aux Hébreux nous dit aussitôt : “N’oubliez pas l’hospitalité !“. - L’hospitalité est une grande vertu. Les Grecs y voyaient un des traits marquants d’un peuple civilisé. D’ailleurs, dans beaucoup de langues primitives, les mots “hôte“ et “ennemi“ ont une racine commune. En latin “hôte“, c’est “hospes“ ; et “ennemi“, c’est “hostis“ : même racine ! Et certains d’expliquer que la civilisation à franchi un pas décisif le jour où l’étranger, d’“ennemi“ est devenu un “hôte“, c’est-à-dire le jour où la communauté humaine a été créée et que ne résonnait plus le cri de Caïn au seuil de l’histoire humaine : “Je serrai errant et fugitif sur la terre ; et quiconque me rencontrera me tuera“.

Mais pour nous, l’hospitalité est surtout une vertu de foi. St Benoît, dans sa règle, en donne le motif : “Les hôtes seront reçus comme le Seigneur lui-même afin qu’il puisse nous dire au jour du jugement : « J’ai été un hôte et vous m’avez reçu !»“.

Notre foi cherche à honorer Dieu partout où il se trouve ; et il se “cache“ très souvent en nos frères malgré parfois des apparences contraires. Certes, souligne St Benoît, il faut pratiquer envers chacun un “congruus honor“, l’honneur qui convient : on n’accueille pas n’importe qui n’importe comment. Cependant le Seigneur est en chacun de nos frères, car chacun, quelque soit sa pauvreté humaine ou spirituelle, est aimé de Dieu, d’un amour qui l’appelle sans cesse à être de plus en plus “à son image et ressemblance“. Et qui sait si chaque rencontre n’est pas une occasion de détecter et même de promouvoir cette ressemblance.

Oui, Jésus demeure toujours cet étranger près de nous : “Voici que je me tiens à la porte et je frappe“. Au fond, dans la pratique de l’hospitalité chrétienne, celui qui est le plus comblé, ce n’est pas celui qui est reçu, mais celui qui reçoit puisqu’il reçoit le Christ lui-même : “N’oubliez pas l’hospitalité ; quelques-uns à leur insu hébergèrent Dieu lui-même“, dit notre lecture en référence à Abraham qui accueille trois mystérieux visiteurs…

Certes, l’hospitalité est difficile ; c’est pourquoi elle demande tant de foi, car accueillir le Christ, c’est toujours accueillir un crucifié qui entend rester “en agonie jusqu’à la fin du monde“ (Pascal). Mais c’est accueillir aussi un Ressuscité qui œuvre à être bien vivant en tout homme qui l’accueille !

“Que le mariage soit parfaitement honoré !“ Je ne sais trop si c’est le cas aujourd’hui ? Quoi qu’il en soit, tout chrétien - même un moine, une moniale, un prêtre qui ne vivent pas de cette réalité - doit affirmer que la famille chrétienne, comme dit St Paul, est le sanctuaire de l’Amour. Elle doit être comme le miroir de cette famille qu’est Dieu en lui-même : Père, Fils, Saint-Esprit, comme le reflet de la Sainte Famille de Nazareth. Le foyer chrétien - et analogiquement toute communauté chrétienne - ne doit pas être, comme on le voit parfois, ni une auberge pour le vivre et le couvert, ni une salle de jeux pour ses distractions. La famille consacrée par le sacrement de mariage doit être un sanctuaire divin où l’on s’échange l’amour même de Dieu, un lieu de culte, de prière, de grâce… Elle doit être la première cellule de l’Eglise, l’“Eglise domestique“, comme l’on dit.

J’ai été trop long. Aussi je termine par cette belle prière de Charles de Foucauld qui a vécu à Nazareth : “Sainte Vierge, St Joseph, ma mère, mon père, conduisez-moi à Jésus, votre Fils…, en partageant votre amour, votre contemplation, votre oubli de vous-mêmes et votre pauvreté d’esprit. Vous étiez si vides de vous-mêmes et entièrement pleins de Jésus !“.

jeudi 3 février 2011

Langages de Dieu

4 T.O. Jeudi - Langages de Dieu ! (Hb 12.18…)

Savez-vous que Dieu est bon polyglotte ? Bien sûr ! Et vous allez penser immédiatement - et avec raison - au jour de la Pentecôte où Dieu donne si facilement aux apôtres - et là je deviens envieux ! - de parler toutes les langues : “Comment se fait-il, demande-t-on, que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? Parthes, Mèdes, Elamites…“ (Ac. 2.8).

Mais depuis toujours Dieu emploie de multiples langages !

Il y a d’abord le langage de la nature qui, malheureusement, nous laisse plus indifférents qu’autrefois. Mais quand Dieu permet des insomnies (“Tu as retenu les paupières de mes yeux“, dit le ps. 77 : manière originale de dire : impossible de fermer l’œil…) … quand Dieu permet des insomnies, il suffit, surtout en Orient, de regarder le ciel. Et Dieu parle : “A voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune, les étoiles que tu fixas, qu’est donc le mortel que tu t’en souviennes, le fils d’Adam que tu veuilles le visiter ? “ (Ps 8.4). Et le jour, il suffit de d’ouvrir l’œil pour se dire en regardant les lis des champs : “Salo-mon, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux“ (Mth 6.29).

Il y a aussi le langage des prodiges que Dieu a accomplis à notre égard. Et si votre insomnie se poursuit, vous pourrez prier comme le psalmiste : “… La nuit… , je me souviens de Dieu et je gémis ; je médite et le souffle me manque… Je me souviens des hauts faits du Seigneur ; oui, je me souviens de ses merveilles…“ (Ps 77).

Alors la nuit devient lumineuse des merveilles de Dieu ! Il est vrai qu’avec Dieu, avec Jésus se dégagent des vérités “qui marchent sur la tête pour se faire remarquer“, comme dit Chesterton. Ce sont les femmes vierges qui enfantent…, les puinés qui remplacent les aînés. Et puis, Dieu marque sa liberté de façon folle : Il descend par des démarches insensées, du ciel à la crèche, de la crèche à la croix, de la croix au tombeau et au plus profond des enfers ; et puis il rebondit jusqu’au ciel. L’amour fou de Dieu pour sa créature fait cela : “J’entends mon bien-aimé. Voici qu’il arrive, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines… (Cant 2.8)… de la crèche à la croix… C’est folie ! Oui, mais depuis Isaïe, Dieu dit : “Je perdrai la sagesse des sages ; et l’intelligence des intelligents s’évanouira“ (29.14 Cf. I Co. 1.19). St Paul conclura : “Ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes ; et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les homes!“ (I Co 1.25).

Et de façon personnelle, chacun sait les merveilles de Dieu accomplies en sa vie. L’âge venant, on peut facilement se retourner et s’émerveiller en s’exclamant comme Jacob : Mais à tel moment, en tel endroit, “Dieu était là et je ne le savais pas !“. C’étaient des “Béthel“, des “maisons de Dieu“ où il avait la folie de nous visiter pour nous libérer de la servitude du péché, et nous engager à son service qui n’est rien moins que le “repos en Dieu“ : voir Dieu comme il nous voit présentement. Le repos laborieux du cloître nous prépare à cela. Mais ce passage de la servitude au service réalisé par le baptême et la profession religieuse est toujours à refaire, car si nous sommes chrétiens, il nous reste toujours à le devenir !

Mais nous oublions si facilement ces langages de Dieu, ses merveilles à notre égard, la mémoire étant souvent une faculté qui oublie ! Alors, après le langage dans la nature, dans les prodiges divins, dans la Providence à l’égard de chacun, il y a le langage dans les éclairs et le tonnerre, l’ouragan et les ténèbres comme au Sinaï au point que même Moïse en était effrayé ! Car si Dieu est un bon polyglotte, il est aussi un excellent pédagogue ; et il sait que nous avons besoin parfois d’être réveillés de nos abrutissements. Habituellement, Dieu n’a pas besoin de paraître - il “EST“ ; et cela suffit ! -. Mais quand il fait du bruit, de façon exceptionnelle, c’est un peu comme le père de famille qui tape sur la table pour se faire bien entendre… Et c’est ainsi que notre éducation peut s’avérer profitable. C’est ce que soulignait la lettre aux Hébreux dans la lecture d’hier que nous n’avons pas lue…

Aujourd’hui, l’auteur semble nous dire qu’après tous les langages de Dieu (ils sont multiples), nous voici arrivés en la Cité de Dieu, parmi des milliers d’anges en fête, nous sommes venus vers Dieu, comme les bergers, les Mages sont venus à la crèche ; et nous côtoyons les âmes des justes arrivés à la perfection, grâce à Jésus le Médiateur d’une Nouvelle Alliance accomplie par son mystère pascal en lequel nous sommes plongés par le baptême…

C’est que le dernier langage de Dieu est folie pour l’imagination humaine. Le début de la lettre aux Hébreux le rappelle : “Dans le passé, Dieu a parlé à nos pères par les prophètes ; mais dans les derniers jours, dans ces jours où nous sommes, il nous a parlé par ce Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes“ (Heb 1.1-2). “Le Verbe - La Parole de Dieu - s’est fait chair“, dira St Jean. Cette “Parole de Dieu“, “la Parole éternelle s’est faite Un de nous“, rappelle le pape Benoît XVI (Cf. exhortation). La Parole divine s’exprime vraiment à travers des Paroles humaines“ ; “Le Verbe s’est abrégé“, dit la Tradition patristique… “par condescendance“. Mais le mot "subkathabasis" n’est pas bien traduit ; il faudrait signifier : le Verbe est descendu jusqu’à nous ; il s’est mis à notre portée, à la portée des hommes. C’est ainsi que se manifeste encore la merveilleuse pédagogie divine à notre égard. Aussi, il n’est pas étonnant que l’une des rares fois que le Père se manifeste, il nous dise à propos de Jésus : “Celui-ci est mon fils bien-aimé. Ecoutez-le“ (Lc 9.7). Et Marie de nous conseiller : “Faites tout ce qu’il vous dira“ (Jn 2.5).

mardi 1 février 2011

VIE !

4 T.O. Mardi - VIE ! (Mc 5.21…)

Quelle étonnante attention, quelle profusion de détails de la part de St Marc qui raconte deux guérisons ! J’en retiens trois :

- Le choix des apôtres qui vivent avec Jésus la résurrection de la jeune fille : Pierre, Jacques et Jean ; les trois qui seront à la Transfiguration, les trois qui seront à Gethsémani. Ces trois qui sont toujours associés aux grands événements de la vie du Christ : cette résurrection de la fille de Jaïre a certainement un lien avec la mort et la résurrection de Jésus lui-même, et de ce fait nous, avec chacun de nous !

- Douze ans ! C’est le nombre d’années de la maladie de la femme dans la foule et c’est aussi l’âge de la fillette. C’est l’âge où l’enfant fait sa “profession de foi“ dans le judaïsme comme dans le Christianisme : c’est l’âge de la maturité ! Peut-être que ce double miracle qui s’explique sans doute l’un par l’autre doit se recevoir comme un acte de maturité pour nous rendre, nous aussi, adultes dans la foi.

- Et puis, il y a cette façon dont Jésus parle à cette femme comme à l’enfant morte : “ma fille“ ! Il parle comme un père parle à son enfant. Jésus en redonnant vie à celle qui perdait vie, en redonnant la vie à celle qui semblait morte agit comme un père ! “Tout fut par lui. En lui était la vie“ ! (Jn 1.4). “Oui, l’heure vient - et c’est maintenant - où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l’auront entendue vivront !“ (Jn 5.25)

Ainsi, la jeune fille retrouve la vie ; et la femme ne la perdra pas ! Jésus n’est pas venu pour la mort, mais pour la vie. Car “Dieu n’a pas fait la mort“ (Sag 1.13). Alors, pourquoi la mort ? Pourquoi notre mort ? C’est que nous sortons de cette vie précisément pour expérimenter que la mort n’est pas ce que nous croyons trop facilement. C’est la seule manière probablement de vérifier personnellement (et non comme une théorie philosophique) que la mort n’est pas une réalité puisque Dieu ne l’a pas faite… Cette page d’évangile nous est offerte pour entrer déjà, par la foi, dans cette découverte… Aussi, cette page d’évangile pourrait nous offrir deux éclairages sur la mort et notre propre affrontement à la mort.

Remarquons bien que si Jésus ressuscite cette petite fille, c’est pour que nous comprenions qu’il n’est pas étonnant qu’il ait pu guérir la femme dans la foule. C’est parce qu’il peut faire sortir de la mort cette petite fille qu’il peut aussi faire sortir de sa petite mort cette femme mûre. Qui peut le plus peut le moins, si l’on peut dire !
Il y a comme une connivence entre les deux actes de Jésus, une connivence mise en évidence par l’évangile pour que nous comprenions que Jésus ne veut pas seulement nous sauver de la grande heure de notre mort, mais aussi de tout ce qui s’écoule de nous et qui crée de la mort, du mal, de la non-vie. Peut-être faut-il probablement expérimenter ce salut dans l’ordinaire de notre vie pour pouvoir nous en convaincre pour le jour de l’au-delà !

Aussi, nous pouvons affirmer que cette guérison que le Seigneur de vie est venu nous donner se répand dans notre propre vie, par la voie de la grâce, par la voie des sacrements, ces signes de vie. Et après le baptême, l’Eucharistie nourrit en nous la vie du Ressuscité ! Cette vie du Christ en nous - “ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi“ (Gal 2.20) – nous fait grandit, nous éduque, nous transforme.
Certes, notre existence ici-bas n’est pas sans misère, sans épreuve ; mais nous recevons le pouvoir de vivre ces épreuves comme des “Gethsémani“ avec cette confiance qu’à nous aussi sera adressée la parole du Christ : “Talitha koum“ : “Lève-toi !“ La foi nous fait naître à une vie nouvelle qui ne fait pas disparaître les dures réalités d’ici-bas, mais les habille de la présence du “Seigneur de la vie“ ; elle nous fait déjà participer sur la terre à la vie même de Dieu ! Et dès maintenant, nous pouvons affirmer de façon étonnante avec le souffrant et malheureux Job : “après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne, c’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. C’est moi qui le contemplerai, oui, moi. J’en brûle déjà au fond de moi ! (Job 19.26).

Nous sommes tous sortis, un jour, du ventre de notre mère pour naître à une vie nouvelle que nous ignorions totalement avant notre naissance. Ainsi, nous sortirons du ventre de la terre pour naître à une vie nouvelle et définitive dans le face à face avec notre Rédempteur et Sauveur. Depuis Jésus-Christ la mort est aussi une naissance, mais dès avant ce jour et parce qu’il nous aime, le Seigneur nous communique déjà sa puissance de vie. Il l’anticipe en quelque sorte dans ce don et dans ce cri : “Talitha koum“ - “Lève-toi !“. Tu es vivant. Tu es déjà ressuscité !