mardi 31 mai 2011

Visitation

31 Mai 2011 - (So. 3.14sv ; Lc 1.39sv)

"L'Esprit-Saint viendra sur toi et te couvrira de son ombre", avait dit l’Ange, lors de l’Annonciation. La formule évangélique évoque la présence divine dans l'arche Sainte, couverte de l'“ombre du Très-Haut”, durant les quarante années du peuple hébreu dans le désert (Cf. Exode) ! Marie sera donc, par l'action de l'Esprit-Saint, une nouvelle "arche" où Dieu reposera.

St Luc veut éveiller chez son lecteur le souvenir de la "shékinah", cette présence divine et libératrice qui descend sur Marie comme elle était autrefois descendue sur l’“arche d’alliance” pour le salut du peuple élu…

Pour le salut du peuple… : c’est ce que chante Marie dans son Magnificat qui est bourrée d’allusions aux merveilles que Dieu a déjà accomplies pour son peuple, tout au long de son histoire. (Il suffit, pour s’en rendre compte, de se reporter aux références que donne une bonne édition). Et ce furent parfois des merveilles de délivrance ! Certaines expressions de Marie sont d’ailleurs bien guerrières si on y regarde de près : “Déployant la force de son bras (comme au passage de la mer rouge), il disperse les superbes, renverse les puissants de leurs trônes (comme Sennachérib au temps d’Isaïe), etc

Mais si Luc “fait mémoire”, avec Marie, des merveilles de Dieu accomplies dans l’histoire, c’est pour mieux envisager l’avenir, le nôtre ! Il laisse entrevoir, pour tous les temps, une loi immuable de l'action de Dieu dans le monde, en chacun de nous ! Il ne veut pas restreindre l’action de l’Esprit Saint ni au passé, ni même seulement en Marie, devenue nouvelle “Arche d’Alliance” pour la naissance du Fils de Dieu… Il ne veut pas situer Marie uniquement dans un moment de l’histoire si grand soit-il (Incarnation)… Il veut souligner que l’Esprit Saint vient, à tout jamais et actuellement, “couvrir Marie de son ombre” fécondante. - Il nous enseigne que l’union de l’Esprit Saint et de Marie est conclue pour tous les siècles, et qu’aujourd’hui encore Jésus continue de naître invisiblement dans les âmes "par l'Esprit-Saint, de la Vierge Marie" (selon la formule du Credo). Aussi, Marie elle-même s'écriera : “Toutes les générations m'appelleront "Bienheureuse”. Marie, “Arche d’Alliance“, est devenue le chemin privilégié pour aller vers son Fils, vers Dieu. Tous les Saints ont compris cela (Grignon de Montfort… et rappelons-nous, en ce sens, la dévotion à Marie du pape Jean-Paul II).

Et voilà pourquoi Marie, à peine enceinte, devenue nouvelle “Arche d’Alliance“, n’en reste pas à contempler le mystère qui s’accomplit en elle et par elle… ; elle part… elle part porter aux autres, au monde, le salut que Dieu prépare à la face de tous les peuples, comme dira le vieillard Syméon. C’est bien le sens de la Visitation de Marie à sa cousine Elisabeth. Plus une âme est unie à Dieu (et de quelle façon pour Marie !), plus elle veut conduire les hommes à rencontrer Dieu ! Marie concentre en elle le mystère de la “Rencontre“ de l’homme avec Dieu.<

Rappelons-nous l’expérience personnelle de la “rencontre“ de Moïse avec Dieu lors de la vision du buisson ardent (“Sené“, en hébreu)…, la “rencontre“ collective du peuple au pied de la montagne embrasée (Sinaï)...
Et puis l’Arche d’Alliance transporte, d’étape en étape, cette expérience de la “Rencontre“, jusqu’en Sion, cette petite montagne que “Dieu a choisie pour y faire habiter son Nom“ et qui deviendra Jérusalem !
Sené - Sinaï - Sion. Tout un cheminement (signifiée par cette allitération) qui s’achève en Marie, devenue la permanente “Arche d’alliance“ !

Et nous sommes là à la dernière étape, (à la “plénitude des temps“, selon l’expression de St Paul). St Luc semble faire allusion d’ailleurs à la dernière étape de l’Arche d’Alliance avant qu’elle n’arrive à Jérusalem :
- Il est dit dans le livre de Samuel (cf. 2 Sam. 6) que l’Arche d’Alliance demeura chez Obed-Edom de Gat trois mois, tout comme Marie demeura chez Elisabeth trois mois.
- Il est dit que lors du transfert de l’Arche “David dansait en tournoyant de toutes ses forces devant l’Arche de Dieu. Et Luc rapporte la remarque d’Elisabeth adressée à Marie : “lorsque ta salutation a retenti à mes oreilles, voici que l’enfant a bondi d’allégresse en mon sein“. Jean-Baptiste, le précurseur, est heureux d’annoncer la venue de Dieu, tout comme le jeune roi David ! Jésus est bien celui qui accomplit parfaitement les Ecritures…

C’est bien en ce sens qu’il faut sans cesse prier Marie !
- Marie est en permanence l’Arche de Dieu qui, tout au long des étapes de notre exode ici-bas, nous accompagne, - le nouveau Peuple de Dieu -, lui offrant sans cesse le moyen de sanctification pour s’approcher du Dieu trois fois Saint
- Marie, Arche d’Alliance, est la personne humaine la plus capable de recevoir la grâce divine, de réaliser en elle l’union de Dieu avec l’homme, de sorte que l’on peut dire que sa capacité de Dieu (capax Dei) contient celle de toute l’humanité. Elle est comme le principe (princeps), dans l’ordre de la réception de la grâce, pour toutes les personnes humaines… C’est par l’Arche de Dieu que le peuple se sanctifiait et avançait vers la Terre promise. C’est par Marie que, remplis de grâce à son exemple, nous avançons vers la Cité de Dieu…
- Nouvelle Arche de Dieu, en avançant vers Elisabeth, en portant Jésus à Jean-Baptiste son futur précurseur, Marie anticipe le mystère de la Pentecôte. Dès la Visitation, Marie, nouvelle Arche de Dieu, reçoit le pouvoir divin de faire partager aux autres la capacité d’union à Dieu dont elle est le principe premier, étant l’Immaculée Conception…

En ce sens, Marie, pleine de grâce, est Reine des apôtres…, Mère de l’Eglise. Elle porte Dieu au milieu des hommes ; elle porte Dieu aux hommes ! Le Cardinal de Bérulle avait raison de dire : “Marie approche Dieu de si près qu’elle le conçoit, le contient, le porte et l’engendre en soi-même, et qu’elle le donne au monde, avec le Père !“

Ne cessons jamais de prier Marie !

dimanche 29 mai 2011

Je pars, je reviens !

6e Dim. De Pâques 11.A

"Avant de passer de ce monde à son père !"

Jésus fait ses adieux, et jamais l’expression n’aura été aussi vraie : il s'en va à Dieu, son Père. Il fait "ses dernières recommandations", comme on dit ; il confie ses "dernières pensées", celles qui viennent plus du cœur que de l'esprit.

Il y a sans doute peu de passages d'Evangile où l'intensité dramatique se noue avec une pareille intériorité : "Je m’en vais, je reviens". Drame du départ et du retour, drame d'absence et de présence : "Je m’en vais ... mais je ne vous laisserai pas orphelins. Je reviens".

"Ne soyez donc pas tristes ! Sous peu je serai de nouveau avec vous !" Il ne s'agit pas d'une consolation facile : les paroles de Jésus sont d'une autre portée et d'une autre qualité ; Il n'est pas encore parti qu'il revient déjà. "Je reviens", ce présent est d'une actualité vibrante. Il revient d’une présence illimitée dans le temps et dans l'espace, il s'agit d'une présence universalisée et non plus localisée.

Oui, Jésus ne quitte les siens qu’en apparence pour aussitôt, au lendemain du drame du triomphe pascal, les rejoindre selon un nouveau mode de présence, inapparent, certes, mais aussi réel et plus profond que celui d'avant.

Jésus, en effet, avait vécu plusieurs années au côté de ses amis, dans cette relation difficile que nous connaissons bien et que nous vivons tous, les uns avec les autres, où la communication est gênée par les imperfections et les trahisons du langage, par les limites de l'intelligence et du regard qui ne parviennent pas à percer les écrans de la chair. C'est ce qui fait qu'on se comprend parfois difficilement. D'ailleurs, que de scènes de l'Evangile pour attester ces dialogues de sourds entre Jésus et ses interlocuteurs, même ses disciples ! La Vierge Marie elle-même paraissait, parfois, ne deviner son Fils qu’au travers de quelques traits de lumière au cœur de l'obscurité.

Alors Jésus leur annonce son départ charnel, mais en vue d'un retour en profondeur : il revient en Esprit, son Esprit : "D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant et vous vivrez !". A sa présence à leur côté, il va substituer sa présence au dedans d'eux. Ainsi, la communication, toujours piégée par le relais déformant des sens, va bientôt revêtir la liberté de la communion intérieure. Alors, "vous me percevrez vivant en vous et vous vivrez de moi !", leur dit-il.

Et il est incontestable que la surprenante transformation que nous observons chez les Apôtres, après les événements de Pâques et de Pentecôte, tient à ce nouveau type de présence du Christ vivant en eux, les faisant passer de l'obscurité à la lumière et à la connaissance, de l'hésitation à l’action apostolique, de la peur au courage du martyr.

Et c'est aussi cela qui va faire l'Eglise. Car le groupe d'amis, groupé autour de Jésus qu'ils reconnaissaient comme un prophète, un maître et un futur roi dont ils seraient ministres ..., ce groupe d'amis, vivant en eux-mêmes de la présence du Christ par son Esprit, devient une communauté débordante et qui témoigne d'un amour et d’une espérance en vue d'un Royaume au-delà des nations et de leur politique.

Et c'est à travers ces hommes, et leurs héritiers, à travers leur communauté et le peuple qu'elle engendre, que désormais le Christ agit dans le monde. L'Eglise est née, et quelles que soient les vicissitudes des temps et des cultures, quelles que soient les ombres qui traversent son histoire, l'Eglise continue de véhiculer la Parole du Christ, de susciter des témoins de sa sainteté, et de souffler sur le monde un vent d’espérance et de fraternité universelle.

Ainsi - nous l’avons entendu dans la 1ère lecture- la présence de l'Esprit du Christ au sein de son Eglise a forgé des gens comme Philippe pour les envoyer partout et jusque parmi ces Samaritains méprisés, afin de les intégrer, eux aussi, par la foi, le baptême et l'imposition des mains, à la grande famille chrétienne.
Ainsi, nous affirme saint Jean, la présence de l'Esprit de Jésus Christ au cœur de l'Eglise fait surgir des témoins capables de rendre compte de leur foi jusqu'au martyr.
Et St Pierre, dans la 2de lecture, vient de s'en faire l’écho : certes, c’est "avec douceur et respect", dit-il, que le disciple du Seigneur doit sans cesse "rendre compte de l'espérance qui est en lui" ; mais Pierre ajoute qu'à l'exemple du Maître il doit être prêt à souffrir l'injustice plutôt que d'y consentir.

Telle fut donc l’action de l'Eglise naissante dans le monde, de l'Eglise animée par la puissance de l'Esprit, cette nouvelle forme de présence du Christ, présence qui se prolonge jusqu’à nous.

Oui, aujourd'hui, Jésus vient. "Il revient" toujours. Il vient à nous comme si il n’en finissait pas de venir, de se présenter encore, de "frapper à la porte" : une proposition de dialogue sans cesse répétée qui attend la réponse vraie, car il n'y a pas de présence sans mouvement de conscience de l’un à l’autre, sans le sentiment d'être l'un à l’autre, l’un pour l’autre.

Mais alors, se pose à nous également une terrible question : l'Eglise des Apôtres qui manifestait la présence incessante du Christ dans le monde, trouve-t-elle vraiment son reflet et son prolongement dans l'assemblée des chrétiens d'aujourd'hui ? (N’est-ce pas cette question qui nous est lancée par la démarche “Quo vadis“ suscitée par notre évêque ? Qu’allons-nous répondre !).

Il revient à chacun de nous, pour son propre compte, de répondre à cette redoutable question. Et c’est St Jean qui nous aide à répondre lorsqu'il affirme que le monde est incapable de recevoir l'Esprit du Christ. "Ce monde" de St Jean, c'est le monde du péché, caractérisé par l'épaisseur de sa suffisance et de son égoïsme, empoisonné par un climat d'erreur et d’orgueil, ouvert à une disposition psychologique et morale qui ferme l'homme sur lui-même, préoccupé des plaisirs matériels (ou autres d’ailleurs) dont il fait une de ses préoccupations majeures. Oui, ce monde ne peut connaître Dieu.

Et qui que nous soyons, il est bon de se poser la question : Sommes-nous de ce monde, oui ou non ?

vendredi 27 mai 2011

La joie

Pâques 5 - Vendredi - (Jean 15.12-17)

Hier, l’évangile se terminait ainsi : “Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que vous soyez comblés de joie“. Or s’il n’y a plus de joie profonde en notre vie, c’est que, peut-être, nous ne savons plus la trouver là où est sa source. Aussi, Notre Seigneur nous répète aujourd’hui : “Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés !“. St Thomas d’Aquin écrivait : “La joie n’est pas une vertu distincte de la charité ; elle en est un acte ou un effet ; et c’est à ce titre qu’elle est nommée parmi les « fruits du Saint-Esprit »“ (2a 2ae q.28). Alors même que Paul et Barnabé sont chassés d’Antioche de Pisidie, il est dit que “les disciples, eux restaient remplis de joie et d’Esprit-Saint ! (Ac 13.52).

A notre époque, les hommes ont pourtant une chance inouïe : par les progrès de la technique, ils ont la faculté de “communiquer“ facilement, largement, d’être proches les uns des autres, et ainsi de pourvoir mieux réaliser ce projet de Jésus d’une manière de plus en plus universelle : “aimez-vous !“ ; tant il est vrai que l’amour, disait le vieil Aristote, est “un désir de bienveillance mutuelle fondé sur la communication des personnes“. Communiquer ! L’humanité, désormais, ressemble de plus en plus, dans son ensemble, à une grande famille sans barrières et sans frontières. Aussi est-il urgent de “communiquer“, de savoir communiquer pour mieux s’aimer et trouver la vraie joie de vivre ! Je ne sais plus qui priait ainsi : “ Apprends-nous à aimer, Seigneur. Et la joie, par surcroît, fera sa demeure en nous“.

Malheureusement, au moment où nous pouvons plus facilement communiquer - pour mieux aimer, réaliser le grand rêve de Jésus sur le monde entier -, nous voyons parfois la désespérance s’installer, et de nouvelles barrières, de nouveaux conflits déchirer l’humanité… Nous voyons se multiplier les oppressions, les entreprises d’exploitation de l’homme par l’homme.

Et même certains chrétiens, sceptiques, de se demander alors : “qu’est-ce que cela change d’être chrétien ?“. Et bien, il me semble que cela change tout de croire que Dieu est Amour et que nous sommes faits pour aimer - “espérant contre toute espérance“ (Rm 4.18) - et que ce grand mouvement d’amour inauguré au matin de la création, pleinement accompli par le Christ, doit s’achever parfaitement dans l’humanité. C’est l’objet même de notre foi.

Si notre époque a de plus grands moyens de véritablement communiquer, les sciences humaines - et certains courants philosophiques aussi – affirment également que la relation interpersonnelle est constitutive de la personnalité : c’est dans la reconnaissance mutuelle des personnes que celles-ci s’accomplissent et s’épanouissent. Le mythe de l’heureux solitaire “Robinson Crusoë“ est une fable.
Et si l’homme est ainsi constitué - nous le savons par Jésus -, c’est que Dieu lui-même est ainsi. La communication dans l’amour est le mystère même de Dieu qui est à l’œuvre au cœur de tous ceux qui aiment…
“Dieu est Amour !“ (I Jn 4.16) : Le Père aime le Fils de toute éternité ; et le Fils aime le Père ; et de cet amour mutuel jaillit le Saint-Esprit qui est comme le “baiser d’amour“ du Père et du Fils (disent les mystiques). Le Père n’est que “communication“ au Fils ; le Fils n’est que “communication“ au Père ; et leur “communication“ commune est le Saint-Esprit. En Dieu, le Père et le Fils ne sont, dans l’Esprit-Saint, qu’un seul élan l’un vers l’autre. Tous les trois ne sont tellement qu’un seul partage d’amour qu’il n’y a qu’un seul Dieu !

Cette logique de vie divine est bien abstraite, diront certains. Et pourtant, elle est, doit être magnifiquement illustrée dans cette “trinité humaine“ qu’est une famille, laquelle constitue la plus belle parabole de l’éternelle Trinité (malgré les “avatars“ qu’elle peut parfois rencontrer) :
- un homme qui est un regard vers son épouse,
- une femme qui est un regard d’amour vers son époux,
- un père, une mère qui sont un regard d’amour vers leur enfant, lequel est, lui aussi, est un regard d’amour vers ses parents ! (Je peux l’affirmer car j’ai eu la grâce de vivre dans une telle famille !)

Et la joie n’est-elle pas justement ce commun “regard“ d’amour en lequel chacun se voit dans l’autre et pour l’autre. Et cela dans une harmonie indivisible et unique, car alors
- le père ne peut pas dit : “C’est moi qui suis le centre, la source, l’origine“.
- la mère ne peut pas davantage monopoliser l’unité et l’amour,
- ni l’enfant… de sorte que l’amour n’existe qu’en circulant, qu’en se communiquant dans une désappropriation continue.

Ainsi, de toute famille chrétienne quelle qu’elle soit d’ailleurs, on devrait pouvoir dire : “Voyez comme ils s’aiment !“. C’était la joie de Jésus que de le savoir et de nous le dire.

mercredi 25 mai 2011

St Bède le Vénérable

25 Mai 2011 -


Toute la paisible et laborieuse vie de St Bède (7-8 s.) s’écoula à l’ombre du cloître. Né en 672 et orphelin à sept ans, il fut confié à l’abbaye de Wearmouth (dans le nord de l’Angleterre) dont St Benoît Biscop était alors abbé, homme fort lettré et saint moine. St Bède lui fit largement honneur : il sera une figure marquante de la naissante Eglise naissance, par sa piété et son savoir. Lui-même dira qu’il fut tout occupé à l’étude des Saintes Ecriture et à la louange de Dieu !
Tout jeune il participa à la fondation de l’abbaye de Jarrow - distante d’une dizaine de kilomètres seulement de l’abbaye-mère - où il mourut sexagénaire.

La jeune Eglise d’Angleterre connaissait alors un regain de vigueur grâce à un moine cilicien, St Théodore de Tarse qui, avec son compagnon Adrien, fonda une école à Cantorbéry. Tous deux avaient instruit Benoît Biscop qui transmit son savoir et sa foi profonde au jeune Bède lequel sût goûter la sagesse grecque et fréquenta assidument les Pères latins de l’Eglise (Jérôme, Ambroise, Augustin, Grégoire le Grand…,). Son savoir fut tel qu’un historien anglais du 18ème siècle, Burke, qualifia St Bède de “père de l’érudition anglaise“, ce qui s’applique surtout à son œuvre historique (Histoire ecclésiastique - Histoire de la conversion de l’Angleterre - Martyrologe).

Son attachement à la vie monastique et à l’étude est l’illustration de la célèbre devise bénédictine : “Ora et labora“ : il aimait s’adonner à l’étude et à l’office divin tout à la fois. Aussi, cet amour de l’étude joint à celui de la prière liturgique a fait de St Bède l’un des premiers modèles des bénédictins.

On trouve aussi chez St Bède une véritable bonté tout emprunte de profonde humilité et de pauvreté, en même temps que d’une grande discrétion, vertus que les premiers biographes de la vie monastique en Angleterre louent fortement chez les abbés de Wearmouth-Jarrow. Bède n’eut rien de plus à cœur que de s’effacer ; et jamais il ne voulut quitter son humble condition pour les honneurs qui ne lui auraient certes pas manqué.

Aussi, rien d’étonnant à ce que la voix populaire se soit plu, dès le 9ème siècle, à lui décerner le titre de “Vénérable“, sous lequel on désignait la grandeur de certains saints en Angleterre. Malheureusement, sous Henri VIII, ses reliques furent profanées avec celles de plusieurs autres saints. Mais son culte demeura vivace ; Léon XIII l’étendit à l’Eglise Universelle en 1899. Newman, séduit par cette figure de moine, lui décerna cet éloge : “Bède est le type du bénédictin, comme Thomas d’Aquin le type du dominicain“.

On peut retenir de ce grand exemple éloigné (7ème s.) mais si proche pourtant, ce qui fait le moine : l’étude et la prière.

- D’abord cet amour de l’“étude“ de la Parole de Dieu, mais une “étude“ qui n’est pas réservée aux intellectuels ! Car étudier la Parole de Dieu, ce n’est pas échafauder des systèmes à partir de sciences annexes (archéologie, langues, histoire… - sciences utiles, certes -) ; mais c’est, sous le regard de Dieu, savoir déchiffrer sa propre existence au fur et à mesure qu’elle se déroule, à partir des merveilles que Dieu a déjà accomplies au cours de l’Histoire Sainte, de l’Histoire de l’Eglise. La Ste Vierge - qui n’avait certes pas fait d’études, mais qui connaissait la Bible par cœur -, ne faisait pas autre chose : “elle méditait en son cœur“. Parce qu’elle faisait mémoire des merveilles de Dieu à travers les siècles, elle pouvait facilement reconnaître le dessein de Dieu qui se réalisait jusque dans le concret de sa vie. Ces merveilles de Dieu, amoureusement médités, deviennent des mystères, c’est-à-dire des signes de la présence de Dieu qui, dans l’aujourd’hui, ont quelque chose à dire et éclairent l’avenir !
Je connais un frère qui n’a fait nulle étude et ne pourrait en faire. Cependant, patiemment, à partir d’un passage de la Bible, il se reporte (à l’aide des références de la BJ) à d’autres textes analogues : il découvre ainsi les actions de Dieu tout au long de l’histoire, actions qui se “récapitulent“ en Jésus, actions qui dévoilent la présence agissante de Dieu en nos vies… (A l’exemple de Marie !). C’est ce genre d’étude qui importe ; et cette étude - “Lectio divina“ - est à la portée de tous. Et ce genre de travail que St Bède nous propose aujourd’hui conduit obligatoirement à la prière incessante.

- La prière ! Remarquons que ce n’est pas pour rien que l’Eglise nous fait prier à l’aide des psaumes ! Car le psautier, c’est toute la Bible sous forme de prière ! On attribue beaucoup de psaumes à David (c’est plus ou moins vrai ; peu importe). Les titres mentionnent facilement : “De David quand il coupe le manteau de Saül“ …, “quand les gens de Zif le dénoncent“ …, “après sa faute“. Etc. Autrement dit, il priait tout le temps ! Il ne faut pas attendre d’avoir une disposition parfaite pour commencer à prier, sinon on risque de ne jamais prier. Il faut, certes, des moments privilégiés, avec des attitudes bien codées, au besoin. Mais il faut prier en toutes circonstances ! “Priez sans cesse“, demandait St Paul (I Thes. 5.17).
Oui, David, avec les psaumes, est un bon Maître pour savoir prier. Car la première disposition est de laisser la vérité de Dieu balayer le fond de son cœur : “Tu aimes la vérité au fond de l’être !“ (Ps 50). David, ce grand priant, est loin d’être un “Tartuffe“ ! Au contraire de ses ancêtres, nos premiers parents, qui, après leur faute, se cachent (Dieu est obligé de les chercher Cf Gen 3.8-9), David, lui, laisse toute sa personne être interpellée par Dieu. Sans cesse, il laisse la lumière de Dieu balayer le fond de son cœur. N’est-ce là le secret de la véritable prière ? C’est en ce sens que Pie X disait : “Celui-là sait bien vivre qui sait bien prier !“. Que St Bède nous y aide !

mardi 24 mai 2011

La Paix !

Pâques 5 - Mardi (Jean 14.27-31)

“Je vous laisse la paix ; je vous donne ma paix !“

Dom Guéranger écrivait à la future première Abbesse de Solesmes, la jeune Cécile Bruyère : “La chose la plus importante est de ne jamais perdre le calme et de conserver la paix de son âme. Dans le cours de la vie, bien des choses vous choquent ; faut-il pour cela perdre la paix de l’âme ? Non, assurément. Il n’y a de mal pour nous que dans ce qui nous sépare de Dieu !“.

Qu’est-ce donc que la paix ? Comment l’acquérir et la conserver ?

En hébreux, le mot “shalom“ - que l’on traduit par paix - vise surtout le bien-être qui résulte de l’épanouissement de toutes les virtualités que le Créateur a mises en chacun de nous : les épanouir parfaitement, de façon harmonieuse !

On pourrait dire que l’homme de paix, c’est le “kalosagathos“ grec (kalos: : bon ; agathos : beau, noble). C’est la profondeur de sa bonté qui transparaît dans la beauté de ses nobles attitudes : un “gentleman“, “l’honnête homme“ du 17ème siècle ! Et l’harmonie qui se dégage de l’accord parfait entre toutes ses facultés (intelligence, volonté, sensibilité) ne peut que solliciter et provoquer un chant mélodieux de toutes les relations : entre individus, cités, états… Ce sera alors le “bien-être“ social : la paix !

Mais pour un Juif, ce “bien-être“ ne peut s’obtenir que par un don de Dieu. Aussi, le mot “shalom“ sous-entend une relation amicale, une alliance amoureuse avec Dieu : “Je fais don de mon alliance, dit Dieu à Moïse, en vue de la paix !“ (Nb .25.12).

Une paix qui appelle à une action parfois combattive. Car la paix n’est ni la paresse ni un faux désintéressement ! Quand Gédéon s’aperçoit finalement que c’est bien le Seigneur qui lui est apparu et qui l’envoie défendre le peuple contre les Madianites, il appelle le lieu de l’apparition divine, paradoxalement : “Le Seigneur est Paix !“. (Jg 6.24)

Chez les prophètes, la paix sera surtout un bien messianique : cf Is. 2.2sv ; Ps 46.10 : “Le Seigneur, le Tout-Puissant, est avec nous. Il arrête les combats jusqu’au bout de la terre !“ - Osée 2.20 : “Je conclurai pour eux en ce temps-là une alliance avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre. L’arc, l’épée et la guerre, je les briserai…“. (Cf. Zach 9.9sv ; Michée 5.4).

La Septante a traduit le mot “shalom“ par “eirènè“ (d’où notre mot “irénisme, irénique) : c’est l’absence de conflits qui, pour un disciple du Christ, ne peut être également qu’un don, une grâce de Dieu. Aussi St Paul associe les deux mots pour saluer les Corinthiens par exemple : “A vous grâce et paix ! (Ils en avaient besoin !) de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ“ (I Co. 1.3 ; cf. I Pierre 1.2 ; Apoc 14.9). Si la grâce (“Charis“) est la faveur divine (Cf. Annonciation), la paix (“eirènè“) est la somme des biens que l’homme en retire : biens spirituels et humains tout à la fois ! C’est le bonheur chrétien ! De sorte que l’on pourrait dire : La grâce commence tout ; la paix couronne tout !

C’est ce qu’exprimait St François de Sales, par exemple : “Paix !, disait-il, laquelle ne s’acquiert en cette vie que par l’union de l’entendement, de la mémoire et de la volonté avec l’esprit - et de l’esprit avec Dieu !“ - “Si nous voulons avoir la paix en nous-mêmes, il ne faut avoir qu’une volonté et qu’un seul désir, imitant St Paul qui ne voulait prêcher et sçavoir qu’une seule chose, à sçavoir Notre Seigneur Jésus Christ et iceluy (celui-ci) crucifié ; car nous posséderons comme lui la vraie paix si nous ramassons bien toutes nos puissances et facultés intérieures afin de les occuper toutes en l’amour de notre doux Sauveur, lequel sans doute ne manquera pas de nous visiter afin de nous donner sa sainte paix…“.

Oui, la paix comme la joie, n’est pas précisément une vertu, mais le fruit de la plus haute des vertus. La paix est fille de la charité. Il faut la rechercher, dit St Pierre (I Pet. 3.11 ; cf Ps 34.15) et la poursuivre. Elle aura parfois l’air de fuir ; il ne faut pas se décourager, s’irriter de ses lenteurs qui sont, après tout, que nos propres lenteurs à nous. Il n’y a jamais de raison de sortir de cette paix : ni événements, ni souffrance, ni fautes même ; car on ne corrige pas des erreurs avec du désordre ; et le repentir n’est pas du trouble…


Mère Térésa avait raison :
Le fruit de la prière est la foi…
Le fruit de la foi est l’Amour…
Le fruit de l’Amour est la paix.

lundi 23 mai 2011

Dieu en nous !

Pâques 5 - Lundi - (Jean 14.21-26)


“Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera ; nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui !“

Voilà bien la seule “manifestation“ que Dieu décide toujours de faire: habiter le cœur de ceux qui croient en lui, qui l’aiment. C’est sa “gloire“ (au sens biblique du mot “kabod“) : la “manifestation lumineuse“ de Dieu sur terre, “gloire“ de Dieu chantée jusqu’au ciel : “Gloria in excelsis Deo…“

Cette expérience de la présence d’une personne absente, nous la faisons déjà dans nos amours humaines : nous nous surprenons en train de parler, dans un dialogue intérieur, avec l’être aimé et pourtant éloigné ou même décédé… ! Expérience donnée seulement à ceux qui aiment !

“Si quelqu’un m’aime“, dit Jésus. On se plaint de l’absence de Dieu : “Où est-il ton Dieu ?“, demande l’incroyant. Et chez certains chrétiens, cette question est sous-jacente : on pense à Jésus comme à un modèle d’humanité à admirer, à imiter si possible, mais, si éloigné... Or, Jésus affirme qu’il n’est pas seulement un modèle d’homme dont le message peut faire réfléchir ! Il est un Vivant, un Vivant agissant, qui est certes entré dans le “monde de Dieu“, invisible. Mais ce monde qui est bien hors du temps lui permet d’être le contemporain de tous temps, de tout homme.

“Où est-il ton Dieu ?“. Alors, Jésus lui-même de répondre :
“Si quelqu’un m’aime, nous viendrons chez lui !“. C’est le lieu de la rencontre ! Il est là au cœur de ceux qui l’aiment. Quand Jésus dit cela, il est à quelques heures de sa mort. Il avait déjà dit qu’il serait le Temple nouveau, à rebâtir en trois jours, ce temple où les Juifs éprouvaient le sentiment d’une “présence réelle“ de Dieu. Ici, Jésus va plus loin : il ose dire qu’à partir de son départ, cette présence ineffable, cachée certes, sera assurée par ceux qui l’aiment. Quelle responsabilité ! Par son amour, par notre amour, nous devenons “christophores“, “porteurs du Christ“ !

“Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole !“. – Entre ceux qui s’aiment, il y a écoute, dialogue. Rien de pire, pour nos amours, que de ne “pas écouter“, de ne “pas parler“. C’est le drame, parfois, de certaines relations. Aussi, Jésus révèle une des clefs de la vie qui existe entre lui-même et ceux qui l’aiment : c’est la méditation de sa parole comme un sacrement de sa présence. C’est un fait : nous n’avons pas la présence sensible de Jésus ; mais pour qui l’aime, quelle merveille, déjà, d’avoir sa pensée, sa parole. Notons que Jésus ne parle pas seulement d’une parole reçue intellectuellement, mais d’une parole “à laquelle on est fidèle“, d’une parole qui, “étant vécue“, rend réellement présent celui qui l’a lancée.

“Et l’Esprit que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout ; et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit“. L’Esprit est en nous comme l’écho de la Parole éternelle que Fils adresse à son Père dans leur amour commun et éternel.

L’Esprit n’ajoute rien à Jésus, comme Jésus n’ajoute rien au Père. Il n’y a pas “trois Dieux“, mais un seul. Pourtant, ils sont trois distincts qui, sans être des modalités d’un seul, ne font qu’un. Le Père, c’est Dieu lui-même dans son invisibilité ; le Fils, c’est Dieu lui-même, Verbe de Dieu, qui vient parler aux hommes ; l’Esprit, c’est Dieu lui-même qui prolonge la parole et l’action de Jésus et du Père.

Aussi, cet Esprit est celui qui nous donne l’intelligence progressive de la Parole de Dieu qu’est Jésus, Verbe de Dieu. L’Esprit enseigne… et fait se ressouvenir… Les apôtres eux-mêmes qui avaient pourtant vécu des mois et des années avec Jésus, n’ont saisi que plus tard ce que Jésus disait, grâce à l’Esprit Saint en eux et parmi eux. “Plus tard, tu comprendras“, avait dit Jésus à Pierre.

C’est l’Esprit Saint qui aide l’Eglise à comprendre peu à peu ce que Jésus a révélé. Certains s’étonnent que l’Eglise “change“ comme ils disent. Mais il est clair que, pour Jésus, elle doit encore beaucoup changer, tout en restant elle-même, sous l’influence de l’Esprit. “L’Esprit vous enseignera et vous fera ressouvenir… “. Jésus a tout dit, mais la plupart de ses paroles n’ont livré toute leur substance qu’après avoir été longuement portées et priées dans la mémoire de l’Eglise au cours des siècles.

Et comme nous sommes dans le mois de Mai, remarquons que Marie, est-il dit, “méditait en son cœur les événements et les paroles de son Fils…“ (Lc 2.19,51). Que Marie nous aide à accueillir, comme elle, l’Esprit Saint qui ne cesse de ruminer en nous la Parole que le Fils de Dieu ne cesse d’adresser à son Père.

Et si nous accueillons avec amour cette Parole que ne cessent de s’échanger en nous les trois Personnes de la Sainte Trinité, toute notre vie en sera illuminée et rayonnante pour notre bien, pour le bien de ceux qui nous entourent.

dimanche 22 mai 2011

Ne craignez pas !

5e Dim. De Pâques 11.A

"Ne soyez donc pas bouleversés" !

Comme le Seigneur connait bien le fond du coeur de l'homme toujours prompt à s'inquiéter, guetté sans cesse par le trouble, l'anxiété, le désarroi.

Il faut reconnaître pourtant qu'il y avait bien des raisons pour les Apôtres d'être bouleversés, au moment où Jésus leur adressait ces paroles.
- Il venait de leur annoncer la trahison de Judas : quel est le cœur qui ne serait pas meurtri par une défection ?
- Il venait de leur annoncer le reniement de Pierre : quel est le cœur qui ne serait pas blessé par un abandon ?
- Il venait de leur annoncer sa propre mort imminente : quel est le cœur qui ne serait pas broyé par la mort d'un être cher ?

Oui, Il leur annonçait sa mort, ou plutôt son départ vers une destination mystérieuse - “là où je vais, vous ne pouvez venir“ -, départ qui, apparemment, allait les laisser seuls : une solitude douloureuse après trois années d'intimité avec ce Maître incomparable ; une solitude redoutable, car, après son départ, il leur incomberait une mission difficile à remplir dans un monde indifférent et hostile (Et n’est-ce pas encore ore la situation de bien des chrétiens ?).

Vraiment, les Apôtres avaient bien des raisons de s'affliger, de s'inquiéter, de se troubler ! Et Jésus le voyait bien sur leurs visages ! Alors, avec l'exquise délicatesse de son cœur d'homme, Notre Seigneur comprend les questions angoissées de ses amis ! Et la délicatesse et la hâte qu'il met à dissiper la tristesse de ses Apôtres trahissent à quel point il les aime, traduisent la compréhension de nos propres souffrances de cœurs d'hommes !

Car, c'est à nous qu'il répète encore aujourd'hui, avec une infinie tendresse : "Ne soyez donc pas bouleversés" ! N'est-ce-pas la première parole que Dieu adresse toujours à tous ceux qu'il appelle : "Ne crains pas", avait-il dit à Moïse au buisson ardent ! "Ne crains pas", avait-il dit à bien des prophètes. "Ne crains pas", avait dit l'Ange à Marie, puis à Joseph ! "Ne soyez donc pas bouleversés", nous dit-il toujours ! “Ne craignez pas !“, avait répété le Bx pape Jean-Paul II, au début de son pontificat !

Jésus ne veut pas de disciples tristes et inquiets, même dans les circonstances douloureuses, dramatiques. "Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ?" avait-il dit, très souvent, à ses Apôtres?

Et pourquoi ce conseil ? Pourquoi ne pas craindre ? Parce que l'heure est venue pour les Apôtres - comme pour chacun d'entre nous - de faire cet acte de foi : "Vous croyez en Dieu ; croyez aussi en moi !" La foi ! C'est la grande leçon de ce passage d'Evangile que nous venons d'entendre ! "Croyez en moi"! C'est la foi seule qui peut sauver les disciples, à cette heure de la séparation et dans les terribles heures qui vont suivre, et tous les jours de leur vie. "Croyez en moi"!

Et ces paroles s'adressent à nous comme aux Apôtres. La foi seule peut nous faire dominer la crainte, surmonter les épreuves de toute vie humaine, et surtout nous faire percevoir le sens de cette vie, de notre vie, son but, malgré les larmes qui, parfois, peuvent troubler l'œil intérieur de notre foi ! “Accueillir la foi !“, comme les disciples dont il est question dans la 1ère lecture.

Car Notre Seigneur ajoute : "Je pars vous préparer une place ! Et là où je suis, vous y serez aussi". Il s'agit donc de croire en Jésus comme en quelqu'un qui a pouvoir sur la mort elle-même - et il le prouvera au matin de Pâques ! – et il a ce pouvoir sur tout ce qui est signe de "mort" en nos vies, sur nos souffrances -. Il nous donne rendez-vous au-delà de tout cela. C'est le fondement même de notre foi chrétienne : "si le Christ n’est pas ressuscité, disait St Paul, notre prédication est vide et vide aussi votre foi“ (I Co. 15.14). Mais non ! Le Christ est ressuscité des morts“ (Id. 20).
Bien davantage ! L’apôtre ne dira pas : “Considérez-vous comme si vous étiez morts et comme si vous étiez ressuscités avec le Christ“ ; mais il dira bien : “Vous êtes morts et vous êtes ressuscités avec le Christ !“ (Rm 6.11). Déjà ! Par la foi : “Croyez en moi !“. Disant ainsi, l’apôtre présente le même réalisme audacieux de Jésus qui n’a pas dit : “Considérez ceci comme mon corps !“, mais qui a dit : “Ceci est mon corps !“. Nous avons le Christ vivant en nous ! La foi en Jésus vivant ! Dès lors, il ne faut surtout pas atténués le réalisme des sacrements de la nouvelle Alliance qui véhiculent, à travers le temps et l’espace, la réalité même de ce qu’ils signifient : par le baptême, nous sommes déjà morts et ressuscités avec le Christ. Par l’Eucharistie, nous entretenons la vie du Christ ressuscité en nous, au point que St Paul dira : “Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi !“.

Notre vie d'ici-bas ne débouche pas sur le néant, sur le vide, malgré ce terrible passage qu'il nous faudra accomplir de la mort à la vie, terrible passage comme celui du Christ lui-même, terrible passage qu'annoncent et préparent tous ces passages que nous faisons - bon gré, mal gré, parfois - du mal au bien, de la tristesse à la joie, bref, tous ces passages de tout ce qui est "mort" à nous-mêmes et en nous-mêmes à une plus grande plénitude de vie. Oui, "il nous faut marcher, comme Lui-même, le Christ a marché", disait St Jean. Lui, le premier, il a marché vers sa Pâques, il a fait le "passage". Et maintenant, il nous attend; il nous prépare une place au lieu de son "passage"!

Mais comment le Seigneur peut-il nous préparer une place près de son Père? St Augustin nous donne une réponse qui retourne les perspectives, comme Notre Seigneur lui-même le faisait si souvent, avec son humour paradoxal : "Le Christ prépare les demeures de ses disciples en préparant des habitants pour ces demeures. Car n'a-t-il pas dit : si quelqu'un m'aime, il gardera ma Parole et mon Père l'aimera ; et nous viendrons chez lui ; et nous ferons chez lui notre demeure. Vous le voyez bien, ajoutait St Augustin: il y a un lien très profond entre ces deux "demeures" dont parle Jésus : entre la demeure qui nous attend dans la maison du Père, au ciel où il nous prépare une place, et la demeure intime de la Sainte Trinité en nos âmes, sur la terre. C'est bien par cette demeure réalisée en nos âmes, dans l'obscurité de la foi, que le Seigneur nous prépare des demeures éternelles, dans la maison du Père".

Autrement dit, c'est dans la mesure où, ici-bas, nous accueillons le Christ, en nous efforçant de vivre comme Lui, en fils pour le Père et en frères pour tous les hommes, que nous serons accueillis près de Lui au ciel, près de son Père, parce que nous construisons alors, dès ici-bas, la demeure céleste dont la pierre angulaire est le Christ lui-même (Cf. 2ème lecture). Et cette seconde demeure est le Corps tout entier du Christ, tête et membres.

Oui, en accueillant le Christ en nous, nous goûterons avec joie, avec intelligence, malgré les épreuves de nos vies, nous goûterons ces paroles de vérité et de vie : "Ne soyez donc pas bouleversés! Vous croyez en moi ! Alors, vous croyez aussi en Dieu !“ - Vous m'accueillez ! C'est déjà Dieu que vous accueillez ! - Vous me voyez ! Alors, vous voyez aussi le Père ! - Et nous serons dans la paix, car, déjà, nous comprendrons que voir le Père, c'est l'unique nécessaire ; et "cela nous suffit !"

samedi 21 mai 2011

Ouverture au monde

Pâques 4 Samedi (Ac. 13, 44sv)

Avec la lecture, nous rejoignons toujours Paul et Barnabé dans la synagogue d’Antioche de Pisidie, où ils sont arrivés au milieu du premier grand voyage missionnaire.

Il a commencé par une longue rétrospective de cette histoire de son peuple - qui est la sienne -. Et ce qu’il annonce, c’est l’accomplissement en Jésus, mort et ressuscité, des promesses divines que contient cette histoire sainte.

Parmi ses auditeurs en la synagogue, il y a non seulement des juifs mais aussi des “Craignants Dieu“, capables de comprendre toutes les citations tirées des psaumes et des prophètes qu’on lit à chaque shabbat. Paul a insisté sur l’ignorance qui a régné chez les autorités de Jérusalem et le peuple juif. Ils ont été comme manipulés lorsque Jésus fut livré à Pilate pour être crucifié. Mais la Résurrection du Christ apparaît comme la réponse de Dieu et la confirmation de la mission salvatrice de Jésus...

Au terme de la prédication en ce jour de Shabbat, beaucoup d’auditeurs sont intéressés ; ils apparaissent comme convaincus. Aussi, Paul et Barnabé sont invités à parler à nouveau au Shabbat suivant. Et, cette fois, c’est une foule considérable qui se rassemble. Les Prosélytes et les “Craignants Dieu“ sont plus nombreux que les juifs eux-mêmes. Il s’ensuit une jalousie et une hostilité - c’est si courant ! - qui rendent l’atmosphère tout à fait différente de celle qui régnait lors de la première rencontre. Pour autant, Paul et Barnabé ne sont pas ni intimidés, ni impressionnés. Animés par l’Esprit Saint, avec cette hardiesse assurée dont parlera souvent l’apôtre, ils déclarent : "C'était à vous d'abord qu'il fallait annoncer la Parole de Dieu. Puisque vous la repoussez et ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, - eh bien ! -, nous nous tournons vers les païens. Car ainsi nous l'a ordonné le Seigneur : « Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu portes le salut jusqu'aux extrémités de la terre »" (Ac 13,46-47).

Déclaration qui ne fait que reprendre la célèbre conviction du prophète Isaïe : l’élection du peuple élu est un charisme donné par Dieu à un peuple particulier pour le bénéfice du monde entier. Le moment est venu de réaliser cette prophétie, cet élargissement de l’élection rendu possible par la mort et la résurrection du Christ. Certes, les Juifs en sont les premiers bénéficiaires, mais il ne faut pas que ce privilège de l’élection se rétrécisse en un particularisme exclusif et jaloux qui s’opposerait à l’intégration des non-juifs au peuple de Dieu, s’opposerait à l’élection devenue, désormais, ouverte au monde entier par la prédication évangélique.

Les extraits du discours de Paul choisis par la liturgie, s’arrêtent longuement, me semble-t-il, sur cette prédication de Paul au cours de ces deux Shabbat à la synagogue d’Antioche de Pisidie. Dans ce grand discours inaugural de Paul, Luc veut donner le reflet de la prédication de l’Apôtre à l’adresse des juifs. La conclusion de ce grand discours inaugural de l’apôtre apparaît hautement significative. Luc insistera régulièrement sur le refus, par les juifs, du message chrétien, refus qui explique et légitime la prédication faite ensuite auprès des Gentils. L’histoire de l’évangélisation accuse donc les traits qui seront rappelés dans la suite du récit. Nous pouvons, pour cela, nous reporter au dernier discours de Paul qui forme la finale des Actes des Apôtres. Il s’adressait alors aux Juifs de Rome :
“Les uns se laissaient convaincre par ce qu'il disait, les autres refusaient de croire... Paul n'ajouta qu'un mot : "Comme elle est juste, cette parole de l'Esprit Saint qui a déclaré à vos pères par le prophète Isaïe : « Va trouver ce peuple et dis-lui : Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas ; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Car le cœur de ce peuple s'est épaissi, ils sont devenus durs d'oreille, ils se sont bouché les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur et pour ne pas se tourner vers Dieu » (Cf Is 6.11-13). Sachez-le donc : c'est aux païens qu'a été envoyé ce salut de Dieu ; eux, ils écouteront“.

Il faut être pleinement conscient, me semble-t-il, de cette universalité de l’Eglise, la pratiquer en pensée et en actes ! Elle fut fortement rappeler par le Concile Vatican II : “A faire partie du peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés. C’est pourquoi ce peuple est destiné à se dilater aux dimensions de l’univers entier et à toute la suite des siècles…“ (L.G. 13). Et encore : “L’Esprit Saint pousse l’Eglise à coopérer à la réalisation totale du dessein de Dieu qui a fait du Christ le principe du salut pour le monde entier“ (Id 17).

Lacordaire disait naguère : “Ne dites pas : Je veux me sauver ; dites-vous : je veux sauver le monde. C’est là le seul horizon digne d’un chrétien, parce que c’est l’horizon de la charité“. Et Ste Thérèse de Lisieux, avec son humour habituel, prophétisait : “Je ne pourrai prendre au ciel aucun repos jusqu’à la fin du monde, et tant qu’il y aura des âmes à sauver. Mais quand l’ange aura dit : “Le temps n’est plus“, alors je me reposerai !“.

Dieu ne nous dit-il pas comme à Ste Catherine de Sienne : “N’abaisse pas ta voix ! Crie, crie vers moi pour que je fasse miséricorde au monde entier… C’est par tes gémissements, c’est par tes cris que je voudrais faire miséricorde“.

vendredi 20 mai 2011

Le Ressuscité !

Pâques 4 Vendredi (Ac. 13, 26sv)

A tout le discours de Paul en la Synagogue d’Antioche de Pisidie, on peut appliquer ce que Luc dit de la rencontre de Jésus avec les disciples d’Emmaüs : “en commençant par Moïse et tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait“ (Lc 24.27).
Et en ce sens, Paul affirme : “la promesse faite à nos pères, Dieu l’a accomplie en notre faveur, à nous, leurs enfants : il a ressuscité Jésus !“.

La promesse faite à nos pères !“. L’apôtre, dans son discours proclame ce qui lui tient le plus à cœur : “Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi“ (I Co 15.14). Et cette résurrection du Christ est l’accomplissement des expériences de résurrections faites tout au long de l’histoire du peuple élu. Dieu - le Dieu Unique - “est pour nous, résume le psaume 68ème (v/21), le Dieu des victoires ; et les portes de la mort sont à Dieu le Seigneur !“.

Ce peuple
- qui avait reçue les promesses faites à Abraham : “ta descendance sera aussi nombreuses que les grains de sables sur le rivage de la mer“,
- qui avait reçu les promesses faites à David : “ta maison et ta royauté seront à jamais stables, ton trône à jamais affermi“,
- qui avait pourtant été affronté à ces grosses bête apocalyptiques qu’étaient les empires assyrien, babylonien, mède, perse, grec, romain, etc…
avait, à chaque fois, fait l’expérience d’un “Dieu des victoires“ qui mène “par delà la mort !“, d’un Dieu qui “a les issues de la mort“.

On peut se souvenir d’un exemple. Au début du 8ème siècle, l’Assyrie, après s’être emparé de tous les Royaumes avoisinants, arrive près de Jérusalem. La ville est vouée à l’anéantissement. On consulte le prophète Isaïe, homme enraciné en Dieu qui, calmement, invite à mettre sa confiance en ce “Dieu qui a les issues de la mort“. Et c’est la délivrance miraculeuse, inexplicable, une délivrance semblable à la délivrance de l’esclavage d’Egypte. Et il y a toute une série de psaumes (Ex. 48ème) qui célèbrent cette résurrection, qui célèbrent ce “Dieu qui nous conduit par-delà la mort“.

Certes, il y eut, à la fin du 6ème siècle, la déportation à Babylone. Cependant quarante après, alors qu’il n’était plus que “ossements desséchés“ (vision d’Ezéchiel), le peuple va, contre toute espérance, connaître une véritable résurrection d’entre les morts. Et il revient à Jérusalem…

De plus, c’est un faux problème que de se demander quand est-ce que la certitude de la Résurrection d’entre les morts est apparue du plan collectif au plan personnel. Parce qu’un Juif pense de façon indissociable l’histoire de son peuple et son histoire personnelle. Aussi, Job s’écriera : “Je sais bien, moi, que mon rédempteur est vivant ; il surgira de la poussière. Et après qu’on aura détruit cette peau qui est mienne, c’est bien dans ma chair que je verrai Dieu. C’est moi qui le contemplerai, oui, moi ! Mon cœur en brûle au fond de moi !“ (19.25). Et le psalmiste de s’écrier : “Non, je ne mourrai pas ; je vivrai et je chanterai les œuvres de Dieu !“ (118.17).
Et l’une des prières juives que récitait Jésus comportait cette formule : “Béni soit le Seigneur, roi du monde, qui ressuscite les morts !“.

Cette résurrection d’entre les morts, ce n’est pas une idée, une spéculation. C’est une certitude de foi qui est née dans le réalisme de l’histoire, de par l’expérience que l’on a fait d’un “Dieu qui a les issues de la mort !“.

Aussi, la résurrection du Christ ne fait que confirmer cette foi ; elle est l’accomplissement des promesses de vie… faites aux patriarches et prophètes. St Paul ne fera que reprendre cet argument, lors de son procès à Césarée, devant le procurateur Festus qui, est-il dit, doit se prononcer au sujet d’un “Jésus, qui est mort, et que Paul affirme être en vie“. (Ac. 25:19).

Toute la question est là ! Savoir si Jésus, oui ou non, est ressuscité !

Jésus ressuscité ! Paul affirme que les disciples de Jésus en furent les témoins. Lui-même, Paul se dit témoin du Christ vivant !

Et nous-mêmes ? En sommes-nous véritablement témoins. Non seulement par nos paroles éventuellement, mais surtout par toute notre vie ? C’est la question essentielle !
- Notre foi ne sera jamais d’ordre théologique, même si le raisonnement, en ce domaine, est utile, nécessaire, la foi cherchant à comprendre - “Fides quaerens intellectum“ -. Il faut savoir qu’en ce domaine, les preuves (de la raison raisonnante) fatigue la vérité (si transcendante !). Un apologiste disait avec humour : “A chaque fois que je gagne un argument, je perds un chrétien !“
- Notre foi ne sera jamais d’ordre moral, alors même que Jésus nous dit : “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait“ (Mth 5.48). Mais la perfection morale est trop souvent à l’exemple des Religieuses de Port-Royal, “pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons“ !

On ne le dira jamais assez : notre foi est, doit être le témoignage d’une expérience, l’expérience d’une rencontre avec le Ressuscité qui nous donne sa vie, sa vie divine, dès ici-bas, de sorte que Dieu peut nous dire à nous aussi : “Tu es mon fils ; moi-même, aujourd’hui, je t’ai engendré !“ (Ps 2). C’est comme une transfusion de la vie du Ressuscité en notre vie : “Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi !“ (Gal 2.20).

Et dans la mesure où nous ferons cette expérience du Ressuscité, nous comprendrons de plus en plus la réflexion de Jésus, pleine de tendresse : “Ne soyez donc pas bouleversés. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi… Car je pars vous préparer une place. Et quand je serai parti vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi. Et là où je suis, vous serez, vous aussi !“.

jeudi 19 mai 2011

Jean-Marc

Pâques 4 Jeudi (Ac. 13, 13-25)

Naturellement, les lectures liturgiques ne peuvent pas suivre en détail tous les événements des voyages missionnaires de Paul. Nous passons subitement aujourd’hui d’Antioche de Syrie (hier) à Antioche de Pisidie. Mais entre ces deux lieux, il y eut le passage de nos missionnaires en l’île de Chypre où Paul convertit, après une péripétie avec un magicien, “le proconsul Sergius Paulus, homme intelligent“ (Ac 13.7).
Est-ce par sympathie pour cet homme, son premier converti, que l’apôtre changea son nom ? Désormais de Shaoul, de la tribu de Benjamin - qui rappelait pourtant le premier roi d’Israël, lui aussi de la tribu de Benjamin -, il devient “Paul“, nom romain. Luc ne le désignera désormais que sous ce vocable. Par sympathie ? Possible ! En tous les cas, ce changement de nom souligne “officiellement“ que l’apôtre désire se consacrer à l’évangélisation du monde païen. Et, à sa façon toujours discrète, Luc de souligner que c’est bien lui, maintenant, qui prend la tête de cette nouvelle mission : de dernier de liste (comme le texte le soulignait dans la lecture d’hier), il devient chef d’une nouvelle équipe : Paul, Barnabé et le petit Jean-Marc.

Cette nouvelle situation pourrait expliquer, en partie, le début de notre lecture d’aujourd’hui : revenu de l’île de Chypre sur le continent, Jean les quitta pour retourner à Jérusalem“. Que s’est-il passé ? Le neveu de Barnabé a-t-il été meurtri de voir son oncle passer à un second plan ? Et puis, ce Paul, désormais, où va-t-il les emmener ? Vers le nord ? Peut-être que la perspective de traverser le Taurus, dans un climat souvent déprimant, a-t-il découragé le tout jeune Marc ? Quoi qu’il en soit, le jeune homme préfère retourner chez sa maman à Jérusalem où, semble-t-il, elle était propriétaire d’un petit jardin, à Gethsémani. Peut-être, d’ailleurs, que Marc avait été le jeune garçon qui s’était enfui tout nu lors de l’arrestation de Jésus, épisode qu’il est le seul à raconter en son évangile (Mc 14.52).

De ce départ, de cette séparation, il en résultera une “brouille“ entre Paul et Marc et même avec Barnabé. Après le Concile de Jérusalem qui approuve les activités apostoliques de Paul et Barnabé, ceux-ci décident de repartir pour une seconde mission. Mais voilà qu’une dispute éclate entre les deux apôtres à propos du petit Jean-Marc que Barnabé voulait reprendre avec lui (Que voulez-vous : l’oncle devait bien aimer son neveu. Cela arrive. Ce n’est pas encore du népotisme… ; mais enfin !). Paul, se souvenant sans doute de son abandon en Pamphylie, refuse catégoriquement. Il va encore nous “laisser tomber“, doit-il penser. “Et leur désaccord s’aggrava tellement qu’ils partirent chacun de leur côté !“ (Ac. 15.39). Le terme employé, surtout sou la plume de Luc, est très fort “paroxusmos“ ; ça dut “barder“, si je puis dire !

Il ne faut surtout pas s’étonner que, dans l’histoire de l’Eglise, il y ait des désaccords - c’est normal - voire des dissensions (fortes parfois), même entre saints, même entre moines ; je pense, par exemple, à la dispute qu’il y eut entre l’ardent St Bernard et le si aimable Pierre le Vénérable (j’avoue avoir un “faible“ pour ce dernier dont naguère j’ai lu la correspondance). De même entre Bossuet et Fénelon… et bien d’autres exemples ! Il ne faut pas trop s’en étonner surtout quand ce sont l’ardeur de la foi ou le zèle apostolique qui en sont les causes, et non, bien sûr, la suffisance d’une mission, d’une fonction qui empoisonne tout, épouvantablement ; là encore il y a des exemples qui furent des désastres !

Oui, il y a parfois des désaccords qui, dans l’“économie“ divine (la pédagogie divine à notre égard, pourrait-on dire), deviennent profitables. En la circonstance, il y eut deux missions au lieu d’une seule… ! Tandis que Barnabé retournera à Chypre avec son neveu, Paul, avec un nouveau compagnon, Sylas, entreprend un nouveau voyage ; ce sera l’occasion d’une première Communauté chrétienne en Europe, lorsque l’apôtre entendra cet appel : “Passe en Macédoine, viens à notre secours“ (Ac. 19.9).

Il faut ajouter qu’entre des hommes animés de l’amour de Dieu, il y a toujours réconciliation. Paul écrira plus tard à son disciple Timothée : “Prends Marc et amène-le avec toi, car il m’est précieux pour le ministère“ (Tim 4.11). Le fougueux Paul qu’il n’était certainement pas toujours facile de suivre savait montrer un cœur plein d’humilité et de véritable tendresse - celle qui vient de Dieu notre Père -.

Pour terminer, je me permets de souligner que l’ensemble du discours de Paul que la lecture d’aujourd’hui nous présente vient corroborer la remarque émise hier : l’incessante méditation de Paul fut la Bible et encore la Bible. Son discours, certainement très abrégé, résumé par Luc reprend toute l’histoire sainte pour la faire “récapituler“ en Jésus, Sauveur !

Nous-mêmes, en écoutant Paul, en lisant la Bible, puissions-nous faire “récapituler“ toute l’histoire avec l’histoire même de notre vie en Jésus-Sauveur !

mercredi 18 mai 2011

Début du Christianisme

Pâques 4 Mercredi (Ac. 11, 19-26)

Après avoir décrit la venue de l’Esprit-Saint sur les païens de Césarée, grâce à la prédication de Pierre, St Luc concentre son récit sur Antioche qui devient en quelque sorte la capitale du Christianisme, en cette ville “où pour la première fois le nom de « chrétiens » fut donné aux disciples“ (Ac. 11.26).

Antioche était la troisième ville de l’empire romain après Alexandrie et Rome. Il y avait une forte communauté de Juifs émigrés de Palestine au temps de la persécution des Séleucides. Et St Luc souligne que c’est encore à la suite d’une persécution - celle qui suivit le martyre d’Etienne - que les chrétiens arrivèrent en cette ville. Et là, se souvenant peut-être de la “pentecôte des païens“ à Césarée, ils se mettent à prêcher en dehors des cercles juifs : ils s’adressent aux Grecs, aux païens qui se convertissent en grand nombre. Cela inquiéta “l’Eglise qui était à Jérusalem“ qui envoie à Antioche - une sorte de légat, dirait-on aujourd’hui - Barnabé qui était de Chypre, l’un des premiers qui avait mis toutes ses propriétés en commun dans l’Eglise de Jérusalem (Ac. 4.36).
Barnabé était un homme lucide, intelligent. Non seulement il encourage les chrétiens à continuer dans la ligne qu’ils avaient prise, mais c’est lui qui a lé génie (inspiré certainement) d’aller chercher à Tarse l’homme de la situation : Saul de Tarse !

Je me permets de faire une réflexion interrogative qui me plaît et qui vous plaira sans doute : après sa conversion, le futur apôtre est monté à Jérusalem. Là, on a eu très peur : son zèle de nouveau converti déclenche une persécution analogue à celle qu’avait déclenchée le zèle d’Etienne. Alors, gentiment, on l’a reconduit à Césarée où il a pris le bateau pour Tarse. Or, avez-vous calculé le temps écoulé entre ce moment du retour à Tarse et celui où Barnabé est venu le chercher pour le mener à Antioche (Ac 11.25) et engager avec lui ses voyages missionnaires ? Presque dix ans !

Mais qu’a donc fait le fougueux Paul durant dix ans ? Je pense qu’il a relu toute la Bible et qu’on peut lui appliquer la célèbre phrase de Luc à propos des disciples d’Emmaüs : “Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, Jésus leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait“ (Lc 24.27). Après avoir vu son Seigneur sur le chemin de Damas, Paul a appris à le dévisager dans toute la Bible ! C’est peut-être la raison pour laquelle il éprouva le besoin de “faire retraite“ en Arabie (Gal 1.17).
Je ne peux m’empêcher de penser que l’apôtre, après le choc de sa conversion, avant même de joindre les Apôtres à Jérusalem, a éprouvé le besoin de réfléchir profondément sur la continuité du message du Christ avec la Loi et les Prophètes. Il éprouva le besoin, lui, l’ancien “pharisien, fils de pharisien“, de se rendre au désert de Moïse et d’Elie, l’Horeb. L’apôtre a du éprouver un besoin semblable à celui qu’éprouva Jésus lorsqu’il s’entretint, sur la Montagne de la Transfiguration, de l’exode, au plein sens du mot, qu’il avait à accomplir à Jérusalem par sa mort et sa résurrection dans le cadre de la fête de la Pâque. Ce fut certainement, en tous les cas, un des grands sujets de réflexions de ce converti !
On peut dire que ce qui absorba Paul, ce fut la Bible et encore la Bible. Il l’apprit par cœur pour ainsi dire. Durant ses voyages, il ne pouvait emporter les précieux et volumineux rouleaux de la Loi. Pourtant ses lettres regorgent de citations empruntées à presque tous les livres de l’A.T. C’est que Paul tenait la Bible pour le plus grand trésor du monde ! Pendant dix ans, il a du lire, relire la Parole de Dieu… !

Avec Barnabé, il passe une année à Antioche où ils vivent en « chrétiens », en “Christoi“ (disciples du Christ) et “Chrestoi“ (témoins de la bonté de Dieu) - selon l’étymologie rappelée hier -, puisqu’à la suite d’une famine, ils organisent une collecte en faveur des frères de Judée et vont même la porter à Jérusalem !

Puis, Luc rappelle la persécution d’Hérode (Hérode Agrappa 1er, le neveu de Hérode Antipas – cf. Lc 22.8-12) qui eut comme conséquence la mort de Jacques, le frère de Jean, et l’emprisonnement de Pierre. Pierre est délivré miraculeusement ; il part “vers une autre destination“, dit Luc de façon sibylline. En tous les cas, Luc ne reparlera du premier Apôtre qu’une seule fois. Il va concentrer son récit sur les voyages missionnaires de Paul.

Luc nous fait deviner que l’Eglise d’Antioche était d’une grande vivacité. En son sein, il y a des prophètes et des docteurs… On n’y est pas avares de paroles ! St Luc nomme quelques-uns d’entre eux dont Saul, mais en dernier de liste. C’est peut-être à remarquer pour le moment ! Et l’Esprit-Saint est à l’œuvre dans cette communauté : c’est le début des grandes missions, de toutes les missions : “Mettez-moi à part Barnabé et Saul en vue de l’œuvre à laquelle je les ai appelés“.

Dieu nous appelle tous à accomplir une œuvre… Savons-nous la discerner réellement et surtout l’accomplir ?

mardi 17 mai 2011

Le "Chrèstien" - Epikie

Pâques 4 Mardi (Ac. 11, 19-26)

Luc nous a décrit ce qu’on a appelé la “Pentecôte des païens“ : l’arrivée de Pierre à Césarée Maritime, sa prédication dans la maison du centurion Corneille et cette descente soudaine de l’Esprit Saint sur ceux qui écoutaient sa parole. Plus tard, on conclura à Jérusalem : "Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie !" (Ac 11.18)

L’Eglise ne sort pas encore du judaïsme, mais d’une conception que l’on se faisait, à l’époque, de l’élection. Il n’y a pas de rupture dans la continuité du peuple de Dieu, mais élargissement, épanouissement de l’élection. A Jérusalem, lors de la Pentecôte, il n’y avait que des juifs, des prosélytes et des “craignants Dieu“. Ensuite, à Césarée, l’Esprit Saint tombe sur les païens. L’étape est importante. Et St Luc veut montrer que Pierre a joué le rôle principal dans le franchissement de cette étape, avant de concentrer son attention sur celui qui sera l’“Apôtre des gentils“…

C’est encore une nouvelle et décisive étape. Et Luc note que c’est à Antioche qu’apparaît pour la première fois le nom de “chrétien“. Comme pour constater une nette distinction entre judaïsme et christianisme.

Le nom de “chrétien“ !
Il est à noter que si les manuscrits ont souvent hésité entre les prononciations “christianoi“ (ceux du Christ) et “chrestianoi“ (ceux qui sont bons), il est certain qu’un jeu de mots intentionnel était courant dans la primitive Eglise. “Ceux qui ont cru au Christ (“eis ton Christon“), dira Clément d’Alexandrie, sont bons (“chrèstoi“)“.


Le mot “chrèstos“ désigne la bonne qualité des choses, saines, agréables au goût [“Quiconque boit du vin vieux n’en désire pas du nouveau, car il dit : « le vieux est bon - chrèstoi“ »“ (Lc 5.39) ].
Chez les humains, il exprime l’excellence, la bonne qualité morale, l’honnêteté, la droiture, l’homme de bien [le “halosagathos“ - le “gentleman“, l’“honnête homme“]. “Chrèstos“ est apparemment l’épithète honorifique le plus commun à l’époque hellénistique.


Pour St Paul, cette “chrèstotès“ ou “bénignité“ est un attribut de l’“agapè“, de cet amour qui vient de Dieu et qui fait le chrétien. “L’amour, dira-t-il, prend patience, l’amour est serviable“ = bon - “chrèsteuetai“ - (I Co 13.4) [Cf. aussi Rm. 2.4 ; 2 Co 6.6 ; Gal 5.22]. - Dire que le “charitable“, - celui qui a reçu l’amour de Dieu“ - est “chrèstos“, c’est signifier d’abord - selon la langue contemporaine - qu’il est un homme d’honneur et qu’il a bon cœur. Les septantes traduisent ce mot par bénignité, douceur, suavité… Dans Col. 3.12, St Paul insère cette bénignité entre sentiment de compassion (“entrailles de miséricorde“) et humilité. Et cette bénignité, cette bienveillance foncière doit se traduire visiblement en affabilité, aménité, on pourrait dire en gentillesse.


De même que tout chrétien expérimente la délicieuse bonté de Dieu (Cf I Pet. 2.3), lui-même doit rayonner la suavité, la bénignité de l’amour divin. St Thomas d’Aquin (commentant 2 Co. 6.6) dira : “Il n’est pas convenable que quelqu’un ne soit pas doux (de cette douceur venant de Dieu) envers ceux qu’il aime…“. C’est ainsi que l’invisible amour de Dieu doit se refléter sur le visage de ses enfants. D’ailleurs, l’incarnation du Fils de Dieu ne fut-elle pas, selon Paul, une épiphanie de la bonté (“chrèstotès“) de Dieu (Tite 3.4).


Et cette bonté est éminemment libérale et généreuse. Le chrétien (le “chrèstos“) est non seulement serviable, obligeant, mais donnant ; et c’est pourquoi la “bonté chrétienne“ (“chrèstotès“) est une vertu de roi, de riche, un attribut divin : “Considère la bonté de Dieu, pourvu que tu demeures en cette bonté…“ (Rm 11.22 – Cf. Rm 2.4)…, car “par sa bonté pour nous en Jésus Christ, Dieu a voulu montrer l’incomparable richesse de sa grâce…“ (Eph. 2.7). Ainsi Le chrétien (bon) doit être comme la providence de son prochain ; il dépense et se dépense pour l’aider : “Pour moi, dira Paul aux Corinthiens, je dépenserai et me dépenserai tout entier pour vous“ (2 Co. 12.15).

On a dit que tous ces aspects du tempérament chrétien modelé par l’agapè divin, peuvent être résumés dans le terme d’“épikie“ (terme qui était encore naguère dans notre langage juridique), terme intraduisible qui exprime l’honorabilité et la droiture, la santé morale et l’équilibre du jugement que l’on reconnaît surtout au sens de la mesure, au respect des convenances, à la gentillesse. L’“épikie“ est une vertu des supérieurs et des princes. Elle désigne
tantôt leur courtoisie, [“Pour ne pas d’importuner, dit Tertullus, l’accusateur de Paul devant le gouverneur Félix, l’exposé sera bref auquel je te prie d’accorder ton attention bienveillante - “epieikeia“ - (Ac. 24.4)],
tantôt leur bienveillance et leur clémence [“Mais toi, Seigneur, dominant ta force, tu juges avec modération - “epieikeia“ - (Sag 12.18)],
tantôt cette débonnaireté qui modère la sévérité du courroux, ou cette équité qui corrige ce que la stricte application de la loi écrite pourrait avoir d’odieux et d’injuste.
En Dieu elle est synonyme de miséricorde [“Tu as agi envers nous, Seigneur, selon toute ton indulgence - “epieikeian“ et ton immense tendresse“ (Bar. 2.27)].

Les chrétiens (“Christoi“ ou “Chrèstoi“) ont donc à pardonner, à réprimer toute brutalité, à faire preuve de bienveillance, de modération : “La sagesse d'en haut, dit St Jacques, est tout d'abord pure, puis pacifique, indulgente, bienveillante, pleine de pitié, sans partialité, sans hypocrisie“. (Jc 3.16-17). C’est cette bonne grâce, cette gentillesse, cet esprit de bienveillance entre tous les membres de l’Eglise qui suscitent l’admiration universelle : “Que votre modération - “epieikès“ - soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche“ (Phil. 4.5).

dimanche 15 mai 2011

Le "vrai Berger" !

4ème Dimanche de Pâques A 11

Pour beaucoup, le berger et son troupeau sont des images lointaines, presque irréelles. Peut-être que les jeunes, les enfants ont vu un vrai berger avec son troupeau, en Savoie, dans les Pyrénées… Mais c’est seulement un souvenir de vacances ; ce n’est pas l'Évangile !

Pour nous, adultes de ma génération, la figure du Bon Pasteur évoque peut-être une “image de première communion”... Je me souviens de l'imagerie pieuse dont on garnissait les missels autrefois : un doux Jésus, à la chevelure blonde, une petite brebis enroulée autour de son cou. Cela non plus n'est pas l'Évangile. C'est de la sensiblerie religieuse !

Dans l'Évangile que nous venons d'entendre, il ne s'agit pas de petits agneaux ou de douceur champêtre. Quand Jésus dit : “Je suis le Bon Pasteur, le vrai Berger”, il prononce une parole subversive, qui va lui coûter cher. Car Jésus attaque ! Il attaque les gens influents de son peuple, les responsables, les autorités qui ne le lui pardonneront pas.
Dans le passé, on avait comparé les rois d’Israël à des bergers pour constater qu'ils étaient de mauvais bergers... et Jésus dit : “Moi, je suis le Bon Berger !”.
Au temps de Jésus, les notables religieux, scribes, docteurs de la Loi conduisaient le peuple avec autorité. Et Jésus disait : “Méfiez-vous, ce sont de mauvais bergers... ce sont des guides aveugles. Et puis, ce qu'ils disent, ils ne le font pas. Moi, je suis le Bon Berger”.
Autrement dit, en quatre mots, Jésus écarte tous ceux qui se croyaient les chefs d'Israël et il se présente comme celui qu'il faut suivre, le vrai Berger, un guide sûr pour les hommes.

Il n’est donc pas question d'affadir ces paroles de Jésus avec des images bucoliques, d'autant plus que le Berger évoque la silhouette d'un solide nomade, un lutteur capable de se battre contre les bêtes sauvages qui attaquent le troupeau.
Voilà ce que Jésus a dit, ce jour-là, à ses risques et périls, il y a deux mille ans, en prononçant ces quatre mots : “Moi, je suis le Vrai Berger”.

Mais, ces quatre mots-là..., prononcés par Jésus il y a 2.000 ans... n'ont pas vieilli. Ils sont d'une prodigieuse actualité... puisqu'ils contiennent une réponse à une question essentielle, que tous nous nous posons : Qui donc est Dieu ?... A qui ressemble Dieu ?...
Et Jésus répond : “Dieu, personne ne l'a jamais vu... mais qui m'a vu a vu le Père...”. C'est donc que Dieu, en Jésus est, par toute sa vie, comme un Berger, le Berger de l'humanité. Ce fut l’enseignement du Bx Jean-Paul II.

On se trompe sur Dieu lorsqu'on le dit loin des hommes... Jésus nous dit au contraire que Dieu est, avec lui, en lui, par lui, “sur le terrain”, si je puis dire, comme un berger ! Il est sur “tout terrain”. Toujours sur les routes des hommes, inlassable compagnon de l'aventure humaine. Il est de tous nos voyages, sur nos grandes routes et nos chemins de traverse (cela arrive), sur nos terres ensoleillées comme sur les versants sinistres et dangereux. Et l’on a raison de chanter : “Tu es là au cœur de nos vies !”.
Tu es là, Seigneur ! Tu es avec nous,
* Tu es sur le chemin qui conduit les enfants à l'école !
* Tu es sur les routes qui conduisent au travail !
* Tu es sur les routes de nos vacances !
* Tu es dans les cortèges de noces et aussi d’un décès !
Tu es sur tous les chemins des hommes, comme le Berger de toute humanité !

Oui, on se trompe sur Dieu lorsqu'on le dit indifférent, impassible, au-dessus de nous ! Jésus nous dit que Dieu a lié son sort, qu'il a parti lié avec l'humanité, comme le berger est lié à son troupeau. Tellement lié, tellement solidaire que, lorsque viennent les loups ou les voleurs, ils lui passeront sur le corps. Notre Dieu, révélé sur le visage de Jésus, le vrai Berger, est un Dieu qui donne sa vie pour son troupeau, afin qu'aucune de ses brebis ne se perde.

Oui, on se trompe sur Dieu quand on le dit autoritaire, surveillant impitoyable... Jésus nous dit que Dieu est comme un berger: il ne surveille pas... il veille sur ! Et il part à la recherche de la centième brebis égarée.
On n'a pas fini de s'émerveiller de ce visage de Dieu révélé sur le visage du Berger de l'humanité qu’est Jésus!

Mais une dernière remarque et d’importance : Aujourd'hui, c'est la journée mondiale de prière pour les vocations. Pour les vocations, soit ! Mais je dirais : journée de prière pour la vocation... Car tous, nous avons la vocation ! Oui, tous les baptisés ont la vocation d’accueillir le Christ et donc de révéler avec lui quelque chose du visage de notre Dieu, Berger de toute humanité.
Nous vivons dans un monde dur, rongé par l'incertitude de l'avenir, par la violence et le mal de vivre (Remarquez que ce n’est pas d’aujourd’hui !). Eh bien ! Aujourd'hui, dans ce monde, des hommes et des femmes, en grand nombre, seuls ou ensemble la plupart du temps, ont le souci constant de manifester la tendresse de Celui que Jésus a désigné comme son Père devenu par lui, en lui, avec lui “notre Père“. Et cela en partageant, soulageant la misère, nourrissant les affamés (au sein même de leurs familles), en visitant les malades, accompagnant tout ceux qui souffrent, en attaquant les injustices et que sais-je encore… Et cela au péril de leur vie, parfois, surtout en certains pays, et le plus souvent au péril de leur confort…, à l’exemple de Jésus qui a dit : “Moi, je suis le Vrai Berger”.

Nous avons tous cette vocation-là. Même si c'est au goutte à goutte que nous devons donner notre vie ! Comme le Christ ! Être chrétien, c'est toujours susciter la vie, c’est toujours ressusciter la vie, silencieusement !

Nous avons tous cette vocation-là. Et notre évêque veut réveiller en nous cette vocation-là avec cet élan missionnaire : “Quo vadis“ ! (On en reparlera tout à l’heure). Bien sûr, certains ont la vocation de prêtres, religieux, religieuses. Et je suis sûr que des jeunes (ici même, en ce pays de St Simon Berneux), se posent la question ! Suivre et imiter Jésus, le vrai Berger, pour transformer la vie, même modestement. N’ayez pas peur, leur dirait encore le pape Jean-Paul II. N’ayez pas peur de suivre le Christ, le vrai berger de l’humanité ! N’ayez surtout pas peur, vous les jeunes, d’être, avec l’enthousiasme de votre âge, des contagieux de cette vie qui avec le Christ toujours vivant, ne cesse de ressusciter !

samedi 14 mai 2011

Apôtre !

Pâques 3 - Samedi - Vocation ! (Actes 1.15-26)

La lecture nous présente la vocation de St Matthias dont c’est la fête aujourd’hui !
C’est une occasion de prier pour les vocations, - d’autant que demain et la journée de prière pour les vocations -, vocations sacerdotales, religieuses, certes, mais aussi pour la vocation de chacun d’entre nous tous, la vocation de tout baptisé. Car le Christ appelle chacun d’entre nous : “Viens, suis-moi !“. Baptisés, nous sommes tous “appelés“ : “Venez à moi !“. Appelés, nous sommes tous “envoyés“ : “Allez !“. D’ailleurs, très habituellement, ce n’est que dans le champ de la “moisson baptismale“ que peuvent fleurir des vocations sacerdotales ou religieuses. Toute l’histoire de l’Eglise l’atteste !

Aussi, prions ! C’est la première nécessité ! Prier, demander ! Certes, dira-t-on, Dieu sait ce dont nous avons besoin, ce dont son Eglise a besoin. Oui, mais il veut que notre propre désir s’enflamme dans la prière pour nous rendre davantage capables de recevoir ce qu’il prépare, ce qu’il désire pour nous ! Or, la demande la plus urgente et la plus importante à formuler est bien celle-ci : “Que ton Règne vienne !“. Cette prière de demande contient toutes les autres : “Demandez de grandes choses, disait Origène ; et les petites vous seront ajoutées“.

C’est à remarquer : juste avant l’élection de Matthias, Luc note : “Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec ses frères“. Et, ensuite, l’assemblée priait ainsi : “Seigneur qui connais le cœur de tous les hommes, montre-nous celui que tu as choisis“… Montre-nous, Seigneur ceux que tu choisis… Donne-leur l’énergie, la force de te répondre… ! Montre, Seigneur, à chacun de nous ton appel. Rappelons-nous notre vocation !

Et il est assez significatif que juste après l’élection de Matthias, Luc relate la venue de l’Esprit Saint, au jour de la Pentecôte. La prière suscite toujours la venue du Saint Esprit afin que tout “appelé“ puisse prier, être enseigné, conduit ! C’est la marque de tout apostolat ! L’Esprit vient…
- pour prier : L’Esprit vient en nous car “personne ne peut dire : “Jésus est Seigneur“ (Dieu) que sous l’action de l’Esprit Saint (I Co. 12.3).
- pour enseigner : Jésus avait promis : “L’Esprit vous introduira dans la vérité toute entière“ (Jn 16.13).
- pour conduire : “Seuls sont fils de Dieu ceux qui se laissent mouvoir par l’Esprit de Dieu !“ (Rm 8.14).

“Priez sans cesse“, recommandait St Paul ! Prions pour toutes les vocations : “Viens, Esprit Saint, Viens en nos cœurs, Visite l’âme de tes fidèles“, en vue de “l’appel d’en-haut que Dieu nous adresse en Jésus Christ“ (Phil. 3.14). C’est ainsi que Dieu suscitera en son Eglise les apôtres dont elle a besoin, car “comment invoquer Dieu sans croire en lui ? Comment croire sans d’abord entendre ? Comment entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être envoyé ?“ (Rm 11.14). Ne cessons donc pas de prier : Que le Seigneur envoie des ouvriers pour sa moisson !

Remarquons encore que toute vocation – baptismale, sacerdotale, religieuse – a une double fonction :
- Le baptisé, le prêtre, le religieux doivent être d’abord des témoins : “Il faut que l’un d’entre nous devienne témoin de la Résurrection“. C’est ce que le Christ dira lui-même à Paul sur le chemin de Damas : “Je te suis apparu pour t’établir témoin de la vision dans laquelle tu viens de me voir…“ (Actes 26.16). Le baptisé, tout missionnaire doit être témoin de cette révélation qu’il reçoit intérieurement : le Christ est ressuscité ; il est Vivant parmi nous, en nous. Celui qui est “appelé“ et “envoyé“ témoigne que le Christ ne cesse de ressusciter et de vivre en lui, en chacun de nous. Il est le Vivant qui conduit à la Vie !
- Témoin de la Vie du Christ en lui, alors, il ne peut pas ne pas dire : “Nous ne pouvons pas ne pas publier ce que nous avons vu et entendu…“ (Actes 4.19). “Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Evangile“, dira St Paul (I Co. 9.16).

Aussi, pour terminer, je me permets une réflexion : N’avez-vous pas eu, vous aussi, à un moment de grâce, comme l’expérience palpable de la présence du Christ en vous, de la Résurrection du Christ en chacun de vous ?

L’apostolat de tout baptisé, prêtre ou religieux, c’est d’abord expérimenter cette puissance du Christ ressuscité qui est capable de “mener par-delà…“, dit le ps. 48ème, “al mouth“ : par delà, par delà tout, par delà la mort“ elle-même. “Non, je ne mourrai pas, je vivrai, je chanterai les merveilles du Seigneur !“ (Ps 118.17). Chanter cette expérience du Vivant en nous, c’est la “liturgie“ de toute notre vie : “Il est juste et bon de te louer…“. Laudare, benedicere, predicare : louer, bénir, prêcher… C’est proclamer les hauts faits de Dieu : Magnificat, disait Notre Dame ! “contemplata aliis tradere“, disait St Thomas d’Aquin : transmettre aux autres ce que l’on a vu, contemplé !

jeudi 12 mai 2011

Paul !

Pâques 3 Vendredi (Actes 9.1sv)

Je vous laisse le soin de méditer vous-mêmes, si vous le voulez, la conversion de Paul. Cet évènement capital est relaté trois fois par St Luc (ch. 9, 22, 26), récits qu’il faut confronter encore avec ce que St Paul dit de lui-même dans l’épître aux Galates…

Je me permettrai aujourd’hui de présenter cet apôtre très particulier en rappelant trois caractéristiques qu’il souligne lui-même et qui sont utiles quand on veut lire ses écrits :


1. “Je suis né à Tarse, ville qui n’est pas sans importance“

Au temps de Paul, Tarse était une vieille cité qui pouvait compter quelques 300.000 habitants et qui avait un port important à une quinzaine de kilomètres. A cause justement de sa “position commerciale“, la population était extrêmement mélangée : autochtone anatoliens, Grecs, Romains, Juifs… Les institutions s’y mêlent ; les cultures aussi. C’est un endroit où l’Orient rencontre l’Occident. On comprend ainsi qu’il fut assez facile pour Paul, plus tard, de ne pas admettre de différence entre Juifs et Gentils, entre Grecs et Barbares, entre hommes libres et esclaves…

Beaucoup de grands hommes étaient passés à Tarse : Pompée, César, Marc-Antoine et la fameuse reine d’Egypte qui vint le rencontrer en grande pompe et magnificence. L’empereur Auguste avait comblé la ville de privilèges ! … Cicéron avait gouverné la province. Et à l’époque où Paul n’était qu’un enfant, un vénérable professeur y terminait sa vie, Athénodore, l’ancien précepteur et ami de l’empereur !

Sans doute que Paul, Juif et fidèle observant de la Loi, n’a pas fréquenté les écoles grecques. Cependant, dès l’enfance, il a respiré la culture hellénique dont vibrait cette ville de Tarse et où il a apprit la langue commune (la koinè) dans laquelle il écrira ses lettres et qui, si “vulgaire“ fut-elle, véhiculait avec elle quelque chose de la sagesse grecque ! - Peut-être que jeune, Paul a succombé à la tentation d’aller applaudir, avec ses camarades, les vainqueurs des sports (“jeux du stade“), ce qui était pourtant interdit pour un Juifs. En tous les cas, c’est à ces “jeux du stade“ qu’il empruntera ses plus belles comparaisons [“Vous couriez si bien“, dira-t-il aux Galates (5.7) - “je poursuis ma course…“ (Phil. 3.12sv) etc].

Il se souvenait peut-être des initiés du culte d’Isis (pratiqué à Tarse) qui se présentaient revêtus d’un vêtement céleste, lorsqu’il enjoindra de “revêtir le Christ“ (Rm 13.14 – Gal 3.27). Et pour enseigner le mystère de la Rédemption, il aura peut-être en mémoire la scène souvent vécue de la libération d’un esclave (Cf. I Co. 7.22).

Quand on lit St Paul, il faut se placer dans cette ambiance culturelle, cultuelle… de Tarse. Quand il passait la porte de la ville, il lisait, sous la statue de Sardanapale (dernier et légendaire roi d’Assyrie 7ème s.), cette curieuse inscription assyrienne : “Voyageur, mange et bois et laisse-toi vivre !“ qu’il utilisera : “Si les morts ne ressuscitent pas, mangeons et buvons…“ (I Co. 15.32)


2. “Je suis Hébreu, fils d’Hébreu“

- Paul était avant tout un Juif ! Son nom, “Shaoul“, signifiait : “Désiré“, “Demandé à Dieu“. On peut supposer qu’il n’eût pas de frère, peut-être une sœur et que sa mère mourut alors qu’il était jeune… Cela expliquerait sans doute ses sentiments de reconnaissance envers certaines femmes rencontrées au cours de ses voyage - particulièrement envers la mère de Rufus qui se dévoua de manière si délicatement féminine (Cf. Rm 16.13)-.

- Toute sa vie, Paul restera fier d’être Juif (Cf. Phil 3.5sv – Rm 11.1…) et gardera pour son peuple une tendresse filiale : “Je souhaiterais être maudit moi-même… pour mes frères, pour ceux de ma race selon la chair…“ (Rm 9.1sv)

- Le père de Saul était pharisien de la plus stricte observance. Il dut lui-même initier son fils à la langue de la Bible (livre qu’à l’école il apprit dans la version grecque des Septante). Dès l’âge de cinq ans, il apprenait par cœur l’essentiel de la Torah. A dix ans, il fit l’expérience de la tradition orale : préceptes, règlements, purifications diverses… Expérience plus “étouffante“ et moins heureuse sans doute dont il fait allusion en sa lettre aux Romains (Rm 7.9sv) et qui lui fera donner ce conseil : “Et vous, parents, n’exacerbez pas vos enfants…“ (Eph 6.4).

- Un principe très sain était en honneur dans les familles pharisiennes : concilier l’étude de la Torah avec une occupation manuelle. Le père de Saul était sans doute un riche marchand de tissu et un fabricant de tentes. Le jeune Saul apprit donc ce métier… Et il gardera une très haute estime pour le travail manuel (Cf. I Thess 2.9 – II Thess 3.7sv – Act. 20.34).

- A 18 ans, il est envoyé à Jérusalem pour achever sa formation auprès d’un grand Maître. Les “théologiens“ d’alors se partageaient à Jérusalem en deux écoles : l’école d’Hillel, de caractère souple, conciliant qui trouvait facilement un moyen d’échapper à la rigidité de la Loi, et l’école de Shammaï qui s’attachait fanatiquement à la lettre. Gamaliel, le Maître de Paul, était le petit fils d’Hillel, se montrant digne de son ancêtre. Saul devint son disciple et son admirateur (Cf. Gal 1.14).

- Ce qui absorba Paul, ce fut la Bible et encore la Bible. Il l’apprit par cœur pour ainsi dire. Durant ses voyages, il ne pouvait emporter les précieux et volumineux rouleaux de la Loi. Pourtant ses lettres regorgent de citations empruntées à presque tous les livres de l’A.T. C’est que Paul tenait la Bible pour le plus grand trésor du monde !
Une réflexion à ce sujet puisque la lecture d’aujourd’hui nous rappelle la conversion de Paul. Après son baptême, il est monté à Jérusalem. Là, on a eu très peur : son zèle de nouveau converti déclenche une persécution analogue à celle qu’avait déclenchée le zèle d’Etienne. Alors, gentiment, on l’a reconduit à Césarée où il a pris le bateau pour Tarse. Or, avez-vous calculé le temps écoulé entre ce moment du retour à Tarse et celui où Barnabé est venu le chercher pour le mener à Antioche (Ac 11.25) et engager avec lui ses voyages missionnaires ? Presque dix ans ! Mais qu’a donc fait le fougueux Paul durant dix ans ? Personnellement, je pense qu’il a relu toute la Bible et qu’on peut lui appliquer la célèbre phrase de Luc à propos des disciples d’Emmaüs : “Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, Jésus leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait“ (Lc 24.27). Après avoir vu son Seigneur sur le chemin de Damas, Paul a appris à le dévisager dans toute la Bible !


3. Par ma naissance, je suis citoyen romain !

Ce titre lui revient par droit de naissance ; Son Père l’avait-il acheté ou en avait-il hérité lui aussi ? En tous les cas, Paul s’en réclame à plusieurs reprises pour se tirer d’embarras (Cf. Act. 16.37 ; 22.29). Et ce titre lui permit d’en appeler à César dans le procès que lui intentèrent les Juifs (Ac. 25.11). Il semble cependant que Paul n’a pas revendiqué ce titre que par utilité. Il en était fier. Il semble avoir admiré l’ordre romain, voyant peut-être en lui l’obstacle qui empêcherait que s’établisse le règne de l’“homme d’iniquité“…


Voilà en quelques mots le portrait intellectuel, moral, religieux de l’homme converti sur le chemin de Damas !

Son portrait physique ? Personne ne peut nous renseigner. Bien sûr, l’imagination a voulu suppléer : On imagine l’apôtre facilement petit, chétif d’après II Co.10.10, “avorton“ même d’après I Co. 15.8. D’après Gal 4.13, on lui attribue toutes sortes de maladies. Quant à “l’écharde dans sa chair“ (I Co 12.2.9), mieux vaut reconnaître notre ignorance… En tous les cas, on peut affirmer qu’il devait avoir un tempérament plutôt robuste pour supporter les itinéraires qu’il a suivis dans les conditions où il les a parcourus et pour endurer tous les mauvais traitements dont il fut souvent l’objet !

Une dernière remarque : Paul, de Tarse, gardera une mentalité citadine ! Il n’est jamais question dans ses lettres des magnifiques paysages du Taurus qu’il a traversés ou de ceux des côtes de la mer Egée ! Il avait un esprit curieux, ouvert à tout et à tous. Il avait le goût du beau langage, ayant acquis une solide culture hellénique. Et de sa formation juive, il gardera toujours le sens de l’Ecriture, l’estime de la Tradition, le souci de l’orthodoxie et aussi, il faut le dire, une subtilité toute rabbinique !

mardi 10 mai 2011

Martyre !

Pâques 3 Mardi - (Actes 7.51sv)

Au-delà de ce qui s’est passé à Jérusalem en ces heures bouleversantes du matin de Pâques, il y a - et c’est une seconde étape importante -, il y a la manière dont la Pâque du Christ s’est ensuite inscrite, incrustée dans la vie et le destin des apôtres, des premiers chrétiens. Si Pâques veut dire “passage“, passage de la mort à la vie, les récits du livre des Actes des apôtres et de leurs diverses lettres nous font assister au passage des disciples de l’obscurité et de la faiblesse à la lumière et au courage auxquels les a conduits l’intrusion en eux et parmi eux de l’Esprit du Ressuscité ! Transformés, renouvelés, c’est toute leur existence qui désormais “témoigne“ du rythme pascal de mort et de renaissance en Jésus Christ !

A leur suite, par la force du baptême qui nous a plongés et nous plonge à tout moment - on l’oublie trop facilement parfois - dans la mort avec le Christ pour renaître, revivre avec lui, nous devons en tout instant, nous aussi, être les “témoins“, par nos paroles, par nos actes, par toute notre existence, de ce passage pascal dont nous “faisons mémoire“ par l’Eucharistie, afin qu’il s’actualise de plus en plus en nous pour que nous parvenions au Royaume de Dieu !
- Il nous faut prendre conscience des véritables aliénations dont nous sommes victimes, que sont le péché et finalement la mort…
- Il nous faut prendre conscience de la véritable liberté à laquelle nous sommes appelés, liberté qui n’est rien moins que le “repos en Dieu“ : voir Dieu comme il nous voit présentement.
- Oui, il nous faut prendre conscience de ce passage que nous avons à faire et à refaire constamment, que nous avons déjà fondamentalement fait par notre baptême (par notre profession religieuse…). Il faut le dire et se le redire : spirituellement, ce que nous avons fait reste toujours à faire !

Etre des “témoins“ de Pâques comme les apôtres ! En grec, le mot “témoin“, c’est “martus“ d’où est venu le mot “martyre“. Oui, notre vie de baptisé est, doit être un “martyrion“, un témoignage qui peut aller jusqu’au don de soi-même (n’est-ce pas un aspect de la “profession monastique“ ?), qui peut aller jusqu’à verser son sang à l’exemple du Christ. Et n’est-ce pas un devoir pour nous d’avoir à la pensée toutes celles et tous ceux qui sont ces sortes de “témoins“ donnant leur vie jusqu’à épuisement…, jusqu’à verser leur sang…


Pour en revenir au protomartyr, St Etienne, qui nous est présenté tous ces jours-ci, on peut dire, d’après les Actes des apôtres, que l’Eglise primitive, afin de nous faire goûter, dès le commencement, l’absolu de notre vocation baptismale, a voulu mettre en valeur ce grand moyen d’être “témoin du Christ“, celui du martyre !


St Etienne, premier martyr, l’Eglise étant à peine née ! Il est à remarquer qu’à cette occasion, c’est la première fois qu’il est question de Paul : il gardait les vêtements de ceux qui lapidaient Etienne !... Plus tard, il se vantera d’avoir été élève de Gamaliel, le plus célèbre rabbin de Jérusalem. Il n’est pas défendu d’imaginer ces deux garçons - Etienne et Saul - comme étudiants ensemble à Jérusalem, mais appartenant à des tendances différentes : ironie mordante du martyre que Notre Seigneur avait prévu au sein même d’une famille… Mais qui dira le rôle d’Etienne dans la conversion de Saul, s’il est vrai que “le sang des martyrs est une semence de chrétiens“ (Tertullien) ?

Dans l’Eglise primitive, le martyre fut, en quelque sorte, le seul et grand “témoignage“, jusqu’à la conversion de l’Empire au christianisme, ce “témoignage“ toujours inscrit au fond de notre être par le caractère baptismal, ce qu’exprime bien St Paul dans sa lettre aux Philippiens, par exemple : “Il s'agit de connaître le Christ - et la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances - (pour) devenir semblable à lui dans sa mort afin de parvenir, s'il est possible, à la résurrection d'entre les morts… - Nous, les "parfaits" (= “baptisés“), comportons-nous donc ainsi, et si en quelque point vous vous comportez autrement, là-dessus aussi Dieu vous éclairera. En attendant, au point où nous sommes arrivés, marchons dans la même direction (3.10sv)
N’avait-il pas prévenu son disciple Timothée : “Tous ceux qui veulent vivre avec sincérité dans le Christ seront persécutés !“ (2 Tim 3.12).

Il faudrait, là, relire les célèbres lettres d’Ignace d’Antioche : “Laissez-moi être la pâture des bêtes. Par elle, il me sera possible de rencontrer Dieu !“. Et puis sachons nous dire ce qu’écrivait Jean Tauler, par exemple : “Certains subissent le martyre une bonne fois par le glaive ; d’autres connaissent le martyre qui les couronne de l’intérieur !“. Paul VI, ce grand souffrant intérieur, écrivait : “Il est nécessaire que l’Eglise souffre. Pour sa fidélité au Christ. Pour son authenticité. Pour renouveler sa capacité de parler au monde et de le sauver. Le martyre est un de ses charismes“.