mercredi 24 août 2011

St Barthélémy

24 Août -

Historiquement, nous ne savons que peu de choses sur St Barthélémy. Mais enfin, c’est un apôtre choisi par Notre Seigneur. Et c’est déjà beaucoup. Et c’est suffisant !

Il est cité dans les quatre listes des apôtres : Mth 10 ; Mc 3 ; Lc 6 et Ac. 1. A leur suite, si seulement toute notre vie pouvait revêtir une couleur apostolique : accueillir le Christ - Verbe de Vie - en toute notre vie afin d’être témoin de la présence du Ressuscité en nous, autour de nous, dans le mystère de la Communion des Saints ! Plus une âme s’élève vers Dieu avec la puissance de l’Esprit du Christ, plus elle élève le monde, a-t-on-dit, en Dieu ! N’est-ce pas le but de toute vie de baptisé, de toute vie de consacrée ? C’est aussi simple que difficile, parfois ! Aussi, mettons-nous sous la protection implorée des apôtres d’hier et d’aujourd’hui !

Le nom de “Barthélémy“ signifie “fils de Tholmaï“. On s’est demandé si Barthélémy ne serait pas Nathanaël, ce disciple originaire de Cana qui se donne à Jésus uniquement lorsque le Maître lui a prouvé qu’il connaît ses pensées inexprimées (Cf. Jn 1.45sv). C’est la raison du choix de l’évangile. Barthélémy appartiendrait alors, comme Philippe qui l’amène à Jésus, au groupe des premiers apôtres, Jean, André et Pierre. Comme eux, il serait alors de Bethsaïde et sans doute aussi, comme eux, pécheur du lac.

L’oraison du jour loue la foi sincère de Barthélémy. Allusion évidente à la parole de Jésus : “Voici un véritable fils d’Israël, sans détour !“. C’est donc bien un descendant de Jacob qui, lui, par contre savait parfaitement mentir avant que Dieu le convertisse finalement en “Israël“, patriarche du peuple Juif. Comme son nom - Jacob - peut le signifier, il avait l’esprit “tordu“ en pratiquant des mensonges éhontés pour mieux supplanter son frère et ceux qu’il rencontrait.

Il faut toujours souligner cet aspect, me semble-t-il : Dieu choisit souvent des hommes pécheurs - Jacob, David et tant d’autres… et les apôtres eux-mêmes… - pour les faire progresser personnellement et dans leur descendance en la suite des âges vers la plénitude du Royaume de Dieu à acquérir !

Ne désespérons donc jamais : nous sommes insérés en cette foule immense que décrit l’apocalypse et qui monte vers la Cité Sainte, la Jérusalem céleste dont Dieu seul est “l’architecte et le fondateur“ ! (Heb. 11.10). Nous ne serons pas chrétien tout seul - quelle prétention - ! “Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu !“ (Heb 4.16)

D’après les apocryphes ou certains auteurs, Barthélémy aurait évangélisé la Lycaonie, la Phrygie, les pays du Bosphore et même les Indes où il aurait apporté l’évangile araméen de Matthieu (D’après Eusèbe de Césarée + 340).

Ainsi les manuscrits du Martyrologe hiéronymien commémorent St Barthélémy aux 24-25 Août “dans les Indes“ ; et le 13 juin “ en Perse“. Bède le Vénérable (+ 735) et Florus de Lyon (Début du 9ème s.) le placent le 24 Août “dans l’Inde“. Les Grecs le fêtent avec St Barnabé le 11 Juin. Peu importe finalement ! Et retenons surtout l’essentiel, à savoir la belle profession de foi de cet apôtre Barthélémy-Nathanaël : “Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le Roi d’Israël !“

dimanche 21 août 2011

Pierre, Grand-Prêtre de l'Eglise

21ème Dimanche 11/A -

Aujourd'hui, St Matthieu nous entraîne près des sources du Jourdain, vers cette ville que Philippe, l’un des fils d’Hérode, avait fondée en l’honneur de l’empereur ; c’était Césarée de Philippe. Aujourd’hui, elle a retrouvé son nom d’origine, Banias, ainsi dénommée naguère en l’honneur du dieu Pan, ce dieu musicien qui, parmi les roseaux des lacs, choisissait le bois de ses flutes tout en effrayant les nymphes des environs qui s’enfuyaient prises de peur panique ! Mais ce lieu de légendes païennes était, dit Flavius Jospèphe, “un endroit grandiose, ultime contrefort de l’Hermon qui culmine à près de 3.000 mètres, où d’une falaise volcanique rouge-feu jaillit, au milieu des eucalyptus et figuiers, des fleurs et arbustes agréablement odorants“, ce fleuve dont le nom “Jourdain“ veut dire “descendre“ (Yarden). Il dévale en effet jusqu’au point le plus bas du globe, la mer morte (- 400 m) comme pour la purifier, l’assainir, entraînant en ses eaux les bienfaits de Dieu-Créateur.

C’est dans ces eaux descendantes que Jésus a voulu se faire baptiser par Jean, son précurseur, afin de prophétiser, Lui, les bienfaits de Dieu-Rédempteur : Lui, de condition divine, écrira St Paul, il s’est abaissé, il est descendu, devenant semblable aux hommes. C’est pourquoi Dieu l’a relevé, lui conférant le Nom qui est au-dessus de tout nom. Il est remonté, nous entraînant, régénérés par les eaux du baptême, dans la gloire de son Père ! (Cf. Phil 2.6sv).

Aussi, cet immense bienfait de l’Alliance en la Gloire divine, Jésus veut déjà le transmettre pour la suite des siècles, en cet endroit majestueux des sources du Jourdain !

Il est entouré de ses disciples qui l’ont suivi, se sont mis à son école. Et il leur pose une question simple : "Au dire des hommes, qui suis-je ?". Ses disciples ont été souvent témoins de ses faits et gestes auprès des malades, des pauvres. - Ils l’ont entendu parler en paraboles. - Ils l'ont vu calmer la tempête. - Ils ont été témoins de son attitude face à la Loi, au shabbat. Ils l’ont entendu parler mystérieusement de la croix, de la mort, de son Père.

Aussi, la question que Jésus pose est comme une invitation à relire ce qu’ils ont déjà entendu, vu, perçu de Jésus. Ils savent, eux, qu’il n’est pas un meneur de foule comme on en trouve à toutes les époques. D'emblée, ils le situent dans le registre des personnages bibliques importants : Jean-Baptiste, Élie, Jérémie. - Et c’est déjà, là, un acte de foi que de savoir replacer une personne dans toute la trame d’une histoire sainte. Savons-nous le faire à l’égard de toute personne rencontrée, à notre égard ? Savoir placer événe-ment et personne dans l’économie divine, cette pédagogie de Dieu qui attire tout homme vers lui !

Mais la première question de Jésus en cache une seconde : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?". La question a été préparée ; elle est directe, ne supporte pas de faux-fuyants. Parmi les disciples, c'est Pierre qui répond, toujours très spontané.

Pierre ! Pierre dont le nom signifie "rocher", nous le rencontrons souvent dans l'Évangile. Il est capable de reconnaître Jésus et de le renier, de marcher à sa suite même sur les eaux et de perdre pied tout aussitôt dans son doute. Ici, répondant à la question de Jésus, il prend vivement la parole devant tout le monde et dit, tout de go, sa foi en Jésus : "Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant !". L’affirmation est énorme : Jésus, reconnu comme Fils du Dieu unique !

Aussi, l’intuition de Pierre - “Tu es le Fils du Dieu vivant !“ - est si extraordinaire que Jésus lui apprend que cette connaissance lui vient de “son Père qui est aux cieux !“, une connaissance qui est en même temps un appel !

Car, par sa réponse, Pierre devient comme le plus célèbre des grands Prêtres dont on parlait encore au temps de Jésus, ce “Simon, fils de Yonas“, qu’évoque le livre du Siracide (ch. 50). Ce Simon demeurait l’archétype du Grand Prêtre qui seul, une fois par an, en la fête du Yom Kippour, en ce “Jour des expiations“ pour les péchés du peuple, entrait dans le Saint des saints, derrière le voile, et prononçait (ou balbutiait, bafouillait) le Nom de Dieu, ce Nom divin que Moïse avait connu par révélation divine, lui aussi, au “buisson ardent (Ex 3.14. Cf. 15.3), ce Nom que “ni la chair ni le sang“ ne lui avaient révélé, mais seulement le “Dieu Unique et vivant“ !

Ainsi, Pierre en évoquant sur Jésus ce “Nom qui est au-dessus de tout nom“ - “Tu es le Fils de Dieu !“ - remplit déjà, en quelque sorte, la fonction du grand-Prêtre ! Jésus l’appelle déjà, une fois que le voile du temps sera déchiré lors de sa mort pour les péchés du monde entier, à proclamer, à révéler le Nom de Dieu aux hommes, le Nom de ce Dieu “riche en miséricorde !“, “le Nom qui est au-dessus de tout nom“ !

Aussi, Jésus lui dit : “Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise“ : Pierre est prêtre à l’exemple de ce “Simon, fils de Yonas“ ; il reçoit déjà la plénitude du sacerdoce pour pouvoir implorer le Nom de Dieu, ce “Nom qui est au-dessus de tout nom“ sur tout homme pécheur ! En ce lieu de montagne divine, Pierre aurait pu dire avec le psaume : “C’est la rosée de l’Hermon qui descend sur la montagne de Sion. Là le Seigneur a décidé de bénir : c’est la Vie pour toujours ! (Ps 133.3). Et, nous, pécheurs que nous sommes, nous pouvons entendre et comprendre : “Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion…, de la Jérusalem céleste.., et de Jésus, médiateur d’une Alliance nouvelle“ (Heb. 12.22). Et Pierre en est déjà le "Grand-Prêtre !"

Cette “rosée“ de l’Hermon sur Sion, sur la Jérusalem nouvelle qui aura donc pour fondation Pierre et les apôtres (Eph. 2.20), est un immense don de Dieu, (Eph 4.11), une grâce divine qui est inimaginable pour l’homme ! Paul, lui aussi “apôtre, non de la part des hommes, mais par Jésus Christ“ (Gal 1.1) l’affirme à plusieurs reprise et s’en émerveille en notre seconde lecture : "Qui a connu la pensée du Seigneur ?... Les décisions de Dieu sont insondables, ses chemins impénétrables". - Comme Pierre, comme tout apôtre, Paul sera invité par Jésus à reconnaître et à proclamer que “tout est de Jésus, et par lui, et pour lui !“. Il suffit, à l’exemple de Marie, de reconnaître que toujours "Dieu rejette les puissants et élève les humbles“ !

Ainsi, si la réponse de Pierre est une “révélation“ qui vient de loin, qui vient du “Père des cieux“, cette réponse, encore, va très loin : elle est en même temps une vocation, un appel, une invitation à proclamer le “Nom qui est au-dessus de tout nom“, à professer sa foi même devant les tribunaux, comme Pierre le fera d’ailleurs : “Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons entendu et vu“, ce que nous avons reçu par grâce divine (Ac. 4.20) ! Aussi, Jésus fait de Pierre, faible et humble, le “rocher” sur lequel il va asseoir son groupe de disciples, il fait de lui le “Grand-Prêtre“ de sa Communauté nouvelle, l'Église appelée à proclamer, célébrer le “Nom de Dieu !“. Et cette Église, si humaine et fragile qu'elle soit, résistera aux forces de mort : “Tu es Pierre ; et sur cette Pierre, je bâtirai mon Eglise ; et la puissance de la Mort ne l’emporteront pas sur elle”.

Ainsi, la réponse de Pierre vient de loin, de Dieu ; elle va très loin, comme vocation à proclamer, professer… Elle va, doit aller, cette réponse de Pierre, aussi loin que nous sommes nous-mêmes, pour nous entraîner à célébrer la puissance de la Sagesse de Dieu !

C’est ainsi qu’avec Pierre, l’Eglise est fondée ! C’est un point important de notre foi auquel nous devons apporter une grande attention. Car, souligner la connexion qui existe - de par la volonté de Dieu - entre le Christ et l’Eglise, c’est s’inscrire contre tout courant de pensée qui prétend dissocier le Christ de l’Eglise, le Christ de la foi de Pierre !
Le Christ ? dit-on, Oui, nous y croyons !
Mais l’Eglise, Non ! Elle est dépassée ! Curieusement, on la dit toujours dépassée, mais toujours elle subsiste cependant !
Et ainsi, rejetant l’Eglise, que retient-on de l’Evangile ? Oh ! L’Evangile, dit-on alors, c’est une force extraordinaire depuis des siècles, force de solidarité, de fraternité, d’amour, de paix, de justice… …

Et choisissant ce qui paraît admissible de l’Evangile, Jésus lui-même est facilement “récupéré” par des courants de pensée très divers, voire opposés !
C’est le Jésus des non-violents et le Jésus des révolutionnaires !
Il est le Jésus des intégristes comme des progressistes !
Il est encore celui des mystiques et celui des matérialistes !

Et que sais-je encore ? Que sais-je, sinon que ce n’est plus la foi de Pierre que Jésus a louée : “Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant !”. - “Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise”.

Il est bon encore de se rappeler la conversion de St Paul sur le chemin de Damas. Jésus se manifeste à lui et l’‘envoie aussitôt près de la communauté des croyants, près de l’Eglise naissante : “Relève toi, entre dans la ville et là, on te dira ce que tu dois faire” (Ac. 9.6). Et lui-même dira plus tard : Dieu “a jugé bon de révéler en moi son Fils“ (comme pour Pierre). Aussi, “sans recourir à la chair et au sang (sans l’aide de l’homme, comme pour Pierre), je suis partie pour l’Arabie… Puis, je suis monté à Jérusalem faire la connaissance de Céphas (de Pierre) et je suis resté quinze jours auprès de lui !...“ (Gal 1.15 sv).

Ainsi, dissocier l’Eglise de Pierre, c’est dissocier Pierre du Christ. Et le Christ n’est plus reconnu comme Fils de Dieu, Sauveur des hommes. C’est inutile et un grand dommage ! Jeanne, la petite bergère, avait raison elle aussi d’affirmer devant les tribunaux : “Il m’est avis que c’est tout un de Notre Seigneur et de l’Eglise, et qu’on n’en doit pas faire de difficulté !“. Et le pape Paul VI, que je nommerais facilement “martyr de l’Eglise“, ne faisait que répéter : “Aimez l’Eglise ! Car aimer l’Eglise, c’est aimer Jésus Christ !“.

samedi 20 août 2011

St Bernard

20 Août 2011

St Bernard ! C’est un personnage très contrasté que St Bernard qui vécut en un siècle qui le fut lui-même. Une époque remarquable par ces hommes, ces femmes si passionnés de Dieu et en même temps si déconcertants par la rudesse de leurs combats tant sociaux que religieux… ! (temps des Croisades !!!)

Après avoir fait des études que l’on qualifierait aujourd’hui de “classiques“, Bernard entre, à 20 ans, au monastère de Citeaux. Cinq ans plus tard, son abbé l’envoie fonder Clairvaux où il affine sa propre conception de la vie monastique en rappelant avec fermeté la nécessité d'une vie sobre et mesurée : à table comme dans l'habillement et dans les édifices monastiques. Très vite, les fondations se multiplient !

Au cours de ces premières années, Bernard commence une longue correspondance avec de nombreuses personnes, aussi bien importantes que de conditions sociales modestes. Il écrit de nombreux “Sermons“, ainsi que des “Traités“. C'est à cette époque que remonte sa grande amitié avec Guillaume de Saint-Thierry et avec Guillaume de Champeaux, figures importantes du 12ème siècle.

A partir de 1130, il commença à s'occuper de nombreuses et graves questions concernant l'Eglise, surtout en 1145, quand l’un de ses élèves est élu pape sous le nom d’Eugène III. Il dirigea surtout ses écrits polémiques contre Abélard et contre l'hérésie des Cathares, qui, méprisant la matière et le corps humain, méprisaient en conséquence le Créateur. En revanche, il sentit le devoir de prendre la défense des Juifs, en condamnant les vagues d'antisémitisme toujours plus diffuses ! (Surtout au temps des fameuses croisades !)

Quel homme quand même ce Bernard !
Quel homme pour son amour passionné de Dieu !
Quel homme pour l’amitié qu’il exaltait à condition, disait-il, qu’elle prenne sa source en Dieu pour y retourner après avoir tissé des liens qui nous réuniront en Dieu comme les grains juteux d’une belle grappe de la vigne du Seigneur.
Quel homme, entraîneur d’hommes !

Mais quel homme aussi qui se mêle de tout : le Social, la Politique et, bien sûr, l’Eglise ; rien ne l’arrête quand il croit qu’il y va de l’honneur de Dieu et du bien des âmes !

Mais ne s’est-il pas trompé parfois (Après tout, même un saint peut se tromper !) ? Et je pense à ce pauvre Abélard - non pas tant à cause de sa mésaventure avec Héloïse, ce qui l’a rendu trop célèbre pour son malheur - mais bien plutôt à cause de sa grande intelligence mise au service de la pensée toujours en quête de Dieu.

Son intelligence était telle qu’on l’appelait : “Le Maître !“. Spirituellement, c’est le temps du “Fides quaerens intellectum“, la foi qui cherche à comprendre : “Je ne cherche pas à comprendre pour croire, précisait St Anselme lui-même, mais je crois pour comprendre“. Et Abélard, motivant la foi qui s’adresse à notre cœur, mais aussi à notre intelligence, lança une nouvelle manière de faire de la théologie en introduisant la dialectique, la philosophie dans la construction de la pensée théologique. Ce n’est certes pas sans danger. Bernard dira : “Sans une véritable humilité, c’est en regardant les cimes que nous tombons dans les précipices !“. Et sans doute que la suffisance fut le “talon d’Achille“ de ce grand “Maître“, Abélard ! Et en ce cas, “le talent trouve toujours des adversaires“, disait St Jérôme. Et St Bernard fut l’adversaire redoutable d’Abélard.

L’Abbé de Clairvaux, lui, configure le théologien au contemplatif, au mystique. Seul Jésus, insiste-t-il face à tous les raisonneurs de son temps, seul Jésus est “miel à la bouche, cantique à l’oreille, joie dans le cœur“ (“mel in ore, aure mélos, in corde jubilum“). “Mel in ore...!. C’est précisément pour cela que la tradition lui attribue le titre de “Docteur mellifluus“ : sa louange de Jésus coule comme le miel ! “Lorsque tu discutes ou que tu parles, disait-il, rien n'a de saveur pour moi, si je n'ai pas entendu résonner le nom de Jésus“ ! Pour Bernard, la véritable connaissance de Dieu consiste dans l'expérience personnelle et profonde de Jésus Christ et de son amour, la foi étant avant tout une rencontre personnelle, intime avec Jésus ; elle doit faire l'expérience de sa proximité, de son amitié, de son amour ; et ce n'est qu'ainsi que l'on apprend à le connaître toujours plus, à l'aimer et le suivre davantage. Il écrira à son ancien élève, le pape Eugène III : “On devrait poursuivre la recherche de Dieu, qui n'est pas encore assez recherchée“, (que dirait-il aujourd’hui ?) ; “mais on peut peut-être mieux le chercher et le trouver plus facilement avec la prière qu'avec la discussion !“

L’un et l’autre - Bernard et Abélard - n’avaient pas entièrement tort ! Et ils n’avaient pas entièrement raison. L’’Eglise, par la suite, sut peu à peu allier avec bonheur foi et raison, sans éviter pour autant les excès ou écueils de certains ! Cependant, Bernard réussit à faire condamner Abélard à un moment où la santé de celui-ci était défaillante !!!

Heureusement, ces “deux-là“ se réconcilièrent par l’intermédiaire de Pierre “le Vénérable“ (Abbé de Cluny), homme si modéré, si affable, si juste et surtout si aimant au point de toujours voir en celui qu’il rencontrait, par delà les contingences de sa vie et les diverses turpitudes du siècle, la créature que Dieu aimait et que sa grâce voulait façonner - même après ses échecs ou ses fautes - à son image et ressemblance !

Ce Pierre-là, j’avoue que je l’aime bien (1). Il savait regarder choses et personnes avec, déjà, un œil d’éternité d’où s’échappait tant une larme de miséricorde, tant un rayon lumineux de tendresse divine…, à l’exemple du “Bon Pasteur“ ! Finalement, même si j’admire fortement St Bernard, je me sentirais quand même bien installé aux pieds de “ Pierre le Vénérable“, tout façonné de noblesse, de cette noblesse de charité, j’entends, et qui nous manque tant !

Peut-être qu’en fréquentant quelque peu l’Abbé de Cluny, St Bernard a-t-il ressenti une conscience moins tranquille, lui qui décrira si bien les multiples ricochets de l’orgueil : “Déjà j’en porte la peine et suis durement châtié. Ce n’est pas sans cause que, depuis hier ou avant-hier, je me sens gagné par cette langueur de l’âme, cette hébétude de l’intelligence, cette inertie insolite de l’esprit“. Par ces mots, il rappelait cette faute que les Anciens stigmatisaient : l’“acédie“, si bien décrite également par de plus modernes : “Les sanglots longs Des violons De l'automne Blessent mon cœur D'une langueur Monotone. Et je m'en vais. Au vent mauvais Qui m'emporte Deçà, delà, Pareil à la Feuille morte“ ! (Verlaine). Mais Bernard en savait la cause : “L’orgueil a été trouvé en moi ; et le Seigneur s’est détourné de son serviteur. De là, cette stérilité en mon âme et cette impuissance dans la dévotion. Comment mon cœur s’est-il ainsi desséché et s’est-il coagulé comme du lait caillé ?...“.

Cependant, écoutons encore Bernard pour notre enseignement :
“Qui s’enseigne lui-même pourrait bien avoir un sot pour maître !“. Pour éviter ce dernier piège, faisons nôtre sa grande dévotion envers Marie. C’est elle qui nous conduit avec sûreté : “per Mariam ad Jesum“, disait-il. (Devise si chère à Jean-Paul II). Aller à Jésus par Marie, l’humble Servante du Seigneur ! Alors, nous serons tranquillisés dans la “Paix-Notre-Dame“ !

Et si j’ai été trop long, veuillez admirer St Bernard avec moi ; et vous me pardonnerez !

(1) Il fut l’une de mes premières amitiés monastiques, après Grégoire de Nazianze, cependant !

lundi 15 août 2011

Marie, femme de la terre et du ciel !

Assomption. 2011

L’Église aime regarder Marie, mère de Jésus. Car elle voit en elle la fleur de l'humanité dont nous faisons partie.
Une littérature mariale, parfois ambiguë, nous la présente toujours venant du ciel. Et, facilement, on a donné à Marie - légitimement, certes - les plus beaux titres de gloire. On les a rassemblés dans la gerbe multicolore des litanies.

Cependant, je souhaite ajouter un titre qu’on ne trouve pas facilement, un titre un peu étonnant mais si réel. Ce titre serait celui-ci : “Marie, femme de la terre !”

Oui, il est nécessaire de bien se souvenir qu'elle vient d'abord de la terre ! Avant d’être “Notre Dame de l’Assomption” que nous honorons aujourd’hui ! Femme de la terre !

- Celle que toutes les générations appellent “bienheureuse” a été d'abord cellule minuscule, fruit de l'amour de ses parents : mystère de la conception !

- Elle a été embryon vivant, tissé cellule après cellule, dans le sein d'une mère : mystère de la naissance !

- Celle que la terre et le ciel proclament “bienheureuse et bénie” a été ce bébé fragile, ébloui par la lumière du jour, se confiant en ses parents : Merveilles de l'éducation !

- Petite juive de Palestine, elle grandissait dans l'espérance et la solidarité du peuple de l'Alliance. Elle vivait avec lui, comme lui. Elle était solidaire de ses compatriotes qui travaillaient dur pour vivre ou qui cherchaient, angoissés, de quoi survivre. Elle les aimait ; elle partageait leurs joies, leurs inquiétudes et leurs peines, toujours prête à rendre service. Elle pourra alors dire “oui” à la demande de l'ange. Merveille de la vocation !

- Joseph, son fiancé, fut éduqué dans la solidarité avec tout un peuple et dans l'espérance d'un salut venant de Dieu. Il pourra lui aussi comprendre le message de l'ange et accepter la mission. Merveilles des commencements !

- Elle aimait voir sont fils Jésus travailler avec Joseph, parce que lui aussi avait voulu être pleinement “fils de la terre”. Elle sera peinée de le voir se détacher d’elle comme toutes les mères quand leurs enfants grandissent. Mais elle apprenait que sa famille, son peuple, c’étaient tous les “fils de la terre” : “Qui sont mon père, ma mère, mes frères, mes sœurs ?…”. Sa famille, c’était tout le peuple de Dieu, sans barrières sociales… : Mystère de communion !

- Et c’est en vivant quotidiennement dans tout ce tissu d’humanité que Marie entre progressivement, profondément dans le mystère d’alliance de Dieu avec son peuple, dans ce mystère d’amour de Dieu pour tous les hommes. La mort de son fils lui dira, douloureusement, quelle pointe extrême cet amour peut atteindre et à quelles immensités il peut ouvrir les hommes. Ainsi, sous l’action permanente de l’Esprit Saint, se déploie en elle la lente germination d’un monde nouveau : Mystère de maternité spirituelle pour une alliance éternelle…


Deux mille ans après, Marie est devenue “parfaite image de l'Église à venir, aurore de l'Église triomphante” (préface de la messe). Par cette fête de l'Assomption, l'Église catholique présente à l'humanité entière le signe de Marie, transportée de la terre au ciel, transfigurée par la résurrection de son fils Jésus. À la suite du Christ, premier de cordée, Marie est la première sur le chemin de la Résurrection. Ainsi se réalise ce que l’Apôtre Paul écrivait aux Corinthiens (2ème lect.) : “Dans le Christ, tous revivront, mais chacun a son rang : en premier, le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ... Alors tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal... Et le dernier ennemi qu'il détruira, c'est la mort”.

Oui, élevée désormais dans la gloire du ciel, Marie est “l'image parfaite de l'Église à venir”. Ce qu'elle est, nous le deviendrons. L'aurore qui l'éclaire, éclaire déjà l'humanité. En contemplant Marie, l'humanité peut découvrir ce qu'elle deviendra elle-même. Toute la création se prépare à cette transformation. Et déjà, nous pouvons chanter le Magnificat ! “Mon âme exalte le Seigneur, son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent... Il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères...”. (Luc 1, 39-56).

L'Espérance et la louange ne devraient plus nous quitter. Cette espérance nous engage aussi dans un réel combat spirituel. Nous sommes sûrs du chemin, du sommet et du guide ; mais nous ne sommes pas encore arrivés. Nous sommes sûrs de la victoire du Christ sur toutes les forces du mal ; mais actuellement encore, ces forces font rage dans tous les domaines.

Tous les textes de la Bible choisis pour cette fête expriment le combat à mener. La première lecture tirée de l’Apocalypse nous présente une femme qui porte la vie, menacée par un dragon rouge feu voulant dévorer l'enfant : dragon de la violence et de l'intolérance, de la maladie et de la mort ; dragon de la pollution et des puissances infernales ; dragon d'un système économique dévoreur d'hommes et d'innocents..., dragon de toutes les dictatures orgueilleuses. Les forces de vie, de créativité et d'espérance sont toujours menacées. Mais le dragon ne pourra rien contre les forces de vie. Il ne pourra pas détruire la vitalité de l'Église, la liberté des enfants de Dieu, des fils de la terre appelés à être fils d’un même Père du ciel.

Mais pour lui échapper, il faut aller au désert... Passer par des manques, revenir toujours à l'essentiel... La lettre de Paul aux Corinthiens montre le Christ engagé dans un combat spirituel contre tous les ennemis de l'homme. Comment ne pas s'engager avec lui ? Sachons ne pas laisser Jésus seul, comme à Gethsémani, dans les combats qu'il mène pour nous.

Et justement, Marie, dans l'Évangile, nous invite à rejoindre son divin Fils, le Libérateur, le Rédempteur qui veut renverser ceux qui dominent au lieu de servir, ceux qui accumulent au lieu de partager. Elle nous invite à regarder vers Dieu, notre Père qui élève et éduque les humbles, nourrit les affamés et guérit les cœurs blessés.

Cette fête de l’Assomption soutient notre espérance, l'espérance chrétienne qui, en éclairant le regard, le chemin et l'horizon, nous montre l'urgence d'un engagement tenace et joyeux pour aider tous les hommes, quels qu’ils soient, à s’élever vers Marie qui est désormais dans la gloire de son Fils ressuscité ! Puisqu'ils sont tous appelés à une si haute destinée, il est urgent de leur annoncer la Bonne Nouvelle qui les concerne. Il est urgent aussi de nous aider les uns et les autres à prendre la direction de cette belle Assomption.

samedi 13 août 2011

Le "Pain de Dieu" aux païens !

20ème Dimanche 11/A -

Pour bien comprendre notre évangile d’aujourd’hui, il faut, me semble-t-il, le situer dans le contexte de la vie publique de Notre Seigneur, autant d’après Matthieu que Marc.

Le premier signe que Jésus posa fut l’eau changé en vin, à Cana. Jean conclura : “Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui“, réflexion qui est une réplique d’un verset de l’Exode (14.31) : “Israël vit la prouesse accompli par Dieu contre les Egyptiens. Le peuple crut en Dieu et en Moïse son serviteur“. Autrement dit : le premier signe de Jésus, nouveau Moïse, veut provoquer une démarche de foi chez ses premiers disciples !

Mais le signe par excellence, ce fut la multiplication des pains. Un signe en lequel il se révèle totalement. Un signe qui a sa source en la manne, ce pain que Dieu donna par Moïse au peuple dans le désert, Jésus se révélant le vrai Moïse annoncé par Moïse lui-même ! Un signe qui se prolonge dans le repas du Jeudi-Saint, en lequel Jésus se donne comme il se donnera en son mystère pascal ; un signe auquel on le reconnaîtra après sa résurrection (Emmaüs), un signe qu’actualise aujourd’hui encore toute Eucharistie !

Mais ce signe par excellence ne suscite pas la foi, comme à Cana !
- Les pharisiens le réfutent aussitôt, veulent le discréditer. Et la discussion fut si vive que Jésus, dit St Matthieu, les “plaqua“ et s’en alla sur l’“autre rive“, en évoquant le “signe de Jonas“, le signe prophétique le plus universaliste qui soit, le signe des païens qui, eux, se mettront à croire et se convertiront !
- Et Jésus semble incompris même de ses disciples : dans la barque où il monte aussitôt, il y a comme un quiproquo. Encore sous le choc des propos malveillants des pharisiens, Jésus leur dit : “Méfiez-vous du levain des pharisiens !“, un levain stérile. Mais, à ces mots, les disciples s’aperçoivent qu’ils n’ont pas pris de pain pour le pique-nique ! Quiproquo entre le pain matériel et le Pain de Dieu. Quiproquo qui est parfois le nôtre quand on souhaite des signes miraculeusement réconfortants. Et Jésus se fâche : “Vous ne comprenez donc pas !“. Vous, non plus !
- D’après St Marc, Jésus arrive à Bethsaïde, ville païenne ! Et là, il guérit un aveugle. Il y a, dans l’Evangile, beaucoup de guérisons d’aveugles, même païens ! La signification est limpide : il nous faut ce genre de miracle pour accéder à une véritable compréhension du dessein de Dieu, à la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse des hommes, pour ne pas avoir des yeux qui ne voient pas, des oreilles qui n’entendent pas !
- Et après avoir été en terre païenne à l’Ouest - la Décapole - Jésus va vers l’est, vers un pays païen encore : Tyr et Sidon, terre de sinistre mémoire pour un Juif ; c’est le pays de la fameuse reine impie, Jézabel !

Et c’est là qu’il faut situer notre épisode. A la sollicite de la femme païenne, Jésus semble répondre très durement, surtout selon St Marc. Toujours préoccupé et attristé par l’incompréhension du signe par excellence qu’il a posé, la multiplication des pains, Jésus lance comme une boutade d’espérance : “Laisse d’abord les enfants se rassasier (j’espère qu’ils y arriveront), car il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens“, ces païens que les “enfants“ du peuple élu par Dieu traitent souvent de “chiens“ ! Matthieu de préciser : “Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël !“. Jésus, là, reprend à son compte la réflexion religieuse courante : Il y a le peuple que Dieu a choisi. Et c’est lui qui d’abord reçoit la Lumière divine ! Ensuite, il pourra être le témoin de cette Lumière pour le monde entier. On le sait, cette question taraudera la pensée de St Paul qui a parfaitement compris cet élargissement universaliste du dessein de Dieu, tout en souffrant pour ses frères de races qui semblent ne pas comprendre !

Mais voilà que la femme, une païenne, réplique : “Mais les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants !“. Seule, elle semble approcher le mystère ; Seule, elle comprend quelque peu le signe par excellence où Jésus se dit tout entier pour le monde et pour la suite des siècles ! Elle désire s’alimenter au Pain de Dieu, au pain que Dieu donne ! Jésus est dans l’admiration : “Femme, ta foi - cette foi qu’il a suscité lors de son premier signe à Cana -, ta foi est grande. Qu’il arrive comme tu le veux !“.

Une païenne qui devient plus chrétienne qu’un fils d’Israël !

Ce n’est pourtant pas évident cet élargissement universaliste : une païenne, fille de Dieu ! Déjà, au début de son ministère, à la synagogue de Nazareth, devant Jésus qui parle, on est dans l’étonnement : “Jamais homme n’a parlé comme cet homme !“. Et soudainement lorsque Jésus évoque Naaman le Syrien, la veuve de Sarepta au temps d’Elie, il y a comme une peur panique qui explose violemment : la peur de perdre son identité, telle qu’on la conçoit, évidemment ! - On retrouve la même réaction avec Paul à Jérusalem. Après avoir évoqué sa vie dont le récit captive son auditoire, Paul précise : C’est vers les nations païennes que le Seigneur m’envoie ! Alors de grands cris s’élèvent : “Qu’on débarrasse la terre d’un tel individu“ (Ac. 22.21).

La question est toujours d’importance et d’actualité : Identité ET ouverture ! Et non l’alternance : Identité OU ouverture ! Et n’allons pas croire que c’est une “querelle d’anciens et de modernes“ ! Il s’agit bien d’une authentique fidélité à notre enracinement dans le Christ : “Tout est à vous (le passé et l’avenir ; l’ancien et le moderne) ; mais vous, vous êtes au Christ !“ (2 Co 3.22-23). Or le Christ, c’est le Ressuscité du matin de Pâques qui demandera d’aller le rejoindre en Galilée (Mth 28.7,10). Et la Galilée, c’est le “carrefour des nations“ (Mth 4.15), des nations païennes !

Vous pourrez faire, bien sûr, les applications que votre prière vous suggèrera. Le Concile Vatican II est un exemple frappant de cette identité indispensable mais en même temps ouverte ! Mais la question demeure toujours et en tout lieu. Elle se retrouve au sein d’une Eglise particulière, au sein d’une paroisse, d’une communauté, au sein même d’une famille.

Comment répondre à cette question permanente ? Peut-être s’agit-il d’être toujours attentif non pas à ce que nous avons aujourd’hui et qui demain peut disparaître, encore moins à ce nous souhaiterions paraître (c’est si fréquent selon les places que nous tenons dans la Société, dans l’Eglise), mais à ce que nous sommes réellement, à ce que nous devons être véritablement !
Etre ! Etre au Christ : “To Zein Christos“ (Ph. 1.21), dira St Paul. “Vivre, Christ !“. La phrase, sans verbe, est elliptique, tant, pour Paul, “vivre“ doit se remplacer par “Christ“, tant il y a transfusion de Christ en Paul et de Paul en Christ ! Etre ! Car Dieu est “Celui qui est !“, comme il s’est révélé à Moïse. Notre Dieu est un Dieu qui a été, qui est, qui sera ! Si notre identité chrétienne s’inscrit dans un passé, il faut encore la découvrir dans notre futur. Avec le Christ qui est “l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin“ (Apoc 21.6).

Et nous trouverons la force de toujours être au Christ dans le pain que le Seigneur multiplie en tout instant de par le monde entier !
Avec l’Eucharistie, ce sont deux mille ans qui sont abolis : le Christ mort et ressuscité est là.
Avec l’Eucharistie, les distances sont abolies.
Avec l’Eucharistie, les frontières du temps et de l’espace disparaissent !
Avec l’Eucharistie, c’est, avec le Christ, pouvoir toujours chanter : “Voici, je fais toutes choses nouvelles“ (Apoc. 21.5). Nourris de ce pain, même si ce sont des miettes qui tombent de la table divine, je sais que même au fond d’un couvent, au cœur d’une fatigue, au creux même d’une agonie, “il y a des larmes d’amour qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel, des regards de prière, des regards de tendresse perdus en charité, qui brilleront éternellement“ (Péguy).

vendredi 12 août 2011

Ste Jeanne-Françoise de Chantal

12 Août

Sainte Jeanne-Françoise de Chantal est une très belle figure de sainteté qui pourrait être très contemporaine, me semble-t-il.

Née à Dijon le 23 Janvier 1572 (1), elle appartenait à une famille de magistrats farouchement attachée à l’Eglise romaine. Dès son jeune âge, elle manifeste des indices particuliers de la grâce divine : une “modestie fort majestueuse“, écrit sa première biographe (2) et une “aversion incomparable aux hérétiques“. Curieuse de tempérament, “elle apprenait avec grande souplesse et vivacité d’esprit tout ce qu’on lui enseignait“.

A vingt ans, elle épouse le baron de Chantal qui trouve en elle une “dame parfaite“, “ornée de grâces et d’une beauté naturelle“, très diligente pour les affaires de sa maison. Je ne peux m’empêcher de citer, avec humour, sa biographe (2) : “Elle ne portait que du camelot et de l’étamine, et cela avec tant de propreté, de grâce et de bienséance qu’elle paraissait cent fois plus que plusieurs autres qui ruinent leurs maisons pour porter des affiquets…“. Conseil que donnera plus tard notre classique Molière : “Quiconque à son mari veut plaire seulement n'a pas besoin de tant d'ajustement“ (3), une réplique à l’intention des “Précieuses“ de tous les temps !

Cette vie simple et heureuse dura huit ans jusqu’à la mort accidentelle de son mari. L’épreuve fut si rude, écrit sa biographe, qu’elle ne lui donnait “quasi aucune relâche et la dessécha de telle sorte qu’elle n’était presque plus reconnaissable“. Le seul souci d’élever ses quatre enfants et de veiller avec diligence sur leur éducation, la soutint.

Cependant, Dieu l’attirait à lui de plus en plus. Elle chercha un guide spirituel. Après une expérience désastreuse auprès d’un prêtre peu intelligent et despote - cela arrive ! -, elle rencontre François de Sales qui, en 1604, prêche le Carême en la ville de Dijon. Le Saint évêque remarque la jeune veuve mais l’éconduit dans un premier temps, par crainte, selon l’abbé Bremond, de se charger d’une telle âme “deux fois étrange, et par la rareté de ses dons naturels et par les effets que la grâce commence à produire en elle“. Mais il accepte quelque temps plus tard. Le changement en elle fut si visible que ses serviteurs notent non sans humour : “Le premier conducteur de Madame ne la faisait prier que trois fois, et nous en étions tous ennuyés ; mais Mgr de Genève la fait prier à toutes les heures, et cela n’incommode personne !“. D’ailleurs, en tout, elle cherche à se passer des services d’autrui, se servant elle-même et servant aussi les pauvres ! La direction de l’aimable François de Sales était cependant exigeante, mettant l’accent sur le renoncement intérieur pour réprimer sa fierté et sa vivacité naturelle.

Enfin, la jugeant suffisamment avancée, le saint Directeur la fit venir à Annecy pour examiner son désir “d’une vie retirée et hors du monde“. C’était en 1607. Après l’avoir diversement éprouvée par ses intentions à son sujet, il lui déclara son dessein d’un nouvel Ordre : “Les Visitandines“ ! Jeanne-Françoise y adhéra immédiatement. Elle emmènerait avec elle sa fille encore jeune, tandis qu’elle confierait à son père son fils âgé de quinze ans. Faut-il retenir la scène si connue de ce fils se jetant à ses pieds, puis se couchant au travers de la porte pour la retenir ? Tout est tellement sublime dans cette scène cornélienne, racontée pourtant avec exquise simplicité !

Le 6 juin 1610, en la fête de la Sainte-Trinité, elle entre dans une petite maison du faubourg d’Annecy avec deux compagnes appelées par François de Sales : l’Ordre de la Visitation est fondé ! Et il l’était, selon le désir de St François de Sales, à l'intention des personnes âgées ou de santé fragile auxquelles les autres ordres sont interdits. De plus, à l'origine, Jeanne et ses compagnes ajoutaient aux exercices de la vie contemplative le service des malades et des pauvres qu’elles allaient visiter. C’était reprendre, en quelque sorte, l’intuition de Ste Françoise Romaine, deux siècles auparavant : Marthe et Marie ! Mais la présence de religieuses dans les rues et taudis de la ville (“dans le monde“) fut mal vue par les autorités ecclésiastiques en pleine Contre-Réforme. François de Sales ne parvint pas à surmonter les objections. Et il acceptera bien malgré lui la stricte clôture papale pour ses religieuses.

Cependant notre Sainte sortit très souvent de son monastère, mais pour assurer les fondations qui se multipliaient un peu partout, jusqu’à Paris. Dans la capitale, elle fit connaissance du monde religieux et des Congrégations nouvellement réformées, comme Port-Royal avec Mère Angélique. Elle sembla même préférer la direction de l’Abbé de Saint-Cyran à celle de Vincent de Paul à qui François de Sales l’avait confiée. Il faut dire que l’Abbé de Saint-Cyran était alors l’un des hommes spirituels les plus réputés de son temps.

En 1622, après bien des deuils douloureux (4), elle fut très affectée par celui de St François de Sales, son père spirituel ! Il lui restera encore dix-neuf années à vivre qu’elle consacra à affermir l’Institut des Visitandines. À la mort de Jeanne de Chantal, l'Ordre compte déjà 87 monastères !

Pour terminer, je ne peux que citer Dom Guéranger : « Parlant de la diversité des familles religieuses, saint François de Sales dit excellemment : “Toutes les Religions ont un esprit qui leur est général, et chacune en a un qui lui est particulier. Le général est la prétention qu’elles ont toutes d’aspirer à la perfection de la charité ; mais l’esprit particulier, c’est le moyen de parvenir à cette perfection…“. Venant donc à l’esprit spécial de l’institut qu’il avait fondé de concert avec notre Sainte, l’évêque de Genève déclare que c’est “un esprit d’une profonde humilité envers Dieu, et d’une grande douceur envers le prochain ; d’autant qu’ayant moins de rigueur pour le corps, il faut qu’il y ait tant plus de douceur de cœur“. Et parce que “cette Congrégation a été érigée en sorte que nulle grande âpreté ne puisse divertir les faibles et infirmes de s’y ranger, pour y vaquer à la perfection du divin amour“, il ajoute gracieusement : “Que s’il y avait une sœur qui fût si généreuse et courageuse que de vouloir parvenir à la perfection dans un quart d’heure, faisant plus que la Communauté, je lui conseillerais qu’elle s’humiliât et se soumît à ne vouloir être parfaite que dans trois jours, allant le train des autres. Car il faut observer toujours une grande simplicité en toutes choses : marcher simplement, c’est la vraie voie des filles de la Visitation, qui est grandement agréable à Dieu et très assurée“ ». (5)

Aussi, Ste Jeanne-François de Chantal, avant de mourir, ne fera que répéter comme St Jean : “Amour ! amour ! amour ! mes filles, je ne sais plus autre chose“.



(1) Orpheline de mère à dix-huit mois, elle ne sembla pas en souffrir, par grâce providentielle peut-être !

(2) Françoise-Madeline de Chaugy, nièce de Ste Jeanne-Françoise et première Visitandine. Elle maniait la plume avec assez d’aisance pour être comparée à la petite-fille même de la Sainte, Mme de Sévigné !

(3) Dans “Le Tartufe“ : Mme Pernelle à sa belle-fille. (Acte 1. Sc. 1)

(4) son propre père particulièrement.

(5) Dom Guéranger : Année liturgique

jeudi 11 août 2011

Ste Claire

11 Août

Claire naquit à Assise en 1194 d’une famille noble. On peut penser qu’elle reçut très jeune une remarquable éducation chrétienne. Si l’on ne sait pas grand-chose de son père - sans doute mourut-il assez jeune -, sa mère lui transmit sa dévotion au Christ. Peu de temps avant la naissance de Claire, elle revenait d’un pèlerinage à Jérusalem !

Cependant, selon les coutumes des familles nobles, on entreprit de la marier à 15 ans. Mais Claire avait été touchée par l’exemple et les leçons de St François dont tout le monde parlait à Assise et qui s’était converti quelques années seulement auparavant, en 1208. Elle voulait suivre le “petit pauvre d’Assise“, à l’imitation du Christ qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête.

Le Dimanche des rameaux, 18 mars 1212 fut choisi pour mettre à exécution son dessein de quitter le monde pour vivre dans la pauvreté. Le matin elle assista à la messe en la cathédrale, célébrée par l’évêque qui approuvait secrètement son projet. Et le soir, elle se rendit en la chapelle Sainte-Marie-des-Anges où elle fit vœu de pauvreté et d’obéissance devant St François qui la conduisit ensuite chez les Bénédictines du monastère Saint-Paul, peu éloigné. Un an plus tard environ, elle fut rejointe par sa jeune sœur Agnès qui venait d’avoir, elle aussi, 15 ans. François reçut ses vœux. Et c’est ainsi que la branche féminine de St François fut fondée.

Celui-ci établit les deux sœurs, avec l’agrément de l’évêque, dans un couvent qui leur était propre, à Saint-Damien. Très pauvre couvent où cependant de nombreuses jeunes filles les rejoignirent rapidement. Elle suivait la règle de St Benoît… Mais Claire obtint du pape d’y ajouter le “privilegium paupertatis“, le privilège de la pauvreté. Tans il est vrai, comme l’a écrit avec humour Joergensen, le principal biographe de St François, que “personne jamais ne réalise plus pleinement l’idéal conçu par un homme qu’une femme dont cet homme s’est conquis le cœur“ (St François d’Assise p. 180).

Et c’est ainsi que vécurent Claire et ses compagnes : dans la pauvreté et la grande discrétion au point que peu à peu les visites de St François lui-même s’espacèrent. Cependant, en 1225, sentant sa fin approcher, le “poverello“ voulut les revoir une dernière fois. On lui prépara une hutte de branchages dans le jardin. Et c’est là qu’il composa, près de ses sœurs, son admirable “Cantique des créatures“.

François décéda l’année suivante. Et Claire apparut comme la dépositaire de son esprit… Mais très vite, ses austérités ébranlèrent sa santé… La Règle des “Petites sœurs de St François“ fut vite approuvée par le pape en 1252. Et le 11 Août de la même année, après avoir béni sa Communauté, Claire s’exhortait elle-même : “Va en paix, car tu as suivi le bon chemin. Va confiante, car ton Créateur t’a sanctifiée, t’a gardée sans cesse, t’a aimée avec toute la tendresse d’une mère pour son enfant. O Dieu, sois béni de m’avoir créée !“. C’est ce qu’évoquait l’antienne du “Benedictus“ de ce matin.

La spiritualité de St Claire est à la fois très simple et profonde : elle vénère en même temps le Christ comme le Divin Enfant “couché dans la crèche et enveloppé de quelques méchants langes“ et le Crucifié qui a voulu “souffrir sur le bois de la croix et... mourir du genre de mort le plus infamant qui soit“. L'Homme-Dieu est l'Enfant et le Crucifié, mais aussi le Roi de Gloire, le Seigneur !
Sainte Claire médite sans cesse le mystère de l'Incarnation par lequel “Celui qui était riche s'est fait pauvre pour nous“ ; elle contemple le Verbe divin devenu “le dernier des humains, méprisé, frappé, tout le corps déchiré à coups de fouets, mourant sur la croix dans les pires douleurs“.

A l’école de saint François d’Assise, elle découvre la sainte humanité du Sauveur Jésus, sans pour autant perdre de vue que “Celui s'est fait pauvre pour nous“ est toujours le Seigneur qu’elle appelle, avec la révérence que l’on doit à sa divinité, le “Christ-Jésus“, le “Seigneur“ ou le “Roi“. Ainsi, le Crucifié de Saint-Damien qui a parlé à saint François, celui que sainte Claire contemple n'est pas tant l’Homme des douleurs que le Christ serein et victorieux au sein même de la plus extrême abjection. Sous le Crucifié, elle voit encore “le plus beau des enfants des hommes“, “de race noble“, “celui dont la beauté fait l'admiration des anges pour l'éternité“, celui “dont le soleil et la lune admirent la beauté“, celui qui est “splendeur de la gloire éternelle, éclat de la Lumière sans fin et miroir sans tache“. Comme saint François, parce qu’elle perçoit la “Beauté de Dieu“, elle s'attache à Lui seul comme son épouse.

Que Ste Claire nous transmette un peu de sa foi et de sa dévotion envers le Christ, Dieu fait homme pour que l’homme devienne fils de Dieu !

mercredi 10 août 2011

St Laurent

10 Août

Un simple mot, rapide aujourd’hui, après mon absence…

On ne sait pas grand-chose finalement de St Laurent, sur le plan historique, et encore moins de sa passion, récit qui a été développé, un siècle plus tard, surtout par St Ambroise (dont on ignore tout de ses sources) et par St Augustin qui déjà se plaint de l’ignorance de ses diocésains : “Le martyre de St Laurent est illustre, mais à Rome et pas ici, si j’en juge par votre petit nombre. Il n’est pourtant pas plus possible de cacher Rome que la gloire de Laurent. Comment peut-elle être encore ignorée… !“

Cette réflexion peut être encore affirmée au sujet de nombre de nos ancêtres qui sont encore plus ignorés et qui pourtant ont sacrifié leur vie de diverses façons pour nous transmettre la foi en Jésus-Christ ! La réflexion de St Augustin peut nous donner l’occasion d’une action de grâce envers eux. Et si la vie et les souffrances de certains martyrs ne peuvent être vérifiées historiquement, il n’en reste pas moins leurs témoignages qui ont traversé les siècles. De plus, c’est une occasion de penser aux martyrs de notre temps qui sont mis sur les divers “grills“ des idéologies dominantes et idolâtres de notre époque ! Et ils sont plus nombreux qu’on ne le pense ! Ils poursuivent la passion du Christ dans l’attente et la certitude de la Résurrection !

Et ce que le pape St Damase a écrit sur la tombe de St Laurent (au 4ème s. – donc deux siècles après son martyre !), sachons le répéter pour louer le courage de nos prédécesseurs et nous encourager nous-mêmes au “beau combat de la foi“, comme disait St Paul à son disciple Timothée (I Tm 6.12) qui est aussi, selon son expression, “le combat de la prière“ (Col 4.12) qui est peut-être le nôtre ! St Damase a donc écrit sur la pierre : “Les fouets du bourreau, les flammes, les tourments, les chaînes, seule la foi de Laurent a pu les vaincre !“ Seule la foi ! La foi en Jésus Christ mort et ressuscité qui nous a dit : “En ce monde, vous faites l’expérience de l’Adversaire ! Mais soyez plein d’assurance, j’ai vaincu le monde !“ (Jn 16.33).

vendredi 5 août 2011

Transfiguration

6 Août 2011

Si la confession de Pierre à Césarée qui précède l’épisode de notre évangile d’aujourd’hui (selon St Matthieu) est l’un des sommets de la vie du Seigneur puisque Pierre - un homme - proclame Jésus “Fils de Dieu”, le récit de la Transfiguration est encore plus important ; car là, c’est le Père en personne qui le reconnaît comme tel.

Dans cette lecture nous est enseigné, en effet, tout le mystère d’un Dieu fait homme. “Dans l’éclat glorieux d’un instant nous est manifesté ce à quoi avait droit, dès l’Incarnation, Notre Seigneur, ce dont il se dépouillait volontairement, pour remplir sa mission de Rédempteur” (Dom Delatte).
Bien sûr, Jésus conservait en son âme cette gloire qui lui revenait en tant que Dieu ; mais elle ne rejaillissait pas sur son corps. Par amour et libre choix, il s’était dépouillé de cette richesse de gloire qui aurait dû, normalement, resplendir sur toute sa personne. “Lui qui était de condition divine, dira St Paul, il s’est anéanti en prenant la condition d’un homme“ (Phil. 2.6sv). Volontairement, en choisissant l’anéantissement, Jésus a “caché” sa divinité !
Aussi, St François de Sales avait raison de dire que le mystère de la Transfiguration ne fut pas un miracle, mais plutôt “une cessation de miracle”, de ce miracle qui consistait dans “la suspension et la mortification de la gloire du Christ” en tant que Dieu (Bérulle).

Oui, Jésus est vraiment le “Fils de Dieu” : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé”. Il est vraiment Dieu. Et tel apparaît-il lors de la Transfiguration.
Aussi, bien des éléments de cette scène veulent traduire, dans le langage traditionnel de la Bible, cette présence de Dieu auprès des hommes : la mention de la montagne, lieu traditionnel de la rencontre avec Dieu, celle de la nuée à travers laquelle Dieu se manifestait souvent aux Hébreux, celle de la lumière, rayons de la gloire divine, comme au Sinaï. St Jean dira plus tard que le Christ, “Lumière née de la Lumière”, est venu pour éclairer tout homme vivant dans les ténèbres (Cf Jn 1.4sv).

Et les apôtres, ces hommes qui cherchaient la face de Dieu, sont rassasiés par cette Lumière de Gloire qui émanait du visage de Jésus. Ils en garderont un souvenir inoubliable. St Pierre écrira plus tard : “Nous avons été les témoins oculaires de sa Grandeur ; car il reçut de Dieu le Père, honneur et gloire quand se fit entendre cette voix : ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé’. Nous-mêmes avons entendu cette voix venant du ciel quand nous étions avec lui sur la montagne sainte” (2 Pet 16-18). Et St Jean affirmera de son côté : “Nous avons contemplé sa gloire, gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père” (Jn 1.14).

Jésus manifesta donc sa gloire à ses disciples. Déjà, St Jean en parlant du premier miracle de Jésus à Cana, avait noté : “Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui” (Jn 2.11). - A la Transfiguration comme à Cana, ces manifestations de gloire, chacune à sa manière, sont destinées à affermir la foi des disciples. C’est la foi qui conduit à la vision de la gloire divine. Voilà l’enseignement important qui nous est transmis. “Si tu crois, dira Jésus à Marthe avant la résurrection de Lazare, tu verras la gloire de Dieu”.

La foi est donc le germe de la gloire. La foi ! Oui, parce qu’il faut croire que le grain de blé doit être mis en terre et mourir pour porter son fruit. Nous voilà remis au centre même de l’objet de notre foi : le mystère pascal de mort et de vie que notre intelligence humaine ne peut appréhender en sa totalité.
Pour le Christ - et de même pour nous, chrétiens -, l’insatisfaction, l’humiliation et parfois la souffrance de notre condition humaine doivent être assumées pour parvenir à la gloire divine. Jésus aura même l’audace d’affirmer que l’heure de sa passion est déjà l’heure de sa gloire. “L’heure est venue, dira-t-il juste avant sa Passion, où le Fils de l’homme doit être glorifié” (Jn 12.23). Comme Jésus glorifie son Père en s’offrant à lui jusqu’à la mort, ainsi le Père va-t-il glorifié son Fils par la Résurrection (Id. 12.28).

La croix et la gloire sont les deux faces d’un unique mystère : Pâques. Et la Transfiguration, en faisant entrevoir quelque chose de la gloire de Jésus, doit préparer les apôtres au scandale de la croix, afin que leur foi ne défaille pas au moment où, dans cette épreuve, ils seront “secoués dans un crible, avait prédit Jésus, comme on fait pour le blé !“ (Lc 22/31)
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Quelle leçon pour notre propre foi ! “Que le Christ soit glorifié prouve sa divinité, dira le pape St Léon. Qu’il doive souffrir prouve son humanité”. C’est ce que tous, à la suite des apôtres, nous devons comprendre. Car si le mystère de la Transfiguration de Notre Seigneur devait affermir la foi des apôtres, il doit fonder aussi notre espérance, l’espérance de toute l’Eglise. Car cet épisode de la Transfiguration manifeste de quelle transformation tout le Corps du Christ doit être gratifié : désormais, nous pouvons espérer avoir part à la gloire qui a resplendi en Jésus, le jour où se réalisera pour nous également “notre transfiguration”.
Comme les trois apôtres, contemplons, nous aussi, la gloire de Dieu qui transparaît sur le visage du Christ. Jésus lui-même l’a dit : “Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils y soient aussi avec moi, afin qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée” (Jn 17.22.24).

Mais pour voir la lumière divine, il faut une certaine “accommodation”, non pas optique, mais de tout notre être, il faut une nouvelle “naissance” : “nul, s’il ne naît d’eau et d’esprit, dit Jésus à Nicodème, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu” (Jn 3.3).

Ainsi, Jésus a voulu nous donner dans sa Transfiguration le signe de cette “régénération” que nous devons opérer. Car avant d’être “transfigurés” avec le Christ, une “configuration” avec lui est nécessaire ; et elle ne s’opère que dans et par la foi. Pour voir Dieu, “Père des Lumières” (I Jac 1/17), lui qui “habite une lumière inaccessible” (I Tim 6/18), il faut que nous devenions “des fils de lumière” (Lc 16/8), “que nous soyons transformés en son image, de clarté en clarté par son Esprit” (II Cor 3/18). Mais cette transfiguration ne s’accomplira pas sans une purification ; Jésus l’accorde à ceux qui le suivent en son mystère pascal. Il faut que nous comprenions qu’au milieu des épreuves de la vie présente, - et tous, nous en avons -, nous devons solliciter la grâce de les supporter avec constance, avant d’obtenir la gloire divine. “Mais quand le Christ, notre vie, apparaîtra au grand jour, alors nous aussi, nous apparaîtrons avec lui dans la gloire“ (I Cor 3/4).

jeudi 4 août 2011

Saint Curé d'Ars

4 Août 2011 – St Jean-Marie Vianney

En France, tout le monde connaît la figure du Saint Curé d’Ars, d’autant qu’il a été très fêté en nos diocèses, il y a deux ans en l’année sacerdotale, à l’occasion de son 150ème anniversaire de sa mort.
Aussi, en regardant cette grande figure de prêtre, je me permets de vous transmettre tout simplement quelques-uns de ses aphorismes, quelques-unes de ses maximes, réflexions, colligés par les “adorateurs de la Chapelle de la Visitation“ au Mans, à l’occasion du passage de ses reliques.
Toutes les pensées du Saint prêtre se concentrent principalement sur la vie sacerdotale, sacramentelle !

Si je rencontrais un prêtre et un ange, je saluerais le prêtre avant de saluer l’ange. Celui-ci est l’ami de Dieu, mais le prêtre tient sa place. C’est le prêtre que Dieu place sur la terre comme un autre médiateur entre le Seigneur et le pauvre pêcheur, comme il l’est Lui-même entre nous et son Père éternel.

A quoi servirait une maison remplie d’or, si vous n’aviez personne pour ouvrir la porte ? Le prêtre a la clef des trésors célestes : c’est lui qui ouvre la porte ; il est l’économe du Bon Dieu, l’administrateur de ses biens.

Aussi, lorsqu’on veut détruire la religion, on commence par attaquer le prêtre. Et par conséquent : il n’y a rien au monde de plus malheureux qu’un prêtre ! A quoi se passe sa vie ? A voir le Bon Dieu offensé. Le prêtre ne voit que cela. Oh ! Si j’avais su ce que c’était qu’un prêtre ; au lieu d’aller au Séminaire, je me serais bien vite sauvé à la Trappe.

Mais le prêtre se console, surtout par la célébration de l’Eucharistie
Toutes les bonnes œuvres réunies n’équivalent pas au sacrifice de la messe, parce qu’elles sont les œuvres des hommes, et la sainte messe est l’œuvre de Dieu. Le martyre n’est rien en comparaison ; c’est le sacrifice que l’homme fait à Dieu de sa vie ; la messe est le sacrifice que Dieu fait pour l’homme de son corps et de son sang.

Aussi le Saint Curé priait non sans humour : Père Saint et Eternel, faisons un échange. Vous tenez l’âme de mon ami qui est en purgatoire, et moi je tiens le corps de votre Fils qui est entre mes mains ! Eh bien ! Délivrez mon ami et je vous offre votre Fils avec tous les mérites de sa mort et de sa passion.

Et puis par l’Eucharistie, c’est Dieu - Emmanuel - qui vient en nous. La Sainte Communion est une grâce immense :
Les Trois Personnes Divines habitent dans l’âme qui devient un petit ciel ! Ne dites pas que vous n’en êtes pas digne. C’est vrai : vous n’en êtes pas digne, mais vous en avez besoin. Et puis : La Sainte Communion est un bain d’amour.

De plus, l’Eucharistie nous offre la présence de Notre Seigneur en nos églises. C’est là qu’il faut venir l’adorer !
Notre-Seigneur est au ciel. Il est aussi dans son tabernacle. Quel bonheur ! Que fait Notre-Seigneur dans le Saint Tabernacle ? Il nous attend !

Au lieu de faire du bruit dans les journaux, faites du bruit à la porte du tabernacle.

Aussi, pour s’approcher de l’Eucharistie, il faut recevoir les Sacrements, car
Dès qu’une personne fréquente les sacrements, le démon perd toute sa puissance. … Le démon fait tout ce qu’il peut pour nous en éloigner.

Tous ceux qui s’approchent des sacrements ne sont pas des saints, mais les saints seront toujours pris parmi ceux qui les reçoivent souvent.

Si tous les Sacrements nous préparent à l’Eucharistie, il y a surtout le sacrement de la miséricorde :
C’est beau de penser que nous avons un sacrement qui guérit les plaies de notre âme … où Dieu semble oublier sa justice pour ne manifester que sa miséricorde... Son plus grand plaisir est de nous pardonner.

Ce n’est pas le pécheur qui revient à Dieu pour lui demander pardon ; mais c’est Dieu lui-même qui court après le pécheur et qui le fait revenir à lui.

Aussi, il faut recevoir ce sacrement avec grande contrition, car : La contrition, c’est le baume de l’âme.

Et puis : Pour recevoir le sacrement de pénitence il faut trois choses : la foi qui nous découvre Dieu présent dans le prêtre, l’espérance qui nous fait croire que Dieu nous donnera la grâce du pardon, la charité qui nous porte à aimer Dieu et qui met au cœur le regret de l’avoir offensé.

Aussi spirituel qu’il pût être, le Saint Curé n’en était pas moins un bon psychologue : Je sais bien que l’accusation de vos fautes vous vaut un petit moment d’humiliation. Mais : Est-ce vraiment humiliant d’accuser vos péchés ? Le prêtre sait bien à peu près ce que vous pouvez avoir fait.

Et puis, disait-il, Evitez toutes ces accusations inutiles … qui font perdre le temps du confesseur, fatiguent ceux qui attendent pour se confesser et éteignent la dévotion.
Et celle-là : Après avoir disputé son mari, fait carillon chez elle, elle ira se confesser d’avoir manqué son « benedicite » et ses « grâces » !

Enfin, n’oublions pas : Le Bon Dieu ne pardonnera qu’à ceux qui auront pardonné : c’est la loi.

Et c’est ainsi que l’Eucharistie et le Sacrement de la Miséricorde nous disposent à écouter la Parole de Dieu :
Ce n’est pas peu de chose que la Parole de Dieu. … Il est tout à fait impossible d’aimer Dieu et de lui plaire sans être nourri de cette parole divine.

Mais il ne se faisait aucune illusion :
J’ai remarqué qu’il n’y avait pas de moment où l’on ait plus envie de dormir que pendant les instructions… Quand je prêche, j’ai souvent affaire à des sourds ou à des gens qui dorment ; mais quand je prie, j’ai affaire au Bon Dieu et le Bon Dieu n’est pars sourd.
Et pourtant : Je pense souvent que le plus grand nombre des chrétiens qui se damnent, se damnent faute d’instruction.

Aussi, avec l’aide du Saint Curé d’Ars, sachons nous instruire et célébrer le plus dignement possible l’Eucharistie pour que le Seigneur soit vraiment “l’hôte de nos âmes“ !

mardi 2 août 2011

Amour et Humilité !

T.O. 18 Mardi 11/A

Le début de notre lecture d’aujourd’hui est un peu obscur et a suscité des commentaires très divers : “Parce que Moïse avait épousé une femme éthiopienne, sa sœur Myriam et son frère dirent du mal de lui !“. D’après l’hébreu, c’est surtout Myriam - ne vous en déplaise - qui mène cette contestation à propos d’une koushite, dit l’hébreu ! C’est normalement, de fait, une éthiopienne. Mais d’après Habacuc (3.7), ce peut être une Madianite. Or, depuis toujours, les Madianites n’entretenaient pas de bonnes relations avec les Hébreux ! Ainsi, l’objet du mécontentement de Myriam et de son frère pourrait être que Moïse ait épousé une étrangère, et quelle étrangère, une Madianite ! Soit que cette Madianite fut Cippora, l’épouse de Moïse déjà connue, soit que ce fut une seconde épouse !

Mais la tradition juive ne l’entend pas ainsi ; elle pense qu’il s’agit bien de Cippora mais que l’objet de la contestation n’est pas tellement le fait qu’elle soit une étrangère mais bien plutôt que Moïse se soit séparé d’elle, comme il est dit dans le livre de l’Exode quand Jéthro va à la rencontre de son gendre après la traversée de la Mer rouge : “Jéthro prit avec lui Cippora, la femme de Moïse, après qu’il l’eût renvoyée…“. (Ex. 18.2). - Et cette hypothèse concorde parfaitement avec le contexte du livre des Nombres. Le chapitre qui précède rapporte une effusion de l’Esprit qui structure le peuple principalement par l’institution de 70 “prophètes“ qui, est-il dit, reçoivent un peu de l’esprit de Moïse. Alors, vous comprenez, les femmes des 70 nouveaux prophètes institués se disent tout logiquement : “Tout comme Moïse, nos maris vont aussi de désintéresser de nous, nous abandonner !“. Rendez-vous compte ! Et ce serait la cause de la révolte menée par Myriam !

Cette hypothèse n’est pas dans la Bible, bien sûr. On la trouve dans la littérature midrashique. Mais enfin, il y a là une réflexion à approfondir. J’ai eu l’occasion de le dire : Moïse aurait renvoyée Cippora après la vision du Buisson ardent, comme si son attention avait été, en quelque sorte, dépolarisée de son épouse pour se polariser sur Dieu seul ! Une remarque bibliquement peu fondée sans doute, mais judicieuse ! On entend toujours dire que la chasteté chrétienne, c'est une contamination du gnosticisme, une méfiance vis-à-vis de la l’amour humain, de l’union de l’homme et de la femme qui, pourtant, personnellement et l’un avec l’autre, sont créés “à l’image de Dieu“ : “Dieu créa l’homme à son image ; à l’image de Dieu, il le créa ; homme et femme il les créa“ (Gen 2.27). “Dieu vit tout ce qu’il avait fait. C’était très bon !“ (id.34). Et nous affirmons, nous chrétiens, que le mariage est un sacrement ! Autrement dit : l’amour horizontal de l’homme et de la femme est, doit être signe et réceptacle de l’amour vertical de Dieu pour les hommes, du Christ pour son Eglise… Qu’y a-t-il de plus beau ?

Mais cela dit, pour Dieu et pour Dieu seul, l’homme peut "télescoper" en quelque sorte les valeurs les plus belles de la Création, pour aller directement vers le Créateur. On peut témoigner de l’immense amour de Dieu sans passer par des intermédiaires si beaux soient-ils - comme l’amour humain -. Et cela, de façon définitive ou temporairement comme le précise St Paul aux personnes mariées : “Ne vous refusez pas l'un à l'autre (qui a dit que St Paul était misogyne ?), sauf d'un commun accord et temporairement, afin de vous consacrer à la prière…”. (1 Co. 7/5).

Il y a donc contestation. Or, est-il dit : “Moïse était un homme très humble, l’homme le plus humble que la terre ait porté !“. Il serait intéressant de voir comment Moïse fut très humble, lui qui se mit parfois en colère (cela arriva plusieurs fois !). Comme Jésus lui-même, d’ailleurs. Qu’est-ce donc que l’humilité ! Le contraire de l’humilité, c’est l’orgueil, nous le savons bien, la suffisance ! St Benoît le souligne dès le début de son chapitre sur l’humilité. Mais il ne faut pas confondre non plus humilité avec le complexe d’infériorité. Ce n’est pas du tout la même chose. L’humilité ne consiste pas obligatoirement à s’effacer, à se taire, mais à être dans une attitude de vérité. Faire la vérité, le plus possible. “Je suis venu dans le monde, dira Jésus, pour rendre témoignage à la vérité“ (Jn 18.37). Et l’orgueilleux, attaché à sa volonté propre, à ses propres idées, répondra : “Qu’est-ce que la vérité ?“ (Id. 38). La suite du texte est significative à cet égard : “Le Seigneur dit à Moïse, à Aaron et à Myriam : « Venez tous les trois à la tente de réunion »…“. Faire la vérité sous le regard non de l’autre, mais de Dieu ! Avec la crainte de Dieu, dira souvent St Benoît ! “Nous disons que tous doivent être appelés au Conseil, car souvent le Seigneur révèle à un jeune ce qui est préférable“ (Règle ch. 3). - “Venez à la tente de réunion !“ : c’est là que le Seigneur parle, et parfois avec sévérité s’il le faut, comme envers Myriam qui, devenue lépreuse, dut attendre sept jours avant sa guérison. Une guérison, une conversion, c’est comme une nouvelle création en sept jours !

Enfin notre lecture note : “Dieu dit : « … Je parle à Moïse de bouche à bouche, dans l’évidence, non en énigmes ; et il voit la forme du Seigneur ! »". C’est une phrase extrêmement forte qui montre la transcendance du prophétisme de Moïse par rapport à celui de tous les autres prophètes. Et, bien sûr, c’est à partir de ce texte que l’auteur de la lettre aux Hébreux dégage la transcendance de Jésus par rapport à Moïse (Heb 3.1-6). Il serait trop long de lire le texte auquel vous pourrez vous reporter !

On pourrait conclure : Amour et humilité ! Ce sont sans doute les conditions qui conduisent, avec le Christ, vers une véritable union avec Dieu : lui parler “de bouche à bouche et voir la forme du Seigneur“ !

lundi 1 août 2011

Marche d'espérance

T.O. 18 Lundi 11/A -

Il faut lire, me semble-t-il, le verset qui précède notre lecture. Il est à la fois amusant et instructif : “Il y avait parmi eux (parmi le peuple) un ramassis de gens qui furent saisis de convoitise“. En mot-à-mot : “Le ramassis désire de désir“. Chouraqui traduit curieusement mais habillement : il “appète d’appétit“ : il a faim de viande succulente !

Ce “ramassis“ était déjà signalé lors de la sortie d’Egypte : “Tout un ramassis de gens monta avec eux (avec le peuple) avec petit et gros bétail en lourds troupeaux“ (Ex. 12.3). - Il est très probable qu’une certaine population avait profité du départ des Hébreux pour se soustraire à Pharaon !
- Des étrangers - des “étrangers profiteurs“ évidemment - que l’on n’a pas pu chasser eux et leurs “lourds troupeaux“. C’est de tous les temps, n’est-ce pas ?
- Alors, vous comprenez, avec leurs “lourds troupeaux“, ils ralentissaient la marche du peuple élu… Ce sont toujours les étrangers qui sont causes d’ennuis économiques, politiques, moraux… Des empêcheurs d’avancer !
- Bien plus, les mécontents, ce sont toujours eux, ces étrangers, ce ramassis ; Ils râlent toujours… Et ils entraînent le peuple dans leur mécontentement…
- Mais il faut le reconnaître quand même : ils n’ont pas tout-à-fait tort ! La manne ! Un don du ciel, c’est vrai ! Mais enfin : huit jours, oui ! Quinze jours, ça passe encore ! Mais au bout d’un certain temps, vous comprenez, on n’en peut plus, on n’en veut plus. On pourrait quand même changer de menu ! Avoir quelque chose de plus consistant ! Ah ! La bonne viande succulente d’Egypte ! - Vous pourrez faire les applications qui vous semblent bonnes… Mais, pour certains, l’habitude…, ça ne nourrit pas toujours, n’est-ce pas ? Alors, il faut changer un peu ! Il faut comprendre, n’est-ce pas ?

Par ailleurs, on m’a fait remarquer une étrange symétrie entre les récits avant la montagne du Sinaï (avant l’Alliance) et les récits après la Montagne !
- Il y a révoltes avant la Montagne ;
Et il y a révoltes après la Montagne
- Avant, il y a l’histoire de la manne : et Dieu réapprend au peuple le bon usage de la Création dans l’action de grâce ; et aussi le partage !
Et après la montagne, il y a l’histoire des cailles - la viande que Dieu envoie -! A ce propos, il faut un peu se méfier de ce que l’on demande quand on prie pour soi. Parce qu’on risque d’être trop exaucé ! Les cailles furent si nombreuses que ce fut l’occasion d’une grande bouffe - “la grande bouffe“ - et beaucoup moururent d’indigestion sans doute ! Aussi on appela le lieu “Qivroth-Taawa : tombes de la concupiscence !
- Avant la Montagne, il y a l’histoire des “eaux amères“, à Mériba !
Et après la montagne, il y a à peu près la même histoire, en un lieu de même nom, mais à un autre endroit, selon le Deutéronome.
- Avant la Montagne, il y a Jethro qui aide Moïse à structurer le peuple !
Et après la Montagne, le peuple a besoin d’une autre structuration. Mais celle-là vient de l’Esprit du Seigneur. Une “Pentecôte“ avant la lettre ! Plus tard, l’histoire de Pierre à Césarée le rappellera que si l’Esprit est à l’origine de l’Institution, il n’en est pas pour autant le prisonnier. Il se réserve la possibilité de stimuler l’Institution par des interventions imprévues (comme Vatican II, sans doute).

Bref, il y a une symétrie entre les événements avant l’Alliance et ceux après l’Alliance. Que peut-on en conclure ? On pourrait dire : il y a des événements avant la conversion (Alliance avec Dieu) et des événements semblables après la conversion ! Comme pour faire comprendre que la conversion touche d’abord la volonté, le cœur (“Je vous donnerai un cœur neuf“ – Ez 36.26) de façon catégorique, mais ne touche pas obligatoirement toute l’intelligence. Généralement, il faut du temps pour vraiment comprendre ; il faut le reconnaître humblement ! J’ai connu des soixante-huitards avant leur conversion ; et après leur conversion absolument profonde et sincère, ils sont restés soixante-huitards ! Et on pourrait en dire autant pour d’autres catégories de personnes ! Il faut souvent du temps à notre intelligence, aidée fortement de l’Esprit-Saint, pour appréhender Dieu à travers tout ce que nous vivons (intus-legere : lire à l’intérieur). La vie monastique est conçue pour cela, toute la vie étant un noviciat en vue de l’Alliance définitive avec Dieu !

Enfin, il y a encore une remarque à faire, et d’importance : à propos du découragement de Moïse : “Je ne puis, à moi seul, porter tout ce peuple : c’est un fardeau trop lourd pour moi. Fais-moi plutôt mourir !“. Tous les prophètes, tôt ou tard, ont poussé ce cri : Elie (I Reg 19.4), Job (7.15), Jonas (4.5,8) : “mieux vaut mourir que vivre !“. Mais nous le savons : Si Dieu a été dans le passé avec nous, il le sera dans l’avenir ! “Moins il y a d’espérance de votre côté, disait Bossuet, plus il faut espérer du côté de Dieu !“. Oui, il y a l’espérance, cette “petite fille de rien du tout… qui s’avance entre ses deux grandes sœurs (la foi et la charité). On ne prend pas garde à elle, mais c’est elle, cette petite qui entraîne tout !“ (Péguy). N’oublions pas : "Nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant" (1 Tm 4, 10).

Aussi : « Que le Dieu de l'Espérance vous donne en plénitude, à vous qui croyez, la joie et la paix, afin que vous débordiez d'espérance par la puissance de l'Esprit Saint. » (Rm 15, 13)