samedi 30 avril 2011

Souffrance (4)

Samedi de Pâques

Pour conclure…
Nous sommes tous des compagnons aventuriers ! Nous sommes tous des aventuriers de Dieu et des passionnés pour l’immense et douloureuse aventure des hommes. Avec le poète, Marie-Noël (hier), en fixant nos yeux vers l’immensité divine, toutes nos souffrances sont intégrées, déjà, en la Passion du Christ, à l’heure immense de Gethsémani ; et elles sont, en la sienne, salvatrices ; c’est elles qui maintiennent le monde en la main de Dieu. !
Peut-être, faut-il se dire avec foi : “Quand Dieu efface, c’est qu’il se prépare à écrire !” Or, pour un bon écrivain (ou pour le divin Artiste qu’est le Créateur), l’ordre d’exécution se confond avec l’ordre d’invention. Mais pas pour le lecteur, bien sûr ! Peut-être, finalement, que notre véritable genèse est à la fin ! Comme le signifie la célèbre parabole :
“Ma vie ressemble à un tissage entre mon Seigneur et moi.
Je ne peux pas en choisir les couleurs. Il travaille sans cesse.
Quelquefois il tisse de la tristesse, et moi, dans un orgueil insensé, j'oublie qu'll voit l'endroit et moi l'envers.
Ce n'est que lorsque le métier à tisser est devenu silencieux et que les navettes ont cessé de voler, que Dieu déroule la toile et en donne l'explication.
Les fils noirs sont aussi utiles dans la main habile du tisserand que les fils d'or et d'argent pour le motif qu'll a prévu.
Il sait, Il aime, Il prend soin : cette vérité n'estompe rien.
Il donne le meilleur à ceux qui le laissent choisi.
Oui maintenant j'ai vu l'autre côté et cette réalité valait bien tout cela".

En ce Samedi, traditionnellement consacré à Marie, comment ne pas penser à la compassion de la Mère par excellence quand on évoque la Passion du Fils ? Comme pour Jésus, la souffrance de Marie a été le lot de toute sa vie.
Dans un merveilleux livre sur Notre-Dame des Sept Douleurs, le futur cardinal Journet relève que chaque fois que Jésus rencontre sa Mère, “c'est toujours pour briser quelque chose en elle, pour navrer plus profondément la pauvre tendresse sensible dont était pétri le cœur de la plus aimable et de la plus sainte des mères. Il semble qu'elle n'ait reçu ce cœur de chair que pour le voir meurtri par l'Enfant pour qui seul il battait“. Et le P. Journet d’expliquer aussitôt que cette “dureté étonnante, inconcevable n'est jamais que l'instrument d'une douceur plus étonnante, plus inconcevable. Elle est un masque recouvrant le mystère du plus doux et du plus fort des amours“. Le mystère de l’Amour de Dieu pour l’homme !

Voici Marie au pied de la Croix. L'Évangile nous dit “qu'elle se tenait debout !“. Stabat Mater ! Et Paul Claudel d’écrire merveilleusement :
“De Marie au pied de la Croix, l'Evangile nous dit seulement “qu'elle se tenait debout. “Stabat !” Elle se tenait debout !
Non pas physiquement. C'est l'âme qui se tenait debout, pleine de force, de puissance, d'intelligence, d'amour, et toute droite, pleinement éveillée et regardante !
Eh quoi ! La Femme forte, la Mère de Dieu, la force de l'Eglise, était-ce le moment pour elle de s'abandonner, de fléchir ? Ces trois heures qu'elle avait à passer en face de son Fils, de ce Fils qui maintenant solidement attaché à la Croix par les quatre membres ne pouvait plus lui échapper, est-ce qu'elle allait lui en dérober un seul moment ? Est-ce que c'était l'occasion de s'affaisser et de s'évanouir et de faire aucun retour sur elle-même ? Est-ce qu'il y a à perdre aucun moment de ce sacrifice où il a sa place et sa fonction stipulées ?
…Quand elle entend ce Fils, Ce Fils de sa chair et de son âme, s’écrier triomphalement, épouvantablement “que c'est fait” et “que tout est consommé !”, c’est le moment pour elle de tressaillir, de vibrer de la base au faîte, ce n'est pas celui de pleurer !
Que la terre tremble, que le soleil se voile, que le rideau du temple se déchire de haut en bas, mais Marie reste debout, elle n'est pas ébranlée. Elle voit, elle sait, elle regarde, elle témoigne, elle donne, elle accepte, elle approuve. “Ecce ancilla Domini !” La voici, cette fois, pour de bon, une fois de plus, la Servante du Seigneur !“

Que Marie nous aide à comprendre la valeur rédemptrice de nos diverses épreuves !

vendredi 29 avril 2011

Souffrance (3)

Vendredi de Pâques

N.B : Jusqu’à Samedi, comme on me l’a suggéré, je m’efforcerai de faire quelques réflexions à propos de la souffrance, du mal…. Suite…


“Il leur expliqua, dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait“.
“Ils regarderont vers moi, celui qu’ils ont transpercé !“


Au fond, ce n'est pas du côté de l'homme qu'il faut regarder la souffrance, mais du côté de Dieu !
Seul le Christ “vrai Dieu et vrai homme“ a pris sur lui toutes nos infirmités ; selon la prophétie d'Isaïe (cf. Mt 16,17), il a été l'homme de la plus grande souffrance et, ce faisant, il a donné à la douleur un extraordinaire éclat, une sorte d'ultime grandeur, celle de l’amour.
Dieu est l’indicible ! Il est l’intériorité de l’être, la transcendance de l’être. Il est le chant du chant, le rêve du rêve…, a-t-on dit. Bien plus - il faut ajouter ! -, il a voulu être la souffrance de la souffrance. Et que dire de plus, là ? - Un écrivain moderne, Dostoïevski, un Tobie, un Job de notre temps, affirme : “La souffrance, je ne la comprends pas…, seulement..., seulement, il y a Jésus ! “.

Bien sûr, apparemment, rien n'a changé après la venue de Dieu. La morsure de la souffrance demeure aussi cruelle, mais désormais à la misère de l'homme répond la misère du Christ, “en agonie jusqu'à la fin du monde“ (Pascal). On a raison de le dire : “Dieu est couvert de blessures d’amour qui jamais ne se ferment“. Ces blessures, Dieu les reçoit sur toute la face de la terre : guerres, injustices, détresses, maladies… - Blessures de Dieu ! Lorsque l’accablement et la révolte nous submergent, si seulement nous savions que Dieu souffre…
Oui, notre souffrance n'est plus seule, elle n'est plus sans écho, elle retentit jusqu'à la Croix du Christ.

En fin de compte, devant toute souffrance - la nôtre ou celle d'un voisin et celle du monde -, nous ne pouvons que nous taire à notre tour ou tout au plus indiquer du doigt le vol de la flèche du juste roi Josias qui, éternellement, se plante dans le cœur transpercé du Crucifié.
Alors, un doux et bienfaisant dialogue intérieur peut s’établir, car seul le “Serviteur souffrant“ peut parler à un souffrant ; tout le reste est indécence, insolence. Lui seul peut faire comprendre à l’un de ces plus petits, de ces plus innocents qui souffrent que pour Dieu, il n'y a aucun “déchet d’humanité” !

Devant le Christ en croix, le chrétien murmure d’abord et affirme ensuite avec conviction de foi : les forces du mal avaient semblé l’anéantir lui-même. Mais il avait annoncé la fécondité du grain tombé en terre… Et c’est au moment où tout semblait fini pour lui que la contagion de sa vie va commencer de s’étendre vers les immensités de l’espace et des temps. Désormais, le goût de l’impossible humain ne reculera plus, même devant la mort. Des multitudes d’hommes iront, toujours plus nombreux, iront vouer au Christ et leur vie et leur mort même, dans l’espérance ferme d’être déjà “ressuscités avec le lui” !

C'est la seule réponse qu'un disciple du Christ peut balbutier devant la souffrance et devant le mal !
Mais combien il est terrible de consentir ! Il faut s’y reprendre à plusieurs fois comme le fit le Prostré de Gethsémani, mais à chaque fois un peu plus de paix nous envahit et l’Esprit nous souffle un meilleur consentement. Et finalement, il n’y a que ceux qui, depuis longtemps, ont accepté de mourir qui peuvent vivre à plein : ils vont, légers, attentifs, actifs, ne collant plus aux choses et dotés pourtant du pouvoir de les regarder selon leur vérité.

Et pour terminer mon propos, je citerai la poète Marie-Noël qui, en 1940, au milieu du drame de la dernière guerre, écrivait :
Toutes nos souffrances furent intégrées en la Passion du Christ, à l'heure immense de Gethsémani, et sont, en la sienne, salvatrices, soit pour une seule âme bien-aimée - époux, enfant, frère, ami - soit, plus largement, pour un peuple, pour une Eglise, pour une Patrie….
Vous tous qui souffrez, comme a souffert l'Innocent-Dieu,
Nous sommes tous des martyrs,
Nous sommes tous des hosties,
Nous sommes tous des Sauveurs et des Rédempteurs.

Mais il faut y consentir. Il faut dire à la souffrance le « Oui » d'Amour du mariage. Vaine, la souffrance inacceptée, la souffrance qui refuse, la souffrance qui se hait. Si le Christ, au jardin sacré, avait dit « Non ! ». S'il avait haï la croix, il aurait peut-être été crucifié, il n'eût pas racheté les hommes !
En son "fiat", par son "fiat" seul, s'est accompli le sacrifice.
En son "fiat" étaient inclus tous nos consentements d'Amour à la croix...“.



A suivre

jeudi 28 avril 2011

Souffrance (2)

Jeudi de Pâques


N.B : Jusqu’à Samedi, comme on me l’a suggéré, je m’efforcerai de faire quelques réflexions à propos de la souffrance, du mal…. Mon propos n’est donc pas sujet d’homélie, mais partage sur une question souvent posée…

“Il leur expliqua, dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait“.

La supplication du pauvre Tobie (citée hier) qui s’apparente étrangement à celle du “saint homme Job“ me semble s’exhaler encore du cœur du saint roi Josias (7ème s.), percé par une flèche perdue. Ce fut l’occasion, dans l’histoire biblique, de la première et immense réflexion sur la souffrance, sur le mal ! Elle accompagnera les psalmistes durant la grande épreuve de l’exil à Babylone.
Cette supplication traverse toutes les lamentations des siècles - et la vôtre et la mienne -, pour aller trouver sa résolution dans le cœur même du Christ percé, lui aussi, par la lance du soldat romain. On dirait que la trajectoire de cette flèche blessant à mort le juste roi Josias nous indique, à travers les âges et les mondes, l’unique solution : le mystère pascal du Christ ! Mystère très étrangement pressenti par le prophète Zacharie qui fait dire à Dieu : “Ils (les habitants de Jérusalem) regarderont vers moi (donc vers Dieu), celui qu’ils ont transpercé !“. St Jean a bien compris cela au pied de la croix : Dieu, en Jésus, est lui-même transpercé par la lance du soldat romain. Et Jean perçoit alors que c’est du côté du Christ percé par la lance du soldat que coule une eau divine et salvatrice pour tous les hommes…

Oui, le croyant peut alors approcher lentement de ce mystère !

D’ailleurs, humainement, - dites-moi ! - qui peut parler à celui qui souffre sans le blesser, sans accroître son mal ? - Il n’y a que dans le cœur transpercé du Christ que l’on peut appréhender la souffrance, la méditer et l’affronter en nous-mêmes et autour de nous. Bien plus, il le faut, car, avec l’amour, la souffrance est au cœur de l’humanité.

La souffrance et l’amour ! Voilà bien ce qui remplit l’homme ! Et remarquons qu’il y a un lien entre ces deux réalités : on souffre toujours à proportion de son amour. La puissance de souffrir est, en nous, la même que la puissance d'aimer. Aussi, Dieu lui-même a tant aimé les hommes qu'il leur a donné son propre Fils en croix ! La souffrance et l’amour en Jésus Christ !

Dès lors, avec l’amour du cœur transpercé du Christ, tout devient possible, face au mal lui-même. Claudel avait raison : “Le Christ n'est pas venu supprimer la souffrance. Il n'est pas venu l'expliquer, mais il l'a remplie de sa présence d’amour !“.

Et, en ce sens, lutter contre la souffrance devient même un devoir d’amour, peut devenir action divine ; il faut louer tous les tous les acteurs de bienfaisances diverses, tous les savants, tous les médecins qui contribuent à soulager la souffrance quelle qu’elle soit. Savent-ils qu’ils prêtent leurs mains au Dieu Créateur, au Dieu Rédempteur, au Dieu-Amour ?

Il n’y a jamais rien de nouveau dans le mal ! C’est toujours dans le bien que l’on crée. On crée en brisant le seuil de l’impossible humain, avec Jésus, le Ressuscité, le vainqueur du mal par excellence, la mort elle-même ! En lui, “Dieu a les issues de la mort elle-même“ !
Et Dieu fait en sorte de donner à l’homme de créer, de re-créer, c’est-à-dire de faire naître dans les ombres de notre monde la lumière qui vient de l’au-delà du monde. C’est en donnant sa vie que l’homme la reçoit ! Et en la donnant, tout se passe comme si Dieu nous donnait d’enjamber les ténèbres de ce monde et d’aller vers lui dans le sentiment fragile de faire surgir de nos mains tremblantes et de nos vies chancelantes ce qui paraissait ne pas être !

Oui, seules - et j’en reviens -, la flèche du juste roi Josias devenant mystérieusement la lance du Centurion romain peuvent amener à cet élargissement de notre propre cœur capable alors de recevoir un trésor de l’amour divin, un trésor de Vie par-delà la souffrance, la mort elle-même.
J’en suis convaincu. Mais je sais encore : c’est déjà extraordinaire de recevoir cette confidence, cette conviction du Christ ressuscité ! C’est encore plus extraordinaire d’en vivre, tant la réalité dépasse nos pauvres forces humaines ! ! !



A suivre


mercredi 27 avril 2011

Souffrance (1)

Mercredi de Pâques


N.B : Jusqu’à Samedi, comme on me l’a suggéré, je m’efforcerai de faire quelques réflexions à propos de la souffrance, du mal…. Mon propos n’est donc pas sujet d’homélie, mais partage sur une question si souvent posée…


“Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? ». Et en partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur expliqua, dans toute l’Ecriture, ce qui le concernait“.

N’est-ce pas la question des questions ? Et nous aimerions avoir entendu le Seigneur nous expliquer en partant de Moïse et de tous les prophètes, tant la question du mal, de la souffrance est récurrente à travers les âges !

Oui, en chaque siècle,
- on comprend facilement la révolte de l’incroyant : “S’il est juste que le libertin soit foudroyé, on ne comprend pas la souffrance de l’enfant“, disait Camus (“La Peste) “Je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants innocents sont torturés“.
- on fait sienne aussi la prière douloureuse que le souffrant adresse à Dieu : “Tu es juste, Seigneur… Maintenant Seigneur, souviens-toi de moi, regarde-moi… Daigne me retirer la vie : je veux être délivré de la terre et redevenir terre. Car la mort vaut mieux pour moi que la vie. J’ai subi des outrages sans raison, et j’ai une immense douleur ! … Laisse-moi partir au séjour éternel, ne détourne pas ta face de moi, Seigneur. Car mieux vaut mourir que passer ma vie en face d’un mal inexorable ; et je ne veux plus m’entendre outrager” (Tobie 3/2a,3,6). Que de grands malades, que de grands souffrants pourraient faire cette prière !

N’est-ce pas cette éternelle question de la souffrance qui était posée dernièrement au pape Benoît XVI par une petite japonaise : “Je m'appelle Elena, je suis Japonaise et j'ai sept ans. J'ai très peur car la maison dans laquelle je me sentais en sécurité a tremblé, énormément, et beaucoup d'enfants de mon âge sont morts. Je vous demande : pourquoi dois-je avoir si peur ? Pourquoi les enfants doivent-ils être si tristes ? Je demande au Pape qui parle avec Dieu de me l'expliquer.
Et Benoît XVI avait répondu : “Chère Elena, je te salue de tout cœur. Moi aussi, je me pose les mêmes questions. Pourquoi devez-vous tant souffrir… ? Nous n'avons pas les réponses, mais nous savons que Jésus a souffert comme vous, innocent, que le vrai Dieu qui se montre en Jésus est à vos côtés. Cela me semble important, même si nous n'avons pas de réponse et si la tristesse demeure : Dieu est à vos côtés et vous pouvez être certains que cela vous aidera. Un jour, nous comprendrons pourquoi il en était ainsi. Pour le moment, il me semble important que vous sachiez : « Dieu m'aime, même s'il semble ne pas me connaître. Il m'aime, il est à mes côtés ». Un jour, vous comprendrez que cette souffrance n'était pas vide, n'était pas vaine, mais que, derrière elle, il y a un bon projet, un projet d'amour“.

“Un jour, vous comprendrez… !“
On aimerait tant comprendre déjà. On aimerait comprendre comme le grand souffrant, Job, qui s’était révolté jusqu’à la limite du blasphème : “J’étais, avoue-t-il à Dieu, celui qui brouille tes conseils par des propos dénués de sens… Je ne te connaissais que par ouï-dire. Maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi, je retire mes paroles. Je me repens sur la poussière et sur la cendre“ (Jb 42.2-6).
Qu’a donc vu Job ? Le mystère reste entier. Dieu lui aurait-il fait voir dès ici-bas le mystère divin ? En tous les cas il affirme avec force sa certitude de vie : “Je sais moi que mon Rédempteur est vivant… Et c’est bien dans ma chair que je le contemplerai. Mes yeux le verront, Lui ; et il ne me sera pas étranger ! Mon cœur en brûle au fond de moi !“.

Nous aimerions nous exclamer, nous aussi :
“Venez, écoutez que je raconte, vous tous les craignant-Dieu, ce qu’il a fait pour mon âme !“. (Ps 66)
“Non je ne mourrai pas, je vivrai et publierai les œuvres du Seigneur !“ (Ps. 118).

A suivre

lundi 25 avril 2011

Résurrection - Eternité !

Lundi de Pâques

“Hommes de Galilée, dit Pierre dans son premier discours après la Pentecôte, cet homme Jésus que vous avez fait mourir…, Dieu l’a ressuscité… !“. Voilà bien l’objet du kérygme : le premier objet de la prédication apostolique. Une proclamation qui reprend l’affirmation des premiers disciples : “C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité ; il est apparu à Simon !“ (Lc 24.34). Et à la suite de Pierre, tous les apôtres - St Paul particulièrement - insisteront sur ce fait de la résurrection : “Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vide et vide aussi votre foi !“ (I Co 15.14). Et St Pierre terminera sa seconde lettre ainsi : “A Jésus Christ soit la gloire dès maintenant et jusqu’au jour de l’éternité“ (2 Pet 3.18). Cette éternité qui nous est promis : “Je suis le Pain vivant qui descend du ciel. Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité“ (Jn 6.58).

Résurrection - Eternité ! Deux mots qui peuvent poser question : même s’ils sont très liés l’un à l’autre, ils ne recouvrent pas la même réalité ! On a trop tendance à imaginer une succession de temps : le présent actuel qui s’écoule, puis la “Pâques (passage) de la mort à la vie, puis enfin l’éternité mais conçue comme un temps sans fin... Mais c’est introduire dans le temps, avec ses codes, ses mesures arbitraires, quelque chose - l’éternité - qui n’a rien à voir avec le temps !

Ce que l’on peut dire : l’Eternité, c’est Dieu ! La Résurrection, c’est Jésus-Christ !
- L’Eternité est propre à Dieu : “IL EST “ ! Et cela suffit. “Il est“ l’Eternel présent, le pur Acte d’être ! L’homme, lui, parce que créé “à l’image de Dieu“ a une âme immortelle. Mais il n’est pas de soi “Eternel“ ! Il ne peut accéder à l’Eternité qu’en communiant à l’“Unique Eternel“, c’est-à-dire à Dieu, à Dieu-Trinité ! - Communion plénière quand nous serons dans la gloire ! - Communion anticipée ici-bas quand nous sommes dans la grâce qui est une union à Dieu !

- La Résurrection, elle, relève de ce que la théologie orientale et patristique appelle : l’“Economie“ qui est une réflexion sur l’Agir de Dieu, sur la pédagogie divine à notre égard… tout au long de notre vie. Elle n’est pas une réflexion sur l’ETRE de Dieu.
Ainsi, la Résurrection de Christ inaugure un monde nouveau, tout en étant un événement de ce monde ; elle est à la charnière des deux mondes. Elle est une “Pâques“ où s’accomplit le passage d’un monde obscur marqué par la mort vers un monde de lumière et de béatitude. Elle n’est pas encore la jouissance plénière de l’“Etre Eternel“, la communion parfaite avec Dieu-Eternel. La Résurrection est un moment du temps qui peut donner accès à la Vie éternelle ! C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre l’injonction de Jésus à Marie de Magdala : “Ne me touche pas, car je ne suis pas encore remonté vers mon Père… et votre Père…“ (Jn 20.17). Marie ne peut plus “toucher“ son Seigneur à la façon du monde temporel ; elle ne pourra le “toucher“ que lorsqu’il sera reconnu par elle-même, par ses disciples comme entré dans la gloire de la paternité de Dieu, paternité qu’il veut partager avec tous ceux qui, par le lien de la foi, resteront “en alliance“, unis à lui qu’il veut déjà appelés “ses frères“ : “Va dire à mes frères…“ !

Ainsi la Pâque du Christ annonce et appelle notre résurrection qui est également un événement…, un événement en deux temps :
- Tout d’abord, l’expérience d’une résurrection spirituelle dès la vie présente : comme une nouvelle naissance déjà annoncée par Jésus à Nicodème (Jn 3.3) : nous naissons à la vie divine par la porte de la foi, des sacrements de la foi.
- Dans un deuxième “temps“, au-delà de la mort, nous connaîtrons la résurrection corporelle.
L’une et l’autre s’inscrivent dans une histoire et donc jalonnent une durée, durée temporelle pour la première, durée mystérieuse pour la seconde qui n’est ni le temps, ni l’éternité, mais quelque chose entre les deux, une sorte de permanence (sans avant, ni après) comme un “état“ de vie. (St Thomas d’Aquin emploie le mot “aevum“ : temps illimité, époque).
Sans entrer dans l’imaginaire (surtout pas), on pourrait parler :
- d’un “état“ de vie spirituelle ici bas, d’union avec Dieu qui est d’aujourd’hui comme d’hier et de demain, on l’espère …
- d’un “état“ de vie spirituelle qui sera notre mort expérimenté comme une entrée dans “l’autre monde“ où nous nous retrouverons avec tous ceux qui font cette même “Pâques“, ce même passage.
- un “état“ de vie spirituelle qui permettra d’être “ajusté“ à Dieu (cet état qu’on appelle communément purgatoire).
- enfin, un “état“ de vie spirituelle qui, comme l’expérience d’une résurrection finale et plénière, nous permettra de jouir de l’Eternité qu’est Dieu lui-même. (Pour tout cela, cf. St Thomas d’Aquin : Som. théo. Ima 10.5 & 6).

Aussi, dès maintenant, nous pouvons nous exclamer comme St Jean, en son chapitre 3ème de sa première lettre qu’il faudrait lire et relire (je vous y invite) : “Voyez quelle manifestation d'amour le Père nous a donnée pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Et nous le sommes ! Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est“.

dimanche 24 avril 2011

Vierge Marie et Marie de Magdala !

Pâques 11 -

Aujourd’hui, en cette solennelle fête de la Résurrection, en ce prieuré “La Paix Notre-Dame“, j’aimerais contempler Marie, m’unir à elle pour mieux m’unir au Christ ressuscité…

Mais au moment de la résurrection de Jésus, l’évangile ne dit rien de la Vierge Marie ! Elle est en silence ! Non pas étrangère à ce mystère, mais en silence ! C’est que Dieu enseigne souvent par des paroles, mais aussi par des silences. C’est à l’intelligence que la parole s’adresse ; c’est à l’âme que Dieu veut communiquer son Amour. Or l'amour, lui, peut se nourrir de silences qui parfois disent beaucoup plus que la parole. Oui, l’amour réclame souvent le silence. Le silence de Marie est un silence d’amour ! Son chant intérieur est un Magnificat devant l’œuvre d’amour pleinement et totalement accompli par son divin Fils !

Car, c’est bien le mystère de Pâques qui révèle le plus l’Amour de Dieu pour tous les hommes. Dieu est descendu jusqu’à nous par amour de sa créature pour nous faire remonter vers lui en ayant donné sa vie pour nous, par amour !
Marie reçoit donc ce grand mystère d’amour en silence. Plus Marie reçoit l'amour de Dieu, plus elle entre dans le silence d’une vie intérieure qui la distrait des circonstances extérieures. La vie intérieure est une vie qui échappe à l'histoire ; car elle se réalise en Dieu. Et ce n'est que par une vie intérieure, même imparfaite ici-bas, que nous pouvons approcher des mystères de Dieu. Avec Marie, dans le silence d’une vie intérieure, sachons percevoir les mystères de Dieu.

Faisons-le par opposition. St Jean écrit : “Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala se rend de bonne heure au tombeau”. En raison de son grand amour, elle s’active pour honorer Celui qu'elle aime, préparant des aromates pour son corps. Son ardeur la presse de vite revenir au sépulcre. En route, une seule préoccupation : qui enlèvera la grosse pierre qui mure le sépulcre. Arrivée, elle voit cette pierre roulée et le sépulcre vide. Effrayée, elle pense tout de suite à un vol. Elle court alors trouver Simon-Pierre et Jean : “On a enlevé le Seigneur !”.

Avec eux, elle retourne au sépulcre. Les disciples font le même constat et repartent. Marie de Magdala, elle, demeure près du tombeau, pleurant. Celui qu'elle cherchait par-dessus tout a disparu. Désespérée devant ce vide terrible, sanglotant, elle se penche vers le tombeau et voit deux anges : ‘Femme, pourquoi pleures-tu ?’ – ‘On a enlevé mon Seigneur”. Sa douleur est si forte qu’elle ne fait pas attention à cette apparition, si extraordinaire soit-elle. Ce ne sont pas des anges qu'elle cherche, c'est son Seigneur. “Disant cela, elle se retourne”. Et Jésus est là.

Il est là, mais caché sous les apparences d'un jardinier : “Femme, qui cherches-tu ?” - “Seigneur, si tu l'as pris, dis-moi où tu l'as mis”. - “Marie !”, dit Jésus. Alors elle le reconnaît : “Rabbouni, Maître !”. “Ne me tiens pas ainsi, dit Jésus, car je ne suis pas encore monté vers le Père… qui est mon Père et votre Père”. - C'est en prononçant son nom que Jésus se révèle à elle. Mais, aussitôt, il s'écarte, ne veut pas être touché.

Si Jésus apparaît à Marie de Magdala, c’est pour purifier, vivifier sa vie de foi, d'espérance et d'amour, lui rappeler les exigences d’une union plus intérieure avec lui. En effet, à cause de sa douleur vécue d'une manière trop humaine, elle n'a quitté le sépulcre qu'à contrecœur, obéi au précepte du sabbat qu’à regret, impatiente de revenir là où son cœur l'appelle, au tombeau. Le texte signale l'objet de ses pensées durant l’immobilité du sabbat. N’ayant pas trouvé le repos d’une union intérieure avec Jésus, elle s’adonne à des activités belles, bonnes, inspirées par la générosité de son cœur souffrant, mais qui étouffent en elle les exigences d’une union profonde avec le Ressuscité. En réalité, elle cherche Jésus là où déjà Il n'est plus !

Cependant Jésus aime Marie de Magdala ; à cause de la générosité de son amour, il lui fait le don de sa première apparition. Mais en même temps, pour lui inspirer une véritable union avec lui en lui dévoilant le mystère de sa Résurrection, il la “corrige” par certaines épreuves !

D’abord, elle trouve le sépulcre vide. Quelle terrible épreuve, quand on pense à son désir si vif : être près de son Seigneur ! - L’apparition des anges aurait pu être une consolation ! Mais, ne recherchant que Jésus, leur présence est pour elle une autre épreuve ; leur aimable question semble même l'énerver. Quand on recherche intensément une personne aimée, rencontrer d’autres personnes irrite parfois et blesse. - Enfin, la présence même du Christ est une troisième épreuve. Il est présent et elle ne Le reconnaît pas ! Quelle humiliation : quand on aime quelqu'un, on prétend toujours pouvoir le reconnaître… Marie de Magdala est proche de Jésus, mais son amour ne dépasse pas les apparences. Jésus doit avoir l'initiative et l'appeler par son nom : “Marie !”. Il doit réveiller en elle l’idéal d’une union profonde pour qu'elle comprenne alors qui il est vraiment.

Ainsi, Jésus lui fait comprendre qu'Il attend d'elle un nouvel amour, plus pur, plus divin. Elle ne peut plus Le toucher comme autrefois. Elle doit Le chercher dorénavant auprès de Dieu “son Père et notre Père”. Car c'est d’abord pour la gloire du Père qu'Il est ressuscité, et c'est auprès de Lui qu'Il demeure. C'est donc dans une foi toute divine qu'il faut Le rejoindre, rejoindre sa divinité, mais également son humanité, son corps qui doit devenir pour elle et tous ses disciples objet d’une vie intérieure, d’union avec Dieu.

Marie, la Mère de Jésus, elle, vit immédiatement de ce mystère pascal, en silence ! Par sa foi, son espérance, sa charité, elle n’a jamais quitté la présence divine de Jésus, jusque dans le silence de la mort. Aussi, dès la Résurrection, Marie vit en silence de ce mystère d'amour triomphant. Elle vit, dès cette terre, de l'éternité, du grand mystère de l'amour de Dieu. Elle comprend : le cœur de son Fils a bien été mortellement blessé par la lance du centurion, mais Dieu se sert de cette blessure pour que son amour divin resplendisse à nouveau, éclate en une splendeur unique dans ce cœur de chair et dans tout son corps. Et si le premier mouvement de ce cœur glorieux de Jésus est pour le Père, pour sa gloire, on peut penser qu’il est aussi pour sa mère. Car si le premier battement du cœur de l’Enfant de Bethléem fut certainement pour Dieu, son Père et pour Marie, sa Mère, il était normal que le premier mouvement du cœur de Jésus glorifié leur fût encore réservé. Jésus rendait à sa Mère au centuple ce qu'Il avait reçu d'elle.

Ce mystère, Marie le vit dans sa foi qui n’a nul besoin de signe extérieur. Elle est en silence. Ce silence enseigne que Marie est toute centrée en sa vie d’union au Christ glorieux, comme si elle-même ressuscitait déjà avec Lui et n'était plus de ce monde. St Paul nous dit : “vous êtes ressuscités avec le Christ ; recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ ! Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu”. Ne recherchant plus que “les choses d'en-haut”, là où est le Ressuscité, Marie vit dans un silence total, absolu, comme n'étant plus de ce monde. Jean dut respecter ce silence sans le comprendre toujours.

Ce mystère de la Résurrection épanouit encore l’espérance de Marie dans un élan d'être auprès du Père grâce à son Fils, avec Lui. Ce qui caractérise le Christ glorifié, c'est précisément d'être “près de son Père et notre Père“. Dans son espérance, Marie n’a plus qu’un désir : vivre auprès du Père. Elle est toute tendue vers ce jour où elle pourra dire, elle aussi : “Père me voici !” C’est dans le silence des choses de la terre qu’elle attend ce jour béni.

Enfin, le mystère de la Résurrection illumine la charité de Marie. Plus que jamais la vie de Marie est une vie d’union à Dieu, vie d'amour, pacifiée, transfigurée par l'amour. Jésus lui est beaucoup plus donné encore qu'à Noël, car la Résurrection est un don nouveau de l’amour de Dieu par le cœur glorifié de son Fils. Il y a là, pour le cœur de Marie, une présence plus divine, plus intime de Jésus. Et cette intensité d’amour ne se vit que dans le silence.

“La Paix de Notre Dame !“ Voilà la paix divine que goûtait Marie dans le silence, en cette nuit pascale, alors que Marie de Magdala guettait le petit jour pour se précipiter vers le sépulcre vide et que Jean et les autres disciples demeuraient désemparés. Seule, Marie veillait dans le silence d’union à son Fils, Dieu fait homme par elle, et désormais dans la gloire du Père.

Qu’elle soit pour nous tous une aide et un exemple à suivre, nous qui cheminons vers Dieu-Père, le Père de toute miséricorde.

samedi 23 avril 2011

En mouvement vers le Père

Pâques Vigile 11 -

Un simple mot pour souligner “la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur“ (Ep. 3.18) du mystère que nous célébrons. Et comme demain je ferai allusion à Marie de Magdala, je rappellerai en cette nuit le riche renseignement que lui adresse Notre Seigneur en la lumière du matin de Pâques : “Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu“ : “anabainô pros ton Théon !“ On peut dire que tout le sens de notre existence ici-bas, toute notre vocation baptismale, religieuse, toute notre expérience spirituelle se résument en ce seul mot d’une seule syllabe, cette proposition grecque : “pros“ qu’on ne sait pas très bien traduire. “Je monte vers mon Père et votre Père…“. Il est intéressant de noter que cette même expression, Jean l’utilise au début de son évangile : “Et le Verbe était auprès de Dieu“, traduit-on difficilement : “O Logos èn pros ton Théon“. Le Verbe était “pros ton Théon“ : en relation, en mouvement vers le Dieu Unique !

Aussi, on pourrait dire que Jésus, le Verbe de Dieu fait homme a, en quelque sorte, détourné cet élan éternel qu’il a vers le Père, par l’Esprit Saint, dans le mystère de la Sainte Trinité, pour passer parmi nous afin de nous entraîner, nous aussi, “pros ton Théon“ vers son Père devenu, grâce à lui, notre Père, vers son Dieu devenu notre Dieu.

Aussi, l’apôtre bien-aimé précisera que pour nous entraîner vers Dieu : “le Fils Unique nous l’a fait connaître“ (Jn 1.18). “Ezègésato“. Mais ce verbe grec ne traduit pas une connaissance intellectuelle, spéculative. Son sens primitif est “conduire“: “Le Fils Unique nous conduit vers le Père“ !
Il est venu sur la trajectoire de notre vie pour nous “conduire“ vers son Père devenu notre Père ! L’“Image de Dieu“ la plus parfaite est venue nous dépanner, nous, pauvres “images de Dieu“ défigurées par renoncement au bonheur véritable qu’est Dieu lui-même. Il est venu nous rencontrer et nous entraîner dans son élan éternel vers le Père, “pros ton Théon“ ! “Par Lui, avec Lui, en Lui, dans l’Esprit-Saint, tout honneur et toute gloire“ ! St Ignace d’Antioche avait raison de parler de l’Esprit-Saint comme d’une “source en nous et qui crie : « Allons vers le Père ! »“. - “Laissez-moi aller vers le Père“ : telles furent les dernières paroles du pape Jean-Paul II au moment de sa mort !

C’est tout le sens de notre voyage ici-bas. Et alors, prenant conscience, de Pâques en Pâques, d’événement pascal en événement pascal, de cet élan qui nous est impulsé grâce au Fils de Dieu qui est éternellement “pros ton Théon“, en élan vers le Père, nous pouvons répéter, avec St Jean encore, ce qu’il nous dit dans sa première lettre : “Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Verbe de Vie... [– car la Vie s’est manifestée ; et nous avons vu, et nous rendons témoignage, et nous vous annonçons cette Vie éternelle qui était tournée vers le Père (“pros ton Patéra“) et qui s’est manifestée à nous –]… ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ“ (I Jn 1.1-4).

Que toute notre vie proclame : “Le Christ est ressuscité, Alleluia ! Il nous précède désormais en Galilée, comme il le disait à Marie de Magdala, c’est-à- dire au carrefour de toutes les nations, Allleluia ! Afin de tous nous entraîner vers son Dieu et notre Dieu, “pros ton Théon“ Alleluia !

jeudi 21 avril 2011

"Laisse faire...!"

Jeudi Saint 2011

Une seule réflexion ce soir pour ne pas prolonger cette cérémonie et surtout pour vous laisser, dans quelques instants, en un "cœur à cœur" avec le Seigneur.

Au début de sa vie publique, Jésus vient au Jourdain pour être baptisé par Jean. Celui-ci se récuse : "C'est moi qui ai besoin d'être baptisé par toi, et toi tu viens à moi" ! Mais Jésus lui répond : "Laisse faire pour l'instant, c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice". Alors il le laisse faire (Mt. 3/13-15).
A la fin de sa vie publique Jésus se prépare à laver les pieds de ses disciples : Pierre proteste : "Toi, Seigneur, me laver les pieds !" ; et Jésus de lui répondre : "Ce que je fais, tu ne le sais pas maintenant; tu comprendras plus tard". Alors Pierre accepte (Jn 13/6-7).

Dans les deux épisodes du Baptême de Jésus et du lavement des pieds nous assistons au même scénario : Jésus se présente pour accomplir un acte qui surprend :
- se faire baptiser lui qui n'a pas besoin d'être purifié ;
- laver les pieds de ses disciples comme un esclave, lui qui est le Maître.
Et dans l'un et l'autre cas, il déclare à Jean, puis à Pierre : "Laisse-moi faire !", c'est-à-dire : "Laisse-toi faire" ; et le geste est accompli sans que Jean et Pierre en comprennent toute la signification : "Tu comprendras plus tard...".

Dans nos vies aussi le Seigneur intervient de manière souvent déconcertante. Réfléchissons quelques instants, même si nous ne sommes pas très âgés et n'avons pas beaucoup d'années à regarder derrière soi. Le Seigneur ne nous a-t-il pas souvent interpellé : "Laisse-toi faire" - "Tu comprendras plus tard" :
- telle parole entendue,
- telle réflexion qui est soudainement ou lentement montée de notre cœur et qui fut comme une lumière à capter pour orienter notre vie,
- tel engagement sollicité et qui a dévié la route de notre vie,
- telle rencontre, comme les deux disciples fatigués et découragés sur le chemin d'Emmaüs,
- une épreuve peut-être aussi qui nous sollicitait à marcher avec le Christ vers le Calvaire sans savoir que c'était aussi vers Pâques !

Oui, le Christ nous propose parfois des choses étonnantes - Dieu est toujours étonnant ! - qui surprennent notre attente, dérangent notre cheminement, heurtent notre pensée, déroutent même notre piété. Et toujours il nous dit avec douceur et fermeté en même temps : "Laisse-toi faire".

Oui, laissons-le alors agir en nous : toute foi, toute relation avec le Christ suppose un certain "abandon à la divine Providence". La grâce du “divin abandon“, comme disait naguère, dans un magnifique et classique petit opuscule, le P. de Caussade. Acceptons ce qu'il nous propose : nous comprendrons plus tard... Peut-être même - comme il arrive souvent - le seul fait d'accomplir sans comprendre ce qu'il nous demande, nous donnera la grâce de comprendre. C'est dans l'obéissance aux injonctions - ou plutôt aux propositions - de la grâce que nous entrons peu à peu dans la connaissance de Dieu.

Laissons-nous pénétrer ce soir par ce geste étonnant du lavement des pieds, accueillons sans réticence Dieu qui, dans l'Eucharistie, veut se donner à nous. Et alors, dans l'humble geste du lavement des pieds nous découvrirons l'amour fraternel et par lui la nature même de Dieu : "Quiconque aime, connaît Dieu, car Dieu est amour". Et nous rentrerons comme de plain-pied dans le mystère de l'Eucharistie, prélude de la gloire céleste.

dimanche 17 avril 2011

St Simon, le Cyrénéen !

Rameaux 11

Permettez-moi de vous parler simplement d'un homme qui passe pratiquement inaperçu dans le long récit de la passion et pourtant qui aurait certainement beaucoup de choses à nous dire.

Il s'agit d'un certain Simon..., celui qui a aidé Jésus à porter sa Croix. Que savons-nous de lui ? Rien ou presque rien... Il était originaire de Cyrène. Cyrène, c'est en Afrique du Nord ! Un émigré ! Il revenait des champs. Sans doute avait-il travaillé dur. Et vers midi où le soleil tape fort, il rentrait fatigué à la maison.

Enfin ce qu'on sait c'est qu'il est réquisitionné, lui, le passant.

Ce qui est frappant, c'est à la fois son anonymat et la place privilégiée qu'il a prise dans le Mystère de la passion du Christ. - Anonyme... Car on n'a pas reparlé de lui. Il n'a même pas sa place dans le catalogue des saints. Il est rentré dans la nuit et l'oubli de l'histoire. - Et pourtant quelle place il a eue ! Il a porté la Croix du Christ, le seul ! Il était à côté de Lui. Il l'a vu souffrir, pleurer, crier peut-être ! Et ce faisant, il a été le partenaire du plus bouleversant événement de l'histoire : ce chemin de Croix où Dieu lui-même a donné sa vie pour que tous les hommes sans exception, soient sauvés !

En cette heure exceptionnelle, Dieu a eu besoin d'un homme, d'un frère, Simon, lui l'étranger, lui qui simplement passait par là, ce jour-là ! Sans le savoir, il est devenu le premier disciple de ce Jésus qui avait dit auparavant : “Celui qui veut être mon disciple, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.” En ce jour-là, Simon a pris sa place de disciple, bien avant les apôtres qui s'étaient enfuis, bien avant cet autre Simon qui lui-même avait renié.

Ce Simon de Cyrène est le frère de tant de gens très simples... Il y en a certainement parmi vous… Ces gens-là ne sont pas forcément très familiers de l'Eglise. Ce ne sont pas toujours des militants, comme on dit. On ne les trouve pas forcément dans les EAP. Mais, quand il faut prendre sa place auprès de quelqu'un qui porte douloureusement sa croix, ils savent le faire, sans publicité.

Simon de Cyrène nous montre le chemin : lui le lointain, il s'est fait le prochain. Il a su partager la passion du Christ. Avec lui, désormais, nous savons que s'il y a des croix impossibles à écarter, reste l'immense appel à s'aider à les porter les uns les autres.

C'est ce qu'affirme à sa manière ce beau texte du Concile : “puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu seul connaît, la possibilité d'être associés au mystère pascal du Christ.”

samedi 16 avril 2011

Ultime préparation

Carême 5. Samedi - Ephraïm ! (Ez 37, 21-28 - Ct Jr 31 - Jn 11,45-57)

Aujourd’hui, nous rejoignons Jésus, non plus dans le Temple de Jérusalem, non plus en Transjordanie où il se trouvait quand il apprit la mort de son ami Lazare, mais dans la montagne d’Ephraïm, en bordure du désert, sur les collines qui dominent la vallée du Jourdain et la région de Jéricho : “Jésus partit pour la région proche du désert, dans la ville d’Éphraïm où il séjourna avec ses disciples”.

Ephraïm a une belle signification. פרי (pheri) c’est le fruit. Ephraïm, disent les grammairiens, est le duel de surabondance : c’est la fécondité. Est-il inconvenant de penser que Jésus se prépare à manifester la fécondité de son mystère pascal qu’il va pleinement accomplir ? En tous les cas, on peut retenir que cette région, en bordure du désert, est à proximité du désert où Jésus fit une retraite de 40 jours. Comme si Jésus avait besoin de retrouver ces options messianiques que Satan, par ses tentations, lui avait donné l’occasion de formuler et de préciser au début de sa vie publique, après son baptême dans le Jourdain. Quoi qu’il en soit, d’Ephraïm, on peut embrasser du regard toute la montée à Jérusalem, de Jéricho au Mont des Oliviers. C’est un merveilleux site de pèlerinage aux approches de la semaine sainte pour méditer sur la dernière étape de Jésus montant à Jérusalem !

A Jérusalem, la décision est prise de faire disparaître ce personnage gênant. Caïphe qui préside le Grand Conseil pratique ce qu’on appelle, tout au long de l’histoire, la « real politik », avec un cynisme remarquable : “Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit : "Vous n'y entendez rien. Vous ne songez même pas qu'il est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière".

Sa charge de Grand Prêtre, remarque St Jean, fait qu’il est doué d’un charisme qui, inconsciemment, lui a donné d’annoncer, au service même de cette « real politik », la célèbre prophétie d’Isaïe sur le grand rassemblement d’Israël et des nations qui se réalisera un jour dans le dessein de Dieu : “Et maintenant le Seigneur a parlé, lui qui m'a modelé dès le sein de ma mère pour être son serviteur, pour ramener vers lui Jacob, et qu'Israël lui soit réuni... Il a dit : "C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre". Ainsi parle le Seigneur, le rédempteur, le Saint d'Israël, à celui dont l'âme est méprisée, honnie de la nation, à l'esclave des tyrans : des rois verront et se lèveront, des princes verront et se prosterneront, à cause du Seigneur qui est fidèle, du Saint d'Israël qui t'a élu“. (Is 49,5-7).

C’est une occasion de méditer sur les voies de Dieu dans l’histoire du monde, de méditer sur cette sorte d’alchimie par laquelle, comme dans l’histoire de Joseph, Dieu transforme le mal en bien : “Les frères de Joseph, eux-mêmes, vinrent et, se jetant à ses pieds, dirent : Nous voici pour toi comme des esclaves ! Mais Joseph leur répondit : Ne craignez point ! Vais-je me substituer à Dieu ? Le mal que vous aviez dessein de me faire, le dessein de Dieu l'a tourné en bien, afin d'accomplir ce qui se réalise aujourd'hui : sauver la vie à un peuple nombreux“. (Gn 50,18-20) Et le psaume 118 affirme : “La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ; c'est là l'œuvre du Seigneur, ce fut merveille à nos yeux“. (22-23)

Dieu, plus jaloux que les hommes de la liberté dont il les a doués, dirige l’histoire sainte vers l’harmonie d’un Royaume qui se fera à la fin des temps. Pour réveiller notre espérance et nos certitudes, en le décrivant, la liturgie d’aujourd’hui fait appel à ce grand visionnaire qu’était Ezéchiel, dans la 1ère lecture de cette liturgie.

Oui, à la veille du dimanche des Rameaux (Shabbat), la liturgie nous offre une riche méditation sur les voies de Dieu qui ne sont pas les nôtres. Que cela nous prépare à nous engager dans la voie étroite et le chemin de croix qui débouche au matin de Pâques sur la victoire du Christ sur la mort.

vendredi 15 avril 2011

Vengeance !

Carême 5. Vendredi - (Jér. 20.10sv)

Dans la lecture d’aujourd’hui, il y a une belle prière, me semble-t-il, celle du prophète Jérémie.

- “Seigneur, Dieu de l’Univers…“. Toi qui as révélé ton “Nom“ à Moïse, en disant : “JE SUIS“, sans toi, rien ne pourrait subsister… en ce moment… ! - Jérémie exprime déjà ce que nous proclamons : “Je crois en Dieu, Créateur Tout-Puissant“, hier, aujourd’hui, demain… ! C’est l’acte de FOI de Jérémie.

- “Toi qui examines avec justice“, parce que tu ne cesses d’“ajuster“ toutes choses à toi…, qui sais ce qu’il y a dans le cœur de l’homme... - L’acte de foi de Jérémie se traduit en un acte de confiance totale…

- “C’est à toi que je j’ai remis ma cause…“. Je m’en remets à toi totalement… Avec toi, je ne crains rien, je suis déjà sauvé… ! Après la foi pleine de confiance, c’est un acte d’espérance que pose Jérémie, le grand souffrant, figure du Souffrant sur la croix…

- “Que je puisse voir la vengeance que tu vas tirer de ces gens-là !“. – Du coup, vous allez dire : ce n’est pas l’acte de charité que l’on attendait ! Apparemment, c’est vrai ! - Mais il faut dire que la Bible reflète une théologie morale qui avance pas à pas dans l’éducation de l’homme ! Au seuil de l’humanité, c’était la vengeance absolue : “Si l’on tue Caïn, il sera vengé sept fois“, c’est-à-dire une multitude de fois, ce qu’un certain “Monsieur Lamek“ saura bien interpréter : “J’ai tué un homme pour une blessure… Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek, soixante-dix-sept fois !“ (Gen 4.23). Mais l’éducation de l’homme dans sa fréquentation avec un Dieu “de tendresse et de miséricorde“ se fera avec plus de retenue : ce sera la “Loi du talion“ : “œil pour œil, dent pour dent…“ (Cf. Ex. 21).

Cette éducation du cœur de l’homme se poursuivra à partir des prophètes qui révèlent un Dieu qui pardonne à son peuple, jusqu’au Christ qui enseignera : “Je ne te dis pas de pardonner jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois !“. C’est l’inversion totale de la vengeance exigée pour Caïn et Lamek. St Paul notera : “Laissez agir la colère de Dieu, car il est écrit : « A moi la vengeance ! C’est moi qui rétribuerai ! »“. Et il l’a fait en envoyant son Fils qui “de riche qu’il était s’est fait pauvre pour que dans sa pauvreté vous deveniez riches(II Co. 8.9). Dieu ne se venge que par l’Amour ! A un excès du mal, il répond par un excès d’amour ! Voilà la vengeance de Dieu !

Mais les étapes de cette éducation du cœur de l’homme tout au long de l’histoire biblique sont malheureusement contemporaines, toutes à la fois ! Il suffit d’ouvrir la télévision pour s’en rendre compte. Tour à tour nous entendons soit l’exclamation de Lamek : une vengeance absolue, soit la plainte de Jérémie qui s’en remet à Dieu pour être vengé, soit - malheureu-sement plus rarement encore - un appel à la vengeance de l’amour !

Je n’ai pas compris grand-chose à la pensée de Freud et à la “psychologie des profondeurs“. Ce que j’ai seulement retenu, c’est qu’il y a en chacun de nous des étapes de l’évolution humaine jugées “anachroniques“ et qui, pourtant, sont encore contemporaines. Il y a encore des comportements “anachroniques“ qui montent de l’inconscient de l’homme et qui viennent contredire les expressions conscientes d’un idéal possible : “Aimez-vous comme je vous ai aimés !“.

Dès lors, on peut mieux comprendre la réflexion d’un prêtre brésilien qui disait : “Ne supprimons pas de la Bible ces cris contre l’injustice, ces appels à la vengeance. Je les reçois comme une prière au nom de tous ceux qui reçoivent des menaces de mort et qui vont parfois se faire tuer parce qu’ils défendent la justice“. C’est vrai : il ne faut pas prier seulement “en écrémant le sublime, si je puis dire ! La Bible doit être une lecture “existentielle“ de toute l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui - avec tous les étapes de l’éducation du cœur de l’homme -. Et le Christ vient aujourd’hui encore sauver l’homme tel qu’il est ! D’ailleurs, le Christ, en bon Juif, a dû lire des expressions comme celle de Jérémie et les faire siennes dans sa prière !

N’ayons pas honte de reprendre les expressions comme celle de Jérémie. La Bible, finalement, est un grand filet qui ramasse l’humanité - actuellement encore - là où elle en est et comme est, pour l’encourager à dépasser les étapes dites “anachroniques“ et qui sont encore actuelles pour la diriger vers la vengeance de Dieu : celle de l’Amour !

Voilà comment, me semble-t-il, il faut lire certaines expressions très dures de la Bible. Elles sont encore - malheureusement - si actuelles ! C’est à nous de “christianiser“ toutes ces expressions dites “anachroniques“ et pourtant d’actualité ! En méditant la passion du Christ crucifié, nous pourrons contempler toutes les “scories“ de notre humanité contemporaine que le Christ - avec nous-mêmes qui faisons partie de son Corps - veut purifier par sa “vengeance d’amour“ !

jeudi 14 avril 2011

"Va...!"

Carême 5 Jeudi “Voici mon Alliance avec toi…“ !

Il y a d’abord ce mystérieux : “Va… !“ (Gen 12.1). Pars… ; mets-toi en route. Quand Dieu parle à l’homme, c’est toujours pour le mettre en route… vers lui !

Or, l’homme a une très mauvaise habitude : il veut toujours “s’installer“ même sur le bord du chemin, ce qui n’est pourtant pas toujours très confortable ! Et là, il se fait des projets pour lui-même sans tenir compte des appels du Seigneur, de l’Alliance que Dieu lui propose. Il lui arrive même de tomber dans le fossé ! Il se trouve alors défiguré, lui que Dieu appelle toujours à “être à son image et ressemblance“ ! Mais Dieu l’aime trop pour le voir ainsi s’arrêter à des bonheurs au rabais, voire misérables. Il l’interpelle pour le remettre en route.

C’est tout le sens de l’Alliance que Dieu propose à Abraham ! Avec Abraham, il remet toute l’humanité en route vers son bonheur véritable !

C’est tout le sens de l’Alliance que Dieu nous propose en Jésus Christ. C’est que nous allons rappeler fortement dans quelques jours !

Car, en mot-à-mot, il faudrait traduire : “Va pour toi… !“. Dieu n’est pas “captatif“. Son amour exprime le contraire : “Va ton chemin, épanouis tout ce que j’ai mis en toi quand je t’ai fait à ma ressemblance“. “Va vers le pays que je te ferai voir“ (Gen. 12.1), “vers le pays de Moriah“. La racine du mot “Moriah“ étant “raa“ (voir), il y a un jeu de mots : Va vers le pays de la “vision“ que je te ferai voir ! Va voir celui qui te voit sans cesse !

Comment répondons-nous à cet appel de Dieu, à l’Alliance qu’il propose, à l’héritage qu’il veut nous transmettre (cf. Collecte) ?

mercredi 13 avril 2011

Espérer !

Carême 5. Mercredi - “Espérant contre toute espérance…“ ! (Daniel 3.14sv)

La lecture - un passage du livre de Daniel - exalte la fidélité au Dieu Unique à l’époque de l’exil durant laquelle il était souvent dangereux de témoigner de sa foi ! Or, cette situation se renouvelle et même s’amplifie au temps où la rédaction du livre s’achève (milieu du 2ème siècle). Le récit vise donc autant la période babylonienne que celle durant laquelle ce païen d’Antiochus Epiphane voulut helléniser la Judée en imposant par la force des pratiques païennes. N’avait-il pas mis dans le temple lui-même une statue d’une idole, “abomination de la désolation !“.
Alors, se souvenant de l’exemple des trois jeunes gens du temps de Nabuchodonosor, roi de Babylone, le livre de Daniel rappelle : mieux vaut aller jusqu’au martyre s’il le faut (comme les Maccabées devant ce fameux Antiochus Epiphane) plutôt que de céder à l’idolâtrie, que de renier sa foi !
Cette fidélité à Dieu se révèle d’ailleurs toujours bienfaisante même au-delà de la mort ! C’est à cette époque que se développe le sentiment d’un au-delà de la mort elle-même ! Et les Pères de l’Eglise ont vu comme naturellement dans la scène des trois jeunes gens échappant de la fournaise de feu le symbole prophétique de la résurrection du Christ ! Et l’art chrétien primitif lui-même aimait représenter cette scène en ce sens !


Par delà ces éclaircissements historiques, retenons en lisant ce texte un vif encouragement à approfondir notre propre foi, à affermir notre fidélité à notre Dieu, Créateur et Rédempteur. Et cela :
- malgré les nombreux signes de paganisme galopant en notre Occident !
- malgré le contexte pour le moins a-religieux de notre société,
- malgré certains moyens de communication qui ont l’habilité de déclencher des avalanches médiatiques anti-religieuses…,
- malgré les relations que nous pouvons entretenir légitimement et qui, cependant, agressent parfois, même amicalement, notre foi elle-même,
- malgré - et c’est encore plus dur souvent - certains événements familiaux, amicaux qui reflètent le dur combat entre le bien et le mal ! Je pense à des situations sociales, familiales difficiles à résoudre…, je pense à l’agression faite soudainement par une maladie grave à l’un de nos proches…,
- malgré - et j’en terminerai là - le combat, à vie et à mort, qui se déroule, parfois, à l’intérieur de nous-mêmes. Car la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille…


Malgré tout cela, cause souvent de notre affliction légitime, retenons cependant la leçon du livre de Daniel et affirmons d’une manière ou d’une autre : Le Christ est ressuscité. Par lui, la vie, en nous, l’emportera ! Et même si la souffrance nous fait nous poser mille questions, dites-nous que “mille questions ne font pas obligatoirement un doute“ (Newman).

mardi 12 avril 2011

Serpent

Carême 5. Lundi Regarder le Christ en croix (Nomb 21.4sv)

Il y a un jeu de mots plein d’humour (d’humoir noir) dans l’expression “serpent d’airain“ (serpent de bronze)

Serpent : (nerach). N’oublions pas que les Hébreux venaient d’Egypte ! En ce pays, on croyait qu'un animal dangereux pouvait être neutralisé ou manipulé par son image. Ces représentations transformaient la menace mortelle du serpent (par ex.) en une fonction guérissante. C’est un peu comme dans l’art de la médecine : on prend un peu du poison, on l’inocule dans l’organisme pour en faire un antidote ! Ainsi, des images d'animaux accompagnaient les morts, afin de les protéger des forces du monde souterrain. Encore maintenant, on voit l’image du serpent figurée sur le pare-brise des voitures des médecins et des pharmaciens.
Ainsi, en se moquant, Moïse dit au peuple : en regardant le serpent, regardez bien en face l’objet de votre erreur, votre mal (ne pas croire en Dieu). Et en regardant votre erreur bien en face (avec contrition, dirions-nous), vous serez sauvés !

Et Moïse insiste ! Dieu lui avait commandé de faire un serpent ! Et lui de se dire : “je le ferai en airain“ : "nerochet" ! Il en découle un jeu de mots dans l’expression “serpent d’airain“ : (nerach nerochet). Les deux mots ont la même origine, celle du verbe : faire de la divinisation, consulter les augures, ce que les Hébreux faisaient facilement quand ils se détournaient de Dieu !
Autrement dit, en amplifiant sa moquerie, Moïse leur demande de bien reconnaître le serpent, c’est-à-dire leurs erreurs, leur manque de confiance. Et ce faisant, Dieu leur pardonnera et ils seront sauvés ! La faute qu’il regarde bien en face avec contrition devient un antidote par la foi retrouvée.

C’est cette explication que semble donner Jésus dans son entretien avec Nicodème (Jean 3) : “Ce qui et né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit !“.
+ Reconnaître d’abord que ce qui et né de la chair est chair, comme David qui reconnaît sa faute : “Vois, mauvais, je suis né !“
+ Ce qui conduit à une “renaissance“ : “crée en moi un cœur pur !“ demandait alors David après avoir reconnu sa faute avec contrition : “ce qui est né de l’Esprit est esprit !“.

Aussi, se référant à l’épisode du désert, Jésus peut ajouter : “comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l'homme soit élevé…“. C’est-à-dire regardez avec contrition le Christ en croix dont la mort est le “salaire du péché“, dira St Paul. Regarder en face son erreur ! Et alors, par la foi, le salut est donné !
+ “afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle“.
+ “Qui croit en lui n'est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu“.
+ “Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l'obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises“.
+ “Quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées“.

On comprend mieux les phrases de St Jean : ­­
- faire la vérité, regarder en face, le serpent, objet de nos fautes, de nos erreurs… Faire la lumière jusque là !
- Et alors par la foi, le salut est donné !

C’est toujours le même mouvement : descendre jusque dans sa bassesse pour remonter, “renaître“, dit Jésus à Nicodème.

C’est tout le sens de notre baptême : descendre dans la mort avec le Christ pour remonter avec lui vers la VIE.

lundi 11 avril 2011

Justice de Dieu

Carême 5. Lundi (Daniel 13.1sv)

Le livre de Daniel se présente comme l’œuvre d’un prophète contemporain de la captivité à Babylone (6e s.). Epoque affreuse : les déportés ne pouvaient plus rendre un culte au “Dieu Unique !“. Mais époque qui se termine merveilleusement lorsque Cyrus, roi de Perse, fait la conquête de l’empire babylonien. Il est comme un envoyé de Dieu puisqu’en 538 il permet aux Juifs de revenir à Jérusalem pour rebâtir le temple ! (Cf. II Chro. 36.22sv). Et le livre de souligner, bien sûr, que ce sont la foi et l’espérance du peuple qui lui permirent de durer malgré les épreuves et d’être enfin libre !

On sait maintenant depuis longtemps que la rédaction de ce livre date de l’époque des persécutions d’Antiochus Epiphane (moitié du 2ème siècle) qui provoqua la révolte des Maccabées. Ainsi le livre de Daniel (dans un style apocalyptique) veut dévoiler, révéler (c’est le sens du mot “apocalypse“) quel sera le dénouement heureux de cette nouvelle persécution en méditant sur le temps de l’exil à Babylone ! Comme autrefois, Dieu prépare la victoire finale contre les forces du mal !

Il est à remarquer d’ailleurs que c’est le livre de Daniel qui est le plus explicite, dans l’Ancien Testament, sur la résurrection des morts, à propos des martyrs de l’époque (Cf Dan. 12.2sv). Aussi, il n’est pas étonnant que le livre de Daniel soit largement cité dans le Nouveau Testament et surtout dans l’Apocalypse de St Jean pour souligner qu’en Jésus Christ la victoire divine sera toujours éclatante, et sur la mort elle-même… “O Mort, où est ta victoire ?“, s’exclamera St Paul.

Autrement dit, le livre de Daniel veut affirmer que Dieu est le Maître et de l’histoire du monde et de notre propre histoire personnelle. Dieu est le “Juge impartial“ : “Dan – El“ : “Daniel“ : “Dieu Juge !“.

Et cette pensée est illustrée par l’épisode de notre lecture : l’intervention de Dieu, à travers son prophète Daniel, en faveur de Suzanne injustement accusée, persécutée. Je dirais avec plaisanterie et humour que lorsque j’étais tout jeune - à une époque encore de réserve, si je puis dire ! - on remplaçait facilement cette histoire de Suzanne jugée sans doute, à l’époque, un peu scabreuse. Ce n’était pas une lecture très “liturgique !“. C’était dommage, car le livre veut souligner que Dieu n’abandonne pas les innocents et il punit les coupables !

Aussi, le livre souligne avec complaisance l’importance de la Loi…, de la Loi de Moïse…, de la Loi exemplaire de l’Alliance, sans pour autant parler de la probité des juges humains. C’est classique : ce n’est que lorsque le juge ou le prêtre d’ailleurs ont des défaillances que l’on fait toujours semblant de confondre le juge avec la justice ou le prêtre avec Dieu pour habituer les hommes à se défier de la justice ou de Dieu lui-même ! ! Il me semble que les mass-médias s’y entendent pour cela. Ils aiment faire des amalgames faciles !

Dans l’évangile où l’intégrité des juges est davantage louée, Jésus cependant élève toujours le débat. Il entraîne ses auditeurs plus loin, sur le terrain de la “Justice de Dieu“. “Dieu ne ferait-il pas “justice“ à ses élus qui crient vers lui, jour et nuit ?“ (Luc 18.7). Une phrase digne du livre de Daniel !

Mais comment crient-ils ? Car la prière n’a pas pour but de rétablir le droit ni l’ordre juste des salaires, des revenus, des impôts… , etc. “Qui m’a établi pour être votre juge ou pour faire vos partages ?“, demandera Notre Seigneur (Luc 12.14). Cela est de la responsabilité des hommes eux-mêmes ! La prière qui ne doit pas être un marchandage établit l’ordre moins entre les choses qu’à l’intérieur du cœur humain. La prière, c’est “être avec Dieu“ ; c’est “s’ajuster“ à Dieu. C’est “s’apprivoiser“ à lui comme il s’est “apprivoisé“ à nous en envoyant Jésus, son Fils, parmi nous, afin que soyons “justes“ en nous “ajustant“ à lui ! A l’exemple de Daniel, “Dan-El“ : “Dieu m’a jugé“, “Dieu m’a ajusté“, pourrait-on interpréter.

Cet “ajustement“ du cœur qui “s’ajuste“ à Dieu qui seul “justifie“, dira St Paul, est une force de vie, la force créatrice de l’Esprit Saint qui continue de supprimer en nous-mêmes les désordres afin que tous puissent chanter la gloire de Dieu qui fait toutes choses “justes“ ! Car il faut bien le reconnaître : l’homme peut rendre la justice, mais c’est Dieu qui fait la justice. Dieu fait la justice comme il fait le monde ; Dieu fait toujours la justice comme il recrée le monde en Jésus Christ… qui nous appelle à nous “ajuster“ à Lui ! Le Savons-nous suffisamment ?

dimanche 10 avril 2011

Mort-Résurrection

5ème Dimanche de Carême A.11

“Jésus cria d'une voix forte : "Lazare, dehors !".

Un ami qui vient de mourir... une famille en larmes... une foule nombreuse qui s'associe à son deuil... C'était au temps de Jésus : l'enterrement de Lazare à Béthanie.

Mais, c'est aujourd'hui encore… et tous les jours... C’était il y a quelques temps : un garçon de huit ans participait à la cérémonie de sépulture de son grand-père. Il avait beaucoup de chagrin, il voyait surtout sa maman qui pleurait. Au cours de la cérémonie, on a lu le récit de “la résurrection de Lazare”. Les yeux de l'enfant fixaient le prêtre qui lisait, et son visage se détendait progressivement, jusqu'au dénouement où l'on a vu un sourire éclairer quelque peu son regard. Et puis, le garçon s'est retrouvé, sans savoir comment, au cimetière. Mais là, n'y tenant plus, il s'est pendu au bras de sa maman : “Dis maman, pourquoi Jésus n'est-il pas venu, comme pour Lazare ?”.

La vérité sort de la bouche des enfants ! Il avait raison, ce garçon, de demander des explications : - Où est Jésus quand on enterre un parent, un ami ? - Que fait Jésus pour ceux qui meurent ? Relisons l'Evangile pour recueillir quelques réponses. On peut dire que ce récit comporte trois secrets :


Le premier secret : “Jésus pleura”

; un secret... en deux mots. Ces deux mots ont une signification intense. St Jean qui est comme au sommet de la révélation néo-testamentaire, écrit tout son Évangile pour enseigner que Jésus est le Fils de Dieu ! “Et le Verbe s’est fait chair !“. Or, il nous dit que Jésus, ce Fils de Dieu, a pleuré. Il nous révèle un Dieu qui pleure quand nous pleurons. Le Fils de Dieu a pris visage d'homme et ce visage est donc parfois baigné de larmes. “Il est venu chez les siens“. Et leur pays devient parfois “un pays où Dieu pleure !“

Le Dieu révélé par Jésus est donc un Dieu qui pleure ! On se trompe en imaginant un Dieu impassible, lointain, souverainement distant ! Pire, un maitre souverain faisant souffrir celui-ci, épargnant celui-là... Jésus, Fils de Dieu, pleura ! “Il a plu à Dieu de rappeler à Lui”, annoncent certains faire-part de décès ! Non ! Et non ! Il ne plaît pas à Dieu de rappeler à Lui ! Dieu souffre avec les hommes qui souffrent, Dieu n'est pas l'inventeur de la mort-punition. Il est l'accompagnateur de la mort qui nous éprouve. Et si on pose la question : “Où est Dieu, où est Dieu quand on souffre cruellement ?”... on peut répondre simplement, mystérieusement : “Il est avec celui qui souffre...”. Oui, le Dieu révélé par Jésus : C'est un Dieu qui pleure quand nous pleurons, C'est un Dieu à qui on peut parler de ceux qui souffrent, C'est un Dieu qui nous invite à consoler ceux qui pleurent ! Oh, certes, ce n’est pas toujours facile à comprendre !

Elie Wiesel, ce juif rescapé des camps de la mort, écrivait, faisant allusion à cette période terrible : “Souvent j’étais contre Dieu ; quelques fois avec Dieu ; jamais sans Dieu !”. Et lorsque, spectateur révolté et impuissant d’une pendaison d’enfants juifs, il entendit derrière lui cette récurrente question : “Où donc est-il ton Dieu ?“, il murmura, regardant les petits corps mutilés : “Il est là !“ Oui, le croyant peut répéter, sans toujours parfaitement comprendre : “Jésus pleura !”. C'était le premier secret.

Le deuxième secret : Jésus dit : “Je suis la Résurrection et la vie”. Devant le tombeau de Lazare, Jésus a pleuré... Mais, il va aussi agir, faire surgir l'inattendu, recréer la vie : “Lazare, dehors !”. Cette nouveauté stupéfiante est un miracle. Jésus a fait plusieurs miracles dans sa vie. Mais qu'est-ce qu'un miracle ? Qu'est-ce que cela signifie? Comme tous les miracles accomplis par Jésus, celui-ci est un signe, un signe qui révèle qui est Jésus. En effet :

- Lorsque Jésus guérit un paralysé, par exemple, ce n'est pas pour que jamais plus, il n'y ait de paralysés... mais pour signifier, révéler qui il est : non pas un super-orthopédiste, mais un sauveur, celui qui nous sauve de la paralysie du péché et veut que nous vivions debout.

- Lorsque Jésus guérit un aveugle, ce n'est pas pour que jamais plus la cécité ne frappe personne, mais pour signifier qui il est : non pas un super-ophtalmologiste mais celui qui peut dire : “Je suis la lumière du monde, celui qui marche à ma suite ne marche pas dans les ténèbres”.

- De même, lorsque Jésus ressuscite Lazare, ce n'est pas pour que jamais plus la pierre du tombeau ne se referme sur un mort, mais pour signifier, révéler qui il est : “Je suis la Résurrection et la Vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra”. Jésus n'est pas venu pour que les hommes ne connaissent plus la mort, mais pour nous donner la vie au-delà de la mort ! Car, dit un psaume, “Dieu seul a les issues de la mort !“ Ce deuxième secret est immense ! Oui, nos anciens sont morts, mais ils sont vivants d'une vie nouvelle, de la vie du Christ ressuscité ! “La gloire de Dieu, dira St Irénée, c’est l’homme debout !“

Le troisième secret enfin : “Viens dehors !”. Oui, Dieu nous appelle dès aujourd’hui à nous lever de nos tombeaux. Jésus est la Résurrection et la Vie, non seulement parce qu'au terme de notre existence, il nous fera vivre pour toujours, mais parce que, tout au long de notre existence, il nous fait vivre, vivre vraiment. Déjà, il nous fait vivre d'une vie nouvelle ! “Viens dehors”, “Relève-toi”, “Déliez-le”.

Oui, Jésus nous crie d'une voix forte : “Viens dehors !”. Cette parole traverse les siècles. C'est à nous tous aujourd'hui que Jésus crie : “Viens dehors !”.

Dans le récit de l'Évangile, on dit qu’à ces mots, Lazare est sorti entouré de bandelettes. Nous avons beau être empêtrés dans les bandelettes de nos étroitesses et de nos peurs, ficelés dans nos culpabilités, bâillonnés par notre égoïsme, Jésus nous appelle dehors. “Sors de toi-même”, “Sors de ton péché”, “Sors de ta routine”, “Sors de la prison de toi-même“… et regarde au-delà de tes frontières...”. Regarde loin et va rejoindre - à ta façon - ceux qui agissent pour un monde plus solidaire, plus vivable, plus vivant. Ce cri de Jésus a fait se lever tant de femmes et d'hommes qui refusent que le monde ne soit que ce qu'il est. Même au creux des difficultés, des dangers, des échecs, ils s'acharnent. Incontestable victoire de l'obstination et de l'espérance sur la détresse, l'injustice, la souffrance. Oui, dès aujourd’hui, Dieu nous appelle à nous lever de nos tombeaux !

Voilà trois secrets que comporte ce texte, mais trois secrets qu'il ne faut pas tenir secrets... A nous d’en vivre pour mieux les divulguer !

samedi 9 avril 2011

Le Prophète !

Carême 4 Samedi - Jr 11,18-20 - Jn 7,40-53

Le temps m’a manqué pour commenter les textes liturgiques d’aujourd’hui ! Et je n’aime pas cela. St Benoît ne nous apprend-t-il pas le soin que nous devons avoir pour accomplir l’“Opus Dei ?“. Je ferai mieux peut-être de vous inviter à une méditation silencieuse, tant la “Parole de Dieu“ est respectable et à respecter. N’oublions pas que pour les Juifs, la Torah est un peu comme le Saint-Sacrement pour nous. D’ailleurs, en terre chrétienne, on parle équivalemment et de la “Table de la Parole“ et de la “Table du Pain“… eucharistique !

On peut dire cependant que la figure de Jérémie annonce la tragédie du mystère pascal que nous allons fêter très prochainement. Ce prophète, jeune, fut en butte aux conspirations faites contre lui par ses compatriotes et sa parenté elle-même dans son village d’Anatoth. Et, plus tard, il vivra, avant Jésus, l’exclusion, la persécution dont souffraient les juifs d’Alexandrie qui restaient fidèles à leur identité, et se trouvaient par là même en butte aux tracasseries de la part de leurs congénères qui s’assimilaient trop facilement au paganisme ambiant. Avec lui, se profile la figure de Celui qui sera le rocher de contradiction qui “doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël“, pour reprendre le langage du vieillard Syméon s’adressant à la Vierge Marie lors de la Présentation au Temple.

L’Evangile, comme celui d’hier, nous fait assister à la fête de Soukkoth, près de la piscine de Siloé. Il fait partie de ces trois chapitres de St Jean, auxquels on peut donner, comme le fait la Bible de Jérusalem, le titre de “La grande révélation messianique et le grand refus“. Jésus, est-il, oui ou non l’“Envoyé“ ?

La foule se divise. Les uns s’écrient : “C’est vraiment Lui, le grand prophète !“. On ne relira jamais assez le texte supposé connu du Deutérono-me, la promesse de Moïse entérinée par Dieu Lui-même : “Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez. C'est cela même que tu as demandé au Seigneur ton Dieu, à l'Horeb, au jour de l'Assemblée : "Pour ne pas mourir, je n'écouterai plus la voix du Seigneur mon Dieu et je ne regarderai plus ce grand feu", et le Seigneur me dit : "Ils ont bien parlé. Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai…“ (Dt 18,15-21)

Comme la Samaritaine, une partie du peuple reconnaît en Jésus le Prophète : “La femme lui dit : "Je sais que le Messie doit venir, celui qu'on appelle Christ. Quand il viendra, il nous expliquera tout." Jésus lui dit : "Je le suis, moi qui te parle." ( Jn 4,25-26)

Ce sont les autorités responsables du peuple, plutôt que le peuple lui-même qui est sceptique. Les gardes envoyés pour arrêter Jésus, reviennent sans avoir accompli leur mission, et disent, comme la foule au bord du lac : “Jamais homme n’a parlé comme cet homme. Il parlait « avec autorité »“. Il me semble avoir lu ou entendu que sous cette expression « avec autorité », il y a la distinction entre les paroles que Dieu dit directement au Sinaï et les paroles qu’Il transmet par l’intermédiaire de Moïse. Ici, on suggère que Jésus parle non pas comme les scribes, mais comme Dieu Lui-même au Sinaï : directement. « Avec autorité »!

Parmi les responsables du peuple se distingue, cependant, Nicodème, celui qui alla trouver Jésus de nuit au cours de son premier séjour à Jérusalem. Celui qui hésite longtemps (cela arrive, n’est-ce pas ?), celui qui, en fin de compte, sera là à la fin de l’Evangile, pour recevoir le corps de Jésus à sa descente de Croix, avec Joseph d’Arimathie : “Après ces événements, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Pilate le permit. Ils vinrent donc et enlevèrent son corps. Nicodème - celui qui précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus - vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès, d'environ cent livres“. ( Jn 19,38-39)

La méditation de la liturgie d’aujourd’hui nous invite à réfléchir que judaïsme et christianisme ne sont qu’apparemment deux religions. Il serait plus exact de dire que c’est un différent qui a surgi comme à l’intérieur du dessein de Dieu. “La Pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs, est devenue la pierre d’angle“. Ce sera la grande réflexion souffrante, crucifiante en la pensée de St Paul, lui qui, “pharisien, fils de pharisien“ fut illuminé par le Christ glorieux sur le chemin de Damas, lui qui aurait voulu mourir pour ses frères de race !

En tous les cas, c’est une invitation à méditer toujours plus profondément sur les voies de Dieu qui ne sont pas nos voies : “Vos pensées ne sont pas mes pensées, et mes voies ne sont pas vos voies, oracle du Seigneur. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées. De même que la pluie et la neige descendent des cieux et n'y retournent pas sans avoir arrosé la terre, sans l'avoir fécondée et l'avoir fait germer pour fournir la semence au semeur et le pain à manger, ainsi en est-il de la Parole qui sort de ma bouche : elle ne revient pas vers moi sans effet…“ (Is 55, 8-11)

vendredi 8 avril 2011

Le combat

Carême 4. Vendredi - Le combat… ! (Sg. 2.1sv)
La vie est un combat ! Nous le savons tous : “Ceux qui méditent le mal se disent : Attirons le juste dans un piège !“. Un combat entre le Bien et le Mal, entre le “Méchant“ et le “Juste“. Un combat qui a commencé au seuil de l’humanité entre Caïn et Abel et qui se poursuit tout au long des exils et des calvaires des hommes !

Et facilement, nous donnons des exemples :
- le combat armé entre des nations (N’est-ce pas d’actualité ?).
- le combat parfois meurtrier pour le pouvoir entre politiques (N’est-ce pas toujours d’actualité ?)
- le combat financier qui enrichit les uns et appauvrit les autres (N’est-ce pas encore d’actualité ?)
- le combat d’intérêt entre membres d’une même entreprise, d’une même famille… (N’est-ce pas d’actualité permanente ?)
- … et que sais-je encore.

Mais ce combat entre les forces du bien et celles du mal ne se déroule-t-il pas à l’intérieur de nous-mêmes, en notre propre cœur ? “D’où viennent les conflits, d’où viennent les combats parmi vous ?, demandait St Jacques. N’est-ce pas de vos plaisirs qui guerroient en vos membres ? Vous convoitez et ne possédez pas. Vous demandez et ne recevez pas !“ ( I Jac 4.1 sv).

Et le grand St Paul n’affirmait-il pas lui-même : “Je sais qu’en moi le bien n’habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir puisque le bien que je veux, je ne le fais pas ; et le mal que je ne veux pas, je le fais“ (Rm 7.18). Aussi, recommandait St Pierre : “Abstenez-vous des convoitises qui font la guerre à l’âme“. (I Petr. 2.11).

Oui, le combat dont il est question dans la lecture et tout au long de la Bible, particulièrement dans les psaumes, est aussi bien (sinon plus) à l’intérieur qu’à l’extérieur de nous-mêmes !

Oui, il faut être lucide : le “Méchant“ est en nous. Il est, disent les psaumes, puissance de mensonge, de malice, de ruse, de perfidie, de violence et finalement de destruction. C’est un esprit qui forge le trouble, gonfle le désir, enfle le cœur, utilise la raillerie. C’est un esprit qui veut toujours accumuler pour jouir et jouir encore. Il séduit, subjugue et finalement sème le désespoir jusqu’au suicide car il sait, cet esprit mauvais, que ses œuvres n’aboutissent qu’au néant !

Et le “Juste“ qui réside en nous également veut, lui, semer le bon droit et la justice, cette sorte de justice qui “ajuste“ toutes choses à Dieu. Malgré les attaques malignes dont il est l’objet, il élève le cœur, purifie le regard, transmet la ferveur de Dieu et sa lumière. Car ce “Juste“, en nous, aime Dieu ! Il l’aime de tout son cœur et veut être aimé de lui. Dieu seul est son appui. Il sait que la violence ne sert à rien, ne fonde rien, ne résout rien. La violence n’est que la sanglante maîtresse du “Méchant“. Même si ce dernier l’accable de ses mensonges, il sait que Dieu est là. Sa Parole le réconforte !

Comment ce combat en nous-mêmes et autour de nous peut-il se terminer ? Notre lecture le dit : “Ceux qui méditent le mal (jusqu’en nous-mêmes) s’égarent“ ; … Ils ne peuvent estimer le privilège des âmes pures à qui est promis la récompense divine.

Aussi St Paul de s’écrier : “Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par Notre Seigneur Jésus Christ“. Car lui, le “Juste“ par excellence a bien connu les attaques du “Mauvais“ : “Si ce juste est Fils de Dieu, disait-on, Dieu l’assistera et le délivrera !“. Devant lui “on hochait la tête en disant : que Dieu le libère, qu’il le délivre, puisqu’il l’aime !“ (Ps. 22.9 - Cf Mth 27.43). Mais ce “Juste“ avait dit : “Je ne suis pas seul ; le Père est avec moi. En ce monde vous faites l’expérience de l’adversaire ; mais soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde !“ (Jn 16.32-33).

Et puisque Dieu l’a exaucé, l’a “relevé“, nous pouvons, nous aussi, nous exclamer avec St Paul : “Nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai l’assurance : ni la mort ni la vie, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ Notre Seigneur !“. (Rom 8.37 sv).

Et St Jean aimait répéter : “Vous êtes vainqueurs du Mauvais !“ (I Jn 2). Et il ajoutait : “Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche plus. Car le Fils de Dieu le garde ; et le Mauvais n’a plus de prise sur lui“ ( I Jn 5. 18).

Et il terminait l’une de ses lettres par cette injonction affectueuse : “Mes petits enfants, gardez-vous des idoles“ (I Jn 5.21). Pour retrouver les principaux textes, voir Blog : http://mgsol.blogspot.com/

jeudi 7 avril 2011

Patiente espérance !

Carême 4 Jeudi (Ex. 32.7sv)

Le désert est le lieu de la rencontre : Dieu conduisit le peuple au désert pour parler à son cœur et faire alliance avec lui ! Et Jésus lui-même se retirait au désert pour s’entretenir avec son Père…

Mais le désert est aussi le lieu de la tentation. Et Jésus lui-même fut tenté au désert…

Le désert est le lieu l’on expérimente le mieux comme les deux pôles de la condition humaine :

- Dégagé du superflu, on peut valoriser le bon usage de la création, le juste emploi des richesses de ce monde dans l’action de grâces envers le Donateur de tous biens et dans le partage équilibré avec ses frères.

- Et, en même temps, par une sorte de défoulement, on peut expérimenter des tentations de toutes sortes : tentation de la “grande-bouffe“, de l’apostasie… : c’est l’histoire du “veau d’or“ ! Le peuple dit à Aaron : “Fais-nous des dieux qui marchent à notre tête (que nous puissions “voir“ !), car ce Moïse qui nous a fait monter du pays d’Egypte (et qui a disparu dans la montagne de son Dieu !), nous ne savons pas ce qui lui est arrivé… !“.

Et la tentation sournoise et première est sans doute l’impatience ! “Le peuple, est-il dit, vit que Moïse tardait à descendre de la montagne !“. (Ex 32.1). Il faut savoir attendre avec patiente espérance. Attendre ! Quelle grande vertu finalement ! Comme celle des vierges sages de la parabole !

Cette insistance sur cette vertu de patience (l’hypomènè) est constante dans la Bible.

Les chrétiens vivent, en effet, dans cette période crépusculaire du monde, marquée par de grandes commotions et convulsions, [“On se dressera, en effet, nation contre nation et royaume contre royaume. Il y aura, par endroits, des famines et des tremblements de terre. Et tout cela ne fera que commencer les douleurs de l'enfantement“. (Mth 24.8)],… période qui aboutira au séisme final marquant l’inauguration du Royaume de Dieu. [Alors, nous dit l’épitre aux Hébreux : “.redressez vos mains inertes et vos genoux fléchissants et rendez droits pour vos pas les sentiers tortueux !“ (12.12)]. C’est dire que les croyants ne suivent pas une voie facile, comme détendus et préservés de tout danger [“Resserrée est la route qui conduit à la vie !“, disait Jésus (Mth 7.14)].

Aussi leur est-il demandée de garder intactes leur foi, leur confiance, leur fidélité à Dieu, dans la patience, au milieu des pires difficultés : tentation, afflictions, pressions, souffrances, tribulations, persécutions : [“Paul et Barnabé affermissaient le cœur des disciples, les encourageant à persévérer dans la foi, car, disaient-ils, il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu“. (Act 14.22)]. - A l’exemple et à la suite du Christ qui a tellement enduré [“les regards fixés sur celui qui est l'initiateur de la foi et qui la mène à son accomplissement, Jésus, lui qui, renonçant à la joie qui lui revenait, endura la croix au mépris de la honte“ (Heb 12.2-3)], … à la suite du Christ, les croyants doivent soutenir l’assaut continuel de l’adversité : “rappelez-vous ces premiers jours, où après avoir été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances, tantôt exposés publiquement aux opprobres et aux tribulations, tantôt vous rendant solidaires de ceux qui étaient ainsi traités“. (Heb 10.32)].

Et le support de cette endurance est bien la patience qui, selon l’apocalypse (13.10) est l’endurance des saints. Il s’agit, de toute évidence, de courage [A l’ange qui est à Ephèse est demandé d’écrire : “Tu as de la persévérance ; tu as souffert à cause de mon nom et tu n'as pas perdu courage“. (Apoc . 2.3)], …de fermeté d’âme, de support viril de la souffrance [“au point que nous-mêmes sommes fiers de votre constance et de votre foi dans toutes les persécutions et tribulations que vous supportez“. (2 Thess 1.4 – Cf. Rm. 12.12]). Et d’après la langue du N.T. et la théologie chrétienne, la patience n’endure si courageusement que parce qu’elle est tendance vers l’achèvement eschatologique, vers la venue du Christ en sa gloire. Au fond, la patience, c’est l’espérance elle-même en tant qu’elle fait briller sa radieuse lumière et déploie son énergie dans le cœur des croyants et, de ce fait, autour d’eux.

Aussi, le chrétien endurant, patient, est fier et joyeux dans ses tribulations, sachant bien que celles-ci “produisent la constance, la constance une vertu éprouvée, la vertu éprouvée l’espérance. Or, l’espérance ne déçoit pas (Rm 5.3-5).

Le Siracide avait prescrit : “Dans toutes tes actions, souviens-toi de ta fin, et tu ne pècheras jamais“ (7.36). Pour les chrétiens, l’attente de la Parousie, de la rencontre avec le Christ est l’un des motifs de sa patience et l’un des grands moyens de sa sanctification, car nul, en effet, ne peut espérer voit le Seigneur s’il n’est sanctifié (Héb. 12.14). Aussi, St Jean affirme : “quiconque a une telle espérance en le Christ (dans la patience) se purifie, comme Lui-même, le Christ, est pur !“ (I Jn 3.3).

Au fond, l’espérance attend…, elle attend Dieu de Dieu. Aussi, c’est déjà avoir Dieu que de l’attendre… même dans la dure patience. Et Péguy avait bien raison : “La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance“…, dont la patience est le flambeau lumineux qui éclaire toute la maison !

mercredi 6 avril 2011

Fidélité !

Carême 4. Mercredi (Isaïe 49.8sv)

Le grand intérêt de lire la Bible, c’est que, finalement, notre histoire personnelle s’inscrit tellement dans celle des hommes dont il est question ! Ainsi en est-il de nos infidélités récurrentes : comme pour les Hébreux, notre cœur oscille entre Dieu et les idoles de ce monde (argent, pouvoir, plaisirs…). Et lorsque Moïse descendit du Sinaï pour signifier l’Alliance particulière que Dieu proposait à son peuple, celui-ci adorait un veau d’or. Or n’avons-nous pas, nous aussi, nos divers veaux d’or (quels qu’ils soient) qui éloignent de l’Alliance avec Dieu, d’une relation profonde avec Dieu ?

Et nous rencontrons alors dans la Bible des hommes que Dieu suscite pour nous relever de nos infidélités, et parfois avec grande vigueur. Tel Moïse - l’homme le plus doux que la terre ait porté - qui s’enflamme contre le peuple infidèle. Tel encore Elie qui s’emporte facilement, lui ! Dieu avait du choisir un homme quelque peu irascible ! C’était un prophète capable, pour l’amour de Dieu qui le brûlait, de rentrer dans une “colère noire“. [“Dies irae, dies illa“ – “Jour de colère que ce jour-là !“, devait-on chanter parfois à son sujet !]. “Jusques-à-quand danserez-vous d’un pied sur l’autre ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez-le ! Et si c’est Baal, suivez-le !“ (I Rois 18.21). - “Nul ne peut servir deux maîtres“, dira Notre Seigneur.

Mais ces prophètes plus ou moins coléreux d’une sainte colère rappelleront tous, les uns après les autres, à un peuple infidèle que le Seigneur, lui, est fidèle, que sa tendresse ne cesse d’entourer son peuple ! “Une femme peut-elle oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même s’il s’en trouvait une pour l’oublier, moi, je ne t’oublierai pas !“.

Pour Matthieu, surtout, toute l’Histoire Sainte est comme l’accomplissement des promesses faites à Abraham, promesses que le Dieu fidèle ne peut renier ! Dans sa généalogie, au début de son Evangile, Matthieu ramasse, depuis Abraham - notre Père dans la foi -, toute l’humanité pècheresse pour la faire converger, dans le Christ, vers une sainte et définitive “re-création“ ! Le dernier mot de sa généalogie le souligne quand il dit : “Jésus sera appelé « Nazôréen »“ (2.22). Ce mot ne fait pas allusion à “Nazareth“ nullement connu dans l’A.T. Avec le P. Benoît (Cf Synopse II/66), on peut penser que ce mot vient de deux racines, deux mots : “garder“ ou “former“ que l’on trouve dans notre texte d’aujourd’hui : “Je t’ai formé, je t’ai gardé pour mon alliance avec le peuple, pour relever le pays…, pour dire aux prisonniers : « Sortez »“ (Cf aussi Is. 42.6).

Autrement dit, Matthieu reprend toute l'Histoire Sainte depuis Abraham, notre Père dans la foi ; et puis il montre que tout cela converge vers Celui que Dieu a formé, vers Celui que Dieu a gardé pour que, malgré tous nos refus, toutes nos infidélités, la fidélité divine se manifeste en Jésus.

Et St Paul qui traversait pourtant moult épreuves au cours de ses voyages missionnaires, s’écrie, lui, à chaque instant : “Il est fidèle le Dieu qui vous a appelés à la communion avec son Fils !“. (I co. 1.9). Oui, “Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces“ ( I Co 19.13). - “Celui qui vous appelle est fidèle ; c’est lui qui encore agira“ (I Thess. 5.28). - “Si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même !“ ( 2 Tim. 2.13).

Et quand le Fils Unique de Dieu, “celui que Dieu a formé, a gardé“, viendra dans l’histoire des hommes, il ne se contentera pas de parler de l’amour du Père. Il en vivra fidèlement. Au début de sa vie publique, les tentations du Christ sont les nôtres, tentations de l’avoir, de la puissance… Il les écarte dans un abandon confiant à son Père : “Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras ; et c’est à lui seul que tu rendras un culte »“.

“A Lui seul !“ C’est certainement là le secret de sa merveilleuse liberté intérieure. Jamais le cœur du Christ ne fut partagé. Il refuse qu’on tire l’épée pour être défendu ! Et devant le Sanhédrin, Hérode, Pilate, il apparaît souverainement libre. Et sa vie elle-même, on ne la lui arrache pas ! Il la donne ! Et c’est librement qu’après lui des milliers et des milliers de disciples agiront ainsi librement, par fidélité au Dieu Unique.

Je crois que c’est cette liberté “d’enfant de Dieu“ qui doit être le secret de tout chrétien, ainsi formulé par St Paul : “tout est vous ; mais vous, vous êtes au Christ ; et le Christ est à Dieu !“.

Cette liberté-là s’inscrit comme naturellement dans la fidélité à l’amour de Dieu. Car la fidélité ne perd jamais Dieu et n’est jamais privée de lui ! Car l’amour dépasse le commandement… et de loin !

mardi 5 avril 2011

Les prophètes !

Carême 4. Mardi - “Les orgues de Dieu… !“ (Ezéchiel 47.1sv)

Ayant été absent, rentrant tout juste, je n’ai pas eu le temps de “faire mon mot“. Aussi je me permets simplement de vous rappeler, à propos de la lecture, certains thèmes (ou idées) que j’ai déjà émis. Ils me semblent importants. … Et puis, surtout, c’est une occasion de vous dire : je ne vous oublie pas !

Il faut le savoir et surtout le reconnaître : Dieu, comme un grand organiste, aime jouer les partitions de son chant d’“Alliance avec l’homme“ sur toutes les touches du clavier humain. Il a le goût d’utiliser les registres des hommes les plus divers, selon les circonstances et les époques. Cela est consolant pour les originaux… Or, chacun est original… puisque unique aux yeux de Dieu! Chacun est une note que Dieu aime utiliser. Le savons-nous ?

Ainsi en est-il pour le registre des “prophètes“ que Dieu “utilise“ ! Et aujourd’hui encore, Dieu utilise ce registre : savons-nous reconnaître les prophètes de notre temps ?

- Isaïe - on en a déjà parlé - est un Seigneur parmi les Seigneurs de son temps. Il a ses entrées à la cour royale. Il s’entretient avec Achaz, Ezéchias… A propos des rois de Damas et de la puissante Assyrie, il donne avis et conseils. C’est que ce grand prophète fait de la grande politique, s’il vous plaît, en recommandant cependant de mettre toute sa confiance en Dieu seul ! Prions instamment Isaïe pour tous les chrétiens engagés dans une mission politique ou sociale.

- Jérémie, plus modeste, n’est pas spécialement un visionnaire. Cependant, le Seigneur lui fait remarquer ce qui l’entoure ! “Que vois-tu, Jérémie ?“ - “Je vois un rameau d’olivier ! - “Que vois-tu encore Jérémie ? - “Je vois un chaudron sur un foyer attisé !“. Il voit bien Jérémie ! Mais le Seigneur lui transmet un sens insoupçonné à ce qu’il voit. Aussi devient-il le révélateur “des signes de son temps“ ! Réaliste, il devient un observateur avisé face aux événements tragiques de son époque (la montée de la puissance babylonienne). Prions pour que nous sachions, par grâce divine, discerner les signes de notre temps, en nous-mêmes et autour de nous !

- Ezéchiel, lui, va de vision en vision. Il a des “hallucinations“ perpétuelles que le Seigneur est obligé d’“encadrer“ souvent. Dieu a pris un homme avec une imagination qui a tendance à travailler “en roue libre“, si l’on peut dire. Aussi Dieu “pédale“ souvent avec lui pour orienter et redresser son imagination …si fertile ! Que voulez-vous ! Ezéchiel est un prophète d’exil (à Babylone)… ; alors il souffre, Ezéchiel… Et, parce qu’il souffre, il rêve ; sa foi rêve d’un retour à Jérusalem grâce à la puissance du Seigneur. Dans l’angoisse, ne nous arrive-t-il pas de rêver, nous aussi, et parfois tout éveillés ! “Tu as retenu les paupières de mes yeux, dit le psalmiste (manière originale de parler de l’insomnie !). Je réfléchis … ; je médite, je m’interroge“ (Ps 77.5). Il est permis de rêver tout éveillé, avec nostalgie, en pensant aux grâces déjà reçues. Mais que nos rêves éveillés deviennent alors prières de foi et surtout d’espérance !

Ainsi, avec Ezéchiel, on ne sait jamais s’il a les yeux ouverts ou endormis avec des cauchemars.

- Il voit le rouleau d’un livre que le Seigneur lui commande de manger et qui a le goût du miel. Dès lors il transmettra avec saveur la Parole de Dieu. Savons-nous “manger“, nous aussi la Parole de Dieu. Le P. Jousse, naguère, un Sarthois, parlait de “la manducation de la Parole de Dieu !“. Certains Pères de l’Eglise conseillait de la “ruminer“.

- Il voit, Ezéchiel, des ossements dans une vallée ; ces ossements se rassemblent et reprennent vie. Le peuple de Dieu va reprendre vitalité ! Or, nous, nous savons que le Christ est ressuscité… Et nous-mêmes avec lui, en lui !

- Il voit, Ezéchiel, une source qui sort du temple et qui va purifier les eaux de la mer morte. C’est le Seigneur qui lave son peuple de toutes ses fautes… C’est le passage de notre lecture. Les chrétiens en connaissent le sens ! Lors de son baptême, Jésus descend en ce fleuve dont le nom signifie descendre, il descend en quelque sorte au point le plus bas du globe jusqu’à la mer morte (symbole du péché du monde). Lui, le sans péché, il descend prendre la péché de l’humanité, “Agneau de Dieu qui prend sur lui les péchés du monde“. Et il “remonte“, traversant ce Jourdain comme Moïse autrefois la mer rouge ; il remonte vers le temple de Jérusalem qu’il veut détruire pour le rebâtir en son propre Corps (“Détruisez ce temple ; et je le rebâtirai en trois jours…“). Aussi, à sa mort, du côté droit de ce nouveau Temple qu’est son Corps percé par la lance du Centurion coule une nouvelle source, un nouveau Jourdain pour que tout homme puisse y descendre, et purifié (comme autrefois Naaman, le Syrien) puisse remonter pour “voir déjà - le voile de l’ancien Temple se déchirant - Celui qui nous voit sans cesse“ ! N’est-ce pas tout le sens de notre baptême, cette petite source en nous qui doit se développer en torrent pour tout purifier en nous-mêmes et témoigner de cette purification.

Cependant, Ezéchiel n’est pas tout à fait un rêveur. Cette eau qui sort du temple est l’eau de la source de Gihon, au pied du temple, c’est aussi la source qu’Isaïe avait déjà utilisée pour la faire parvenir - en creusant un canal, le fameux canal d’Ezéchias - à l’intérieur des murs de Jérusalem, comme signe de la protection de Dieu face à l’envahisseur assyrien. Cette eau arrivait dans une piscine, la piscine de Siloë. Et c’est là que, plus tard, Jésus guérira un aveugle-né – “Va te laver à la piscine...“, avant de déclarer : “Je suis la Lumière du monde !“. Mais ne sommes-nous tous des aveugles. Voyons-nous le Seigneur qui passe sans cesse près de nous pour nous purifier, nous libérer ? Etre sur la trajectoire de Dieu qui passe ! Car, “là où le péché a abondé la grâce a surabondé“ dira St Paul.

Que le Seigneur nous aide tous à entrer de plus en plus en son mystère pascal actualisé en nous par le baptême.