dimanche 31 juillet 2011

Les pains de Dieu

18ème Dimanche du T.O. 11/A -

Chaque évangéliste a sa manière propre de nous présenter Notre Seigneur. St Matthieu dont nous parcourons l’évangile durant cette année a vu en Jésus Christ, Fils de Dieu incarné, d’abord un MAITRE - nouveau Moïse - dont l’enseignement - la “Bonne Nouvelle du Royaume des cieux“ - devait nous apporter le salut, un salut plus grand que celui de la traversée de la mer rouge !

Ainsi, dès le début de l’évangile selon Matthieu, Jésus enseignait les foules. Mais “elles entendaient sans entendre“ (Mth 13.13sv) ; elles n’écoutèrent pas le message de ce divin Maître !

Aussi parla-t-il en paraboles afin que celui qui a des oreilles entende la parole, la comprenne et porte du fruit en abondance (id. 13). Mais cette manière ne fut pas suffisante non plus.

Enfin, avant de nous donner en croix le suprême témoignage de son amour pour les hommes, Jésus accomplit de nombreux miracles pour convaincre ceux qui les voyaient : “Si vous ne croyez pas mes paroles, croyez pourtant à cause de mes œuvres“ (Jn 14.11). Et l’une de ces principales œuvres du Seigneur, de ces principaux miracles fut la multiplication des pains. C’est le “Signe“ par excellence ! Un Signe qui prend son origine dans manne donnée par Dieu dans le désert, qui annonce le dernier repas du Seigneur le Jeudi-Saint lequel se poursuit jusque dans nos Eucharisties !

Comment doit-on considérer actuellement ce geste, ce “signe“ du Seigneur, comment peut-il motiver notre foi ? Si nous rejetons - plus ou moins, certes - l’enseignement de Jésus, c’est que, nous aussi, nous ne savons pas reconnaître ce “Signe“ qu’il a accompli, “Signe“ important et pour notre vie naturelle et pour notre vie surnaturelle.

Pour notre vie naturelle ! Car nous oublions trop, en effet, que c’est Dieu qui nous donne notre pain de chaque jour ; souvent pourtant, nous le lui demandons dans la prière que le Seigneur nous a apprise lui-même : “Donne-nous aujourd’hui le pain de ce jour !“. Et s’il est bon d’admirer les merveilleux miracles que Jésus Christ a accompli autrefois, ne serait-il pas juste de le louer pour celui qu’il accomplit toujours en nous donnant les fruits de la terre, œuvre de nos mains : “Tu es béni, Dieu de l’Univers, toi qui nous donne ce pain, fruit de la terre… !“ La louange, l’action de grâces (eucharistein, en grec), c’est le geste naturel de la reconnaissance ! Si Dieu a parfois donné aux hommes de façon spectaculaire la nourriture pour leur corps - telle la manne et les cailles aux Hébreux dans le désert -, tel le pain que Jésus multiplie -, c’est pour que nous sachions reconnaître sa prodigalité envers nous manifestée dans toute la création.

Nous l’oublions trop souvent. St Augustin le notait - avec esprit - à propos du miracle de l’eau changée en vin, à Cana. Ce premier signe du Seigneur, prévient-il, n’avait pourtant rien d’étonnant. Car “de même que l’eau a été changée en vin par l’action du Seigneur, de même l’eau qui tombe des nuages est changée en vin (dans les vignes) par le même Seigneur ! Mais ce dernier prodige ne nous étonne pas parce qu'il se renouvelle tous les ans : A cause de sa régularité, il a perdu notre admiration (reconnaissante). Et pourtant, si nous considérions avec attention tout ce que Dieu fait dans tout l’univers, notre esprit resterait saisi d’émerveillement ! Mais, parce que les hommes, soucieux d’autres choses, cessent de contempler les œuvres du Créateur, Dieu se réserve, en quelque sorte, d'accomplir des œuvres extraordinaires afin de réveiller ceux qui semblent dormir (c’est parfois notre cas !). Un mort est ressuscité, les hommes sont étonnés ; alors qu’il y a tant de naissances chaque jour, et personne ne s'en étonne ! Pourtant, si nous y regardions de plus près, il y a plus grand miracle à faire exister celui qui n'était pas qu’à faire revivre celui qui existait“. Cela dit avec humour ; mais cela dit en vérité !

De plus, Dieu veut associer les hommes eux-mêmes, les bénéficiaires de ses dons, à ses prodigalités. “Donnez-leur vous-mêmes à manger“, dit Jésus à ses apôtres. Aussi, tout chrétien devient comptable de la faim des hommes, du pain à ceux qui en manquent. Je ne voudrais pas m’étendre sur cet aspect social, si important cependant et toujours - malheureusement - si actuel (Somalie). Souvent les derniers papes ont rappelé qu’il appartient à tout chrétien, par sa libre initiative, de pénétrer d’esprit évangélique la mentalité et les mœurs, les lois et les structures de leur communauté de vie, pour résoudre ce problème !

Mais, par ce récit de la multiplication des pains, il faut, bien sûr, aller plus loin, car “l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu“ (Mth 4.4). Et le lien entre “pain“ et “parole“ était suffisamment attesté par tout l’Ancien Testament pour qu’il n’apparaisse pas sous-jacent à notre texte. Amos en particulier - le terrible Amos - parle de la faim et de la soif des jours à venir : faim et soif ni de pain ni d’eau, mais “d’entendre la Parole de Dieu“ (Am. 8.11sv). Ce à quoi le prophète Isaïe, quelques années plus tard, répond au nom de Dieu, comme nous l'avons entendu : "Vous qui avez soif, venez... Venez à moi ! Ecoutez et vous vivrez !" (première lecture) : – Ainsi Jésus, comme les prophètes d’autrefois, par ce miracle, veut faire comprendre que sa parole vient de Dieu, qu’il est la “Parole“ même de Dieu, qu’il faut s’en pénétrer, s’en nourrir.

Mais comment participer au repas de Jésus ? Comment accueillir son pain pour recevoir du même coup sa Parole, le recevoir ? - Les Juifs ne le comprirent pas, eux qui préférèrent leur propre parole, leur volonté tout humaine à celle de Dieu ? “Vous refusez la parole de Dieu au nom de vos habitudes“, leur reprochera un jour Jésus (Mth 15.6). Et, de fait, même s’ils ont mangé le pain qui n’était qu’un signe, ils ont rejeté le signifié : ils ont rejeté la parole de Jésus ; ils ont rejeté Jésus lui-même, Verbe de Dieu fait chair ! Parole nourrissante ! Parole de vie !

Et la même question nous est posée, à nous aussi, et plus clairement encore, car le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu s’est non seulement fait chair par l’Incarnation, mais s’est fait également pain de vie, pain de nos âmes par l’Eucharistie. Et St Matthieu, dans son récit, nous le fait comprendre puisqu’il reprend, pour décrire le geste accompli par Jésus sur le pain qu’il allait faire distribuer aux foules, la phrase du rite eucharistique : “Jésus prit le pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples“.

Derrière le miracle de Jésus apparaît donc le problème essentiel :
- croire en Jésus, croire que Jésus peut nourrir vraiment les hommes affamés ;
- croire qu’il peut les nourrir par sa parole, sa parole de vérité, de vie,
- avant de croire enfin - démarche ultime et prélude à l’union au ciel -, qu’il peut les nourrir efficacement, combler leurs désirs, en les associant au mystère de son corps immolé, de son sang versé : en les nourrissant de son Eucharistie !


Et ainsi réconfortés, comme Elie autrefois, par le Pain qui vient du ciel, nous pourrons nous écrier : "Qui pourra nous séparer de l'amour du Christ ? ... Rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est en Jésus Christ Notre Seigneur".

vendredi 29 juillet 2011

Hospitalité !

29 Juillet – Sts Anne et Joachim

Quand je vais à Jérusalem, je pense souvent à ce texte d’évangile, puisque la plupart du temps, je loge au lieu dit : “Béthanie“, derrière le Mont des Oliviers, à trois kilomètres environ de Jérusalem.

Et je pense à cette hospitalité qu’offrait Lazare avec ses sœurs à Jésus ! L’hospitalité est une grande réalité. Les Grecs y voyaient un des traits les plus marquants d’un peuple civilisé. D’ailleurs, dans beaucoup de langues primitives, les mots “hôte“ et “ennemi“ ont même racine. En latin “hospes“ (hôte) et “hostis“ (ennemi) ont même racine. Tant il est vrai que la civilisation a franchi, franchit toujours un pas décisif le jour où l’étranger, d’“ennemi“ est devenue un “hôte“, c’est-à-dire le jour où la communauté humaine a été, est créée !

Et puis, dira l’épître aux Hébreux, faisant allusion à Abraham et à ses trois mystérieux visiteurs que rappelle la célèbre icône de Roublev : “N’oubliez pas l’hospitalité. Quelques-uns, en la pratiquant, ont, à leur insu, logé des anges“ (des envoyés de Dieu) (Heb. 13.2). Et Notre Seigneur ne dira-t-il pas : J’avais faim, soif, j’étais nu… A chaque fois que vous avez donné à manger, à boire, à habiller…, c’est à moi que vous l’’avez fait ! (Cf. Mth 25.35sv). Et il précisera : “Et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé !“ (Jn 9.37). Aussi, St Benoît, dans sa concision, recommandera : “Tous les hôtes qui se présentent seront reçus comme le Christ“ (Règle ch 53).

Si Jésus vient souvent à nous comme un étranger et qu’il n’est pas reçu parmi nous, c’est nous, bientôt, qui serons des étrangers dans le monde de Dieu ! Mgr Vladimir Ghika (1) écrivait : “Rien ne rend Dieu proche comme le prochain. Pour qui voit Dieu lointain, le prochain ne sera jamais bien proche ; pour qui ne voit pas le prochain bien proche, Dieu restera toujours lointain“. (“La visite des pauvres“). Et l’hospitalité doit avoir cette délicatesse que soulignait Dom Guéranger à Mme Swetchine : “L’indifférence même est trop loin de la charité pour ne pas offenser un cœur chrétien“.

Je ne voudrais pas être trop long aujourd’hui ayant été trop bavard les jours derniers. Je vous invite seulement à méditer profondément cette merveilleuse page de l’évangile d’aujourd’hui. Je ne ferai qu’un bref commentaire et une réflexion interrogative.

Une réflexion d’abord : A propos de “l’unique nécessaire“, on a beaucoup parlé d’activité et de contemplation, quelquefois en les séparant, voire en les opposant. En réalité, c’est Jésus seul qui est au centre de cette scène d’hospitalité. C’est lui qui unit les deux sœurs Marthe et Marie.
Et à toutes deux, il dit : “Une seule chose est nécessaire“. Un humoriste a traduit : “Un seul plat est nécessaire“ : l’écoute de la Parole de Dieu. Autrement dit, toute l’activité chrétienne doit provenir de l’écoute du Seigneur. La part de Marthe, l’activité de service, doit s’inspirer de ce “nécessaire“, de cette écoute de Dieu qui seul rend le service valable et fructueux. Et toute écoute de la Parole de Dieu, d’intimité avec le Christ, doit rejaillir ensuite en nos mains, en nos paroles, en nos cœurs qui peuvent alors témoigner de l’amour de Dieu. Celui qui prie en éprouvant de la gêne dans sa vie apostolique, n’est pas bien avancé dans sa prière. Et celui qui agit en oubliant la prière, n’est pas bien avancé dans sa vie apostolique. D’ailleurs, St Benoît qui voulait une vie équilibrée pour ses moines, leur a laissé une règle qui tient en deux mots qu’il a fortement unis : “Ora et labora !“ - “Prie et travaille !“

Une interrogation qui est en même temps intention de prière : Vous le savez, St Luc est dénommé à juste titre “l’évangéliste de la femme“, tant les femmes sont présentes dans son écrit.
Ainsi, comme modèle d’hospitalité envers le Seigneur, il a choisi deux femmes (Il n’est pas question de Lazare ! Simple observation !). Veut-il nous dire que Jésus désire que la femme soit, par son accueil, par son hospitalité - et la maternité tant physique que spirituelle n’est-elle pas l’hospitalité par excellence ? - comme un pivot d’équilibre spirituel dans la famille, dans la société, dans l’Eglise, comme une source d’équilibre matériel et spirituel ? En soulignant ainsi le rôle de la femme, n’engage-t-il pas à donner une base solide et efficace à ce que l’on appelle aujourd’hui “la promotion de la femme“ ? Je laisse à d’autres - les femmes - le soin de répondre à cette interrogation qui est pour tous une intention de prière.

En tous les cas, n’oubliez pas l’hospitalité ; c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent Dieu lui-même !

(1) Prince roumain et prêtre, tué par les Allemands durant la dernière guerre.

jeudi 28 juillet 2011

Unique Demeure de Dieu !

T.O. 17 imp. Jeudi -

Nous ne pouvons pas lire toute la Bible, évidemment, au cours de nos célébrations eucharistiques, ni même durant les “Vigiles“. Avec la lecture d’aujourd’hui, nous assistons à la finition de la “Demeure“, la “Tente de réunion“ qui abritait l’arche contenant le signe de l’Alliance avec Dieu : les tables de la Loi ! Mais il est dit, dans les chapitres qui précèdent, que tous les éléments de la “Demeure“ avaient été soigneusement assemblés “l’un à l’autre“, d’un “seul tenant“ : “erat“ = “de l’unique à l’unique“. - La création, aux origines reflétait déjà l’harmonie de l’Unité divine. Et la “Demeure“, signe de la présence du Seigneur, est tellement bien faite, “d’un seul tenant“ qu’elle reflète l’Unité de Dieu : “Ecoute, Israël… Le Seigneur est l’Unique !“.

"Quand vint la plénitude des temps, dira St Paul (Eph. 4.4), Dieu envoya son Fils !“. “C’est en lui que, vous aussi, vous êtes ensemble intégrés à la construction pour devenir une Demeure de Dieu par l’Esprit“ (Eph. 2.22). Aussi, “appliquez-vous à conserver l’Unité de l’Esprit par ce lien qu’est la Paix !“ (4.3).

Et dans le Nouveau Testament, Dieu ne nous révèle pas seulement qu’il est “UN“, mais comment il est “UN“ dans le mystère de la Sainte Trinité. - “Qu’ils soient un comme nous sommes un“, priait Notre Seigneur (Jn 17.11). Ce n’est pas là une vague comparaison. C’est le mystère même de la Trinité, le mystère de ces relations divines qui viennent nous envelopper pour que nos relations humaines soient prises dans la charité même de Dieu. “Dieu est Amour !“. C’est à cela que nous sommes appelés : être assemblés l’un à l’autre pour devenir une seule “Demeure“ faite “d’un seul tenant“, … “pour bâtir de Corps du Christ“ (Eph 4.12). Pour cela nous devons sans cesse exorciser tout égoïsme qui habite en nous - et bien davantage tout orgueil - pour être “relation à l’autre“, comme dans le mystère de la Sainte Trinité où chaque Personne divine n’est que “relation subsistante“ ! C’est ainsi que les théologiens, marchant à pas de raison dans cet océan de Lumière divine qui nous est présenté par la foi (“fides quaerens intellectum“), ont essayé de penser ce grand mystère en lequel nous sommes appelés à être insérés !

Ecoutez ! Dieu qui est transparent à lui-même, en se connaissant, s’exprime nécessairement, éternellement dans une Parole intérieure à lui-même.
Il y a Celui qui conçoit, engendre, profère la Parole ; c’est le Père !
Il y a la Parole conçue, engendrée, proférée ; c’est le Fils.
Celui qui engendre est distinct réellement du Fils.
Mais ce qui est donné par le Père et reçue par le Fils, c’est toute la substance divine, toute la nature divine, tout l’être divin.
Celui qui est Père n’est pas Celui qui est Fils. Mais ce qu’est l’un, à savoir la Divinité tout entière, l’autre l’est également. L’Un comme le donnant, l’Autre comme le recevant. L’Un comme une éternelle Origine par rapport à l’Autre, Terme éternel.
“Au commencement, dit St Jean (Jn 1.1), était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu“ ; “pros ton théon“, dit l’apôtre - on ne sait comme traduire ce “pros“ qui avec accusatif marque un mouvement, un élan - ; le Fils était pur élan de relation subsistante au Père ! “Et le Verbe était Dieu !“.
Le Père est Dieu comme se disant ; le Fils est Dieu comme étant dit. D’où son nom de Verbe. Le Verbe est Parole dite par Dieu à Dieu, Parole silencieuse. Elle contient l’infini Silence de Dieu, le Silence qu’est Dieu. “Le Père n’a dit qu’une Parole qui fut son Fils ; et il la dit toujours en un éternel Silence ; et c’est en silence qu’elle peut être écoutée de l’âme !“ (St Jean de la Croix – Maximes).

Or, nous sommes appelés à nous insérer, assemblés l’un à l’autre, en ces relations divines si fortes qu’il n’y a qu’un seul Dieu ! Nous sommes appelés à former une “Demeure“ “d’un seul tenant“, reflétant, avec, par et en Jésus Christ, le “comment“ de l’Unité divine qui nous est révélé dans le Nouveau Testament.

On comprend alors soudainement que toute atteinte à l’unité est grave. Portons comme une angoisse toutes ces divisions entre chrétiens (et elles sont plus apparentes à Jérusalem que partout ailleurs). Essayons de réparer toutes les atteintes à l’unité en nous, entre nous, autour de nous. Mais faisons-le avec grande espérance. Car, disait encore St Paul, “Je vais vous faire connaître un mystère. Tous, nous serons transformés, en un instant, en un clin d’œil…“ (I Co. 15.51). Car Dieu - c’est notre ferme espérance -, d’une caresse de sa main paternelle nous donnera pure jeunesse éternelle ! Or “quiconque fonde sur lui une telle espérance se rend pur comme lui, Jésus (Verbe de Dieu), est pur“. Alors oui, “nous lui serons semblables puisque nous le verrons tel qu’il est !“ (I Jn 3.2-3), nous entrerons en cette “Demeure“ où tous, nous serons enlacés “d’un seul tenant“ en Dieu-Trinité !

Et là, que dire de plus ?

mercredi 27 juillet 2011

Lumière de Dieu !

T.O. 17 imp. Mercredi

“Quand Moïse descendit de la montagne, il ne savait pas que la peau de son visage était devenue rayonnante“ ! “Rayonnante“ : “qâran“ en hébreu, mot apparenté à “qèrèn“ qui signifie “corne“ ! Aussi St Jérôme (la Vulgate) a confondu et traduit maladroitement : “Son visage était cornu !“. En conséquence, les artistes - tel Michel-Ange - ont représenté Moïse avec des cornes ! Même si cette curiosité n’enlève rien à la beauté de l’œuvre de l’artiste, ce n’est pas le sens de ce qui est écrit…

Le texte, avec cette précision du visage lumineux, veut simplement souligner la proximité de Moïse avec Dieu.

La Lumière est comme le reflet de la gloire de Dieu ; elle est, dit le psaume 104, “le vêtement dans lequel Dieu se drape“. Lorsque Dieu paraît, “son éclat est pareil au jour, des rayons sortent de ses mains“, dit le psaume d’Habacuq (3.3sv – Cant. Du Vend à Laudes). Et “la sagesse est un reflet de la lumière éternelle“ (Sag 7.27.29). Ainsi donc, cette lumière sur le visage de Moïse reflète sa proximité avec Dieu-Lumière !

Admirant cette lumière sur le visage des amis de Dieu, que notre prière soit toujours celle du psalmiste : “Fais lever sur nous, Seigneur, la lumière de ta face !“ (Ps 4.7). Car ainsi illuminés, nous ne risquerons pas de sombrer allant répétant : “le Seigneur est ma lumière et mon salut“ (Ps 27.1). Bien plus, Moïse, ainsi illuminé, pouvait s’adresser au peuple au nom du Seigneur, l’instruire, l’enseigner…, à tel point qu’il est dit par ailleurs que Moïse parlait “sur les lèvres de Dieu“ (al pi Adonaï) ! Puisse être là l’ambition de tous les prédicateurs de l’Evangile, illuminés par le Christ !

Car nous le savons, cette lumière divine a été manifestée en Jésus Christ : “Je suis la lumière du monde“, disait-il (Jn 9.5) - Et “qui me suit aura la lumière de la vie“ (8.12) ; “Celui-là ne peut marcher dans les ténèbres“ (12.46). Oui, Jésus est “la lumière qui, venant en ce monde, illumine tout homme" (1.4,9). Cette lumière qu’est le Christ fut manifestée déjà au jour de la Transfiguration. Elle anticipait l’éclat du Ressuscité, au matin de Pâques, le Christ qui apparaîtra un peu plus tard à Paul dans une “lumière éclatante“ (Ac. 9.3), au point que l’apôtre écrira par la suite que cette lumière du Christ ressuscité “est celle de la gloire de Dieu lui-même“ (2. Co. 4.6).
Oui, non seulement Dieu “habite une lumière inaccessible“ (I Tm 6.16), non seulement il est appelé “le Père des lumières“ (Jc 1.5), mais “il est lui-même Lumière en qui il n’y a point de ténèbres“ (I Jn 1.5).

Par naissance, les hommes, eux, sont pécheurs “aux pensées enténébrées“ (Eph 4.18). Mais Dieu nous “appelle des ténèbres à son admirable lumière“ (I Pet 2.9). Il veut que nous partagions le sort des saints dans la lumière (Col 1.12). Aussi, dès notre baptême, “le Christ a lui sur nous“ (Eph 5.14). Ce qui doit déterminer pour nous une ligne de conduite : “vivre en fils de lumière“ (Eph 5.8). Chez St Paul, la recommandation est fréquente et habituelle, de peur, dit-il, que “le Jour du Seigneur ne nous surprenne“ (I Thess. 5.4-8).

St Jean ne parlera pas autrement. Il nous faut “marcher dans la lumière“ pour être en communion avec Dieu qui est Lumière (I Jn 1.5sv). Et, pour lui, le critère de cette marche dans la lumière, c’est l’amour fraternel : “C’est à cela que nous reconnaissons si l’on est dans la lumière ou dans les ténèbres“ (I Jn 2.8,11). Car c’est en aimant nos frères que nous devenons nous-mêmes “lumière du monde“ (Mth 5.14 sv), comme Moïse pour son peuple.
Alors nous parviendrons dans la Jérusalem céleste toute illuminée. En contemplant la face de Dieu, nous serons illuminés (Apoc 22.4sv). Nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est (I Jn 3.2).

A notre lecture, il y a un commentaire très important de St Paul en sa 2ème lettre aux Corinthiens (3.7sv), commentaire un peu difficile. Il ne faut jamais oublier que l’apôtre est loin d’être un apathique. Les mots, avec leurs idées, se bousculent facilement au portillon de ses lèvres. Et puis, la plupart du temps, Paul n’écrit pas ; il dicte ! Pauvre secrétaire, il devait avoir du mal, parfois, à bien transcrire !

Quoi qu’il en soit, l’idée maîtresse de son commentaire à l’adresse très probablement des judaïsants dont il a beaucoup souffert, est celui-ci : ce n’est pas la Loi qui doit englober la révélation du Christ qui est sa lumière de vie depuis le chemin de Damas. C’est, au contraire, la révélation du Christ, Dieu fait homme, qui doit englober la Loi. Sans le Christ, la Loi reste voilée, comme le visage de Moïse. Paul, lui, est l’apôtre du Christ qui illumine la Loi, apôtre bien faible selon la chair, mais efficace à cause uniquement de l’appel qu’il a reçu du Seigneur à l’opposé de ces “brocanteurs“ suffisants qui judaïsent tout et toujours selon la lettre qui tue, alors que l’Esprit (du Christ) fait vivre !. Aussi avait-il affirmé : “Forts d’une pareille espérance (dans et avec le Christ), nous sommes remplis d’assurance“, malgré notre faiblesse !

Il y a une vertu dont on ne parle pas beaucoup dans les manuels de morale - et c’est dommage - et qui, pourtant, apparaît comme une vertu cardinale, c’est l’assurance ! L’assurance envers Dieu qui, avec le Christ, est devenu notre Père ! Et, en conséquence, il y a l’assurance dans la proclamation de la Bonne Nouvelle du Christ qui nous libère ! – La “parrèsia“ : la liberté, la hardiesse, la franchise ! Ce que n’ont pas les judaïsants qui ont toujours comme un voile (le voile passager de la Loi) qu’ils maintiennent eux-mêmes sur leurs yeux (à cause de leur endurcissement, aveuglement !). C’est la seconde interprétation que l’on peut donner au texte de l’apôtre. Il ne s’agit pas tant de la Loi de Dieu qui ne peut être abolie (“Pas un seul trait n’en disparaîtra“ Mth 5.18) que de comprendre que cette Loi est toute relative au Christ, Lumière de Dieu, ce que refusent les Judaïsants par leur orgueil !

-La “parrèsie“, en la langue parlé de Notre Seigneur (araméen) se dit : découvrir sa face, sa tête. Et avoir la tête découverte, c’est être libre, agir en toute liberté après avoir été illuminé par le Christ ressuscité qui, éliminant tout voile - le voile du temple lui-même s’étant déchiré à sa mort (Mth 27.51) - nous fait entrer dans une libre et éternelle Alliance avec Dieu !

Désormais, dira St Paul par ailleurs, avec le Christ, “un homme ne doit pas couvrir sa tête puisqu’il est l’image et la gloire de Dieu !“ (I Co. 11.7). Evidemment cela n’a rien à voir avec le voile des moniales ou la capuche des moines ! Mais cette phrase, si elle est discutable par rapport à la condition de la femme qui, selon l’apôtre, doit restée voilée selon les critères de son époque (qui ne sont plus les nôtres !), nous fait comprendre cependant ce qu’il veut dire à propos du voile sur la tête de Moïse ! Désormais, plus besoin de voile : avec le Christ, nous sommes affranchis, nous sommes libres, nous sommes fils demeurant déjà dans la maison du Père !
“Si le ministère de mort gravé en lettres sur la pierre a été d’une gloire telle que les Israélites ne pouvaient fixer le visage de Moïse à cause de la gloire de ce visage - pourtant passagère (petite ironie au passage) -, combien le ministère de l’Esprit n’en aura-t-il pas plus encore ?... Nous, apôtres, “nous ne faisons pas comme Moïse qui se mettait un voile sur le visage... Lorsqu’on lit l’A.T. (affirme St Paul, pourtant pharisien, fils de pharisien), ce voile demeure. Il n’est pas levé. C’est en Christ qu’il disparaît… C’est seulement par la conversion au Seigneur que le voile tombe ! Car le Seigneur est l’Esprit. Et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté !“, cette liberté qui est une libération de la lettre. St Paul développera plus fortement cette affirmation dans ses lettres aux Romains et aux Galates !

mardi 26 juillet 2011

Sts Anne et Joachim

26 Juillet2011

Il est quand même assez difficile de parler de Ste Anne et de St Joachim puisque les évangiles ne les mentionnent même pas. Ce silence peut paraître étonnant quand on sait l’importance des généalogies chez les évangélistes et dans la tradition des civilisations anciennes. Ce que souligne d’ailleurs Sirac le Sage (lecture) : il est louable de faire l’éloge des ancêtres, de se souvenir de leurs “œuvres de justice“, de leur rendre grâce pour l’héritage humain et spirituel à nous transmis. Oui, - je le souligne en passant - il est bon de “faire mémoire“ (principalement au cours de l’Eucharistie), de nos aïeux même si, comme nous-mêmes, ils avaient défaillances et défauts !

Certaines raisons, plus ou moins plausibles voire farfelues, de ce silence étonnant dans les évangiles à propos de Ste Anne et de St Joachim ont été avancées. J’en retiens une, émise naguère, au 17ème siècle, par un prédicateur célèbre à l’époque, un capucin, le P. d’Argentan : en contradic-tion avec ce qui est commun, la gloire des grands-parents de Notre Seigneur n’est pas surtout d’ordre descendant - ce qu’ils ont pu transmettre -, mais d’ordre ascendant - la gloire des enfants rejaillissant sur les parents. Comme Marie qui reçoit toute sa gloire de son fils et non de ses parents pour être véritablement “Mère de Dieu, de même Anne et Joachim reçoivent toute leur gloire de leur fille, l’“Immaculée Conception“, grâce qu’elle ne reçoit que de Dieu seul ! (Ce que souligne à sa manière un écrit apocryphe, le protévangile de Jacques).

Certes, le premier titre de gloire de Ste Anne et de Sts Joachim est d’avoir été les parents de l’Immaculée, sans avoir été cause efficiente et méritoire de cette particulière conception d’une nature non souillée. Cependant ils eurent la tâche de faire l’éducation humaine et spirituelle de Marie, de faire fructifier les dons extraordinaires déposés en son âme ! Souvent ils durent être étonnés de leur fille comme d’ailleurs Joseph et Marie à propos de Jésus : “Le père et la mère de l’enfant étaient étonnés de ce qu’on disait de lui“ (Lc 2.33). Ils ne pénétraient sans doute pas tout le mystère de leur fille ! Mais ils y collaborèrent de leur mieux par leur foi, leur espérance, leur amour !

Ste Anne et St Joachim ont-ils eu conscience un jour de leur mission, ont-ils connu leur petit-fils ? On ne le sait. En tout cas, et pour plusieurs siècles, ils demeurèrent dans l’ombre. Les premières traces d’un culte envers les grands-parents de Notre Seigneur se trouvent en Orient. Aujourd’hui encore, l’Eglise grecque célèbre Ste Anne trois fois dans l’année : seule, le 25 juillet ; et deux autres fois en compagnie de St Joachim, les 9 septembre et 9 Décembre, jours qui suivent la Nativité et l’Immaculée Conception de la Vierge Marie.

Jérusalem fut sans doute la ville qui honora la première Ste Anne. Près de la piscine Probatique, à l’emplacement traditionnel de sa maison, une église fut élevée, d’abord en l’honneur de la Vierge Marie. Mais au 12ème siècle, lors des croisades, elle fut confiée à des religieuses bénédictines et l’on y vénéra surtout Ste Anne. Aujourd’hui, cette église - romane et l’une des plus belles de la Ville Sainte - est confiée aux Père Blancs du Cardinal Lavigerie. On y vénère toujours une petite grotte taillée dans le roc où se serait accompli le mystère de l’Immaculée Conception.

En Occident, le culte de Ste Anne semble avoir été propagé par les croisades.

Mais c’est, bien sûr, en notre Bretagne qu’elle est principalement vénérée, après ses apparitions près d’Auray à un laboureur, Nicolazic qui reçut mission de bâtir une chapelle en son honneur. Et c’est ainsi qu’à partir du 17ème siècle, le culte de Ste Anne connut une grande extension en Bretagne devenue en quelque sorte “son Royaume“. Il est intéressant de remarquer la corrélation qui existe entre l’extension de ce culte et le renouveau de la foi en Bretagne, à cette époque, à la suite des missions des Pères Julien Maunoir (1606-1683) et Grignon de Montfort (1673-1716). Je ne peux m’empêcher de noter également qu’en 1914, le pape Pie X a donné Ste Anne pour patronne à la Bretagne avec concession aux cinq diocèses bretons de l’office composé jadis par Dom Guéranger pour le diocèse de Vannes. Le restaurateur de Solesmes se souvenait qu’il avait fait profession à Rome en la fête de Ste Anne !

Aussi, prions Sainte Anne et St Joachim : "soyez les gardiens de la foi en nos cœurs, de la grâce en nos âmes, de la solidité de nos foyers, de l’Amour de nos familles, de la réconciliation dans l’Eglise, de la paix dans le monde. Gardez vivante en nous la vertu d’Espérance, patiente et persévérante. Sainte Anne et St Joachim, veillez sur nous !“.

lundi 25 juillet 2011

St Jacques

25 Juillet 2011

St Jacques était le frère de Jean, tous deux fils de Zébédée, patron pêcheur sur le lac de Kinnereth.

Jésus (selon Marc) avait d’abord appelé Pierre et son frère André, originaires de Bethsaïde (dans les états de Philippe et non d’Hérode-Antipas). On peut légitimement penser que Pierre s’était marié à une fille de Capharnaüm (rappelons-nous l’épisode de la guérison de la belle-mère de Pierre). Peut-être qu’à cette occasion avait-il hérité de la barque, de l’affaire de pêche de son beau-père ? Aussi, avec son frère, travaillait-il probablement de concert avec un voisin, ce Zébédée père de Jacques et Jean. Marc précise après l’appel du premier apôtre et de son frère : “Avançant un peu, il vit Jacques et son frère Jean qui étaient dans leur barque“, eux aussi ! (Mc 1.19).

Je précise cette proximité des premiers apôtres surtout pour souligner que c’est dans l’humilité d’une vie humaine toute simple que va naître la grande Eglise Universelle. C’est bien la méthode de Dieu, si je puis dire ! Il prend les attitudes d’hommes les plus simples dans un coin caché pour les répercuter à travers le monde entier : ce sont de simples pêcheurs qui deviennent pêcheurs d’hommes ! Des promotions étranges, paradoxales qu’on trouve à travers toute la Bible, à travers toute l’histoire de l’Eglise ; des “pâques“, en quelque sorte, qui font passer du concret, du singulier le plus banal à l’universel le plus merveilleux, qui font passer de l’homme à Dieu ! Jésus n’était-il pas émerveillé devant une petite semence, un grain de sénevé destiné à devenir un arbre abritant les oiseaux du ciel ? (Mc 4.31).

Ainsi des premiers apôtres comme Jacques ! De simples gens, rudes à la tâche ! Jésus les appelle. Et Marc de souligner : “Laissant dans la leur père Zébédée avec ses ouvriers, ils partent à sa suite !“ (1.20). Oh ! Certes ! Un peu d’ambition humaine avait dû se mêler et se mêlera au zèle pour le Royaume de Dieu. L’évangile d’aujourd’hui nous le fait bien comprendre. Et cette ambition pouvait se manifester fortement parfois. Aussi, Jésus avait-il surnommé Jacques et son frère “boanergès“ - “fils du tonnerre“ ! Une fois, ils avaient voulu faire descendre le feu du ciel sur une cité inhospitalière, à la manière du prophète Elie (II Rois 1.9sv). Rien que cela !

Quoi qu’il en soit, Jacques appartient au petit groupe des intimes du Seigneur avec Pierre et Jean : il fut témoin de la résurrection de la fille de Jaïre, de la Transfiguration du Seigneur. Jésus les avait encore choisis pour veiller avec lui au jardin de l’agonie… Mais ils s’endormirent ! C’est souvent notre cas !

Du moins, Jacques eut-il l’honneur d’être “le premier des apôtres à offrir sa vie pour l’Evangile“, comme le disent les oraisons de sa fête. C’est sans doute la raison du choix de la lecture d’aujourd’hui. St Paul a fait l’expérience qu’à chaque moment de sa vie d’apôtre, offerte, il meurt et il ressuscite : toujours pressé mais non écrasé, terrassé mais non anéanti, pourchassé mais non abandonné, livré à la mort mais pour que la vie du Christ se manifeste. Et il sait, Paul, qu’à l’exemple de St Jacques, il tombera en terre comme un grain de blé, mais pour une fécondité extraordinaire, impensable…

Oui, depuis le matin de la création, nous savons que nous sommes des “vases d’argile“ extrêmement fragiles. Mais dans ces “vases“, dans les “cruches“ que nous sommes, il y a un trésor. Et quand les cruches cassent, ce trésor qui est lumière de résurrection assure la victoire immensément et éternellement plus importante que celle qu’avait remportée Gédéon sur Madian. Il était parti combattre avec seulement 300 soldats que le Seigneur lui-même avait triés. Chaque soldat n’avait qu’une trompette et qu’une torche mise dans une cruche. A l’approche de l’ennemi, en pleine nuit, au signal de Gédéon, les combattants sonnèrent du cor et brisèrent les cruches. Alors le feu qui jaillissait soudainement des cruches et le vacarme des trompettes effrayèrent l’ennemi qui s’enfuit… Les trompettes de la prédication et la lumière de Pâques. Notre trésor ! Nous sommes des vases d'argile qui continnent un trésor : le Christ!

Oui, dirait St Jacques lui-même - premier apôtre martyr -, depuis notre baptême, nous portons un trésor dans des poteries sans valeur ; et on voit bien ainsi que la puissance extraordinaire que nous avons ne vient pas de nous, mais de Dieu ! Ce n’est pas là une spiritualité réservée aux saints. C’est la spiritualité la plus élémentaire : celle du baptême, celle du martyre, autrement dit celle du mystère pascal. Et si notre homme extérieur part en ruine, dira St Paul par ailleurs, notre homme intérieur se renouvelle à l’image du Créateur ; c’est la naissance d’un “homme nouveau“ créé à l’image et ressemblance de Dieu ! C’est là notre trésor !

Nous ne croyons pas suffisamment à ce trésor caché en nos cruches d’humanité ! Si on y croyait suffisamment, nous demanderions à Dieu de vivre longtemps pour “mourir jeune“, étant donné que chaque instant de l’existence, chaque respiration, chaque acte de charité nous rajeunissent, doivent nous rajeunir à l’exemplaire de l’éternelle jeunesse de Dieu !

Même si nous sommes en un âge avancé, prions St Jacques de mourir jeune. Je ne sais si lui-même, Paul et les apôtres connaissaient la réflexion admirative qu’un prêtre égyptien adressait à des Grecs et qui nous est rapportée par Platon (Timée 22B) : “Vous autres, Grecs, vous êtes toujours des enfants. Un Grec n’est jamais vieux… Vous êtes toujours jeunes dans vos âmes !“, ce qui, sans doute, inspira St Augustin à s’écrier : “Quaerite ergo, o juvenes, Christum ut juvenes maneatis !“ – “Cherchez donc le Christ, jeunes gens, pour rester jeunes !“.

samedi 23 juillet 2011

Tout contribue au bien !

17ème Dimanche 11/A -

Nous sommes dépassés par la phrase de St Paul soulignant un paradoxe inouï : “tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu”.

“Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu”. C'est une folie d'affirmer cela dans le monde d'aujourd'hui, monde d'atrocités, de guerres et de souffrances, de malheurs et d'agonie (jusque dans ce pays d’où je reviens - et o combien ! - que le Fils de Dieu a sanctifié de sa présence).
Pourtant St Paul insiste ; il veut exprimer la réalité la plus profonde qui soit. Et tous les témoins du Christ, à travers les siècles, ne feront que reprendre ce leitmotiv : “tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu”. Tout, absolument tout. Bien plus, St Augustin ajoutera dans un commentaire célèbre : “même le péché”.“O heureuse faute qui nous value un tel Rédempteur“, chante l’Annonce de la fête de Pâques !

“Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu”. Pour affirmer cela, il faut avoir pris conscience d’une abyssale réalité dans sa propre vie, par-delà toutes les apparences, par-delà tout ce qui peut sembler contraire à cette affirmation.

Et quelle est donc cette réalité fondamentale ? St Paul le souligne immédiatement : c’est évident, dit-il, “puisque tous ceux qui aiment Dieu sont appelés selon le dessein de son amour !”. Voilà bien la raison profonde de son affirmation : le Seigneur nous aime et nous guide sur son chemin, quoi qu’il nous arrive. Il nous enveloppe dans le dessein de son amour pour que nous soyons, à l'image de son Fils, des enfants de Dieu son Père et notre Père.

“Tout concourt...”. Il faut insister sur ce petit mot “tout”, car il se retrouve - ce petit mot - dans la parabole que nous rapporte St Matthieu, en particulier celle de la perle fine : “Le royaume des cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu'il possède et il achète la perle”. Le royaume des cieux est comparable à une perle. Il faut trouver la perle et il faut tout vendre pour l'obtenir. Il y a dans cette parabole quelque chose d'extrêmement étonnant : la perle est si chère qu'il faut tout vendre pour elle. Pour égaler la valeur de cette perle, il faut tout donner, il faut tout livrer.

De plus, - il faut le souligner - pour découvrir cette perle, il faut être un fin connaisseur. Il est très difficile de distinguer les perles les unes des autres : on peut payer très cher pour n'avoir qu’une apparence de perle, du “toc”, comme l’on dit. Aussi, il faut faire confiance au marchand : nous devons lui donner toute notre confiance. Et pour cela ne faut-il toujours formuler cette prière de Salomon : “Seigneur donne-moi un cœur attentif“, en mot-à-mot : “un cœur qui écoute !“.

Oui, aujourd’hui, en ce moment, le Seigneur nous demande d'avoir le cœur assez ouvert pour comprendre qu’il faut lui donner toute notre confiance et l'entendre nous dire : “tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu”. Cette affirmation transforme nos cœurs et nous place dans la vérité, dans la plénitude qu'est la perle c'est-à-dire Jésus Christ, elle nous place tout entier en lui.

Pourquoi, finalement, cette perle vaut-elle tout ? C’est parce que cette perle contient tout, et tout ce que nous vivons et tout ce que Dieu peut nous donner à travers heurs ou malheurs. Car cette perle nous est donnée dans le Christ, c’est-à-dire dans sa mort et sa résurrection. C'est là qu'est le “tout”. “Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu” : cette parole est manifestée dans la vérité de la croix du Christ, dans le don total que Jésus Christ fait de lui-même à son Père pour le salut de tous les hommes, dans ce don qui, par-delà toute mort, donne la vie. Celui qui trouve la perle comprend la croix et la résurrection de Jésus ; il accueille ce mystère de mort et de vie en toute son existence et avec le mal - fût-ce le péché - et avec le bien, pour vivre à nouveau - maintenant et éternellement - avec le Christ toujours vivant par-delà la mort !

Alors oui, il faut tout vendre pour vivre avec le Christ. St Paul (Philippiens 3), dit qu'il a tout quitté pour gagner le Christ et un peu plus tard, St Ignace d'Antioche, par exemple, n'aura qu'une parole à la bouche : “Saisir le Christ”, saisir le Christ en son mystère pascal. Voilà ce qu'est notre vie chrétienne.

Redisons-le : notre vie n'a de sens que dans le don total que nous faisons de nous-mêmes au Seigneur, ce don qui fait que nous perdons tout, que nous nous perdons nous-mêmes pour gagner le Christ, le Christ mort mais toujours vivant. La seule chose qui compte dans notre vie, c'est la perle, c'est-à-dire la croix et la résurrection de Jésus Christ. C’est cela le Royaume de Dieu !

Alors nous comprendrons de plus en plus que “tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu”. Et cette affirmation solennelle devient comme le refrain de toute notre existence.

Certes, toutes les apparences ou presque sont contraires. La mort est toujours là, les souffrances de toutes sortes sont toujours là ; cependant il y a quelque chose de radicalement changé dans le monde : ce sont les cieux nouveaux, les cœurs nouveaux que le Seigneur ne cesse de façonner. Il y a le “Royaume de Dieu”, c’est-à-dire déjà et éternellement cette présence de Dieu à nulle autre pareille. “Ceux qu'il a appelés, il en a fait des justes ; et ceux qu'il a justifiés, il leur a donné la gloire”, la gloire de Dieu en nos vies d’hommes, manifestée en Jésus Christ mort mais ressuscité.

Demandons au Seigneur de nous laisser prendre par cette réalité qui a transformé la vie de Paul et celle de tous les saints : le Royaume de Dieu, c'est tout donner, se donner totalement pour s’ouvrir à la vie du Christ mort et ressuscité.

Et ce trésor est déjà là, caché au fond de notre cœur ; il nous faut sans cesse le découvrir. La perle que l’on découvre nous donne d'avoir tout, le tout de Dieu dans le tout de l'homme. C'est cela le mystère de Dieu. Il nous veut tout entier parce qu'il se donne tout entier, parce qu'il n'est que don.

Le mystère de Dieu est un mystère de don, de vérité, d'amour. Toutes les paraboles n'ont pas d'autre but que de manifester que tout est organisé dans le monde pour que nous découvrions cette plénitude de l'amour - “Dieu est Amour !“, ne cessait de répéter St Jean -. Que cette Eucharistie soit comme un cri qui demande au Seigneur la grâce de tout donner pour tout recevoir à travers son mystère pascal de mort à vie.

Oui, demandons au Seigneur de tout perdre pour qu'il se donne à nous et que nous nous donnions à lui, et par lui, à nos frères. Alors notre vie aura son sens, malgré nos diverses souffrances et parfois à cause d’elles, son véritable sens, le seul !

Ste Brigitte de Suède

23 Juillet


Brigitte de Suède, appartenait par sa naissance (1302) et son mariage à la haute Société suédoise.
Mère de huit enfants, attentive à leur éducation, elle vécut avec son mari une vie très pieuse ; et ils étaient tous deux très conscients de leurs charges communes dans la société de l’époque.

Après la mort de son mari, lors de leur retour d’un pèlerinage à Compostelle, elle se retira d’abord près d’un monastère. Et c’est à partir de cette nouvelle orientation de vie qu’elle commença à recevoir des “révélations“ qui concernaient principalement
- les grands de ce monde : elle demandait surtout, au nom du Christ de rétablir la paix à un moment où la guerre de cent ans était très violente…
- … le pape lui-même qui d’Avignon devait revenir à Rome !

Après bien des péripéties, elle reçut du pape l’autorisation de fonder un nouvel Ordre : l’Ordre du Saint-Sauveur qui devait suivre la Règle de St Augustin. Mais c’est surtout sa fille, Bse Catherine, qui réalisa l’inspiration de sa mère ! Cet Ordre avait une grande ressemblance avec celui de Fontevrault, bien que Ste Brigitte n’en parle jamais. Les deux Ordres avaient mêmes caractéristiques : la particularité du monastère double, le rôle de la Vierge Marie, vraie abbesse du monastère et même certains détails de l’habit !
C’est surtout en Scandinavie, naturellement, que l’Ordre du Saint-Sauveur prit le plus d’importance… Cet Ordre ne joua jamais un grand rôle dans l’histoire de l’Eglise. Il aurait cependant compté jusqu’à 79 abbayes, disséminées dans presque tous les pays d’Europe. En France, il y en avait quatre, toutes supprimées sous la Révolution…

Ste Brigitte s’installa à Rome à partir de 1350. A un âge assez avancé pour l’époque, elle partit pour un pèlerinage en Terre Sainte… Aussi est-elle invoquée comme patronne des pèlerins.

En 1391, Sainte Brigitte de Suède est canonisée par le pape Boniface IX ; et elle est devenue et restée particulièrement populaire dans les pays scandinaves, l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie.
De son vivant, elle a œuvré - c’est à souligner - pour l'unité au sein de l'Église catholique…

Elle a été déclarée co-patronne de l'Europe par le pape Jean-Paul II le 1er octobre 1999, à l'ouverture du synode des évêques sur l'Europe, en même temps que Catherine de Sienne et Edith Stein. "Ce n'est pas par hasard, dira le pape à son propos, que l'une de ses filles, Catherine, est vénérée comme sainte. Ste Brigitte, ajoutera-t-il, est révérée car elle a su mener une vie sainte dans le cadre de ses responsabilités publiques et de sa vie d’épouse, de mère de huit enfants, et dans sa vie religieuse jusqu'à sa mort“.

Elle est connue également pour ses Révélations qui concernaient la vie politique en Europe et le rôle que devait y tenir l’Eglise. On retient cependant de ses Révélations surtout celles qu’elle reçut sur la vie de Notre Dame et celles concernant la Nativité et la passion du Christ.

Il est bon d’invoquer aujourd’hui Ste Brigitte. Elle est d’une grande actualité :
- comme épouse et mère exemplaire. On pourrait faire un parallèle à ce sujet avec le Bx Charles de Habsbourg et son épouse Zita de Bourbon-Parme dont la cause de béatification est instruite par notre Diocèse.
- comme co-patronne de l’Europe, et d’une Europe chrétienne (grand sujet d’inquiétude). On pourrait faire le parallèle, à ce propos avec Catherine de Sienne, mystique pourtant, elle aussi.
- comme Religieuse. Si le style de ses Révélations est parfois un peu abscons, Ste Brigitte était cependant très éloignée d’une spiritualité mièvre et sentimentale ; elle savait rappeler fortement les fondements de notre foi : l’Incarnation et le mystère pascal du Christ que rappelle toute Eucharistie. Mystique certes, elle restait encore très active au service de ses frères sans autoritarisme aucun. On pourrait la comparer, à ce propos, à Mère Térésa.

Pour ses trois motifs, prions, invoquons Ste Brigitte. Et à l’occasion, nous pouvons reprendre le passage de l’une de ses quinze prières qu’elle a composées et qui restent encore célèbres : “Je vous supplie, ô mon Sauveur, par le glaive de douleur qui transperça l’âme de votre Sainte Mère, d’avoir compassion de moi en toutes mes afflictions et tribulations, tant corporelles que spirituelles, et de m’assister dans toutes mes épreuves, surtout à l’heure de la mort“.

vendredi 22 juillet 2011

Marie Madeleine

22 Juillet 2011

Ste Marie-Madeleine ! Précisons tout d’abord que les textes évangéliques ne permettent pas de confondre Marie-Madeleine avec la pècheresse dont il est question en St Luc (ch 7) sous prétexte que Jésus l’avait délivrée de sept démons (Lc 8.2). Certains prédicateurs ont facilement utilisé cet amalgame pour alimenter leurs sermons et démontrer ainsi que même les grands pécheurs peuvent devenir de grands saints. Si l’intention est louable et l’affirmation indéniable, l’exemple n’est pas probant ! - Il ne faut pas confondre non plus Marie-Madeleine avec Marie de Béthanie, sœur de Lazare. Il vaut mieux en rester à la distinction de la Tradition : la pècheresse (dont on ignore le nom), Marie de Béthanie et Marie de Magdala, même si certains exégètes la distinguent encore d’une Marie, disciple du Seigneur !

Notre évangile d’aujourd’hui est l’un des récits de la résurrection du Seigneur qui sont si réalistes, si précis qu’ils ne peuvent pas avoir été inventés. Ce sont d’abord des femmes - il faut le souligner - qui trouvent le tombeau vide ; des êtres mystérieux affirment : “Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici… ! (Lc 24.7). Quand, à Jérusalem, je me rends en la basilique de l’Anastasie et que j’entre dans le mémorial du Saint-Sépulcre - démarche de dévotion fort louable, n’est-ce pas -, je ressens toujours une folle envie d’en vite sortir pour aller crier : “Il n’est pas ici !“. Le tombeau est vide et reste vide ! A cette nouvelle, les apôtres restèrent indécis, voire incrédules : “Ce ne sont que rêveries de femmes !“ (Cf. Lc 24.23-24).

Cependant, Marie-Madeleine est demeurée devant le tombeau vide. Elle non plus ne croit pas aussitôt. Elle pleure, abîmée en sa douleur. Elle avait vu le Christ mort ; elle savait bien que ce n’était pas un mort endormi paisiblement, mais un corps torturé, flagellé, vidé de son sang. Pour elle, c’était bien fini !
Or, voici que Jésus lui parle. Elle ne le reconnaît que lorsqu’il prononce son nom : “Marie !“. A chacun Dieu dit toujours comme à Isaïe : “Je t’ai appelé par ton nom !“ (Is 43.1). Jésus n’avait-il pas dit que le Bon Pasteur connaît chacune de ses brebis par son nom (Jn 10.3) ? C’était annoncer que les noms de ceux qui le suivent sont déjà inscrits dans le ciel (Lc 10.20), sur le “livre de vie“ (Ph 4.3 ; Ap. 3.5 ; 13.8 ; 17.8). A l’appel de son nom, Marie se sent reconnue par son Seigneur ; elle se lance alors vers lui !

Jésus lui dit alors : “Ne me retiens pas ! Car je ne suis pas encore remonté vers mon Père !“. Phrase mystérieuse mais qui se comprend dans la pensée de St Jean : le Christ ne peut être atteint désormais à la façon purement humaine, façon fragmentaire comme toutes nos connaissances. Certes, il reste bien pleinement homme. Et son humanité restera toujours pour nous le canal des grâces divines. Mais pour cela il faut qu’il monte vers son Père, qu’en lui il soit glorifié, qu’en sa chair se révèle la gloire du Fils unique de Dieu (Cf. Jn 1.14,18). Et pour le voir désormais, il faut que cette “gloire du Fils Unique“ soit reconnue : “Si tu crois, avait déjà dit Jésus en ressuscitant Lazare, annonçant ainsi sa propre résurrection, tu verras la gloire de Dieu !“.
“Je m’en vais, avait-il dit encore ; mais je reviens“. (Jn 14.28). Je quitte cette forme de présence que vous aviez avec moi ; mais une fois glorifié, vous me trouverez en une autre présence encore plus réelle, plus forte : “C’est votre avantage que je m’en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si je pars, je vous l’enverrai… Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi ; et il vous le communiquera“ (Jn 16. 7sv). Ainsi “encore un peu et vous ne m’aurez plus sous les yeux ; et puis encore un peu et vous me verrez !“ (Jn 16.19). Et alors, votre joie, “nul ne vous la ravira“ (Id 16.22).
Par cet Esprit qu’il enverra, Jésus sera en ses disciples comme son Père est en lui (Jn 14.19sv). Voilà pourquoi il est meilleur qu’il soit absent de nos yeux de chair (Jn 16.7). Cette absence est la condition d’une présence intérieure réalisée par le don de l’Esprit. Grâce à ce don, les disciples ont en eux l’amour qui unit le Père et le Fils (Jn 17.26). C’est pourquoi, conclura St Jean, Dieu demeure en eux (Cf. I Jn 4.12).

Aussi, Jésus enjoint à Marie-Madeleine : “Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu“. Tout en affirmant qu’il est le “Fils Unique“, Jésus annonce la paternité de Dieu à l’égard de tous ses disciples qu’il nomme “ses frères“. Désormais une nouvelle et grandiose Alliance entre Dieu et les hommes est possible, à cause de cette nouvelle relation avec Jésus quand il sera entré dans la gloire du Père !

Marie-Madeleine, après cette annonce, est demeurée en silence ; on ne parlera plus d’elle ! Je l’imagine facilement comme ressemblante à sa statue en l’église Saint-Pierre de Solesmes. Elle attend dans notre nuit d’humanité, en fermant les yeux, elle attend le retour plénier de son Seigneur en sa gloire divine. Son silence est devenue une seule parole qu’elle proclame à tous : “Le Christ est ressuscité !“.
Son silence est une invitation à la foi. La foi est ordonnée à l’amour divin. Et cet amour réclame le silence, un silence si fort qu’il devient proclamation. Seul l’amour peut se nourrir de ce silence. Si la parole est première pour communiquer, elle est ordonnée, dans l’intimité avec Dieu, à ce silence d’amour. Dieu nous cache en quelque sorte dans le silence de son amour…
La vie devient alors une vie qui échappe à l’histoire, au temps, parce qu’elle ne se réalise déjà qu’en Dieu seul. C’est comme un préambule du ciel, de la vie glorieuse où le Christ est entré le premier avec son corps… Du moment que vous êtes cachés avec le Christ, dira St Paul (Cf. Col 3.1-4) recherchez les choses d’en-haut, là où se trouve le Christ ! – C’est alors que le silence d’une vie peut devenir une proclamation qui retentira jusqu’à la fin des temps : “Le Christ est ressuscité !“.

vendredi 8 juillet 2011

Le "Germe" - le grain de blé !

15ème T.O. A.11

On pourrait résumer la parabole de l’évangile par la prophétie de Zacharie : “Voici que je fais venir mon Germe“ (3.8), “Sous ses pas, tout germera !“ (6.14). Tout germera, parce que : “Seul le grain qui meurt porte beaucoup de fruit !“

Ainsi, “Voici que le semeur est sorti“ (13.3), dit Jésus au moment, est-il précisé, “où il sort de la maison“ (13.1), lui qui était “sorti de Dieu pour venir dans le monde“ (Jn 16.28). Comme son ancêtre Abraham, selon la généalogie de l’évangéliste, qui, lui aussi “était sorti de la maison de son père“ (Gen 12.1). Et le Seigneur Dieu lui avait dit : “C’est moi qui t’ai fait sortir“ (Gen 15.7). “Je ferai que tu donnes naissances à des nations, et des rois sortiront de toi !“ (Gen 17.6). - Ainsi donc, le Semeur sortit pour répandre le grain… pour une récolte… insoupçonnée !

Le grain… Le germe… ! Le jeune citadin, presque ignorant des choses de la nature, pourrait penser : Il est fou ce paysan ! Il s’indignerait de voir le semeur, à l’automne, au seuil de la froidure hivernale, en train de jeter en terre, par poignées, des grains de son précieux blé. Quel gaspillage ! Et pourtant, l’agriculteur est un sage en acceptant volontairement de perdre une partie de sa récolte. C’est un homme de foi ! “Qui perd sa vie, la sauvera“, dira Jésus (Lc 9.24).

Et pourtant, tout semble contredire son espérance. Le grain de blé jeté en terre va pourrir ; il va mourir. Il va connaître le froid, - “il faisait froid“, notera St Jean (Jn 18.18) lorsque le “Germe divin“ sera enfoui - ; il va connaître la solitude - “Vous me laisserez seul“, dira Jésus ; mais je ne suis pas seul, le Père est avec moi !“ (Jn 16.32).

Et voilà qu’au printemps, les premières caresses du soleil vont réchauffer la terre - “le soleil s’étant levé“, notera Marc au grand matin pascal (Mc 16.2) -. Un miracle se produit, un miracle créateur, un miracle rédempteur ! On croyait l’aventure terminée ; et tout recommence : l’éclosion d’une tige verte, la croissance d’un épi. Le grain en mourant s’est multiplié ! - “Quand je serai élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes“ (Jn 12.32) -.

Mais un destin brutal attend encore le grain de blé : il va être écrasé sous la meule pour ne plus faire qu’une seule farine - “Debout, foule le grain, fille de Sion !“, lançait le prophète Michée (4.13) -. Et le meunier la conduira au boulanger. Celui-ci en fera une pâte qui sera présentée au feu - “Car notre Dieu est un feu dévorant“ -, dit la lettre aux Hébreux (12.29).
Et ce n’est pas encore fini. Ce pain va entrer dans la bouche de l’homme pour être à nouveau broyé sous les dents, avalé et, par une mystérieuse alchimie, devenir sa chair, son sang ! L’homme est ainsi appelé à construire l’homme… en intégrant toute la Création en lui-même : “Tout est à vous ; mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu !“ (I Co 3.21-23).

Aussi, Jésus, “comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. Pendant le repas qu’il partageait avec eux“ (P.E 4), il prit entre ses mains calleuse d’ouvrier, ce pain, “fruit de la terre et du travail des hommes“. Il lève les yeux vers le ciel pour rendre grâce, c’est-à-dire pour bénir Dieu.
(c’est le sens du mot “Juif“ que Jésus est lui-même : un être qui est béni de Dieu et qui bénit Dieu (1) !)
Il va bénir Dieu et reconnaître que son Père et notre Père à tous, Créateur de toutes choses, est bien la source première de tout ce qui existe, en particulier de ce pain quotidien - “Donne-nous notre pain de ce jour !“ -. Il rompt, il brise ce pain pour le partager avec ses amis, comme le lendemain, il brisera sa propre vie comme un grain qu’on jette enterre !

Aussi, ce faisant, il a dit : “Ceci est mon Corps livré pour vous, prenez et mangez !“
Alors, le grain de blé devient Corps du Christ et, dans une étonnante communion, Corps des croyants. Non seulement, l’homme s’humanise de plus en plus par les dons du Créateur que symbolise le pain quotidien, mais il est déjà “divinisé“ en Jésus Christ qui nous affirme : “Je suis le Pain de Vie !“ (Jn 6.48). “Celui qui mangera de ce pain vivra pour l’éternité !“ (Jn 6.58). De sorte que chacun est appelé à dire comme St Paul : “ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi“ (Gal 2.20), qui habite en moi par son Esprit. Le Corps du Fils de Dieu devient chair de ma chair ; et, déjà, je participe à sa vie humaine et divine tout à la fois, mon corps lui-même étant appelé à être “transfiguré“ en la gloire du Fils de Dieu, “quand la moisson de la terre sera mûre !“ (Cf Apoc 14.15).

Il est juste et bon de prendre conscience de cette immense réalité du Semeur divin qui, éternellement, jette en notre terre son Grain, son “Germe“. C’est par ce “Germe“ céleste, par lui, avec lui, en lui, qu’un cri d’action de grâce monte vers Dieu devenu “notre Père“, un Père qui sait ce dont ses enfants ont besoin (Cf. Mth 6.36). Telle est bien la signification du mot “Eucharistie“, c’est-à-dire action de grâce ! Oui ! “Amen ! Louange ! Gloire ! Sagesse ! Action de grâce“, chante l’Apocalypse (7.12)
Et cette action de grâces qui jaillit de mes lèvres doit être l’expression de ce courant d’amour qui a pris sa source dans le Père, qui revient à lui par le Fils, grâce à leur Esprit d’Amour.

Bien plus encore, comme l’eau qui s’évapore pour rejoindre le ciel, se transformer en nuages et redescendre en pluies (1ère lecture), par l’Eucharistie, Pain du ciel, je peux insérer désormais cette Vie d’Amour qui relie les trois Personne divines, cette Vie divine où tout est dons gratuits, échanges, partages…, je peux l’insérer à l’intérieur de toutes mes relations humaines qui vont alors en être renouvelées. Grâce à ce grain de blé, à ce “Germe“ divin devenu Corps du Christ en moi, Eucharistie, je peux, je dois à mon tour, me multiplier en suivant le destin de la petite semence. Je dois me perdre au service des autres, je dois mourir pour faire vivre les autres, je dois me dépenser pour sauver les autres, je dois accepter d’être broyé, devenir farine, et me laisser manger par les autres.

C’est ainsi que St Ignace d’Antioche envisageait son martyre : “Laissez-moi mourir sous la dent des bêtes, écrivait-il aux chrétiens, pour devenir le froment de Dieu !“. C’est ainsi qu’un monde nouveau naîtra de ce sacrifice librement consenti, de cette vie offerte pour le bonheur des hommes et pour la gloire de Dieu. C’est ainsi que l’Eucharistie devient permanence de Vie, de vie humaine et divine, pour tout l’univers.

Vous direz peut-être : ces idées sont belles. Mais dans la réalité… ? Cependant, ne cherchons pas bien loin. Ce père de famille, cette mère de famille, qui travaille à longueur de journée : en s’alimentant au Corps du Christ, ils deviennent eux-mêmes pain de Dieu, “froment de Dieu“, dirait St Ignace, pour leurs enfants. De même, ce médecin, cette infirmière qui se tuent à la tâche pour le bien de tous… Et que dire de celles et ceux qui ont donné leur vie à Dieu par Jésus ? Etc… En tout cela, c’est l’Eucharistie qui donne sens à tous ces sacrifices quotidiens ; et c’est l’humanité nouvelle qui, peu à peu, monte jusqu’au Père, grâce à l’Esprit de Jésus Christ qui transforme tout en Amour divin.

Et notre mort elle-même sera alors le don total qui achève toute une série de morts à notre égoïsme, à notre orgueil. Au lieu de tomber dans le néant, le grain de blé jeté en terre est semé pour que d’autres moissons se lèvent, pour qu’au printemps nouveau surgissent des lendemains de récolte. Et grâce à l’effort de ceux qui nous suivent, les épis mûriront et rempliront les greniers de Dieu jusqu’au jour éternel où, prophétise Isaïe, “la vendange sera terminée et il n’y aura plus de récolte“ (32.10).

“La volonté de mon Père, dit Jésus à ses disciples, c’est que vous alliez et que vous portiez beaucoup de fruits !“. Heureux ceux qui s’aiment, car ils récolteront ; heureux ceux qui sèment dans les larmes, car ils moissonneront en chantant. (cf. Ps 126.5)


(1) - La racine du mot "Juif" (Yehoudi) vient de la racine du verbe "louer " (Yoda), racine également du prénom “Juda“ !
Cf. Gen. 29.35 : Léa enfanta un fils et s'écria : "Cette fois, je louerai (Yodè) le Seigneur !". C'est pourquoi elle l'appela Juda (Yehouda)
- Encore aujourd’hui, le mot "merci " (Toda) est de la même racine, mot qui se traduit en grec par le verbe "eucharistein" (Eucharistie).
- Finalement, les mots hébreux “Juda“, “Juif“, “louer“, “merci“ se retrouvent dans le mot grec “Eucharistie“ !



C'est le temps des vacances. J'espère que chacun pourra prendre un temps de repos bien mérité !

Bonnes vacances à tous !


Moi-même, je m'absente. Dimanche prochain, je me rends à Jérusalem où tous seront présents dans ma prière !

A bientôt !

samedi 2 juillet 2011

Enfant de Dieu !

14ème dimanche du T.O. 11/A

Dans l’une de ses lettres, (I Co. 3.9.), St Paul nous dit que nous sommes les coopérateurs de Dieu, ses collaborateurs… Si cette parole est dite à propos de notre ministère extérieur, il en est de même - et bien davantage - pour la croissance de notre vie intérieure. Car Dieu nous respecte tant qu’il attend notre “bonne volonté“ active ; selon la belle expression de l’Apocalypse, il est là frappant à notre porte, nous sollicitant de lui ouvrir afin qu’il puisse entrer et “souper“ avec nous (Apoc 3.20) !

Mais quelle est donc cette aide que nous pouvons fournir à notre Dieu tout-puissant ? Il me semble que le Seigneur n’attend qu’une seule chose : que nous nous fassions pure capacité de sa lumière, pure capacité à sa grâce !

Un jour, les apôtres discutaient pour savoir qui d’entre eux était le plus grand, le plus important. Et Jésus de leur désigner un enfant. Or, aujourd’hui, il nous fait part de sa prière à son Père : “Père, je proclame ta louange. Ce que tu as caché aus sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits“ – Et une autre fois, Jésus annoncera : “L’Esprit du Seigneur m’a consacré pour annoncer l’Evangile aux pauvres(Mth 11.5 ; Lc 4.18 ; 7.22) !

Qui sont ces pauvres, ces enfants, ces tout-petits auxquels est promise l’entrée dans le Royaume. Car le pauvre devant Dieu, le tout-petit, l’enfant, c’est tout un. C’est celui qui, en vérité, n’est que pure capacité de lumière, que pure capacité de grâce !

C’est peut-être étrange de dire cela à un moment où l’on ne parle - tant pour les personnes que pour les peuples dans leurs évolutions ou révolutions (!) - que de maturité, de majorité, d’âge adulte ! Bien plus, notre foi, notre espérance, notre charité doivent se personnaliser de plus en plus, ne pas en rester aux comportements et expressions d’un enfant ! St Paul le souligne fortement dans sa lettre aux Corinthiens (I Co. 13.11sv). Il nous faut évacuer, nous dit-il, ce qui est de l’enfance, c’est-à-dire la fragilité, l’inconstance, le non-engagement, la non-responsabilité ! Et vouloir maintenir des personnes dans cet état inoffensif de l’enfance, c’est vouloir les réduire à un esclavage (humain ou spirituel) ! Cependant, cette majorité des fils de Dieu ne va nullement à l’encontre de ce qui constitue cette petitesse, cette pauvreté et cet “esprit d’enfance“ dont parle Jésus. De quoi s’agit-il donc ?

Ce qui caractérise souvent l’enfant - et ce qu’il faut conserver -, c’est sa réceptivité, son accueil, son abandon et sa confiance face à nous, les grandes personnes qu’il considère évidemment comme bien plus puissantes, savantes, sages que lui. L’enfant étonne parfois par cet espèce de démission de lui-même entre nos mains…, afin de se laisser conduire, enseigner, guider, porter… !

Or, ce qui gêne le plus le Seigneur pour se manifester à nous pleinement, pour nous introduire en sa vie même, c’est bien notre suffisance et notre orgueil. St Paul le souligne dans la seconde lecture : la “chair“ dont il parle n’a rien à voir avec les questions de sexe. Dans le langage biblique, “la chair“ désigne l’arrogance de l’homme devant Dieu.

C’était, au cours de l’histoire du peuple hébreu, l’entreprise assyrienne ou babylonienne de puissance (Cf 1ère lecture) ; c’était, au siècle dernier, l’entreprise hitlérienne de domination universelle ; c’est, aujourd’hui, la prétention prométhéenne d’assurer la souveraineté humaine par la science et la technique, la recherche du bonheur par des plaisirs faciles et fallacieux…

Oui, nous nous enveloppons si facilement dans le manteau de notre suffisance ; et nous essayons par tous les moyens de ramener Dieu à la raison, à notre raison. Il n’est pas étonnant alors que, dans nos idées, dans nos actions, nous ayons si peu le “sens de Dieu“ ! – Et voulant ramener Dieu à sa raison, l’homme n’accepte pas, pour ainsi dire, la folie de Dieu, la folie de l’amour de Dieu, la folie de la conduite providentielle de Dieu à l’égard des hommes ! Alors, évidemment, bien des choses nous échappent quand on place Dieu sur notre petite échelle humaine. Alors que si l’on prenait l’attitude de l’enfant qui accueille, qui sait recevoir, oui, on deviendrait vraiment “enfants de Dieu“, “fils de Dieu“. “Ceux-là sont enfants de Dieu, dit St Paul (Rm 8.14), ceux qui se laissent pousser par l’Esprit“.
(Le terme grec veut dire tout à la fois “presser“, “pousser“. C’est comme lorsque l’on prend un tube de dentifrice en main : on le “presse“ ; et ça “pousse“ en même temps !).

Une autre caractéristique de l’enfant, entre plusieurs, c’est son sens de l’admiration et de la gratuité.

Une personne m’a rapporté un jour cet épisode : Elle se promenait dans le parc Monceaux, à Paris ; et elle regardait les cygnes… Et un petit garçon vint à passer avec sa maman ; et il fit comme elle : il regarda les cygnes. C’est si beau, si majestueux, un cygne sur l’eau ! Mais sa maman le prit par les bras et lui dit : “Viens donc, dépêche-toi ! On dirait que tu n’as jamais rien vu !“. Et mon interlocuteur d’ajouter : “j’ai vraiment eu de la peine pour cet enfant. Car il aurait pu devenir un artiste, un inventeur, un homme qui sait regarder les choses et les personnes, alors qu’il sera comme beaucoup : un homme très affairé qui ne sait plus regarder les cygnes !

Vous savez ! C’est une grande catastrophe quand on ne sait plus vaquer à ce qui peut paraître inutile, quand on ne sait plus faire de ces gestes gratuits, apparemment non productifs, quand on ne sait plus quitter la logique de la production, de la sur-production, de la consommation, de l’utilitaire, quand on ne sait plus poser de ces gestes qui surgissent comme naturellement parce que, tout simplement, …on aime, on veut chanter, admirer, louer…, danser ! … Parce qu’on veut chanter, admirer Dieu, le seul Saint, le seul Seigneur, le seul Très-Haut. Et dans le monde de la foi, Dieu n’est-il pas l’Admirable ; la Trinité n’est-elle pas, par excellence, le mystère admirable ? Et l’enfant de la crèche ? Le Fils de Dieu qui se fait enfant d’homme !

Si nous n’avons plus le sens de l’admiration, le sens du gratuit, nous n’aurons jamais le sens de Dieu et, par conséquence je le crains, le sens du véritable amour pour ceux qui nous entourent !

En cette période de vacances pendant laquelle nous pouvons avoir plus grande liberté dans notre emploi du temps, ne serait-ce pas l’occasion de nous monter plus accueillants à Dieu (par la prière la lecture de l’évangile, que sais-je encore !)…, et, de ce fait, plus accueillants pour ceux qui nous entourent. Alors, j’en suis certain : ceux-là revêtiraient soudainement une beauté si grande - immensément plus grande que celle d’un cygne sur un lac - que vous seriez saisis de cette profonde admiration qui laisse facilement un enfant “bouche bée“ ! C’est alors que vous deviendriez “enfants de Dieu ! Et toute votre vie deviendrait “action de grâces“ qui est comme l’antichambre du Royaume de Dieu !

vendredi 1 juillet 2011

Fête du "Sacré-Coeur" !

1er Juillet 2011 - Fête- Dieu et Fête du Sacré-Cœur

L’histoire est toujours riche d’enseignements. A condition de n’en pas faire une occasion de nostalgie, mais une occasion d’intégrer les événements du passé dans l’aujourd’hui pour en recevoir comme un élan vers l’avenir !

Il faut savoir d’abord que la fête du Sacré-Cœur est très liée à la fête du Saint-Sacrement. Jusqu’au début du 13ème siècle, l’usage d’adorer le Christ dans l’Eucharistie est pratiquement inexistant. C’est au début du 13ème siècle qu’une jeune fille, Julienne de Cornillon (à Liège), reçoit un grand signe dans une vision : la lune lui apparaît dans sa splendeur, présentant toutefois une petite fraction occulte de son corps sphérique.
Le Christ lui révèle finalement que la lune figure l'Église présente, mais que la fraction occulte de la lune figure l'absence d'une solennité dans l'Eglise qu'il veut désormais voir célébrer sur la terre. Sa volonté est que, “pour l'augmentation de la foi..., l'institution du Sacrement de son Corps et de son Sang soit célébrée une fois par an...“.

Mais Julienne ne sait pas comment faire ! … Et vingt ans vont s’écouler jusqu’à ce qu’elle s’ouvre de ses secrets à Jean de Lausanne, chanoine à Liège. Puis l’affaire est exposée au futur pape Urbain IV, alors archidiacre à Liège, … et à quelques autres qui sont vite convaincus de la validité de la demande. Mais le projet rencontre beaucoup d'obstacles…

Après bien des péripéties, en 1246, Robert de Torote, prince évêque de Liège, institue la “Fête-Dieu“. Mais Julienne, persécutée en quelque sorte, doit fuir ; elle meurt près de Namur le 5 avril 1258. - Après sa mort, le 11 août 1264, par la bulle “Transiturus“, le pape Urbain IV étend la “Fête du Saint-Sacrement“, à l'Église Universelle. Mais ce n’est qu'après le concile de Vienne (1311-1312 et 1317) que la fête se répand vraiment. Malgré tous les obstacles, le Seigneur est arrivé à ses fins !

LA FÊTE DU SACRE-CŒUR ! Les siècles passent ! Le 27 décembre 1673, le Seigneur confie à Marguerite Marie Alacoque, Visitandine à Paray-le-Monial : “Mon divin Cœur est si passionné d'amour pour les hommes… que, ne pouvant plus contenir les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les répande. C'est toi que j'ai choisie - justement à cause de ta faiblesse et de ton ignorance - pour accomplir cela. Ainsi, on verra bien que tout vient de moi“.

En la “Fête-Dieu“ de 1675, Sr Marguerite-Marie dit à Jésus son désir de “lui rendre amour pour amour“. Jésus lui répond de faire ce qu’il lui a déjà demandé. Puis, lui découvrant son Cœur, il déclare : “Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes… ; et au lieu de reconnaissance, je ne reçois de la plupart qu’ingratitudes et même du mépris dans ce Sacrement (l'Eucharistie)“. Jésus lui demande : “qu'une fête spéciale soit instituée, pour honorer cet amour de son Cœur pour les hommes, le vendredi qui suit le dimanche où l'on solennise la fête du Saint Sacrement“.

Là encore, le Seigneur “veille“ ! Il envoie un prêtre, Claude La Colombière. Convaincu de l'authenticité des révélations, il met tout en œuvre pour réaliser le vœu du Seigneur. C'est ainsi que dès 1688, la “fête du Sacré-Cœur“ est célébrée pour la première fois à Paray-le-Monial. En 1858, le pape Pie IX ordonne que la fête soit célébrée dans le monde entier. Le culte du Sacré-Cœur se répand vite : plusieurs basiliques (Montmartre) et églises lui sont dédiées…, des familles se consacrent au Sacré-Cœur... Le 13 mai 1920, Benoît XV canonise Marguerite-Marie ; et, le 31 mai 1992, Jean Paul II canonise Claude La Colombière.

Des concordances étonnantes :
Ces deux institutions de fêtes sont étrangement liées. A remarquer que le cycle temporal de l'année liturgique ne contient que ces deux fêtes provenant de révélations privées (toutes deux “féminines“).
Autres points communs :
- Julienne et Marguerite Marie sont toutes deux “Vierges consacrées“…
- Toutes deux ont une profonde vénération pour le Saint Sacrement et se trouvent incapables de réaliser le souhait du Seigneur.
- Toutes deux reçoivent le support providentiel d'un homme d'Eglise qui se charge de faire avancer le projet.

Dans les deux cas, Jésus demande explicitement une nouvelle fête pour la réparation aux manquements au sacrement de l'Eucharistie !
Aujourd'hui, le Seigneur est-il satisfait ?...
Et comme ces deux fêtes manifestent l’Amour de Dieu :
L’Amour est-il aimé ?

Vous me permettrez d’ajouter, ici, que Dom Guéranger, premier Abbé de Solesmes, avait une dévotion particulière au Sacré-Cœur de Jésus. Ce fut pour lui l’effet d’une grâce reçue en la chapelle de la Visitation, au Mans (aujourd’hui “centre de l’étoile“). Une grâce qui fut une conversion. Car pour lui comme pour beaucoup de son temps, toute dévotion envers le Christ devait s’adresser à toute la personne du Christ. Une dévotion à une partie du Corps du Christ paraissait encore si ridicule qu’on appelait ceux qui s’y adonnait d’un mot barbare et moqueur : “Les Cordicoles“ (ceux qui avait le culte du cœur), comme on appelait ceux qui allaient embrasser le pied d’une statue de St Pierre : les “pédolâtres“ (les adorateurs du pied). C’est dire que la dévotion au Sacré-Cœur n’était pas encore très évidente.

Ce fut donc la grâce de Dom Guéranger que de reconnaître fortement l’exaltation de l’Amour du Christ en cette dévotion plus ou moins nouvelle. En recevant cette grâce, Dom Guéranger émit deux vœux :
- la construction d’une chapelle dédiée au Sacré-Cœur si la fondation de Solesmes se maintenait après trois ans.
- Et la célébration du “Salut du Saint-Sacrement“, le premier Vendredi de chaque mois.

Aussi, je terminerai par une citation du pape Benoît XVI : “Dans le langage biblique, le "cœur" indique le centre de la personne, le siège de ses sentiments et de ses intentions. Dans le cœur du Rédempteur, nous adorons l'amour de Dieu pour l'humanité, sa volonté de salut universel, son infinie miséricorde. Rendre un culte au Sacré-Cœur du Christ signifie donc adorer ce Cœur qui, après nous avoir aimés jusqu'au bout, fut transpercé par une lance et duquel jaillirent, du haut de la Croix, sang et eau, source intarissable de vie nouvelle“.