vendredi 30 septembre 2011

St Jérôme

30 Septembre (OESSJ)

St Jérôme est né en Dalmatie vers 345, de parents chrétiens. Soucieux de son éducation, ils l’envoient assez vite à Rome faire ses études (philosophie, rhétorique) pour parvenir aux plus belles situations dans l’empire romain. Il fit ses études, “tout en s’amusant“, dira-t-il, en cette ville aux mœurs légères.

Qu’est-ce qui provoquèrent un changement de vie, une sorte de conversion ? On ne le sait pas exactement. Il fut, en tous les cas, fortement impressionné par les “Catacombes“, les tombeaux des martyrs, des apôtres. Il trouvait en eux un idéal chrétien qu’il recherchait lui-même, si bien qu’il s’adonnait à la prière, à la méditation. Après un bref séjour à Trèves, il se retire sur les bords de l’Adriatique, non loin de son pays natal, menant une vie de prières, de réflexions.

Puis, il est attiré par le pays où Jésus vécut. Il part en Orient vivre en ascète, principalement à Antioche. Il mène une vie studieuse, mais, selon lui, encore profane. Eut-il une vision ? En tous les cas, il abandonne tous ses livres de philosophie, d’auteurs profanes pour commencer à se consacrer à l’Ecriture Sainte. Il part dans le désert au sud d’Antioche, menant une vie d’ascète et commençant à apprendre l’hébreu. Revenu à Antioche, il est ordonné prêtre, malgré ses réticences, semble-t-il.

Il fait la connaissance d’Origène - premier Père de l’Eglise - qui a vécu plus d’un siècle avant lui. Cet auteur avait beaucoup étudié la Bible, laissant des commentaires restés célèbres. Jérôme s’en inspirera. Il lit également Eusèbe de Césarée, mort à l’époque de sa naissance, fondateur de l’Histoire de l’Eglise, qui relate tous les événements de son époque, sans oublier les controverses théologiques (Arianisme, Nestorianisme…). Il fait encore la connaissance de Grégoire de Nazianze et l’accompagne en 381, au Concile de Constantinople, qui proclame nettement la divinité du Saint-Esprit.

Jérôme revient à Rome (385). Le grand pape St Damase le remarque ; il le charge de traduire les évangiles, le psautier. Il prêche beaucoup. Des femmes d’une certaine condition - Marcelle, Paule et ses filles, (surtout Eustochium) - se rassemblent autour de lui pour étudier la Bible, apprendre l’Hébreu. Il faut dire cependant que Jérôme a un fort caractère qui l’entraîne à des propos satiriques. Ses observations sur le clergé romain en irritent beaucoup. A la mort du pape Damase, son protecteur, il repart pour l’Orient suivies de quelques-unes de ses disciples (Paule, Eustochium). Là, il fait la connaissance de nombre de chrétiens adonnés à la prière, l’étude, la vie ascétique. Ainsi rencontra-t-il Evagre le Pontique, grand spirituel, Mélanie l’Ancienne, cette romaine, partie, elle aussi, pour la Terre Sainte, mais qui avait beaucoup voyagé (elle fit la chronique de ses pèlerinages - Histoire des Pères du désert) en compagnie de Rufin d’Aquilée que Jérôme a bien connu.

Enfin, Jérôme se fixe à Bethléem (386). Dernière étape de sa vie ! Il crée là un monastère de femmes, malgré l’opposition des moines grecs et orientaux (très nombreux). Il traduit la Bible à partir des Septante (texte grec du 3ème s. av. J.-C.), traduction appelée “Vulgate“ depuis le Concile de Trente (1545). C’est l’une des plus admirables performances de l’esprit humain.

St Jérôme meurt en 419 à Bethléem. On pourrait résumer sa vie par ce verset de la deuxième lettre de St Pierre : “Nous avons la parole des prophètes qui est la solidité même, sur laquelle vous avez raison de fixer votre regard comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu'à ce que luise le jour et que l'étoile du matin se lève dans vos cœurs“. (2 Pet. 1.19).

St Jérôme est vraiment, dans l’Eglise, le modèle de ceux qui ont consacré leur vie à l’interprétation des Ecritures.

Dans un songe célèbre qu’il raconte à Eustochium, en le dramatisant, il dit qu’il sacrifia sa culture classique (gréco-latine) à la connaissance, passionnée des Ecritures. Selon lui, pour bien comprendre la Bible, il faut se soumettre à trois conditions :
- La “veritas hebraïca“ - le texte hébreu !
- La Terre Sainte, surtout Jérusalem. Si chaque chrétien pouvait se rendre une fois en Terre Sainte ! Le pays lui-même est encore un livre où Dieu parle !
- Bethléem, le lieu où le Fils de Dieu s’est incarné.

Son tempérament fougueux, très étranger à l’onction ecclésiastique, avait besoin de trouver près de la crèche, le silence, la paix et l’humilité.
Puissions-nous être à son école !

Et ce n’est pas par hasard, si pour le jour de sa fête, l’Eglise nous fait lire la un passage de 2de lettre de Paul à Timothée. La préoccupation suprême de Paul, en ses vieux jours, semble être la conservation du dépôt, de l’essentiel de sa prédication.

Ce mot de “dépôt“, dépôt de la foi, à maintenir pur de toute contamination, est l’une des idées dominantes des lettres pastorales. Elle est exprimée dans la dernière phrase de la première lettre : “O Timothée, garde le dépôt. Évite les discours creux et impies, les objections d'une pseudo-science. Pour l'avoir professée, certains se sont écartés de la foi“. (1 Tm 6,20). Paul fait allusion aux doctrines ambiguës qui, à son époque, pullulent dans la région d’Ephèse, et dont le judaïsme est alors assez contaminé. Et il fait comprendre à son disciple que le meilleur moyen pour cela, c’est celui qu’il a utilisé : garder ses racines solidement plantées dans le judaïsme biblique authentique. “Consacre-toi à la lecture de l’Ecriture“ (I Tm 4.12). Et dans notre lecture : “Demeure ferme dans ce que tu as appris et accepté comme certain“. Paul fait allusion, là, à la grand’mère et à la mère de Timothée, Loïs et Eunice, qui étaient juives et qui l’avaient initié à la connaissance des Ecritures. “Depuis ta tendre enfance, tu connais les Saintes Ecritures. Elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse qui conduit au salut par la foi qui est dans le Christ Jésus“. (2 Tm 3.14-15). - Quand Paul parle des Ecritures, il ne parle pas, bien sûr, du Nouveau Testament qui n’existe pas encore, qui n’est pas encore rédigé tel que nous le connaissons. Il ne parle pas non plus d’un judaïsme fortement marqué par la gnose et les mysticismes païens de l’époque. Il parle de la Bible judaïque. Il l’invite à procéder dans ses prédications et dans son enseignement, comme lui-même, Paul, n’a cessé de le faire : “secundum scripturas“, “selon les Ecritures“. C’est ainsi que l’on garde le dépôt de la foi !

Il faut le dire et le redire : on aurait provoqué la fureur de Paul en disant que le christianisme naissant était une religion autre que celle de ses ancêtres qui avaient eu la révélation de Dieu par les Ecritures. Le témoignage à la Vérité que Jésus a rendu devant Pilate (Cf I Tm 6.13), que Paul continue à rendre constamment dans sa prédication et qu’il invite Timothée à rendre lui-même, est la religion de ses ancêtres, comme solennellement il le proclamera à plusieurs reprises dans les derniers de ses discours, à Césarée, que nous rapportent les Actes des Apôtres (Cf. Ac. 24.14 sv ; 26.6-8, 22-23).

Ainsi, il dira devant le gouverneur Félix : “Je sers le Dieu de mes pères, gardant ma foi à tout ce qu'il y a dans la Loi et à ce qui est écrit dans les Prophètes...“ - Et devant le roi Agrippa et la reine Bérénice, il affirme avoir toujours rendu témoignage “de ce que les Prophètes et Moïse avaient déclaré devoir arriver : que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d'entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes“.

Avec action de grâce, suivons la recommandation de Paul de se consacrer à la lecture des Ecritures : “Elles ont le pouvoir de communiquer la sagesse qui conduit au salut par la foi qui est dans le Christ Jésus“. En Jésus ressuscité, toujours vivant ! Aussi la seule consigne de Dieu le Père, transmise par les évangiles, est celle-ci : “Ecoutez-le !“. Jésus toujours vivant dont allons “faire mémoire“ par la célébration de l’Eucharistie !

jeudi 29 septembre 2011

St Michel ...

(Adressé aux Moniales "La Paix Notre-Dame)


29 Septembre

Il m’arrive - je dois le confesser -, il m’arrive parfois de m’amuser ! Ce n’est pas défendu, n’est-ce pas ? Cassien lui-même ne dit-il pas qu’il faut savoir détendre l’arc de son combat, sinon la corde risque ou de se casser ou de se distendre elle-même et de perdre ainsi de son efficacité ! Aussi, je me permets de vous transmettre l’objet de mon amusement en espérant qu’il ne viendra pas altérer, amoindrir - j’en serais mari ! - l’idéal de votre vie monastique auquel vous aspirez avec le sérieux qui convient !

Un soir, Guillaume - cinq ans et demi - n'arrivait pas à s'endormir. Gabrielle, sa grande amie qui est aussi l'amie de sa maman, est allée se pencher sur le petit lit.
- Pourquoi ne dors-tu pas, Guillaume ?
- Parce que j'ai peur…, parce que la nuit, les gens meurent...

Elle lui a dit que Dieu l'aimait et le regardait pendant qu'il dormait.
- Il m'aime autant que Gabrielle ?
- Oh ! plus...

Elle a ajouté :
- Et puis, tu sais, quand on dort, les anges font le ménage.
- Avec l'aspirateur ?
- Oh ! Non ! Ils n'en ont pas besoin...
- Ah bon… !

La conversation s'est arrêtée là, car le petit Guillaume venait de s'endormir.

Le lendemain, il a bien regardé dans sa chambre, Guillaume ! Et l'après-midi, il a fait quelques tas de sable fin à proximité de son lit. “Je verrai bien si les anges ont fait le ménage... !”

Dans la soirée, personne n'a pu aider les anges et, le jour suivant, Guillaume a proclamé à la cantonade : “Cette nuit, les anges ont fait la grève ! Ils n'ont pas fait le ménage dans ma chambre... !”

Il a regardé tout son monde avec des yeux brillants de malice. Et après un silence, il a esquissé un sourire fin, très fin ; et il a murmuré : “J'ai compris ce qu'elle voulait dire Gabrielle, c'est dans la tête que les anges font le ménage... !

Oui, c’est dans la tête que les anges - Sts Michel, Gabriel, Raphaël… et tous les autres, nos anges gardiens -, c’est dans notre tête que les anges font le ménage !
Car c’est dans notre tête qu’il y a une sorte de guerre, sale ! Et il nous faut implorer St Michel et tous les anges de nous aider à la victoire pour accéder à la propreté, à la pureté de Dieu, à l’innocence des enfants de Dieu que nous avons commencé à être depuis notre baptême.

Invitons à ce combat Michel qui pousse en nous son cri : “Qui est comme Dieu ?”. Surtout pas l’homme, surtout pas le “moi” égoïste, orgueilleux. Dieu seul ! Dieu qui en Jésus Christ a mené le bon combat par son mystère pascal dont la puissance nous est offerte, si nous le voulons.
Invitons à ce combat Gabriel qui est la force de Dieu, “gabar El“ ! “Armez vous de force dans le Seigneur“, (Ep. 6.10) nous crie St Paul qui affirmait par ailleurs : “Le Christ m’a revêtu de force !“ (2 Tim 4.17).
Invitons à ce combat Raphael qui saura panser nos blessures, “rapha El“ : Dieu guérit ! Dieu qui nous a envoyé son Fils, le Christ, “dont les meurtrissures vous ont guéris“, affirmait St Pierre (I Pet 2.24). Oui, prions “les uns pour les autres afin d’être guéris“ (Jc 5.16).

Oui, c’est d’abord dans notre tête qu’il faut faire le ménage, mener le “bon combat”… et cela jusqu’au bout, jusqu’au terme, jusqu’à cette fin que nos anciens qualifiaient de “naissance”. Et St Michel est là, toujours : c’est lui qui nous introduira - c’est l’une de ses missions également - en la gloire du Christ ressuscité. Prions-le donc avec ferveur !

C’est dans notre tête que les anges font le ménage. Et si le monde va mal, c’est que le combat est rude, très rude. N’en soyons pas étonnés ! Aussi en ce jour de fête, prions nos archanges de mener le monde vers la paix, cette paix que Dieu seul peut donner. “Je vous donne la paix ; je vous laisse ma paix !“.

Prions Marie - “La Paix-Notre-Dame“ -, elle la mère du “prince de la paix“… Elle nous aidera à parvenir à “la victoire par Notre Seigneur Jésus Christ“ (I Co 15.57).

dimanche 25 septembre 2011

Amen !

26ème Dimanche T.O. A/11

Ne serions-nous pas de ceux qui disent "Oui Seigneur" ? Dans la célébration d'aujourd'hui, nous allons répéter "Oui Seigneur", plusieurs fois ! Je dis bien plusieurs fois ! Et peut-être que le drame de notre vie chrétienne est d'aller répétant à chaque instant un "Oui" verbal, purement verbal sans résonance efficace.

Combien de fois allons-nous dire pendant cette heure qui nous rassemble : "Oui Seigneur", AMEN ! Car c'est bien la signification du mot "Amen" ; et je profite de la parabole évangélique pour tenter d'expliquer ce mot si riche et si intraduisible que nous l'avons conservé tel quel dans la liturgie. Aussi est-il important d'en comprendre la signification, la portée...

La racine du mot "Amen" évoque un élément qui est solide, stable, quelque chose ou quelqu'un qui porte, qui est capable de porter. A cet égard, les mots qui, en hébreux, dérivent directement de cette racine sont significatifs : "Ameneth" - "nourrice" : celle qui porte l'enfant ; et certains nom propres : “Amasya“, ce chef de la tribu de Juda au temps du roi Josaphat (+ 848), “un engagé volontaire pour le Seigneur“, est-il dit (2 Chr 17.16), “Amasya“ qui veut dire “Dieu a porté“ : il était porté par Dieu pour porter le peuple. Ainsi du nom de “Amos“ : “Dieu porte“.

Aussi il n'est pas étonnant que cette même racine hébraïque ait forgé des mots qui évoquent la stabilité, la fidélité, la vérité, la foi.

Ainsi "Amen" évoque :

- la stabilité : Dieu seul, est-il dit, peut donner une stabilité, une fermeté à la Maison de David. Et quand les bras de Moïse restent stables (“emouna“), fermes vers le ciel, autrement dit quand sa prière demeure persévérante, Dieu l'exauce.

- la fidélité : Notre Dieu, disaient les Juifs, est le "Dieu de l'Amen" c'est-à-dire le Dieu fidèle en son alliance avec le peuple. Aussi, dira Isaïe, “quiconque voudra se bénir sur la terre, se bénira par “le Dieu de l’Amen“. Et qui conque jurera sur la terre, jurera par “le Dieu de l’Amen“ (Is 65.16). Ce que St Paul confirmera à sa façon : “Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur “Oui“ en la personne du Christ. Aussi est-ce par lui que nous disons “Amen“ à Dieu, pour sa gloire. Celui qui nous rend fermes avec vous dans le Christ, c’est Dieu !“ (2 Co. 1.20). Car le Christ, dit l’Apocalypse, est bien “l’AMEN“, le témoin fidèle et véritable“ (3.14). C’est bien sur lui qu’il nous faut nous appuyer pour être nous-mêmes fidèles à Dieu !

- la vérité : Car si pour un Grec la vérité est ce qui est dévoilé, libéré de toute obscurité (a-lètheia), pour le Sémite qui est un homme plus pragmatique, plus concret, la vérité est ce qui est solide, ce sur quoi on peut s'appuyer. Et si le "Dieu de l'Amen" est le Dieu de la fidélité, il est aussi le Dieu de vérité : “Le Seigneur Dieu est Vérité !“ (Jr 10.10). “Toutes les routes du Seigneur sont fidélité et vérité“ (Ps 25.10). Et le Christ a rendu témoignage à la Vérité (Jn 8.14), en enseignant “les chemins de Dieu en toute vérité“ (Mth 22.16 et //). Aussi était-il “le chemin, la vérité et la vie“ (Jn 14.6), promettant à ceux qui s’appuient sur lui “l’Esprit de vérité“ (Jn 16.13).

- la foi : Qui n'est rien d'autre que de prendre appui sur Dieu qui est solide, qui est stable comme un “rocher“, comme un “roc“. Et nous devinons déjà l'importance du mot "Amen", le "Oui" de l'enfant qui s'abandonne à son Père qui le porte.
Le prophète Isaïe qui transmet la parole de Dieu a un joli jeu de mots : "Si vous n'êtes pas tenu (ta’aminou) à moi (si vous n'êtes pas porté par moi), vous ne tiendrez pas" (tè-émènou) (Is. 7.9). La foi, chez les prophètes, est moins la croyance abstraite que Dieu existe et qu’il est unique, que la confiance en lui, fondée sur l’élection : Dieu a choisi Israël, il est son Dieu (Dt 7.6sv) et peut seul le sauver. Cette confiance absolue, gage du salut (Is 28.16) exclut le recours à tout autre appui, des hommes ou à plus forte raison des faux dieux (Cf. 30.15 ; Jr 17.5 ; Ps 52.9).
Et le livre du deutéronome dira explicitement : "pour celui qui ne veut pas être porté (qui ne veut pas croire) il n'y a pas de repos pour la plante de ses pieds. Il craindra, n'étant pas sûr (solide, stable) pour sa vie" (Dt 28/65). Pour un homme concret, c'est cela la foi. (Cf. la “maison bâtie sur le roc“)

Ainsi, toute notre vie chrétienne consiste donc à s'appuyer sur Dieu, à dire "Amen" à ce "Dieu de l'Amen", ce Dieu solide, sûr, stable, qui nous porte, ce Dieu de fidélité et de vérité.

Et c'est ce qu'a fait le Christ lui-même. Le Christ n'est que "l'Amen", le grand "Oui" à Dieu son Père. Au sein même de la Trinité, il n'est que le reflet, l'image de son Père, l'empreinte de sa substance. Et toute sa vie humaine n'a été que transparence de Dieu son Père, un accueil parfait, un "Oui", un "Amen" parfait : "Qui me voit, voit le Père". "Ma Parole n'est pas mienne, mais celle du Père" (Jean 7-16). "Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire du Père; car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement" (Jn 5-19). "L'Amen" au Père, c'est d'abord le Christ lui-même ; Il est l'accord parfait, le "Oui" sans retenue, la cohérence absolue entre le dit et le fait. Car sa nourriture, au Christ, est de faire et de bien faire la volonté du Père jusqu'à l'extrémité de l'obéissance, par amour, comme nous le rappelle si fortement la seconde lecture. Pour Jésus, "Amen" c'est l'engagement total et le don intégral culminant sur la croix.

Et, en conséquence, en étant ainsi "l'Amen", le "Oui" éternel au Père qu'il n'a fait que traduire dans toute sa vie humaine, le Christ reçoit du Père cette même solidité, cette même assurance sur laquelle on peut s'appuyer.
Ainsi, la vérité qu'il nous transmet du Père appelle de notre part une fidélité semblable à la sienne, fidélité qui assure la solidité de notre vie : "Celui qui écoute ma parole et la met en pratique est semblable à un homme qui a bâti sa maison sur le roc". Toute la vie chrétienne consiste, sous l'action de l'Esprit du Père et du Fils, à dire "OUI", "AMEN" à Dieu, par son Fils qui est le "Oui", "l'Amen" du Père. C'est ce qu'à fait également et parfaitement Marie : de l'Annonciation à la Croix, elle n'a fait que traduire sont Fiat, son "Amen" initial.

Comme disciples de Jésus, nous sommes nés de son "Oui", nous sommes les frères de son "Amen" à Dieu. Et voici la parabole des deux fils, pour nous aider à reprendre conscience de tout cela.

Le second fils est un chrétien par réflexe et par conformisme. Le pli est pris depuis l'enfance. Quand l'Eglise ou le Prêtre s'exprime, c'est un premier garde-à-vous instinctif et superficiel. Et ensuite on s'arrange en douce, on se ménage sa petite vie dans la tanière de son conformisme qui assure un apparent confort ! Quand la foi bouscule les vieilles habitudes, entame ce confort, exige le sacrifice, c'est le repli, la mise à l'abri derrière mille excuses. Moyennant quoi, les grandes déclarations du début glissent dans le vide comme l'eau sur une plaque de marbre.

Tout autre est le premier enfant. Il mesure sa faiblesse et devine combien l'obéissance au Père va déranger sa vie quotidienne. Honnêtement, devant le scandale de l'Evangile, il est pris de vertige et recule, paniqué. Mais son cœur réfléchit. Peut-être même a-t-il prié. Il voudrait bien, mais ... Et voici le miracle de conversion. Au terme d'une lutte qui l'a saisi au plus profond de sa conscience, il se met à pratiquer réellement ce que tant d'autres affirment globalement. Sans fanfaronner, il s'attelle à la charrue de l'existence chrétienne. Seulement quelques pas pour commencer, puis tous les sillons. Le champ de l'existence est peu à peu labouré, patiemment, par la somme de petits engagements concrets qui préparent la moisson de la sainteté.

Nous disons tant de "Oui" à Dieu, nous chantons tant d'"Amen" avec la légèreté de l'inconscience. Il nous faut devenir les humbles fidèles de l'"AMEN", les disciples du "Oui" évangélique qui entraîne peu à peu toute la vie à la suite de Jésus.

Les hommes sont souvent fatigués des belles paroles et des pieuses intentions. Les plus pauvres en particulier, les marginaux de tout acabit attendent de nous des actes, des gestes. Les chrétiens sauront-ils enfin se comporter en enfants de l'AMEN ? Aujourd'hui, combien d'"Amen" allons-nous dire ou chanter dans la liturgie dominicale ? Combien allons-nous en mettre en pratique durant la semaine qui suit ? Beaucoup, avec la grâce de Dieu, je l'espère. AMEN.

samedi 24 septembre 2011

Jérusalem !

T.O. 25 imp. Samedi (Za 2, 5… 15)

Un mot très court, aujourd’hui, trop rapide faute de temps (cela arrive, n’est-ce pas ?)

Le livre de Zacharie, dit M. Gelin, est l’un des plus difficiles de l’Ancien Testament.

Il comporte deux parties bien distinctes. A propos de la 2ème partie, qui commence au chapitre 9ème, M. Gelin affirme : “Il n’est pas de chapitres (en ce livre), où l’événement chrétien n’ait trouvé un appui et une justification notés dans le Nouveau Testament“. - Et un auteur juif, nommé Ben Chorin, a écrit dans son livre “Mon frère Jésus“ : “J’en viens à supposer que, de l’entrée de Jésus à Jérusalem (sur un âne, le jour des rameaux), jusqu’à la crucifixion (“ils regarderont Celui qu’ils ont transpercé“), en passant par la Cène, le récit de ces évènements constitue un midrash du livre de Zacharie“, (de la 2ème partie : Za 9 à 14)

Une partie - cette 2ème du livre de Zacharie - qu’il faut méditer au cours de la Semaine Sainte, au sommet de l’année liturgique.

Dans la 1ere partie (notre texte d’aujourd’hui), nous sommes toujours, comme avec Aggée, à la fin de la littérature prophétique et au début de la littérature apocalyptique qui va lui succéder. La Parole fait place à la vision. Zacharie, dans ses premiers chapitres, oppose aux grands empires qui marchent vers une ruine fatale, la gloire d’Israël qui va renaître de ses cendres. Des cavaliers montés sur des chevaux de toutes les couleurs dévalent toute la terre pour confondre les superpuissances de l’époque, tandis que des forgerons célestes abattent les nations hostiles…

Par contraste, Jérusalem va croître ! Ce 1er Zacharie, contemporain de Aggée, a pour centre d’intérêt immédiat le Temple de Jérusalem. Les travaux de reconstruction terminés, deux oliviers grandiront (le prêtre et le roi) ; et quand Jérusalem aura fait pénitence, ses vêtements souillés lui seront enlevés et elle portera une robe blanche.

On est dans la vision, plus que dans la Parole. Les artistes, les poètes et les peintres sont plus à aptes, que les concepts et les idées, de commenter ces symboles… de véhiculer la richesse de la révélation divine.

La liturgie d’aujourd’hui a choisi quelques versets, les moins mystérieux du chapitre 2ème, en omettant quelques phrases qui devraient nous toucher plus particulièrement quand on pense au mystère de Jérusalem, quand on va à Jérusalem ! Au verset 12, on trouve la phrase fameuse que prononça St Bernard au temps où la fureur des croisés massacrait les juifs : “qui vous touche, touche à la prunelle de mon œil !“.
Le mystère de Jérusalem qui ne sera jamais totalement élucidé ici-bas ! Au verset 16ème, il est dit : “Dieu possèdera Juda comme sa part sur la Terre Sainte, et choisira encore Jérusalem !“
“Terre Sainte“ ! C’est ici, en Zacharie, que l’on trouve pour la première fois l’expression “Terre Sainte !“
Quand au choix que Dieu fera de nouveau de Jérusalem, à la stupéfaction de monde entier, il est dit : “Silence, toute chair, devant le Seigneur ! Car il se réveille en sa sainte Demeure !“ (Za 2,17)

On peut faire des interprétations plus ou moins heureuses ! Cette promesse, qui est formulée de la manière la plus explicite dans la 1ère partie de Zacharie, a malheureusement inspiré ceux qui, après la guerre des six jours, ont récupéré et reconstruit le quartier juif de la vieille ville !

Pour nous, il y a de meilleures interprétations. Et je vous laisse le soin de les énumérer en votre cœur, avec foi, espérance, charité, à l’aide, principalement, du livre de l’Apocalypse !
“… Jérusalem sera alors appelée Ville-de-Fidélité ; et la montagne du Seigneur, Montagne-Sainte. … Et de nombreux peuples et des nations puissantes viendront chercher le Seigneur à Jérusalem et implorer la face du Seigneur. Ainsi parle le Seigneur. En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un Juif par le pan de son vêtement en disant : Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous“. (Za 8, 1-8.20-23)

Etre avec le Seigneur, pour toujours ! N’est-ce pas là notre grand désir ?

vendredi 23 septembre 2011

Silence et vie intérieure

T.O. 25 imp. Vendredi - (Ag 1,15 – 2,9)

On l’a remarqué : Si Ezéchiel, ce grand imaginatif, a entrevu l’anéantissement d’Israël, il a prophétisé aussi sa restauration : Dieu qui fait sa rentrée solennellement dans son Temple. Et le peuple ressuscité se structure autour de cette présence de Dieu, revenu demeurer avec son peuple. Toujours avec une très grande imagination, le prophète Ezéchiel décrit ce retour. Il est emmené sur une haute montagne pour contempler ce retour divin afin de raconter à la Maison d’Israël ce dont il a été le témoin : “Il me conduisit vers la porte qui est tournée vers l’Orient….. et la Gloire du Seigneur entra dans le Temple, par la porte qui fait face à l l’Orient …, et j’entendis qu’on me parlait depuis le Temple … ‘Fils d’homme, c’est l’emplacement de mon trône, c’est là que j’habiterai, au milieu des fils d’Israël pour toujours’“.

Avec la lecture du prophète Aggée, nous passons de cette vision grandiose, à la réalité : c’est le calendrier qui tout d’abord est révélateur. Rappelons quelques dates. En 538, avec l’édit de Cyrus, une minorité d’exilés revient et, dans sa ferveur, reprend le culte dans les ruines du Temple qu’on n’a pu encore commencer de restaurer. Mais le zèle se refroidit assez rapidement devant les difficultés rencontrées ; et les préoccupations matérielles l’emportèrent sur le souci de la reconstruction du Temple, qui avait motivé principalement le retour. Nous avons vu cela déjà.

Aujourd’hui, nous assistons, une petite vingtaine d’années après, à un réveil, à une remise en place de la hiérarchie des valeurs ; et, sous le règne de Darius, vers 520, sous l’impulsion du prophète Aggée, du gouverneur Zorobabel et du grand prêtre Josué, la construction du Temple est reprise et mener à bon terme en 4 ans et 6 mois. C’est la tribu de Juda qui fait cette œuvre, surtout.
Juda n’est alors qu’un infime canton dans l’immense empire Perse, et la réalisation du deuxième Temple est si dérisoire que les anciens qui ont gardé le souvenir des splendeurs du Temple salomonien ne peuvent s’empêcher de pleurer. Le Saint des saints de ce Temple est vide, l’arche ayant disparu.

De l’achèvement de ce second temple à l’avènement du Christ, cinq siècles s’écoulent. (Transposons : 5 siècles, c’est ce qui sépare l’époque de Jeanne d’Arc - 1430 - à la guerre franco-allemande de 1870). Dans la Bible, de ces 5 siècles, entre l’époque du retour et le livre des Macchabées, on n’a presque rien. Pas d’écrits… Les prophètes se taisent pratiquement. “On dirait“, remarque finement Daniel Rops, “que les rédacteurs bibliques ont voulu marquer, par ce silence, qu’en ces années d’attente, il faille considérer, plutôt que les évènements, la vie intérieure du peuple élu“.

Et, de plus, on ne peut s’empêcher de souligner le contraste avec le monde environnant : les conquêtes d’Alexandre, l’Empire hellénistique, Et Rome à l’horizon…

Au milieu de tout cela, Israël est comme un tout petit îlot de certitudes, qu’il préserve dans une résistance farouche. Comme il est écrit par exemple, dans le libre d’Esther : “Aman put en effet constater que Mardochée ne fléchissait pas le genou devant lui ni ne se prosternait“ ( Es 3, 5)

C’est dans ce silence de cinq siècles que la Bible a pris la forme dans laquelle nous la possédons actuellement. La Parole de Dieu ! L'héritage le plus précieux que nous avons sans cesse à redécouvrir pour notre “vie intérieure“, en essayant, nous aussi, de ne pas fléchir le genou devant les idoles de ce monde.

Ainsi, du 5ème au 1er siècle avant J.C., se poursuit un grand travail rédactionnel
- à Babylone : une grande école est fondée qui fera longtemps concurrence
- à celle de Jérusalem transplantée, après la dernière révolte juive de Bar-Kokhba, en 135, à Tibériade. C’est de cette école que sortira le texte biblique qui fit et fait autorité, la Massore, que le grand Maïmonide (12e s.) rendra célèbre.
- à Alexandrie, une autre école se développe qui donnera la traduction de la Bible en grec : les Septante (traduit par 70 sages en 70 jours, n’est-ce pas, selon la tradition), cette version que St Jérôme utilisera en grande partie pour nous donner ce que l’on appelle la “Vulgate“, retravaillée après le Concile Vatican II.

Ces cinq siècles après le retour de Babylone furent un long temps de mise en forme des écrits, un long temps de grand recueillement, de méditation. Dieu éduque l’humanité, le peuple élu, et, à travers lui, toute l’humanité. Non par des théories théologiques, mais, par une méditation sur le vécu de l’histoire dans une perspective surnaturelle qui permettra de découvrir ce que les Grecs appelleront “l’économie divine“ : la pédagogie de Dieu à l’égard de l’homme !

On ne méditera jamais assez sur ce contraste d’une petite communauté, un tout petit “reste“ pour parler comme les prophètes, et la fermentation qu’il crée dans l’univers. Un reste qui va se rétrécissant jusqu’à ce que tout s’accomplisse dans une Personne, la Personne du Verbe Incarné, mort et ressuscité, en qui le monde entier est appelé à se retrouver, à se restructurer, à “se récapituler“, comme dit St Paul.

Retenons cette leçon de cinq siècles, pour nous surtout : “Dieu ne parle pas avec ceux qui se tiennent à l’extérieur d’eux-mêmes“, disait St Bernard à la suite de St Benoît d’après Grégoire le Grand. - “Mon Dieu, écrivait déjà St Augustin, je te cherchais dehors… ; et tu étais dedans !“ - “Ce qui m’importe avant tout, dira dans le même sens Thérèse d’Avila, c’est d’entrer en nous-mêmes pour y rester seul avec Dieu“. Ici surtout, soyons comme les apôtres après la vision de la Transfiguration : “Ils ne virent plus que Jésus seul !“. Et cela n’est pas de l’égoïsme spirituel, car “habiter avec soi-même, c’est la première réconciliation qui permet toutes les autres“. - “Le grand besoin de l’homme contemporain, disait Claudel, est la prière, la vie intérieure, la reprise à tout prix des relations avec Dieu. Nous mourons tous de faim et de soif !“. Faim et soif… de la Parole de Dieu !

jeudi 22 septembre 2011

Le Temple - L’Eglise

T.O. 25 imp. Jeudi (Ag 1, 1-8)

Le livre du prophète Aggée est le plus court de l’Ancien Testament. Il nous invite à méditer sur le Temple et son importance, si nous voulons comprendre ce que le Nouveau Testament nous en dit. Et si nous voulons également percevoir le signe de l’Eglise à travers les siècles.

Il faut d’abord se rapporter, pour cela, à Ezéchiel lorsqu’il prédit sa destruction par les Babyloniens. (cf Ch. 24). Toujours avec une imagination débridée, Ezéchiel est frappé par le décès de son épouse, “la joie de ses yeux“. Le Seigneur lui demande de ne pas porter le deuil, de ne pas s’affliger, car cet événement personnel est l’annonce d’un événement national : le sanctuaire - “l’orgueil et la joie du peuple“ - sera profané, le peuple lui-même sera dispersé et exilé. Pourtant, le peuple ne devra pas s’affliger, lui non plus ! Car cet événement, même douloureux, sera un présage : après la catastrophe, il y aura une restauration, bien plus une restructuration autour de la présence divine, de la gloire de Dieu mieux reconnu dans son Temple. Non seulement chaque tribu, mais chacun n’aura raison d’exister que par référence à cette présence divine.

L’Eglise n’est-elle pas cette épouse du Christ qui, comme son Maître et Seigneur, s’emble aller vers la destruction (en certains pays actuellement), mais revivra plus belle encore, manifestant la présence, la gloire de Dieu au milieu des hommes. Il s’agit toujours de rebâtir la “Maison de Dieu“ ; “J’y mettrai, dit le Seigneur, ma complaisance ; et j’y trouverai ma gloire !“. Et chacun peut toujours chanter : “J’ai mis le Seigneur devant moi sans relâche. Puisqu’il est à ma droite, je ne bronche pas. Car, Seigneur, tu ne peux abandonner mon âme au shéol. Tu nous apprendras le chemin de vie“ (ps. 16).

Et de fait, Ezéchiel avait raison ! Avec l’édit libérateur de Cyrus, en 538, le temple put être reconstruit. Mais ce fut une minorité qui revint, une trentaine de mille, en convois successifs, entre 537 et 522. Certains restèrent à Babylone. Parmi eux, beaucoup s’égarèrent dans les richesses. Quelques-uns restèrent, en pays étrangers, fidèles au Dieu Unique.

C’est ainsi que l’Eglise prospère. Je prendrai un exemple : s’il n’y avait pas eu l’expulsion (la destruction) des Congrégations religieuses au début du 20ème siècle, celles-ci - telle la Congrégation de Solesmes - n’auraient sans doute pas fondé nombres de “maisons religieuses“ en pays étrangers. Le processus n’est donc pas d’hier. “Sang des martyrs, semences de chrétiens“ !

Un reste revint donc en Israël ; mais la reconstruction du temple fut difficile. On l’a vu avec le livre d’Esdras. Et pour beaucoup, la ferveur primitive fit place à un matérialisme pratique. La foi se dilua, là encore, au contact des mœurs du monde. Seule la tribu de Juda refusa l’alliance avec les Samaritains. C’est l’origine qui fait qu’au temps du Seigneur, on ne traversait pas la Samarie sans mettre sa vie en danger.
C’est toujours un danger en certains lieux !

Enfin, quarante ans après l’édit de Cyrus, sous le règne de Darius, avec les prophètes Agée et Zacharie, la ferveur et le zèle religieux se réveillèrent : le temple fut reconstruit en l’espace d’un peu plus de 4 ans ! Certains gardaient cependant la nostalgie du premier temple, celui de Salomon. Cependant, c’est ce deuxième temple, grandement aménagé par Hérode le Grand, que connut Jésus. On disait que c’était la 7ème merveille du monde. Merveille cependant édifiée avec de l’argent sal (celui de Hérode). Merveille où se pratiquaient bien des affaires mercantiles, peu honnêtes, si bien que Jésus prenant un fouet, chassa pour un jour les bénéficiaires de ces trafics lucratifs.

L’Eglise a connu aussi de semblables déviations. Mais le sang du Christ l’a toujours purifiée.

Enfin, dernière réflexion : c’est au temps de Jérémie, fuyant l’exil à Babylone, que l’arche d’alliance fut perdu. Le prophète l’aurait caché dans une caverne de la montagne de l’Horeb ou du Nébo. Et elle ne fut jamais retrouvée. Jérémie lui-même déclara : "Ce lieu sera inconnu jusqu'à ce que Dieu ait opéré le rassemblement de son peuple et lui ait fait miséricorde. Alors le Seigneur manifestera de nouveau ces objets, la gloire du Seigneur apparaîtra ainsi que la Nuée, comme elle se montra au temps de Moïse et quand Salomon pria pour que le saint lieu fût glorieusement consacré".
Si bien que le “Saint des Saints“ était un “lieu vide“ au temps de Notre Seigneur. Titus, lors de la conquête en 70 s’en étonna. Et les Juifs encore se lamentent de l’absence de Dieu signifiée par l’absence de l’arche de Dieu.

Pour nous, nous savons que le voile du temple, se déchirant à la mort du Christ, les bienfaits divins coulent désormais dans l’Eglise, dans le Peuple de Dieu lui-même devenu Temple de Dieu.

Une question demeure pour les Juifs, peuple élu de Dieu qui ne renonce jamais à ses promesses. Quand et comment ce vide qu’ils éprouvent depuis la disparition du temple sera-t-il comblé ?
Et pour nous-mêmes les signes de la présence de Dieu que le Christ a confiés à son Eglise sont-ils suffisamment un témoignage qui puisse, comme dit St Paul, rendre jaloux et nos frères Juifs et en même temps tous nos frères ? C’est à nous, en Eglise, Temple de Dieu, à répondre !

mercredi 21 septembre 2011

St Matthieu

21 Septembre

“Pourquoi votre Maître mange-t-il avec les pécheurs ?”

Eh oui, le scandale est grand à Capharnaüm ! Pensez donc ! Coup sur coup, Jésus vient de se livrer à deux “provocations” qui ont scandalisé les gens bien en place :
- qu'il appelle à sa suite un percepteur qui pressurait les contribuables au compte de l'occupant romain et au profit de sa caisse noire, passe encore ! C’était courant et... c’est toujours courant !
- mais qu'il se permette ensuite de participer au banquet de ces pécheurs, hommes véreux, qui ont partie liée avec le pouvoir d'oppression..., ç'en est trop !

Et au lieu de s’adresser à Jésus lui-même - c’est souvent de circonstance -, on s’attaque à ses amis comme pour les démobiliser : “Pourquoi votre Maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ?“. C'est honteux, cela ne se fait ! Voyons !

Et les récriminations, les protestations fusent. Elles ont dû, il y a deux mille ans, transpercer les oreilles et le cœur de Matthieu, le percepteur. Car c'est de lui, de ses amis qu'il s'agit. Ce passage d'évangile est un passage d'autobiographie !

Or l'événement a bouleversé sa vie ! Oui, c’est vrai : il était un pécheur ! Un pécheur assis confortablement non seulement à son bureau de précepteur, mais bien assis, sans complexe, dans sa situation sociale détestée. Or, Jésus l'a relevé, en a fait un homme debout, un apôtre, un missionnaire.

Nous aussi - il faut le reconnaître -, nous sommes parfois des femmes et des hommes plus ou moins “assis” socialement, religieusement. Or, Jésus demande d’être sans cesse des hommes, des femmes debout… pour être toujours prêts à le suivre. Avec Jésus, il faut sans cesse se lever, s’élever… !

Ainsi, Jésus dit à tous les Matthieu que nous sommes : “Suis-moi”. – “L'homme se leva et le suivit”.

Mais où Jésus entraîne-t-il ?

Déjà, on s’en rend compte. Dès le début de sa vie publique, Jésus bouscule toutes les convenances et les protocoles, les catégories sociales et les âges, les personnalités et les exclus, les gens cultivés comme les illettrés, les bien-portants comme les malades... Aucune importance pour lui. Il se moque du diplôme aussi bien que du patrimoine ou du certificat de bonne conduite !

Il s'en va vers tous les hommes et femmes de bonne volonté qui sont suffisamment humbles pour rester disponibles, vers tous ceux qui ne sont pas assis, coincés dans leur respectabilité ou leur désespérance. Il ouvre leur visage, leur tend la main, et les fait exister !

Le Christ, c'est celui qui continue de croire malgré tout en l'homme, qui est capable de discerner en l'être le plus déchu la petite étincelle qui peut lui permettre d’être debout et de repartir ! Et pour cela, Jésus prend toujours les gens tels qu’ils sont et là où ils en sont.

Alors, prenons-en conscience : ce matin, le regard de Jésus se pose sur nous. Quels que soient aujourd'hui la lassitude, le découragement qui envahissent peut-être notre cœur devant la vacuité, l'insignifiance de notre existence..., il nous faut “espérer contre toute espérance”. (Rm. 4.18). Jésus veut nous faire espérer
* pour nous-mêmes : “Viens, suis-moi...”.
* mais également pour l'autre, pour celle ou celui qui nous paraît bien éloigné du Seigneur, pour tel membre de notre famille encombré de mille et mille difficultés de toutes sortes, ou tout simplement et prosaïquement pour celui, celle qui est à côté de moi, qui a telle ou telle manie et qui comprend toujours de travers, ou qui chante si mal..., bref qui n’est pas un modèle et qui m’agace !

Aujourd'hui Dieu vient : “sa venue est aussi certaine que celle de l'aurore”, dit le prophète Osée. Dieu vient pour moi, et également pour tous ceux-là que, plus ou moins, je condamne…

“Pourquoi votre Maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs?”. Et Jésus répond lui-même : “Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades... C'est la miséricorde que je veux et non les sacrifices !”

Eh oui, au risque de choquer encore davantage, Jésus enfonce le clou! Non seulement, il engage un percepteur détesté, non seulement il prend un repas avec des gens déconsidérés, mais il va encore plus loin : u>Il révèle l'immense amour de son Père pour tous ceux qui sont apparemment “perdus” ; et il définit ainsi le sens de sa mission.

Lui, Jésus, - il le répétera souvent - il est venu pour les malades. Appelle-t-on quelquefois un médecin pour un bien portant ?
Et celui-ci, - le bien-portant ou qui se croit tel - de récriminer parfois : Alors, que va faire Jésus pour moi ? Alors - je le crois profondément - c’est l’attitude la plus irrécupérable ! Il s’agit là, peut-être, de cette faute contre l’Esprit dont parle St Jean. Car à son action, Jésus ne pose qu’une seule condition : qu'on sache se reconnaître pécheur, malade... et d'autre part, qu'on n'essaie pas de se concilier Dieu, d'acheter Dieu “avec des sacrifices” !

Déjà, huit siècles avant Jésus Christ, Osée nous avait transmis la pensée de Dieu : “C'est l'amour que je désire et non les sacrifices...”. Autrement dit, inutile - ce serait d’une inconvenance ridicule - de placer Dieu derrière un guichet de perception et de lui présenter nos bonnes œuvres ! Inutile, avec Dieu, de chercher à jouer au “donnant-donnant”, d'additionner sans arrêt, de faire des balances !

Mieux vaut, une bonne fois pour toutes, comprendre qu'avec Dieu, on sera toujours en déficit... et être persuadé que le Christ Jésus, par le sacrifice aimant de la croix, a tout épongé. Il nous entraîne dans cette contagion de miséricorde qui déborde de Dieu et devrait, par nous, envahir et révolutionner notre monde !

“Pourquoi votre Maître mange-t-il avec les pécheurs ?” A cette question, c’est toute notre vie qui doit répondre.

mardi 20 septembre 2011

St Siméon BERNEUX

20 Septembre

On ne peut pas ne pas faire mémoire particulière, ici près de Chateau-du-Loir, de St Siméon Berneux. Lors de sa canonisation, le pape Jean-Paul II disait : “L'évangélisation missionnaire constitue le premier service que l'Église peut rendre à l'humanité entière. Le nombre de ceux qui ignorent le Christ augmente continuellement... À l'égard de ce nombre immense d'hommes que le Père aime et pour qui Il a envoyé son Fils, l'urgence de la mission est évidente“ (Jean-Paul II, 18 mai 1997).

Né à Château-du-Loir, le 14 mai 1814, prêtre diocésain en 1837, puis entré aux Missions Étrangères de Paris en 1839, le Père Siméon Berneux part en 1840 pour l'Extrême-Orient. À Manille, il rencontre Mgr Retord, vicaire apostolique du Tonkin (Vietnam). Les deux missionnaires sympathisent et tous deux brûlent de la même flamme pour le salut des âmes !

Le 17 janvier 1841, Mgr Retord, le P. Berneux et quelques missionnaires arrivent au Tonkin. Après quelques péripéties, ils se dispersent. Le P. Berneux se fixe près d'un petit couvent de religieuses "Amantes de la Croix" ; et là, il étudie la langue annamite. “Quoique je ne puisse pas faire plus de six pas, que je ne reçoive la lumière du soleil que par une petite ouverture à quinze centimètres du sol, et que, pour écrire, il me faille m'étendre sur ma natte de toute ma longueur, je suis le plus heureux des hommes“, écrit-il. Cependant la menace pèse sur le jeune missionnaire !

Dans la nuit du Samedi Saint 1841, cinq cents soldats viennent cerner sa cachette. Dans la soirée, il entend quelques confessions, “prémices de mon apostolat sur la terre annamite ; ç'en fut aussi la fin, dira-t-il. Les desseins de Dieu sont impénétrables, mais toujours dignes d'être adorés“.

À l'aurore de Pâques, il célèbre la Messe. À peine a-t-il fini que les soldats s'emparent de lui. “Je sentis une grande joie, écrira-t-il, quand je me vis traîné, comme le fut notre Sauveur, du jardin des Oliviers à Jérusalem“.

Enfermé dans une cage, il est tout joyeux d'exprimer sa foi en Jésus-Christ . On s’en étonne ! Il répond : “Nous, chrétiens, nous possédons un secret que vous ne connaissez pas. Ce secret change la peine en joie“. Ce "secret" évoqué par le missionnaire, c'est la lumière de la foi, source d'espérance et de joie.

Avec les interrogatoires, le Mandarin du lieu espère obtenir des dénonciations. Le P. Berneux ne trahit aucun de ceux qui l'ont caché. On introduit trois jeunes Annamites chrétiens emprisonnés et tout meurtris par les coups : “Voici des hommes qui vont mourir. Conseillez-leur d'abandonner votre religion et ils seront tous trois sains et saufs. - Mandarin, répond le P. Berneux, on n'engage pas un père à immoler ses enfants ; et vous voudriez qu'un prêtre de Jésus conseille l'apostasie à ses chrétiens ?“. Et, se tournant vers ses chers néophytes : “Amis, un seul conseil : pensez que vos souffrances touchent à leur fin, tandis que le bonheur qui vous attend au Ciel est éternel. Soyez-en dignes. - Quelle est donc cette autre vie dont vous leur parlez ?, demande en ricanant le Mandarin. Tous les chrétiens ont-ils donc une âme? - Sans nul doute, et les païens en ont une aussi. Vous en avez une, Mandarin !“.

“Tous les hommes,
dira le Concile Vatican II, doués d'une âme raisonnable et créés à l'image de Dieu, ont même nature et même origine ; tous, rachetés par le Christ, jouissent d'une même vocation et d'une même destinée divine... “ ( Gaudium et spes, 29, 14). Cette âme est appelée à contempler éternellement “dans la pleine lumière, tel qu'Il est, le Dieu un en trois Personnes“ (Lumen gentium, 49), pourvu qu'elle l'ait mérité ici-bas. St Benoît ne dit-il pas que pour habiter le Royaume du Ciel, “il faut y courir par les bonnes œuvres sans lesquelles on n'y parvient pas. Il faut donc préparer nos cœurs et nos corps à combattre sous la sainte obéissance aux commandements de Dieu si nous voulons fuir les peines de l'enfer et parvenir à la vie éternelle, tandis qu'il en est temps encore“ (Règle, Prologue).

Le 9 mai 1841, le P. Berneux est transféré à la prison de Hué, capitale de l'Annam. Les interrogatoires reprennent… Le 8 octobre, les P. Berneux et Galy apprennent avec joie leur condamnation à mort. Le 3 décembre 1842, la signature royale sanctionne la sentence. Soudain, - coup de théâtre - : le 7 mars 1843, un commandant de corvette français, ayant appris que cinq de ses compatriotes croupissent dans les cachots de Hué, réclame leur libération. Le 12 mars, on brise leurs chaînes et on les remet au commandant. Cette mise en liberté les prive du martyre auquel ils touchaient,…

Mais le Père Berneux ne va pas s'arrêter en chemin. Il se prépare à partir vers d'autres horizons. En octobre 1843, il est envoyé en Mandchourie, province du Nord de la Chine. Il y travaille pendant dix ans, malgré de sévères épreuves de santé. Le 5 août 1854, Pie IX le nomme évêque de Corée. “La Corée, écrit le nouvel évêque, cette terre des martyrs, comment refuser d'y entrer !“. Accompagné de deux missionnaires, il s'embarque le 4 janvier 1856 et arrive, de nuit, à quelques kilomètres de la capitale, dans une résidence secrète, satisfait d'avoir trompé la surveillance des garde-côtes. En effet, l'entrée de la Corée est interdite aux étrangers, sous peine de mort.

L'évêque se met aussitôt à l’œuvre : il apprend d'abord la langue coréenne. Il entreprend ensuite la visite des chrétiens, tant à Séoul que dans la campagne et la montagne, puis il ouvre un séminaire, des écoles, une imprimerie, etc. Malgré des conditions d'apostolat très dures (clandestinité, pauvreté extrême, persécutions locales périodiques), le nombre des baptisés augmente.

Mais, en 1864, une révolution de palais et la menace d'une attaque russe sur la Corée (janvier 1866), interrompent le labeur apostolique des missionnaires et réveillent la haine anti-chrétienne. Le 23 février 1866, une troupe investit la maison de l'évêque. On l’emmène. Mgr Berneux comparaît devant le Ministre du Royaume et deux Grands-Juges.

Du 3 au 7 mars, Mgr Berneux subit chaque jour un interrogatoire dans la cour de la Prison. Au centre de cette cour, il est attaché à une haute chaise de bois et subit diverses tortures… Il reste silencieux, poussant parfois quelques soupirs… L'exécution a lieu le 8 mars. En sortant de la prison, l'évêque s'écrie : “Ainsi, nous mourons en Corée : c'est bien!“. À la vue de la foule assemblée, il soupire : “Mon Dieu, que ces pauvres gens sont à plaindre!“. Le lieu choisi pour le martyre est une large plage sableuse, le long du fleuve Han. Les supplices qu’on leur fait subir sont affreux ! Il est finalement décapité avec ses compagnons. Il a 52 ans !

Tous les chrétiens ne sont pas appelés à donner ce témoignage suprême du martyre, ni même à partir en mission. Mais, dira le pape Jean-Paul II, “on peut être des apôtres authentiques, et de la manière la plus fructueuse qui soit, même à l'intérieur des murs de sa maison, sur son lieu de travail, dans un lit d'hôpital, dans la clôture d'un couvent...: ce qui compte, c'est que le cœur brûle de cette charité divine qui - seule - peut transformer en lumière, en feu et en vie nouvelle pour le Corps Mystique tout entier, jusqu'aux extrémités de la terre, non seulement les souffrances physiques et morales, mais aussi les peines mêmes de la routine quotidienne“ (Jean-Paul II, 18 mai 1997).

S'adressant à Notre-Dame des Victoires, Ste Thérèse de l'Enfant-Jésus, patronne des missions, priait : “Puissions-nous, à la suite du Christ, brûler du désir de sauver des âmes, à travers notre devoir d'état quotidien ! C'est la grâce que nous demandons pour vous à la Reine des apôtres“.

dimanche 18 septembre 2011

Ton oeil serait-il mauvais... ?

25e Dimanche du T.O. 11/A

"Ton œil doit-il être mauvais parce que je suis bon ?" - L'évangile des "ouvriers de la onzième heure" nous rappelle un des paradoxes et l'un des scandales les plus importants de notre foi.

- Le paradoxe : Dieu a accepté d’être vaincu par l'homme. C'est clair dans la parabole comme dans le combat de Jacob avec l'ange : "Voyant qu'il ne pouvait pas le vaincre" (Gen. 32.26), dit le texte biblique en parlant de l'Ange en face de Jacob. Et dans la parabole d'aujourd'hui, il y a un aveu fait par Dieu lui-même de la consistance de notre liberté : l'homme peut utiliser même la bonté de Dieu pour le refuser : "Ton œil doit-il être mauvais parce que je suis bon ?"

- En face de ce paradoxe, un scandale, le plus terrible qui soit : celui du mal, ne serait-ce que ce mal social qu’est le chômage qui engendre trop de malheurs ! Comment affirmer la bonté de Dieu devant le mal partout présent ? Ce mal que voudrait effacer la rigueur d’une justice distributive, mais souvent impuissante, et qui cependant, avec la parabole, donne facilement occasion d’accuser Dieu lui-même de partialité, de despotisme, d’injustice ! Terrible question toujours renaissante ! Et, là, il faut rester extrêmement modeste. On ne peut proposer que quelques bribes de la pensée chrétienne de tous les siècles.

Car on peut dire... bien sûr... on peut dire :

- Et d’abord : car il faut, une bonne fois, commencer par un constat simple. Nous avons tous le rêve d'une création parfaite. Or c'est une idée irréelle ! Il n'y a pas d'univers parfait ! S'il existait, cet univers, mais il serait Dieu lui-même. Un exemple peut nous aider à comprendre : c'est aussi contradictoire de vouloir un univers parfait que de vouloir une vitesse infinie. Il y aura toujours une plus grande vitesse. Ainsi de la création. S'il y a une création et qui n'est pas Dieu Parfait, elle est forcément limitée. Oui, on peut dire, il faut dire cela, avec certains philosophes ! Même si cette explication est elle-même limitée !

- On peut encore ajouter, bien sûr : Il est laissé à notre liberté de suppléer aux limites inévitables du réel, aussi scandaleuses, voire insupportables que nous apparaissent parfois ces limites. C'est la splendeur de notre possibilité de créer. Nous avons un pouvoir du meilleur, un pouvoir de nous dépasser pour faire grandir la création. Dans le domaine social comme avec les découvertes de la science (ne serait-ce que dans le domaine de la médecine). Dieu nous a confié ce pouvoir de perfectionnement, en quelque sorte. Et c'est du domaine de notre liberté, cette possibilité de choisir un "plus", un davantage. Oui, on peut dire, il faut dire cela encore !

- A cela, on peut, il faut ajouter encore une autre réflexion. Car cette liberté dont nous jouissons, il faut reconnaître que nous l'utilisons souvent très mal. Là, nous sommes nous-mêmes défaillants. Personne n'aura vraiment rempli sa "feuille de route", personne ne peut prétendre avoir accompli le "contrat".

Ainsi donc, premier constat : les limites obligatoires au monde créé. Un deuxième : une liberté, notre liberté créatrice. Et le troisième tient en un mot : Solidarité. - Car c'est vrai, par ma faute, il y aura une partie du plan du monde qui n'aura pas été rempli ; cependant, la "Communion des Saints" y supplée et y suppléera. A chaque époque, il a y toujours, il y aura toujours des Vincent de Paul, des Sr Emmanuelle et des Mère Térésa qui se lèvent pour accomplir ce que je n'aurais pas fait. Nous ne sommes pas seuls, nous faisons partie de la Famille humaine, et c'est le formidable miracle du dépassement de soi pour les autres, de la "Communion" entre les hommes!

Oui, on peut dire tout cela. On pourrait ajouter : même un non-chrétien peut éventuellement dire cela. On appellera peut-être cette solidarité autrement que "communion des saints", mais c'est bien la raison de tout effort humain : apporter sa pierre à l'édifice du monde.

C'est vrai ; et c'est là, justement, que demeure une ultime question, la plus terrible : car si, finalement, j'admets, pour tout cet édifice de l'univers créé, et ses limites obligatoires, et notre liberté créatrice mais défaillante, et notre solidarité difficile, si j'admets bien tout cela, il reste cette question fondamentale : mais pour quoi fallait-il tout cet édifice lui-même ?

Émerge alors en nous-mêmes non plus seulement le scandale du mal mais celui de l'existence de ce monde lui-même, formulé parfois jusqu'à la limite de la révolte par l'homme : "Si le monde, dit un romancier, si le monde permet le supplice d'un enfant par une brute, je ne m'oppose pas à Dieu mais je rends mon billet. Laissez-moi m'enfuir de ce monde. Car que vaut cette harmonie où il y a un tel enfer ? Je ne veux pas qu'on souffre davantage. Je me hâte donc de rendre mon billet d'entrée dans un tel monde. Non que je ne veuille pas qu'il y ait un Dieu éventuellement, mais très respectueusement, je lui rends mon billet d'entrée dans un tel monde !" C'est peut-être aussi le cri de chacun de nous lorsqu'il a envie de fuir devant le mal.

Ici, nous sommes à l'ultime question : devant la souffrance de l'innocent, je reste totalement désarmé. Et je constate bien que la révolte n'arrange rien : le mal ne peut être combattu avec les armes du mal, c'est évident. Mais alors, je reste avec mon interrogation suppliante, avec ma question angoissée, celle de Job : "Pourquoi, pour quoi, Seigneur?"

Alors, ici, chacun de nous est invité, par la voix qui a lancé les mondes et les univers, à entrer dans ce murmure où c'est Dieu lui-même qui, vaincu par l'homme en quelque sorte, où c'est Dieu lui-même qui, en quelque sorte, se confesse. Mais il ne se confesse que si nous nous confessons nous aussi. Il ne se confesse que sur la Croix et, nous, au pied de la Croix. Il se confesse en prenant la souffrance du monde ; nous nous confessons en lui remettant notre souffrance. La rencontre ne peut avoir lieu que là, à la Croix. L'étape ultime n'est plus seulement une réponse, c'est une présence. Là, il a pris sur Lui le mal jusqu'à l'agonie et le supplice. Là, il a rempli par sa présence notre supplication.

Et désormais, chaque fois que, devant le mal, vous entendez une voix demander : "Où est Dieu?", chaque fois que votre corps, que votre cœur, que votre esprit est écrasé et qu'il redemande : "Où est Dieu maintenant ?", et chaque fois que l'obscurité fait naître à nous tous la question : "Où est-il donc?", sachez que depuis le Jardin des Oliviers, que depuis le Golgotha, que depuis le gibet du Calvaire, on peut entendre, on a le droit d'entendre, venue de notre souffrance elle-même, la seule réponse : "Il est ci, sur la Croix, dans le mal du monde !"

Oui, sans doute, il y a bien une réponse notionnelle au problème du mal. Mais elle est insuffisante. "Pourquoi, Seigneur, pour quoi ?" Seul l'amour peut pressentir l'ultime réponse : les limites obligatoires du créé, l'échec possible de notre liberté, la faillite éventuelle de notre solidarité, tout cela n'a de sens que parce que toute cette création limitée nous permet cependant d'exister et nous destine à nous rendre semblables à Dieu, à nous unir à Lui, à nous perdre en Lui. L'univers serait bien une farce atroce s'il n'était pas destiné à nous rendre capables de nous unir à Dieu !

Et pour atteindre ce but, Dieu lui-même, en Jésus-Christ, comme vaincu paradoxalement par Jacob, par Job, par l'homme souffrant de tous les temps, Dieu est venu, en quelque sorte, se confesser à lui de l'imperfection obligatoire de ce monde créé qui nous donne cependant d'exister. Et cette confession amoureuse, il l'a faite dans la souffrance partagée, sur la Croix, portant sur Lui le mal pour nous en sauver : Lui, de condition divine, il s'est fait homme créé, il s'est anéanti pour nous élever, pour que l'homme devienne Dieu.

Et nous adhérons à ce plan divin qu'en suivant son exemple, en venant au pied de sa Croix pour confesser, à notre tour, le mal qui est en nous, en le lui offrant pour qu'il le purifie dans sa souffrance partagée, et qu'en le purifiant sur sa Croix, il nous élève jusqu'à sa gloire ! C’est tout le sens du sacrement de réconciliation malheureusement si oublié.

En refusant l'idée de se confesser, c'est comme si on refusait définitivement la seule réponse au mal parce qu'on refuse alors la possibilité même de l'attirance de Dieu qui est venu partager nos limites, nos souffrances, par amour, pour nous en libérer. On refuse alors qu'il puisse nous aimer.

Puissent ces quelques balbutiements sur une question si présente mais si difficile pour notre entendement humain, nous faire percevoir, du moins, la justesse de la confidence pleine de tendresse de Notre-Seigneur : "Faut-il que ton œil soit mauvais parce que je suis bon ?"

samedi 17 septembre 2011

Le dépôt de la foi !

T.O. 24 - Samedi - (1 Tm 6, 13-16 - Lc 8, 4-15)

En ce dernier jour de la 24ème semaine du temps ordinaire, la liturgie nous fait terminer la lecture de la première des “lettres pastorales“, la premièrelettre à Timothée.

En cette lettre, nous ne retrouvons plus le souffle dogmatique puissant des épîtres dites “de la captivité“, inspiré par une mystique de grand style (ce que nous avons rencontré dans l’épître aux Colossiens, les semaines précédentes). Paul s’exprime dans un autre style, celui d’une “bonne morale“, préoccupée de maintenir un “juste équilibre“ dans les divers groupes d’une même Communauté et entre les groupes eux-mêmes. La place accordée au dogme n’a plus sa place prépondérante. Et surtout, la préoccupation suprême de Paul, en ses vieux jours, semble être la conservation du dépôt, de l’essentiel de sa prédication.

Ce mot de “dépôt“, dépôt de la foi, à maintenir pur de toute contamination, est une des idées dominantes des lettres pastorales. Elle est exprimée dans le dernière phrase de cette lettre, quelques versets après notre lecture d’aujourd’hui : “O Timothée, garde le dépôt. Évite les discours creux et impies, les objections d'une pseudoscience. Pour l'avoir professée, certains se sont écartés de la foi“. (1 Tm 6,20).

Timothée, son disciple de prédilection, est jeune ; et Paul l’exhorte sans doute à vaincre une certaine timidité de tempérament qui le rend influençable aux doctrines ambiguës qui, à son époque, pullulent dans la région d’Ephèse, et dont le judaïsme est alors assez contaminé. Paul l’exhorte à maintenir le cap et il lui fait sentir que le meilleur moyen pour cela, c’est celui qu’il a utilisé : garder ses racines solidement plantées dans le judaïsme biblique authentique. “Que personne ne méprise ton jeune âge, lui avait-il dit ; Sois pour les fidèles un modèle… Consacre-toi à la lecture de l’Ecriture“ (I Tm 4.12). Et il lui écrira dans sa seconde lettre : “Demeure ferme dans ce que tu as appris et accepté comme certain“. Paul fait allusion, là, à la grand’mère et à la mère de Timothée, Loïs et Eunice, qui étaient juives et qui l’avaient initié à la connaissance des Ecritures. “Depuis ta tendre enfance, tu connais les Saintes Ecritures. Elles ont le pouvoir de te communiquer la sagesse qui conduit au salut par la foi qui est dans le Christ Jésus“. (2 Tm 3.14-15). -
Quand Paul parle des Ecritures, il ne parle pas, bien sûr, du Nouveau Testament qui n’existe pas encore, qui n’est pas encore rédigé tel que nous lr connaissons. Il ne parle pas non plus d’un judaïsme fortement marqué par la gnose et les mysticismes païens de l’époque. Il parle de la Bible judaïque. Il l’invite à procéder dans ses prédications et dans son enseignement, comme lui-même, Paul, n’a cessé de le faire : “secundum scipturas“, “selon les Ecritures“. C’est ainsi que l’on garde le dépôt de la foi !

Paul est bien ce Juif, "pharisien fils de pharisien", qui ne cesse de proclamer que Jésus a accompli toutes les Ecritures.

Et puis - autre remarque importante -, dans la lecture de cette lettre, on peut remarquer, comme des rebondissements dans l’action de grâce, des doxologies dont certaines sont passées dans la liturgie. L’action de grâce, la louange, c’est l’identité du peuple élu, à la différence du monde entier qui vit dans l’idolâtrie ou dans un horizontalisme indifférent au Dieu Vivant, qui n’a même pas l’idée de rendre grâce à Dieu, Créateur du ciel et de la terre. Paul mène à son intensité maximum cette action de grâce, cette “eucharistie“, en constatant que le Dieu Vivant a accompli son dessein de grâce à travers l’histoire, dans le Christ, à la plénitude des temps. C’est ainsi que se termine notre lecture d’aujourd’hui : “Garde le commandement en demeurant sans tâche et sans reproche, jusqu’à la manifestation - la parousie - de notre Seigneur Jésus Christ, que fera paraître aux temps fixés, le bienheureux et unique Souverain, le Roi des rois et Seigneur des seigneurs, le seul qui possède l’immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul n’a vu ni ne peut voir. A lui, gloire et puissance éternelle. Amen“.

Il faut le dire et le redire : on aurait certainement provoqué la fureur de St Paul en disant que le christianisme naissant était une religion autre que celle de ses ancêtres qui avaient eu la révélation de Dieu par les Ecritures. Le témoignage à la Vérité que Jésus rend devant Pilate, que Paul continue à rendre constamment dans sa prédication et qu’il invite Timothée à rendre en vainquant sa jeunesse et sa timidité, est la religion de ses ancêtres, comme il le proclamera solennellement à plusieurs reprises dans les derniers de ses discours, à Césarée, que nous rapportent les Actes des Apôtres (Cf. Ac. 24.14 sv ; 26.6-8, 22-23).

Ainsi, il dira devant le gouverneur Félix : “C'est suivant la Voie, qualifiée par eux(ses accusateurs) de parti, que je sers le Dieu de mes pères, gardant ma foi à tout ce qu'il y a dans la Loi et à ce qui est écrit dans les Prophètes, ayant en Dieu l'espérance qu'il y aura une résurrection des justes et des pécheurs….“
Et devant le roi Agrippa et la reine Bérénice : “Si je suis mis en jugement, c'est à cause de mon espérance en la promesse faite par Dieu à nos pères et que nos douze tribus espèrent voir aboutir. C'est pour cette espérance, ô roi, que je suis mis en accusation par les Juifs. Pourquoi juge-t-on incroyable parmi vous que Dieu ressuscite les morts …“. Et il affirme avoir toujours rendu témoignage “de ce que les Prophètes et Moïse avaient déclaré devoir arriver : que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d'entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes“.

Avec action de grâce, suivons la recommandation de Paul de se consacrer à la lecture des Ecritures : “Elles ont le pouvoir de communiquer la sagesse qui conduit au salut par la foi qui est dans le Christ Jésus“. En Jésus ressuscité, toujours vivant ! C’est l’enseignement également de l’évangile de ce jour en la parabole du Semeur, le Semeur de la PAROLE de Dieu : le VERBE de Dieu - la Parole subsistante, silencieuse, ineffable qui est en Dieu - s’est fait chair, est venu habiter au milieu de nous pour s’exprimer au dehors et se dire à nous avec les mots d’une langue humaine. Le Verbe, la Parole Unique qui est en Dieu est venu s’exprimer en des paroles multiples, fugitives, charnelles pour mieux nous communiquer la VIE même de Dieu. Aussi, sans cesse, il nous est dit : “Ecoutez-le !“






(soir à l’occasion de la bénédiction de l’icône de la Sainte Trinité) :

Oui, le Fils de Dieu, s’est fait homme pour nous conduire vers le Père, par son Esprit qu’il nous donne.
En contemplant cet icône, en priant devant elle, rappelons-nous que nous sommes appelés à venir nous insérer dans les relations d’amour que s’échangent éternellement les trois Personnes de la Sainte Trinité.

Le théologien-peintre (Roublev) a choisi de nous dire Dieu en entraînant notre regard dans la vision d’Abraham qui reçoit trois anges représentant Dieu lui-même (Gn 18). Chacun d'entre eux, dans le mouvement d'une présence à l’autre, traduit cependant la plénitude d’une vie personnelle. Chaque personne est semblable à l'autre, tout en conservant sa différence. Mais quelle plénitude de communion ! Quelle unité dans le mouvement de cette circonférence qui relie entre eux les trois Anges !

Nous sentons que quelque chose nous est donné pour rejoindre la réalité pressentie : la Vie unique de Dieu en trois Personnes !

Ainsi, la vie trinitaire n'est pas seulement pour nous une belle icône à contempler. Elle est communication d’un échange d’Amour entre ceux que l’on nomme Père, Fils et Esprit-Saint ! Et Jésus lui-même se réjouissait à la pensée de voir son Père en communiquer le secret par son Esprit à ceux qui sont assez petits et humbles pour l'accueillir, comme on accueille l'amour, comme on accueille la Vie.

Vivons déjà, en famille, en église… de ces relations d’amour - de charité - qui unissent si fortement les Trois Personnes divines au point qu’elles ne forment qu’un Unique et même Dieu ! Et rappelons-nous sans cesse que nous sommes appelés à être insérés, un jour, pleinement, en ces divines relations trinitaires. Alors nos amours humaines, nos unions de la terre deviendront parfaites parce que divines, vécues en ces relations divines qu’entretiennent le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Puissions-nous, par toutes nos relations présentes d’ici-bas, en porter témoignage.

mercredi 14 septembre 2011

La Sainte Croix !

14 Septembre : Exaltation de la Sainte Croix

Au témoignage de la célèbre Egérie, pèlerine à Jérusalem à la fin du 4ème siècle, ce jour - 14 Septembre - avait été choisi en 335 comme anniversaire de la découverte, quelques années plus tôt, de la croix du Christ. Ce culte était déjà attesté par St Cyrille de Jérusalem (+350) en ses fameuses “Catéchèses“, tandis que St Ambroise (+397) affirme que cette découverte de la vraie croix aurait été le fait de l’impératrice Hélène, quelques années après le concile de Nicée (321). Pourtant, Eusèbe de Césarée (+340), dans son ouvrage sur “La Vie de Constantin“ parle bien du voyage d’Hélène en Terre Sainte, mais ne mentionne nullement la découverte de la Sainte Croix.

Quoi qu’il en soit des interrogations historiques, c’est avec le lectionnaire arménien de Jérusalem qui témoigne des usages liturgiques de la Ville Sainte au 5ème siècle que l’on trouve quelques précisions : Le 13 Septembre était jour de la dédicace des lieux saints de Jérusalem. La fête durait huit jours en réalité. Ainsi, le 13 Septembre, on célébrait la dédicace de la Sainte Anastasie (basilique de la résurrection) ; et le jour suivant, on s’assemblait dans le “martyrium“ où l’on montrait la croix du Christ à la dévotion des fidèles.
Curieusement, le souvenir de la Dédicace se perdit, tandis que la fête de la Croix se développa, prenant le nom d’“Exaltation de la Sainte-Croix“.

La fête se répandit rapidement en Orient, puis en Occident. Et l’on sait qu’à Poitiers, le monastère fondée par la reine Radegonde (femme de Clotaire) en 552 aurait accueilli en 567 des fragments de la Sainte Croix envoyés par l’empereur de Constantinople. Un peu plus tard, Venance Fortunat, l’évêque-poète de Poitiers (+609) aurait composé en l’honneur de la Croix, l’hymne célèbre “Vexilla regis“ (“O crux, ave, spes unica…“ - “Salut, ô croix, unique espoir…“). Au 11ème siècle, St Odilon, abbé de Cluny, écrira : "Ô Croix mon refuge, ô Croix mon chemin et ma force, ô Croix étendard imprenable, ô Croix arme invincible. La Croix repousse tout mal, la Croix met les ténèbres en fuite ; par cette Croix je parcourrai le chemin qui mène à Dieu".

C’était excellemment exprimer l’objet de notre fête. Et, dix siècles plus tard, comme en écho, le Saint Curé d’Ars disait : "La croix est le plus savant des livres qu'on peut lire. Ceux qui ne connaissent pas ce livre sont des ignorants, quand bien même ils connaîtraient tous les autres livres. Il n'y a de véritables savants que ceux qui l'aiment, la consultent et l'approfondissent... “. Le Saint prêtre qu’on qualifiait facilement d’ignorant ne faisait que reprendre l’enseignement de la Tradition chrétienne fortement affirmée dès le 6ème siècle par André de Crête : “Nous célébrons la fête de la Croix, de cette Croix qui a chassé les ténèbres et ramené la lumière. Nous célébrons la fête de la Croix et, avec le Crucifié, nous sommes portés vers les hauteurs, nous laissons sous nos pieds la terre et le péché pour obtenir les biens du ciel. Quelle grande chose que de posséder la Croix : celui qui la possède, possède un trésor… Car c’est en lui que tout l’essentiel de notre Salut consiste et a été restauré pour tous“. Il est bon d’ailleurs de remarquer qu’aux premiers siècles, la croix est une croix glorieuse et qu’elle n’est jamais représentée avec le Corps du Christ. Les “crucifix“ n’apparaîtront qu’au Moyen-âge.

Et si l’“ignorant“ Curé d’Ars affirmait, à sa façon, que la Croix du Christ était un “trésor“, c’est que, parlant d’expérience, il en devinait tous les étonnants secrets : la splendeur du ciel, l’esclavage affreux du péché, l’insondable amour de Dieu, la valeur sans prix de la patience dans les épreuves endurées avec le Christ…

Il s’agit là d’une science très difficile : un mystère, comme l’on dit ! Oui, parce que le mystère est une connaissance de Dieu ! Mais le mystère n’est pas une réalité que l’on ne peut pas comprendre ; c’est une réalité qu’on n’aura jamais fini de comprendre ! Le mystère est une connaissance que Dieu seul peut donner. St Paul avait bien compris cela : “enracinés et fondés dans l’amour (de Dieu, manifesté dans le Christ), disait-il, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… (de la Sagesse de Dieu - Cf. Job 11.5-8 -) et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu’à recevoir toute la plénitude de Dieu“ (Eph. 3.8).
Si nous ne savons pas recevoir comme un don inestimable cette science de Dieu, disait le Curé d’Ars, nous manquons de tout !

Seule cette science permet d'éviter les deux grands dangers qui guettent les hommes en face de la souffrance accablante et souvent injuste (et elle l'est souvent...).
- Ou bien ils se révoltent, risquant d'aggraver encore le poids de leurs souffrances par de nouvelles violences qui se retourneront contre eux ;
- ou bien ils se résignent trop vite et se laissent injustement anéantir.
Alors, bien souvent, rien ne se résout et le mal progresse.

C'est pour nous arracher à cet engrenage que Jésus a voulu vivre la croix. Le Christ n'est pas venu supprimer la souffrance, ni même expliquer le mal. Il est venu nous aider à l'assumer. Et comment l'a-t-il fait ? En illuminant la croix de son amour. La souffrance humaine détruit quelque chose de la beauté de la création. L'amour vient lui restituer sa beauté intérieure.

A l'encontre de tant de promesses illusoires, nos ancêtres, en érigeant solennellement des croix, rappelaient que si l'on ne peut esquiver la mort et sa souffrance, le Christ, lui, a réussi à les transformer. De la mort qu'on lui imposait, il en a fait un acte de confiance envers son Père et un acte d'amour envers ses frères, les hommes !
- Aussi, il s'est soumis en toute liberté, condition de l'amour.
- Il s’est livré lui-même, avec une douceur et une force incroyables, à ce que des hommes lâches, tyranniques, cruels peuvent inventer.
- Il ne cèdera pas pour autant à la lâcheté, au dolorisme, à cette sorte de complaisance douteuse de la victime par rapport à son bourreau.
- Il ne donne pas raison à la foule qui hurle ni aux autorités égarées par de sordides calculs.
Simplement mais avec un lucide courage, il veut, face à la souffrance injuste, montrer la force de l'amour et de la vraie liberté.

Depuis lors, Jésus veut faire descendre
- dans les abîmes de l'angoisse humaine, creusés par le péché, sa paix divine,
- dans l'accablement intolérable de la douleur, sa joie,
- dans les impasses du désespoir sa lumière pleine d'espérance.

Car il n'y a pas
- de gouffre où Jésus ne soit descendu,
- pas d'humiliation qu'il n'ait connue,
- pas d'horreur qu'il n'ait visitée
pour que tout homme, quelle que soit son épreuve, puisse toujours trouver des sentiers inconnus pour sortir, avec lui, vers la vie.

C'est ainsi que les plus effrayants tourments, les terreurs infligées aux martyrs, loin de les abattre, leur a conféré, au contraire, une grandeur, une pureté, un rayonnement indicibles.
La petite Bernadette, pendant ses nuits sans sommeil à l'infirmerie de Nevers, cramponnée à son crucifix, savait qu'elle remplissait pleinement sa mission de prière et d’offrande pour les pécheurs, à la suite du Christ.

Comme Jésus lui-même l'explique si mystérieusement aux pèlerins d'Emmaus, en s'appuyant sur toute l'Ecriture : "Il fallait que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire". Saint Paul médite dans l'épître aux Philippiens cet abaissement au plus bas, cette condition d'esclave misérable condamné au plus infamant supplice qui permettra à Dieu d'exalter son Fils au plus haut et de lui donner un nom qui est au-dessus de tout nom. (Ph. 2.6sv)

Tel est en effet ce mystère incompréhensible que St Jean, le premier et, après lui, tous les fidèles, va contempler :
- c'est dans son abaissement même que Jésus est grand,
- c'est au cœur de cette horreur du plus affreux supplice que brille mystérieusement la splendeur de l'espérance;
- c'est quand la haine pense avoir gagné que la miséricorde paraît, au pied de la croix, en la personne de la mère de Dieu !

La résurrection ne vient pas après comme une récompense, elle fait éclater la réalité qui est cachée au cœur de la croix et que seule la foi peut voir. Oui, le curé d'Ars a raison : le livre de la croix est le plus important des livres. Seule la croix peut transformer ce qui empoisonne la vie des hommes en une source de joie, de purification, de dynamisme incompréhensibles.

Bien sûr, ce langage est toujours très difficile pour les hommes malades que nous sommes à cause du péché qui nous rend si myopes. Aussi que le Seigneur nous accorde de plus en plus cette science du livre de la croix !

lundi 12 septembre 2011

Saint Nom de MARIE

12 Septembre


Le Nom de Marie ! Bien des étymologies (près de 70) ont été données pour ce vocable “Marie“ : “Dame de la mer“ - “Goutte de la mer“, d’après une interprétation hébraïque un peu curieuse. Et ce mot “goutte“ - en latin “stilla“ - est vite devenue “stella“ : étoile ! - Marie, “Etoile de la mer“ chantée par plusieurs hymnes, par St Bernard…

La fête du “Saint Nom de Marie“ est apparue d’abord en Espagne (Nouvelle Castille) vers 1513. Un temps abrogée par St Pie V, elle fut vite rétablie… ; elle s’étendit en Italie, surtout à Naples et à Milan. Elle ne fut instituée à Rome qu’en 1683, par Innocent XI en action de grâce pour la délivrance de Vienne assiégée par les Turcs.

Tandis que la Hongrie se révoltait contre les Habsbourg, les armées turques conduites par le grand vizir de Mehmed IV, Kara Mustapha Pacha, bloquaient Vienne depuis le 14 juillet 1683. L'empereur Léopold Ier (1640-1705) et son beau-frère, Charles de Lorraine, avaient déserté la ville où treize mille hommes attendaient les ordres… Le pape Innocent XI qui eût voulu former une ligue catholique contre les Turcs, ne put compter que sur l'alliance de Jean III Sobieski (1624-1696), roi de Pologne, que l'on avertit du danger lors d'un pèlerinage à Chestokowa d’où il partit le 15 août. Le dimanche 12 septembre 1683, Jean Sobieski servit la messe, communia et prit le commandement d’une armée catholique où, en plus de ses troupes polonaises, il y avait celles du duc de Lorraine... “Aujourd'hui, s'écria-t-il, il y va tout ensemble de la délivrance de Vienne, de la conservation de la Pologne et du salut de la chrétienté entière !“. Puis, il se mit à la tête des coalisés et chargea en criant : “Non nobis, Domine, sed nomini tuo da gloriam !“ (Non pas à nous, mais à ton Nom, donne la gloire, Seigneur !“). Les Ottomans furent battus et, dans Vienne délivrée, Jean Sobieski vint se prosterner avec ses généraux devant la statue de Notre-Dame de Lorette vénérée dans l'église des Augustins où l'on chanta un Te Deum !
Ce jour-là, on avait fait à Rome une grande procession suivie, malgré sa goutte, par le pape ; et le 25 novembre, un décret établissait la fête du “Saint Nom de Marie“ en action de grâce et l'assignait au dimanche dans l'octave de la Nativité de la Bienheureuse Vierge.

Innocent XIII étendit la fête du Saint Nom de Marie à l'Eglise Universelle en 1721. La fête du Saint Nom de Marie fut placée au 12 septembre par Pie X. Elle disparut du calendrier romain en 197O. Cependant, Paul VI voulut lui laisser une messe votive ce qu'a ratifié Jean-Paul II dans “Les messes en l'honneur de la Vierge Marie“, publié à Rome le 15 août 1986…

Il était bien juste que le nom de Marie trouvât sa place, dans nos fêtes catholiques, à côté du nom de Jésus ! Le nom de Marie est un nom glorieux, un nom tout aimable, un nom salutaire. Et les Saints se sont essayés à l'envi à retracer les merveilles du Nom de Marie.

La première gloire de ce nom béni, c'est qu'il fut inspiré par Dieu aux parents lors de la naissance de leur enfant ; et que l'archange Gabriel le prononça d'une voix pleine de respect ! Depuis lors, toutes les générations chrétiennes le redisent à chaque instant du jour : le Ciel lui-même ayant prononcé à la terre ce nom si beau, la terre ne doit cesser de renvoyer au Ciel l'écho mélodieux de ce vocable : "Au nom de Marie, dit Pierre de Blois, l'Église fléchit le genou, les vœux et les prières des peuples retentissent de toutes parts".
"Que Votre nom est glorieux, ô sainte Mère de Dieu !,
s'écrie St Bonaventure ; qu'il est glorieux, ce nom qui a été la source de tant de merveilles !"
"O nom plein de suavité !,
s'écrie le bienheureux Henri Suzo. O Marie ! Qui êtes-Vous donc Vous-même, si Votre nom seul est déjà si aimable et si rempli de charmes ?"
"Votre nom, ô Marie, dit saint Ambroise, est un baume délicieux qui répand l'odeur de la grâce !"
Mais surtout le nom de Marie est un nom de salut. Saint Éphrem l'appelle la “Clef du Ciel“. Et St Bernard affirme que "le nom seul de Marie met en fuite tous les démons..."

Aussi, n’oublions pas de prier Marie, ne cessons pas de répéter son nom bénie ! “Si, à l’heure de la mort, écrivait Dom Cozien, un ancien Abbé de Solesmes, nous ne pouvons plus lui redire notre louange joyeuse et notre supplication confiante, elle n’aura pas oublié la couronne qu’avec amour nous aurons tressée à sa gloire chacun des jours de notre vie. Elle viendra, portant en ses mains bénies notre couronne, celle qu’elle-même aura préparée pour chacun de ses enfants fidèles. “Priez pour nous tous, pécheurs que nous sommes, afin que l’heure de notre mort soit celle de notre naissance à la vie éternelle“.

dimanche 11 septembre 2011

Le Pardon !

24e Dimanche du T.O. 11/A

77 fois 7 fois ! C'est de la folie ! 77 fois 7 fois !

Alors que la vengeance se pratique normalement à un niveau très élevé, Jésus dit : Pardonnez 77 fois 7 fois ! Lameck, descendant de Caïn, déclinait comme des articles d'un code universel : "J'ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C'est que Caïn est vengé sept fois. Mais Lameck, 77 fois 7 fois !" (Gen 4.24). C'était la vengeance déchaînée, aveugle, sans mesure.
Et Jésus dit, lui : pardonnez 77 fois 7 fois !

Certes, la loi du talion avait freiné la méchanceté. Il s'agissait d'égalité : "Dent pour dent, œil pour œil" ! (Ex 21.24). Pas plus ! C'était déjà un progrès ! Mais Jésus dit, lui : pardonnez 77 fois 7 fois !

Au temps de Jésus, certains rabbins conseillaient de pardonner jusqu'à trois fois. Pierre qui savait la magnanimité de Jésus lui demande s'il faut aller jusqu'à 7 fois. La réponse donne le vertige : 77 fois 7 fois ! Le chiffre de perfection (7) multiplié jusqu'à l'infini… Jésus n'est-il pas en train de rêver, au lieu d'aider les hommes à progresser modestement au milieu des conflits qui les déchirent ?

77 fois 7 fois ! C'est un délire ! Oui ! Le délire de l'amour, l'escalade non plus de la haine, mais de l'amour. Et l'amour ne se mesure jamais ; il va bien au-delà de 77 fois 7 fois ! Ainsi Jésus laisse voir jusqu'où va son ambition sur l'homme : il demande d'aimer les ennemis pour "être les fils du Père qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons" (Mth 5.45). Il veut nous emporter dans la contagion de ce Dieu qui est toujours dans l’attitude du “Père de l’enfant prodigue“, qui veut bousculer les instincts, les atavismes, les rigidités, les étroitesses pour faire une humanité de fils et de frères ! Si Dieu cessait de pardonner une seule seconde, je crois que notre terre volerait en éclats. Nous n’aurons pas trop de notre vie entière pour le remercier d’avoir remplacé la vengeance par la grâce, le pardon, l’amour…

77 fois 7 fois ! La formule n'est pas l'hyperbole d'un sage : Jésus exprimait ce qu'il vivait. Dans les villages et les villes, il distribuait le pardon : "Tes péchés te sont remis" (Lc 5.23). Scandale : alors qu'il existait des rites de purification au temple, Jésus pardonnait les péchés dans la rue, sur le tas, sans aube ni confessionnal ! Et ses ennemis ne manqueront pas de lui reprocher de se faire l'égal de Dieu, de gaspiller la miséricorde.

77 fois 7 fois ! Jésus lui-même a encore balbutié cette consigne dans l'abîme de l'agonie : "Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font" (Lc 23.34). Les bourreaux et les juges ne savaient-ils pas encore qu'on ne résout rien en tuant un homme. La violence qui semble décharger les tensions des collectivités n'est finalement qu'une maladie épidémique de l'enfance interminable de l'humanité. Et Jésus a voulu la fixer sur lui pour en épuiser le venin. Dès lors, nous n'avons pas d'autre sacrifice que de faire mémoire vivante de celui qui a donné sa vie et sa mort pour la multitude, en "alliance nouvelle et éternelle".

77 fois 7 fois ! Jésus, blessé à mort, a encore la force de dire : "Père, pardonne…". Ceux qui pardonnent véritablement sont des êtres blessés. Et, plutôt que d'étendre la contagion du mal, ils l'arrêtent à eux-mêmes. Ils en épuisent le venin. Comme Jésus en croix ! Au lieu de garder les poings serrés, ils ouvrent des mains généreuses. Et la bonté finit par submerger la souffrance et la rancune. Cette transmutation, le Christ l'a accompli du haut de la croix. Cette transmutation qui s'accomplit souvent dans le secret, est l'acte à la fois le plus humain et le plus divin, le plus rédempteur, tant il est vrai que si l’erreur et la faute sont humaines, le pardon est divin. Ceux qui pardonnent, non seulement transfigurent leur propre blessure grâce au rayon divin du soleil de Pâques, mais guérissent la plaie qui court toujours sur le visage de l'humanité et qui la défigure depuis ses origines : la violence.

77 fois 7 fois ! “L’amour prend patience, dira St Paul (I co 12) ; il n‘entretient pas de rancune ; il excuse tout ; il endure tout“. L’amour, le vrai, pardonne ! Il nous faut sans cesse découvrir ce prodige qu’est le pardon dont seul est capable l’amour.
- Il y a le pardon que l’on reçoit de l’être que l’on a blessé et dont les larmes sont d’autant plus bouleversantes pour nous qu’elles sont larmes engendrées par l’amour qui nous est porté.
- Et il y a le pardon que l’on donne à l’être qui nous a blessés, parce qu’il est aimé de nous à l’infini.
Parce qu’il est totalement gratuit et n’est point donné en forme de marchandage, le pardon est rare, infiniment rare, tant il est le signe de l’amour porté à la perfection !

77 fois 7 fois ! Et Jésus ajoutait : “Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi !“ (Mth 6.14). Et le Curé d’Ars de commenter : “Dieu pardonnera qu’à ceux qui auront pardonné : c’est la loi !“. Or, habituellement, nous nous pardonnons tout et rien aux autres ! Pourtant, disait St Jean Chrysostome, “qu’avons-nous jamais à pardonner aux autres qui soit en proportion avec ce que le Seigneur nous pardonne à nous-mêmes ?“ Il ne s’agit pas de confondre le bien et le mal, de dire que la faute n’existe pas. Il ne s’agit certes pas d’appeler noir ce qui est blanc, et blanc ce qui est noir ! Il s’agit de vivre au-delà du mal : dans l’amour !

C’est pourquoi le Seigneur nous fait dire chaque jour : “Pardonne-nous comme nous pardonnons !“. - J’ai connu des personnes qui, dans l’authenticité et la vérité de leur être, n’arrivaient pas à prononcer cette formule lors de la proclamation commune du “Notre Père“, tant ils ressentaient de la rancune, cette maladie du cœur qui empêche de pardonner. Oh ! D’autres - et ce n’est peut-être pas mieux - prononcent allègrement cette parole du Seigneur alors qu’ils ressentent toujours cette noire rancœur qui cultive si facilement et amèrement les blessures du cœur et de la mémoire. Pire, ils ne résistent pas à la tentation de trouver du plaisir à voir celui qui les a blessés ou lésés subir, éventuellement, à son tour, revers et malheurs, comme une sorte de revanche savourée. Et pourtant, Jésus dit : “pardonnez 77 fois 7 fois !“. Il nous faut trouver cette magnanimité, cette grandeur d’âme qui va tellement, il faut le reconnaître, à contre-courant de la loi de la jungle de nos sociétés.

St Benoît a prescrit de réciter la prière du Seigneur à chaque office. Car il savait bien que même dans les communautés les plus fortement unies, il pouvait, il peut se produire de petites meurtrissures, ne serait-ce que par le seul fait de la diversité des tempéraments. Et les meurtrissures, même petites, lorsqu’on y touche par la pensée ou la parole, peuvent s’endolorir et s’envenimer, alors qu’avec la force du Christ elles peuvent s’effacer facilement : “Pardonnez nos offenses comme nous pardonnons !“. Finalement, s’il y a une faute impardonnable, c’est de ne pas pardonner !

Jésus disait : pardonnez 77 fois 7 fois ! Lameck avait dit, aux origines de l'histoire : vengez-vous 77 fois 7 fois ! Quand sortirons-nous donc de notre préhistoire pour atteindre, avec le Christ ressuscité, à la stature de l'homme accompli ?

vendredi 9 septembre 2011

Le dessein de Dieu

T.O. 23 imp. Vendredi - (I Tim 1.1-14)

Nous passons aujourd’hui des lettres dites “de la captivité“, comme celle aux Colossiens, aux lettres dites “pastorales“ ! Ces “lettres pastorales“ s’adressent non plus à des collectivités, mais à des individus sur lesquels Paul semble s’être déchargé d’une charge devenue trop lourde pour sa vieillesse : Timothée et Tite. Elles sont les dernières de l’Apôtre. On les date des années 65 à 67, environ cinq ans après les épîtres de la captivité.

St Paul est maintenant à la fin de sa vie ; s’il est né vers l’an 8, il approche maintenant la soixantaine. A l’époque, à cet âge là, on était un “vieillard“. (1). - Paul est donc âgé ; il ressent une certaine fatigue, lassitude. Cependant, il fait encore des projets. Si le texte liturgique n’avait pas été abrégé, il est dit juste après les deux premiers versets, qu’il est parti pour la Macédoine laissant à Ephèse Timothée, pour continuer à lutter… (2). Paul est donc encore “vaillant“ ! D’ailleurs lorsqu’il a fait ses adieux aux anciens d’Ephèse qu’il a convoqué à Milet, il leur avait dit : “Je ne me suis pas dérobé quand il fallait vous annoncer toute la volonté de Dieu !“ ( Ac 20,27).

“La volonté de Dieu !“. Le “dessein de Dieu !“, ce que les Pères de l’Eglise appelleront “l’économie du salut“. C’est le salut que Dieu désire pour tous les hommes qui s’est accomplit dans le Christ, qui se déroule tout au long de l’histoire et qui se poursuivra jusqu’à la fin des temps dans le Corps mystique du Christ.

On peut dire que c’est l’une des grandes idées de St Paul. Aussi a-t-il commencé sa lettre en disant : “Moi Paul, Apôtre, sur l’ordre de Dieu notre Sauveur et du Christ Jésus, notre espérance, je m’adresse à toi, Timothée, mon fils dans la foi…“. Le rapprochement “Sauveur-Espérance“, fréquent dans l’A.T., a ici une grande portée doctrinale face aux diverses dérives que l’apôtre a rencontrées à Ephèse et dont témoigne la lettre aux Colossiens que la liturgie nous a fait lire. Ce rapprochement de ces deux mots confirme que pour Paul son espérance est absolument certaine d’atteindre son objet qui est celui du dessein de Dieu. (3)

Et cette espérance en Dieu Sauveur ne peut prendre effet que dans la foi, a-t-il dit. Bien au-delà de toute loi !!! La loi, avait-il souligné est bonne dans la mesure où on la prend comme loi permettant d’éradiquer ce qui est contraire à la doctrine de l’Evangile. (v/8sv).

Peut-être écrivait-il cela sachant qu’il s’adressait à Timothée. En effet, Timothée était un des disciples de prédilection de Paul. Il était né à Lystres où Paul et Barnabé étaient passés lors du premier grand voyage missionnaire (Ac 14,6 et 21). Timothée avait un père païen, mais sa mère était juive. C’est au cours de sa deuxième mission qu’il le prit pour compagnon de route : “Il y avait à Lystres, disent les Actes des apôtres, un disciple nommé Timothée, fils d'une Juive devenue croyante, mais d'un père grec. Les frères de Lystres et d'Iconium lui rendaient un bon témoignage. Paul décida de l'emmener avec lui. Il le prit donc et le circoncit, à cause des Juifs qui se trouvaient dans ces parages ; car tout le monde savait que son père était grec“. (Ac 16,1)

Il le fait circoncire ! Pourtant Paul avait fait triompher ses idées au Concile de Jérusalem en faveur des non-Juifs. La circoncision n’est donc rien ! La foi, bien au-delà de toute loi ! Mais précisément, parce que les observances juives sont dépassées et que la foi seule justifie, Paul avait pratiqué à l’égard de Timothée et des Juifs qui l’entouraient un certain opportunisme. Il savait s’adapter aux situations et ne pas interrompre peut-être les cheminements de la grâce par des durcissements sur des pratiques qui ont perdu leur importance. Paul, face au “dessein de Dieu“ pour tout homme ne veut pas s’encombrer de considérations bien secondaires et devenues inutiles.

Nous sommes alors dans les années 50. La lettre est de 65 ; quinze ans de fidèle compagnonnage avec Timothée se sont écoulés. La suite de la lettre va justement nous apprendre comment ne pas nous noyer dans les doctrines parasitaires et les verbiages inutiles pour nous concentrer sur le dessein de Dieu : le salut de l’homme. Et la foi nous donne cette espérance !

Et aujourd’hui, n’est-ce pas à cette lumière du dessein de Dieu qu’il nous faut vivre les évènements actuels. Les nuages à notre horizon, dit-on parfois, sont de plus en plus épais. Ils s’obscurcissent. Le dessein de Dieu, lui, se poursuit dans le Christ qui est Tout. C’est cela l’important !
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(1) Son style, la forme et la structure de sa pensée, sont assez différents pour qu’on ait pu mettre en cause l’authenticité de son texte. Il n’est pas impossible que ses disciples les plus proches aient influencé la forme définitive sous laquelle elles nous ont été transmises.

(2) … comme nous l’avons vu faire, contre les doctrines étrangères, les fables, les généalogies interminables – celles terrestres ou celles célestes à propos des esprits, des anges… - … tout cela qui est plus propre à soulever de vains problèmes qu’à servir le “dessein de Dieu !“.

(3) St Jean Chrysostome commentera : “Nous avons Dieu pour sauveur ! Non pas un homme. Ce Sauveur n’est pas un débile ; c’est Dieu lui-même… Et notre espérance ne saurait être confondue puisque c’est le Christ lui-même ! Avec ce double appui, nous bravons les périls ou nous ne tardons pas à nous y soustraire ; nous sommes nourris d’espoirs bienfaisants !“.