mardi 28 février 2012

Notre Père !

Carême 1. Mardi - Psaume 33 (34)

A ceux qui veulent prier - “Apprends-nous à prier“ (Lc 11.1), demandaient les disciples de Jésus -, à ceux qui veulent manifester leur “alliance“ avec Dieu, l’évangile nous rappelle aujourd’hui la “prière par excellence“, la “Prière du Seigneur“, celle qui résonne désormais en toutes les langues, de par le monde entier ! “Notre Père… !“. Et lorsqu’on se rend au Mont des Oliviers, en la “chapelle du Pater“, on est émerveillé de voir les formules du Seigneur inscrites sur les murs en une multitude de langues !

L’homme - consciemment ou inconsciemment - est invité à s’adresser à Dieu en disant : “Notre Père… ! Père !“. Dieu est Père. Il reste Père même (et surtout peut-être) lorsque nous nous trouvons dans la détresse, le désarroi !

C’est toute la leçon du psaume 33ème dont la liturgie nous livre un passage comme une invitation à le méditer en entier !

“De David, dit le titre, quand il altéra son bon sens (il simula la folie - I Sam. 21.) devant Abimélek qui le chassa (1).
Mais peu importe les circonstances ! Le psalmiste se félicite de sa confiance en Dieu qui lui a valu un grand bienfait. C’est toute sa louange !

Et à l’expression de sa reconnaissance personnelle, il entend associer les “humbles“ de son peuple, tous ceux qui sont fidèles au Seigneur malgré les épreuves, les “craignants Dieu“, les pauvres qui s’adressent à lui comme à un Père ! Notre Père… ! - “Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, disait Jésus, d’avoir caché cela aux sages et au savants et de l’avoir révélé au tout petits“ (Lc 10.21). Jésus nous associe à sa prière ! Notre Père… !

Car les “craignants Dieu“ sont tout simplement ceux qui reconnaissent que Dieu est Dieu, que l’homme est l’homme, et qu’il y a entre les deux une infinie distance, mais que cette distance peut être franchie si on compte sur Dieu, si on sait qu’il pourvoit à nos besoins, qu’il libère et du mal, et du péché et de la mort elle-même… Et nous-mêmes, nous ajoutons désormais : Il libère en son Fils : … Notre Père… ! Pour le psalmiste, il convient de bénir Dieu. Car s’il a pris en main la cause de son serviteur, il fera de même pour tous !

Aussi, il demande notre attention : “Fils, écoutez-moi !“, dit-il. “Ausculta, o fili“, dira de même St Benoît. - Ecoutez !, disait Jésus : “Vous qui savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est au ciel donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent“ (Mth 7.11).

Et tous les psaumes répéteront à l’envie : les maux peuvent pleuvoir sur les justes, les cœurs peuvent être brisés (Ps 51.19 ; 147.3), les esprits abattus, Dieu - Notre Père… ! - veille ; il délivrera ! Les os des justes ont pu être “terrifiés“ (Ps 6.3), disloqués (Ps 22.15), comptés (Ps 22.18), rongés (Ps 31.11) et consumés (Ps 32.3), ils ne seront pas brisés (Ps 34.21 ; 50.10 ; Is 38.13 ; Mi. 3.3), comme ne l’étaient pas ceux de l’agneau pascal (Ex 12.46), victime offerte à Dieu (cf. Jn 19.36). Notre Père… qui nous donne son Fils !

Victime offerte qui nous est donnée pour que nous soyons introduits auprès de Dieu notre Père qui, toujours, délivre !

“Goutez et voyez comme est bon le Seigneur“ !, s’exclame alors le psalmiste. Et chacun de nous avec lui ! Le P. Louis Bouyer pense que d’après St Pierre (“Comme des enfants nouveau-nés…, vous avez goûté combien le Seigneur est bon“ - 1 Pet 2.3), ce verset 9ème du psaume fut utilisé dans l’Eglise primitive pour la communion eucharistique. “Notre Père… qui donne le pain du ciel… !“

Pour cela il faut savoir écouter ! On dirait, d’après le psaume, qu’il y ait une corrélation entre l’écoute de Dieu et l’écoute de l’homme. Quoi qu’il en soit, la lecture d’aujourd’hui nous encourage à écouter, à accueillir la semence de la Parole de Dieu qui ne peut être sans résultat… Ecoutez Dieu au fond de son cœur ! Et avec un peu d’humour, Claudel de nous conseiller en ce temps de carême : Pour cela, “tiens ta langue avec tes doigts et mets un compteur à tes lèvres !“.

Et Mère Térésa avait bien raison de remarquer : "Les âmes de prière sont des âmes de profond silence… Il faut nous habituer au silence de l'esprit, des yeux et de la langue. Impossible de trouver Dieu dans le bruit et l'agitation. Regardez les arbres, les fleurs, l'herbe, toute la nature, ils ne croissent que dans un profond silence…“.

C’est dans le silence, dans le secret du cœur silencieux, que l’on peut invoquer humblement et murmurer avec grande confiance : “Notre Père… !“.

(1) On pourrait faire un parallèle entre David le psalmiste
- les frayeurs de celui-ci (comme les nôtres) correspondent à la grande crainte de David !
- Le psalmiste (et chacun avec lui) cherche Dieu qui lui répond. - David consulte le Seigneur qui lui répond.
- Dieu délivre le juste comme il n’a pas livré David à son ennemi.
- Le messager du Seigneur campe autour de ceux qui le craignent. Il les libère. - Un messager libère David…

lundi 27 février 2012

Etre Saint !

Carême 1. Lundi (Lév. 58.9-14)

“Soyez saints… Car je suis saint“.

Autrement dit, Dieu nous demande d’être comme lui ! Mais qui est Dieu ? L’Etre parfait ? Le Pur ? Le Juste… ? Oui, certainement.
Cependant, l’Ancien Testament déjà, mais surtout les Evangiles nous révèlent que la sainteté de Dieu, c’est l’AMOUR.

Et la preuve justement que Dieu nous a créés par amour et pour l’amour, c’est qu’en lui-même, Dieu est Amour !
(Malgré le mal qui nous entoure et qui donne parfois de l’urticaire à notre intelligence et même à notre foi. Mais cela est un autre sujet).
Oui, Dieu est Amour en lui-même, cet Amour qu’éternellement s’échangent les trois Personnes divines. Dieu est pure relation en lui-même : relation d’amour entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

L’Ancien Testament révélait que Dieu est UN. Un SEUL DIEU. Mais nous devons voir dans le mystère de la Sainte Trinité une confidence que Dieu nous fait par son Fils Jésus Christ. Il ne nous révèle pas seulement que Dieu est UN, mais COMMENT il est UN, pour que nous puissions vivre de cette Unité : “Qu’ils soient UN comme nous sommes UN“.

Dieu n’est pas un solitaire ! Nous sommes appelés à le voir comme une Famille. Et quand Jésus dit : “Qu’ils soient un comme nous sommes Un“, ce n’est pas une vague comparaison. C’est le mystère de Dieu qui vient comme envelopper nos familles, nos diverses communautés appelées à vivre une charité qui soit “Epiphanie“ (manifestation) de Dieu. – “Voyez comme ils s’aiment“, disait-on des premiers chrétiens. C’était comme la preuve de l’existence de Dieu-Amour en Lui-même !

Oui la foi en un Dieu Saint, la foi en un Dieu-Trinité doit transfigurer notre vie. Nous sommes appelés dans la réalité la plus banale de l’existence à exorciser tout égoïsme pour devenir, peu à peu, comme Dieu, le Saint : sans repliement sur soi-même pour être de plus en plus relation : relation avec Dieu et, de ce fait, relation avec l’autre…

Vous direz sans doute : Que ce mystère est grand ! Sachons que St Paul le disait déjà.

Nous nous sentons probablement très éloignés de cette vie même de Dieu qui nous dit cependant : “Soyez saints comme je suis saint“. Oui ! Mais dites-moi : vos yeux sont-ils capables de regarder le soleil très longtemps ? Et pourtant, c’est le soleil qui donne vie et couleur à tout ce qui est sur terre. C’est grâce au soleil que les fleurs s’épanouissent pour notre plus grande joie !

Accueillons donc les rayons du Soleil divin en nous-mêmes. Et nous comprendrons : “Soyez saints comme je suis saint“. Par grâce divine, nous y parviendrons et pour la gloire de Dieu et le réconfort de nos frères.

dimanche 26 février 2012

OUI !

1er Dimanche de Carême 12/B

Il y a des moments où un “Oui” engage toute une vie !
Ce “Oui” est parfois celui qu’un homme et une femme échangent au jour de leur mariage. - Il est aussi celui que des religieux, religieuses prononcent au cours d’une cérémonie. Il peut exprimer encore le choix déterminés de jeunes qui seront enseignants, infirmiers, mécaniciens, paysans… , que sais-je encore. Il peut conduire à adhérer à une association, à un parti politique, humanitaire ou autre…

Il y a ainsi une multitude de “Oui”, aux contenus variés, qui orientent pour dix ans, vingt ans ou pour la vie entière. Et ensuite, les jours, les uns après les autres, obligent à égrener ce qui a été condensé dans une syllabe.

Et pour éviter de s’égarer sur une autre voie ou de s’enliser dans mille et mille détails, il est bon de vérifier, de temps à autre, si le chemin que l’on poursuit est bien celui que l’on a frayé au jour du “Oui” initial.

Or, l’évangile d’aujourd’hui est comme un coup de diapason qui peut nous permettre de vérifier si notre voix sonne juste, en accord avec le chant choisi.

Contemplons Jésus : Il est au désert. Là dans la solitude et la prière, il va prendre la décision capitale. Son père lui suggère une route difficile pour faire de tous les hommes son peuple, pour faire une “Alliance“ entre le ciel et la terre. Il dit “Oui”, un “Oui” qui engage toute sa vie, un “Oui qui sera toujours à renouveler. Un exemple pour nos divers engagements !

Contemplons la scène pour l’instruction de notre propre combat ! Jésus va 40 jours au désert ! Ce chiffre évoque les 40 ans du peuple hébreu avant son entrée en Terre promise ; il évoque aussi les 40 jours du déluge, période qui se termine par l’Alliance d’une nouvelle humanité avec Dieu ! Autrement dit, ce chiffre évoque la lutte de toute vie d’homme, la nôtre ! Et le conflit évoqué fait référence non seulement à l’épopée de l’Exode de tout un peuple aux prises à de multiples tentations (comme pour nous) ; mais il rappelle aussi le drame des origines : le premier affrontement de l’homme avec le Tentateur décrit au livre de la Genèse.

Ainsi, envahi, poussé par l’Esprit-Saint, dit le texte, Jésus est confronté à son grand rival, au rival de l’homme, Satan. Par le “Oui“ à Dieu, son Père qu'il ne va cesser de prononcer, Jésus a vaincu l’Ennemi dans son lieu, le désert, notre désert parfois. Et si les bêtes sauvages ne le dévorent pas (comme elles n’ont pas dévoré Daniel dans sa fosse aux lions), si les anges, au lieu de le dominer, sont à son service - “Il vivait parmi les bêtes sauvages et les anges le servaient !“ -, c’est que, tel un Nouvel Adam, Jésus s’est montré le plus fort par son engagement, par son “Oui“ permanent. L’infra-humain - les bêtes sauvages - lui est soumis ; et le supra-humain - les anges - le servent. Il est victorieux des puissances du mal, supérieur aux êtres célestes appelés “anges“. Son “Oui“ parfait à Dieu son Père le rend totalement, universellement vainqueur !

Et c’est à cette victoire qu’il nous engage. Car ce qui est frappant dans le très court récit de l’évangile, c’est la généralité des lieux et du message :
- Généralité des lieux : Jésus qui était venu de Nazareth en Galilée (1.9), retourne en Galilée ; mais l’endroit où il va séjourner n’est pas précisé. Le cadre évoqué - cette Galilée, ce carrefour des autoroutes du temps, ce "carrefour des nations" - est si vaste qu’il évoque le monde entier, notre monde actuel.
- Généralité du message : le contenu de la première prédication de Jésus est rendu de façon très succincte par deux expressions qui résonnent comme des slogans : “Il partit proclamer la “Bonne Nouvelle“ ; et il disait : “croyez à la Bonne Nouvelle“.

La “Bonne Nouvelle“ est celle de sa victoire sur le Tentateur qu’il achèvera en son mystère pascal de mort et de vie. C’est ce que souligne St Paul dans la seconde lecture : “Dans sa chair, il a été mis à mort ; dans l’esprit, il a été rendu à la vie. C’est ainsi qu’il est allé proclamer son message - la “Bonne Nouvelle - à ceux qui étaient prisonniers de la mort“. Ce message de la victoire obtenu par son “Oui“ initial.

Ce “Oui” de Jésus qui le rend victorieux, ce sera le message de toute sa vie :
- Sur les places publiques et dans les synagogues, il annoncera que Dieu invite tous les hommes à une Alliance divine.
- Sur le Mont des Béatitudes, il prononcera la charte de cette nouvelle Alliance: “Heureux les pauvres…, les artisans de paix…, les hommes purs.”
- Il désignera les privilégiés de cette alliance : les malades, exclus, pécheurs,
- Son testament sera ce qui fait le fondement ce cette alliance humano-divine: “Tu aimeras”. Il dira que l’amour vit au cœur de l’homme et ne se réduit pas à l’observance d’une loi. - Et il révélera un Dieu qui réconcilie et aime tous les hommes.

Toute la vie de Jésus sera de faire la volonté de son Père. Il ne fera que répéter son “Oui” initial. Même si les puissants du jour le jugeront dangereux, il ne renoncera pas à sa mission. Il continuera de dire “Oui” à son Père, jusqu’à Gethsémani, jusqu’au Golgotha, jusqu’à l’aube pascale…

Et Jésus retournait de temps à autre au désert pour se remettre devant l’essentiel, pour redire le “Oui” prononcé initialement, comme s’il devait refaire un choix, comme s’il devait confirmer sa décision.

Nous sommes invités, ce matin, à aller au désert avec Jésus pour vérifier notre “oui” baptismal et tous les “oui” qui en ont découlé. Le “oui” du mariage ou celui de notre vie religieuse, et tous les autres “oui”
qui ne sont que les prolongements du premier
et qui annoncent, confusément mais réellement, que le Royaume de Dieu - cette Bonne Nouvelle - est déjà là sans l’être encore pleinement.

Entrer dans le carême, n’est-ce pas aller au désert pour vérifier l’authenticité actuelle de notre “oui” initial, ce “oui” soumis à l’usure du temps, mis à l’épreuve des combats et des luttes de la vie.

Et puis, de façon beaucoup plus optimiste et réaliste, entrer en carême n’est-ce pas aller au désert pour mieux contempler dans le secret et le silence de notre cœur que, déjà, toute notre vie s’éclaire peu à peu à la lumière de l’aurore pascale qui a commencé à poindre dans notre “oui” initial. Et cette lumière pascale ne cesse d’illuminer toute notre vie. - Autrement dit, ne voyons-nous pas que toute notre vie est déjà lumineuse de la présence du Seigneur qui se manifeste de plus en plus par notre engagement, notre “oui” initial et tous ceux qui l’ont suivi. - Et nous constatons alors que tout notre avenir en est éclairé, et notre mort elle-même.

N’hésitons pas à faire le désert en notre cœur. Et demandons au Seigneur de regarder toute notre vie à la lumière de notre premier engagement souvent renouvelé. Demandons cette grâce par l’intermédiaire de Notre Dame, Notre Dame du “Oui” qui, de plus, nous donnera sa paix !

Alors, comme elle, nous serons amenés à constater que les débuts de tout engagement (de tout “oui“) sont toujours riches de signification, contenant déjà en germe ce qui va se développer par la suite. C'est en effet un des caractères de la conduite de Dieu à notre égard que de ramasser en de certains moments importants, privilégiés - le “oui d’un engagement - ce qui, par la suite, doit se développer longuement, se déployer, s'expliciter.

Et c’est ainsi qu’en contemplant notre “oui” initial et ses traces jusqu’à aujourd’hui, chacun de nous n’est pas fondamentalement inquiet, parce qu’en contemplant ce qui a été, il peut jouir déjà de ce qui n'est pas encore. N‘est-ce pas là le fondement de notre espérance : jouir déjà par notre “oui“ initial de ce qui doit arriver pleinement, avec la certitude que cela arrivera !

vendredi 24 février 2012

David, un Maître spirituel !

Vendredi ap. Cendres. - (Ps 50)

Vous le savez : le psautier, c’est finalement toute la Bible sous forme de prière. Et plus on parvient à faire le joint, si je puis dire, entre la “Parole de Dieu“ (la Bible) et notre existence, les psaumes deviennent alors très familiers pour exprimer notre union à Dieu en de nombreuses circonstances de la vie !

A l’exemple de David !
Si tous les psaumes sont attribués à David - grande exagération, nous le savons -, c’est pour nous dire que David priait souvent, à n’importe quel moment… Il n’attendait pas d’avoir une position parfaite (s’il y en a une !) pour prier. De là l’intitulé de plusieurs psaumes :
- De David quand il coupe le manteau de Saül …!
- De David dans quand il fuit… !
- De David quand les gens de Zif le dénoncent… !
- Et aujourd’hui : De David après sa faute… !

David priait tout le temps ! Il ne faut pas attendre d’avoir une disposition parfaite pour prier, sinon on risque de ne jamais prier. Il faut, certes, des moments privilégiés. Mais il faut prier en toutes circonstances ! C’est la raison pour laquelle David, malgré ses nombreuses fautes, est un bon Maître en spiritualité. Il cherche toujours à être en relation avec son Seigneur ! En toute circonstance !

Et si David est un “bon Maître en spiritualité“, c’est parce que, de plus, il n’est pas un “Tartuffe“ ! La première disposition pour prier, c’est de laisser Dieu balayer le fond de son cœur : “Tu aimes la vérité au fond de l’être !“ (v/8)
Au lieu de se cacher derrière les arbres d’un jardin quand on a péché, comme le firent Adam et Eve (“L'homme et sa femme se cachèrent devant le Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin“. -Gen 3.8), au point que Dieu est obligé de les appeler : (“Dieu appela l'homme : Où es-tu ?“),

David, au contraire, laisse toute sa personne être interpellée par Dieu.
Il laisse la lumière de Dieu balayer le fond de son cœur. Et dans une repentance véritable qui est bien autre chose qu’une culpabilité morbide, il rebondit dans l’existence !
“D'un cœur brisé, broyé, Dieu, tu n'as point de mépris“ (v/19)
“…Crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit nouveau“. (12)

C’est alors comme une nouvelle création due à un amour purement gratuit de la part de Dieu !

Il a fallu longtemps lutter contre la philosophie platonicienne après avoir d’abord essayé de penser la Révélation avec les catégories de cette pensée. Il était affirmé : “Le Bien est diffusif de lui-même !“. Alors, Dieu, étant le Bien absolu, se trouvait donc dans l’obligation de créer ! Et bien Non ! C’est par un acte absolument gratuit que Dieu a tout créé ! Par amour ! –

Et comme il a créé de cette manière, il peut également “re-créer“ par un amour purement gratuit, par un amour qu’il veut sans cesse renouveler, de sorte qu’après la faute de l’homme, il y ait des épousailles encore plus belles que les fiançailles originelles. Il faut lire le livre d’Osée pour se persuader que l’amour de Dieu est absolument gratuit, que l’amour de Dieu peut aller jusqu’à présider une “Nouvelle Alliance“ qui ne sera rien moins qu’une nouvelle création. Et cet Amour divin culminera, bien sûr, jusqu’en l’“Alliance“ scellée par le sang du Christ ! PAR AMOUR !

Cet appel à une nouvelle création en son cœur, David le lance, après avoir reconnu sa faute !
“Vois : mauvais je suis né, pécheur ma mère m'a conçu.
Mais détourne ta face de mes fautes, et tout mon mal, efface-le.
Dieu, crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme;
Rends-moi la joie de ton salut, assure en moi un esprit magnanime“.


Remarquons pour finir que ce psaume dit “de pénitence“ offre les articulations essentielles de toute “démarche de réconciliation“ :
- Après la demande d’intervention (3-4),
- vient l’exposé de la situation qui est une confession des péchés (5-8).
- Puis la demande se renouvelle avec une supplique pour l’absolution (9-11)
- et un désir de rénovation (9-11).
- Elle se termine par une action de grâce (15-21)
- et une prière d’intercession pour Jérusalem (20-21).
Bel exemple de confession !

Durant ce carême, puissions-nous suivre la démarche de David. Il sait, lui, qu’une intervention divine est nécessaire pour infuser en lui fermeté et droiture afin de ne pas retomber dans le péché. Il s’agit bien pour lui d’une nouvelle création. St Paul l’avait parfaitement compris, lui qui affirme aux Galates : “Ce qui importe, ce n’est ni la circoncision, ni l’incirconcision, c’est la nouvelle création“ (Gal 6.15). Pour l’apôtre, il s’agit uniquement de recevoir la grâce du Christ, mort et ressuscité, et d’être ainsi introduit dans la nouvelle création, afin d’y vivre pour Dieu, en union à son Fils ressuscité !

jeudi 23 février 2012

Liberté !

Jeudi ap. Cendres. - (Deut. 30.15-20)

“Si tu écoutes les commandements de ton Dieu… !“. C’est ainsi que Dieu s’adressait à son peuple pour réaliser l’“Alliance“, au Sinaï. Je te propose… A toi de choisir…

On n’aime pas guère ce langage aujourd’hui ! Des commandements et encore des commandements… Et notre liberté ? qu’en fait-on ?

La liberté a été le grand rêve de l'humanité, dès le début de l’humanité (avec le symbole de la “Tour de Babel“ !), mais particulièrement à l'époque moderne. Nous savons que Luther affirmait que la Règle monastique, la hiérarchie, le magistère lui apparaissaient comme un lien d'esclavage dont il fallait se libérer. Par la suite, la période du “Siècle des Lumières“ a été guidée, pénétrée par ce désir de liberté, que l'on considérait avoir finalement atteint… Et aujourd’hui, la liberté, comme dit notre pape Benoît XVI, est devenue le libertinisme ! Ce n’est plus la liberté, mais plutôt l’échec de la liberté !

On oublie que Dieu seul est libre parce qu’il est Dieu et qu’il ne doit à personne son existence.

Une liberté créée est donc un paradoxe, puisqu’elle suppose une origine non libre (Je n’ai pas demandé à venir à l’existence !). Une liberté créée est une liberté – un peu comme celle d’un adolescent face à ses parents -, qui se construit dans le dessein d’un autre : Dieu ! Certes, la dépendance serait épouvantable si ce Dieu Créateur était un tyran, comme les tyrans humains (aujourd’hui encore !).

Si, au contraire, ce Créateur nous aime - or “Dieu est Amour !“ -, notre dépendance signifie alors être dans l'espace de son amour, être dans la charité de Dieu, Créateur par amour, participer, si nous le voulons - “A toi de choisir“ - à son pouvoir créateur, à sa liberté absolue d’amour.

C’est là que réside notre propre liberté : être et agir en Dieu, avec la liberté de Dieu-Amour. L’homme est doté d’une vocation à laquelle cependant il doit répondre librement, par amour. “Si tu veux… Choisis… A toi de voir“ ! Une liberté créée est avant tout une vocation à devenir libre…, de la liberté d’amour de Dieu ! Et c’est jour après jour que nous réalisons notre liberté en union avec Dieu-Amour… par divers choix.

Ce discours en irrite beaucoup. C’est vrai que nous avons une liberté limitée, que nous sommes libres sous condition, sous condition divine !

Alors, l’homme moderne décrète : c’est mauvais ! Puisque ce n’est pas la liberté totale, ce n’est pas la liberté du tout. Tout ou rien ! C’est une réaction adolescente, voire infantile. Et tout homme, tout chrétien passe un jour ou l’autre par cette révolte infantile avant d’accepter d’être “contraint“ de devenir libre selon le dessein d’un Autre. Comme pour l’adolescent avec ses parents - même si comparaison n’est pas raison - Dieu apparaît d’abord comme un concurrent, un rival qui nous empêche d’être des dieux libres par nos propres forces ! Au lieu de le devenir par vocation divine !

St Irénée avait bien compris cela : “Il te faut d’abord garder ton rang d’homme ; et ensuite seulement recevoir en partage la gloire de Dieu. Car ce n’est pas toi qui fais Dieu, mais Dieu qui te fait“.

Après St Paul ! Car l’apôtre a une réflexion remarquable à ce sujet : “frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! Mais, par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres“. (Gal 5.13)

- “Que cette liberté ne donne aucune prise à la chair !“. - Dans le langage de Paul, la “chair“, ce n’est pas le “corps“ : ce mot est l'expression du “Moi“ rendu absolu, du “Moi“ qui veut être tout et prendre tout pour soi, ce “Moi“ absolu qui ne veut dépendre de rien ni de personne pour acquérir par lui-même une prétendue liberté : Je suis libre si je ne dépends de personne, si je peux faire tout ce que je veux. Or, ce “Moi“ rendu absolu est précisément “chair“, c'est-à-dire destiné à une dégradation inéluctable. Car, en réalité, l’homme n’est pas un absolu, comme si le “Moi“ pouvait s’isoler et se comporter selon sa volonté propre ; il reste créature, devant donc vivre dans une relation avec le Créateur. Créatures, nous sommes des êtres obligatoirement relationnels. Ne pas accepter cela, c’est nous mentir ; et nous mentant, nous nous détruisons ! Avec une liberté qui donne prise à la chair !

“Mais,

par l'amour, mettez-vous au service les uns des autres“
– Car si, délaissant notre “Moi“ rendu absolu qui engendre une fausse liberté, nous nous mettons en relation avec Dieu-Amour, dans le vaste espace de l'amour de Dieu-Créateur, nous sommes, du même coup, en relation véritable les uns avec les autres. En d'autres termes, la liberté humaine implique également être avec l'autre et pour l'autre, de sorte que chacun trouve sa place dans une sorte de symphonie de liberté à la louange de Dieu-Amour !

Sujet, certes difficile ! Aussi, St Paul a raison de conclure : Si vous vous laissez conduire par l’Esprit - l’Esprit d’Amour -, vous n’êtes plus soumis à la loi (de la chair), vous n’êtes plus esclaves, mais des hommes libres !

mercredi 22 février 2012

Souffle de vie !

Cendres 2012 - (Jl 2.12-18 – 2 Co. 5.20 – Mth 6.1-18)

Déjà, hier, avec St Marc, je me suis permis de vous encourager à vivre ce temps de Carême “à la suite du Christ“, en son mystère pascal !

Aujourd’hui, il serait bon de simplement vous solliciter au recueillement, au silence intérieur pour mieux entendre tout d’abord notre propre respiration, la respiration de notre vie que Dieu nous donne à chaque instant, une respiration faite d’un double mouvement d’inspiration et d’expiration !

En effet, les textes liturgiques nous suggèrent deux mouvements de vie, de comportements apparemment contraires : “sortir et entrer“, “expirer et inspirer“ :
- Par le prophète Joël, Dieu nous dit : "Revenez à moi... Déchirez vos cœurs... Réunissez le peuple... Sortez de vos maisons". (Joël 2/14)
- Tandis que Jésus, dans l'évangile de Matthieu (6/1-18), nous invite à ne pas nous donner en spectacle, à nous retirer : "retire-toi au fond de ta maison, ferme la porte et prie ton Père dans le secret."

Ces textes peuvent nous suggérer que notre foi - une foi qui donne Vie véritablement - doit être animée d'un double mouvement…, un mouvement, je dirais, de respiration vitale :
- Il faut un temps de concentration, de recueillement,
- puis une ouverture aux autres…
Puisse cette respiration spirituelle qui nous est donnée grâce au souffle de l’Esprit Saint, nous animer plus fortement tout au long de notre carême : inspirer le souffle divin en soi-même et l’expirer en témoignages divers…

Cependant l’évangile de Matthieu marque une insistance : les phrases s'enchaînent, se pressent, s'accumulent. Elles forment des appels - martelés - à d'abord inspirer sa foi à l'intérieur de soi. Est fortement fustigée la visibilité de ceux qui tiennent à se faire voir aux carrefours, sur les places publiques et jusque dans les sanctuaires de la prière. Gardez-vous d'attirer les regards. Ne claironnez pas votre charité. Faites l'aumône discrètement... Priez en secret ! A l’intérieur de vous-mêmes !

On le sait, St Matthieu a rassemblé, là, un florilège des conseils que Jésus donnait à ses amis. Il nous laisse ainsi deviner l'insistance du Maître. Vivre à l'extérieur de soi ou à l'intérieur ? Celui qui se veut fidèle n'a pas le choix. La priorité est clairement énoncée. Et pourtant, on se laisse si souvent tromper par le mensonge de l'extériorité, de l'apparence. La vérité de la présence divine est intérieure.

Les vrais adorateurs en “esprit et vérité“, dira Notre Seigneur à la Samaritaine (Jn 4.23-24), ni ne gravissent le mont Garizim ni ne montent à Jérusalem, si ce n'est que pour entrer en eux-mêmes, pour aller en eux-mêmes, au rendez-vous de Celui qui frappe à la porte du cœur.

Et si, chrétiens, nous sommes, nous devons être les ambassadeurs du Christ, comme dit St Paul, c’est que, d'abord et sans cesse “réconciliés avec lui“, “nous avons part à la sainteté de Dieu“, par son Esprit qui nous donne en permanence son souffle de vie !

Certes, viendra un moment où l’on rendra notre “dernier souffle“ ; mais ce sera dans la certitude que Dieu à qui on expire, on remet, à chaque instant, notre souffle de vie, pourra nous le rendre pour une Vie éternelle, pour partager sa Vie pleinement ! Ainsi dit le psaume (104)
“Seigneur, tu leur reprends le souffles, ils expirent
et retournent à la poussière.
Tu envoies ton souffle, ils sont créés ;
et tu renouvelles la surface de la terre“.

Car, pour Dieu, il n’est pas plus difficile de recréer que de créer. Et la certitude d’un Dieu qui mène par-delà toute mort, par-delà tout (“al mouth“, dit l'hébreu : "à jamais" - ps. 48) nous est donnée par le Christ mort et ressuscité !

Aussi, avec le psaume 118, chantons tout au long de ce carême :
“Non, je ne mourrai pas, je vivrai et je chanterai“ !
Je chanterai les merveilles de résurrection de mon Dieu !
Toute ma vie, je chanterai le Seigneur ;
Le reste de mes jours je jouerai pour mon Dieu.
Que mon poème lui soit agréable !
Et que le Seigneur fasse ma joie“
(Ps 104).

N’ayons donc aucune mine de tristesse !
Et “bon Carême“ dans une grande respiration de joie !

mardi 21 février 2012

Morale de "Mardi-gras" !

7 T.O. Lundi - (Mc 9.30sv)

Notre lecture de St Marc au long des semaines du T.O. va être interrompue par le temps liturgique du Carême que je vous souhaite déjà spirituellement très profitable.

D’ailleurs, l’évangile d’aujourd’hui débute toute une argumentation qui illustre un des thèmes favori de Marc : pour connaître vraiment qui est Jésus, il faut sans cesse le suivre ! Route de Carême !

Aussi, à partir de notre évangile d’aujourd’hui jusqu’à l’entrée de Jésus à Jérusalem, l’enseignement de l’évangéliste est une suite de petits exposés pratiques touchant des questions très concrètes de la vie : préséance, les faibles et les forts, la famille (mariage, divorce, enfants…), les richesses, le désir de pouvoir, etc…

Et il est utile de remarquer que l’encadrement géographique de cet enseignement pratique n’est plus la mer de Galilée, avec ce va-et-vient d’une rive à l’autre comme dans la section précédente (la “section des pains“). Jésus commence maintenant un itinéraire précis : il part de la Galilée, passe dans “la région de Judée et au-delà du Jourdain“ (10.1), puis monte à Jérusalem à partir de Jéricho. La section se caractérise donc par cette montée vers Jérusalem, chemin unique pour tout disciple marchant à la suite de Jésus (N’est-ce pas un bon itinéraire pour un temps de Carême ?).

Naturellement, cet itinéraire va être marqué à plusieurs reprises par l’annonce du sort qui attend le Fils de l’Homme en la ville Sainte ! Annonce qui culmine en cette affirmation : “Le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude“ (10.45).

Il est donc très remarquable que St Marc ait greffé toute sa catéchèse morale sur la passion du Christ. Et c’est profitable pour nous à l’occasion du temps du Carême qui va commencer. Au lieu de moraliser ou de renvoyer à tel ou tel précepte scripturaire, l’évangéliste ne connaît plus d’autre fondement de la morale chrétienne que l’imitation du Christ qui monte à Jérusalem. C’est à partir de la destinée du Christ en cette ville qu’il faut comprendre les exigences pratiques de la vie chrétienne. Rien d’étonnant alors que, pour Marc, cette vie chrétienne doit revêtir un aspect radicale, sans compromission !

Aujourd’hui, il est question de préséances dans la Communauté. Ensuite, il sera question de ceux qui, tout en se réclamant du Christ, n’adhèrent pas à la discipline communautaire, tel celui-là qui chasse les démons et qui “ne nous suit pas !“, protestent les apôtres (v/38). Plus généralement, on évoquera les faibles, les hésitants, ceux qui sont tentés de tomber dès qu’il y a “persécution pour la Parole“ (v/43-48).

Marc semble à la fois très ouvert et très exigeant : “Qui n’est pas contre nous est pour nous“, mais encore : “coupe, retranche arrache…“ oeil, main, pied s'il le faut (v/42sv). Et le tout se ramasse dans la proposition finale : “Ayez du sel en vous-mêmes“, ce sel qui est l’exigence du Royaume, avec lequel, au jugement, “chacun sera salé au feu“ (v/49). Et le chapitre 10ème manifestera la même exigence.
Marc paraît d’une moralité radicale. Matthieu et Paul manifestent, eux, une autre sensibilité à l’égard de tout ce qui est faiblesse, voire péché. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne veulent certes pas amoindrir les exigences de la vie chrétienne. Mais Matthieu ne pourrait juger ni retrancher qui que ce soit “avant le temps“ (Mth 8.29). Quant à Paul, il a découvert dans sa propre vie que la faiblesse est le moyen que Dieu prend parfois pour sauver ce qui semble perdu ! (Cf 2 Co 11 & 12).

En tous les cas, pour Marc, ce qui est inéluctable dans l’existence chrétienne, c’est la Croix. La gloire, elle, est entièrement gratuite, échappant à toute prévision, connue de Dieu seul : “c’est pour ceux à qui cela a été préparé… !“ (10.40). A ceux qui demande tout (comme Jacques et Jean : les premières place dans le Royaume), Marc propose la grandeur paradoxale de ce Fils d’homme, venu pour servir, jusqu’à donner sa vie pour la multitude (10.45).

L’“Imitation“ de Jésus-Christ, thème devenu fréquent depuis le Moyen-Age, constitue la clé de toute la “morale“ de Marc. Toujours, Marc nous convie à repenser toutes nos pratiques, nos actions, nos drames et nos désirs à la lumière unique du grand drame où Jésus “s’étant livré aux mains des hommes a été mis à mort et est ressuscité après trois jours“ (9.31).

Mes propos dépassent largement l’évangile du jour, prenant appui sur la suite du récit que nous ne lirons pas, demain étant l’entrée en Carême. Mais j’ai pensé, comme vous l’avez constaté, que le discours de l’évangéliste est une bonne invitation à vivre intensément ce temps liturgique pour mieux “suivre“ le Christ et donc mieux le connaître.
Marc serait finalement une bonne lecture de carême, même si aujourd’hui, c’est, dit-on “Mardi-gras“. Il me semble que Marc n’aurait pas très bien compris cette expression nullement évangélique. “Mardi gras !“ “Mardi-gras !“. Dites-moi d’ailleurs : Y aurait-il donc beaucoup de “Mardi-maigre“ ? … Peut-être, oui, pour un certain nombre de nos frères auxquels le Carême nous invite à penser tout spécialement. C’est ma "Morale à moi" qui rejoint, me semble-t-il, celle de Marc, une “Morale de Mardi-gras“, veuillez m’en excuser !

lundi 20 février 2012

Prier et croire !

7 T.O. Lundi (Mc 8.11-13)

Pierre a donc révélé l’identité de Jésus tant recherchée depuis le début de l’évangile de Marc. A la question sans cesse répétée : “Mais qui est donc cet homme ?“, Pierre, affirme, finalement, avec force : “Tu es le Christ !“. Même si la vision de foi du chef des apôtres n’est pas encore ferme, claire, comme pour l’aveugle guéri de Bethsaïde en un premier temps, elle n’en reste pas moins exacte.

Aussi, Jésus de préciser - nous l’avons constaté - que pour le connaître vraiment, il faut sans cesse le suivre. Il faut le suivre jusqu’à l’abaissement total de la croix qu’il doit subir à Jérusalem, prélude à son entrée dans la gloire de son Père, - gloire entrevue à la Transfiguration -. Et tous ceux qui veulent bien le suivre entreront alors en cette même gloire. C’est le véritable Royaume de Dieu qui se dessine !

Et le Seigneur de détailler comment le suivre. Ce sera l’exposé de Marc dans les chapitres 9ème (fin) et 10ème, exposé qui forme comme une catéchèse touchant des questions concrètes. Mais cette catéchèse est encadrée par deux miracles : celui de la guérison d’un enfant, et celui de l’aveugle Bartimée (encore un aveugle qui voit !).

C’est le premier miracle qui est relatée dans notre évangile d’aujourd’hui. En réalité, il s’agit moins de miracles que de récits édifiants qui mettent l’accent sur les attitudes que doivent avoir ceux qui rencontrent le Christ et qui se sont mis à le suivre ! Le miracle ne sert plus à révéler l’identité de Jésus. Ce n’est plus nécessaire. Il sert à dégager les exigences pratiques qu’implique cette marche à la suite de Jésus.

Ainsi le miracle d’aujourd’hui se voit enrichi d’un enseignement pour ceux qui suivent le Christ, un enseignement sur la foi et la prière.
- Au père de l’enfant malade, “Jésus dit : Tout est possible pour celui qui croit. Aussitôt (Toujours ce “aussitôt“ chez St Marc !), le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! »“. Une formule paradoxale propre à la catéchèse de Marc et qu’il est si bon de retenir et de répéter nous-mêmes !
- Et à la fin du récit, faisant allusion au mauvais esprit que possédait l’enfant malade, Jésus confie : “Ce genre d’esprit, rien ne peut le faire sortir que la prière“.

LA FOI ! Et la PRIERE ! Retenons cette indication pour aujourd’hui !

La PRIERE ! Pour ne pas m’étendre sur un sujet si vaste, je me contenterai de citer un texte de Georges Bernanos (tirée de son “Journal“) qui peut fortement nous encourager à prier :
“Nous nous faisons généralement de la prière une si absurde idée. Comment ceux qui ne la connaissent guère - peu ou pas - osent-ils en parler avec tant de légèreté ? Un trappiste, un chartreux travaillera des années pour devenir un homme de prière, et le premier étourdi vous prétendra juger de l'effort de toute une vie.
Si la prière était réellement ce qu'ils pensent, une sorte de bavardage, le dialogue d'un maniaque avec son ombre, ou moins encore - une vaine et superstitieuse requête en vue d'obtenir les biens de ce monde -, serait-il croyable que des milliers d'êtres y trouvassent jusqu'à leur dernier jour, je ne dis pas même tant de douceurs - ils se méfient des consolations sensibles - mais une dure, forte et plénière joie ?
Par quel miracle ces demi-fous
(ces êtres de prière), prisonniers d'un rêve, ces dormeurs éveillés semblent-ils entrer plus avant chaque jour dans l'intelligence des misères d'autrui ? Etrange rêve, singulier opium qui, loin de replier l'individu sur lui-même, de l'isoler de ses semblables, le fait solidaire de tous, dans l'esprit de l'universelle charité…“
La prière ! Une suggestion ? … “Quel homme de prières a-t-il pourtant jamais avoué que la prière l'avait déçu ?“.

La FOI ! “A quoi ça sert ?“, demande-t-on. C’est une fausse question. La foi, c'est comme l'amour et comme l'art. C'est quand on en a une vision utilitaire qu'on ne les comprend pas. On passe à côté de l'essentiel quand on dit que l'artiste travaille pour de l'argent ou que quelqu'un se marie pour “avoir“ une femme, un homme à sa disposition. De même, on ne croit pas pour "sauver son âme" ou "par sécurité"…

Quand on crée de la beauté, c'est d'abord et surtout parce qu'on s'en trouve capable et qu'on en a envie ; quand on aime, c'est d'abord et surtout parce qu'une rencontre a eu lieu qui comble le cœur ; quand on croit, c'est d'abord et surtout parce qu'on est entré en relation avec un Dieu qui s'est révélé. … Et va-t-on juger l'art d'après les artistes qui font passer le désir de l'argent ou la quête de célébrité avant la recherche du beau ? Va-t-on cesser de croire à l'amour parce qu'il y a beaucoup de couples qui se défont ? De même pour la foi : il faut la penser d'après ceux qui la vivent véritablement et qui affirment : Dieu n'est pas du domaine de l'utile. Dieu est RELATION. Et la foi est cette recherche sans cesse inassouvie de cette Relation ! Une Relation toujours présente et toujours en recherche !

La Foi et la Prière ! La prière et la foi, recommandait Jésus pour ceux qui le cherchent et qui veulent toujours le suivre ! Aussi pourrait-on conclure cette catéchèse de Marc par ces paroles lapidaires de Mère Térésa :
“Le fruit du silence est la prière… Le fruit de la prière est la foi… Le fruit de la foi est l’Amour… Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Tu aimeras ton frère !

dimanche 19 février 2012

La foi : crever un toit !

7e Dimanche du T.O. 12/B

Depuis quelques dimanches, un même refrain revient à nos oreilles : “Lève-toi !”.
- Il y a trois semaines (4e T.O.), on voyait un possédé que l'esprit mauvais secouait fortement. Jésus remet l’homme debout !
- Le dimanche suivant (5e T.O.), on assistait à la guérison de la belle-mère de Simon-Pierre. Elle était au lit avec de la fièvre. Jésus la remet debout au point que sur le champ elle prépare le repas et sert à table ! Pas même besoin de convalescence !
- Dimanche dernier, Jésus guérissait un lépreux. Et il se met à courir partout, proclamant la nouvelle de sa guérison. Il devient un homme bien debout parmi les hommes.

Aujourd'hui, nous avons un double “Lève-toi !”.
- Non seulement “Lève-toi” : ton péché n'est plus en toi ni la lourdeur qui paralysait les jointures de ton cœur et de ton âme ;
- mais : “lève-toi” de ton grabat. Ne sois plus un homme mort, dans la position des allongés, mais un homme debout, capable de ridiculiser le symbole de la mort elle-même en portant sous le bras ton brancard.

Imaginez la scène : une petite maison de Capharnaüm (peut-être la maison de Pierre) avec son toit en terrasse. Un petit escalier extérieur permet d'y accéder. La maison est pleine à craquer, autour de Jésus. Et même, on s’agglutine à de la porte. Comment faire entrer un homme sur un brancard avec les quatre gaillards qui le transportent ? Rien ne les arrête. Les voilà qui hissent le malheureux sur la terrasse et crèvent le toit. Il devait être en torchis et en feuillage, comme c’était courant à l’époque. Ils descendent le brancard et le malade à travers le toit. Les gens se bousculent ! Pensez donc : ils reçoivent les gravats sur la tête et dans le cou. Ils sont bien obligés de faire place.

Et que fait Jésus ? Eh bien, Jésus voit leur foi, une foi qui ne s'exprime pas en paroles - apparemment, ils n'ont pas dit un mot -, mais en actes. Leur foi, ce fut de crever le toit ! Au fond, la foi, croire au Christ, c'est souvent crever le toit, c’est-à-dire lui faire tellement confiance qu'on le provoque à l'impossible.

En réponse, Jésus lui aussi crève un toit plus épais que celui de la maison.
- Il va pénétrer dans le corps de cet homme muré dans son infirmité : “Lève-toi et marche” !
- Il va pénétrer dans le cœur de cet homme paralysé par son péché : “Tes péchés sont pardonnés”.

Dans la foule, il y a des hommes qui épient Jésus. Naturellement ! Ils ne disent rien, eux non plus, mais n'en pensent pas moins : “Cet homme blasphème, qui donc peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ?”. Jésus pénètre aussi leur pensée et va crever le toit de leurs préjugés : “Quel est le plus facile de dire : 'Tes péchés sont pardonnés' ou bien de dire : 'Lève-toi, prends ta civière et marche' ?”.

Crever le toit, crever la muraille qui paralyse le corps et le cœur d'un homme, crever le toit des préjugés, voilà ce qui s'est passé autour de Jésus, il y a 2000 ans.

Et aujourd'hui, qu'est-ce qui se passe autour de Jésus qui nous rassemble ? Après avoir entendu l'évangile, la question est simple : “Ma foi au Christ ressemble-t-elle à la foi de ces quatre gaillards qui ont osé crever le toit pour provoquer Jésus à l'impossible ?”. Posons cette question pour chacun de nous et, également, pour nos communautés chrétiennes. Que donnons-nous à voir de notre foi ?

Ce matin, des millions de chrétiens sont entrés dans une église. Pourquoi ? Parce que c'est dimanche ? Ont-ils poussé tardivement ou mollement la porte pour entrer, par habitude... routine... pire, par convention et non par conviction ? Ou, au contraire, combien ont, en quelque sorte, forcé la porte, comme on crève un toit, pour se tourner résolument vers le Christ dans la confiance absolue, en portant le brancard de leur paralysie et de celles du monde ?

En effet, en continuant de lire, l'évangile nous interpelle : les quatre hommes ont porté leur ami malade aux pieds de Jésus. Et nous, qui avons-nous transporté avec nous dans cette chapelle ? Qui portons-nous dans notre prière ? Ceux peut-être que nous avons laissés à la maison et qui ne partagent peut-être pas notre foi ? Et cette souffrance du cœur, Jésus peut la guérir... Ou encore, bien sûr, des amis écrasés par un deuil ?... ou une autre souffrance, dure à porter… … Oui, qui portons-nous en notre cœur… et surtout avec quelle foi ?

Guy Aurenche, le fondateur de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), raconte volontiers cette histoire suggestive. Un jour, au cours de ses vacances, il est passé par la Bretagne avec sa famille. En fin d'après-midi, ils sont entrés dans une abbaye. Et, le soir, ils ont participé à la prière monastique. Au cours de l'office, un de ses enfants - 9-10 ans - s'est penché vers sa maman et lui a dit : “Ils font çà si sérieusement ! J'ai l'impression qu'ils veulent réussir !”. On peut souhaiter que, dans cette chapelle, nous fassions cela si sérieusement que quelqu'un puisse nous dire : “J'ai l'impression que votre foi doit réussir”, crever le toit de l’impossible ! Bien ! Mais attention encore - et c’est encore plus important - : le chrétien qui s’intéresse à l’architecture de la cathédrale peut en oublier le Saint-Sacrement ; cela arrive malheureusement. Le religieux qui soigne sa tenue monastique ou ses attitudes liturgiques peut oublier d’habiller son âme ! Cela arrive malheureusement !

Cependant la question demeure : qu'est-ce que les chrétiens donnent à voir dans les églises ? Et aussi en dehors des églises, les autres jours de la semaine ? Impossible, en effet, d'enfermer le Christ dans les églises de pierre. Il habite la ville, les villages, les marchés, les usines, il habite le cloître et tous les lieux conventuels d’un monastère. Qu'est-ce que nous donnons à voir de notre foi au Christ ? Question importante, finalement !

Nous avons tous entendu ces phrases terribles. “À quoi bon être chrétien ? Ça sert à quoi ? Ça ne change rien !”.

C'est vrai, ça ne change rien, si la foi se résume à quelques moments de prières plus ou moins fugaces ou conventionnels. Cela ne change rien si les chrétiens n'essayent pas, “par la porte ou par la fenêtre ou en crevant le toit”, de changer, là où ils se trouvent, de changer la vie, leur vie, et d’essayer de mettre tout homme debout : “Lève-toi et marche !”.

Mais restons positifs : Y a-t-il un seul jour, depuis vingt siècles, qui n'ait vu des hommes, des femmes, changer leur vie, changer la vie, à cause de Jésus ? Nous avons tous en tête des exemples plus ou moins célèbres. Et tous, nous connaissons des hommes, des femmes, des amis qui savent aimer, se dévouer jusqu’au sacrifice, à cause de Jésus, qui gardent ce “goût de l’impossible”, qui savent que Dieu a déposé en leur cœur cet amour capable de “crever des toits”, faire sauter des murailles et des frontières là où ils vivent, simplement.

Durant la semaine qui vient, essayons de nous mettre à l’école de ce paralysé et de ses porteurs !

Mais, au fait, dites-moi, que sont-ils devenus, ces porteurs de paralytique ? L’évangile n'en dit rien. Ils sont repartis, sans doute illuminés par la rencontre avec le Seigneur. On ne sait même pas leur nom. Mais ne cherchons pas trop. Le paralysé qui veut guérir et ses quatre porteurs, ils n'ont cessé de marcher depuis 20 siècles : c'est vous, c'est moi, c'est nous, … si nous le voulons !

vendredi 17 février 2012

Suivre le Christ !

6 T.O. Vendredi (Mc 8.34-9.1)

Avec l’évangile d’hier et celui de demain, nous sommes au cœur de l’évangile de Marc !

Jusqu’ici la grande question était : “Mais qui est donc cet homme ?“, Jésus. Nul n’a parlé comme lui avec une telle autorité. Et il accomplit des merveilles : il fait parler les muets et rend la vue à des aveugles. Même les démons lui obéissent ! Qui est-il donc ?

Et enfin, après la multiplication des pains, le SIGNE par excellence où Jésus se révèle de plus en plus - nouveau Moïse -, après les atermoiements des apôtres, Pierre, futur chef des apôtres, affiche sa foi : “Tu es le Christ !“.

Ainsi, la confession de Pierre à Césarée constitue une véritable décharge, après huit chapitres d’attente, d’essais infructueux, d’erreurs même sur l’identité de Jésus - c’est souvent notre cas, n’est-ce pas ? -. Les disciples paraissant avoir “l’esprit bouché(6.52), n’y comprenant rien (8.17-21), voilà qu’éclate enfin, pour la première fois, la reconnaissance de la véritable identité de Jésus !

Mais comme l’aveugle de Bethsaïde que Jésus vient de guérir, la vision de Pierre manque de clarté. Il voit bien, certes ! Mais il voit mal encore. Il voit en Jésus un Messie encore trop temporel. Il proteste quand Jésus parle de passion, de croix, de résurrection d’entre les morts le troisième jour, et de sa venue en gloire. Pierre (et parfois nous-mêmes avec lui) ne comprend pas !

Et si Jésus le rabroue, il lui fait comprendre en même temps - c’est notre évangile - que pour le “voir vraiment“, avec netteté, il lui faudra le suivre jusqu’au bout, jusqu’à la mort sur la croix qui sera suivie de sa manifestation dans la gloire de son Père, ce qu’annoncera clairement le récit de la Transfiguration (Evangile de demain).

Il faut suivre le Christ ! Pour bien le connaître ! St Marc le souligne fortement. Et remarquons-le, cette exhortation s’adresse autant aux apôtres qu’à la foule : “Jésus appela la foule avec ses disciples“ ; elle s’adresse à tout homme : “Si quelqu’un (n’importe quel quidam, dirait-on) veut venir à ma suite…“ (v/34). “Et quel avantage l’homme (en général) a-t-il à gagner le monde entier ?“ (v/36).

Il s’agit donc d’être toujours “en chemin“, “sur le chemin“ avec le Christ. L’expression revient souvent sous la plume de Marc. Et ce “chemin“, il l’indique clairement : la route vers Jérusalem et l’itinéraire qui consiste à le suivre sur son “chemin de croix“, avant son entrée dans la gloire du Père !

L’originalité de St Marc consiste à avoir rattaché immédiatement à la première reconnaissance du Christ l’annonce du sort de souffrance et de mort qui attend le Messie. Au moment même où, avec Pierre, on croit enfin pouvoir le saisir, le connaître, Jésus révèle lui-même quelle destinée de souffrance cette identité implique.

[Le P. Benoît Standert (un spécialiste de Marc) fait une comparaison intéressante : « Dans “L’Annonce faite à Marie“ de Paul Claudel, il y a un moment crucial du retour sur scène de Violaine. C’est précisément à l’instant où tout le monde croit pouvoir se réjouir de la revoir enfin qu’elle se révèle marquée par la lèpre. Le drame se poursuit en chacune des personnes présentes : il s’agira dorénavant d’accepter Violaine avec sa lèpre, et d’entrer avec elle dans son mystère - elle qui a assumé son sort jusqu’au bout ».]

Ainsi, Jésus, bien identifié comme Christ, déchire le voile de cette identité en quelque sorte pour révéler le mystère de l’ignominieuse croix qui l’attend. En rattachant la “Confession de Pierre“ et l’annonce de la Passion l’une à l’autre comme en une seule intrigue, Marc établit le paradoxe de toute sa catéchèse, le paradoxe de la vie chrétienne : anéantissement et résurrection. Le chrétien, selon Marc, doit passer par cet unique mystère paradoxal : mort et vie !

De plus, on peut dire que l’histoire des premières persécutions, et en particulier la mort cruelle de tant de chefs de Communautés (Jacques, Pierre, Paul), presse l’évangéliste, survivant de la première génération, à centrer tout son évangile sur le mystère pascal.

On mesure toute la gravité et le sérieux de l’évangile de Marc. La condition chrétienne consiste à “marcher“ à la suite de Jésus, fils d’homme, qui sera rejeté, crucifié, mais qui appartient à Dieu. Mais dès le début et au-delà de sa mort, Dieu a mis en lui toute sa complaisance et l’appelle “Mon Fils bien-aimé(1.11 ; 9.7). Marc nous invite donc à un acte d’abandon unique et entier qui nous fait passer, par-delà l’ignominie de la croix, à la gloire du Ressuscité. Même si la gloire n’est apparue qu’un instant et à quelques-uns seulement (les trois apôtres privilégiés de la Transfiguration), tandis que la croix semble dominer toute l’existence, il reste cette émouvante proximité de celui qui a souffert pour nous. Proximité qui est révélée aux mêmes trois apôtres : “Et ils ne virent plus personne, que Jésus seul !“

Puissions-nous vivre de cette présence : “JESUS SEUL !“.

jeudi 16 février 2012

Fidélité !

6 T.O. Jeudi -- (Mc . 27-33)

Aujourd’hui, je ne commenterai pas spécialement ce passage de l’évangile de Marc qui forme pourtant avec ceux d’hier et de demain la partie centrale de l’écrit de Marc (Je le ferai peut-être demain). Je vous transmets simplement une réflexion à propos de la fidélité, notre fidélité au Seigneur !

Car nous comprenons facilement la réaction de Pierre lorsqu'il entend la première annonce de la passion de son Maître. Jusqu'alors, Jésus avait annoncé la venue du Royaume de Dieu, règne de justice, de paix ; or, voici qu'il parle désormais de souffrir, de subir le pire des supplices. Pierre proteste, c'est logique. N’aurions-nous pas fait comme lui ?

Mais Jésus, lui, ne peut que réagir : inconsciemment, son apôtre remet en cause sa fidélité à la mission reçue de Dieu son Père. Pour annoncer que Dieu aime tout homme sans distinction, pour annoncer que tous les hommes sont appelés à s'aimer, pour annoncer la vie, la Vie même de Dieu, Jésus est prêt à affronter aussi bien chefs juifs qu’autorités romaines, à affronter le mal, le mal par excellence, la mort elle-même. “O mort, où est ta victoire ?“ (I Co. 15.55), s’écrira plus tard St Paul ? Aussi, il s’en remet fidèlement, il s’en remettra toujours à son Père de son destin final.

Aussi, Pierre devient, par sa réaction, un tentateur comme Satan l'avait été dans le désert. Non, en bon disciple, il doit encore apprendre, et surtout accepter de renoncer à ses rêves d'un Messie triomphal, oublier ses vues personnelles pour accueillir celles de Jésus sur un Royaume qui ne sera pas de ce monde. A celui qui lui disait : "Nous, nous avons tout laissé pour te suivre !", Jésus demande d'abandonner encore ce qui lui reste, c'est-à-dire son moi intérieur, fougueux et trop attaché à des ambitions humaines (pour éviter cette “inversion sacrilège“ dont je parle souvent : faire passer nos pensées avant celles de Dieu !).

Lors de la passion de Jésus, Pierre sera éprouvé et épuré par l'expérience douloureuse de sa lâcheté. Même la victoire de Pâques sera pour lui autant d’abord une épreuve de sa foi qu'un signe de réconfort et de paix. C'est surtout à la Pentecôte que, éclairé, fortifié par l'Esprit-Saint, il percevra la grandeur de cette fidélité que Jésus lui demandait ("Suis-moi"). Alors, il demeurera fidèle jusqu' au martyre, comprenant parfaitement la vérité de cette mystérieuse parole : "Qui perd sa vie pour moi, la gagne !"

Par cette page d’évangile, nous sommes invités à réfléchir, nous aussi, sur notre fidélité à suivre le Christ.

Reconnaissons-le : en chacune de nos vies se succèdent des hauts et des bas, comme l’on dit. - Nous vivons des moments de foi vive, de clarté ; et, nous aussi, nous nous écrions : "Seigneur, tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant !" – Mais nous traversons aussi des heures de doute, de découragement, voire de contestation intérieure. Mère Térésa avouait cela avec grande humilité ! Et bien des saints avant elle !

Or, la fidélité appelle à la persévérance à travers années et circonstances diverses ! Le temps, les événements éprouvent, usent, remettent en cause bien des choses.
L'institution du mariage, par exemple, est souvent en question : "Pourquoi nous marier ?", demande-t-on, puisque nous ignorons ce que, plus tard, seront nos sentiments".
De même on conteste l'engagement définitif du prêtre, du Religieux. "Le monde change, dit-on, les hommes aussi et pourquoi pas l'Église ? Alors comment s'engager pour toujours ?"
Oui, la question est bien celle-ci : A quelle fidélité Dieu nous appelle-t-il ?

L'Évangile répond : face à la contestation de Pierre, il nous montre surtout la fidélité de Jésus,
- fidélité à la mission reçue de Dieu, son Père !
- et, ce qui nous touche peut-être davantage, fidélité envers ses disciples, fidélité envers ses amis.
Lors de la dernière apparition du Seigneur au bord du lac de Tibériade, trois fois Jésus demande à Pierre: "M'aimes-tu ?" Évidemment il lui offre ainsi le moyen d'effacer son triple reniement, mais il ne lui fait aucun reproche. Au contraire il le confirme dans sa mission : "Sois le berger de mon troupeau". Oui, Jésus reste fidèle !
Lorsque le Christ choisit quelqu'un pour en faire son ami, son choix est irréversible et, quand c'est nécessaire, son pardon demeure toujours offert. Saint Paul écrira : "Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même".

Et l'Évangile nous enseigne encore que Dieu, toujours, se sert de l'histoire et du temps. Pierre n'a pu comprendre l'ampleur de la mission de Jésus qu'au fur et à mesure qu'il en vivait lui-même. Plus il en vivait, plus il comprenait que sa fidélité à Dieu ne consistait pas à rester tourné vers le passé glorieux d'Israël, mais, au contraire, à s'ouvrir sur l'avenir que Jésus voulait lui faire découvrir. Une fidélité ouverte sur l'avenir, c'est ce qu'on appelle l'espérance.

Il en est de même pour nous. Nous devons vivre de cette fidélité pleine d'espérance, même si nous ne connaissons qu'une faible partie de ce que l'amour de Dieu a projeté pour chacun de nous.
En vérité, ni les jeunes qui se marient, ni les parents qui accueillent leur petit enfant, ni les jeunes qui consacrent leur vie par des vœux ne savent exactement à quoi ils s'engagent.
Mais ils en savent assez pour faire confiance à Dieu et à l'avenir qu'il leur prépare. - Leur fidélité n'est pas une crispation sur ce qu'eux-mêmes ont pu rêver à leur point de départ, mais elle devient une ouverture à tout ce que Dieu veut déployer dans leur vie. Dom Delatte, un abbé de Solesmes, avait coutume, paraît-il, de demander au futur profès, d’écrire le texte de leur chartre tout en haut du parchemin, car, disait-il, Dieu se chargera d’écrire la suite…

Voilà la fidélité évangélique : une ouverture pleine d'espérance, malgré parfois les circonstances contradictoires du moment ! Et cette espérance est toujours possible, car elle s'enracine dans la force du Christ qui, toujours, pardonne et sauve. Et cette force, si nous la demandons, ne saurait nous manquer !

mercredi 15 février 2012

L'aveugle qui voit !

6 T.O. Mercredi - (Mc 8. 22-26)

Hier (sans la fête des grands Saints Cyrille et Méthode), nous aurions dû entendre la longue apostrophe que Jésus adresse à ses apôtres eux-mêmes après la multiplication des pains, apostrophe qui souvent pourrait nous être destinée ! “Vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas ? Avez-vous donc l'esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? …Ne comprenez-vous pas encore ?" (Mc 8.17-21). Et l’absence de réaction de la part des apôtres aiguise encore plus la pointe du reproche. Ce n’est qu’un peu plus tard que le dialogue entre Jésus et les siens reprendra pour se finaliser par la déclaration de Pierre : “Tu es le Christ !“

Entre les deux évènements, il y a un épisode à la fois curieux et déterminant : la guérison d’un aveugle qui semble correspondre à la réprimande de Jésus : “Avez-vous des yeux et ne voyez-vous pas ?“. Aussi, on devine dès le début de cet épisode qu’à l’exemple de l’aveugle qui recouvre la vue, les disciples vont finalement et très vite voir eux aussi !

Notons - et c’est amusant et instructif tout à la fois - que la guérison est située à Bethsaïde. Le nom de ce village était déjà apparu (6.45) comme lieu de destination après le récit de la première multiplication des pains. En réalité, Jésus et ses apôtres avaient accosté à Génésareth (6.53). Avaient-ils loupé leur destination ? Sans doute ! Il est vrai que le vent avait été contraire et que Jésus, resté à terre, les avait rejoint pour les réconforter en marchant sur les eaux. Et le narrateur d’en profiter pour bien noter: “Il monta auprès d’eux dans la barque, et le vent tomba. Ils étaient complètement bouleversés. En effet, ils n’avaient rien compris au sujet des pains ; leur esprit était bouché !“ (6.52). Marc veut sans doute nous dire que tant que dure l’opacité des apôtres, ceux-ci errent et sur le lac dans leur esprit. Tempête extérieure correspondant à une tempête intérieure! C'est fréquent cela !

Ne sommes-nous pas nous-mêmes des sourds et des aveugles. Et, souvent, nous errons, nous aussi, de-ci de-là, au gré des vents du monde ou des tempêtes en notre propre cœur… Mais le Seigneur vient… Il monte dans la barque de notre vie… Et finalement, avec lui, après plus ou moins de temps, en accueillant parfois pour nous-mêmes les apostrophes que Jésus adressait à ses apôtres, nous arrivons à destination ! “Ils arrivent à Bethsaïde“, dit le texte ; et ils ne tarderont plus à reconnaître Celui qui est au milieu d’eux (ce sera la confession de Pierre : 8.27-29). On voit ainsi que certains éléments anodins, comme le jeu des traversées en barque, recouvrent une signification : Dieu nous conduit par-delà les aléas inattendus et incompréhensibles de notre vie. Ce n’est qu’avec le temps que nos yeux s’ouvrent et que nous nous écrions, comme Jacob : “Dieu était là ; et je ne le savais pas !“.

Parmi les détails les plus surprenants du court récit de notre évangile d’aujourd’hui, il y a le fait que l’aveugle recouvre la vue en deux temps. En un premier temps, il déclare “voir des hommes qui marchent“, mais les voir “comme des arbres“ ! Je ne vous conseille pas d’essayer de vous représenter ce qu’il voit ; personne n’y a réussi d’ailleurs ! Et la question n’est pas là, bien sûr ! La structure de ce curieux énoncé est plus simple qu’il n’y paraît : ce que l’aveugle voit de fait est bien inférieur à ce qu’il dit voir. Il affirme voir “des hommes qui marchent“ ; en fait il les voit “comme des arbres“, c’est-à-dire sans le mouvement.

Et bien, cette structure correspond exactement à celle de la confession de Pierre, quelques versets plus loin. De la même manière que Jésus interroge l’aveugle sur ce qu’il voit, il interrogera ses disciples sur son identité. La réponse de Pierre - “Tu es le Christ !“ - est certes très bonne. Mais quand, aussitôt après, Jésus enseigne à ses disciples le sort qui lui sera réservé en tant que Messie, Pierre proteste violemment. Il manifeste ainsi que sa réponse très exacte excédait cependant - et largement - ce qu’il reconnaissait effectivement en Jésus. Aussi sera-t-il réprimandé par celui-ci.
Et Jésus enseignera aussitôt : “Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive !“ (8.34). Autrement dit, ce n’est qu’en acceptant de suivre Jésus jusqu’au bout que Pierre verra le Royaume promis : il verra, annoncera Jésus, “le Fils de l’homme quand il viendra dans la gloire de son Père avec tous les saints anges“ (8.38). Il verra alors parfaitement ! Ainsi ce petit récit de la guérison de l’aveugle de Bethsaïde s’accomplira pour les apôtres dans la suite de l’évangile, s’accomplira pour tout disciple du Seigneur qui se met à la suite du Christ !

Pour terminer, je me permets deux petites observations :
° Dans la mentalité biblique, mourir jeune est un non sens : mise à part la sensibilité qui est en émoi, bien sûr, le jeune qui meurt n’a pas eu assez de temps pour - “marchant devant Dieu, avec Dieu“ -, travailler à accommoder son regard vers Dieu ! Le temps, normalement, nous est donné pour que - avec la présence du Seigneur en notre barque - nous arrivions à une sorte de “contraction du temps“ qui sera finalement le “temps sans temps“ : la vison éternelle de Dieu : le voir, non tel que nous l’imaginons, mais tel qu’il est ! Profitons du temps qui nous est donné !
° Deuxième observation, simple : la guérison de l’aveugle de Bethsaïde ! On a tous besoin d’un tel miracle ! Nous sommes tous tellement “bouchés“ ! Il y a beaucoup de guérisons d’aveugles dans l’évangile. Ils savent, eux, désormais voir la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse des hommes. Oui, nous avons tous besoin d’un tel miracle ! Prions…


lundi 13 février 2012

Etre "intelligent" !

6 T.O. Lundi - (Mc 8.11-13)

Il serait peut-être convenable aujourd’hui d’être aussi bref que l’évangile est court. Je vais m’y efforcer !

Rappelons cependant que cet épisode de la confrontation de Jésus avec les pharisiens se situe juste après la multiplication des pains. Et on se souvient de toute la signification très dense de cet évènement : le pain-nourriture, la manne, ce “pain du ciel“ dans le désert au cours de la pérégrination du Peuple de Dieu vers la Terre promise, sous la conduite de Moïse… Jésus apparaît, là, comme le vrai Moïse que Dieu avait annoncé à Moïse lui-même pour conduire son Peuple : “Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai“. (Dt 18.18).

Cette multiplication des pains est le “SIGNE“ par excellence : il dévoile l’identité de Jésus. Il est le Messie, comme le confessera peu de temps après St Pierre. Il est celui qui vient de Dieu pour réaliser la véritable Alliance de Dieu avec l’homme !

Cette multiplication prophétise encore le pain que le Seigneur donnera le Jeudi-Saint - “Je suis le Pain de vie“, avait-il dit (Jn 6.48) -, …comme il donnera sa vie, le lendemain, afin que nous puissions “obtenir la vie véritable(I Tm 6.19). Jésus donne ce pain de vie ; Il se donne lui-même. Il se donne à nous, aujourd’hui, par l’Eucharistie !

Et c’est juste après l’accomplissement de ce “Signe“ par excellence que les pharisiens, comme par hasard, sortent de leur embuscade si je puis dire, viennent discuter avec Jésus “pour le mettre à l’épreuve“ ! Ils réclament, eux, “un signe venant du ciel“, un signe à leur convenance qui puisse justifier, à leurs yeux, l’enseignement et les actes du Seigneur !

Mais Jésus n’a pas de meilleur signe que celui qu’il vient d’accomplir, un signe que les pharisiens refusent de déchiffrer. Aussi Jésus oppose une fin de non-recevoir : “Il ne sera donné aucun signe à cette génération !“. Autrement dit, l’attitude des pharisiens reproduit celle de la génération du désert qui mettait Dieu à l’épreuve en réclamant toujours de nouvelles preuves de sa puissance : "Jusques à quand ce peuple refusera-t-il de croire en moi, malgré les signes que j'ai produits chez lui ?" (Nb 14.11).

Demandons au Seigneur le don de l’intelligence : “intus legere“, savoir lire à l’intérieur des événements de notre vie les signes de la présence de Dieu. Dans la Bible, l’homme intelligent, c’est simplement celui qui cherche… qui cherche Dieu ! “Des cieux, le Seigneur s'est penché vers les hommes, pour voir s'il en est un d'intelligent qui cherche Dieu“ (Ps 14.2).

Pour cela il faut seulement être assez humble pour reconnaître d’abord que les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées : “Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes pensées au-dessus de vos pensées“. (Is 55.9). Il faut être assez humble pour savoir également que la Parole de Dieu, les pensées de Dieu ne descendent pas du ciel vers les hommes intelligents qui cherchent Dieu, sans recueillir des résultats (Is 55.10 sv). Bien plus, la Parole de Dieu, les pensées de Dieu peuvent alors, dans le cœur de l’homme intelligent qui cherche Dieu, avoir “la douceur du miel“, dit le prophète Ezéchiel (3.3) !

Les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées ! Autrement dit, le langage de Dieu est souvent paradoxal ; Dieu fait toujours éclater nos idées, si je puis dire, et “par en haut et par en bas“.
° par en haut : c’est le Dieu “Très-Haut qui crée ciel et terre“ (Gen 14.22) et toutes les merveilles qu’ils contiennent… Quel beau langage !
° par en bas : “Et le Verbe s’est fait chair“. Dieu dans une crèche, dans le village obscur de Nazareth…, sur une croix…, et jusque dans les apparences d’un peu de pain ! Quel mystère !

C’est Chesterton, je crois, qui disait que lorsque Dieu parle, toujours il fait “sauter le plafond et le plancher en même temps“. Dieu immanent et transcendant tout à la fois ! Quand Dieu parle à notre cœur, c’est d’autant plus sublime qu’on ne s’y attend pas. Et quand Dieu parle à notre cœur, c’est toujours également plus banal qu’on ne s’y attend. Dès lors, on devrait se méfier de tout sublime qui n’est pas banal. Les deux sont souvent inextricablement mêlés : il y en même temps le vent et l’Esprit, l’eau et l’eau vive, les noces et l’Alliance, le vin et le sang… etc… Dieu s’infiltre en notre vie de façon extrêmement banale et sublime en même temps ! Quoi de plus banal qu’un peu de pain. Quoi de plus sublime que la présence de Dieu ! Le SIGNE par excellence que pose Jésus !

Mais les pharisiens ne comprennent pas ce langage. Non seulement ils ne comprennent pas mais ils empêchent les spontanéités de l’intelligence d’aller d’en bas jusqu’en haut ; ils bouchent leurs oreilles comme l’aspic plaquant l’une contre terre et obstruant l’autre avec sa queue. “J’ai parlé, dit Dieu, et ils n’ont pas écouté“ ! (Is 66.4). Ils étaient dans leurs pensées, à eux !

Jésus parle très cruellement, à d’autres endroits, de ceux qui ont pris la clef de la connaissance ; non seulement ils ne sont pas entrés, mais ils empêchent ceux qui veulent entrer (Cf Luc 11.52) ! C’est terrible, cela !

dimanche 12 février 2012

Attention: Mystère !

6ème Dimanche du T.O. 12/B

Le récit de la guérison du lépreux va être lu aujourd'hui dans toutes les églises. Dans le monde, des millions de chrétiens vont l'entendre. Parmi eux, parmi vous, qui aura envie d'en reparler ?...
d'en reparler ..., vous venus ici, en rentrant dans votre voiture ?
d'en reparler ..., vous-mêmes, mes Sœurs, en vos échanges récréatifs ?

La question vous paraît déplacée, puérile, adaptée seulement aux enfants du catéchisme ? Pourtant, on n’y prête pas suffisamment attention : on dit, on chante que l'Évangile est “Bonne Nouvelle”. Or, une “bonne nouvelle” déclenche généralement l'envie d'en parler, d’en reparler, d'en entendre parler. La “Parole de Dieu” qui est “Bonne Nouvelle”, ne serait-elle plus ni “bonne”, ni “nouvelle” ?... Serait-elle donc trop connue ?... Je crois plutôt qu'elle est trop méconnue. Une question à résoudre peut-être !

Je me souviens : jadis, au moment d'aborder une page d'Évangile, un de mes anciens professeurs, prêtre, avait coutume - et cela provoquait naturellement moquerie impertinente chez ces adolescents taquins que nous étions - … il avait coutume de dire : “Attention mystère !”. Il me semble entendre cet avertissement en abordant aujourd’hui ce récit de la guérison du lépreux. “Attention mystère !”. Oui, il nous faut entrer respectueusement dans le “mystère” d’un Dieu qui se fait toujours proche de l’homme.
Lorsque Jésus guérit le lépreux, il lui demande de garder le secret. C'est sûrement parce que Jésus craignait que beaucoup n’interprètent mal son geste. Mais encore, c'est certainement parce qu'au-delà des apparences, ce geste cache un secret... un “mystère”... “Attention, mystère”, c’est-à-dire : présence de Dieu à toujours découvrir. A nous de le chercher.

Lorsque Jésus, HIER, a guéri le lépreux ; quel secret, quel “mystère“ voulait-il révéler ? Lorsque les chrétiens, AUJOURD'HUI, lisent ce récit, quel secret, quel “mystère“ ont-ils à découvrir ?

HIER, au temps de Jésus, les lépreux étaient des “intouchables”. Totalement exclus de la vie commune, on les tient à distance. Tellement à distance qu'ils doivent, les pauvres, agiter une clochette et crier “impur… impur… !”, pour que personne ne les croise par distraction, par hasard. Ceci, pour éviter la contagion, bien sûr, mais surtout - et la transposition est facile et de tout temps - pour préserver une conception trop humaine de pureté spirituelle. Les lépreux, croyait-on, étaient maudits de Dieu, punis par Dieu, la lèpre étant considérée comme le châtiment de leur péché. Explication toujours facile, actuelle !

Ils étaient donc doublement impurs et, de ce fait, intouchables. La loi religieuse leur interdisait tout contact. En somme, on croyait que c'était plaire à Dieu que de les mépriser, de les exclure. Ils étaient à distance des hommes parce qu'on les disait à distance de Dieu !

Eh bien ! Jésus contredit tout cela... ; et c'est cela la “Bonne Nouvelle” ! Avec Jésus, le lépreux oublie qu'il faut rester à distance. Celui qui humainement est tenu à distance vient vers Jésus et lui dit des choses qu'on ne peut dire qu'à Dieu : “Sï tu veux, tu peux me guérir”. Regardons bien la scène ; ne voyons-nous pas le regard horrifié des témoins. Le prophète de Nazareth, Jésus, qu’ose-t-il faire ? Il étend la main et - chose incroyable - il touche : il touche un intouchable !… Le secret (mystère) que Jésus révèle ce jour-là est clair. Il dévoile le visage d'un Dieu qui aime tous les hommes, sans exception, distinction. Dieu ne maudit personne !

Pour Dieu, il n'y a pas d'intouchables, d'inguérissables, d'impardonnables. Il n'y a pas de lépreux qu'il ne veuille guérir. “Le Fils de l’Homme est venu pour sauver ce qui était perdu”. Tel est le secret (mystère) que Jésus nous révèle par ce geste. Et il est de taille ! Cet évangile ne révèle pas le tour de force d'un guérisseur, il révèle le visage inoubliable d'un Dieu qui se fait proche de l’homme.

C'était HIER ! Mais “attention, mystère !”. Et AUJOURD'HUI ? Aujourd’hui, lorsque les Chrétiens lisent cet Évangile, quel secret, quel “mystère“ ont-ils à découvrir ? - Les lépreux, aujourd'hui, qui sont-ils ?... Oh, certes, impossible d'oublier les 10-12 millions de lépreux à travers le monde. Mais, ce n'est peut-être pas dans cette direction que l'Évangile nous conduit. Les intouchables..., ceux que l'on tient à distance… qui sont-ils ?... Nos lépreux à nous, où sont-ils ?

Ils ne sont pas loin… Je ne connais aucune famille, aucun groupe qui n'ait ses lépreux. Les drames ont des allures différentes, mais ils ont tous en commun ce risque de mise à distance, comme autrefois pour les lépreux. C'est ce couple qui ne “marche plus”, comme on dit, celui d’un frère, d'un de ses enfants, ou du meilleur ami qui se sépare après trente ans de mariage. C'est ce garçon, cette fille qui semble s’égarer… Pire parfois, c'est celui qui a été plus qu'indélicat lors d'un héritage. C’est peut-être mon frère, ma sœur que je côtoie tous les jours, avec qui je m’entretiens poliment, mais que dans mon cœur je déconsidère automatiquement pour des raisons bien fondées, évidemment, sur qui j’ai collé définitivement une étiquette peu recommandable ! Oui, ne sont-ils pas nombreux ceux à qui l’on a dit un jour : “Tu ne franchiras plus la porte de ma maison, la porte de mon cœur” ? - Et puis, nos lépreux ne sont pas seulement des personnes individuelles, mais aussi des groupes : malades du sida, étrangers…, ou tout simplement ceux qui ne pensent pas comme nous ?...

Oui, tous ces lépreux, il n’y a pas trop de difficulté à les identifier. Il y a grande difficulté à les aimer !

Et puis un dernier mot pour finir cet inventaire… Le lépreux, Il est parfois en nous. Je veux dire que chacun de nous a bien sa lèpre qui le défigure, lui fait honte et dont il désespère, parfois. - Ma vie est trop en désordre. Je ne suis à la hauteur ni de ma vie baptismale, ni de ma vie religieuse ! Dieu ne peut plus m'aimer… !

Et c’est à ce moment qu’il faut parler et reparler de cette “Bonne Nouvelle” entendue aujourd'hui : Attention : “Mystère !“.
- Pour Dieu, il n'y a pas de geste irréparable,
- Pour Dieu, il n'y a pas de lèpre qu'il ne veuille guérir.

Jésus touche tout lépreux. C'est une main d'homme qui le touche ; et c’est Dieu qui le touche pour le guérir ! Oui, Jésus approche, il va venir sur cet autel vers nous. Fidèle à sa parole, il y vient tout entier, corps, âme, divinité, avec toute sa vie donnée pour nous, de sa naissance à sa mort et sa résurrection. Nous le recevrons dans notre main, qui deviendra un instant le trône de Dieu. Nous le toucherons et il se laissera toucher.
Bien plus, l’Eucharistie est plus qu'un toucher ! Jésus vient en nous, il se fait notre nourriture, et tandis que notre corps assimile l'apparence du pain sous laquelle il se rend présent, c'est Lui qui désire nous assimiler à Lui. Ce n'est pas nous qui réduisons Jésus à notre mesure charnelle, c'est lui qui nous agrandit à la sienne, qui nous divinise !… Aussi, dira St Jean : “Nous sommes appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes !“ (I Jn 3.1).

Accueillons ce toucher profond du Seigneur : ce toucher transformant et sauveur. Accueillons cette “Bonne Nouvelle” à partager !… N’oublions pas d’en parler, d’en reparler, de la reprendre… avec grande joie et grand respect : “Attention, mystère !”, mystère d’un Dieu proche de l’homme !

samedi 11 février 2012

Pain pour le monde

5 T.O. Samedi (Mc 8.1-10)

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner : il y a en Marc (ainsi qu’en Matthieu) deux “multiplications des pains“, l’une d’une tradition judéo-chrétienne, l’autre d’une tradition pagano-chrétienne.

Ainsi, dans la premier récit, les douze paniers qui contiennent les restes après le partage du pain se réfèrent au douze tribus d’Israël et annonce l’“Institution des Douze apôtres“ auxquels sera confié le nouveau “Peuple de Dieu“ !

Dans le récit d’aujourd’hui, il est question de sept pains et de sept paniers. Ce chiffre évoque les 7 ou 70 nations païennes dont il est question dans la Genèse (ch. 10) et dans le Deutéronome (7.1). Symbole qui se retrouvera dans l’envoi des 70 (ou 72 selon le texte grec) disciples envoyés par Jésus (Luc 10.1), en “tout lieu“, c’est-à-dire - déjà - dans le monde entier ! Ce chiffre préfigure encore l’“Institution des sept diacres“, issus du monde grec, du monde païen…

De plus, ce second récit, d’après le contexte, se situe en “terre païenne“ : Jésus est sur le chemin de retour de Tyr “vers la mer de Galilée, en passant par la Décapole“, est-il dit (7.31). Tyr ! Décapole ! Marc veut délibérément souligner l’extension aux païens de l’œuvre de Jésus.

Il est amusant de remarquer encore que dans ces régions, il n’y a pas, à proprement parler, de désert dont il est pourtant question : “Où trouver du pain dans ce désert ?“ demandent les disciples ! Jean (et Marc aussi dans son premier récit) notera bien qu’“à cet endroit, il y avait beaucoup d’herbe“ (Jn 6.10) ! Un désert, plein d’herbes ! Curieux ! Mais le mot désert évoque toujours dans la Bible le fameux désert que les Hébreux traversèrent pour “passer“ (ce fut leur “Pâques“ !) de la servitude du monde“ au “service de Dieu“ (Il y a le même jeu de mots en hébreu : passer de la servitude, “avdout“ au service, “avoda“). Et c’est dans ce désert que le Peuple de Dieu reçut la manne, ce pain venu du ciel !

Où que nous soyons, ne sommes-nous pas dans un désert - même ici en ce prieuré “La Paix Notre-Dame“ -, en route vers la Terre promise ? Et nous avons bien besoin de la nourriture venue du ciel, le Christ en nous-mêmes : “Prenez et mangez, ceci est mon corps !“.

Après sa résurrection, c’est toujours à la “fraction du pain“ qu’il se laisse le reconnaître, non seulement à Emmaüs, mais tout près également du lieu de la multiplication des pains, au bord du lac (Jn 21.13 : “Jésus vient, il prend le pain et il le leur donne“).

C’est toujours à ce signe qu’on peut le reconnaître depuis que la réalité de sa présence échappe désormais à la perception immédiate des sens. Comme il est consolant pour nous d’avoir, durant tout le cheminement désertique de notre vie ici-bas, ce geste qui transfuse en nous la vie même du Ressuscité pour nous acheminer vers la Vie, la Vie en Dieu, la Vie avec Dieu : “Par Lui, avec Lui, en Lui, … dans l’Esprit-Saint, tout honneur et toute gloire !“.

Aussi, l’Eucharistie doit être au cœur de notre vie baptismale, religieuse. L’Eucharistie est, en effet, l’amour du Seigneur offert à tout homme. Pour le salut du monde entier, Jésus poursuit à travers le temps et l’espace son mystère pascal en se faisant Eucharistie. Par l’Eucharistie Jésus s’est à jamais “livré pour nous“ ! Car chaque messe actualise ce don immense que le Christ fait de sa vie pour nous donner la Vie !

Et il est bon de redire ici où l’on se retire volontairement du monde comme dans une désert que, “l’Eucharistie est en elle-même, comme le disait naguère le pape Jean-Paul II, un événement missionnaire“. Car l’Eucharistie est “LE SACREMENT“ par excellence, l’activité permanente de Dieu allant à la recherche de l’humanité. L’Eucharistie, c’est Jésus qui continue à se donner ; il se donne à son Eglise afin que celle-ci, d’une manière ou d’une autre, le donne au monde, ne serait-ce que par une vie consacrée pour, par et dans ce sacrement de l’Eucharistie qui demeure “Présence de Dieu au monde“ !

Il nous faut en prendre de plus en plus conscience : l’urgence de la mission face à un monde sécularisé ou indifférent doit nous conduire à ce qu’on pourrait dire une “urgence eucharistique“, tant il est vrai que l’Eucharistie est la source et le sommet de toute évangélisation.

Prions, adorons, témoignons silencieusement ou par la parole ! L’Eucharistie annonce la résurrection de toutes choses dans le Christ. L’Eucharistie proclame notre foi, notre espérance, notre amour : le pain qui devient Corps du Christ prépare notre humanité blessée à devenir Corps du Christ, prépare le monde à naître pleinement en la Vie même de Dieu !

vendredi 10 février 2012

Ste Scholastique

5 T.O p. - Vendredi

Je ne peux m’empêcher de dire “un mot“ aujourd’hui sur Ste Scholastique, sœur de St Benoît, vénérée et priée en ce prieuré évidemment, mais honorée également en notre diocèse, en la ville du Mans. La chapelle de la Visitation est marquée, à l’extérieur, sur le transept Ouest, d’une statue de la Sainte avec une inscription de reconnaissance en date de 1944, au moment de la libération.

Benoît et Scholastique étaient jumeaux ; leur naissance coûta la vie à leur mère. Leur père, noble de la région de Norcia (Nord-est de Rome, en Ombrie) poursuivit leur éducation… Puis, Scolastique, assez douée (son nom signifie “écolière“) fut confiée à des religieuses comme oblate - ce qui était alors courant -, tandis que Benoît alla à Rome étudier les “Belles Lettres“.

Le frère et la sœur s’aimaient d’un grand amour fraternel ; mais tous deux aimaient Dieu par-dessus tout. Et on peut supposer, avec Mabillon, qu’après la mort de leur père, Scholastique s’établit près de son frère au pied du Mont Cassin, non loin du monastère qu’il avait fondé. Ils ne se voyaient qu’une fois par an ! La rencontre avait lieu dans une petite maison à mi-chemin de leurs lieux de résidence. La journée était consacrée à la prière et à des échanges spirituels.

St Grégoire le Grand - dans ses “Dialogues“ - raconte dans le “style merveilleux“ habituel à l’époque, le dernier entretien du frère et de la sœur. Et s’il faut faire la part de l’exagération dû à ce style, on devine combien Benoît et Scholastique étaient épris de l’Amour de Dieu !

Je ne peux m’empêcher de citer ce grand pape : “Comme l’heure s’avançait dans leurs pieux entretiens, la sainte femme adressa à son frère cette demande : « Je vous prie de ne pas me quitter cette nuit afin que nous puissions parler jusqu’au matin des joies du paradis ». Benoît lui répondit : « Que dites-vous là, ma sœur ! Je ne puis à aucun prix rester hors du monastère ».
Le ciel était alors si pur qu’il n’y avait pas dans l’air l’apparence d’un nuage. La pieuse femme, en entendant le refus de son frère, posa sur la table ses mains entrelacées et y cacha son visage pour prier le Seigneur tout-puissant. A l’instant où elle releva la tête, il y eut un tel éclat d’éclairs et de tonnerre, un tel déluge de pluie que le vénérable Benoît et les frères qui l’avaient accompagné n’auraient jamais pu franchir le seuil du lieu où ils se trouvaient. C’est que la sainte femme, en inclinant la tête dans ses mains, avait répandu sur la table des ruisseaux de larmes qui avait changé en pluie la sérénité du ciel. L’orage suivit de près cette prière et il y eut un tel rapport entre cette prière et cette tempête que le tonnerre gronda au moment même où elle leva la tête et que la pluie tomba au même instant.

L’homme de Dieu vit bien qu’il ne pouvait retourner à son monastère. Il s’en plaignit avec tristesse en disant : « Que le Dieu tout-puissant vous pardonne ma sœur ; qu’avez-vous fait ? ». Elle répondit : « Je vous ai prié et vous n’avez pas voulu m’écouter ; j’ai prié mon Seigneur, et il m’a exaucée. Maintenant, sortez si vous le pouvez ». Mais il ne pouvait quitter la maison ; il avait refusé d’y rester, et il resta malgré lui. Ils veillèrent alors toute la nuit, se rassasiant des saintes paroles qu’ils se disaient l’un à l’autre sur la vie spirituelle.
A la volonté de Benoît, conclut St Grégoire, s’opposa un miracle que le cœur d’une femme obtint de la toute-puissance de Dieu.

Au matin du jour suivant, Benoît et Scholastique se quittèrent pour ne plus se revoir en cette vie. Trois jours plus tard (10 fév. 543), Benoît, étant à la fenêtre de sa cellule, eut une vision où lui parût l’âme de sa sœur entrant dans le ciel sous la forme d’une colombe… Il envoya chercher le corps de Scholastique pour l’apporter à son monastère et il le déposa dans le tombeau qu’il avait préparé pour lui-même, afin que la mort ne séparât point ceux dont les âmes avaient toujours été unies en Dieu“.

La ruine du Mont-Cassin (par les Lombards), prédite par St Benoît, eut lieu, d’après Mabillon, vers 580, du vivant de St Grégoire le Grand ; les moines se réfugièrent à Rome, abandonnant sous les ruines les corps de leurs saints fondateurs. AU 7ème siècle, des moines d’Orléans et du Mans conçurent et exécutèrent le dessein d’enlever du Mont-Cassin les corps de St Benoît et de Ste Scholastique, les apportant en France… Mais un courant d’opinion prétend que les corps restèrent en Italie… Je passe sous silence l’histoire compliquée des reliques… et pourquoi Ste Scholastique est tant vénérée en la ville du Mans depuis le 7ème siècle… Il faut se référer aux historiens !

Je conclurai simplement à propos de ce nous raconte St Grégoire le Grand de façon très naïve et spirituelle : “Ceux qui n’échangent rien ne deviennent rien“, a-t-on dit (Saint-Exupéry). C’est vrai. Mais l’échange le plus précieux - sans bavardages inutiles - se fait dans la Communion en Dieu ! Et cet échange conduit alors inévitablement à une union des cœurs qui déjà ici-bas se moque des frontières du temps et de l’espace…

jeudi 9 février 2012

Universalité !

5 T.O. Jeudi - (Mc 7. 24-30)

Toute la section de l’évangile de Marc que nous parcourons depuis quelques jours (6.30 – 8.15) et ce jusqu’à Mardi est appelée par plusieurs : “Section du pain“. En effet, outre la fréquence du terme “pain“ (cité 17 fois en un peu plus de deux chapitres), il y a deux “multiplications des pains“ (6.30-44 & 8.1-10) toutes deux relatives au même événement bien sûr, mais transmis par deux sources, l’une juive, l’autre païenne.

C’est que ce “SIGNE par excellence“ selon St Jean veut manifester l’identité de Jésus (comme Messie, Fils de Dieu) proclamée un peu plus loin par Pierre (Confession de Césarée : “Tu es le Christ“ - 8.31).
Ce “signe“…
° …s’origine dans la multiplication de la manne donné par Moïse aux Hébreux dans le désert,…
° …s’actualise dans cette multiplication des pains donné par Jésus, nouveau Moïse, à une foule de gens…
° … pour annoncer le “Pain de Dieu“ partagé à la “Dernière Cène“ et propagé au monde entier par l’Eucharistie !

Marc reprend ces deux traditions pour souligner, en suivant la pédagogie de Dieu à travers l’histoire, l’universalité du message du Seigneur. Le peuple Juif fut le premier bénéficiaire des largesses de Dieu. Il devait, il doit en être le témoin auprès de toutes les nations appelées, elles aussi, à recevoir les mêmes dons divins.

Mais les apôtres eux-mêmes semblent ne pas comprendre l’action merveilleuse, à visée universelle, de Jésus. Marc le souligne durement après ses deux multiplications des pains : “Les apôtres n’avaient rien compris à l’affaire des pains, leur cœur était endurci !“ (6.52). Et après le récit de la deuxième multiplication, Jésus lui-même est très sévère : “Vous ne saisissez pas encore et vous ne comprenez pas ? Avez-vous le cœur endurci ?“ (8.18).

On devine combien Jésus se sent incompris
* non seulement de ceux qui ne sont pas d’accord avec lui - les Scribes, pharisiens - qui, après la multiplication, réclament un “signe du ciel“, si bien que Jésus, excédé, interrompt brutalement la conversation (“les plaquant là, il s’en alla“, dit Matthieu - 16.4), en annonçant cependant : “de signe, il ne sera donné que le signe de Jonas !“, le signe le plus universaliste qui soit !
* …non seulement de sa famille, de ses proches qui viennent le surveiller en quelque sorte…,
* mais aussi de ses apôtres, de ses disciples ! On sent que Jésus s’enfonce déjà dans une solitude incommensurable qui culminera au jardin de Gethsémani et au Calvaire - tous ayant fui, sauf Marie et Jean -.

C’est alors que Jésus se rendit d’abord “sur l’autre rive“ (6.45), en Décapole, terre païenne. Puis curieusement, il est dit : “Il se rendit dans le territoire de Tyr“, terre païenne encore. Et plus curieusement encore, c’est en cette région païenne qu’il va être le mieux reconnu, compris ! Par une femme !

La pensée de Jésus reste marquée par la multiplication des pains, le “Signe par excellence“ non compris par le peuple élu et même par ses apôtres. Il doit en éprouver - comme tout homme en semblable circonstance - un peu d'amertume ! Aussi répondit-il à la femme avec une certaine rudesse : “Laisse d’abord les enfants (les enfants d’Israël) se rassasier (quand ils comprendront, accepteront), car il ne sied pas de prendre le pain des enfants (destiné d’abord aux enfants d'Israël) et de le jeter aux petits chiens (aux étrangers d’Israël qui doivent être instruits ensuite par le peuple élu de Dieu !) !“. Il est intéressant de remarquer cette mentalité juive chez Jésus : c’est d’abord le peuple élu qui doit venir à la lumière ; et ensuite être le témoin pour le monde entier !

Chez Matthieu, il y a quelques nuances à relever. D’abord, Jésus ne répond rien à la supplique de la femme. Alors, ses disciples s’approchant le prient : “Fais-lui grâce, car elle nous poursuit de ses cris !“. Autrement dit : débarrasse-nous de cette femme… ; tu n’es pas à un miracle près ! Ils n’ont vraiment rien compris. Alors Jésus de soupirer : “Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël !“. Comprenez donc d’abord, vous !
Et voilà cette femme de parfaitement comprendre la pensée de Jésus : “Oui, Seigneur, mais les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants !“. Autrement dit : Que les enfants mangent du pain que tu leur donnes, que tu veux leur donner… Et nous-mêmes, païens, nous en bénéficierons !

Il est vrai que ce n’est pas évident - aujourd’hui encore - cet élargissement universaliste ! Pierre se souviendra certainement de cet épisode quand il accueillera dans la Communauté chrétienne le centurion Corneille (Actes 10 & 11). Ce qui l’incite à faire ce pas, c’est la vision qu’il a eue d’une nappe couverte d’animaux dits impurs, tandis qu’une voix lui répétait à trois reprises : “Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé“. Et il est à remarquer que dans l’évangile de Marc, la controverse sur le pur et l’impur se situe justement entre les deux multiplications des pains, dont l’une s’adresse aux Juifs, et l’autre aux païens !

Comme la voix dans la vision de Pierre, Jésus déclare formellement que tout aliment est pur (7.14-23). La rencontre avec la Syro-phénicienne qui suit immédiatement (7.24-30) est un enseignement pour l’avenir : si tous les aliments sont purs, la communion de table entre circoncis (“les enfants“) et incirconcis (“les chiens“) est autorisée. Déjà Jésus offre aux païens l’accès à une seule communauté de table.

Ainsi, ce qu’il faut comprendre dans toute cette section de l’évangile de Marc, c’est d’abord Jésus, que Pierre va proclamer Christ, Fils de Dieu ! Mais cette reconnaissance implique selon Marc l’acceptation d’une communauté universelle à laquelle Juifs et païens ont également accès. Plus qu’ailleurs apparaît ici le lien entre christologie et ecclésiologie. La venue de Jésus instaure un ordre nouveau, vérifié dans la communauté de table pour tous sans exception. Cet épisode rappelle non seulement l’épisode des Actes (10-11), mais renvoie aussi à l’enseignement de Paul : “L’Evangile est une force de Dieu, pour le salut de tout croyant, du Juif d’abord, puis du Grec“ (Rm 1.16).

De cette affirmation universaliste, Paul lui-même en souffrit terriblement. Quand il arrive pour la dernière fois à Jérusalem, il explique sa conversion, son parcours devant tous. On l’écoute très poliment pendant un long temps. Mais quand il arrive à proclamer qu’il a été envoyé par Dieu “vers les nations païennes“ (Ac. 22.21), alors ce sont des cris ; ses auditeurs, pris d’une peur panique dès qu’ils sentent menacée leur identité telle qu’ils la conçoivent, jettent de la poussière en l’air et crient : “Qu’on débarrasse la terre d’un tel individu ! Il ne doit pas rester vivant !“. (Id 22).

C’est toujours d’actualité, me semble-t-il. Nous, chrétiens d’Occident, nous avons été tentés - nous le sommes peut-être toujours - de faire de notre religion un déracinement d’avec le judaïsme (Pourtant, le pape Jean-Paul II qualifiait les juifs de “frères de prédilection, et même de frères aînés des chrétiens"). Et en même temps, il nous arrive d’être quelque peu soupçonneux vis-à-vis des autres cultures destinées pourtant, elles aussi, à accueillir la foi dans le Christ Jésus, mort et ressuscité pour tous les hommes !

Heureusement, le Concile Vatican II nous le rappelle : notre foi doit être une lumière pour toutes les nations : “Lumen Gentium“. Prions à cette intention !