mercredi 29 août 2012

Martyre de Jean-Baptiste


29 Août

               A l’exemple du P. Jacques Fontaine o.p. (1), j’imagine toujours le précurseur de Jésus comme l’a représenté le peintre Grunwald (musée de Colmar) : on le voit, les pieds bien fermes sur le sol, tenant dans la main gauche le livre des Ecritures et désignant, de son index droit hypertrophié, Jésus, en son mystère pascal, venu accomplir ces Ecritures.

            Précurseur du Christ “dans sa naissance et dans sa mort“ (Cf. préface), toute la vie de Jean-Baptiste annonce le Messie, le désigne. Toujours, le destin de Jean préfigure celui de Jésus.
- Comme le Baptiste, Jésus sera arrêté (Mc 14,44.46.49) et lié (Mc 15,1).
- Si on l’a écouté avec plaisir (Mc 12,37), on veut cependant le mettre à mort (Mc 14,1) mais on le craint (Mc 11,18). Ainsi, aussi, de Jésus !
- Et on déposera le corps du Christ comme celui de Jean dans un tombeau (Mc 15,45-46).
Ainsi, le sort de Jean Baptiste et celui de Jésus sont décrits par l’évangéliste Marc de manière à ce que la similitude saute aux yeux. Jean est bien le précurseur, non seulement par son ministère public, lorsqu’il prépare les voies du Seigneur, qu’il annonce la venue d’un plus fort que lui (Mc 1,7), mais aussi par sa fin tragique qui anticipe celle de Jésus… et par toute sa vie !

Et il est bon aujourd’hui de remarquer : le banquet offert par Hérode, que le meurtre sordide de Jean va agrémenter, annonce le repas au cours duquel Jésus révèlera qu’il sera, lui aussi, livré (Mc 14,17-21). Et le fait que, chez Marc, le (1er) récit de la multiplication des pains, prélude au repas du Jeudi-Saint, suit immédiatement celui du banquet d’Hérode, semble bien confirmer le parallèle. Le funeste festin d’Hérode, avec la mort du Baptiste, n’est-il pas l’antitype du “repas du Seigneur“ annoncé par la multiplication des pains, repas qui révèle la mort du Christ pour le salut du monde ?
- L’endroit où Jésus nourrit les foules est “à l’écart, s’oppose au palais luxueux du Tétrarque à la solde des Romains…
-  Les convives au repas d’Hérode ont été “triés sur le volet“ et ont dû “montrer patte blanche“ ; ceux qui vont bénéficier de la multiplication des pains n’ont guère été invités et ne seront pas contrôlés à l’entrée.
- Hérode méprise les flatteurs qui l’entourent, mais il a besoin d’eux pour consolider son pouvoir éphémère. Jésus, lui, est “saisi de pitié en voyant la foule, car ils étaient comme des brebis sans berger“ (Mc 6.34).
- Jésus se fait le serviteur de ceux qui le cherchent, alors qu’Hérode se fait servir par un entourage à sa solde. “Les rois des nations païennes commandent en maîtres... Pour vous, rien de tel ! Au contraire, celui qui commande doit prendre la place de celui qui sert… Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert “ (Lc 22.25-27).
- Tout est faux dans le repas d’anniversaire du roitelet : Hérode est au centre du récit, mais sa passivité, bien plus, sa lâcheté, le discréditent totalement. La fille d’Hérodiade est certes active, mais elle demeure anonyme ; elle n’est qu’un instrument entre les mains de sa mère qui mène les événements derrière les coulisses. Cette dernière n’apparaît nullement sur l’avant-scène. Et pourtant, c’est son désir de vengeance qui conduit les étapes du drame. En fait, l’acteur principal de cet anti-repas n’est autre que le démon qui, “comme un lion qui rugit, va et vient à la recherche de sa proie“ (I Pet 5.8). Aussi cette convivialité mensongère ne pouvait-elle déboucher que sur un meurtre, car “dès le commencement, le démon a voulu la mort de l’homme. Il n’a jamais été dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il dit le mensonge, il parle selon sa nature propre, parce qu’il est menteur et père du mensonge“ (Jn 8.44).
Jésus, lui, agit au grand jour, en toute vérité : il multiplie pains et  poissons après les avoir bénis et les “donne aux disciples pour qu’ils les distribuent. Tous mangèrent à leur faim“ (Mc 6.41). On imagine sans peine la joie débordante mais simple qui devait présider à ce repas campagnard, qui ouvre à la vie en nourrissant non seulement le corps, mais l’âme et le cœur, dans la découverte émerveillée de la tendresse, de la miséricorde de Dieu qui seront célébrées, manifestées dans le mystère pascal du Christ.

Rien n’est décidément normal dans cet événement qui nous est raconté aujourd’hui : l’anniversaire d’un roi était ordinairement marqué par des mesures de clémence et d’amnistie, et non par des exécutions capitales arbitraires. Mais comment la clémence pourrait-elle fleurir sur une terre abreuvée de sang ? Il faut aller sur la montagne où Dieu multiplie les pains, il faut aller sur la montagne pour être nourri du repas pascal et découvrir que “les temps sont accomplis“, que “le règne de Dieu est tout proche“ (Mc 1.15). il faut aller sur la montagne où, à la suite de son précurseur, Jésus meurt pour le salut du monde, ce que réactualise toute Eucharistie !

“Lève-toi, disait Dieu par Jérémie, tu prononceras contre mon peuple tout ce que je t’ordonnerai. Ne tremble pas devant eux, sinon, c’est moi qui te ferai trembler devant eux. Ils te combattront, mais ils ne pourront rien contre toi, car je suis avec toi pour te délivrer” (Lect.). Jean-Baptiste n’a pas eu peur de parler au Nom de Dieu. Et pourtant la haine d’Hérodiade a eu raison de lui ! Hérode pourrait fort bien ironiser comme certains le font encore aujourd’hui : “Où est-il donc ton Dieu pour délivrer Jean de ma main ?“.  Nous répondons, en contemplant Jean-Baptiste et Jésus qu’il annonçait : “La vie du juste est dans la main de Dieu” (Sg 3, 1). Certes, la protection dont Dieu nous couvre ne nous soustrait pas à la mort, mais, bien plus, elle nous en fait triompher dans la résurrection du Christ ! A Lui, la gloire pour l’éternité !

(1) J’en profite pour rendre hommage à ce religieux dominicain qui organisait, naguère, de magnifiques et instructifs parcours en Terre Sainte, appelés “B.S.T“. (“Bible sur le terrain“). Je me permets de reprendre ici l’hommage que je lui ai rendu à l’occasion de ses 90 ans : « La première fois que je l’ai vu, c’était dans le jardin des Lazaristes qui abritaient les membres de la modeste et grande tout à la fois “Maison Isaïe“ - rue Agron, à Jérusalem -. J’avais entraîné quelques jeunes et moins jeunes à faire la B.S.T. C’était en 1982 ! Quelque peu fatigués par le voyage, nous nous “installions“ dans ce jardin.
                Je m’étais accroupi, occupé à ranger mon petit matériel de camping quand j’ai senti une présence. Je levai la tête. Et c’est ainsi que pour la première fois, je l’ai vu : bien solidement planté en terre avec ses chaussures de marche, la tête comme auréolée par la douce lumière déclinante d’un ciel d’été de la “Ville Sainte“.
                Je me suis levé quelque peu intimidé. Il semblait que le regard de ses petits yeux perçants au travers de ses sourcils en broussailles, cherchait comme un au-delà de moi-même. Son demi-sourire manifestait une délicatesse fraternelle emprunt d’une certaine timidité qui n’était qu’approche respectueuse. La physionomie rectangulaire aux tempes dégagées, quelque peu rugueuse et brunie au soleil de Dieu, dégageait une douce et déterminée énergie, autant physique qu’intérieure. Svelte en sa tenue kaki, comme un éternel pèlerin de Dieu, j’ai cru soudainement avoir rencontré un nouveau Jean-Baptiste !
                Et c’est souvent sous cette figure que j’ai évoqué depuis lors - en mon cœur et parfois autour de moi - le frère Jacques : un Jean-Baptiste qui n’était là que pour annoncer le Christ, “Verbe de Dieu“. Il n’était et ne voulait être, lui aussi, que son humble précurseur.
                Et quand, désormais, je fais visite au frère Jacques en sa chambre de la Maison “Notre-Dame des douleurs“ à Jérusalem, j’aime regarder avec lui la représentation du Jean-Baptiste de Grunwald accrochée au dessus de son bureau. Ce Jean-Baptiste qui de son doigt hypertrophiée désigne le Christ en son mystère pascal, avec ces seules paroles : “Il faut qu’il croisse et que moi je diminue“. C’est ainsi que j’aime me représenter le frère Jacques. Il fut, il est pour moi “mon Jean-Baptiste“ à qui, devant Dieu, je dirai toujours : “Merci“ !  
Voir sur Google : la Bible sur le terrain - 16 jours de prédications…


mardi 28 août 2012

St Augustin


28 Août       

        Après avoir, hier, honoré la mère, Ste Monique, il est bon de parler du fils ! - Certains saints sont plus grands que les autres en ce sens qu’ils ont eu, de leur vivant, un grand prestige dans l’Eglise, et, après leur mort, une influence durable… jusqu’à nous ! St Augustin, évêque d’une petite ville provinciale en Afrique, Hippone, est l’un de ses grands saints. Son œuvre lui valut le titre de “Docteur de l’Eglise“ (1). Mais que ce titre important et bien mérité ne nous empêche pas de le lire ! Comme St François de Sales plus tard, il fut humble, bienveillant, accommodant, sachant merveilleusement utiliser son savoir pour se mettre à la portée des plus ignorants. Car cet aigle de science et de vertu était aussi, si je puis dire, une “mère-poule“ qui incitait avec douceur, par sa parole et son exemple, à l’amour de Dieu et du prochain, à celui de l’Eglise dans l’abnégation du dévouement obscur.

Passons sur le temps de sa jeunesse. La fête de Ste Monique a été l’occasion d’en parler.
De Milan où il fut baptisé par St Ambroise en 387, Augustin regagne son Afrique natale. De passage à Hippone, il fut élu évêque de la ville par acclamation, sous l’influence cependant du vieil évêque Valère qui cherchait un successeur. – Dès lors, pendant plus de trente-cinq ans, il parla à son peuple, presque tous les jours, et parfois matin et soir. Jamais théologie plus profonde et plus substantielle ne fut plus accessible, plus vivante. Ses commentaires des psaumes sont encore d’une vivacité étonnante !

Devenant célèbre, un labeur immense le sollicite : relations avec les autres évêques africains, réponses aux lettres de plus en plus nombreuses qui arrivent d’Italie, d’Espagne, de Gaule… et aussi de Bethléem. A propos de Bethléem, disons avec humour que la correspondance avec l’ombrageux St Jérôme lui donna bien des soucis : le susceptible savant tantôt lui tenait rigueur de ses silences, tantôt se fâchait de ses écrits. Il fallut toute la patience, l’humilité d’Augustin pour arriver à calmer le vieux grincheux qui devint finalement un grand ami de l’évêque d’Hippone !

Pour faire face à ses tâches très lourdes, Augustin jouissait, fort heureusement, d’une santé solide et résistante, grâce peut-être à un régime de vie régulier et simple… Il avait établi autour de lui une petite communauté de chrétiens où tout était en commun ; la table était frugale ; et au mur du réfectoire, un distique était affiché : “Celui qui aime à ronger les absents n’est pas fait pour cette table. Qu’il se le tienne pour dit !“.

Dès les premières années de son épiscopat, il écrit ses “Confessions“, mais non à la façon, plus tard, de J-J Rousseau : un aveu fastueux de son passé, un étalage complaisant de son “moi“ plus ou moins débraillé, mais une reconnaissance, une action de grâces envers Dieu dont l’amour s’est tellement manifesté à son égard.

Vers 400, il entame un livre pédagogique, la “catéchèse des ignorants“ ; et un autre sur “le travail des moines“ en lequel la fausse piété fainéante est traitée comme elle le mérite. Il entame encore un grand ouvrage, “La doctrine chrétienne“ où le thème de la grâce face aux erreurs du manichéisme (2) et du donatisme (3) prend une place importante.

La prise de Rome par Alaric (410) donne l’occasion à St Augustin d’écrire son grand ouvrage “La Cité de Dieu“ pour réconforter les esprits désemparés par l’écroulement d’une civilisation. Il montre l’Eglise de Dieu d’ici-bas en marche vers  le bonheur et la paix qui lui sont réservés au terme de son pèlerinage. Mais elle est mêlée, comme le blé et l’ivraie de la parabole, aux “impies,  aux méchants“ qui peuvent s’élever en des triomphes éphémères ne provoquant, en fait, que de grandes catastrophes.

Puis ce fut son important traité sur “La Trinité“, avec le commentaire du livre de la Genèse et celui des psaumes

Le pélagianisme (3) fut soudain à l’ordre du jour. Cette hérésie qui tendait à diminuer la grâce divine n’était pas pour plaire à l’auteur des “Confessions“.

Cependant, pendant que St Augustin, vieillissant, ne cesse de combattre les erreurs et déviances dans l’Eglise, le fracas des armes allait prédominer. Les Vandales ariens arrivent, par l’Espagne, en Afrique, ruinant les églises. Ces envahisseurs charriaient avec eux mille impuretés : le culte des idoles renait. Un vent de folie souffle sur le pays. On devine la tristesse d’Augustin, âgé alors de 76 ans : quarante ans d’épiscopat, quarante ans de labeur pour en arriver à un tel résultat !

Mais une forte fièvre le prit soudainement. Sachant qu’il allait mourir, il fit tapisser les murs, près de son lit, de longues feuilles où étaient inscrits, en grosses lettres, les psaumes de pénitence qui le réconfortaient… Il devait certainement s’entretenir aussi des pensées qu’il livrait jadis à son peuple : “La mort sera engloutie dans la victoire. Et nous serons en vacance pour voir Dieu dans la paix éternelle, devenus citoyens de Jérusalem, la Cité de Dieu !“ (4). Sa mort survint le 28 ou 29 Août 430.

            Pour terminer, je me permets de citer un texte repris et commenté récemment par Benoît XVI, à propos des évangiles sur le “Pain de Vie“ :  “Tu disais : « J’ai besoin de comprendre pour croire » ; et moi : « Crois d’abord pour comprendre“Car “Dieu dit par son prophète : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » (Is 7, 9)  […].
Certes, il n’est pas faux de vouloir comprendre avant de croire, car “moi qui vous parle, en ce moment, si je parle, c’est pour amener aussi à la foi ceux qui ne croient pas encore. Donc, en un sens, cet homme a dit vrai quand il a dit : «Je veux comprendre pour croire » ; et moi également je suis dans le vrai quand j’affirme avec le prophète : « Crois d’abord pour comprendre. »
Nous disons vrai tous les deux : donnons-nous donc la main ; comprends donc pour croire et crois pour comprendre : ... comprends ma parole pour arriver à croire, et crois à la parole de Dieu pour arriver à la comprendre !“.
Ainsi donc, “croyez pour mériter de comprendre. La foi doit précéder l'intelligence pour que l'intelligence soit la récompense de la foi !“.

 (1) l’un des quatre premiers de l’Eglise latine avec Ambroise, Jérôme et Grégoire le Grand.

 (2) Religion syncrétique du Perse Mani (ou Manès) (3ème s.) alliant des éléments du christianisme, du bouddhisme et du parsisme. Elle enseigne que le bien et le mal sont deux principes fondamentaux, égaux et antagonistes.

 (3) Le donatisme est une doctrine chrétienne schismatique qui prit son essor dans l’Eglise d'Afrique, aux 4ème-5ème siècles. Il tire son nom de Donatus, évêque en Numidie. Le principal point d’achoppement des donatistes avec l’Église officielle concernait le refus de validité des sacrements délivrés par les évêques qui avaient failli lors des persécutions de Dioclétien (303-305). Cette position fut condamnée en 313 au concile de Rome.

 (4) Doctrine développée à partir du 4ème siècle par l'ascète breton Pélage et ses partisans, caractérisée par l'insistance sur le libre arbitre de l'homme. C’est, dit Pélage, la liberté humaine qui règle les rapports entre l'homme et Dieu, alors que, pour l’Eglise, c’est la grâce divine qui est première !

 (5) In ps. 134 – P.L. 37.1755

lundi 27 août 2012

Ste Monique

     
Ste Monique ! Elle naquit en 332 d’une famille chrétienne, en Afrique (Algérie actuelle). Mais elle attribua sa foi et son amour du Seigneur moins au zèle de ses parents qu’aux soins d’une vieille servante que tous vénérait. Celle-ci, très tôt, l’aida à réprimer les tendances licencieuses de son enfance, voire ses appétits naturels, pour mieux se contrôler et s’attacher à l’essentiel, s’attacher à Dieu !

                Très jeune, selon les coutumes du temps, elle fut donnée en mariage à un homme - Patrice - qu’elle servit comme son maître tout en s’efforçant de le gagner à Dieu. Patrice était un homme foncièrement bon, d’un naturel très bienveillant, mais irascible. Quant il était en colère, Monique lui cédait silencieusement. Cependant, après l’orage, quand le calme était revenu, elle savait choisir le moment - “in tempore opportuno“, dirait St Benoît -, non seulement pour lui expliquer l’injustice de sa conduite répréhensible, mais pour lui parler de la douceur du Christ à l’égard de tous les pécheurs, et ce, jusque sur la croix !

                Finalement, grâce aux soins de son admirable épouse qu’il aimait tendrement, Patrice se convertit, se fit baptiser en 370, mais mourut peu après, en 371. Il laissait deux fils, Augustin et Navigius, et une fille. Monique sut organiser sa maison pour le bien de ses enfants…

                Les premières années d’Augustin lui avaient paru remplies d’espérance : l’enfant manifestait une vive intelligence, une mémoire prodigieuse et une vive sensibilité ! Trop vive peut-être ! Car dès l’adolescence, ce fils prodige s’adonna aux passions impétueuses de son âge, tout en s’adonnant avec fougue à l’étude des lettres et aux courants philosophiques de son temps aussi divers qu’ils le sont actuellement, chacun croyant détenir la vérité suprême… Séduit, avec orgueil, par les diverses facilité de ses dons naturels, Augustin tomba dans les nombreux pièges que les courants de pensées véhiculaient (le manichéisme particulièrement). Sans être baptisé, il se détourna totalement de la foi que sa mère avait voulu lui transmettre !

                Sa mère le considéra alors somme mort, et, selon les images hyperboliques qu’emploiera Augustin lui-même, elle versa sur son âme plongée dans les ténèbres de ce monde plus de larmes que n’en verseront les mères qui mènent le deuil de leur enfant ! Un évêque consola Monique, mais lui fit aussi comprendre qu’elle devait permettre à ce fils égaré de vivre avec elle plutôt que de l’éloigner à cause de ses erreurs. L’amour doit toujours vivre d’espérance et ne pas exclure ! Grande leçon, me semble-t-il !

                Monique fut, bien des fois, confortée dans son espérance d’une future conversion de son fils. Un jour qu’elle sollicitait un évêque de s’entretenir avec son fils afin de le raisonner, pensait-elle, celui-ci refusa en lui disant que le jeune homme était encore trop captivé par les courants hérétiques et surtout trop fier de ses succès. Il ajouta cependant : “Laissez-le ! Contentez-vous de prier. Lui-même reconnaîtra l’étendue de ses erreurs et la gravité de ses impiétés“. Et comme la mère insistait en redoublant de larmes, il l’éconduit en lui disant : “Laissez-moi ! Car il est impossible que le fils de tant de larmes soit perdu !“. Bien des années devaient s’écouler encore avant la conversion annoncée.

                Augustin voulait partir pour Rome. Monique fit tout son possible pour l’en empêcher, si bien que son fils usa de ruses pour s’éloigner, laissant sa mère dans les larmes et la prière.

                Peu après, il fut nommé Maître de rhétorique à Milan, ville impériale, où résidait l’évêque St Ambroise dont l’éloquence gagnait les cœurs à Dieu. Le Saint évêque qui sut accueillir ce nouveau Maître de rhétorique et lui témoigner beaucoup de charité eut certainement sur ce dernier une grande influence au point qu’il venait facilement l’entendre. Et, peu à peu, les vérités qu’enseignait le Saint évêque lui parurent défendables : la foi catholique devint, à ses yeux, digne d’être enseignée. Il n’était plus manichéen, dira-t-il à sa mère venue le rejoindre, sans être pour autant catholique. Monique ne reçut pas cette confidence avec des transports de joie, mais elle redoubla de ferveur et d’espérance.

                Finalement, Augustin reçut le baptême en 387. Ce fut, du coup, la grande joie d’une mère si implorante pour son fils. Tant et si bien que Monique, le désir de sa vie étant satisfait, ne voyait plus la nécessité de son existence ici-bas. Elle désirait rejoindre, dans la reconnaissance et l’action de grâce, Celui qu’elle avait imploré avec tant de larmes !

                Elle mourut peu après, à Ostie où la mère et le fils se préparaient à rejoindre l’Afrique. “Qu’elle repose en paix, écrira St Augustin, avec celui qui fut son époux. Inspirez, mon Seigneur et mon Dieu, à vos serviteurs, mes frères et vos fils, puis à quiconque me lira, de se souvenir à l’autel de Monique, votre servante, ainsi que de son époux Patrice !“.

                « Dieu, qui avez eu pitié des larmes de Sainte-Monique et qui avez
accordé à ses ardentes prières non seulement la conversion de son fils,
mais son éclatante Sainteté, faites, nous vous en prions, que nous obtenions comme elle le salut de ceux que nous aimons, et notre propre sanctification ».

dimanche 26 août 2012

Amour et... Foi !


21ème  Dimanche du T.O. 12/B            

“L’homme quittera son père et sa mère ; il s’attachera à sa femme ; et tous deux ne feront plus qu’un ! Ce mystère est grand ! Je le dis en pensant au Christ et à l’Eglise“.

Naguère, lors de rencontres avec des fiancés, on parlait d’amour, naturellement, de l’amour mutuel entre époux. Un jour l’un d’eux me rapporta la réflexion de l’un de ses amis : “Nous, nous préférons ne pas nous marier à l’Eglise, car, en ce moment, nous nous aimons, mais nous ignorons si dans un an ou dans dix ans, nous nous aimerons encore“. C’était l’occasion de chercher : L’amour, qu’est-ce que c’est ? Est-ce simplement le désir de l’autre, une attirance mutuelle, inexplicable comme une grippe que l’on attrape ? Est-ce seulement affaire de palpitations du cœur, d’un ressentiment du moment. Si c’était seulement cela, alors oui, l’amour risquerait d’être toujours très fragile, car les désirs, les attirances, on peut en éprouver chaque jour et dans des directions totalement opposées. Le ressentiment seul est dangereux, car je dirais dans un jeu de mots que le “ressenti“ ment souvent, le ressentiment !

Alors qu’est-ce que l’amour ? On finissait par admettre que si effectivement l’amour commençait en général par une attirance mutuelle, il ne devait pas en rester là. St Paul le laisse entendre clairement dans sa lettre aux Ephésiens. L’amour des époux doit être comme l’amour du Christ pour son Eglise,  un amour de volonté : “Il voulait la rendre sainte… ; il voulait une Eglise resplendissante… ; il voulait une Eglise irréprochable… C’est comme cela que le mari doit aimer sa femme“.
D’ailleurs, Aristote, déjà, avait compris cela, lui qui définissait l’amour comme “un désir de bienveillance mutuelle fondé sur la communication des personnes“. Un désir, donc une volonté. Une volonté d’un bien pour l’autre - ce qui suppose un savoir de discernement, une intelligence appliquée -. Un désir fondé sur la communication des personnes. C’est là que le “ressentiment“, le “ressenti“ peut être très utile, indispensable dans l’art d’échanger.

L’amour dans le mariage chrétien doit donc être une décision de la volonté, comme le Christ pour son Eglise : nous voulons le bien de l’un pour l’autre et réciproquement. Une volonté qui résistera aux intempéries ; car, c’est inévitable, il y aura des jours sombres, des nuages, des moments difficiles. Mais il aura toujours cette volonté…

Et bien, la foi au Christ, la foi en Dieu, c’est analogue, semble dire St Paul. La foi…, depuis toujours, depuis Abraham, depuis la montagne du Sinaï…, la foi est une alliance. Quand on est enfant, ce n’est jamais bien solide. Mais à mesure qu’on grandit, la foi devient un choix personnel, une décision sans cesse renouvelée. C’est alors que la foi n’est plus un “ressentiment“ (car le “ressenti“ ment souvent, n’est-ce pas), ni même une conclusion à une réflexion intellectuelle très poussée ; la foi devient une rencontre personnelle, intime avec Jésus, une expérience de sa présence, de son amitié, de son amour.
Oh ! Certes, comme dans la vie conjugale, dans nos rapports avec Dieu, il y a des périodes difficiles : période de découragement, de sècheresse dans la prière, de lassitude ; il y a cette impression, ce “ressenti“ que Dieu nous oublie. Il peut même y avoir comme une révolte contre Dieu à l’occasion d’une grande épreuve, d’un deuil, d’une incroyable maladresse d’un homme d’Eglise, d’un supérieur, et que sais-je encore.

Et puis, à notre époque comme au temps de Josué dont il est question dans la première lecture, notre foi est souvent mise à l’épreuve de mille manières : des amis qui tournent en dérision l’Eglise, les prêtres ou qui, simplement, vivent dans l’indifférence tranquille à l’égard de Dieu et semblent ne pas s’en porter plus mal. Bien plus, dans nos familles, enfants, petits-enfants cessent de fréquenter l’Eglise. Il y a même la défection de prêtres, religieux, religieuses. Et puis, dans ce monde d’aujourd’hui, Dieu semble tellement absent, ignoré, rayé des comptes. Alors la question de Josué se fait entendre : “S’il ne vous plaît pas de servir le Seigneur, choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir“ : l’argent, le pouvoir, les plaisirs ou… le Dieu de toujours. Alors, souvent, monte en notre cœur la réponse du peuple élu : “Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur pour servir d’autres dieux !“.

Bien plus, disons-nous : même si certains - et ceux-là parmi nos plus proches - semblent oublier, la foi n’est pas perdue pour autant. Ce sont souvent de très gros nuages qui passent, durent parfois  et troublent l’œil de la foi. Mais, très souvent, brutalement ou très lentement, il y a le surgissement de cette volonté qui pousse à se rapprocher de Dieu, à lui redire notre attachement.

N’est-ce pas cette scène qui nous est donnée à méditer dans l’évangile d’aujourd’hui. Regardez bien cette foule rassemblée près de Capharnaüm.
- Il y a les simples badauds, ceux qui sont toujours là quand il se passe quelque chose d’un peu particulier et qui espèrent grappiller une information par-ci, par-là, voire un petit scandale, à raconter quand ils rentreront chez eux !
- Il y a les “enquêteurs“, les petits et les grands, ceux qui voulaient, pour une raison ou une autre, en savoir un peu plus sur ce Nazaréen, et ceux qui sont envoyés par les autorités de Jérusalem pour examiner l’attitude de ce nouveau prophète face à la religion officielle…, face au pouvoir romain.
- Il y a encore les disciples, nombreux, ceux qui aimeraient qu’une parole claire, nette et définitive du “maître“ donne réponse à leurs interrogations banales ou existentielles.
- Il y a enfin le groupe des douze, des très proches.
                Et que voyons-nous ?
- Déçus les badauds : où était la suite du miracle ? Ils attendaient des faits, non des discours !
- Agacés, voire scandalisés les “enquêteurs“. Mais pour qui se prend-il donc ce Jésus ? Tellement agacés qu’ils en deviennent agaçants au point que Jésus - c’est St Marc qui le souligne - a comme une réaction de mauvaise humeur bien compréhensible : il se détourne d’eux et les “plante là“, dit l’évangéliste ! (Mc 8.13).
- Déroutés, déconcertés, décontenancés, les disciples-auditeurs. Trop dure, incompréhensible sa parole ! Elle les dépasse ; ils ne savent pas quoi en faire !
- Et il y a le groupe des Douze. Une question à leur sujet : avaient-ils mieux compris que les autres disciples ? Cela m’étonnerait et j’en doute fort. D’ailleurs - toujours d’après St Marc -, Jésus, peu après, leur reprochera d’avoir l’esprit vraiment bouché ! Oui, certes ! Mais, pour le moment, au-delà de la compréhension des mots, ils ont l’intuition que c’est ce Jésus - et lui seul - qui a une parole nouvelle et que celle-ci est porteuse de vie. Alors à qui d’autre iraient-ils ? Ils lui font confiance. Ils ne le quitteront pas ! Ils veulent le suivre !
C’est cela la foi : cette volonté d’aller à Jésus, même si on ne comprend pas tout ; même si on ne comprend pas totalement, on lui fait confiance : “Tu as les paroles de la vie éternelle !“. D’ailleurs, même un grand savant comme St Thomas d’Aquin affirme avec force - dans son traité sur les “Noms divins“ -, qu’on ne peut pas cerner l’Incernable, qu’on ne peut totalement embrasser l’Incontournable, qu’on ne peut pleinement analyser l’Infini… Dieu est tellement le “Tout-autre“ ! Mais cependant, ce “Tout-autre“ se fait proche de nous, il nous appelle chacun par notre nom…, comme un époux appelle son épouse, dirait le prophète Osée.  Et alors, je lui fais confiance !

                Oui, surtout quand les nuages semblent s’amonceler et mille questions surgir…, écoutons le Seigneur Jésus qui doucement nous demande au fond du cœur : “Vas-tu me quitter, toi aussi ?“, tout en prononçant son Nom qui est si secrètement adressé à chacun qu’il est indicible pour d’autres, ce Nom divin que les Juifs ne veulent pas prononcer par respect et que l’on traduit bien pauvrement par : “Je suis !“ - Je suis toujours là, toujours près de toi - ! Ce mot divin qui, pense-t-on, n’est que la racine du verbe “être“ peut aussi se traduire par : “j’ai été“ ou “je serai“. Alors Dieu nous murmure : puisque j’ai été avec toi à tel ou tel moment - ne t’en souviens-tu pas ? -, je suis et serai toujours avec toi ! C’est alors que monte en nous cette réponse de St Pierre : “Seigneur, à qui irais-je ? A qui irions-nous ? Tu es le chemin, la vérité, la vie ! Nous croyons et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu !“.


mercredi 22 août 2012

Ste Marie, Reine


Marie, Reine de l’Univers – 22 Août      

Oui, Marie est Reine, parce qu’elle est parfaitement conforme à son Fils qui avait répondu à Pilate : “Oui, je suis Roi !“ - Mais “mon Royaume n’est pas de monde“.

Ainsi, le Concile Vatican II déclare : “La Vierge Immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée, corps et âme, à la gloire du ciel et exaltée par le Seigneur comme Reine de l’Univers, pour être ainsi entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs, victorieux de la mort et du péché“ (L.G. 59).

La fête fut d’abord instituée en 1954 par Pie XII - les plus anciens s’en souviennent certainement - dans le contexte encore très difficile de l’après-guerre (mais notre temps n’est-il pas encore “difficile ?), quelques années après la proclamation du dogme de l’Assomption (1950). C’était comme une conséquence toute naturelle de cette proclamation ! “Nous ordonnons, disait le pape Pie XII dans sa lettre encyclique « Ad caeli Reginam », que ce jour-là, on renouvelle la consécration du genre humain au Cœur immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie“. (n° 34).
Er le pape Jean-Paul II précisera que servir le Christ, le Roi de l’Univers, c’est «régner»“ (Redemptoris Mater n° 41). Or Marie fut la “servante“ par excellence : “Je suis la servante du Seigneur“ !

Le meilleur commentaire de la fête d’aujourd’hui est certainement l’encyclique du pape Jean-Paul II “Redemptoris Mater“, et son enseignement lors de l’audience du 23 juillet 1997.  “À partir du 5ème siècle, rappelle le pape, au cours de la même période qui voit le Concile d'Éphèse la proclamer "Mère de Dieu", (c’est à noter !), on commence à attribuer à Marie le titre de Reine. Par cette nouvelle reconnaissance de sa très haute dignité, le peuple chrétien veut la placer au-dessus de toutes les créatures, exaltant son rôle et son importance dans la vie de toute personne singulière et du monde entier“.

Mais déjà, dans un fragment d'homélie attribué à Origène (2ème-3ème s.), apparaît ce commentaire au sujet des paroles prononcées par Elisabeth lors de la Visitation : "C'est moi qui aurais dû venir à toi, parce que tu es bénie plus que toutes les femmes, toi, la mère de mon Seigneur, toi, ma Dame" (1). Dans ce texte, on passe spontanément de l'expression "la mère de mon Seigneur" à l'appellation "Ma Dame", anticipant ce que déclarera plus tard saint Jean Damascène (8ème s) qui attribue à Marie le titre de "Souveraine" : "Quand elle est devenue mère du Créateur, elle est devenue véritablement la souveraine de toutes les créatures" (2).
Et le pape de souligner, après Pie XII, que le fondement de la royauté de Marie, outre sa maternité, est sa coopération à l’œuvre de la Rédemption : la Vierge Marie, Reine du Ciel et Souveraine du monde, “se tenait debout, dans la douleur, près de la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ".  Marie est Reine non seulement parce qu'elle est Mère de Dieu, mais aussi parce que, associée comme nouvelle Ève au nouvel Adam, elle coopéra à l’œuvre de la Rédemption du genre humain !

Ste Thérèse de Lisieux avait écrit : “On sait bien que la Sainte Vierge est la Reine du Ciel et de la terre, mais elle est plus mère que reine, et il ne faudrait pas faire croire (comme je l'ai souvent entendu dire) qu'à cause de ses prérogatives elle éclipse la gloire de tous les saints, comme le soleil, à son lever, fait disparaître les étoiles. Mon Dieu, que cela est étrange ! Une mère qui fait disparaître la gloire de ses enfants ! Moi je pense tout le contraire, je crois qu'elle augmentera de beaucoup la splendeur des élus“.

Est-ce en référence à cette réflexion que le pape Pie XII qui avait été à Lisieux en 1937, en tant que légat du pape, pour la consécration de la nouvelle basilique, écrivait : "Ayant pour nous une affection maternelle et assumant les intérêts de notre salut, elle étend sa sollicitude à tout le genre humain. Établie par le Seigneur Reine du Ciel et de la terre…, elle reçoit tout ce qu'elle demande et n'éprouve jamais de refus". Et Jean-Paul II de préciser : “Les chrétiens regardent donc avec confiance vers Marie Reine, et cela non seulement ne diminue pas mais, au contraire, exalte leur abandon filial envers celle qui est mère dans l'ordre de la grâce“.Et de citer St Germain de Constantinople (8ème s.) qui s’adresse à Marie en ces termes : Le Christ a voulu "avoir, pour ainsi dire, la proximité de tes lèvres et de ton cœur ; il accède ainsi à tous les désirs que tu lui exprimes quand tu souffres pour tes enfants, et il exécute, par sa puissance divine, tout ce que tu lui demandes". (3)

Et Jean-Paul II de conclure : “Loin, donc, de créer une distance entre nous et elle, l'état glorieux de Marie suscite une proximité continuelle et pleine d'attentions. Elle connaît tout ce qui advient dans notre existence et nous soutient de son amour maternel dans les épreuves de la vie. Élevée dans la gloire du Ciel, Marie se consacre totalement à l’œuvre du salut pour communiquer à tout être vivant la félicité qui lui a été concédée. Elle est une Reine qui donne tout ce qu'elle possède, partageant surtout la vie et l'amour du Christ“.

Que Marie que notre époque oublie un peu trop (!) soit donc notre Reine et Mère. Et nous serons alors dans la paix, “la Paix Notre-Dame“ : une paix avec Dieu par le Christ notre Rédempteur et sa Mère, Reine ; et, de ce fait, une paix entre nous !

(1) Fragmenta, PG 13,1902D
(2) De fide orthodoxa, 4,14, PG 94,1157
(3) Hom. 1, PG 98,348


lundi 20 août 2012

St Bernard


20 Août      

Aujourd'hui, fête de St Bernard de Clairvaux, appelé le dernier des Pères de l'Eglise, ayant transmis la grande théologie des Pères de l’Eglise.

Dès son adolescence, il se consacre à l'étude de ce que l'on appelle les arts libéraux - la grammaire, la rhétorique et la dialectique, etc -. C’est dans ce contexte intellectuel qu’il mûrit sa décision de se consacrer à Dieu.
Vers vingt ans, il entre à Cîteaux, une fondation monastique nouvelle, plus souple par rapport aux vénérables monastères de l'époque et, dans le même temps, plus rigoureuse dans la pratique des conseils évangéliques.
 Quelques années plus tard, en 1115, il est envoyé fonder le monastère de Clairvaux. C'est là que le jeune abbé (il n'avait que vingt-cinq ans) put affiner sa propre conception de la vie monastique, et s'engager à la traduire dans la pratique. C’est ainsi qu’il rappela avec fermeté la nécessité d'une vie sobre et mesurée, que ce soit à table, dans l'habillement et jusque dans la construction des édifices monastiques, recommandant toujours, en outre, de soutenir et de prendre soin des pauvres…   Sa communauté devenant nombreuse, il multiplia les fondations…

En même temps, Bernard commence une longue correspondance avec de nombreuses personnes, aussi bien importantes que modestes. C'est à cette époque que remonte sa grande amitié avec Guillaume, abbé de Saint-Thierry, et avec Guillaume de Champeaux, figures importantes du XIIe siècle.

A partir de 1130, il commence à s'occuper des nombreuses et graves questions de l'Eglise. Aussi dût-il sortir assez souvent de son monastère. Et c’est ainsi encore qu’il entretint une très vive correspondance avec le très doux Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, pour qui j’ai personnellement une grande vénération.

Bernard dirigea surtout ses polémiques contre Abélard, ce grand penseur qui lançait une nouvelle manière de faire de la théologie en donnant une grande importance à la dialectique, à la philosophie !  Un autre front sur lequel Bernard a lutté était l'hérésie des Cathares, qui, méprisant la matière et le corps humain, méprisaient en conséquence le Créateur. En revanche, il sentit le devoir de prendre la défense des Juifs, en condamnant les vagues d'antisémitisme de son époque. C’est à noter !

 C'est dans la dernière partie de sa vie que Bernard rédigea ses œuvres les plus fameuses, comme ses Sermons sur le Cantique des Cantiques et son De Consideratione, œuvre adressée à l’un de ses disciples, devenu pape sous le nom d’Eugène III. Il donne, là, sa profonde vision du mystère de l’Eglise, du mystère du Christ !

Aussi, on peut dire que les  deux grands aspects de la riche doctrine de St Bernard concernent Jésus Christ et la Très Sainte Vierge Marie.
Dans sa sollicitude qu’il adresse à tout chrétien de participer intimement et vitalement à l'amour de Dieu en Jésus Christ, l'abbé de Clairvaux configure le théologien au contemplatif et au mystique. Seul Jésus - insiste Bernard face aux dialectiques complexes de son temps - seul Jésus est “miel à la bouche, cantique à l'oreille, joie dans le cœur (mel in ore, in aure melos, in corde iubilum)“. C'est pour cette raison que la tradition lui a attribué le titre de “Docteur mellifluus“ : sa louange de Jésus Christ, en effet, “coule comme le miel“. - Dans les grandes batailles des courants philosophiques de l'époque, St Bernard ne se lasse pas de répéter qu'il n'y a qu'un nom qui compte, celui de Jésus, le Nazaréen. “Ce que tu écris n'a aucun goût pour moi, si je n'y ai pas lu Jésus“. Et il conclut : “Lorsque tu discutes ou que tu parles, rien n'a de saveur pour moi, si je n'ai pas entendu résonner le nom de Jésus“ (1). En effet, pour Bernard, la véritable connaissance de Dieu consiste dans l'expérience personnelle et profonde de Jésus Christ et de son amour. Et cela doit nous faire réfléchir, car la foi est avant tout une rencontre personnelle, intime avec Jésus, une expérience de sa proximité, de son amitié, de son amour…

Je ne vais pas m’attarder : tous connaissent la grande dévotion de St Bernard à l’égard de la Vierge Marie : “Per Mariam ad Jesum“  ; à travers Marie, nous sommes conduits à Jésus.

St Bernard interpelle toujours. On prétend parfois résoudre les questions fondamentales sur Dieu, sur l'homme et sur le monde à travers les seules forces de la raison. St Bernard, au contraire, solidement ancré dans la Bible et dans les Pères de l'Eglise, nous rappelle que sans une profonde foi en Dieu alimentée par la prière, par la contemplation, par un rapport intime avec le Seigneur, nos réflexions sur les mystères divins risquent de devenir un vain exercice intellectuel. La  vraie théologie renvoie à la “science des saints“, à leur intuition des mystères du Dieu vivant, à leur sagesse…  
Avec St Bernard, nous aussi, nous devons reconnaître que l'homme cherche mieux et trouve plus facilement Dieu “avec la prière qu'avec la discussion“. Pour l’Abbé de Clairvaux, la figure la plus authentique du théologien comme du prédicateur reste celle de l'apôtre Jean qui a appuyé sa tête sur le cœur du Maître.

(1) Sermones in Cantica Canticorum xv, 6 : PL 183, 847


mercredi 1 août 2012

La Parole de Dieu !


17 T.O. - Mercredi   -                      (Jer. 15.10sv)

Devant les contradictions qu’il ne cesse de rencontrer en sa vie, Jérémie exprime sa souffrance, son découragement. “Pourquoi ma souffrance est-elle sans fin, ma blessure incurable, rebelle aux remèdes ?“. N’est-ce pas notre cri à nous aussi, parfois ? Je crois que Jérémie est le patron des dépressifs. Et nous le sommes tous plus ou moins. Il faut donc savoir le prier !

Car, finalement,  son remède à lui, Jérémie, c’est la Parole de Dieu qui, malgré tout, le remplit de ravissement ! “Quant tes paroles venaient à moi, Seigneur, je les dévorais ; ta parole faisait ma joie, les délices de mon cœur !“.
Il faut le dire et le redire - les psaumes l’attestent suffisamment - : dès l’A.T., la Parole divine n’est pas un objet de spéculation abstraite (comme le “Logos“ chez les Grecs).  Quand Dieu parle, il s’agit d’une véritable expérience de vie.

Certes, cette expérience peut varier : Isaïe, cet homme de grande foi qui fréquente les grands de ce monde ne ressemble pas à Ezéchiel à l’imagination si fertile, quasi caractérielle. Aux uns, est-il dit, Dieu parle “en visions et en songes“ (Nb 12.6) ; aux autres, par une inspiration intérieure plus indéfinissable. Ainsi en est-il pour Jérémie : “Dieu me toucha la bouche, dira-t-il ; et il me dit : Voici que j'ai placé mes paroles en ta bouche (1.9). A Moïse, Dieu parle “bouche à bouche“ (Nb 12.8), de sorte que lui-même pouvait parler au peuple “al pi Adonaï“, “sur la bouche de Dieu“ !

Mais ce ne sont pas ces différences d’expression qui comptent. Ce qui est à retenir, c’est que tous les prophètes ont clairement conscience que Dieu leur parle, que sa Parole les envahit en quelque sorte jusqu’à leur faire violence : Tu m'as séduit, Seigneur, dira encore Jérémie, et je me suis laissé séduire ; tu m'as maîtrisé, tu as été le plus fort… La Parole du Seigneur a été pour moi source d'opprobre et de moquerie tout le jour. Je me disais : Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son Nom ; mais c'était en mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os. Je m'épuisais à le contenir, mais je n'ai pas pu.(20.7sv).

De plus, la Parole de Dieu n’est pas donnée à un petit cercle d’hommes privilégiés, comme à des mystiques. La Parole de Dieu est toujours à transmettre. Tout le peuple est appelé à reconnaître que Dieu lui parle par la bouche de ses envoyés. Ainsi, tous, nous sommes appelés à accueillir la Parole de Dieu non seulement avec notre tête, mais avec tout notre être, à mastiquer la Parole de Dieu, disaient les Pères de l’Eglise, à la ruminer sans cesse afin qu’elle puisse alimenter tout notre être, toute notre vie !

Au temps de Notre Seigneur, et bien plus encore par la suite, les synagogues étaient des lieux d’études. Et actuellement, pour nous, il y a une multitude de livres, de cercles de réflexion  qui décrivent comment aborder la Parole de Dieu, qui proposent des méthodes de recueillement, de méditation, et que sais-je encore. C’est très bien. Cela peut être une aide. Dans la vie moderne d’aujourd’hui, souvent artificielle, ces explications, ces méthodes diverses peuvent aider à retrouver la concentration, le recueillement. Mais ceci dit, aussi parfaitement que soit labourée la terre, si on ne sème pas, il ne pousse rien. Il faut sans cesse se laisser ensemencer par la Parole de Dieu pour porter alors du fruit ; être de ces arbres, selon les espèces, selon les temps, qui donnent du fruit, de la fécondité…, devenir de bonnes terres qui produisent 30, 50, 100 pour un !

La Parole de Dieu doit être tout d’abord écoutée avec un cœur noble et généreux, dit St Luc (8.15). Le P. Courroyer (de l’Ecole biblique de Jérusalem) a expliqué naguère que le contraire de “prêter l’oreille“, c’est avoir la “nuque raide“. Un peu comme l’aspic qui est parfois représenté comme se bouchant une oreille contre terre et qui se raidit afin que sa queue vienne boucher l’autre ! Et il ajoutait : on peut être très savant et ne pas écouter véritablement !
Le peuple de Dieu fut souvent accusé d’“avoir la nuque raide“ : ne pas savoir écouter. Finalement, l’oreille est un organe très important. Les rabbins aimaient à dire (Mais Aristote le remarquait déjà dans son “De natura rerum“) que nous avons deux oreilles et une seule bouche ! Vous pourrez en tirer pas mal de conclusions. En tous cas, on devrait écouter plus que l’on ne parle. On passe beaucoup de temps parfois, me semble-t-il, à discuter et discuter encore de certains problèmes… Et si on commençait par écouter la Parole de Dieu : la prière ! Un jour, le Cardinal Suhard que vous affectionnez légitimement est arrivé au sein d’un groupe de prêtres qui discutaient, discutaient avec un sérieux imperturbable… Au bout d’un moment, le saint homme leur dit avec le sourire : “Messieurs, et si on faisait comme si Dieu existait… ?“.

Oui, on doit écouter plus que l’on ne parle. Car il faut le reconnaître : la bouche peut être fermée deux fois, une fois avec les dents et une fois avec les lèvres. Mais on ne peut fermer les oreilles. Chez Isaïe, ce qui est important ce n’est pas tant la bouche que les oreilles : Le Seigneur m'a donné une langue de disciple pour que je sache apporter à l'épuisé une parole de réconfort. Il éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j'écoute comme un disciple. Le Seigneur m'a ouvert l'oreille, et moi je n'ai pas résisté, je ne me suis pas dérobé. (Is. 50.4).

Et il y a cette célèbre parole du psaume 40ème : “Tu ne voulais ni sacrifice ni oblation, tu m’as ouvert l’oreille“. C’est très curieux - et je terminerai par là - : dans les Septante et dans la lettre aux Hébreux, là où il est écrit “ tu m’as ouvert l’oreille“, on lit : “Tu m’as formé un corps !“ : “C'est pourquoi, en entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m'as façonné un corps“ (Sept. “Alors je viens !“)

Alors une question à laquelle vous répondrez certainement avec la sensibilité féminine que je n’ai pas : comment est-on passé de l’oreille au corps ? Comment cela ? Je sais bien que le premier organe sensible qui vient à l’éclosion dans l’embryon, c’est l’oreille ! Est-ce une explication ? Je ne sais ! Mais une chose est certaine : la Parole de Dieu qui entre par les oreilles et qui doit descendre jusqu’au fond des entrailles, doit entraîner comme un rebondissement de tout l’être dans l’action de grâce : Tu n'as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m'as façonné un corps“.
Autrement dit, depuis que Dieu s’est fait homme, la Parole de Dieu demande à être appropriée jusqu’à l’incarnation. N’est pas une façon de poursuivre ce grand mystère de Dieu parmi les hommes qui va me permettre de dire dans un instant : “Prenez, ceci est mon Corps !“.
Ce n’est sans doute pas une explication, mais une simple indication… Vous me le direz certainement en temps opportun.