mardi 31 janvier 2012

La Foi !

4 T.O. Mardi (Mc 5. 21-43)

St Marc manie plus facilement que les autres évangélistes le paradoxe, paradoxe qui apparaît jusque dans la construction de ses récits !

Hier, la guérison du démoniaque gérasénien avec le troupeau d’environ 2.000 porcs (rien que cela !) qui, sous l’emprise des esprits impurs, dévale l’escarpement pour se précipiter dans la mer et s’y noyer, constitue le miracle le plus spectaculaire de tout l’évangile de Marc. Le narrateur semble n’épargner aucun détail pour rendre ce miracle aussi sensationnel que possible.

En fort contraste avec ce récit, nous avons aujourd’hui la résurrection de la fille de Jaïre qui a lieu pratiquement, lui, dans le plus grand secret : la foule est abandonnée ; seuls trois disciples accompagnent Jésus ; les gens venus pleurer la défunte sont mis dehors… Il n’y a que les parents de la jeune fille et les trois disciples qui pénètrent avec Jésus dans la chambre mortuaire. Et la description du miracle - le plus grand de tous les miracles rapporté par St Marc - est d’une extrême sobriété. Jésus dit simplement : “Je te l’ordonne, lève-toi !“. “Aussitôt, la fillette se leva et se mit à marcher, car elle avait douze ans !“. L’histoire se présente comme s’il n’y avait qu’une petite fille à réveiller de son sommeil. Et même, Jésus, en finale, recommande que personne ne le sache !

Entre ces deux relations d’attitudes, de narration, il y a la guérison de l’hémorroïsse qui reçoit une place éminemment signifiante : on y retrouve le contraste de tout le chapitre avec un éclairage supplémentaire :
- D’une part, il y a la foule qui presse Jésus de tous côtés et qui n’arrive pas à entrer en contact avec lui : on est dans le sensationnel comme pour la guérison de Gérasénien…
- Et d’autre part, il y a, au milieu de cette foule, comme tout à fait secrètement, l’attitude de la femme qui ne fait que toucher l’extrémité du manteau de Jésus. Elle seule est atteinte par Jésus ; elle est guérie par une force mystérieuse et invisible de Jésus au plus profond et au plus intime de sa personne. Secrètement !

Autrement dit, l’action de Dieu en Jésus est toujours paradoxale. Elle est capable de choses toujours extraordinaires, et parfois surprenantes, sensationnelles (histoire du gérasénien), et parfois comme très secrètes (résurrection de la fille de Jaïre). Mais pour les deux cas - pour tous les cas sensationnels ou secrets -, la guérison de l’hémorroïsse, placée là paradoxalement au milieu de ces récits, révèle ce qui donne accès à la puissance divine : LA FOI ! - “Ta foi t’a sauvée !“ -. La foi que se permettra de solliciter Jésus, après l’épisode de la femme guérie, au père de la jeune fille : “Crois seulement !“. Et St Marc de sous-entendre : Crois comme cette femme soudainement guérie.

Le fait d’avoir inséré cette guérison de la femme entre l’histoire du possédé et celle de la résurrection de l’enfant nous donne la signification de l’ensemble : LA FOI ! C’est ce que ne cessera alors d’affirmer Jésus : “Ayez foi en Dieu !“ (Mc 11.22). Même pour des choses qui peuvent paraître invraisemblables, sensationnelles : “Si quelqu’un dit à cette montagne : « Ote-toi de là ! »…et s’il ne doute pas en son cœur…, cela arrivera !“ (Mc 11.23).

C’est ce que répètera à l’envie l’auteur de la lettre aux Hébreux :
“La foi est une manière de posséder déjà ce qu’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas…
Par la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice meilleur que celui de Caïn…
Par la foi, Noé, divinement averti de ce qu’on ne voyait pas encore…
Par la foi, Abraham partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage… Il attendait la ville dont Dieu est l’architecte et le fondateur… Par la foi, il a offert Isaac…. Même un mort, se disait-il, Dieu est capable de le ressusciter…
Par la foi, Sara, malgré son âge, dut rendue capable d’avoir une postérité...
Par la foi, Isaac… ; Par la foi, Moïse… ; Par la foi, Rahab, la prostituée…“
...
Etc (ch. 11)

“Qui est vainqueur du monde, demande St Jean, sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? La victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi !“ (I Jn 5.4,5). Et alors, le jour où la foi prendra fin, “nous serons semblables à Dieu, parce que nous le verrons tel qu’il est !“ (id 3.2).

“Je sais en qui j’ai mis ma foi !“, disait St Paul (2 Tm 1.12). Aussi, il demandait de mener “le beau combat de la foi“ (1 Tm 6.12). “Il faut, disait-il, que, par la foi, vous teniez solides et fermes !“ (Col 1.23). Car il est un fait, affirmait naguère Mgr Rodhain, apôtre de la charité, que “dans l’histoire de l’Eglise, la charité a diminué chaque fois que la foi a faibli !“ (1). Ce que Ste Catherine de Sienne exprimait à sa façon : “Notre amour est la mesure de notre foi ; et notre foi est la mesure de notre amour !“.

(1) Congrès eucharistique de Munich

lundi 30 janvier 2012

Chez les païens !

4 T.O. Lundi - (Mc 1-20)

La grande section narrative du chapitre 5ème, chez St Marc, alterne avec la première section des chapitres 3 et 4.
Mais on revient au genre “récit“ qui dominait dans les deux premiers chapitres. Cependant, cette fois-ci, le narrateur est beaucoup plus prolixe ! On dirait qu’il aime prendre son temps pour décrire des épisodes assez colorés : la guérison d’un démoniaque (notre évangile), la résurrection de la fille de Jaïre avec, entremêlée, la guérison de l’hémorroïsse. On dirait que ces épisodes ont marqué sa mémoire.

On peut remarquer également la même structure qu’au début de l’évangile :
- Dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus guérit un homme possédé d’un esprit impur (notre évangile d’hier) qui vocifère : “Que nous veux-tu Jésus, le Nazaréen ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : le Saint de Dieu“ (1.24).
- De même, en notre évangile qui débute la seconde section narrative, le démoniaque gérasénien s’écrie : “Que me veux-tu, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut ? Je t’adjure par Dieu : ne me tourmente pas !“ !
Dans les deux cas, ce sont les démons qui reconnaissent qui est Jésus, alors que tout le monde se pose la question : Mais qui est-il donc pour parler et agir comme il le fait ? Et si Jésus s’adresse d’abord à des possédés, c’est une preuve que son combat est contre les forces du mal, contre Satan !

Autre similitude :
- Après l’exorcisme de Capharnaüm, Jésus, accompagné seulement de Jacques et Jean, va chez Simon-Pierre pour guérir sa belle-mère !
- De même, au chapitre 5ème, Jésus, accompagné des mêmes disciples, entre chez Jaïre pour que sa fille revienne à la vie !
Jésus est le maître de la maladie (de tout mal) et de la mort qu’elle peut provoquer ! Car il est venu pour qu’on ait la vie ! Dans les deux cas, Jésus prend par la main et relève, met debout, en attitude de ressuscité !
De plus, Jésus, depuis la tentation au désert, est toujours en lutte contre les forces démoniques, les forces la mort. Il s’oppose au mal pour faire le bien !
Nous-mêmes, dira St Paul, “faisons le bien sans défaillance“ (Gal 6.9), tout bien qui est à notre portée. Et St Pierre de préciser : “Qui veut aimer la vie doit se détourner du mal et faire le bien“ (I Pet 3.11). Efforçons-nous de toujours faire le bien en implorant : Seigneur, “délivre-nous du mal“ (Mth 6.13), de tout mal !

Mais il faut remarquer aussitôt : chercher le bien, se détourner du mal, ce n’est pas obligatoirement fuir le pécheur. Jésus, face au démoniaque, se trouve en Décapole ! Il est beaucoup question de la Décapole dans les évangiles. Jésus s’y trouvait assez souvent ! Pour deux raisons, semble-t-il.
- D’abord pour fuir le pouvoir despotique d’Hérode-Antipas qui régnait en Galilée et dans la Pérée. A la suite de Jean-Baptiste, Jésus avait un discours assez subversif face à ce tyran, face aussi à Pilate, face au pouvoir en place à Jérusalem. Il y a quelques années, un professeur d’Ecriture Sainte, Gerd Theissen (1), s’est “amusé“ si je puis dire, à faire un récit historique romancé sur la société du temps de Jésus. Et il montre parfaitement que Notre Seigneur pouvait passer aux yeux des tenants du pouvoir, sinon pour un révolutionnaire, un ardent zélote, du moins pour un trublion capable de fomenter séditions, manifestations, voire émeutes. Jésus avait certainement intérêt à fuir la police d’Hérode-Antipas qu’il qualifiait d’ailleurs de “ renard“ (Lc 13.32).
- Deuxième raison : La Décapole est un ensemble administratif qui a été mis en place par Pompée (vers 60 av.J-C), comme tampon contre les incursions assez fréquentes des Parthes, un ensemble de dix villes franches (Déca-polis), peuplées surtout par des païens… qui vont jusqu’à cultiver et manger des cochons ! Rendez-vous compte !
Et bien, Jésus aime se tourner vers les païens pour marquer, déjà, l’universalité du salut qu’il apporte pour tout homme de bonne volonté ! Et les païens ne sont pas seulement les habitants du pays, mais aussi les Romains puisque le nom du démoniaque est “légion“, allusion, évidemment, à l’occupant dont les forces constituaient la “legio decima fretensis“ (2). Or l’emblème de cette “legio“ était le sanglier. Alors entre le sanglier et le cochon, il n’y a pas loin, si je puis dire ! Ainsi donc, les Romains, eux aussi, doivent être “exorcisés“ pour être évangélisés, ce que fait déjà St Paul quand Marc écrit son évangile.
L’Eglise est donc bien Une, Universelle, Catholique… pour tous ! Elle n’est pas, ne doit pas être constituée de groupuscules - plus ou moins orthodoxes d’ailleurs - avec des particularités locales. Ce qui est le grand danger en certains pays, nous le savons. Prions pour l’Universalité de l’Eglise, son Unité.

Enfin une dernière remarque à propos de cet évangile. L’homme délivré de ses esprits impurs “se mit à proclamer dans la Décapole ce que Jésus avait fait pour lui“. “Proclamer“ ! Le verbe employé est “keruzein“ d’où est sorti le mot un peu savant “kérygme“ qui désigne la toute première proclamation des apôtres : “Le Christ est ressuscité !“. L’ancien possédé qui, est-il dit, “venait des tombeaux“, proclame désormais la Vie, la vie de Dieu !

Et pour finir une petite réflexion aussi amusante que percutante : “Les gens du territoire se mirent à supplier Jésus de quitter le territoire“. Non point qu’ils doutent de Jésus, qu’ils lui font des reproches… Mais, que voulez-vous, avec Jésus et l’histoire des cochons, c’est quand même toute une économie qui tombe… dans l’eau ! Dieu ou l’argent ! Il faut choisir ! C’est toujours de grande actualité !


(1) Gerd Theissen :! “A l’ombre du Galiléen“ – Edit Cerf (livre à lire !)
(2) “fretensis“ indique la région du détroit entre la botte de l’Italie et la Sicile.

samedi 28 janvier 2012

Souffrance !

4e Dimanche du T.O. 12/B

Aujourd’hui, c’est la “Journée mondiale des lépreux". Même si ce mal a fortement régressé, il sévit toujours ! De plus, en nos temps modernes, il y a de nouvelles formes de lèpres, aussi affreuses les unes que les autres ! Je resterai toujours marqué par un passage dans la “salle des mourants“ d’un grand hôpital de Paris. Je me rendais auprès de l’un d’entre eux qui mourut peu après. Et voir une douzaine de grabataires, séparés par de simples alcôves, avec la certitude de leur mort toute proche, est une profonde expérience de la présence du mal en notre monde, alors même que les bruits extérieurs, quoique assourdis, manifestaient la présence trépidante de la Vie !

Pourquoi tant de souffrances ? Pourquoi l’atroce maladie. Où donc est Dieu ?

C'est le cri interrogatif de l'homme malheureux, victime du destin ou de ses propres faiblesses, et souvent révolté contre Dieu ou doutant de son existence. Ne sommes-nous pas tous affrontés à l'éternel problème du mal ?
Et le mal a deux visages : le malheur et la méchanceté ; il est à la fois dans ce qui arrive (malheur) et dans ce qui surgit du cœur de l'homme (mal - péché).

"Je ne veux pas mourir !" s'écriait le peuple d'Israël rassemblé par Moïse. Et nous voyons Jésus, dans l'évangile, chasser l'esprit mauvais qui s'était emparé d'un homme. D'un côté l'angoisse devant la souffrance, la mort ; de l'autre, le combat singulier (en nous-mêmes) entre Dieu et Satan.

Les philosophes n'ont cessé de chercher une explication à la présence du mal. Aucune de leurs théories ne paraît convaincante. Il y a même un humour très noir quand Aristote lui-même définit le mal comme une absence de bien, un défaut d’être. Mais avec une simple rage de dent, je trouve que cette absence d’être est quand même très présente et peut fortement contrarier le sens de ma vie ! Et d’aucuns souscriraient facilement à cette réflexion du Dteur Rieux à l’abbé Paneloux dans “La Peste“ de Camus : “Je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés !“.

Aussi, à défaut d'explication pleinement satisfaisante, demandons-nous plutôt s'il existe une solution au mal ?

Pour rassurer le peuple tourmenté, Moïse - nous l'avons entendu - avait reçu cette révélation : "Ils ont raison, dit Dieu. Et je ferai se lever un prophète comme toi ; je mettrai dans sa bouche mes paroles, et il leur dira tout ce que je lui prescrirai".
Et voici qu'au terme d'une longue espérance apparut le Messie promis, le Christ qui affirme : "Je suis venu pour qu’ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance" (Jn 10,11).

En guérissant les malades, les aveugles, les perclus, il s'affirme déjà vainqueur de la souffrance ; en ressuscitant Lazare, il se révèle plus fort que la mort ; en chassant les démons et en remettant les péchés, il signifie sa domination sur l'Esprit du mal.

Mais tous ces signes ne sont encore que les préludes à la victoire définitive. L'Amour n'est souvent libérateur d’un l'esclavage qu'en l’assumant pour mieux le vaincre. Aussi, le Fils de Dieu s'est-il incarné jusqu'à revêtir notre chair douloureuse et mortelle, notre chair de péché, accomplissant de la sorte la prophétie d'Isaïe : "C'étaient nos souffrances qu'il portait, nos douleurs dont il était accablé... Il a été transpercé à cause de nos péchés... Et c'est grâce à ses plaies que nous sommes guéris" (Is 53,4-5).

Pourtant, dirons-nous, la victoire pascale de Jésus ne nous a libérés ni de la souffrance ni de la mort, et le péché de l'homme poursuit ses effroyables ravages. La souffrance apparaît toujours défaite, irréparable épuisement, usure sur laquelle ni la raison ni même la grâce n’ont beaucoup de prise. Assez rares sont ceux que Claudel appelle “des âmes agrandies dans des corps entravés“.

C’est vrai, apparemment, rien n'a changé après la venue de Dieu parmi nous. La morsure de la souffrance demeure aussi cruelle. Et pourtant, avec un souffrant, un Job de notre temps (Dostoievski), on peut dire : “La souffrance, je ne la comprends pas ; c’est vrai ; … seulement, … seulement, il y a Jésus”. Et désormais à la misère de l'homme répond la misère du Christ, “en agonie jusqu'à la fin du monde”, comme dit Pascal. Que l’on a raison de dire : “Dieu est couvert de blessures d’amour qui jamais ne se ferment”. Ces blessures, Dieu les reçoit sur toute la face de la terre : guerres, injustices, détresses, maladies… … Blessures de l’homme ! Donc, blessures de Dieu en Jésus Christ ! C’est la mystérieuse prophétie de Zacharie qui s’accomplit toujours depuis le Golgotha : “Ils regarderont vers moi, dit Dieu, Celui qu’ils ont transpercé“ (Za. 12.10), paroles que reprendra St Jean au pied de la croix (19.37).

Pascal, dans ses Pensées, s'agenouille longuement devant le “Mystère de Jésus” en son agonie ; car, en Jésus, le mystère de l'homme rejoint alors le mystère de Dieu au point de se confondre l'un dans l'autre, et aussi de s'éclairer l'un par l'autre. En prenant sur lui la souffrance de l'homme, en la prenant dans son altière profondeur, Jésus l'a ouverte à la présence infinie du Dieu d’amour, manifestée en son mystère pascal. Lorsque l’accablement et la révolte nous submergent, si seulement nous savions que c’est toujours le Christ qui, en nous, souffre…

Oui, chrétien, on ne peut que balbutier, mais avec foi : notre souffrance n'est plus seule, elle n'est plus sans écho, elle retentit jusqu'à la Croix du Christ. En fin de compte, devant toute souffrance - la nôtre ou celle d'autrui -, nous ne pouvons humainement que nous taire ou tout au plus, comme le fait St Jean au pied de la croix, indiquer du doigt le Souffrant de Gethsémani, l’Homme des douleurs. - Durant la dernière guerre, Elie Wiesel, emprisonné à Auschwitz, assistait avec ses compagnons d’infortune à l’exécution de plusieurs enfants. On souffla derrière lui l’éternelle et douloureuse question : “Où est-il ton Dieu ?“. Il n’eût qu’une parole en désignant les malheureuses victimes : “Il est là !“.

C’est alors, peut-être, qu’un doux et bienfaisant dialogue intérieur peut s’établir, car seul le “Serviteur souffrant” peut parler à un souffrant ; tout autre dialogue est souvent indécence, insolence. Lui seul peut faire comprendre à l’un de ces plus petits, de ces plus innocents qui souffrent cruellement que pour Dieu, depuis qu’il s’est fait homme souffrant, il n'y a aucun “déchet d’humanité” !

Car, devant le Christ en croix, le chrétien murmure d’abord et affirme ensuite avec force : les forces du mal avaient semblé l’anéantir lui-même. Mais il avait annoncé la fécondité du grain tombé en terre… Et c’est au moment où tout semblait fini pour lui que la contagion de sa vie va commencer de s’étendre vers les immensités de l’espace et des temps. Désormais, même devant la mort, beaucoup iront répétant, avec la force de la foi, qu’ils sont déjà des “ressuscités avec lui !”.

C'est la seule réponse qu'un disciple du Christ peut balbutier devant la souffrance et devant le mal, devant la mort ! Oui, avec le Christ, la mort elle-même n'est plus désormais le dernier mot de la vie, elle ne porte plus en elle l'angoisse du néant. Et depuis que la Passion de Jésus a concentré en elle toutes les douleurs humaines possibles, de la trahison jusqu'au sentiment de l'abandon, la souffrance offerte avec Jésus porte paradoxalement une valeur de vie par-delà toute mort ; elle peut même devenir béatitude : "Heureux les pauvres, les affligés, les persécutés... ". Elle devient passage, une pâque pour accéder à plus de paix, de lumière et de joie parfaite, un passage jusqu’à Dieu avec qui "il n'y a plus ni souffrance, ni larmes, ni mort" (Cf Apoc. 7.17 etc).

Quant au péché, ce mal de la conscience, il est, lui aussi, et du même mouvement, vaincu, au point que l'Eglise s'autorise à chanter : "O Heureuse faute qui nous a valu une telle rédemption !"

Point n'est alors besoin pour un chrétien de chercher une explication - si légitime soit-elle - au problème du mal, dès lors que nous savons, par la foi et l'expérience pascale, que ce qui nous paraissait absurde et scandaleux prend, si nous y consentons dans le Christ Jésus, le sens d'un combat toujours assuré de sa victoire.

Mais comme il est terrible d’y consentir à ce combat du mystère pascal. Il faut s’y reprendre à plusieurs fois comme le fit le Prostré de Gethsémani ; mais à chaque fois un peu plus de paix nous envahit et l’Esprit nous souffle un meilleur consentement qui nous fait déjà entrer avec joie en la Vie éternelle.

La Foi à l'épreuve !

3 T.O. Samedi - La tempête apaisée ! (Mc 35-41)

Marc avait conclu les “Discours paraboliques“ de Notre Seigneur par ces deux petites phrases lapidaires :
- “Il leur annonçait la Parole dans la mesure où ils étaient capables de l’entendre !“, c’est-à-dire dans la mesure de leur foi, de leur adhésion au Seigneur, dans la mesure où ils se situaient parmi ceux “du dedans“, par opposition à ceux “du dehors“, distinction que Marc avait utilisée. “Pour ceux du dehors, tout devient énigme“ (4.11).
- “En particulier, il expliquait tout à ses disciples“. L’adhésion à Jésus, la foi, permet d’aller bien au-delà du discours, des paraboles, permet une communion qui est comme une lumière dissipant toutes les ténèbres. Leçon qui était, elle aussi, enseignée précédemment : “Lorsque la lampe « vient »“, rien de secret alors, rien de caché qui ne doive venir au grand jour (Cf. 4.22). Cette lampe qui éclaire, c’est Jésus, bien sûr : “Moi, la lumière, je suis venu dans le monde“ (Jn 12.46). Car “en lui était la lumière des hommes !“ (Jn 1.4). - Et comme le Fils de Dieu “est venu“ dans le monde, de même lorsque l’Esprit « vient », cet Esprit qu’il nous envoie, il nous fait “accéder à la vérité toute entière“ (Jn 16.13).

Ces versets forment une conclusion à l’enseignement précédent de Notre Seigneur : l’importance de notre adhésion au Seigneur, l’importance de la foi. La foi, avant la vision éternelle, c’est, un “face-à-face dans les ténèbres“, mais déjà cependant un “face-à-face. La foi, c’est la possession à l’état obscur, dira St Paul,, mais déjà cependant une possession. Sachons cultiver ce don de Dieu qu’est la foi !

Après cette conclusion, l’évangéliste raconte un petit épisode de transition, transition même au sens littéral puisqu’il s’agit de la traversée d’un lac. C’est Jésus qui prend l’initiative : “Passons sur l’autre rive !“.
Mais voilà qu’aussitôt, les disciples prennent la relève, si je puis dire : à eux maintenant, toute initiative ! Jésus se laisse emmener par ces pêcheurs, ces navigateurs du lac Kinnereth (de Tibériade). Il devient, comme absent, au point qu’il s’endort ; et le narrateur d’insister : bien installé “à la poupe, sur le coussin“.
Les disciples sont donc totalement laissés à eux-mêmes ! Or voici que la tempête se lève ! (A noter que Matthieu parle de “séismos“ !) J’ai eu l’occasion, je crois, d’expliquer ce phénomène météorologique auquel j’ai moi-même assisté : lorsque les nuages humides de la méditerranée vont à la rencontre, au-dessus du lac, de ceux, très secs, qui montent du désert syrien, une agitation des eaux, soudaine et parfois terrible, peut en résulter. C’est surtout en fin d’après-midi que ce phénomène se produit le plus souvent !

Evidemment, une tempête soudaine et brutale provoque une certaine panique même parmi ces navigateurs habitués aux humeurs changeantes du lac. Dans leur désarroi, ils crient, réveillent le Maître ! Et celui-ci, debout, fait taire le vent, apaise la mer. “Et il se fit un grand calme !“.

Jésus ordonne : “Silence ! Tais-toi !“.
- A noter que c’est le même ordre que Jésus avait lancé précédemment à un homme “possédé d’un esprit impur : Tais-toi !“ (Cf 1.23sv). Et l’assistance s’était étonnée : Qui est-il donc ? “Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent !“.
- De plus, dominer la mer déchaînée est le propre du pouvoir créateur : “Il menace le vent“, dit Marc. Sous le mot grec, on devine le mot hébreu très fort “gaar“ (“engueuler“ !) utilisé quand Dieu, au début de la Genèse, dans un langage des cosmogonies anciennes, met en place les éléments de la création : “A ta menace, les eaux ont fui, affolées par tes coups de tonnerre… Tu leur as imposé une limite à ne pas franchir“ (Ps 104) - “C’est toi qui maîtrises l’orgueil de la mer ; quand les vagues se soulèvent, c’est toi qui les apaises !“ (Ps 89.10).
La réflexion des apôtres est donc naturelle : Mais, qui est-il donc ? L’emploi du verbe “menacer“ est déjà une réponse à la question. Nous sommes encore dans la partie de l’évangile où tout le monde s’interroge : Qui est-il donc ? “Même le vent et la mer lui obéissent !“. Aurait-il un pouvoir quasi divin ?

Mais avant cela, Jésus les avait apostrophés : “Pourquoi avoir si peur ? Vous n’avez pas encore la foi ?“. Une autre version est plus insistante : “Comment se fait-il que vous n’avez pas encore la foi ?“. Toujours, l’importance de la foi !
Après l’enseignement sur la semence jetée en terre, qui d’elle-même se met à germer, à porter du fruit, indépendamment du semeur, “qu’il dorme ou qu’il se lève, la nuit ou le jour“ (4.27-28), ne fallait-il pas croire en celui qui avait pris l’initiative de la traversée, même s’il paraissait dormir d’un sommeil qui fait songer à la mort ? - Avec les Pères de l’Eglise, on peut lire en filigrane l’attitude de foi que l’évangéliste cherche à inculquer à sa Communauté chrétienne, malgré les épreuves en ce monde et malgré le “sommeil“ du Seigneur, mis à mort sur la croix !

Dernière remarque, mais d’importance : Jésus, endormi dans la barque au milieu de la tempête, rappelle irrésistiblement cet autre prophète: Jonas, l’envoyé vers les païens de Ninive. L’“autre rive“ où Jésus arrive selon Marc est justement la Décapole, territoire païen. – “Passons sur l’autre rive“ devient alors un ordre de mission ! C’est dire que la foi dont il est toujours question est obligatoirement missionnaire, apostolique. “Nous ne pouvons nous taire“ (Ac 4.20), proclameront les apôtres ! St Jacques insistera énormément sur le témoignage de notre foi !

La conclusion est limpide : “Si vraiment vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde…“ (Lc 17.6).

jeudi 26 janvier 2012

Paradoxe résolu !

3 T.O. Jeudi - (Mc 4.21-25)

La liturgie ne nous permet pas parfois de suivre la logique des textes qui nous sont habituellement proposés au “Temps Ordinaire“. Car il est très louable et profitable d’interrompre cette logique pour célébrer également la gloire des Saints (Hier, c’était la Conversion de St Paul- Demain Sts Tite et Timothée). - De plus, St Marc, toujours très concis, n’offre pas toujours dans son évangile une clarté fulgurante dans la suite de sa narration.

Ainsi, hier, nous aurions du entendre la parabole du Semeur. Vous la connaissez bien cette parabole : “Le semeur sortit pour semer… “. Et le grain qu’il répand tombe sur le chemin, sur les rocailles, dans les ronces …ou dans la bonne terre… ! Et Notre Seigneur lui-même d’en donner l’explication en insistant sur la responsabilité de chacun à accueillir la Parole de Dieu pour qu’elle porte du fruit…

Demain, nous devrions entendre deux petites paraboles : celle de la semence qui pousse toute seule…, et celle de la petite graine de moutarde qui devient un arbre capable d’abriter les oiseaux du ciel…

Ces deux sections de paraboles - celle d’hier et celles de demain -, unies par l’image des semailles, semblent s’opposer !
- Le premier thème insiste sur la responsabilité de chacun à accueillir la semence de la Parole divine.
- Le second thème précise comment la semence porte du fruit par elle-même : que l’homme “dorme ou veille !“, elle produit l’herbe, puis l’épi ; et bientôt c’est la moisson ! (Mc 4.27).
D’une part, tout se décide par l’homme en sa manière d’accueillir ; et, d’autre part, tout est entre les mains de Dieu depuis le commencement jusqu’à la fin de la récolte ! Enseignement paradoxale…, à quelques lignes d’intervalle !

Essayons de traduire : Ce qui a été révélé en Jésus-Christ doit, de nécessité divine, parvenir à sa pleine manifestation, à sa parfaite fertilité en l’homme. Mais l’homme demeure cependant responsable de son attitude vis-à-vis de cette révélation.

Paradoxe qui provoque une tension : tout arrive comme prédit, prévu par Dieu ; tout n’en demeure pas moins dépendant de l’homme accueillant ou non ! Tout est don de Dieu ; et tout est fruit de la disponibilité d’un chacun.
- Ainsi, le massage de Jésus a été reçu par les uns et refusé par les autres. Le refus des autorités juives relève pleinement de leur responsabilité. Mais le message ne cesse d’être offert !
- De même, le mystère du Royaume de Dieu donné à la Communauté chrétienne dépend bien de celle-ci, mais elle est en même temps don permanent et gratuit de Dieu !

Toute une théologie de l’histoire, de la liberté humaine et toute une Providence divine sont impliquées dans ce paradoxe. Les contradictions et même le tragique qui caractérise la condition chrétienne depuis les débuts de son histoire se voient assumées dans une vision théologique dont le ressort fondamental est l’espérance, l’espérance en la Miséricorde divine manifestée dans le mystère pascal du Christ, semence de Dieu jetée en la terre de l’homme.

Peut-être, justement, que cette solution de ce paradoxe de la vie chrétienne est signifiée dans notre évangile d’aujourd’hui placé intentionnellement au milieu de ces paraboles qui semblent s’opposer. Jésus disait : “Est-ce qu’on apporte la lampe pour la mettre sous le boisseau ?“. Littéralement : “Est-ce que la lampe vient… ?“. Cet emploi curieux du verbe “venir“ pour une lampe évoque, bien sûr, la venue du Christ qui disait : “Moi, la lumière, je suis venu dans le monde“ (Jn 12.46). Car “en lui était la lumière des hommes !“ (Jn 1.4).

Dès lors, avec le Christ, “rien de caché qui ne doive venir au grand jour“, et en particulier “le mystère caché tout au long des âges et que Dieu a manifesté maintenant“ (Col 1.26), pour être “destiné à notre gloire“ (I Co. 2.7). Oui, ce mystère caché se révèle en Jésus Christ : “Je suis la lumière du monde“, disait Jésus (Jn 8.12).Que cette lumière brille au milieu des ténèbres“ (2 Co. 4.6).

Bien plus, avec le Christ, “tout ce qui est manifesté est lumière“ (Eph. 5.14), devient lumière, les ténèbres disparaissant, le péché faisant place à la grâce de sorte que “Celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière“ (Ephs. 2.9), nous dit désormais : “maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur“ (Eph. 5.8) ; soyez “comme des sources de lumières dans le monde“ (Ph. 2.15). C’est ainsi que “la lumière brille pour tous ceux qui sont dans la maison“ (Mth 5.15), afin, disait Jésus, qu’“en voyant vos bonnes œuvres, les hommes rendent gloire à votre Père qui est aux cieux“. (Mth 5.16).

Ainsi la solution au paradoxe de notre vie chrétienne est de sans cesse nous exposer aux rayons de cette Lumière divine. Or, le Verbe étant la lumière du monde“ (Jn 1.9), s’exposer à la Lumière divine, c’est avant tout : Ecouter ! “Si quelqu’un, ajoute Notre Seigneur, a des oreilles pour entendre, qu’il entende !““Faites donc attention à la manière dont vous écoutez“, précisera St Luc (8.18). Et St Bernard de commenter : “Tu désires voir, écoute d’abord !“.

Oui, il nous faut être attentifs, “car celui qui possède, on lui donnera ; et celui qui ne possède pas, on lui enlèvera même ce qu’il possède !“. C’est dire qu’en ce domaine de l’accueil du “Verbe de vie“ (I Jn 1.1), il n’y a pas de neutralité possible. C’est la vie ou la mort ! Pour Marc surtout, ne pas discerner le secret du Royaume en Jésus augmente encore la cécité face à ce Royaume. Par contre, plus on entre dans le mystère du Christ, plus il nous sera donné ! Car Dieu qui a livré son propre Fils pour nous tous, comment, avec son Fils, ne nous donnerait-il pas tout ?“ (Rm 8.32).

Aussi, alors même que nous nous sentirions indignes vis-à-vis de Dieu, n’hésitons pas à faire cette prière avec St Augustin : “Par tes miséricordes, dis-moi ce que tu es pour moi. Voici les oreilles de mon cœur devant toi… Ouvre-les et dis à mon âme : « Moi, je suis ton salut »“.

mercredi 25 janvier 2012

Conversion de Paul

25 Janvier - Ac. 22.3sv – Mc 16.15sv

Le “Verbe de Dieu“ s’est incarné, a pris un corps d’homme dans le sein de la Vierge Marie
* pour rencontrer les hommes,
* leur révéler le projet d’amour de son Père : faire des fils des hommes des fils de Dieu !

Et par-delà sa résurrection - qui atteste divinement la véracité de sa mission -, le Christ continue à rencontrer les hommes d’une façon personnelle, mystérieuse…, et parfois d’une façon abrupte et éclatante.
Tel fut le cas de Saul, le Pharisien, “qui ne respirait que menaces et tueries contre les disciples du Seigneur“. Quelques années après la mort du Christ, alors qu’il s’avançait sur la route de Damas, “il fut soudain enveloppé d’une lumière éclatante“.
Telle fut sa première rencontre avec le Christ ressuscité et toujours vivant !

Alors il se tourna totalement vers le Christ : il se convertit ! “Pour moi, vivre, c’est le Christ !“ (Ph. 1.21). Alors, “malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile !“ (I Co. 9.16).

La conversion est donc d’abord un don de Dieu :
* une lumière sur notre chemin pour reconnaître que Jésus est le seul Sauveur, le Fils envoyé par le Père,
* une lumière pour mieux percevoir le dessein de Dieu et comment y travailler…
Cette lumière vient bousculer nos calculs, nos raisonnements : Paul fut “saisi de stupeur et d’effroi !“. Chacun reste libre de s’entêter ou d’accueillir.
Puissions-nous toujours répondre aux appels de Dieu à la manière de l’apôtre : “Seigneur, que veux-tu que je fasse ?“.
Puissions-nous savoir nous émerveiller et rendre grâce comme il le fit dans ses lettres !

Se convertir au Christ, c’est en même temps :
- Se convertir à l’Eglise. Elle est “le Christ continué, communiqué et répandu à travers le temps et l’espace“ (Bossuet), même si son visage est éclaboussé par les péchés et les fatigues de ses membres pécheurs. “Qui es-tu Seigneur ?“, demande Paul terrassé sur le chemin. La voix répond au pharisien fier et haineux : “Je suis Jésus que tu persécutes !“. Persécuter l’Eglise, c’est persécuter le Christ !
Dire “Oui“ au Christ, c’est dire “Oui“ à l’Eglise imparfaite, incarnée dans des choix au milieu des événements des hommes. “Relèves-toi ; va dans la ville ; et là, on te dira ce que tu dois faire !“. Il y rencontra Ananie, disciple du Christ. C’est en Eglise que la mission s’organise.

­- Se convertir, c’est dire “Oui“ à une Eglise qui continue la Passion du Christ en ses membres. “Je lui ferai voir ce qu’il aura à souffrir pour mon nom !“. De cela il ne faut pas s’en étonner.

- Se convertir, c’est encore dire “Oui“ à une Eglise ouverte aux chercheurs de Dieu afin de les orienter vers le Dieu de Jésus Christ, qu’ils soient Juifs, animistes, théistes... La première prédication du converti du chemin de Damas, en arrivant dans une ville, était réservée à ses compatriotes dans leur synagogue. C’était normal. Mais il restait ouvert… Car

- Se convertir c’est dire “Oui“ à une Eglise tournée vers les païens. “Cet homme est l’instrument que j’ai choisi pour porter mon Nom devant les peuples païens“. Paul fut le premier témoin de la mission universelle de l’Eglise. Il y consacra toutes ses forces. Il osa dépasser les coutumes juives, comme la circoncision, pour ne pas entraver le cheminement des païens qui demandaient le baptême dans la mort et la résurrection du Christ.

Sommes-nous vraiment convertis à l’Eglise du Christ,
* celle qui est en crise aujourd’hui,
* celle qui cherche son chemin au milieu d’un monde qui bouge ?
* celle qui est persécutée, qui témoigne, qui est ridiculisée et parfois torturée ?
* celle qui est ouverte, respectueuse des cheminements, des cultures, des civilisations ?
* celle qui est missionnaire ? A nous de nous interroger en nous aidant de St Paul.

Et puisque nous sommes dans la semaine de l’unité, Paul nous rappelle que l’unité est toujours à faire et à parfaire dans le Christ. L’égoïsme et surtout l’orgueil des chrétiens ne cessent de la menacer, de la compromettre. Des chemins nouveaux sont à découvrir, pourtant ! L’unité n’est pas à inventer, mais à accueillir. Elle n’est pas d’abord matière à discussion, mais à CONVERSION.

mardi 24 janvier 2012

Ceux du “dedans“ ou du “dehors“ !

3 T.O. Mardi (Mc 3.21-35)

Notre évangile d’aujourd’hui nous ramène à la confrontation de Jésus avec sa famille. Certains avaient proclamé : “Il a perdu la tête !“. Ils étaient même venus “pour s’emparer de lui“. (3.21). Maintenant “ils le font demander“ comme pour un jugement, semble-t-il ! On devine un certain harcèlement… Ils poursuivent Jésus, à n’en pas douter !

Mais ils n’ont pas de véritable accès jusqu’à lui. Ils “restent dehors“, littéralement et au sens figuré ! “Le mystère du Règne de Dieu est donné, dira un peu plus tard Notre Seigneur. Mais pour ceux du dehors, tout devient énigme“. (4.11).
Ceux qui entourent Jésus (ceux “du dedans“) préfigurent certainement, dans la pensée de Marc, la Communauté des chrétiens, l’Eglise primitive à laquelle beaucoup demeurent étrangers. L’expérience de l’Eglise continue celle de Jésus : les chrétiens bénéficient d’une révélation à laquelle les non-croyants n’ont pas de part…, pour le moment ! Aussi, conseillera St Paul, envers ces derniers, il faut avoir une “conduite honorable“ (I Thess. 4.12), “bienveillante“ (Col. 4.5). Il ajoutera même : Ce n’est pas à moi de les juger ! “Ceux du dehors, Dieu les jugera !“ (I Co. 5.12-13) Que les chrétiens soient donc dignes de la révélation qu’ils ont reçue, dans l’action de grâces et la fidélité ! Car, dira-t-il encore, c’est “ceux du dedans“ qu’il nous faut apprécier, évaluer…, c’est-à-dire c’est envers “ceux du dedans“ qu’il nous faut être vigilants. L’Ecriture ne dit-elle pas : “Otez le méchant du milieu de vous“ (Dt 17-7), car “le sel affadi, disait Notre Seigneur lui-même, on le jette dehors“ (Lc 14.35) !
Autrement dit, que ceux “du dedans“ puissent attirer par “leur foi active, leur persévérante espérance, leur amour qui se met toujours en peine“ (I Thess. 1.3) leurs frères “du dehors“ dont le jugement est réservé à Dieu seul ! A Dieu seul ! Tant il est vrai, comme le dira St Augustin, que “l'Eglise a des enfants parmi ses ennemis et des ennemis parmi ses enfants“.

Et c’est sans doute dans ces sentiments que l’on peut comprendre la présence de Marie. Longtemps, cette présence de la mère de Jésus dans le contexte d’opposition à Jésus me parut incompréhensible. Mais c’est certainement beaucoup plus simple qu’il n’en paraît au premier abord. D’ailleurs, notre expérience elle-même nous instruit : dans les “histoires de famille“, de village (voire peut-être de Communauté), il y a souvent contradiction, opposition ; il y a “les pour“ et “les contre“, comme l’on dit facilement.
Jésus suscite opposition, scepticisme ou adhésion. Dès le début de sa vie publique, il y a eu l’épisode de son enseignement à la Synagogue de Nazareth. Cet enseignement avait fort déplu à certains qui “le jetèrent en dehors de la ville“, avaient même voulu le tuer (Cf Luc 4.29). Sans doute, le ressentiment avait été très fort chez quelques-uns - des scribes, des pharisiens peut-être -. Ils voulaient encore en découdre avec ce jeune du village qui, pensaient-ils, mettait à mal la réputation des Nazaréens. Ils envoyèrent une délégation pour le surveiller, l’espionner (Cf. Mc 3.21)

Mais on peut supposer également - c’est souvent le cas - que devant cette tension grandissante, quelques-uns, favorables à Jésus, les accompagnèrent pour assurer sa défense, en quelque sorte, l’impartialité d’un jugement éventuel. Peut-être, en cette démarche, a-t-on sollicité Marie, la mère de Jésus. Peu importe d’ailleurs, car, finalement, une mère est toujours là face aux difficultés de son fils. Marie, la mère par excellence, est, sera toujours présente quand il le faut près de son fils. Marie est là silencieuse, “gardant tous les événements en son cœur“ (Lc 2.51), “les méditant en son cœur“ (Lc 2.19). Elle est là tout remplie de foi comme elle se sera jusqu’au pied de la croix !

Comme elle dut être heureuse d’entendre son fils déclarer : “Qui sont ma mère, mes frères ? … Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère !“. St Luc précisera : il parlera, lui, de “ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique“ (Lc 8.21).
Marie, ne voulait-elle pas faire la volonté de Dieu depuis sa vision de l’ange Gabriel, depuis qu’elle avait répondu : “Que tout se passe pour moi selon ta parole !“ ? (Lc 1.38). N’avait-elle pas le droit de se reconnaître maternellement en les paroles de son fils ? Peut-être ne put-elle pas même le prendre en ses bras en cette circonstance conflictuelle. Peu importe d’ailleurs ; les manifestations sensibles, sont souvent si décevantes. Son cœur, lui, était tellement en union, en communion avec le sien !
En contraste avec la maternité charnelle, Jésus proclame la grandeur de la foi qui devient parfois une maternité spirituelle. Marie devient déjà la mère des disciples de son fils.

Sainte Marie, Mère de Jésus, soyez aussi notre mère ; aidez-nous à être véritablement les disciples de votre fils en écoutant sa parole et en la mettant toujours en pratique. Protégez-moi, car même si je parais être avec ceux “du dedans“, je cours toujours le risque de me trouver avec ceux “du dehors“.

lundi 23 janvier 2012

Le vrai blasphème !

3 T.O. Lundi (Mc 3.22-30)

Quand on est étonné et que l’on ne comprend pas, on prend pourtant très facilement - et malheureusement - position pour ou contre… Car il faut bien, n’est-ce pas, donner une explication, une opinion - orgueilleusement le plus souvent - ! C’est fréquent cela. Pourtant, j'ai appris de la Règle de St Benoît et de son application chez des religieux "grands savants", qu'il n’y a aucune honte à dire parfois : “Je ne sais pas“ !

Ainsi, les concitoyens de Jésus, ceux de Nazareth, à qui on rapporte ses paroles et surtout ses actes de guérison, au lieu de simplement s’interroger, se positionnent facilement vis-à-vis de ce garçon qu’ils ont vu grandir et qu’ils sont sensés bien connaître. Evidemment. Si quelques-uns humblement “s’étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche“ (Lc 4.22), d’autres, plus nombreux et avec superbe, affirment comme les membres de sa propre famille (ils sont - pensent-ils orgueilleusement - bien placés pour cela, évidemment !) : “Il a perdu la tête“ (Evangile de Samedi).

Aujourd’hui, l’évangile nous présente des scribes qui viennent pour une enquête sans doute au sujet de ce Jésus déroutant et peut-être inquiétant. Ce n’est pas la première fois ! Ce ne sera pas la dernière. St Jean, tout au début de son évangile avait bien précisé :“Il était dans le monde… ; et le monde ne l’a pas reconnu“ (Jean 1.10). Et très vite, ces scribes de conclure avec arrogance : “Il est possédé par Béelzéboul !“. Au fond, c’est la même interprétation que celle de la parenté de Jésus (“Il a perdu la tête“) ; mais on pourrait dire que les scribes la formulent “en théologiens“. C’est quand même beaucoup plus grave. “C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons“. Il s’agit là d’une accusation nouvelle suscitée par l’étonnement des témoins lors de la toute première journée apostolique de Jésus à Capharnaüm : “Il commande même aux esprits impurs ; et ils lui obéissent !“ (1.27). “Il chassa de nombreux démons ; et il ne laissait pas parler les démons, parce que ceux-ci le connaissaient“ (1.34). Il y a là déjà une progression dans l’hostilité envers Jésus par rapport aux scènes précédentes de “controverse“: on traite Jésus de suppôt de Satan. Rien que cela.

Jésus répond par deux paraboles (c’est la première fois que le mot est employé en St Marc).
L’une nous est très compréhensible : “Si une famille est divisée, cette famille ne peut pas tenir“. C’est toujours d’actualité malheureusement !
L’autre est plus osée : il s’agit d’un cambriolage. Est-ce une bonne comparaison ? En fait, cette comparaison est au service d’un seul aspect : le fait qu’un “plus fort“ est à l’œuvre. Et le “plus fort“ ici ne peut désigner que Jésus. Jésus est plus fort que Satan ! Une anecdote : Quand Jean XXIII annonça l’ouverture d’un Concile, un de ses cardinaux lui dit : “Vous allez déchaîner le diable“. Et le bon Pape Jean de répondre : “Oui, je sais, je sais ! Mais nous sommes (avec le Christ) plus forts que le diable !“.

Oui, le Christ est le plus fort ! Pour les lecteurs, la réponse de Jésus s’éclaire grâce à l’information reçue dès le prologue de l’évangile : “Celui qui est plus fort que moi vient après moi“, disait Jean-Baptiste, car lui “baptisera dans l’Esprit-Saint“ (1.7,8). Lors de son baptême, l‘Esprit était descendu sur lui (1.10). Et c’est avec l’Esprit qui le pousse au désert qu’il est vainqueur du démon (1.12,13).
L’interprétation théologique des scribes est donc blasphématoire au plus haut degré : “Il a Béelzéboul en lui !“ (3.22). Notons au passage à ce sujet que la première accusation portée contre Jésus était précisément celle de blasphémateur, à l’occasion des péchés qu’il remet aux paralytique : “Il blasphème ! Qui peut pardonner les péchés ?“ (2.7). Ce sera aussi la dernière lors de l’interrogation de Jésus par le Grand-Prêtre : “Qu’avons-nous encore besoin de témoin ? Vous avez entendu le blasphème !“ (14.64). Cela aussi est courant : les blasphémateurs accusent de blasphème !

Ainsi qui refuse de reconnaître l’Esprit en Jésus se ferme au pardon et s’exclut finalement de la “Bonne Nouvelle“ de Dieu annoncée par Jésus. Car cette “Bonne Nouvelle“ est justement pardon des péchés et don de l’Esprit Saint !

Oui, Jésus est donc le plus fort ! Et avec lui, nous sommes les plus forts ! Unis au Christ, nous avons la force même de Dieu ! Avons-nous suffisamment foi en cette réalité.
Car ne pas croire à cette réalité, en tant que chrétiens, c’est peut-être le “péché contre l’Esprit Saint“ dont il est question. Dieu est en nous depuis notre baptême. Il nous conduit par son Esprit : “Seuls sont enfants de Dieu ceux qui se laissent conduire par son Esprit“ (Rm 8.14). Nous ressentons cette présence agissante de l’Esprit, sa force en nous. Et non seulement nous n’agissons pas en conséquence par faiblesse - bien sûr ! -, mais, plus ou moins, nous nions cette présence en nous ! Nous n’en tenons pas suffisamment compte, et parfois consciemment !

Mais, “si l’Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité Jésus Christ d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels, par son Esprit qui habite en vous“. (Rm 8.11).
Telle est notre foi, notre espérance !

dimanche 22 janvier 2012

Le sens de la vie !

3ème Dimanche. T.O. 12/B

Paroles énigmatiques que celles de St Paul ! “Le temps est limité“, dit-il, très court ! Notre monde passe vite ! Alors, vivez dans le monde comme n’y étant pas ! Possédant sans avoir, vous mariant sans vous unir, heureux sans plaisir, pleurant sans affliction, affairé sans profiter. Paroles difficiles à saisir quand même!

Pour comprendre, il faut se replacer dans la perspective des prophètes ou des écrivains chrétiens. Pour eux, toute réalité doit être mise ou remise dans sa relation au dessein de Dieu ; toute activité ne peut s’épanouir que dans sa parfaite correspondance à la volonté de Dieu qui oriente l’homme et le monde vers le salut qu’il propose. Tout s’oriente vers Dieu ! Voilà la grande affirmation de Paul !

Et ce mode de pensée ne manque pas de grandeur : le sens de la vie est ainsi mis en lumière ! Sachant où il va, l’homme peut alors orienter la marche de son existence !

Mais ce mode de pensée a aussi ses limites : on ne dit rien des problèmes concrets, des difficultés quotidiennes (“Il faut pourtant bien vivre”, comme on dit !). La passion du futur, du définitif élève le regard de Paul et lui fait négliger, semble-t-il, les difficultés qu’il a pourtant bien connues tout au long de son existence !

Mais Paul reste impatient du terme à atteindre ! De tout son être il s’élance vers le but : “Je voudrais bien m’en aller pour être avec le Christ…”, avec Dieu (Ph. 1.23) ! Voilà bien le sens de la vie de l’apôtre, le but de tous ses efforts ! Et tous les Saints diraient de même ! “De mon être solitaire, je me tends ver la Trinité tout entière”, disait Grégoire de Nazianze. Les dernières paroles de Jean-Paul II furent : “Laissez-moi aller vers le Père !“.

St Paul s’exprime là en “prophète”, si je puis dire ! Son attention est si captivée par le terme de toute l’histoire et du monde et des hommes - la rencontre avec le Seigneur ! - qu’il en oublie le reste - les contingences de la vie -. St Paul n’en ignore rien. Il a eu grandement sa part de souffrances au milieu des difficultés de toutes sortes, des nombreux problèmes quotidiens. Il ne craint nullement d’en parler dans une de ses lettres (Cf. 2 Co. 11). Il sait aborder n’importe quel problème, souci…
Et, s’il le faut, face aux circonstances diverses, il sait, en casuiste averti, faire référence aux préceptes pour conseiller, redresser, avertir… Mais ce n’est pas son souci premier. Car, pour lui, la morale, la conduite humaine, c’est avant tout une orientation, un élan qui organise tout. D’ailleurs, serait-il possible de vivre dans un profond désordre si l’on a en vue la rencontre avec le Christ ? Aussi, St Paul invite tous les chrétiens à retrouver l’axe vrai de leur vie, celui qui oriente vers le Seigneur. Pour ce qui est du reste, de la complexité quotidienne, parfois douloureuse, chacun doit chercher résolument et il trouvera les bonnes solutions, en sachant qu’elles pourront même être données… par surcroît : “Cherchez le Royaume de Dieu…” , disait Notre Seigneur !

Retrouver l’axe vrai de sa vie ! N’est-ce pas ce à quoi les gens de Ninive sont invités, eux aussi ! Si vous avez un peu de temps, relisez le livre de Jonas. C'est un des plus courts de l'Ancien-Testament. C'est un récit écrit après le retour d'exil des Juifs. Il est plein d'humour et d'ironie ; et sous un mode plaisant, il nous apporte d'importantes leçons religieuses ! - Je n'en retiendrai qu'une seule : les païens, “les autres“, les pécheurs, les non-pratiquants, les incroyants ne sont peut-être pas aussi "mauvais" que nous pourrions le penser parfois. Ils sont capables de se convertir, de retrouver, comme nous y invite St Paul, de retrouver l’axe vrai de leur vie.

Dans la Bible, Ninive avait une sinistre réputation : "Malheur à la ville sanguinaire, s’écriait un prophète, Nahum, toute en mensonges, pleine de rapines, qui ne cesse jamais le pillage" (3.1sv). Et l'histoire assyrienne atteste que la Bible n'a pas exagéré. Pourtant, c'est à Ninive, à ce peuple de pécheurs que Dieu envoie son prophète pour les appeler à la conversion.

Et bon gré, mal gré, Jonas s’en va s'écriant lui aussi : “Le temps est limité !“. "Encore quarante jours et Ninive sera détruite" - Voilà au moins un sermon qui est bref et précis. C'est la promulgation d'un jugement : le salaire du péché, c'est la mort ! - Or, quelle va être la réaction de ces mécréants pour qui Jonas n'est qu'un inconnu, un étranger ? Vont-ils le tuer ? Non ! Aussi étrange que cela paraisse, ils vont croire à la Parole de Dieu, en tirer les conséquences. Ils vont se reconnaître pécheurs. Et ils vont changer de vie : "chacun, est-il demandé, se détournera de sa mauvaise conduite et de l'iniquité que commettent ses mains…" (3/8) ! Retrouver l’axe vrai de sa vie !

La conversion de ces païens ne nous interroge-t-elle pas ? Oui, c'est donc bien vrai que la Parole de Dieu peut changer radicalement des vies d'hommes et de femmes. - Mais, au fait, cette Parole de Dieu, nous l'entendons chaque jour, au moins chaque dimanche (quand nous n'arrivons pas trop en retard). Elle est à notre disposition - peut-être - chez nous, dans la Bible. Quelle importance lui donnons-nous ? Ce rendez-vous quotidien ou hebdomadaire avec Dieu qui nous parle, le prenons-nous au sérieux ? Après cette Eucharistie, que va devenir pour nous l'appel à la Conversion que Dieu nous lance aujourd’hui ? Pour retrouver l’axe vrai de sa vie !

En fait, je crois que nous rééditons, nous, chrétiens du 21ème siècle, consciemment, inconsciemment, le grand péché des contemporains de Jésus. Ce péché, c'est la distraction, au vrai sens du mot, c'est-à-dire le refus de prêter attention aux appels de Dieu : "Convertissez-vous … , - Reprenez l’axe vrai de votre vie - Croyez à la Bonne Nouvelle".

Le Christ inaugurait son ministère sur une terre bien préparée, la terre du peuple élu, du peuple juif. Pourtant, hormis les apôtres et quelques disciples, il a eu peu de succès… Or, notre pays a été une terre bien préparée également pour toujours recevoir la Bonne Nouvelle du Christ… Qu'en reste-t-il ? Qu'en faisons-nous ? Les gens de Ninive, apparemment bien plus éloignés de Dieu, ont eu un sursaut méritoire et instantané : "Aussitôt, les gens de Ninive crurent en Dieu…".

J'aime rapprocher cet "aussitôt" du livre de Jonas de l'"aussitôt" de l'évangile : "Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent". On le sait : St Marc utilise très souvent cet adverbe “aussitôt“, comme pour souligner l’urgence de l’élan qui doit nous mener à accomplir le dessein de Dieu, à aller vers Dieu ! “Aussitôt !“.Cela me paraît important dans la réponse que nous avons à donner à Dieu. Nous croyons toujours avoir le temps avec Dieu… Or, nous dit St Paul, "le temps est court, ce monde est en train de disparaître".

Aujourd'hui encore, les vrais disciples du Christ ne doivent être ni des discuteurs orgueilleux, ni des gens "éternellement en recherche", ni des formalistes ; Ils doivent être des humbles qui se reconnaissent pécheurs, qui misent tout sur la miséricorde de Dieu et qui, aussitôt, se mettent à suivre le Christ.

Jeunes ou adultes, est-ce que le mot "aussitôt" figure dans le lexique de nos conversations avec Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt les mots "demain", "après-demain"… "plus tard" ?

Bien des fois, au cours des prédications face aux pharisiens, le Christ a évoqué l'histoire de Jonas (Le “signe de Jonas !“). L'Eucharistie nous remet en contact direct non plus avec un prophète, mais avec le Christ lui-même. Il nous redit à nous aussi : "Au jour du jugement, les hommes de Ninive se dresseront face à cette génération et la condamneront parce qu'ils ont fait pénitence à la parole de Jonas ! Or il y a ici plus que Jonas". (Luc 11)

vendredi 20 janvier 2012

Disciples du Seigneur !

2 T.O. Vendredi imp. (Mc 3.1- 12)

Avec l’évangile d’hier et celui d’aujourd’hui, c’est la seconde fois que Marc fait allusion à la relation de Jésus avec ses disciples.

La première fois, c’était au début de son Evangile, au seuil de la vie publique de Jésus : il appelle ses premiers disciples à le suivre. Et il les entraîne immédiatement en la mission qu’il inaugure avec fermeté et détermination. Nulle précision alors de temps ou de lieu. Tout est centré sur le contenu du message qu’il délivre : “Il proclamait l’Evangile - c’est-à-dire la Bonne Nouvelle - de Dieu“ (1.14). Pour Marc, cette “Bonne Nouvelle de Dieu“, c’est Jésus lui-même. Voilà pourquoi le récit ne s’encombre ni du lieu, ni du temps. Il ne s’agit que de Jésus, de sa venue comme Fils de Dieu venu vaincre les puissances du mal. Ainsi, c’était hier ; c’est aujourd’hui et ce sera demain ! La “Bonne Nouvelle“, c’est Jésus toujours présent ! St Paul l’avait bien compris. Lui aussi veut annoncer l’Evangile de Dieu. Et “cet Evangile, dit-il aux Romains, que Dieu avait promis… concerne son Fils issu selon la chair de la lignée de David, établi, selon l’Esprit-Saint, Fils de Dieu avec puissance par sa résurrection d’entre les morts… Et cet Evangile est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit !“ (Rm 1.2…-17).

C’est ainsi que Marc avait défini, toujours avec concision, le but de son écrit : la proclamation de la Bonne Nouvelle qu’est Jésus. Il l’avait fait de façon solennelle : “Jésus proclamait la Bonne Nouvelle de Dieu. Il disait : Le temps est accompli ; le Règne de Dieu s’est approché. Convertissez-vous. Croyez à cette Bonne Nouvelle“ (1.14-15). Et les premiers disciples avaient accueilli cette "Bonne Nouvelle", avaient accueilli Jésus de façon radicale, puisque Marc note à propos de Jacques et Jean : “laissant dans la barque leur père Zébédée avec les ouvriers, ils partirent à sa suite !“ (1.20).

Le deuxième dytique (évangile d’hier et d’aujourd’hui) à propos de Jésus et de ses disciples se détache encore du contexte par une généralité et indétermination de temps et de lieu : le moment n’est pas précisé et les lieux sont abstraits : la mer, la montagne (v/ 7 & 13). Hier, Marc nous offrait comme une vue panoramique qui embrassait la province de la Syrie occidentale (v/7 & 8). Le parcours était circulaire du nord au sud (Idumée), puis de l’ouest à l’est (Transjordanie) et enfin retour au nord et à l’ouest (Tyr et Sidon). Cet ensemble géographique est comme un petit monde du temps du Christ qui annonce l’étendue de la mission du Christ : le monde entier !
Les disciples mentionnés à deux reprises (v/7 & 9) font désormais partie de la mission ; ils y collaborent à leur façon. Deux d’entre eux ayant laissé “dans la barque leur père avec les ouvriers“, ils ont retrouvé une (autre) petite barque qu’ils mettent à la disposition de Jésus ! Ils deviennent, de fait, “pêcheurs d’hommes“ (1.17). Et l’appel, l’institution des Douze (v/13-19) confirment leur incorporation à l’activité de Jésus.

Le programme, selon le style et la caractéristique de Marc, est simple et fort : …pour être avec lui et pour les envoyer prêcher, en leur donnant le pouvoir de chasser les démons (v/15). Notons enfin le trait final sur Judas - "celui qui le livra" - (v/19) qui est du même ton que la finale de la section précédente (où il était question des pharisiens qui tiennent conseil pour faire périr Jésus 3.6). Le drame entre Jésus et le démon, entre Dieu et les forces du mal se précise.

Mais retenons pour notre réflexion les trois caractéristiques de la mission de tout apôtre : il est appelé “pour être avec Jésus“…, “pour prêcher“…et chasser les démons“ !

­- Etre avec Jésus ! Depuis qu’au jardin de la Genèse, pour la première fois, il appela l’homme en lui disant : “Où es-tu ?, Dieu n’a pas cessé de le chercher de tout son amour prévenant, patient, inlassable, jusqu’à se faire homme afin de lui dire en un langage d’homme comme Jésus le fit à l’égard de Zachée : “Il faut que j’aille demeurer chez lui…“. Mais pour cela, il attend de nous ce même désir comme l’exprimaient les deux disciples de l’évangile de dimanche dernier : “Seigneur, où demeures-tu” ? Alors, à chacun il dira : “Venez et vous verrez”. Et St jean précise la suite : “Ils y allèrent… ils demeurèrent avec lui… et ils le suivirent”. Etre avec Jésus, en intimité avec lui ! N’est-ce pas là le secret de toute vie chrétienne, de toute vie religieuse. “Dominus vobiscum“ ! le Seigneur avec vous, avec nous, chacun étant dans la vie même du Christ ressuscité !

Notre union à Dieu, au Christ ne sera jamais le résultat d’une pensée théologique, d’un raisonnement, si utile soit-il par ailleurs (“Fides quaerens intellectum“ : la foi qui cherche à comprendre !). Très souvent, en ce domaine, les preuves (de la raison raisonnante) fatiguent la vérité (si transcendante !). Notre union à Dieu, au Christ ne sera jamais, non plus, d’ordre moral, alors même que Jésus nous dit : “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait“ (Mth 5.48). En ce domaine, le risque est si grand d’être, à l’exemple des Religieuses de Port-Royal, “pures comme des anges, mais orgueilleuses comme des démons“ !

On ne le dira jamais assez : notre foi est, doit être le témoignage d’une expérience, l’expérience d’une rencontre avec le Ressuscité qui nous donne sa vie, sa vie divine, dès ici-bas, de sorte que Dieu peut nous dire à nous aussi : “Tu es mon fils ; moi-même, aujourd’hui, je t’ai engendré !“ (Ps 2). C’est comme une transfusion de la vie du Ressuscité en notre vie : “Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi !“ (Gal 2.20).

- Prêcher ! C’est à cette indispensable condition - être avec le Seigneur - qu’il y aura annonce, prédication de la présence de Dieu dans le monde, pour tout homme qui le cherche ! La prédication sera toujours une résultante de notre union à Dieu, alors même que la parole pourrait nous faire défaut !
Il ne s’agit pas avant tout de parler, mais d’être, - être témoin de la vie du Christ en nous - ! Certes St Paul précise : “Quiconque invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé ! Or comment l’invoqueraient-ils sans avoir cru en lui ? Et comment croiraient-ils en lui, sans l’avoir entendu ?“ (Rm 10.13-14)… “Sans l’avoir entendu“ ! Pour Paul, dans la prédication apostolique, c’est le Christ lui-même qui parle ! Laisser parler le Christ en ceux à qui on s’adresse ! St Augustin avait bien compris cela : “Je ne suis que le répétiteur extérieur du Maître intérieur qui seul instruit les cœurs“, disait-il. Puissions-nous être de bons répétiteurs - et d’abord par notre imitation du Christ - pour que le Maître intérieur instruise tous les cœurs ! Prions à cette intention !

mercredi 18 janvier 2012

... "Et Bon Dimanche !"

2 T.O. Mercredi – Sabbat-Dimanche ! (Mc 2.1- 3.1-6)

Notre évangile d’aujourd’hui fait partie d’une section (2.1-3.6) composée de cinq controverses avec les pharisiens sans lien chronologique précis !
Mais ces controverses marquent déjà une progression si dramatique dans l’opposition à Jésus qu’elle est exprimée très clairement dans sa conclusion : “Les Pharisiens tinrent conseil avec les Hérodiens contre Jésus sur les moyens de le faire périr !“. A ce sujet in est intéressant de souligner l’art littéraire de St Marc pour bien marquer cette opposition :
- Au début, les Pharisiens ne font que murmurer dans leur cœur : à propos du paralytique guéri (2.6) !
- Puis ils interrogent les apôtres : à propos du repas avec les pécheurs (2.16).
- Enfin, ils osent s’adresser à Jésus lui-même : à propos du jeûne et des épis froissés (2.18,24).
- En finale (notre évangile), c’est Jésus qui “attaque“ si je puis dire : il interroge les Pharisiens et les met dans l’embarras, si bien que ceux-ci décident sa mort !

Ainsi toute cette section constitue un “petit évangile“ dans le grand :
1. On y trouve l’aspect victorieux de la nouveauté éclatante qu’apporte Jésus
- en guérissant : le paralytique, l’homme à la main desséchée,
- en pardonnant : le paralytique, les pécheurs chez Lévi,
- en libérant : question du jeûne et du sabbat.
2. Mais il y aussi la perspective d’une fin tragique vers laquelle Jésus s’oriente immanquablement. Le mystère pascal se dessine fortement !

Aujourd’hui la liturgie nous offre cette dernière partie de l’opposition à Jésus, si forte que sa mort est décidée ! L’objet de l’opposition est la pratique du sabbat que les Pharisiens avaient vidé de son sens très élevé.
Grande et précieuse était, en effet, l’institution du sabbat. Les Juifs y tenaient comme à la prunelle de leurs yeux. À travers le sabbat s'exprimaient leur identité, leur foi, leur histoire ! Et il nous est sans doute profitable de le souligner !

Le jour du sabbat était et est toujours en sa compréhension profonde un jour de repos en l'honneur de Dieu. Il place, dans la vie de l'homme, un espace qui rappelle que l'être humain n'est pas que terrestre : il vient de Dieu et est destiné à retourner vers lui. Citoyen de la terre, il est aussi citoyen des cieux. Il ne trouve ni son origine, ni son centre, ni son point d'arrivée en lui-même, mais en Dieu. Fêter le sabbat, c’est sanctifier le temps, le temps de notre vie, l’orienter ! Puisse notre Dimanche (“Jour du Seigneur“) avoir ce sens profond !

Jour de repos pour sanctifier le temps, le sabbat est aussi jour de repos en l'honneur de l'homme et de la femme. Le repos sabbatique permet de souffler, de s’arrêter pour mieux affirmer, de semaine en semaine, que nous ne sommes pas des esclaves, des bêtes de somme, de simples instruments de production, mais des êtres libres capables de donner au temps un sens de fécondité. Fêter le sabbat, c’est affirmer que nous ne sommes pas rivés à une production ; nous sommes destinés à une fécondité déjà ici-bas et pleinement au jour éternel. Fêter le sabbat, c’est nous orienter et vers Dieu et vers nos frères !
.
Enfin, le sabbat est jour de célébration.
- Il fête les “hauts faits“, les merveilles de Dieu à notre égard. Il manifeste notre reconnaissance d’amour.
- Il est aussi jour de foi qui chante la certitude de la présence agissante de Dieu en nos vies.
- Il est jour d'espérance également, car le Dieu fidèle hier est aussi le Dieu fidèle aujourd'hui ; et il le sera demain. Le sabbat devient alors jour d'imploration auprès de Dieu pour que l'avenir de l'humanité ne soit pas un jour de ténèbres, mais de lumière. Fêter le sabbat, c’est espérer, ou reprendre espérance, malgré les difficultés du temps présent !

On pourrait montrer que le dimanche qui a remplacé pour les chrétiens le sabbat, recèle des valeurs semblables à celles de l’institution juive, avec évidemment, une différence capitale : notre “sabbat“, notre Dimanche est centré sur le Christ venu parmi nous il y a deux mille ans, mort et ressuscité pour notre salut et qui nous prépare aujourd’hui à sa gloire éternelle.

C’est à chacun de donner, de redonner un sens profond au Dimanche, de sorte qu’en ce jour béni, nous puissions nous adresser les uns aux autres cette exclamation de St Paul : “Nous rendons grâces à Dieu à tout moment pour vous tous, faisant mention de vous sans cesse dans nos prières, nous rappelant votre foi active, votre charité qui se met toujours en peine, votre persévérante espérance en notre Seigneur Jésus Christ…“ (I Thess. 1.2)

Aussi, avec simplicité, je me permets ce souhait : à tous et à chacun, de semaine en semaine, saint et joyeux Dimanche !

samedi 14 janvier 2012

Que cherchez-vous ? Qui cherchez-vous ?

2ème Dimanche. T.O. 12/B

St Jean sait écrire et bien écrire. Tout son évangile en témoigne. Il ne laisse rien au hasard. Tout a une signification : les premiers mots, les précisions, jusqu’à la construction des cènes qu’il raconte.

Aussi
- quand St Jean fait parler Jésus pour la première fois au seuil de sa vie publique,
- quand il le refait parler pour la première fois au seuil de sa vie de Ressuscité, au matin de Pâques,
il nous transmet une même parole, une interrogation identique.
Cette sorte d’inclusion littéraire veut marquer l’importance de cette
+ parole du Seigneur,
+ parole qu’il ne cessera de répéter tout au long de sa vie terrestre,
+ parole qui nous est adressée du début à la fin de notre existence mortelle.

Aux deux disciples qui le suivent, Jésus leur demande : “Que cherchez-vous ?”
A Marie-Madelaine tout en pleurs près de son tombeau, Jésus formule la même interrogation : “Qui cherches-tu ?”.
Comme a tous ceux qu’il avait rencontrés et qui lui demandaient quelque chose, il sollicitait une réponse : “Que cherchez-vous ?”
Et nous-mêmes, si nous voulons suivre le Christ, aujourd’hui et demain, c’est cette même question qu’il nous faut entendre et recevoir. C’est à cette même question qu’il nous faut répondre : “Que cherchez-vous ?” Vraiment !

Quand on vieillit – et l’on vieillit tous les jours – force nous est de réduire nos ambitions. C’est évident ! Dans l’enfance, dans la jeunesse, on voudrait embrasser le monde entier. On a des ambitions intellectuelles ; on voudrait faire de sa tête une encyclopédie vivante. On a des ambitions matérielles de toutes sortes. Et il n’est pas rare d’entendre un enfant vouloir devenir tout à tour pilote de ligne, chirurgien, général et même - pourquoi pas ? – président de la République ! C’est que l’enfant a des ambitions.

Quand on avance dans la vie, il faut bien “en rabattre” ! On s’aperçoit vite que nous n’avons pas assez de vigueur, assez de force pour tout embrasser ! Et alors, la sagesse aidant et l’âge aussi, on se dit : “bornons-nous à l’essentiel !” Mais où est-il cet essentiel ? Où le cherchons-nous ?

Oui, le Seigneur, tout en respectant notre liberté, ne cesse de nous poser la question des questions : “Que cherchez-vous ?” Vraiment ? Quelles sont vos intentions profondes, vos désirs les plus secrets, vos points de repères ? Quel est pour vous cet “essentiel” pour lequel vous seriez prêts à tout sacrifier ? Quel est le but de votre recherche ?

Mais si nous voulons répondre en toute vérité, il faut d’abord savoir écouter. On a dit que notre civilisation est une civilisation de l’image. Et c’est vrai depuis le cinéma, la télévision…, internet…
Mais c’est aussi une civilisation de l’oreille : mille paroles, mille bruits nous sollicitent inlassablement du matin au soir. Certains finissent même par y prendre goût au point qu’ils ne peuvent plus rien faire sans un “fond-sonore”. Le bruit, la parole nous envahissent littéralement. On entend beaucoup ! Mais savons-nous écouter ? Pourrions-nous dire comme le petit Samuel : “Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !”

Oui, je le crois, pour percevoir l’essentiel de la vie, pour pouvoir répondre à la question du Christ : “Que cherchez-vous ?”, il faut faire silence, faire taire bien des bruits autant que nous le pouvons et écouter…, écouter de l’oreille de notre cœur. Ce n’est souvent qu’à cette condition que Dieu pourra se faire entendre. Nombreux (Psichari, Charles de Foucault…, et même Saint-Exupéry avec son “Petit Prince“) sont ceux qui n’apprirent à écouter et à rencontrer Dieu que dans le silence d’un désert…

Oui il faut, dans un silence intérieur, savoir écouter ; alors seulement il est possible de lancer cette supplication : “Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !” – Il est dit : “Quiconque invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé !” Et St Paul de demander : “Mais comment l’invoquer sans avoir cru en lui ? Et comment croire en lui sans l’avoir écouté ?”

Oui, il faut savoir écouter pour découvrir l’essentiel de notre vie et bien répondre à la question permanente du Seigneur : “Que cherchez-vous ?”

Oui, écouter… Ecouter Dieu qui, sans cesse, nous parle,
+ à travers les splendeurs de sa création,
+ à travers la Bible, l’Evangile,
+ à travers l’Eglise, ses apôtres, ses envoyés qui, sans cesse, invitent
= non pas simplement à entendre, mais à écouter
= non pas eux-mêmes, mais le Christ, le “Maître intérieur” !

St Augustin avait bien perçu l’importance de cette écoute intérieure pour quiconque voulait répondre véritablement à cette question : “Que cherchez-vous ?” – “Le son de notre voix peut attirer l’attention, disait-il, (c’est le rôle de tout prédicateur même imparfait), mais s’il n’y a personne à l’intérieur de vous qui puisse être écouté, vain est le son de notre voix. Car, n’avez-vous pas tous entendu mes propos ? Or, combien s’en iront d’ici sans avoir reçu d’enseignement ? Le rôle de celui qui parle est extérieur : une sorte d’aide, d’appel à l’attention. Car il a sa chaire dans le ciel celui qui instruit les cœurs. Il n’y a qu’un seul Maître, le Christ. Qu’il vous parle donc lui-même à l’intérieur de vous-même. Et puissiez-vous l’écouter !” - “Moi, disait-il encore, je ne suis que le répétiteur extérieur du Maître intérieur qui seul instruit les cœurs !“. Puissions-nous écouter ce Maître intérieur !

Comme Abraham, comme Moïse, comme le petit Samuel (malgré son âge), comme le grand prophète Elie, le disciple du Christ est d’abord celui qui écoute l’appel de Dieu. Et après avoir écouté réellement, on ne peut que suivre Jésus, comme les deux disciples dont parle l’Evangile. Ayant écouté, ils eurent immédiatement un grand désir : “Maître, où demeures-tu ? – Venez et vous verrez ! – Ils allèrent, ils virent ; et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là”.
L’écoute conduit à une rencontre, à une union ! N’est-ce pas cela la foi ? Ah ! Il s’en souvient bien, St Jean, de cette rencontre ! Il note même l’heure : “c’était environ la dixième heure” : quatre heures de l’après-midi ! Il demeura avec Jésus ! “Demeurer”, c’est une autre caractéristique de l’union à Dieu ; St Jean le note souvent.

Aujourd’hui, si nous voulons écouter le Christ, nous serons capables de répondre à sa question fondamentale : “Que cherchez-vous ?” – Et nous dirons : “Vous, Seigneur !” Et nous accepterons de le suivre : “Venez et vous verrez”, dit Jésus.

Et les deux disciples, ayant suivi Jésus, “demeurèrent avec lui” pour toujours. Et ils furent tellement enthousiasmés qu’ils allèrent chercher Simon, le frère d’André à qui Jésus dit d’emblée : “Tu t’appelleras désormais Pierre !” Jésus change le nom de Simon, c’est-à-dire il change son être profond ? C’est tellement évident depuis cet épisode jusqu’à nos jours : l’événement se reproduit sans cesse. Dès que quelqu’un s’attache à lui, Jésus change les manières de voir, de penser, de choisir. Il change le regard et finalement toute la vie. Pensons à Ste Thérèse, François d’Assise, Charles de Foucault… … et une multitude d’autres. Saisis par le Christ, ils l’ont écouté, ils l’ont suivi ; et ils ont été radicalement transformés, retournés de fond en comble.

Aussi, à chacun d’entre nous, nous qui, en quelque sorte, l’avons suivi jusqu’en cette église, le Christ, comme se retournant, demande : “Que cherches-tu ? – Qui cherches-tu ?” – Puissions-nous répondre : “Seigneur, où demeures-tu” ? Alors, à chacun il dira : “Venez et vous verrez”. Et St jean précise la suite : “Ils y allèrent… ils demeurèrent avec lui… et ils le suivirent”.

vendredi 13 janvier 2012

Dieu, notre Roi !

1 T.O. Vendredi imp. (1 Sam 8.4 sv)

Les premiers chapitres de 1er livre de Samuel sont très instructifs : Avec Samuel et Anne sa mère, ils nous introduisent déjà dans les évangiles de l’enfance : naissance miraculeuse…, présentation au temple…, l’enfant qui grandit en âge et en sagesse… etc

La lecture d’hier nous enseignait que si le peuple abandonne le Seigneur, le Seigneur ne peut plus être son soutien, sa force. L’Arche d’alliance, le signe de la présence du Seigneur au milieu de son peuple, est capturée par les Philistins, au cours d’une défaite cinglante. C’est l’anéantissement ! Le pape Jean-Paul II aimait à redire en pensant aux totalitarismes qu’il avait connus : “Sans Dieu, c’est l’enfer !“.
Eli - le saint prêtre de Silo - en est une illustration remarquable (c’est la suite du texte d’hier). Assis près du sanctuaire, devenu aveugle, il entend du bruit. Et on lui dit : “Tes deux fils sont morts et l’Arche du Seigneur a été prise !“. Et le rédacteur d’ajouter avec discrète mais grande finesse : “A cette mention de l’Arche de Dieu, Eli tomba de son siège à la renverse. Sa nuque se brisa et il mourut“ (I Sam. 4.17-18). Que ses fils meurent au cours d’une bataille, c’est le risque de tout soldat ! Mais que l’Arche du Seigneur soit prise, ce ne peut être qu’effondrement et mort ! Belle figure sacerdotale !
Il est rapporté encore que lorsque l’épouse de l’un de ses fils, enceinte, apprend cette mauvaise nouvelle, les douleurs l’assaillent et elle met au monde un fils qu’elle appelle “Ikabod“, ce qui veut dire : “La gloire est bannie“ d’Israël. L’Arche étant prise, sans la gloire divine, c’est l’anéantissement du peuple ; c’est l’absurdité qui remplit l’histoire sainte ! Belle figure de croyante !

A remarquer cependant que chez les Philistins, l’Arche du Seigneur met en grand péril le culte de leur dieu, Dagôn. Il y a dans le texte, contre l’idolâtrie, un pamphlet d’un humour noir, une satire violente (1). Il s’ensuit que les Philistins sont atteints de toutes sortes de maux. Un très grand nombre en meurent. Je crois que notre bon La Fontaine fait allusion à ce récit quand il parle des animaux malades de la peste : “Ils ne mourraient pas tous ; mais tous en étaient frappés !“. Si bien que l’Arche du Seigneur est rendue à Israël de façon assez cocasse…

L’Arche est bien restituée, mais mal accueillie ! Après tous ces événements malheureux, il y a eu - c’est courant - une perte du sens du sacré ! L’Arche n’a plus la même importance comme au temps de la marche dans le désert ! “La religion disparaît“, diraient certains ! Et il est vrai que l’Arche sera cantonnée dans un lieu très neutre, à Qiryat-Yéarim (près d’Abu-Gosh, - l’ Emmaüs le plus probable). C’est là que plus de vingt ans après le jeune roi David viendra la reprendre pour la placer à Jérusalem comme étendard à la fois religieux et politique de l’identité de son peuple.

Mais en attendant, l’arche étant plus ou moins oubliée ( = Dieu étant oublié), il faut bien trouver un succédané, un ersatz au rôle d’unification, de structuration du peuple qu’elle avait jadis ! Une église vide peut devenir “maison du peuple“, si ce n’est “salle de jeux“ ou que sais-je encore !

Et c’est ainsi qu’a germé l’idée d’une royauté ! Précisons tout de suite que dans la Bible, y a deux traditions de l’institution de la royauté, comme pour la construction du temple de Jérusalem :
- l’une positive, le roi d’Israël n’étant que le lieutenant, le représentant du seul et vrai Roi : le Seigneur lui-même !
- l’autre très négative : une prise de pouvoir, une hérésie qui s’oppose à Dieu-Roi !
Et vous avez certainement reconnu que notre texte d’aujourd’hui est de la seconde tradition !

On demande à Samuel : “Donne-nous un roi comme les autres nations !“. “Comme les autres nations“ ! L’expression est perfide dans la bouche du rédacteur : ces Anciens, revendicateurs, ne se rendent donc plus compte de la relation particulière d’Israël avec son Dieu ! Comme si un chrétien disait : baptisé, oui ! Mais, que voulez-vous, laïcisation oblige !

Alors Samuel, vrai prophète, se plaint au Seigneur qui par deux fois lui dira : “Satisfais le désir du peuple !“ .
On pourrait croire que le Seigneur accepte. En réalité, c’est l’inverse. Il faut comprendre ce langage biblique de la pédagogie de Dieu à l’égard de l’homme qu’il a créé libre ! Et quand cette liberté patauge, s’égare, Dieu a toujours le moyen de réparer cette déficience. C’est bon à savoir ; c’est bon de se le dire.
- Quand, dans le désert, Dieu accepte d’envoyer des cailles aux quémandeurs de viande à la place de la manne, c’est pour les guérir, à l’aide d’une foudroyante dysenterie, du désir de la “grande bouffe“, …de la grande consommation des fins d’année ou du nouvel an !
- Quand il commande à Abraham de sacrifier son fils, c’est pour éradiquer complètement de chez son peuple l’infanticide qu’il soit sacré, social, économique peu importe.
- Quand il commande à David de satisfaire son grand désir de recenser le peuple, c’est pour mieux se faire reconnaître comme seul Roi ! etc… Il faut toujours méditer cette pédagogie de Dieu à notre égard…, sinon comment pourrait-on comprendre que Jésus s’est fait obéissant jusqu’à la mort, afin de manifester la Vie, afin de nous donner la vie divine ?

Cependant, Samuel, le tout-puissant “prophète-juge-arbitre“, voit d’un mauvais œil la revendication des Anciens. Car il se rend compte que, dans cette affaire, il va perdre de son pouvoir ! Aussi dresse-t-il un portrait très noir du futur roi ! Pourtant, le Seigneur le console : “Ce n’est pas toi qu’ils rejettent ; c’est moi !“. Pas d’inversion sacrilège, là encore ! Il y a là un parallélisme voulu, aussi subtil qu’évident entre, d’une part, l’abandon d’un régime prophétique, disons “charismatique“ au profit d’une volonté royale, disons “centraliste“, et, d’autre part, l’oubli de Dieu au probable profit des dieux étrangers. Et cette subtilité est toujours actuelle : voir la religion avec une lunette très humaine au lieu de la considérer pour ce qu’elle est vraiment : une relation avec Dieu ! Samuel a peur pour lui : il va perdre de son autorité ! Que voulez-vous ! “Tout dévot que je suis, je n’en suis point moins un homme“, disait le Tartuffe ! Pourtant, il s’agit de Dieu, avant tout !

Pour excuser Samuel de son pessimisme en la fonction royale, il faut dire que l’auteur du Livre connaît l’histoire de Salomon : jeune, il était la fierté du peuple - il avait si belle allure ! - Mais la fin de son règle fut lamentable : un appauvrissement général.

Finalement, je vais vous transmettre ma réflexion qui ne vous étonnera pas :
- Je suis opposé à un pouvoir autoritaire quel qu’il soit, même si "la démocratie, comme disait Churchill, est la pire des gouvernances, après toutes les autres !".
- Et je suis pourtant très royaliste, mais à la manière du Christ ! “Oui, je suis Roi !“, disait Jésus à Pilate qui fera mettre un écriteau sur sa croix : “Le Roi des Juifs“ ! Ce jour-là, Pilate et Jésus s’étaient affrontés : le pouvoir tyrannique et le pouvoir qu’on partage ; le pouvoir de domination et le pouvoir du service, le pouvoir de la force et l’humble pouvoir de l’amour ! Tout au long de l’histoire humaine et aujourd’hui encore, ces deux sortes de pouvoirs continuent de s’affronter. Le premier l’emporte souvent sur le second. Mais le second finira par gagner ! Alors, “le Christ remettra la Royauté à Dieu son Père … pour que Dieu soit tout en tous“ (I Co. 15.24,27). Oui, Dieu d’abord, car “sans Dieu, c’est l’enfer !“. Notre lecture le répète à sa façon : Dieu d’abord !

(1) …et si crue dans les termes que les traducteurs ont renoncé à transcrire fidèlement.

jeudi 12 janvier 2012

Irritation de Jésus !

1 T.O. Mardi 12. (Mc 1.40-45)

On m’a appris qu’il y a une règle d’or dans la lecture de l’Evangile : les versions les plus difficiles sont souvent les plus authentiques !

L’évangile d’aujourd’hui, en donne un exemple : “Un lépreux supplie Jésus… Pris de pitié, Jésus étend la main…”. Or des manuscrits, nombreux et plus anciens rapportent : Jésus, non pas “pris de pitié”, mais “irrité”. Jésus, irrité ! Quand même ! Ce n’est pas possible, disent certains ! “Irrité, Jésus étend la main…”. Difficile à comprendre ! Et plus loin : une fois le lépreux guéri, Jésus le chasse ; il est encore “irrité” ! Décidément ! Comment comprendre ? Essayons de comprendre ! Car ce lépreux ressemble tellement, comme un frère, à bien des gens, à chacun de nous qui sollicitons souvent une intervention divine !

Réfléchissons avec St Marc, toujours si concis : Jésus se présente comme celui qui vient apporter la “Bonne Nouvelle” de Dieu. Et il s'impatiente devant la lenteur des foules et même des disciples qui ont du mal à comprendre son message. En fait, les gens viennent à lui surtout parce qu'il opère des miracles. La première journée de prédication de Jésus à Capharnaüm est significative : Jésus enseigne, certes ; mais ce qui frappe surtout ce sont les nombreuses guérisons qu'il opère. Et naturellement, elles suscitent enthousiasme : "Tout le monde te cherche". Jésus se dérobe, se réfugie dans un lieu désert et là il prie. Quand les disciples le découvrent, il insiste sur sa mission spécifique : "Allons ailleurs dans les bourgs voisins, pour que j'y proclame aussi la Bonne Nouvelle car c'est pour cela que je suis sorti". Et c'est au cours de cette prédication que se situe la rencontre du lépreux.

Il est quand même très bien ce lépreux ! Il croit en Jésus : "Si tu le veux, tu peux me purifier". On ne voit pas tout de suite pourquoi une telle confiance met Jésus en colère. Répondant mot pour mot, et brusquement, Jésus lui dit : "Je le veux, sois purifié". Et immédiatement, la “colère“ revient : "S'irritant contre lui, Jésus le chassa aussitôt".

Jésus a le sentiment d'une “embrouille” : il est venu apporter la Bonne Nouvelle et les gens ne retiennent que son pouvoir de guérisseur. Il est venu parler de Dieu-Père et l'on attend ses miracles. C'est ce reproche qu'il formulera explicitement un jour : "Vous me cherchez parce que vous avez mangé des pains à satiété" (Jn 6/26). Il y a comme un malentendu ; et l'essentiel de la mission de Jésus est négligé. Pourtant, Jésus continuera à prodiguer guérisons, miracles.

L'efficacité de ces miracles n'est pourtant pas évidente. Il suffit de se souvenir d'une autre affaire, celle de dix lépreux. Jésus agit avec eux comme avec le lépreux de Capharnaüm. Mais un seul sur dix - un Samaritain - revient, comprenant le sens du miracle et reconnaissant l'action de Dieu dans le geste de Jésus… Un sur dix !

Et nous-mêmes ? On demande facilement des actes de guérisons, mais recherche-t-on à approfondir la “Bonne Nouvelle” du Christ ? Bien plus, si on le fait, c’est souvent avec la compréhension de notre petite tête qui veut enfermer Jésus, Dieu lui-même dans la cage de nos suffisantes idées !
Et il est vrai aussi que ceux qui n'ont besoin de rien ne viennent guère à Jésus. Trop souvent, seuls les “souffrants“ réclament son intervention bienfaisante sans pour autant s'attacher à son message… ! Evidemment ! Cependant, Jésus lui-même n’a-t-il pas dit également : "Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos" (Mth 11/28).

Aussi, Jésus a continué de faire les gestes de guérison, de compassion. Et nous-mêmes, disciples du Seigneur, nous devons, à notre mesure, continuer à le faire. Accomplir modestement de petits gestes qui empêchent les autres de souffrir est parfois le seul témoignage à notre portée. Ces gestes de miséricorde peuvent devenir signes de l'amour de Dieu, pour ceux qui peuvent l'entendre, comme le lépreux samaritain. Ne méprisons pas ces modestes signes, même s'ils ne convertissent pas toujours. Beaucoup en ont besoin. Simplement, il faut savoir, il faut dire, il faut montrer que, pour ceux qui le veulent, Jésus apporte autre chose. Il veut nous mener jusqu'à Dieu, Père ! Participer à sa Vie !

Et nous-mêmes, avons-nous bien compris ? Dans tout mouvement de conversion, il y a, en un premier temps, enthousiasme pour le Christ qui libère, sauve… Justes sentiments, mais sont-ils solides ? Vient un second temps où il s'agit de découvrir qui est Jésus, vraiment. Oui, après l'éblouissement, vient le temps de l’approfondissement. Jésus le dit : “J'aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous n'avez pas encore la force de les porter” (Jn 16, 12). Ce n'est pas un reproche. Non, mais Jésus le sait : il faut du temps pour que notre foi trouve sa force, sa vigueur et puisse aller plus avant dans la découverte du mystère de Dieu. On n’approche Dieu qu’avec grande humilité !

mercredi 11 janvier 2012

Contemplation - Prédication

1 T.O. Mercredi

Nous poursuivons aujourd’hui l’évangile de Marc. Il est, me semble-t-il, très sympathique, ce Marc, dans sa simplicité, dans son enthousiasme… toujours empressé. On dirait qu’il suit Jésus d’un tel zèle qu’il s’essouffle dans la poursuite des événements qui se succèdent. Son attitude paraît même très amusante : si vous lisez son évangile “mot à mot“, on est frappé par certaines expressions, par exemple : « “et“ ceci ; “et“ cela encore… ». A chaque instant, il émaille son discours de cette conjonction de coordination “et“, comme pour marquer le rythme de sa respiration haletante dans sa course à la suite de Jésus. Il y ajoute même un “aussitôt“ plein d’ardeur :
1.21 : “Aussitôt, il entre dans la synagogue…“.
1.23 : “Aussitôt, il y a dans la synagogue un homme…“.
1.28 : “Aussitôt, sa renommée se répandit…“.
1.30 : “Aussitôt, les disciples lui parlent de la belle-mère de Simon…“.
1.47 : “Aussitôt, sa lèpre s’en va…“. Etc

Avec la succession des lieux en même temps, on dirait une juxtaposition d’images comme dans un montage de diapositives qui s’enchaînent rapidement ! Puissions-nous avoir spirituellement, même avec l’âge, cet élan enthousiaste à la suite de Jésus !

Cependant, Jésus, lui, sait s’arrêter… pour prier ! “Dès avant l’aube, Jésus se lève. Il sort et il va dans un endroit désert ; et là il priait“. Au milieu de ce rythme essoufflant de la prédication que rapporte Marc, Jésus se retire pour prier ! C’est que sa prédication ne devait être que le prolongement de ce dialogue qu’il entretenait, parfois toute la nuit, avec son Père !

Oui, la prédication devrait être toujours un débordement de la contemplation. La formule est de St Thomas d’Aquin : “contemplata aliis tradere“.

Cette théorie se trouve également dans la tradition juive !
On rapporte une anecdote d’un célèbre rabbin, Israël ben Eliezer, appelé encore plus communément le“ Baal Shem Tov“ ( = le “Maître du Bon Nom“). Homme pieux, mystique, fondateur du judaïsme hassidique, il vivait au 18ème siècle, en Pologne, près de la frontière russe.
Un jour, il lisait ce verset du Cantique des cantiques : “Les mandragores exhalent leur parfum, à nos portes sont tous les meilleurs fruits. Les nouveaux comme les anciens, je les ai réservés pour toi, mon bien-aimé“. Il s’arrêta, puis fit cette prière d’action de grâce à Dieu : “Tout ce qui est en moi, Seigneur, tout, le nouveau comme l’ancien, pour toi seul, tout pour toi !“.

Alors ses disciples qui l’entouraient et l’écoutaient avec grande attention se regardent et se disent : “Pourtant le Rabbi, c’est bien pour nous qu’il donne les paroles de l’enseignement !“ - Le Maître les entendant leur dit alors : “Oui, mais pour vous, c’est comme le tonneau quand il déborde… !“. Oui, la prédication : comme un débordement de la contemplation ! St Jérôme, quand il commence son commentaire sur Isaïe, remarque lui aussi : “J’imiterai l’épouse qui dit dans le Cantique des cantiques : “Les fruits nouveaux comme les anciens, je les ai gardés pour toi“. Et il ajoute : “C’est ainsi que je commenterai Isaïe…“ : la prédication : un débordement de la Parole de Dieu chez le croyant !

Le terme “contemplation“ appartient au vocabulaire de la prière chrétienne. Sur le plan étymologique, il renvoie à la vision de Dieu faite dans son temple (cum-templo). Puissions-nous avoir cette grâce ! Car cette forme de prière ne peut être qu’un don divin ! Et c’est alors que la vie devient obligatoirement une prédication !

Le pape Paul VI, dans le discours de clôture de la 9ème session du Concile Vatican II, le 7 décembre 1965, eut l'heureuse intuition de donner de la contemplation une sorte de définition pour notre époque, en exaltant l'humanisme chrétien. Il dit à propos de la foi au Dieu vivant, qu'elle est le principe de l'authentique humanisme : “L'effort de fixer en Lui notre regard et notre cœur, dans une attitude de contemplation, devient l'acte le plus élevé et le plus plénier de l'esprit, celui qui aujourd'hui encore peut et doit ordonner l'immense pyramide des activités humaines”. Selon cette définition, la contemplation unit le regard de l'esprit et l'élan du cœur, la foi qui connaît et la charité qui aime.

Que le Seigneur nous donne, tout en même temps, ce regard de foi et cet élan d’amour et vers Lui et vers nos frères… !