dimanche 30 septembre 2012

Ouverture avec l'Esprit-Saint !


26ème Dimanche du Temps Ordinaire 12/B  


Comme il est difficile de vivre les uns avec les autres ! Nous serions tellement mieux les uns avec les uns et les autres avec les autres !
C'est vrai dans la société civile ; c'est vrai aussi, malheureusement, dans l'Eglise. Les trois lectures de ce dimanche l'attestent !

Et pour éviter de vivre les uns avec les autres, nous sommes facilement imaginatifs, utilisant surtout trois techniques : la hiérarchisation, la séparation, l'exclusion.

Par la hiérarchisation, nous pensons que les uns - nous-mêmes en général, évidemment - sommes meilleurs, plus instruits... enfin mieux que les autres. Il est donc normal que, sur bien des points (et pas seulement matériels), nous ayons plus et donc les autres... moins, que nous nous rassemblions les uns avec les uns, en laissant les autres avec les autres.

Cette manière de penser et de faire, plus ou moins consciente et très souvent insidieuse, est fréquemment évoquée dans la Bible, même parmi les apôtres : "ils se disputaient entre eux pour savoir qui serait le plus grand" (Lc 9.46). Et les uns avec les uns sont très mécontents lorsque, parfois, les autres font mieux qu’eux ! La 1ère lecture et l’évangile en donnent des illustrations, tandis que la lettre de St Jacques dénonce avec fermeté cette hiérarchisation à l'intérieur des communautés chrétiennes : richesse et considération d'un côté, pauvreté et rejet de l’autre. Cette manière de faire est si insidieuse qu’il est bon de jeter un regard sur nos diverses communautés familiales, sociales, religieuses…

Une autre manière d'éviter de devoir vivre les uns avec les autres est la séparation, À l'échelle d'un pays, cela s’appelle “apartheid” : les uns avec les uns, les autres avec les autres. Il est clair que si les uns décident ceci, c'est pour garder des avantages et que si les autres acceptent cela, c'est contraints et forcés. Car il est évident qu’on ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Cela s’est vu en notre Eglise elle-même. Et cela se voit encore, car les façons de faire sont tellement insidieuses ! Pourtant, le Christ, lui, était très ouvert à quiconque. St Marc le souligne fortement…

La dernière manière d'éviter de vivre les uns avec les autres, c'est l'exclusion ! Nous savons ce que furent les persécutions racistes du nazisme : il y a des races supérieures à développer, des races inférieures à détruire !
Mais aujourd'hui, dans notre monde, sous d'autres formules - économiques dirait St Jacques -, l'exclusion menace toujours et rejette parfois dans la pauvreté extrême des personnes par millions. Sachons-le : une société qui encourage les entreprises à favoriser prioritairement le profit et non plus le “bien commun”, encourage les plus "malins" à davantage accaparer ce qui est destiné au bien de la société tout entière ! Aujourd’hui comme au temps de Notre Seigneur, on admire ces "malins" ingénieux en oubliant que le mot "mal" est à la racine de ce terme (mal-malin) !

Mais l'exclusion - et les textes de ce dimanche le montrent - peut revêtir d'autres visages et se retrouver... en nos églises : l'exclusion religieuse, l'exclusion au nom même de Dieu ! Naturellement, on pense d’abord à ceux qui ayant ou s'étant donné le label de croyant ou de chrétien, refusent plus ou moins ceux qui se réclament d’un autre label ! Ce risque existe chez tous les fondamentalistes - d'esprit ou de fait - : "nous avons toute la vérité, rien que la vérité, et ceux qui ne pensent pas comme nous sont dans l'erreur..." ! C’est toujours un grand danger qu’a dénoncé par son attitude le pape Jean-Paul II à Assise en 1986.

Là encore, la tentation est subtile : les lectures d’aujourd’hui posent le problème permanent et actuel des rapports entre l’Institution (l’Eglise) et ce qui la déborde. L’Esprit qui est à l’origine de l’Institution et qui l’habite de la manière la plus ordinaire, n’a pourtant pas voulu être prisonnier de l’Institution. Il continue de souffler “où il veut“ sans qu’on sache “ni d’où il vient ni où il va“ (Jn 3.8). On dirait même qu’il se plaît parfois à réveiller l’Institution toujours tentée de se satisfaire d’elle-même, de la stimuler par des interventions venant de l’extérieur, quitte à provoquer l’indignation de ceux qui, bien installés, rassurent leur conscience avec le sentiment de leur appartenance à l’Institution, si sacralisée qu’il ne faut surtout pas bouger pour que rien ne bouge, surtout ne rien changer pour que rien ne change !

Ainsi, dans la 1ère lecture, voilà que deux hommes, Eldad et Médad, bien que n’étant pas présent dans l’assemblée lors de la formation de l’Institution, profitent malgré tout du don de l’Esprit et se mettent à prophétiser, provoquant l’indignation de ceux qui assistaient à la cérémonie. “Moïse, mon Seigneur, dit Josué, pourtant le plus proche collaborateur de Moïse,  “empêche-les !“. Et Moïse rétorque : “Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Puisse tout le peuple de Dieu être prophète, Dieu leur donnant son Esprit !“.

Dans l’évangile d’aujourd’hui, la scène est très semblable et même plus forte : les disciples de Jésus sont jaloux parce qu’un homme qui ne fait pas partie du groupe chasse les esprits au nom de Jésus. “Il ne fait pas partie, disent-ils, de ceux qui nous suivent !“. Jésus, doux et humble de cœur, réagit comme Moïse, “le plus humble des hommes que la terre ait porté“ (Nb 12.3).

Et quand nous pensons “Institution“, nous pouvons penser à Pierre, le chef du collège apostolique. Pierre fut le premier à faire l’expérience de cette invitation divine à ne pas rester les uns avec les uns laissant les autres avec les autres ! C’était à Césarée Maritime : “Pierre parlait encore quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole. Et tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les païens… Alors Pierre déclara : « Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous ? »“. (Ac. 10.44-47). Et nous savons que cette ouverture de Pierre provoqua bien des difficultés !

Soyons très fiers et reconnaissants de participer à l’Institution, d’être d’Eglise. Mais, sachons que l’Esprit ne s’y est pas enfermé. S’il y a des mouvements “pneumatiques“ comme je l’ai récemment souligné avec ironie à propos des Corinthiens au temps de St Paul, il y a aussi les comportements “charismatiques“ de certains, plutôt marginaux à nos yeux. On peut parfois être perplexe ou devant l’indigence de leur bagage intellectuel, spirituel, ou devant leurs attitudes plus ou moins étranges, ou leur affectivité démonstrative… etc. Cependant on est interloqué parce qu’ils réussissent à faire ce que beaucoup ont renoncé à faire : ils récupèrent les “incupérables“…, ils font prier des incroyants… etc. 
N’oublions pas que des mouvements de ce genre pullulaient au 12ème siècle alors que l’Eglise était au sommet de son organisation. Or l’Esprit-Saint s’y en est mêlé inspirant les “Ordres mendiants“ avec St François et St Dominique, sans parler de bien d’autres, tel Joachim de Flore, un moine cistercien qui fut fort disputé… Sachons reconnaître que l’Esprit-Saint sait et saura parfaitement opérer le discernement qu’il convient en notre époque qui peut paraître si troublée !

Pour nous-mêmes, face aux divers risques de hiérarchisation, de séparation, d'exclusion, laissons chanter en nous les paroles que Dieu nous rappelle aujourd’hui : "Ah ! Si le Seigneur pouvait mettre son Esprit sur eux pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes !". Et Jésus lui-même d’affirmer : “celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi : celui qui n'est pas contre nous est pour nous !”... Même celui qui aura donné un verre d'eau à un disciple du Christ, celui-là sera du Christ. Et puis rappelons-nous : “Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde mais pour que, par lui, le monde soit sauvé” (Jean 3,17). Quelle universalité qui reste le secret de la miséricorde de Dieu ! Essayons de nous l’appliquer !

Nous voici donc conviés à vivre les uns avec les autres. Ce n'est possible que si nous nous aimons les uns les autres, si nous nous efforçons de nous aimer d’un amour humain, bien sûr, familial, amical… - ce n’est pas interdit, évidemment, même si c’est parfois un peu puéril ou quelque peu conventionnel -, mais de nous aimer surtout d’un amour divin dont nous avons reçu le germe au jour de notre baptême.

Remarquons encore que si l’on parle des uns et des autres, c’est que nous sommes différents. Il faut le reconnaître et le rester. Ne remplaçons pas exclusion par fusion et confusion. La vie naît et ne subsiste que dans l'échange. Que serais-je sans celui qui vient à ma rencontre ? Et puis, Dieu seul peut dire : “Je suis la Vérité”. Chacun de nous est appelé à s’approcher de cette “Vérité“ avec tous ses frères, ardemment, humblement surtout. Ne dit-on pas de Satan lui-même qu'il est “le meilleur” ? Oui, mais avec un tel orgueil qu’il est un ange déchu ! Soyons humbles et vigilants, évitant toute suffisance, afin de travailler ensemble au salut de tous les hommes, sans distinction !

Oui, dans le monde, dans l'Église de Jésus-Christ, il n'y a pas des serviettes et des torchons, mais des enfants différents qui sont aimés de Dieu et qui ont à s'aimer les uns les autres, les uns avec les autres !


samedi 29 septembre 2012

Les Anges !


29 Septembre : Fête des Saints Michel, Gabriel, et Raphaël, archanges
Ap 12,7-12 - Jn, 47-51

La fête d’aujourd’hui nous rappelle tout d’abord que, selon la révélation biblique, les hommes ne sont pas les seuls acteurs de l’histoire du monde. C’est un article de foi ! Et par ailleurs, comment rendre compte, sans toutefois l’expliquer, du mal qui règne dans la création et du déroulement de l’histoire où le bien et le mal croissent en même temps, comme l’ivraie et le bon grain de la parabole, si intimement entremêlés qu’aucune solution simpliste ne peut résoudre les problèmes qui se posent. Il faut attendre, dans l’espérance, le temps où - par le Christ, en Lui, avec Lui - les discernements seront possibles. Il nous sera alors pleinement signifié : “Voici le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu et le pouvoir de son Christ !“ (lecture).

Le serpent du paradis terrestre évoque déjà - quand il dit à Eve : “vous serez comme des dieux“ -, que, antérieurement à l’existence de l’humanité, des puissances célestes ont abusé de la liberté que Dieu, en son amour éternel, avait donnée, … ils en ont abusé pour introduire la zizanie dans le monde. Ce serpent des origines fait pendant au dragon de l’Apocalypse, qui, “furieux contre la Femme, s’en va guerroyer contre le reste de ses enfants, ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus“. (Ap 12,17)

Ainsi, la Femme et sa descendance, en butte avec les puissances du mal, sont là, à l’Alpha et à l’Oméga de notre histoire. De bons exégètes pensent qu’ils sont là aussi au centre, au pied de la Croix, figurés par Marie et le disciple bien aimé - “Voici ta mère…, voici ton fils…“ -. Ils sont là dans l’évangile de St Jean qui est peut-être le sommet de la révélation néo-testamentaire, à l’accomplissement des Ecritures, quand il n’y a plus qu’à “regarder Celui qui a été transpercé“, élevé pour le salut du monde (comme le fut le Serpent d’Airain pour la guérison d’Israël dans le désert).

Mais à l’opposé de ces mystérieuses puissances maléfiques, il y a aussi, et heureusement, de mystérieuses puissances bénéfiques. Dans la liturgie latine, comme dans la liturgie de l’Orient, on fête plus particulièrement certains anges : St Michel, St Gabriel et St Raphaël, avec aussi les anges gardiens. Ils sont là, les anges, pour nous accompagner d’un bout à l’autre de chacune de nos existences ; ils sont présents à chaque instant de nos cheminements personnels.

Car l’ange, dans la Bible, est avant tout celui qui guide, qui marche en avant du peuple dans le désert (Ex. 14.19sv). C’est encore un ange qui est envoyé à Moïse pour faire entrer le peuple dans la Terre promise (Ex. 23.20-21). Et le Christ lui-même est assisté d’anges d’après le ps. 91, cité par St Matthieu (4.6).
Et ici-bas - il ne faut pas s’y tromper -, certaines personnes sont investies d’une puissance angélique. Ce sont des “messagers“ (“messager“- “ange“, c’est le même mot en grec) qui, en quelque sorte, marchent en avant du Seigneur pour préparer sa venue. Tel Jean-Baptiste (Cf. Mth 11.10) qui, pour cette raison, est représenté dans l’iconographie byzantine avec des ailes d’ange. Jean-Baptiste est à la fois prophète (“prophètès“ - Mth. 3.1-4), messager (“aggelos“ - Lc 7.27)  et précurseur (“prodromos“ - Mth 3.11) (1). Ainsi donc, la vocation de tout ange - quel qu’il soit - est avant tout de préparer la venue du Seigneur dans les cœurs, hier comme aujourd’hui et demain. Il y a toujours des "Jean-Baptiste angélique" dans nos vies !

On parle facilement de Michel, Gabriel, mais moins de Raphaël. C’est dommage, me semble-t-il ! Dans le livre de Tobie, l’ange Raphaël, avant de guider le jeune Tobie sur la route, “synchronise“, au pied du trône de Dieu, les prières de deux êtres qui habitent à des milliers de kilomètres l’un de l’autre :

Au chapitre 3ème, le vieux Tobit, l’âme désolée, insulté par sa femme, pleure dans une prière poignante : “Je sais bien que Tu es juste, Seigneur…. ; mais quand même, j’en ai tellement assez que pour moi la mort vaut mieux que la vie !“.

Et un peu plus loin (Tb3,10) - notons le “synchronisme“ -, il advint que Sara, fille de Ragouël, habitant d’Ecbatane en Médie, insultée par sa servante, est, elle aussi, au bord du désespoir : “Ce jour-là, elle eut du chagrin, elle sanglota, elle monta dans la chambre de son père, avec le dessein de se pendre !“.

Et au verset 16ème du même chapitre : “Cette fois-ci, leur prière, à l'un et à l'autre, fut agréée devant la Gloire de Dieu, (grâce à l’ange Raphaël qui rassembla leurs prières devant le Seigneur, les “synchronisa“) …et Raphaël fut envoyé pour les guérir tous les deux…. A ce moment-là, - voyez encore le “synchronisme“ ! - Tobit rentrait de la cour dans la maison ; et Sarra, fille de Ragouël, de son côté, était en train de descendre de la chambre“.  Raphaël ! Invisiblement, il “synchronise“ nos prières devant Dieu ! Aussi Dieu l'envoie ! Alors il guérit, guide, fait rencontrer… Il conduit vers une “terre promise“, vers  le bonheur. Et c’est la joie, la guérison…, ce sont des noces ! (entre Tobie et Sarra). (Il faut faire lire ce livre aux “fiancés“ !).

Les anges “synchronisateurs !“ ! Il faut savoir les reconnaître : faites jouer votre mémoire ; et demandez-vous, si la présence de ces anges “synchronisateurs“  n’a pas été finalement pour vous, par-ci, par-là,  dans vos existences et peut-être surtout dans  vos rencontres (comme pour Tobie et Sarra), une évidence plus qu’un objet de foi !

C’est dans cette même évidence qu’il nous est parlé de ces anges gardiens qui accompagnent la destinée de chacun d’entre nous, depuis notre conception jusqu’à notre dernier souffle. Et on peut espérer qu’au jour de notre mort, notre ange-gardien nous transportera, comme le pauvre Lazare, dans le sein d’Abraham !

Soyons comme Nathanaël invité à voir partout l’échelle de Jacob plantée en terre sur laquelle “les anges de Dieu montent et descendent au-dessus du Fils de l’homme !“. Je me suis toujours demandé - irrespectueusement sans doute - comment peuvent-ils monter avant de descendre ! Mais peu importe ! Ils sont là, les anges - ces anges “synchronisateurs - pour nous faire toujours bénéficier de l’Alliance entre ciel et terre, alliance réalisée une fois pour toutes par “le Fils de l’homme“, le Christ ! A lui, gloire éternelle !

(1) Cf. Ysabel de Andia : “La Voie et le Voyageur“ p.23

vendredi 28 septembre 2012

Monsieur Vincent (2)


27.09 : St Vincent de Paul  -   (2)                            

1. Jeunesse…
2. “Conversion“ !
3. “Prémonitions“ !

4. Les “fondations“ !
Grâce au zèle apostolique et l’aide financière des Gondi, Vincent de Paul est chargé du collège des “Bons-Enfants“, proche de la porte Saint-Victor, avec le soin de “choisir six personnes ecclésiastiques dont la doctrine, piété, bonnes mœurs et intégrité de vie soit connues pour travailler audit œuvre sous sa direction, sa vie durant“

L’acte de fondation ainsi à peine posé (17 Avril 1625), Mme de Gondi décède le 23 juin de la même année. Et son époux, le général des galères, très affecté, renonce au monde et entre à l’Oratoire le 6 Avril 1626.

Le premier compagnon de M. Vincent fut Antoine Portal, prêtre du diocèse d’Arles, qu’il connaissait bien. Avec l’aide d’un autre prêtre, ils commencèrent le travail de la “Mission“, “allant prêcher de village en village“ si bien que quelques ecclésiastiques se joignirent à eux… Le 24 Avril 1626, Jean-François de Gondy, archevêque de Paris, approuve l’œuvre naissante… et un peu plus tard, le pape lui-même (12 janv. 1633).

A cette date, le siège de la “Mission“ n’était plus aux “Bons-Enfants“. On avait trouvé meilleur espace au prieuré Saint-Lazare qui donna le nom aux membres de l’Institut : “Les Lazaristes“. C’est en cet endroit que M. Vincent devait mourir vingt-huit ans plus tard.

Comme on l’a dit, en quittant Châtillon, l’apôtre n’avait pas oublié l’expérience de la confrérie de la “Charité“. Au contraire ! Et, à Paris, une œuvre semblable commença quand Dieu envoya providentiellement à M. Vincent sa principale collaboratrice, Louise de Marillac
Rapidement, toutes les paroisses de Paris eurent leur “Charité“. La plus importante de ces “Charités“ fut assurément celle de l’Hôtel-Dieu. La misère des hôpitaux de Paris était grande au début du 17ème siècle. St Vincent ne l’ignorait pas. Par diverses circonstances, l’archevêque de Paris lui ordonna de s’en occuper. Cette confrérie, née au début de 1634, comprenait déjà au mois de juillet cent à cent-vingt membres, presque tous portant de grands noms ! (4)

Au premier rang se distinguait Louise de Marillac (5). Jugeant que la contemplation serait plus nuisible qu’utile à cette âme ardente mais scrupuleuse, le Saint l’encouragea pour l’action. Il en fit une sorte de “Visiteuse“ et l’envoya partout où une “Charité“ périclitait.

Il allait en avoir besoin pour une tâche plus importante encore. L’expérience révélait qu’on ne pouvait tout demander aux “Dames“ qui devaient d’ailleurs assurer les soins de leur propre famille. Aussi beaucoup avaient contourné la difficulté en se faisant remplacer par des servantes. Et puis, chaque “Charité“ voulait facilement se targuer de particularités, ce qui était nuisible à l’unité des confréries.

Pour remédier à ces inconvénients, il valait mieux trouver de bonnes servantes, humbles et dévouées à la fois. La première qui se présenta fut une vachère de Suresnes, Marguerite Naseau. Elle avait appris à lire, presque seule, en gardant les vaches. “Dès qu’elle sut qu’il y avait à Paris une Confrérie de la “Charité“ pour les pauvres malades, elle y alla, poussée par le désir d’y être employée…Elle avait grande patience, ne murmurait jamais. Tout le monde l’aimait parce qu’il n’y avait rien qui ne fût aimable en elle. Sa charité a été si grande qu’elle est morte pour avoir fait coucher avec elle une pauvre fille, malade de la peste“. Cet éloge est de St Vincent lui-même qui aimait la citer en exemple aux filles de la charité.

Car Marguerite Naseau eut vite des émules. De nombreuses filles de la campagne venaient s’offrir à servir les pauvres. D’abord on les plaçait directement au service des confréries. Quand leur nombre augmenta, M. Vincent songea à leur donner une formation solide, bien nécessaire à raison des dangers multiples qu’offrait la capitale à ces âmes souvent naïves. Pour cela, il s’adressa à Louise de Marillac qui les prit chez elle, non loin de St Nicolas-du-Chardonnet (1633). Mais la maison devint vite trop étroite. Le “séminaire des Filles de la Charité“, comme on disait, finit par trouver une assez vaste propriété, près de Saint-Lazare, où Louise de Marillac fit construire une demeure simple mais assez grande. En tout cela, M. Vincent ne se reconnaissait aucun mérite. Il avait simplement suivi la Providence pas à pas. “C’est Dieu, mes filles, disait-il, que nous pouvons dire auteur de votre Compagnie !“. Ainsi naquit la “Compagnie des Filles de la Charité“.

Le dessein de Monsieur Vincent n’était certes pas de créer une Congrégation religieuse. D’ailleurs, en ce temps-là, vie religieuse féminine était synonyme de clôture ! St François de Sales lui-même l’avait expérimenté et avait dû renoncer à sa conception primitive de la Visitation. Aussi St Vincent de Paul se montra plus réaliste : ses filles n’étaient pas des religieuses, et il leur affirmait : “S’il se présentait parmi vous quelque esprit brouillon qui dit : « il faudrait être religieuses, cela serait bien plus beau ! », ah ! mes Sœurs, la Compagnie serait à l’extrême-onction…, car qui dit religieuse dit cloîtrée, et les filles de la Charité doivent aller partout !“. Il les définissait comme “n’ayant pour monastère que les maisons des malades, pour cellule une chambre de louage, pour chapelle l’église paroissiale, pour cloître les rues de la ville, pour clôture l’obéissance, pour grille la crainte de Dieu, pour voile la sainte modestie“. Cependant si l’étiquette faisait défaut, la réalité s’y trouvait : la pauvreté et le renoncement… , et puis, disait-il, “les solides vertus de la mortification intérieure et extérieure de notre jugement, de notre volonté, des re-souvenirs du voir, de l’écouter, du parler et des autres sens“. St Vincent ne voulait même pas parler de vœux. A la fin, il finit par concéder des vœux privés qui, chaque année, se renouvellent en la fête de l’Annonciation.

L’habit et la nourriture étaient ceux des villageoises des bords de Seine. Une robe de serge grise, un collet, un “toquois“ de toile blanche pour cacher les cheveux. La cornette de toile blanche était réservée, a-t-on dit, à celles que l’air incommodait (?). Cette façon alla, avec quelques modifications, se multipliant pour prendre cette allure de haut vol que les plus anciens d’entre nous ont encore connue ! St Vincent voulait ses filles humbles et modestes !

Mais en même temps, une autre œuvre se profilait. Le premier but de St Vincent était l’évangélisation. Pour cela, il y avait désormais “ les Prêtres de la Mission“, les “Lazaristes“, dira-t-on assez vite. Cependant il ne suffisait pas de remuer les paroisses ; il fallait maintenir le bien opéré par les missionnaires ! C’était la tâche du clergé paroissial. Hélas ! La décadence intellectuelle et même morale du clergé était grande au lendemain des guerres de religion ! Il fallait remédier à ce déplorable état spirituel. Le concile de Trente avait indiqué les moyens. En France il y avait l’Oratoire du Cal de Bérulle qui travaillait en ce sens en tenant quelques séminaires. M. Ollier avec l’œuvre de Saint-Sulpice allait venir. Mais, en 1630, c’était encore bien peu !

La Providence sollicita encore M. Vincent. L’initiative partit de l’évêque de Beauvais qui invita M. Vincent à faire une retraite pour ses ordinants. Ce fut un grand succès ; et l’évêque conseilla la formule à ses collègues. M. Vincent accepta de recevoir chaque année les futurs prêtres de Paris à “Saint-Lazare“ !
C’était une première étape. Restait à la compléter. Le collège des Bons-Enfants, après le départ de la “Mission“ pour “Saint-Lazare“ accueillit des écoliers pour les éduquer en vue du sacerdoce. A ce petit séminaire, dirions-nous, s’ajouta le grand Séminaire à partir de 1642. Et c’est ainsi que fut envisagée la formation d’un clergé capable de maintenir la foi dans les paroisses après le passage des “Prêtres de la Mission“ ! Cette Institution des “Grands Séminaires“ se poursuivit jusqu’à nous !

Vers 1635, au cours d’une grave maladie, St Vincent songea que, s’il venait à mourir, il regretterait de n’avoir pas donné de règles à ses missionnaires. Le travail, inspiré des constitutions de la Compagnie de Jésus, fut achevé en 1642. L’approbation romaine fut un peu longue à obtenir (en raison de la question des vœux, principalement). Elle parvint seulement deux ans avant la mort du Saint (1658) qui en exprima une grande joie !

Ce que M. Vincent avait toujours en vue, c’était l’évangélisation des campagnes. Les populations urbaines avaient à leur service de nombreuses familles religieuses. Se consacrer à des âmes ignorantes et parfois frustes réclamait beaucoup de vertu ; et la tentation venait facilement de s’évader vers des ministères plus relevés. Il combattait la suffisance d’un discours, demandait que l’on parlât simplement aux gens, sans prétention, “sans fard“. Mais sa sévérité sur ce sujet ne l’empêchait nullement de manifester une exquise charité. Et, étant dans le diocèse du Mans, je ne peux m’empêcher de transmettre un passage d’une lettre adressée à l’économe de la Maison de cette ville. Celui-ci condamnait trop facilement ses frères à la portion congrue. Aussi St Vincent lui écrivit-il : “J’ai nouvelle d’une de nos maisons que la mauvaise nourriture qu’on y donne fait de mauvais effets dans les corps et dans les esprits… Je vous dis ceci, Monsieur, à cause que vous êtes en pareil office et afin que vous ayez soin, s’il vous plaît, d’éviter semblables inconvénients, tâchant de donner de bon pain, de bonne viande et de ne pas vendre le meilleur vin pour en donner de pire, ni exposer la communauté aux plaintes d’un avare traitement…“.

Certes, St Vincent fut un grand “actif“ grâce à des moyens naturels exceptionnels : intelligence claire, pratique, peu portée à la spéculation, grande sensibilité, énergie et ténacité tout à la fois. Mais ces dons naturels n’auraient servi à rien si elles n’avaient été pratiquées sans la foi. Vincent de Paul fut un homme d’une immense charité, mais une charité qui suit immédiatement ce qu’on appelle “la foi vive“, une “foi vive“ qui, chez lui, se manifestait dans un abandon totale à la divine Providence qui ne peut s’exercer sans, de notre part, humilité, adoration, effacement personnel pour tout attribuer à Dieu !
S’il n’y avait pas chez lui grands raisonnements théologiques, il possédait ce “sens de la foi“ qui lui fait découvrir immédiatement les mauvais penchants, les dangereuses déviances et les erreurs. Il sut parfaitement déceler le grand danger du jansénisme. Il l’exprime à son ami et compatriote, Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. S’il ménage l’homme en raison de ses vertus, sa grande foi le conduit à se montrer l’un des adversaires les plus résolus de l’erreur !

M. Vincent, durant sa vie, avait joui d’une assez bonne santé, malgré quelques maux passagers et quelques “fièvrottes“ comme il disait. Plus grave fut son mal de jambe qui se manifesta dès 1615 et qui ne fit que s’empirer avec les ans, au point qu’à la fin de sa vie il ne pouvait plus guère se déplacer. Il faut dire cependant que ses activités incessantes et ses nombreux déplacements ne l’empêchèrent point de dépasser les 80 ans, âge exceptionnel pour l’époque. Il mourut le 27 Septembre 1660 en sa 84ème année.
Il fut proclamé “Bienheureux“ en 1729 et fut canonisé en 1737. Et pour encourager la dévotion au saint, Léon XIII le proclama patron de toutes les œuvres charitables…


Pour terminer, retenons, comme hier, quelques aphorismes de ce grand Saint :

Dieu sait ce qui nous est convenable et il nous le donnera en temps voulu si nous nous abandonnons à Lui.

Pensez à passer autant de temps à remercier Dieu de ses bienfaits, qu’on en emploie à les lui demander

Je prie Dieu qu’il soit le cœur de votre cœur

 (4) La encore M. Vincent déploya son zèle d’organisateur :
- Il y avait la tâche spirituelle confiée à quatorze membres (élues s’il vous plaît) pour trois mois. Elles avaient pour mission de préparer les âmes à la confession générale.
- Il y avait les Dames chargées de recruter les confesseurs !
- Il y avait le “Groupe de la collation“ servie au malades au cours de l’après-midi.

(5) nièce (?) d’un garde des sceaux et d’un Maréchal de France, et veuve d’Antoine Le Gras, l’un des secrétaires de la reine Marie de Médicis.


jeudi 27 septembre 2012

Monsieur Vincent (1)


27.09 : St Vincent de Paul  (1)-                     (La personnalité de M. Vincent est si riche
que mon “mot“ sera en deux épisodes ! Prions ensemble ce grand Saint qui est bien d’actualité !


Autant le personnage “Monsieur Vincent“ est assez pittoresque, autant sa vie est digne d’un roman d’aventures ! Au moins il est des saints avec lesquels on ne peut guère s’ennuyer !

1. Jeunesse.
Il naquit en 1581 dans les Landes de parents agriculteurs sans fortune. Il n’avait donc aucune noblesse malgré la particule qui précède son nom (1).

L’enfant manifeste de bonnes dispositions intellectuelles. Aussi, ses parents se privèrent pour l’envoyer étudier à Dax ! Avisés, ils espéraient que ce troisième enfant sur six pourrait être un jour la providence pour sa famille !

De fait, très vite, il se fit remarquer par ses facilités intellectuelles ; lui-même d’ailleurs - paraît-il - en était conscient. Un défaut de mauvais augure qu’il rachètera plus tard par sa très grande humilité ! Aussi, réussit-il à gagner Toulouse dont la faculté de théologie était célèbre. Il y restera sept ans ! Durant cette période, il réussit à se faire recommander à l’évêque de Tarbes qui l’ordonna sous-diacre et diacre en 1598, mais lui refusa la prêtrise à cause de son âge (Il n’avait que 17 ans !). Qu’à cela ne tienne ! Notre futur Saint voulait brûler les étapes et il réussit à trouver un évêque plus complaisant en la personne du vieil évêque de Périgueux qui l’ordonna dans la chapelle de sa maison de campagne en 1600.

Cependant, durant cette période d’études, Vincent vivait assez misérablement, n’obtenant pas de postes aux bénéfices lucratifs ! Et il ne voulait surtout pas être à charge de sa famille…

La période 1605-1610 est assez floue et rocambolesque si l’on en croit trois de ses lettres qui jettent une lumière assez crue sur le futur saint ! Il raconte que le testament fait en sa faveur “par une bonne vieille de Toulouse“ (!!!) le contraint à poursuivre jusqu’à Marseille “un méchant mauvais garnement“ qui l’aurait volé de trois cents écus. Pour ce faire, il n’hésite pas à vendre le cheval pris de louage à Toulouse, estimant pouvoir le payer au retour… Il arrive ainsi à Marseille, fait emprisonner le voleur qui lui remet finalement les trois cents écus !
Mais - événement rocambolesque -, en revenant, le bateau qu’il prend à Narbonne se fait capturer par trois “brigantins Turcs“. Il est emmené à Tunis comme esclave. Il y restera deux ans. Mais il réussit à convertir son maître, un “renégat de Nice“.
Tous les deux parviennent cependant à se sauver sur un petit esquif. Ils arrivent à Avignon où le Vice-légat du pape reçoit avec grande joie le retour dans l’Eglise de l’ancien renégat ! De plus, il invite Vincent à venir à Rome pour le faire pourvoir de quelque “bon bénéfice“. Aussi, notre futur Saint usera, là encore, de quelques subterfuges d’argent pour s’assurer du voyage.

Naturellement, certains historiens mettent en doute tous ces scénarios qui pourraient sortir d’un conte de mille et une nuits ! Quoi qu’il en soit de l’authenticité des récits attestés par trois lettres de notre héros, on peut affirmer qu’à cette date, Vincent n’est nullement un saint. Il apparaît comme un garçon besogneux certes, mais sans scrupules excessifs en matière d’argent. Il est plein d’ambition et préoccupé de décrocher un bon bénéfice d’une fonction ecclésiastique.

D’après l’une de ses lettres, il va bien à Rome, mais n’obtient aucun avancement significatif. On le retrouve à Paris le 17 février 1910 où il est agrégé au corps des aumôniers de la reine Marguerite de Valois, l’ancienne épouse d’Henri  IV (2). Mais cette fonction est encore bien modeste puisqu’il partage le logement d’un ami, rue de Seine.


2. “Conversion“ !
C’est là, cependant, que la grâce l’attendait à propos encore d’une affaire d’argent dont, du coup, il fut victime. Mais foin des conjonctures en cette affaire trouble une fois de plus, ce fut, par grâce divine, l’occasion pour Vincent d’un renoncement aux biens de ce monde, d’une profonde conversion. Sans doute, le Cal de Bérulle ne fut pas étranger à ce retournement. Vincent l’avait rencontré grâce à l’un de ses amis, le curé de Clichy. Peu de temps après, ce dernier entrait à “l’Oratoire“ que le Cardinal venait de fonder à Paris et il aurait présenté Vincent pour lui succéder.

Voilà donc Vincent de Paul, curé de Clichy ! Certainement encouragé par Bérulle qui aura une grande influence sur lui, Vincent, dès lors, s’intéresse exclusivement aux âmes, catéchise les enfants, visite pauvres et malades, partout réconforte et console.


3. “Prémonitions“ !
Vincent ne restera que peu de temps en sa paroisse campagnarde. En 1612, Bérulle lui propose d’entrer comme précepteur chez les Gondi, riche famille d’origine florentine (3). Le Marquis Philippe-Emmanuel de Gondi et son épouse Françoise-Marguerite (malgré leur condition !) manifestaient clairement une foi profonde et une très grande charité !
Vincent fut, en ce poste, fort occupé. Les “mauvaises langues“ diront que la vertueuse (mais quelque peu scrupuleuse) Marquise de Gondi, heureuse d’avoir trouvé un “directeur“, se chargeait de l’occuper à elle seule ! Cependant, encouragé par ses protecteurs, “Monsieur Vincent“ comme on l’appelle désormais se préoccupe de la population qui habite sur les nombreux domaines des Gondi…  St Vincent y restera douze années (1612-1624) entrecoupée par une “fugue“ à Châtillon en 1017.

On ne sait que peu de choses des quatre premières années sinon que le futur Saint subit, durant toute cette période (1612-1616), une grave et forte tentation contre la foi. Mais, finalement, avec, probablement, le soutien du Cal de Bérulle, ce fut pour lui une occasion de très grands progrès vers la sainteté… Il se défait d’ailleurs, à cette époque, de certains bénéfices lucratifs ou avantages de sa fonction. Quel changement au regard du jeune Vincent !

Un fait pourtant à retenir de cette période : Il résidait alors au château de Folleville (Somme) chez les Gondi. Un jour, on appela M. Vincent à venir visiter un paysan qui se mourait. Une confession générale rendit la paix au pauvre homme ; et il mourut dans une très grande joie. Cet événement frappa si fortement Mme de Gondi qu’elle demanda à son aumônier de faire une prédication pour exhorter les paroissiens à une confession générale. Le résultat fut tel qu’il fallut l’aide des Jésuites voisins (d’Amiens). C’était le 25 janvier 1617. A juste titre, St Vincent lui-même et les Lazaristes virent plus tard en cette date la naissance de leur Institut !

En effet, Mme de Gondi, frappée de la nécessité de prêcher des “missions“ aux pauvres campagnards, décida d’offrir une dotation à la Communauté qui consentirait à en faire une tous les cinq ans sur ses terres. Mais personne ne répondit, pas même le Cal Bérulle. Il faudra que St Vincent s’y consacre lui-même, très modestement !

Cependant, le 1er Août 1617, St Vincent quitte soudainement la maison princière : il ne fournit aucune raison sinon un “voyage à faire !“. Il en parle cependant à Bérulle qui, justement, cherchait un desservant pour une paroisse des Dombes (Châtillon). Il n’y restera que quelques mois mais fera un immense travail missionnaire en cette région soumise à l’hérésie calviniste. Comme à Clichy, il prend contact avec les paroissiens, visite pauvres et malades, court à la recherches des “brebis perdues. L’hérésie perd du terrain ; la paroisse revit ! La conversion la plus notoire est celle du Comte de Rougemont, duelliste enragé, un “franc éclaircilleur“, dira St Vincent…

Le séjour à Châtillon, si bref fût-il, lui permet de jeter les bases d’une Institution très importante, plus importante même que celle dont l’aurore avait percée lors de ses prédications dans les campagnes, près du château de Folleville dans la Somme. L’épisode est amusant. On signale à Monsieur Vincent une maison un peu éloignée dont tous les habitants, malades, sont dans une grande nécessité. Il s’y rend. Et sur le chemin, il rencontre des femmes qui le devançaient ou qui revenaient… “Il y en avait tant, dira-t-il avec exagération, que vous auriez dit des processions !“. Immédiatement le génie d’organisation du Saint s’active : il propose à toutes ces femmes de “faire le pot“, chacune à leur tour, pour les nécessiteux du village et des alentours. Ce fut le début d’une future Institution à Paris : les confréries des “Dames de la Charité“.

Mais les Gondi voulaient retrouver leur aumônier ! Madame, surtout, quelque peu scrupuleuse a-t-on dit, était inconsolable de la perte de son directeur. On pria St Vincent de revenir. Même le sage Cal de Bérulle le priait seulement “de réfléchir sur la peine de Mme de Gondi et sur ce qu’il avait à faire !“. Il réfléchit donc et pria… Et il résolut de rentrer à Paris, malgré les pleurs de ses paroissiens de Châtillon !

A Paris, St Vincent reprend son activité apostolique : il se consacre entièrement à évangéliser les habitants des nombreux domaines des Gondi. On le trouve partout : à Villepreux (Seine et Oise), puis à Joigny (Yonne), à Montmirail (Marne), Folleville, bien sûr (Somme), Paillart (Oise)… etc. Partout le bien spirituel opéré est immense. Pour le consolider, il établit désormais des confréries, des “charités“ comme l’on disait.

Paradoxalement, il lui faut lutter cependant contre un “naturel mélancolique“, disait-on alors (acédie). Il note avec la simplicité d’un “enfant de Dieu“ : “Je m’adressai au Seigneur et le priai instamment de me changer cette humeur sèche et rebutante et de me donner un esprit doux et bénin ; et par la grâce de Notre Seigneur, avec un peu d’attention que j’ai faite à réprimer les bouillons de la nature, j’ai un peu quitté de mon humeur noire“.

Mais il y a encore une autre préoccupation apostolique qui se présente. M. de Gondi est général des galères du roi. Les rameurs de ces navires de guerre sont des condamnés aux travaux forcés (forçats). En attendant d’être conduit à Marseille (port des galères), ils croupissent enfermés à la Conciergerie, dans des cachots humides, malpropres, sans air et pleins de vermine.

St Vincent répond aussitôt à l’appel lancé par l’archevêque de Paris en faveur de ces pauvres condamnés. Il les visite, les réconforte, les instruit, obtient même leur transfert dans des lieux plus sains. Peut-être même alla-t-il jusqu’à Marseille, en 1618, afin d’améliorer leur sort… Son zèle fut reconnu par le roi Louis XIII qui lui conféra la charge d’“aumônier réal des galères“, avec appointements qui facilitèrent l’action apostolique de M. Vincent.

On ne peut songer à suivre avec exactitude le futur Saint sur tous les chemins qu’il emprunte, avec les rencontres qu’il y fait et qui mériteraient grande attention, celle en particulier avec François de Sales et Jeanne de Chantal (1619). Notons cependant que Jeanne de Chantal resta quelques années à Paris pour y implanter sa fondation. Elle fit agréer Monsieur Vincent comme supérieure des monastères de la Visitation à Paris (1622). Il y resta jusqu’à sa mort. Cette fonction lui vaudra une grande expérience pour ses propres fondations qui ne vont pas tarder à voir le jour.

A suivre : 4. Les fondations !“


Pour terminer aujourd’hui, retenons quelques aphorismes de ce grand Saint :

C’est aimer Dieu de la bonne manière que d’aimer les autres !

Faisons les affaires de Dieu, Il fera les nôtres.
 Le Bon Dieu fait toujours nos affaires quand nous faisons les siennes.

Déchargez votre esprit de tout ce qui vous peine : Dieu en aura soin !


(1) Son nom “de Paul“ devait désigner un lieu-dit habité autrefois pas ses ancêtres - procédé d’appellation fréquent -.

(2) dite “Reine Margot“ (+ 1615) !

(3) famille qui a suivi Catherine de Médicis lors de sa venue en France



mardi 25 septembre 2012

Notre Famille..., avec Marie !


25 T.O. Mardi 12/B       -         (Lc 8.19-21).

Luc s’est d’abord attaché à transmettre l’enseignement de Jésus à ses apôtres qu’il a choisis, qu’il veut “former“ ; cet enseignement s’ouvrait en quelque sorte par le discours des Béatitudes.
Puis il nous a montré que Jésus, associant de plus en plus ses apôtres à sa mission, enseignait les foules, principalement au moyen de paraboles.
Et cet enseignement se termine pratiquement par le petit épisode d’aujourd’hui qui nous parle de sa famille, de sa vraie famille, de la famille de Dieu !

Regardons attentivement : tout d’abord nous voyons les gens de la parenté de Jésus qui viennent de Nazareth. D’après ce qui leur est rapporté, ils sont, pour le moins, très intrigués par l’enseignement de Jésus, son comportement, ses miracles… ; et d’après St Marc, certains n’hésitent pas à affirmer au sujet de leur compatriote : “Il a perdu la tête !“ (Mc 3.21). La foule est nombreuse ; et ils n’arrivent pas à approcher le Maître qui enseigne… Ils lui font savoir !

Les disciples, eux, sont rassemblés autour de Jésus. Ils ne disent rien, ils ne critiquent pas, ils ne revendiquent pas. Simplement, ils écoutent. Assis en cercle autour de Jésus, peut-on imaginer, ils forment une “assemblée“, une assemblée qui écoute ; ils forment déjà une “Eglise“, l’“Eglise de Dieu“ !
En rapprochant cet épisode de celui de Marthe et de Marie que nous connaissons bien, nous comprenons que les disciples ont choisi “la meilleure part“ (Lc 10.42) ; ils font déjà la volonté de Dieu en écoutant son Envoyé ; ils sont déjà en route à la suite de Jésus…, Verbe de Dieu ! - “Shema Israël !“ – Ecouter ! C’est toujours la première démarche spirituelle que signale également St Benoît ! Savoir écouter ! “Faites donc attention à la manière dont vous écouter !“, venait de nous recommander l’évangéliste (8.18).

Luc, comme Marc et Matthieu, veut souligner ici la grande différence et même la séparation qui existe entre le clan familial de Nazareth, la famille de Jésus et ses disciples qui forment déjà sa nouvelle famille !
Pourtant, à l’époque de Jésus, les valeurs familiales étaient sacrées. Aussi, Jésus ne veut pas opposer directement les gens de sa parenté aux disciples réunis autour de lui ; mais cependant, il utilise à leur sujet les mots des relations familiales (frères, sœurs, mère…) pour faire comprendre que les liens spirituels sont aussi importants que les liens de parenté et même qu’ils les dépassent : "Si quelqu'un vient à moi sans haïr [sans me préférer (1)] son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple. (Lc 14.26). Jésus veut montrer ainsi que les liens familiaux, si importants soient-ils, ne sont pas absolus par rapport à notre relation avec Dieu “par, avec, en“ lui, Jésus !

Et la mère de Jésus est là ! La mère de l’enfantement du corps de Jésus devient déjà la mère de son “Corps mystique“, l’Eglise. Ne cessons pas de regarder Marie. Nous savons bien qu’elle a enfanté Jésus selon la chair et l’a nourri de son lait ; elle a été une merveilleuse mère, certainement. A n’en pas douter ! Mais elle a été surtout celle qui était attentive au mystère du Verbe de Dieu - Parole de Dieu - en elle. Elle ne cessait depuis le commencement d’être de “celles qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique“ ! Elle ne faisait que cela depuis toujours : “Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement de la Parole de Dieu !“ (Cf. 1.46).

Et elle ne cesse de nous dire, de nous signifier parfois silencieusement mais toujours en désignant son Fils : “Faites donc tout ce qu’il vous dira !“ (Jn 2.5).

Dès lors, Marie sera celle qui, avec les apôtres, sera toujours disponible, assidue à l’écoute, à la prière, dans l’attente du don de l’Esprit-Saint.

Marie est la première dans la famille spirituelle, l’Eglise. Elle est à la première place dans l’immense cortège des amis de Dieu. Aussi est-elle appelée Reine des apôtres, des martyrs. Elle la Reine de tous les “Saints de Dieu“, de tous ceux qui, d’abord, ont su “écouter“.

Quelle bonne Nouvelle pour chacun de nous d’être dans la paix, d’être dans “la Paix Notre-Dame“ : comme une mère, Marie nous aide grandement à suivre son Fils par la Foi qui est avant tout une “écoute“, à être unis à Lui pour devenir, de plus en plus, ses frères, les frères du Fils de Marie, Mère de Dieu ! Comment Marie ne serait-elle pas là au moment où, par l’Eucharistie, nous allons oser affirmer que nous sommes les membres du Corps de son Fils ? “Je vous salue, Marie… Sainte Marie, priez pour nous, pauvres pécheurs… !“

(1) Formule de comparatif qui n’existait pas en hébreu, en araméen.



lundi 24 septembre 2012

Sentences !


25 T.O. Lundi 12/B       -      Proverbes !       (Prov. 3.27-34  - Mth 8.16-18)

J’avoue que le livre des Proverbes…                                 [ainsi que les livres dit “sapientiaux“,
Qohéleth (Ecclésiaste), Siracide (Ecclésiastique) etc…]
…ne m’est pas très familier. Il s’agit de “sentences“ que la mémoire d’un peuple sémitique, d’un “peuple de l’oreille“ a glané ici ou là, au cours de son existence mouvementée, au contact de peuples divers (Egypte, Assyrie, Babylone…).

Il faut parcourir ce livre, car, me semble-t-il, nombre de sentences concernent le savoir “bien-vivre“, et le savoir “bien-vivre ensemble“ ! Et certaines de ces sentences seraient certainement très profitables encore aujourd’hui pour de bons rapports entre les hommes, entre les nations… ! C’est toute une sagesse expérimentale des anciens qui est transmise !

Il faut retenir le titre de ce livre : “Proverbes de Salomon, fils de David, roi d’Israël !“

- “Proverbes de Salomon“ ! On ne prête qu’aux riches ! Et ce roi, Salomon, par ailleurs très discutable, passait pour avoir eu des dons littéraires, des dons de discernement, de gouvernement, et avoir été l’auteur de nombreuses sentences ! Soit !

- Mais l’écrivain ajoute - et c’est significatif - : “fils de David, roi s’Israël !“. C’est d’abord souligner une conception fort admise en Orient ancien : la Sagesse (l’art de “bien-vivre“) ne pouvait venir que du roi ! Et le “roi d’Israël“ n’était-il pas le “Seigneur“, en ce sens qu’il était, devait être l’oracle de Dieu lui-même : il parlait, devait parler au nom de Dieu !
Naturellement, il pouvait y avoir de mauvais rois (Cela arrive n’est-ce pas ? Disons de mauvais responsables, politiques ou autres… !). Cependant, en spécifiant “fils de David“ qui fut l’“Oint du Seigneur“ par excellence, l’auteur sacralisait un livre que son contenu risquait de confiner dans la sphère du profane. C’était une manière d’inviter l’auditeur ou le lecteur à reprendre ces sentences venues de divers âges et endroits comme venant surtout de la part de Dieu qui s’adresse à l’homme comme un père à son fils, comme un père aimant : “Mon fils, est-il dit, n’oublie pas mon enseignement“ (3.1), l’enseignement de Dieu, la Loi ! On retrouve là, déjà, les accents de l’enseignement de Jésus lui-même, nous présentant Dieu comme un Père aimant, comme “Notre Père“ !
N’est-ce pas ce qu’a voulu souligner St Benoît également en commençant la rédaction de sa Règle : “Ecoute, ô mon fils !“. Ecouter ! Ecouter filialement Dieu notre Père. “Ecoute mon fils… ; tend l’oreille de ton cœur“ !

Il est bon de relire ces sentences si actuelles : “Ne refuse pas un bienfait !“ – “Ne dis pas à ton prochain : « vas-t-en, tu reviendras demain… ! »“ – “Ne projette pas le mal contre ton prochain… !“ – “Ne te dispute pas sans motif… !“
Et puis : “Le Seigneur a horreur les hommes pervertis ; mais il ouvre son cœur aux hommes droits… !“.

C’est probablement dans ce contexte qu’il faudrait accueillir la sentence du Seigneur dans l’évangile, une sentence - car c’est bien une sentence ! -  qui, par sa concision, paraît abrupte : “Si quelqu’un possède, on lui donnera ; et si quelqu’un ne possède rien, on lui enlèvera même ce qu’il croit posséder !“.

Cette sentence est formulée dans les évangiles, avec quelques nuances, soit à propos de la parabole de la semence (c’est-à-dire à propos de l’enseignement de Jésus), soit à propos de la parabole des talents. Et, en cette occasion, Luc lui-même sera encore plus abrupte : “à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé !“. (19.26).

Cette formule exprime - comme un proverbe - le caractère provisoire de tout avoir temporel : il faut faire valoir son bien, sous peine de le perdre. “C’est en forgeant qu’on devient forgeron“, disons-nous. Faute de travailler, nous perdons tout. Et cela se vérifie autant dans le domaine des biens matériels,  artistiques, intellectuels… ou autres… !

En notre texte, il s’agit du bien spirituel qui nous est donné pour éclairer notre vie. Or une lampe doit être mise en évidence pour qu’elle éclaire tous ceux qui sont ou qui entrent dans la maison. Sinon elle est inutile !
C’est le même enseignement en Mathieu, à propos de la semence qui doit fructifier : celui qui a possède, dans la foi en Jésus, la connaissance du Royaume ; et il lui sera accordée une plus  complète encore : sinon - et Matthieu de citer Isaïe - :
certains “regardent sans regarder“ : ce sont des aveugles !
“ils entendent sans entendre et comprendre“ : ce sont des sourds !
“… alors, le cœur de ce peuple s’est endurci…“ : peut-être est-ce chez Mathieu une allusion à l’infidélité d’Israël ; n’ayant pas écouté le Messie, il lui a été enlevé même ce que ce peuple  avait ! Ce fut la ruine de Jérusalem !

St Marc (4.23) conclura : “Faites donc attention à ce que vous entendez“ : l’objet de l’écoute, chez Marc, c’est l’enseignement du Seigneur, sa parole qui exige obligatoirement attention !
St Luc portera la sentence davantage sur l’attitude de celui qui écoute : “faites donc attention à la manière dont vous écoutez“, sinon tout vous sera enlevé !

On pourrait conclure par d’autres sentences significatives et qui devaient se transmettre en l’Eglise primitive :
“Vous avez reçu gratuitement, donnez donc gratuitement“ (Mth 10.8), sinon tout sera repris !
“Dieu aime celui qui donne avec joie !“ (2 Co. 9.7) “comme le Christ s’est donné lui-même pour nous !“ (Tite 2.14).
“Jésus a donné sa vie pour nous, nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères“ (I Jn 3.16).

Autrement dit, avec Jésus, avec Dieu,
on ne s’enrichit qu’en donnant, qu’en se donnant !
Sinon, c’est la ruine !