dimanche 28 avril 2013

Aimer comme Jésus !


5e Dimanche de Pâques. 13/C


“Quand Judas fut sorti...”. On dirait que Jésus est libéré, que la présence de Judas le paralysait, l'empêchait de parler d'amour, du véritable amour… !

Oh ! Certes, tout le monde parle d'“amour fraternel” ! Mais c'est le mot le plus usé de notre langage ; il semble avoir perdu, parfois, toute signification… On lance facilement ce slogan : “Aimons-nous les uns les autres” ; mais quand il y a entre nous désaccords ou simplement divergences, quel déploiement, souvent, d'égoïsme, de paroles injustes, médisantes et même calomnieuses ! Nous sommes pourtant avertis par St Jacques : "Si quelqu'un se croit religieux sans tenir sa langue en bride, vaine est sa religion !" (Jc 1.26). Car, disait-il, "la langue est un feu ; elle est pleine de poison mortel !" (3.6-8).

Je dis cela parce qu'il faut bien remarquer en quelles circonstances Jésus parle d'amour ! Les circonstances ne sont pas celles d'un bel amour facile que l'on apprécie quand l'autre, les autres sont gentils, pensent comme moi, quand il n'y a pas de conflits ! Non !  La situation humaine du groupe des disciples est dramatique : l'un d'eux vient de “TRAHIR”. C'est, sans doute, le visage le plus hideux du non-amour : dénoncer un ami, vouer aux gémonies celui avec qui on a vécu et qui vous a fait bien des confidences amicales.

Et bien, en de telles circonstances, Jésus, loin de blâmer, de critiquer, de lancer sarcasmes et invectives de toutes sortes..., Jésus, lui, parle d'amour. Mais il prend bien soin de nous dire qu'il ne s'agit pas de n'importe quel amour. Son commandement est “nouveau”.

l) Nouveau ! Car l’amour dont parle Jésus est un amour qui va jusqu'à la mort.
Tout d'abord après le départ de Judas, Jésus parle de sa “Gloire” et de la “Gloire du Père” : “Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui”.
En hébreu, le mot "gloire" - "kabod" - signifie : "être lourd", "ce qui donne importance, magnificence". Ainsi la gloire de l'olivier, c'est son huile ! Et bien, la "Gloire de Dieu" qui "habite une lumière inaccessible", dit St Paul (Tm 6.16), sa transcendance, dirions-nous, rayonne :
- elle rayonne dans la création : "les perfections invisibles de Dieu sont visibles dans ses œuvres", dit St Paul (Rm 1.19). C'est sa gloire !
- La "Gloire de Dieu" rayonne surtout en Jésus, Dieu fait homme. Fils de Dieu, "il est le resplendissement de sa gloire, l'effigie de sa substance", dit la lettre aux Hébreux (Heb. 1.3). La gloire de Dieu-Père rayonne sur son Fils (Cf. 2 Co. 4.6). Il est "le Seigneur de gloire !" (I Tim 2.8).
- Et cette "Gloire" du Christ rayonne surtout en son mystère pascal, depuis les ténèbres du Jeudi et Vendredi Saints ! Pas seulement au jour lumineux de Pâques ! Dès le Jeudi-Saint, Jésus parle de sa gloire, faisant le don de sa vie par amour. Il donne sa vie humaine pour que tous les hommes aient la Vie divine, forment cette Eglise tant désirée, "toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée" (Eph. 5.25), pleine de sa gloire !

Nous avons toujours du mal à admettre que la “croix” est “la gloire” de Jésus..., que c'est la plus parfaite révélation de Dieu ! Pourtant quand Jésus parle de la croix, il parle toujours de son “élévation”. “Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi”.  Et l'“heure” de Jésus par excellence, c'est l'heure qui commence par le départ de Judas : “Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils Te glorifie” (Jean 17 1). Ainsi, Jean nous dit que le Vendredi-Saint est aussi "glorieux" que le Jour de Pâques, que c'est le "Crucifié" et pas seulement le “Ressuscité”, qui donne “Gloire au Père” ! - "Dieu est Amour", aimait à répéter St Jean. La "Gloire de Dieu" rayonne donc en son Fils qui "donne sa vie par amour" : “Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.” 
Dès lors, la croix n'est plus "abominable" car ce n'est pas abominable que d'aimer ! Mais il faut le savoir : aimer - la gloire de l'homme également -, peut mener jusqu'au sacrifice de soi : “Celui qui ne veut pas prendre sa croix, ne peut pas être mon disciple”

Non, décidément, l'amour n’est pas une rengaine facile. L'amour ne se résout pas dans l'effusion même légitime d'embrassements et de sourires faciles. Le commandement de Jésus est “nouveau” en ce sens que l'amour qu'il nous demande, c'est d'aimer son frère jusqu'à “se sacrifier soi-même” s'il le faut !
La GLOIRE de Jésus, c'est bien la CROIX.
Le SOMMET de l'amour, c'est bien le SACRIFICE.
Ce sont des choses qui ne se démontrent pas. Celui qui s'aime soi-même aura toujours du mal à comprendre - c'est souvent notre cas -... Mais, celui qui aime vraiment, comprend rapidement, se demandant toujours ce qu'il peut sacrifier par amour !

2) L’amour dont Jésus parle est un amour qui le rend présent au monde.
Certes, il n’est pas besoin d'être chrétien pour aimer. Heureusement ! Beaucoup d'hommes savent aimer et en bien parler. A preuve cette belle définition de l'amour d'un païen, Aristote (4ème s av. JC) : L'amour, disait-il, est
- un désir ! Il n'est donc pas de l'ordre de l'affectif, le siège désir étant la volonté. L'amour est donc une décision de la volonté avant tout, une élection, un choix par-delà les déficiences d'un chacun...
- un désir de bienveillance mutuelle ! En aimant, on ne recherche pas son propre bien, plaisir (et c'est souvent le cas !), mais le bien de l'être aimé, et réciproquement. Il ne s'agit pas tant d'inculquer des valeurs bonnes à nos yeux (et c'est souvent encore le cas !), mais de discerner en celui que l'on aime toutes les virtualités qui peuvent passer à l'acte pour le rendre heureux. Et croyez-moi : pour cela, il faut souvent exercer son intelligence !
- un désir de bienveillance mutuelle fondée sur la communication des personnes. Les échanges affectifs, intellectuels ou autres doivent résulter d'un art de communiquer (et ce n'est pas le cas souvent)

Le chrétien peut adhérer à une telle définition de l'amour. Mais ce qui doit être propre au chrétien, c'est la dimension théologale de l'amour. Pour faire court, disons que “Dieu est Amour” et que lorsque nous aimons vraiment, nous rendons Dieu présent au monde. C'est le sens de toute consécration religieuse ; c'est le sens du sacrement de mariage : Tout amour horizontal entre chrétiens doit être signe et réceptacle de l'amour vertical de Dieu pour l'homme ! C'est ainsi que l'on peut rendre présent l'amour de Dieu dans le monde qui en a tant besoin ! C'est, en tout cas, ce que Jésus dit, dans ce dernier adieu, à la veille de “partir”.

Le Lectionnaire officiel omet un verset au centre de la lecture de ce jour. Le texte intégral dit, en effet, ceci : “Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps. Vous me chercherez, et, comme Je l'ai dit aux juifs : "Là où je vais, vous ne pouvez pas venir." “
Jean est un théologien ; il ne raconte pas seulement des anecdotes sur Jésus. Il a des “thèmes”, des “insistances”, ainsi la “Gloire“, “l'heure de la Gloire”.  Ici, nous trouvons une autre idée théologique, le thème de “Chercher” Jésus. Nous avons en mémoire l'admirable réponse de Jésus à Marie-Madeleine, au matin de Pâques : “Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?”
Or, que lisons-nous, dans l'évangile d'aujourd'hui, sur cette “recherche” de Jésus ? “Où je vais, vous ne pouvez pas venir !” Étrange parole de Jésus ! Surtout quand on sait que, quelques lignes plus loin, Jésus va apparemment dire le contraire : “Père, je veux que là où je suis, ils soient avec moi.”  (Jn 17, 24.)

Quelle est donc la réponse à cette recherche du “lieu” de Jésus ? Il est intéressant de noter que les Juifs, par respect, ne prononcent pas le mot "Dieu - le tétragramme divin révélé à Moïse -. Ils le remplacent par d'autres mots comme "Adonaï" (Seigneur") ou "HaShem" (le Nom) ou bien encore par "Ha Makom" (le Lieu). Le "Lieu" par excellence, c'est Dieu. (1)
Et bien, le "'Lieu" de la présence de Jésus désormais, de Jésus-Dieu est précisément dans ce “commandement nouveau” qu'il donne, au moment de “partir”...  Ce "Lieu" est notre “amour mutuel”. - “Père, je t'en prie, fais que là où je suis, ils soient avec moi.".  Or, Jésus est dans le Père, en Dieu, dans l'Amour. “Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous.” (I Jn 4, 12.) Encore une fois, pour Jésus, l'amour n'est pas une rengaine humaine si belle soit-elle... l'amour est sa “nouvelle présence”. Il part. Mais il reste présent “quand deux ou trois sont réunis” dans la prière et dans l'amour...

3) Le véritable amour est un amour “comme” celui de Jésus.        
C'est cette petite “conjonction”, “comme”, qui est essentielle. L'amour “jusqu'au bout”, l'amour “théologal qui rend Dieu présent”, c'est un amour “comme”, “à cause de”  Jésus.
Le petit mot “comme” bouleverse toutes nos rengaines d'amour. C'est une vraie bombe cachée dans nos amours humaines trop faciles et factices. Aimer “comme” Jésus, c'est “laver les pieds de nos frères”,  c'est nous mettre à leurs pieds, à leur service...c'est “donner notre vie pour ceux que nous aimons”..  Le “comme” n'indique pas seulement une “comparaison”, mais une “conformité” profonde. Un amour qui ressemble à celui de Jésus. “C'est à cela, dit-il, que tous vous reconnaîtront pour mes disciples”. Quand Jésus s'en va, lui qui se disait “le chemin” vers ce Dieu que “nul n'a jamais vu”..., il veut se rendre présent désormais “en nos communautés d'amour fraternel”. Si vous vous aimez les uns les autres, vous serez “le Signe”, le "Lieu" de ma présence dans le monde jusqu'à la fin des temps.

Et si nous sommes appelés à aimer "comme Jésus", nous sommes alors destinés à participer à cette “gloire éternelle dans le Christ“ (I Pet 5.10), lorsqu’à la fin des temps, “le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges“ (Mc 8.38). La gloire du Christ ressuscité nous enserrera dans ces liens d’amour que s’échangent éternellement le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Là, nous serons connus et nous connaîtrons. Là, nous nous connaîtrons et nous nous reconnaîtrons dans la gloire de l’amour du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Tel sera notre partage à la fin, sans fin, quand le Christ apparaîtra nous donnant “la couronne de gloire qui ne se flétrit pas“ (I Pet 5.4).


(1) Jacob s'était exclamé après la vision d'une échelle reliant terre et ciel : "Dieu est dans le lieu ; et je ne le savais pas !" (Gen 28.16)

samedi 27 avril 2013

Voir Dieu au-delà du voile déchiré


Pâques 4 Samedi    -     (Jn 14.7-14)   

“Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi le Père. Dès maintenant, vous le connaissez et vous le voyez !"

VOIR Dieu ! C'est l'appel lancé à Abraham, notre Père dans la foi : "Va vers le pays de Moriah (la racine de ce mot est "raa" : voir), vers le pays de la vision !" pour voir celui qui nous voit sans cesse.
Telle est notre vocation également : répondre comme Abraham. Même au fond de l'absurde, alors que le couteau était déjà sur Isaac, malgré toutes les promesses de Dieu à propos de ce fils unique, Abraham fait l'expérience que Dieu le voit, qu'il est sous le regard de Dieu. C'est comme s'il voyait déjà Celui qui le voit ! "Je sais maintenant, lui est-il dit, que tu crains Dieu", - littéralement, et c'est beaucoup mieux : "je sais que tu frémis d'Elohim !" (Gen 22.12). Frémir de Dieu, n'est-ce pas déjà "voir Dieu" ?

A la suite d'Abraham, nous sommes tous en pèlerinage vers la montagne de Moriah, la montagne de la vision. Nous sommes comme les pèlerins du psaume 84ème qui arrivent enfin à Jérusalem : "Ils marchent de hauteur en hauteur (le mot hébreu peut se traduire : "de muraille en muraille" ou encore - et c'est mieux pour nous ! - "de vertu en vertu"). Et Dieu leur apparaît en Sion !".

C'est l'histoire de toute destinée de ceux qui prennent la route à la recherche de Dieu, pour "voir Dieu". La Sainte Vierge, dans son Magnificat, chante l'accomplissement des "promesses faites à Abraham et à sa descendance pour toujours". Aussi, avec son aide, nous nous mettons en route sans savoir trop où nous allons. Un jour viendra où nous serons, nous aussi, à notre mont "Moriah". Et nous ferons l'expérience - peut-être au fond de l'absurde, car on ne sait pas par où Dieu nous mène - que Dieu ne nous a pas quittés du regard ; nous serons au seuil de cette vision de Celui qui nous voit ; nous le verrons alors comme il nous voit ; nous serons divinisés, dit St Jean avec des mots de même assonance pour mieux le souligner : "nous lui serons semblables - esométha - puisque nous le verrons" - epsométha -. (I Jn 3.2).

Aussi, à la demande de Philippe : "Montre-nous le Père !", Jésus répond : "Qui me voit, voit le Père !". Qui le voit, voit le Père, puisque, comme dit St Paul : "Il est l'image de Dieu invisible !" (Col. 1.15). Et le Christ ressuscité que nous célébrons ces semaines-ci est capable, selon une expression un peu énigmatique du psaume 48ème, de nous mener "al mouth", par de-là, par delà tout, par de-là nos événements apparemment absurdes, par-delà la mort elle-même !

C'est ce qu'exprime, dans un autre contexte, le grand prophète de la foi : “Il a détruit sur cette montagne (Moriah !? - de la vision -) le voile qui voilait tous les peuples… ; il a fait disparaître la mort à jamais…  On dira, en ce jour-là : C'est notre Dieu, en lui nous espérions pour qu'il nous sauve… !" (25.7)

La notion du voile, dans le contexte est fort importante, intéressante. Qu’est-il donc ce voile ?

1. Le voile est signe qu’on ne peut, ici-bas, voir Dieu face à face, et même qu’on ne peut s’approcher de lui véritablement :
- Elie , dès qu'il l'entend le signes de la présence de Dieu - la brise légère -, se voila le visage… (I Rois19:12sv).
- Les hommes pécheurs, sont empêchés de voir véritablement et de comprendre : “car Dieu, leur dit Isaïe, a répandu sur vous un esprit de torpeur, il a fermé vos yeux, il a voilé vos têtes. Et toutes les visions sont devenues pour vous comme les mots d'un livre scellé…" (Is 29:10)
- L’arche de Dieu, dans le désert ou dans le temple à Jérusalem, signe de la présence de Dieu était recouvert d’un voile : "Ainsi, dit Dieu à Moïse, tu dresseras la Demeure… Tu feras un rideau de pourpre… ; et le rideau marquera pour vous la séparation entre le Saint et le Saint des Saints". (Ex 26:30). Et encore : "tu voileras l'arche avec le rideau“. (Ex 40.2).

- Seul Moïse, "en homme qui voit l'invisible", dit la lettre Hébreux (11.27), lors de l'Alliance au Sinaï, parlait à Dieu "face à face" (Ex 33.11) ; Donnant des ordres, il parlait "al pi Adonaï", "sur les lèvres de Dieu" ; il s’approchait de Dieu, lui parlait, recevant un reflet de la Divinité si bien que "les fils d'Israël, rapporte St Paul (2 Co 3.7-8) ne pouvaient fixer les yeux sur le visage de Moïse à cause de la gloire de son visage". Aussi, Moïse mettait un voile sur son visage…. (Cf. Ex 34.35).

C’est le Christ qui enlève tout voile, lui qui avait dit : “Détruisez ce Temple…". Aussi, au moment de sa mort, le voile du temple se déchire pour que tout homme puisse accéder à Dieu, le connaître véritablement et le voir un jour face à face : "Oui, dit encore St Paul, jusqu'à ce jour, toutes les fois qu'on lit l'Ancien Testament, un voile demeure... C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe. Car le Seigneur, c'est l'Esprit, et où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, allant de gloire en gloire, par le Seigneur, qui est Esprit". (2 Co. 3.8-18)

2. Le voile est donc signe de méconnaissance… et donc de mort. Il est encore signe de souffrance, de deuil.
- Fuyant Absalom, son fils, "David gravissait en pleurant le Mont des Oliviers, la tête voilée et les pieds nus ; et tout le peuple qui l'accompagnait avait la tête voilée et montait en pleurant". (2. Sam. 15.30). Et à la mort d'Absalon, il est dit : "Le roi s'était voilé le visage et poussait de grands cris : "Mon fils Absalom ! Absalom mon fils ! mon fils !"  (2. S 19.5)
- Et Ici, on peut citer encore le livre d'Esther (6.12) : grâce à l'intercession de la jeune fille auprès du roi de l'empire babylonien, le peuple juif est libéré de son persécuteur, Haman, qui "se précipita chez lui, la tête voilée", en signe de sa condamnation et de son exécution...
- Cf. encore Jr 14.3-4     -                             

Ainsi trouve-t-on, chez Isaïe déjà cité (25.8) le signe du voile liée à la mort : Il a détruit sur cette montagne le voile qui voilait tous les peuples… ; il a fait disparaître la mort à jamais…
Il y a dévoilement... !
Le mot “apocalypse” signifie précisément “dévoilement” ; et il est employé à propos des nations dans le cantique de Siméon : "Maintenant…, mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer (littralement "pour le dévoilement - eis apokalupsin") les nations et pour la gloire de ton peuple Israël." (Lc 2:29).

C’est la lettre aux Hébreux, surtout, qui donnera sens au déchirement du voile du temple lors de la mort du Christ en croix :
- "Nous avons pleine assurance d’accéder au sanctuaire (pour voir Dieu !) par le sang de Jésus. Nous avons là une voie nouvelle et vivante qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire par son humanité…" (Heb 10:19).
- Le Christ, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n'est pas faite de main d'homme, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle…. Le sang du Christ qui s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera notre conscience des œuvres mortes pour que nous rendions un culte au Dieu vivant". (Heb 9:11)
Une fois pour toutes ! A travers le voile de son humanité !

Aussi, avec l'aide de Marie, confions-nous au Christ qui nous dit sans cesse : Qui me voit - qui croit en moi - voit déjà le Père !

jeudi 25 avril 2013

St Marc - La vocation éternelle !


St Marc   - “Venez ! - Allez“  

Allez dans le monde entier !“, nous dit le Seigneur dans l’évangile !
Au début de sa vie publique, Jésus avait appelé ses disciples : "Venez, suivez-moi !" - Et ils l'avaient suivi.
A la fin de sa vie terrestre, il les envoie : "Allez dans le monde entier !". Et ils étaient partis !

"Venez !" - "Allez !" : c'est là le rythme de toute relation du chrétien avec le Christ :
- Dans un premier temps, le Christ appelle ! Et il appelle à tout âge…, et il appellera au dernier moment de notre vie ici-bas, celui de notre mort pour “aller“, pour entrer dans la Vie (“J’entre dans la Vie“, disait Thérèse de Lisieux en ses derniers instants de sa vie terrestre !).
Oui, “Venez à moi !“. C’est le mot de toute vocation auquel nous avons déjà tous répondu par le baptême, par la profession religieuse, réponse qu’il faut réactualiser à chaque instant. “Venez !“, ne cesse de dire Jésus à chacun, à chacune, en ce moment même ! Et cela jusqu’à l’ultime appel à “aller“ en Lui éternellement !  Qu’on le veuille ou non, toute notre vie est une vocation : "Venez !", ne cesse de crier Notre Seigneur.
- Mais en même temps que cet appel, le Christ envoie ; C'est la mission : "Allez !".

Et ces deux temps - “Venez-Allez !“ - sont inséparables ; ils sont corrélatifs. Le Christ nous dit toujours, aujourd’hui même et nous dira éternellement, et tout à la fois : "Venez !" - "Allez !".
+ Il n'y a pas d'appel sans envoi ! Tout chrétien a une mission là où il se trouve ! A tout âge et éternellement.
+ Et il n'y a pas d'envoi, sans appel. A tout âge et éternellement.

Et si nous ne ressentons pas en nous comme une exigence à “aller“, c’est peut-être que nous n’entendons pas l’appel du Christ : “Venez à moi !“.
Savons-nous répondre  à l'appel du Christ ?
Savons-nous répondre  à l'envoi du Christ ?

"Venez !", dit Jésus. Mais souvent, nous allons là où il n'est pas ! Deux phrases sont assez frappantes dans l’évangile après la résurrection de Jésus :
- "Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est vivant ?", disait l'ange au matin de Pâques !
- "Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ?", demandait l'ange au matin de l'Ascension !

Le Christ n'est ni dans les tombeaux, ni dans les nuages, si je puis dire !
+ Non, le Christ n'est pas dans les tombeaux ! Or, trop souvent, nous lui rendons un culte nostalgique, comme à un cher disparu. Nous croyons bien qu'il vit, certes ! Mais si loin de nous ! Si loin de nous…, comme encore caché dans l’obscurité d’une roche ! Si bien que certains chrétiens - d’après les mass-médias  - douteraient de la résurrection du Christ. Non ! Le Christ est bien vivant. Il faut savoir l’affirmer bien fort en ce temps pascal.
+ Et le Christ n'est pas davantage dans les nuages ! Or, notre pensée du Christ est souvent une évasion hors du réel, voire un refuge à notre mélancolie ou difficultés.

"Venez !", dit Jésus ! Alors, où donc le trouver ? "Où est-il ton Dieu ?", nous demande-t-on souvent. Où est notre Dieu pour venir à Lui et pour être envoyé par Lui alors même que l’âge ne nous permet plus les allées et venues de la jeunesse ou de l’âge mur ?

Il n’est pas dans un tombeau vide ; Il n’est pas dans les nuages !  il est au ciel ! 
Mais le ciel qu’a rejoint le Christ, c'est l'intimité avec le Père dans l'Esprit-Saint ; c'est l'univers de la charité que s'échangent les trois Personnes divines, cet univers de la charité que nous avons tous mission d’investir sans relâche, afin d’entraîner ceux et celles que nous côtoyons actuellement et que l’on désire placer dans cet univers de la charité, ceux et celles pour qui nous prions souvent, ceux et celles qui pensent à nous et que nous portons dans notre cœur. “Venez et allez !“ dans cet Univers, sommes-nous chargés de proclamer par toute notre vie, de la part du Seigneur. Car cet Univers est hors de l'espace, c’est-à-dire présent à tous les lieux ; il est hors du temps, c’est-à-dire présent pour tous les âges. Cet univers de la charité est présent à tous les espaces et à tous les temps.

Il m'est donc présent, cet Univers, aujourd'hui, quel que soit mon âge ! Le Ciel, c'est l'Amour triomphant de tout mal et qui, en moi, aura sa plénitude au-delà de la mort que le Christ a vaincu au matin de Pâques ! Laissons-nous donc fasciner par ce ciel-là, avec le Christ qui nous répète : "Venez dans cet univers de l’Amour, de la charité ; Allez dans cet Univers !". Venez-Allez !“ : ce sera d’ailleurs notre activité éternelle. Il faut s’y bien préparer !

Car Dieu est Un, certes ! Il est “Unique“. Et c’est vers ce Dieu “Vrai et Unique“ que nous nous dirigeons. 
Mais Dieu s’est fait homme en Jésus Christ pour nous révéler comment il est Un ! St Jean a bien résumé en affirmant : “Dieu est Amour“. Il y a en Dieu comme un mouvement incessant d’amour, de va-et viens, si je puis dire - “Venez-Allez !“ - entre le Père et le Fils dans l’Esprit-Saint. Et, éternellement, nous ne cesserons de “venir“ et d’“aller“ dans cet Amour que s’échangent les trois Personnes divines, dans cet Univers d’Amour divin qui veut rassembler tous les hommes, devenus dès ici-bas “fils de Dieu“, “enfants de Dieu“.  Et, dans l’amour de Dieu, par Lui, avec Lui et en Lui, nous ne cesserons de “venir“ et d’“aller“ vers nos frères pour former ensemble et éternellement le “Corps du Christ“, Fils de Dieu, pour la gloire de Dieu le Père dans l’unité du Saint-Esprit.

Le temps se contractera au point de ne plus pouvoir s’écouler tellement il sera accaparé, occupé, investi, envahi par cet immense mouvement d’amour entre les Personnes divines. Et ce mouvement d’amour divin en lequel nous serons insérés pour participer à la construction du Temple éternel qu’est le Corps du Christ nous fascinera au point que nul ennui ne sera possible, au point que l’espace et le temps disparaîtront. Quand on est aimé et que l’on aime, on ne s’ennuie jamais ! Telle sera notre mission. Eternellement. “Venez-Allez !“ dans cet univers de la Charité, nous sera-t-il dit éternellement.

mardi 23 avril 2013

L'Evangile aux païens


Pâques 4 Mardi            (Ac. 11, 19-26 Jn 10, 22-30)
   
       La liturgie d’aujourd’hui concentre notre attention sur la fondation de l’Eglise d’Antioche et Paul de Tarse. Hier, on a entendu le récit de ce qu’on a appelé la “Pentecôte des païens“ : l’arrivée de Pierre à Césarée Maritime, sa prédication dans la maison du centurion Corneille et cette descente soudaine de l’Esprit Saint sur ceux qui écoutaient sa parole : « Pierre parlait encore quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la parole.  Et tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été répandu aussi sur les païens… Alors Pierre déclara : "Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous ?"  Et il ordonna de les baptiser au nom de Jésus Christ.» (Ac 10,44-48).

De retour à Jérusalem, Pierre doit justifier sa conduite : « "Or, à peine avais-je commencé à parler que l'Esprit Saint tomba sur eux, tout comme sur nous au début… Si donc Dieu leur a accordé le même don qu'à nous, pour avoir cru au Seigneur Jésus, qui étais-je, moi, pour faire obstacle à Dieu".  Ces paroles les apaisèrent, et ils glorifièrent Dieu en disant : "Ainsi donc aux païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie !" ». (Ac 11,15-18)

L’Eglise ne sort pas encore du cadre du judaïsme, mais d’une conception que l’on se faisait, à l’époque, de l’élection du peuple élu. Il n’y a pas de rupture dans la continuité du peuple de Dieu, mais élargissement, épanouissement de l’élection. A Jérusalem, lors de la Pentecôte, il n’y avait que des juifs, des prosélytes et des “craignants Dieu“. Maintenant, à Césarée, l’Esprit Saint tombe sur les païens.
L’étape est importante. St Luc veut montrer que Pierre a joué le rôle principal dans le franchissement de cette étape, avant de concentrer l’attention sur celui qui sera l’“Apôtre des gentils“ et qui saisira encore, à l’occasion, le besoin de renforcer Pierre dans son rôle de "Premier Apôtre" et pour les Juifs et pour les païens. Pierre, peut-être dépassé par cette "Pentecôte des païens" à Césarée, ne saisissait pas toujours l'importance de l'événement qu'il avait vécu : « Mais quand Céphas vint à Antioche, je lui résistai en face, parce qu'il s'était donné tort. En effet, avant l'arrivée de certaines gens de l'entourage de Jacques, il prenait ses repas avec les païens ; mais quand ces gens arrivèrent, on le vit se dérober et se tenir à l'écart, par peur des circoncis. Et les autres Juifs l'imitèrent dans sa dissimulation, au point d'entraîner Barnabé lui-même à dissimuler avec eux. Mais je dis à Céphas devant tout le monde : "Si toi qui es Juif, tu vis comme les païens, et non à la juive, comment peux-tu contraindre les païens à judaïser ?" »  (Ga 2,11-14).

C’est à Antioche où nous mène la lecture d’aujourd’hui, qu’apparaît pour la première fois le nom de “chrétiens“. Comme pour constater qu’une nette distinction s’est opérée entre judaïsme et christianisme.

La fondation de l’Eglise d’Antioche est dans l’élan de cette prédication d’Etienne qui avait amené les croyants à quitter Jérusalem où ils étaient persécutés.

C’est ce que montre le début du texte d’aujourd’hui. Là encore, à Antioche, on n’a pas encore compris les conséquences de la "Pentecôte des gentils". L’initiative prise par ceux qui annoncent l’Evangile aux Grecs apparaît suspecte. C’est alors qu’intervient une deuxième fois Barnabé.
On se rappelle qu’une dizaine d’années auparavant il avait réussi à vaincre la méfiance de la communauté chrétienne de Jérusalem à l’égard de Paul : « Arrivé à Jérusalem, il essayait de se joindre aux disciples, mais tous en avaient peur, ne croyant pas qu'il fût vraiment disciple. Alors Barnabé le prit avec lui, l'amena aux apôtres et leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur, qui lui avait parlé, et avec quelle assurance il avait prêché à Damas au nom de Jésus. Dès lors il allait et venait avec eux dans Jérusalem, prêchant avec assurance au nom du Seigneur. Il s'adressait aussi aux Hellénistes (c'est-à-dire aus Juifs parlant grec) et discutait avec eux ; mais ceux-ci machinaient sa perte. L'ayant su, les frères le ramenèrent à Césarée, d'où ils le firent partir pour Tarse. » (Ac 9,26-30).

Maintenant, une deuxième fois, Barnabé intervient. Le temps est passé où par crainte de la persécution que risquait de déclencher le zèle de Paul, on le mettait à l’écart pour s’en débarrasser en l’embarquant à Césarée pour qu’il regagne son pays natal de Tarse. On juge maintenant que c’est lui qui est le plus apte à mener à bien les opérations et à faire franchir définitivement au peuple élu toutes les inhibitions qui l’empêchaient de partager les privilèges de l’élection avec l’ensemble de l’humanité.

Il me semble qu’il est très important de voir comment se réalisent les voies de Dieu et comment il réalise son dessein dans l’histoire en respectant cette liberté qu’il a lui-même donnée aux hommes et dont, souvent, il apparaît plus soucieux qu’eux-mêmes de la sauvegarder. Aussi, dans l'exercice de cette liberté que Dieu nous donne et qu'il respecte tant, il nous faut, en Eglise, suivre toujours le conseil de St Paul : "Soyez bien d'accord entre vous : n'ayez pas le goût des grandeurs, mais laissez-vous attirer par ce qui est humble". Et il ajoute, avec humour et malice peut-être, cette injonction du livre des proverbes (3.7) : "Ne vous prenez pas pour des sages !" (Rm 12.16). Voyons, pour un chrétien, c'est vraiment indélicat s'il a le souci de regarder le Christ en croix ! Et pourtant c'est si fréquent - se prendre pour un sage ! -, chacun croyant tellement posséder la vérité et toute la vérité ! A propos de ce verset de la lettre de St Paul aux Romains, St Thomas d'Aquin a ce commentaire un peu malicieux : "Celui qui veut avoir toujours raison se met dans son tort ; il fait de LA vérité SA vérité, et il s'interpose entre LA vérité et son interlocuteur. Il y a une façon de tenir à la vérité qui est simplement une façon de tenir à soi !". N'est-ce pas ?

Pour retrouver les principaux textes, voir Blog : http://mgsol.blogspot.com/

dimanche 21 avril 2013

Le Pasteur


4e Dimanche de Pâques. 13/C (Jn 19.27-28)

« Mes brebis écoutent ma voix! »

Comment reconnaître la voix du Seigneur si nous voulons qu'un jour, avec le Christ, il n'y ait plus qu'un seul troupeau, qu'un seul Pasteur ? Or, d'après les évangiles, Jésus nous indique deux manières d'écouter sa voix : 
1. Extérieurement et visiblement par l'Eglise : “Qui vous écoute, m'écoute" (Lc 10.16). C'est l'une des leçons de la lecture qui parle de ceux qui rejettent la parole des apôtres, de l'Eglise naissante. 
2. Intérieurement et invisiblement dans la conscience de chaque homme : "Celui qui est de la vérité écoute ma voix !" (Jn 18.37). 

Plus nous écoutons le Christ qui parle en son Eglise et en nous-mêmes, plus nous marchons vers cette unité de l'humanité voulue par Dieu autour de son Fils, en son Fils, le seul qui ait pu dire en totalité : "Je suis la Vérité»" (Jn 6. 14). Nous autres, nous ne sommes pas "la" Vérité, mais seulement des témoins de la Vérité. 

I. D'abord, Jésus a voulu bâtir une Communauté visible fondée sur les Apôtres. L'Eglise, on ne l'invente pas ; elle ne vient pas des hommes ; on la reçoit ! Et on la reçoit du Christ qui s'est identifié à ceux qu'il a envoyés : "Qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise" (Lc 10.16). 

Je ne sais pas si nous nous rendons compte de la force et de l'actualité de cette parole. Elle affirme que nous ne pouvons pas être pleinement avec Dieu si nous ne vivons pas en communion d'amour et de pensée avec le Pape, avec les évêques, avec l'Eglise. C'est eux et pas d'autres qui ont été choisis et envoyés comme "bergers" et chefs de la Communauté réunie au nom du Christ. 
Sans doute nous est-il parfois difficile de reconnaître aujourd'hui la voix de Dieu à travers ses représentants visibles, comme il était difficile pour les compatriotes de Jésus de reconnaître dans le charpentier de Nazareth le Fils de Dieu en personne. 
On voudrait tellement se passer de médiateurs, et entrer en contact avec Dieu directement ! "Oui, Dieu, j'y crois, entend-on parfois, mais l'Eglise...?". Cette volonté de vouloir atteindre Dieu tout seul, sans passer par les autres, ne serait-elle pas une manifestation d'un orgueil profond, et une méconnaissance totale du mystère de l'Incarnation, d'un Dieu invisible qui s'est fait homme visible, mystère qui se continue dans l'Eglise visible ? 

Or l'Esprit de Dieu souffle à travers ce canal privilégié qu'est l'Eglise. Si le Christ parle aux hommes, c'est d'abord à travers les témoins de la Résurrection, ceux qui hier étaient réunis autour des Douze, tout imparfaits qu'ils étaient, ceux qui, aujourd'hui, proclament leur foi dans le Ressuscité, tout imparfaits qu'ils sont. 

Bien sûr, être témoin du Ressuscité, c'est vivre de son Amour : "C'est à ce signe que l'on vous reconnaîtra pour mes disciples !" (Jn 13.35). Or, inutile de le cacher, certains hommes d'Eglise, à travers les siècles, n'ont pas toujours témoigné et ne témoignent pas de cette bonté, de cette volonté d'amour ! Cependant nous devons reconnaître en eux une présence de Jésus-Christ : "Quand c'est Pierre qui baptise, écrivait St Augustin, c'est le Christ qui baptise". Et il osait ajouter : "Quand c'est Judas qui baptise, c'est encore le Christ qui baptise". Mais à cause de cela, que de drames ! "Le plus difficile, écrivait naguère le P. Cléris­sac (dans son beau livre "Le Mystère de l'Eglise"), ce n'est pas de souffrir POUR l'Eglise, mais de souffrir PAR l'Eglise"
Pourtant, ce n'est pas celui qui veut avoir raison jusqu'au bout qui est dans le vrai, mais celui qui aime jusqu'au bout, à l'exemple du Christ qui s'est livré pour son Eglise. - Oui, nous n'avons pas encore aimé l'Eglise jusqu'au bout, à l'exemple du Christ qui a donné sa vie pour elle. Même si l'Eglise est composée d'hommes imparfaits, ayons assez d'amour pour dire : "Seigneur, je t'offre ma vie pour l'Eglise". - "Le bon Berger offre sa vie pour ses brebis". 

II. Cependant remarquons bien que Jésus ajoute : "J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ; celles-là aussi il faut que je les mène". Il s'agit là de tout homme de "bonne volonté" qui est en chemin vers plus de vérité, plus de justice, plus de fraternité. Il ne sait pas que Jésus est l'unique Voie, l'unique Vérité, l'unique Vie 
Mais nous pouvons être assurés que grâce à la rencontre de chrétiens, grâce à la découverte de l'Evangile, ces hommes de "bonne volonté" se retrouveront au soir de leur vie, comme les disciples d'Emmaüs, assis à l'auberge auprès du Seigneur. Eux aussi, ils s'exclameront émerveillés : "Le Ressuscité était là au cœur de nos vies et nous ne le savions pas !" - "Quiconque est de la vérité, disait Jésus, écoute ma voix !". 

Il existe donc une Eglise souterraine, cachée, invisible, une authentique communion des saints qui ne recouvre pas forcément les membres de l'Eglise officielle. Et c'est cette tension entre, si l'on peut dire, l'Eglise dans l'Humanité et l'Humanité dans l'Eglise qu'il faut réduire progressivement, pour qu'enfin visiblement et invisiblement tous soient un "comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi“, priait Jésus. 

Quelle immense route nous reste encore à parcourir, surtout si nous nous rappelons cette dure réflexion de St Augustin qui est toujours d'actualité : "L'Eglise a des enfants parmi ses ennemis et des ennemis parmi ses enfants". 

Aussi cherche-t-on toujours des "rassembleurs". Pour être rassembleur, pasteur à l'exemple du "bon pasteur", il y a deux écueils, au moins, à éviter : 
1. Celui de rêver d'une unité basée uniquement sur l'extérieur. Ce serait le règne de l'uniforme et du triomphalisme. Et il faudrait alors inévitablement employer plus ou moins la violence pour faire entrer les gens dans cette Eglise en croisade. L'ordre ferait la loi, mais ce ne serait plus l'ordre de l'amour. 
2. Le second écueil consisterait à balayer toutes les institutions, à détruire tout signe visible, à oublier ainsi que l'humanité du Seigneur a besoin de signes sacrés pour que l'Eglise continue l'incarnation de son Sauveur. Soyons persuadés que ces "purs", ces "parfaits" qui cherchent la disparition de tout repère visible dans l'Eglise finiront, par un phénomène logique de balancement, par la noyer tout entière dans le monde. Et alors, chacun identifiera l'Eglise à sa propre idéologie. 

La vraie solution c'est pour tous l'écoute attentive de la voix de Dieu, celle de son Fils Jésus-Christ, à l'extérieur dans l'Eglise visible et en même temps à l'intérieur dans chacune de nos consciences. Et alors nous deviendrons d'humbles serviteurs de la vérité, de cette vérité qui s'identifie avec l'amour, parce que Dieu qui est Vérité est aussi Amour. 
- A nous, les baptisés, d'être accueillants à toutes les vérités des hommes, et d'y reconnaître une certaine présence de Jésus-Christ et donc de son Eglise. 
- A nous surtout de "faire" la vérité, comme dit St Jean, avant de la proclamer, car tout homme qui "fait" la vérité vient à la lumière. Et puisque la vérité c'est d'aimer, à nous de rapprocher de Dieu par notre amour tous les hommes qui s'approcheront de nous. C'est au cœur des rencontres quotidiennes que se bâtit l'unité de l'Eglise et de l'humanité. 
- A nous surtout de faire régner au milieu des chrétiens rassemblés l'absolu de l'amour par-delà nos divergences, parfois légitimes, mais qui ne sont que relatives. "Père, que tous soient un, comme toi et moi nous sommes un, afin que le monde croie que c'est toi qui m'as envoyé". 

Alors avec St Jean, nous voyons déjà une immense foule d'hommes, de femmes... Ils se tiennent devant le trône de Dieu. Ils n'ont plus faim ni soif, car l'Agneau qui est au milieu du trône est leur Pasteur ; il les conduit vers des sources d'eaux vives. Et Dieu lui même essuie toute larme de leurs yeux !

vendredi 19 avril 2013

Eucharistie et Présence !


3e semaine de Pâques Vendredi     (Jn 6.52)


Avec l'évangile d'aujourd'hui, nous sommes à la fin de ce que l'on a appelé : "le discours sur le Pain de vie" qui suit le récit de la multiplication des pains, Cette multiplication est à mettre en parallèle avec l'institution de l'Eucharistie, le Jeudi Saint, que Jean ne rapporte pas. Car cette multiplication des pains est le "Signe" par excellence en lequel Jésus se met tout entier comme dans l'Eucharistie en un geste à la fois royal et sacerdotal :
- il prend le pain ("tout est à vous", dira St Paul ; vous êtes rois de la Création)
- il rend grâce ; il fait hommage à Dieu de ce que Dieu donne. Faire "eucharistie" de tout ce que l'on possède, en faire "action de grâce" - geste sacerdotal - doit être au cœur de toute vie chrétienne. C'est simplement savoir dire "Merci" à Dieu !
- et Jésus partage, donne le pain... Il s'agit non d'amasser égoïstement (tentation des Hébreux dans le désert à propos de la manne, tentation toujours actuelle)..., mais de partager, car Dieu n'est que Don de lui-même...

Cette multiplication des pains, on en trouve déjà trace, bien sûr, dans l'Ancien Testament, dans la geste d'Elisée (cf. 2 Rois 4.42-44) et surtout à propos de la manne, ce pain imploré par Moïse et donné par Dieu dans le désert. Jésus en fait lui-même allusion pour signifier que par ce geste de la multiplication des pains, il se révèle le vrai Moïse que Moïse lui-même avait annoncé de la part de Dieu (Cf. Dt 18.18 : "Je susciterai un prophète semblable à toi !").

On peut noter encore que dans Matthieu et Marc, il y a deux récits de multiplications des pains, issus probablement de deux traditions, l'un d'un milieu juif et l'autre d'un milieu païen ; mais les deux récits qui se reflètent pour souligner l'importance du geste de Jésus, à la fois royal et sacerdotal : il prit le pain ; il rendit grâce et le partagea.

Après ce récit, il y a donc le discours sur "le Pain de vie". Jésus veut donner la signification du "Signe" posé : "Je suis le Pain de vie ! Celui qui vient à moi n'aura plus jamais faim", ajoutant : "celui qui croit en moi n'aura plus jamais soif !", allusion évidente à ce que Jésus avait dit à la Samaritaine : "celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif ; l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle" (Jn 4.14).

Après le discours, Jésus se sent incompris, même de ses apôtres : "Ne comprenez-vous donc pas ?" (Mc 8.17). C'est que nous, nous pensons trop dans la dimension uniquement horizontale. La pensée de Jésus évolue toujours dans la dimension verticale de signification. Le signifié est pour lui plus important que le signifiant et beaucoup plus réel : le vent, c'est l'Esprit ; les noces, c'est l'Alliance avec Dieu ; l'eau c'est l'eau pure de vie éternelle ("lave-moi tout entier de mon mal", demandait David après sa faute, et j'aurai un cœur pur ; je pourrai alors avoir "la joie de ton salut". Les apôtres raisonnent au plan horizontal ! L'eau, à quoi ça sert ? L'eau c'est H2O : un liquide qui lave et désaltère... Jésus, lui, pense toujours dans la dimension de signification.
Ainsi, d'après Marc, Jésus, incompris et vivement attaqué par les pharisiens, s'éloigne en barque, avec ses apôtres. Il leur dit : "Méfiez-vous du levain des pharisiens !". Et ceux-ci pensant sans doute au bon pain de la multiplication, s'aperçoivent qu'ils n'ont même pas réservé du pain pour le pique-nique, si je puis dire. Un peu agacé, Jésus leur explique : le levain  des pharisiens, c'est une doctrine qui bouche l'intelligence... A un autre moment, Jésus parlera très cruellement de ceux qui ont pris la clef de la science, qui empêchent les autres d'entrer et qui ne sont pas entrés eux-mêmes ! C'est terrible cela !

Mais ne nous moquons pas ! Souvent, nous aussi, nous avons une intelligence au ras des pâquerettes. Alors, lisons et relisons ce discours du "Pain de vie". Ne nous étonnons pas trop des répétitions que fait Jésus. Souvent, il dit, redit : "Je suis le Pain de vie" en ajoutant une nuance pour que notre cœur parvienne à la vérité. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, il toute une pédagogie divine de la répétition. Il ne faut pas en faire l'économie à l'exemple de Marie qui méditait, ressassait en son cœur les événements. St Luc note le fait par deux fois (2.19 ; 2.51). Ce n'est donc pas insignifiant ! Jésus répète aujourd'hui en notre cœur : "Je suis le Pain de vie".

Dans St Marc encore, après la multiplication, Jésus guérit un aveugle ! Ce n'est pas relation anodine : un aveugle qui voit clair, qui devient disciple, qui suit Jésus. La signification est évidente : que notre intelligence souvent aveugle accède à la compréhension du dessein de Dieu, à la folie de Dieu qui est plus sage que la sagesse des hommes. On a tous besoin de ce miracle pour mieux comprendre cette parole de Jésus : "Je suis le Pain de vie !"

Et pour conclure je vous dirai : moi qui suis allé maints fois en Terre Sainte (et je vous le conseille si vous le pouvez), je vous dirai cependant que l'important, ce n'est pas tant le pèlerinage ; l'important, c'est de comprendre que les sacrements de la Nouvelle Alliance - comme celui de l'Eucharistie que nous allons célébrer et que rappelle le discours du "Pain de vie" - véhiculent à travers le temps et l'espace la réalité même de ce qu'ils signifient. Quand on célèbre l'Eucharistie en France, au Japon ou en un autre endroit du globe, nous touchons la présence de Dieu : "Celui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui !" (Jn 6.56). Ce qui s'est passé "une fois pour toutes" (Heb 7.27 ; 9.12 ; 10.10) à Jérusalem où l'on peut se rendre en pèlerinage, lorsque le voile du temple s'est déchiré (cf Mth 27.51)..., ce qui s'est passé là est rendu présent, de présence réelle, à travers le temps et l'espace...

Remarquons que chez St Jean, à la suite du discours du "Pain de Vie", il y a comme une seconde "confession de foi" de la part de St Pierre. Trop étonnés par les paroles de Jésus, "beaucoup de ses disciples se retirèren... Jésus dit alors aux Douze : "Voulez-vous partir, vous aussi ?". Pierre lui répondit : "Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu."

Retenons encore de la lecture que Paul de Tarses (l'ancien persécuteur) a véritablement rencontré la personne du Christ ressuscité. C’est de la réalité de cette rencontre qu’il tirera l’assurance et la force de sa foi pour aller proclamer la présence toujours actuelle du Christ ressuscité... Et cette présence nous est toujours signifiée et donnée par le sacrement de l'Eucharistie : "Je suis le Pain de Vie"... de vie divine ! Aussi, proclamons, nous aussi notre foi, là où nous vivons !

mercredi 17 avril 2013

Le "Pain de Dieu" !


Pâques 3 Mercredi  - Le "Pain de Dieu"  (Jn 6.35-40)

"Donne-nous notre pain de ce jour !"

Un simple petit mot pour compléter celui d'hier !

Donne-nous, Seigneur, devons-nous demander en conclusion, donne-nous à la fois et le pain de la terre et le pain du ciel. Jouir du pain que Dieu donne dans un élan à la fois royal et sacerdotal car vous êtes tous, nous dit Dieu au matin de la création,
- "rois de du monde", intendants des biens de ce monde que vous devez partager entre vous dans la justice et l'amour de vos frères...
- "prêtres de la création" : faire sans cesse "eucharistie", rendre hommage à Dieu de tous les biens de ce monde, de tous les biens qu'il nous donne sans cesse, tout au long de notre vie : biens matériels, intellectuels, spirituels... Nous ne devons pas amasser tous ces biens pour nous, de façon très égoïste, mais les utiliser pour les partager dans l'action de grâce.

Jésus est notre exemple : il prit le pain, rendit grâce et le partagea...
Prendre..., rendre grâce..., partager... !

Il nous répète encore aujourd'hui comme hier : "Je suis le pain de la vie".
Il est le "Pain" que le Père nous donne.
Et Jésus, Pain de Dieu", s'est livré, s'est "partagé", si je puis dire, pour que nous ayons la Vie, la Vie divine, la Vie éternelle : "La volonté de mon Père, c'est que tout homme qui voit le Fils et croit en lui - qui reçoit ce Pain de Vie - obtienne la vie éternelle ; et moi je le ressusciterai au dernier jour".

Il y a, dans la Bible, une excellente parabole pédagogique qui nous est encore adressée de la part de Dieu :
- Lorsque les Hébreux étaient en Egypte, ils étaient dans un pays ou l'eau venait uniquement d'en-bas, de la terre, elle venait du Nil. Alors les hommes étaient rivés à la terre, uniquement penchés vers la terre afin d'en tirer le plus de profit possible au bénéfice de ceux qui voulaient amasser et encore amasser... Ils étaient esclaves de la terre...
- Lorsque Dieu les fait sortir d'Egypte, il les conduit au désert - le désert est toujours un lieu d'éducation, de pédagogie -. Et là, en effet, en ce lieu où l'eau ne peut venir que du ciel, non d'en-bas mais d'en-haut, ils apprennent à relever la tête, à regarder vers le ciel, à regarder vers Dieu qui peut envoyer l'eau bienfaitrice... pour tous !
- Et lorsque le peuple de Dieu entre en "terre promise", il est demandé à tous, en quelque sorte : êtes-vous capables, désormais, de ne plus vous précipiter vers les biens de ce monde égoïstement, êtes-vous capables du bon usage de la création - des biens matériels, intellectuels, spirituels, peu importe -  êtes-vous capables du bon usage de la création dans l'action de grâce et le partage.

C'est pour nous encore un test, le test de notre vie chrétienne, nous qui souvent voulons "aller vers le Christ" pour ne plus avoir faim, qui recevons le "Pain de vie"... Recevoir ce "Pain de vie" afin de restaurer sans cesse en nous notre condition à la fois royale et sacerdotale.

Puissions-nous avoir sans cette à la bouche cette belle prière du livre des Proverbes (30.7) : "J'implore de toi deux choses, ne les refuse pas avant que je meure : éloigne de moi fausseté et paroles mensongères, ne me donne ni pauvreté ni richesse, laisse-moi goûter ma part de pain, de crainte que, comblé, je ne me détourne et ne dise : "Qui est Dieu?" - Ou encore, qu'indigent, je ne vole et ne profane le nom de mon Dieu".

"Donne-nous notre pain de ce jour !" Donne-moi ce pain, Seigneur, à moi que tu as fait "roi et prêtre de ta création" !

Aussi, n'oublions jamais cette parole de St Paul : "Tout est à vous ; mais vous, vous êtes au Christ ; et le Christ est à Dieu" (I Co. 3.22).
Et Dieu Père nous partage le "Pain de vie". Il nous donne son Fils...
"Je suis le Pain de vie", nous dit Jésus.
Le Pain de Dieu, c'est Celui qui descend du ciel, que Dieu-Père nous partage pour la Vie éternelle !

mardi 16 avril 2013

Eucharistie et partage


3e semaine de Pâques, Mardi   -  (Jn 6.30-36)

En lisant, en relisant le chapitre 6ème de l'évangile de Jean, on a l'impression parfois que Jésus prend plaisir à se répéter, d'une manière ou d'une autre, pour nous faire bien comprendre le signe - le signe par excellence, selon St Jean - qu'il vient de poser : la multiplication des pains.
Il nous dit aujourd'hui : "Je suis le pain de vie", comme il dira : "Prenez et mangez, ceci est mon Corps !". St Jean qui ne transmet pas l'institution de l'Eucharistie au soir du Jeudi Saint, en donne toute la signification en ce signe que Jésus pose : "Je suis le pain de vie" ; il ne cesse de nous répéter la signification de ce signe pour mieux l'enseigner à l'intelligence de notre cœur. Dans la tradition juive, on appelle l'enseignement : la "mishna", mot qui vient de "sheni" qui veut dire "deux" ! Autrement dit "bis repetita placet". L'enseignement est à base de répétitions ; et dans la Bible, il y a toute une pédagogie divine de la répétition. Il ne faut pas en faire l'économie.

Aussi, aujourd'hui, laissons couler en notre cœur les paroles de Jésus ; sachons les répéter pour qu'il nous en donne une parfaite compréhension : "Je suis le pain de vie" !

Jésus disait à la Samaritaine : "J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas, c'est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé". Or, la volonté du Père, nous est-il dit aujourd'hui, c'est de "donner le pain venu du ciel", non un pain semblable à celui qu'il avait déjà donné au temps de Moïse - celui-là n'était qu'un présage -. Le vrai Pain que le Père donne, "le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde !".
Aussi, Jésus nous dit, nous redit en ce moment : "Celui qui vient à moi, celui qui croit en moi n'aura plus jamais faim !". Déjà, au début de son ministère, n'avait-il pas répondu à l'éternel tentateur : "L'homme ne vit pas seulement de pain (matériel), mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu" (Mth 4.4). Et "le Verbe - la Parole de Dieu - s'est fait chair !". Pour devenir "Pain de vie" !

Aussi, en ce signe par excellence selon St Jean - la multiplication des pains -, Jésus se met tout entier, il nous en laisse le mémorial : "Faites ceci en mémoire de moi !". Il prend du pain ; il rend grâce ; il le distribue, nous apprenant du même coup à formuler la prière qui soit vraiment parfaite : "Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour !".

Et c'est au nom de toute l'humanité que nous devons faire cette prière, une prière à la fois horizontale et verticale afin de recevoir et le pain de la terre et le pain du ciel. Et non l'un sans l'autre. Condition "sine qua non" !

Or, reconnaissons-le : actuellement, la moitié du monde est malade de trop manger, et l'autre moitié est malade de n'avoir pas assez à manger.
Du pain que Dieu avait donné au temps de Moïse, certains en ramassaient beaucoup pour en faire des réserves - tentation toujours actuelle ! -. Mais Dieu faisait en sorte finalement que "celui qui en avait beaucoup recueilli n'en avait pas trop, et celui qui avait peu recueilli en avait assez" (Ex 16.19). Un idéal qu'en accueillant le "pain de vie", nous devons réaliser, selon cette parole de St Paul : "Il ne s'agit point, pour soulager les autres, de vous réduire à la gêne ; ce qu'il faut, c'est l'égalité. En cette occasion, ce que vous avez en trop compensera ce qu'ils ont en moins, pour qu'un jour ce qu'ils auront en trop compense ce que vous aurez en moins.. Ainsi se fera l'égalité, selon qu'il est écrit : Celui qui avait beaucoup recueilli n'eut rien de trop, et celui qui avait peu recueilli ne manqua de rien" (2 CO. 8.13). Et sachons que tous, même dans une gêne quelconque, matérielle ou morale..., nous avons quelque chose en trop. Car à chacun, sans exception, Dieu fait don d'une certaine richesse !

Mais, il y a toujours la tentation de faire des réserves, surtout en temps de crise, n'est-ce pas. Pourtant Jésus ne disait-il pas : "Ne faites pas de trésor ici-bas... Là où est ton trésor, là est ton cœur !" (Mth 6.21). C'est grave cela ! La tentation de tout accaparer ou de tout dominer - c'est la même chose - !

De cette tentation il y a un symbole très important dans la Bible : Dieu a créé l'homme pour qu'il soit "à son image et ressemblance". Mais l'homme s'est détourné de ce projet. Il amasse, il veut toujours amasser pour "faire des briques" et ainsi construire une tour - la tour de Babel - pour accaparer en quelque sorte le ciel lui-même par ses propres forces ! L'homme était créé pour les épanouissements d'une fécondité divine ; et voilà qu'il tombe - il tombe toujours - dans les esclavages de la production : "faire des briques", amasser et amasser encore...!
Alors, au lieu de remonter vers son Créateur dans un élan de convergence eucharistique où il peut retrouver toute son harmonie, le monde, de par la faute de l'homme qui peut être le roi de la création, certes, mais qui oublie d'en être le prêtre, qui oublie d'en faire l'hommage à Dieu..., le monde retombe dans le chaos, dans la multiplicité du chaos qui brouille tous les langages ! Les hommes ne peuvent plus se comprendre !

Jésus, lui, prit du pain, rendit grâce et le partagea : faire un bon usage de la création dans l'action de grâce et le partage. C'est ainsi que la condition humaine peut s'exprimer indissociablement royale et sacerdotale : prendre possession du monde et l'élever vers Dieu. Alors, le pain du monde, que Dieu donne, il y en a pour tout le monde : l'harmonie, la paix se rétablissent.

Mais, à cause du péché de l'homme, comme c'est difficile. Aussi, Jésus est venu, envoyé par le Père, pour se faire "Pain de vie". Communiant à ce "Pain de vie", tout redevient possible, et d'abord l'unité des hommes : "Qu'ils soient un, Père, priait Jésus le soir du Jeudi Saint, comme nous sommes un !".

"Par Lui, en Lui, avec Lui dans l'Esprit Saint, tout honneur et toute gloire au Père !". C'est l'action de grâce par excellence - Eucharistie - qui permet que les hommes, tous unis parce que tous redevenus "à l'image et ressemblance" de leur Père du ciel, puissent entendre en toute vérité cette parole du Ressuscité : "Je monte vers mon Père et votre Père !". - "Notre Père..., donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour !".

Voilà la véritable Eucharistie, l'Action de grâce par excellence !
Rendre grâce ! "Yehudim" (sens du mot "Juda", 4ème fils de Jacob avec Léa). Pour un Juif, user des biens de ce monde sans commencer par rendre grâce, c'est un vol. Et la réforme liturgique du Concile Vatican II a repris la formule juive de la bénédiction du pain et du vin au moment de l'offertoire : "Béni sois-Tu, Roi du monde, qui fais sortir le pain de la terre ; béni sois-Tu, Roi de l'Univers, qui donne le fruit de la vigne !"

Rendre grâce - faire Eucharistie - avec le Christ qui affirme : "Je suis le Pain de vie". Venez à moi, vous n'aurez plus jamais faim ! Venez à moi, car je vais vers le Père et votre Père ! Et nous comprenons de plus en plus la seule volonté que le Christ exprime à son Père et notre Père : "Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donné soient, eux aussi, avec moi et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée" (Jn 17.23-24).