vendredi 31 mai 2013

Marie qui accourt !

31 Mai - Visitation !                      

Dernièrement, le 26 Mai, le pape François a rendu visite en une paroisse de la banlieue de Rome, la paroisse Ste Elisabeth-Zacharie. C'était à l'occasion de la "Première Communion" de quelques enfants ! - Aussi, s'est-il adressé à eux dans un style - question-réponse - tout-à-fait catéchétique, prenant appui sur l'évangile qui est celui de la fête d'aujourd'hui !

Il a d'abord évoqué une attitude de La Vierge Marie souvent soulignée : à peine a-t-elle reçu la grande nouvelle qu'elle serait la "Mère de Dieu", aussitôt, avec hâte, Marie se rend chez sa cousine Elisabeth qui, elle aussi, attend un enfant. On dirait qu'elle n'a qu'une préoccupation : porter aux autres le Fils de Dieu qu'elle porte en elle. Loin de rester dans une adoration silencieuse et profonde comme beaucoup de sculpteurs, de peintres l'ont représentée, elle va se mettre "au service", comme son Fils le recommandera très souvent par la suite en donnant lui-même l'exemple : "Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir !" (Mth 20.28).
Elle ne se fait aucune considération d'atermoiement, se disant par exemple qu'Elisabeth a certainement autour d'elle des amies pour l'aider, que sa présence n'est quand même pas urgente... etc. Non ! Elle part aussitôt et "en hâte". C'est la conséquence logique de la condition chrétienne : dès qu'on reçoit Dieu, qu'on le porte d'une manière ou d'une autre, on l'annonce, on le "porte" aux autres, l'amour de Dieu et l'amour du frère se conjuguant tellement ensemble, comme à l'envie !

Ainsi Marie accourt près de sa cousine. C'est toujours l'attitude première de Marie, précisait le pape aux enfants. Marie est notre Mère ; et elle vient toujours en hâte lorsque nous en avons besoin. Et le pape de souhaiter que l'on ajoute dans les litanies de Notre-Dame cette invocation : "Notre Dame qui accourt, priez pour nous !". Oui, Marie accourt toujours ; elle n'oublie pas ses enfants. Et lorsque ses enfants sont dans la difficulté, la peine, le besoin et l'invoquent, elle accourt. Avoir notre "Mère" toujours à proximité, à nos côtés doit nous rassurer : "Notre Dame qui accourt, priez pour nous !"

Et le pape d'ajouter très rapidement une autre considération qui m'a un peu amusé parce que psychologiquement, humainement tellement vraie :
Marie arrive chez Elisabeth ; elle ne se met pas en avant, elle se vante pas ni en paroles ni en attitudes. Elle ne dit pas à sa cousine : "Maintenant que je suis là, c'est moi qui prends les affaires en main, qui commande parce que je suis quand même non seulement ta cousine, mais la "Mère de Dieu !". - Elle ne fait pas comprendre aux autres femmes venues aider Elisabeth que, depuis son arrivée, elles deviennent désormais quasiment inutiles, tout en les remerciant vivement, bien sûr ! Dom Delatte, dans son commentaire sur la règle, analysait l'attitude de cet "ego haïssable", cet "ego" qui signifie : "Je m'aime beaucoup moi-même ; il n'y a guère que moi pour moi ! Il y a chez moi une grande ardeur d'affirmation personnelle ; j'appartiens à corps perdu à mon système, c'est-à-dire à mes illusions. Et comme je ne suis pas seul au monde et qu'il y a autour de "moi" une multitude d'autres "moi" qui me limitent et prétendent me réduire, mon zèle devient facilement une ardeur d'impatience, de colère, de contestation, de révolte : 'zelus amaritudinis malus' !" ("un mauvais et amère zèle"), dit la règle de St Benoît (ch. 72).

Marie est tout le contraire de cette attitude : parce qu'elle porte le Fils de Dieu en elle, elle se soucie - par pure disponibilité à la grâce de Dieu-Père - de transmettre l'Esprit du Fils de Dieu devenu son Fils !
Et comme au sein de la Trinité, l'Esprit-Saint est le lien indissoluble, le nœud vivant et le baiser éternel du Père et du Fils, c'est Lui encore qui nous attache au Fils de Dieu, et, par Lui, au Père !
C'est lui qui établit entre nous des unions surnaturelles. Esprit de communion - cette "communion dans l'Esprit" disait St Paul (Ph. 21) qu'il nous faut "conserver" (Eph. 4.3) -, il ne cesse de répandre le don suprême de la charité dans les cœurs - "L'amour de Dieu, dit encore St Paul (Rm 5.5), a été répandu dans nos cœurs par le Saint Esprit" -. Il nous rassemble tous en son unité - "Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit", dit encore l'apôtre -.
Aussi, présentant le Fils de Dieu qu'elle va engendrer, Marie devient, de ce fait, un "agent de circulation" de son Esprit qui est déjà et sera comme l'âme de l'Eglise (Concile Vatican II - Ad gentes n° 4 - "De Ecclesia n° 8).  Comme elle n'aura de cesse de présenter son Fils, Marie n'aura de cesse de communiquer cet Esprit qui anime l'Eglise. En ce sens déjà, elle est Mère de l'Eglise !

Et c'est en regardant Marie que l'on peut comprendre que toute autorité véritablement chrétienne, ecclésiale - dont la source est le Christ lui-même, dit St Benoît -, ne peut être que spirituellement maternelle à l'exemple de Marie. Avoir autorité, même très minime -, c'est avoir finalement la charge de "communiquer" l'Esprit Saint, de sorte que tout responsable, quel qu'il soit, puisse dire non pas : "moi, j'ai décidé...", mais puisse affirmer en toute vérité comme les apôtres : "Nous et l'Esprit, avons décidé..." (Act. 15.28).


C'est bien en cette circonstance qu'il faut prier, et prier Marie comme le pape François nous y invite : "Notre Dame qui accourt, priez pour nous !"

jeudi 30 mai 2013

Constance de la patience !

Fête de Ste Jeanne d'Arc

Aujourd'hui, nous fêtons Sr Marie-Jeanne-d'Arc ; et, en lui offrant tous nos vœux, nous prions sa sainte patronne de la protéger, de lui donner sa grande foi, sa grande patience...

Un grand romancier catholique a beaucoup - et très profondément - médité sur la sainteté de Jeanne d'Arc : Georges Bernanos. Il a écrit un petit essai intitulé : "Jeanne, relapse et sainte".

Il affirme nettement que la sainteté de Jeanne d'Arc n'est pas d'abord une sainteté de faits d'armes ! Heureusement !
La couleur dominante de sa sainteté, c'est l'endurance de la patience pour le nom du Christ, devant le tribunal.
C'est d'autant plus à remarquer que ce tribunal était un tribunal d'Église ! Et Bernanos de souligner que l'inquisition était alors un tribunal absolument redoutable qui employait des moyens capables presque de dissoudre la personnalité humaine. Et d'ajouter : une des plus grandes souffrances de Jeanne d'Arc est qu'à la fin de son procès, on avait fini par la faire douter d'elle-même, de ce qu'elle était et de sa mission. On le sait, c'est parfois le lot de très grands saints, tels Thérèse de Lisieux, Mère Térésa... et bien d'autres...

Bernanos écrivait : "C'est désormais à elle-même que la petite martyre fait face, et elle ne s'en doute pas. Ses juges ne s'en doutent pas davantage.
Comme ces insectes qui au cœur de leur proie vivante déposent un ver, ils ont fait rentrer le doute dans cette âme d'enfant, et l'ignoble fruit venu à terme, ils ne reconnaissent plus leur victime, la cherchent, implorent d'elle ce que, par leur faute, elle n'est plus capable de donner, une parole pure, intacte, qui leur apporterait la certitude ou le pardon.
Littéralement, ils lui ont volé son âme. Deux jours encore, avec une impatience grandissante, ils secoueront vainement ce cadavre, puis las de cette lutte ridicule, ils jetteront au feu le jouet brisé. Qu'on brûle bien les os ! Qu'on sème au vent la cendre ! A quoi bon ? L'enfant inconnue a emporté son secret. La nuit qu'ils ont appelée sur elle les recouvre à leur tour."

Oui, la grande épreuve de Jeanne d'Arc a été précisément qu'au moment où on en était arrivé, comme le dit Bernanos, "à lui voler son âme", elle ait pu tenir dans la constance et dans le témoignage de sa fidélité jusqu'à la mort.

Mais il y a une différence fondamentale entre les tribunaux d'Inquisition et les tribunaux modernes. C'est que, précisément, dans les tribunaux d'Inquisition, la sainteté finit toujours par triompher. Et, en réalité, la réhabilitation de Jeanne d'Arc, c'est, à l'intérieur même de l'Église et sur l'initiative de l'Église, la remise en cause de ceux qui avaient jugé Jeanne d'Arc. Dans certaines sociétés modernes, ce genre de choses ne peut malheureusement se produire.
Et c'est pourquoi Bernanos conclut par cet éloge de l'Église à travers la sainteté de Jeanne d'Arc, éloge qui est une très belle page de notre littérature contemporaine et qui peut nous aider à comprendre le sens profond de la sainteté de Jeanne d'Arc.

Il n'y a maintenant, dit-il, qu'un seul procès à retenir, celui qui proclame : "désormais Jeanne est sainte, et nous la prions comme telle. Si l'on mesure à l'aune de l'expérience humaine une telle aventure, elle apparaît invraisemblable. La chance de la pauvre fille était si petite, l'affaire si obscure et les intérêts en jeu si puissants. Mais Dieu sait venger ses saints."

Et en son grand style souvent provocateur, provocateur de foi,, Bernanos poursuivait :
"Notre Église est l'Église des saints.
Nous respectons les services d'intendance, la prévôté, les majors et les cartographes, mais notre cœur est avec les gens de l'avant, notre cœur est avec ceux qui se font tuer.
Nul d'entre nous portant sa charge, patrie, métier, famille, avec nos pauvres visages creusés par l'angoisse, nos mains dures, l'énorme ennui de la vie quotidienne, du pain de chaque jour à défendre et l'honneur de nos maisons, nul d'entre nous n'aura jamais assez de théologie pour devenir seulement chanoine. Mais nous en savons assez pour devenir des saints !
Que d'autres administrent en paix le royaume de Dieu ! Nous avons déjà trop à faire d'arracher chaque heure du jour, une par une, à grand-peine, chaque heure de l'interminable jour, jusqu'à l'heure attendue, l'heure unique où Dieu daignera souffler sur sa créature exténuée". Il soufflera de son souffle de vie divine et éternelle !

"O mort, où est ta victoire ?", demandait St Paul. Nous sommes tous des destinés à la Vie de Dieu dès maintenant et éternellement. Tel fut le témoignage suprême de Jeanne d'Arc ! Imitons la constance de sa patience !

mercredi 29 mai 2013

Donner, se donner !

8. T.O. Mercredi                                            (Mc 10.32-45)

Hier et avant-hier, d'après l'évangile de Marc, Jésus avait été extrêmement clair : pour le suivre - pour être son disciples, pour être chrétien -, il nous faut tout quitter : non seulement les richesses de ce monde et la considération qu'elles peuvent susciter ("vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres"), mais se quitter soi-même. Il faut se quitter soi-même, "se vider soi-même", comme disait St Paul à propos du Christ : "Lui de condition divine..., il s'est dépouillé ("ékénôsen" : il se vida)...", rappelant ainsi l'expression d'Isaïe (53.12b) selon les Septante : "Il a vidé son âme dans la mort". Oui, "il s'est dépouillé, abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort" (Phil. 2.7-8).

Mais s'il faut aller jusque là, ce n'est nullement dans un esprit d'anéantissement, de destruction qui serait incompréhensible ; mais c'est pour mieux être "capax Dei", avoir la capacité d'être rempli de la richesse de Dieu, de son amour, de sa force... St Paul souligne souvent ce paradoxe de la condition chrétienne : Avec la grâce du Christ, dit-il, "ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse...". -  "C'est lorsque je suis faible que je suis fort !" (2 Co. 12.9-10). "De sorte, dit-il encore, que "notre corps semé corruptible ressuscite incorruptible ; semé méprisable, il ressuscite éclatant de gloire ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force..." (I Co. 15.42).
C'est ce qu'annonçait Notre Seigneur dans l'évangile d'hier : "Celui qui aura tout quitté à cause de moi recevra, en ce temps déjà, le centuple, et, dans le monde à venir, la Vie éternelle !". Jésus est donc très clair. Et cet enseignement, il le vivra lui-même totalement en son mystère pascal, en sa Pâques, ce "passage" de mort à vie !

Mais les apôtres semblent n'avoir pas compris. Ils comprennent bien que Jésus parle d'un Royaume. Mais ils l'envisagent à la façon très humaine ! Ainsi, Jacques et Jean, se sentent comme "premiers ministrables" en ce Royaume à venir, ce qui provoque la jalousie des autres apôtres qui s'imaginent, eux aussi, en bonne place !

Aussi, Jésus, sans se fâcher de leur manque d'intelligence - ce qu'il leur reprochera plusieurs fois avec force -, précisera de façon lapidaire : "Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur ; celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous". Il s'agit non pas à rechercher à être servi, mais au contraire, à servir, à l'exemple du Seigneur lui-même : "donner sa vie en rançon pour la multitude" ! Ce que nous célébrons en toute Eucharistie !

J'avais noté naguère que le pape Jean-Paul II avait bien souligné cet enseignement du Christ : "Ces paroles du Christ, disait-il, indiquent quel est le chemin qui conduit à la grandeur évangélique... C'est la voie que le Christ lui-même a parcouru jusqu'à la croix..., un itinéraire d'amour et de service qui bouleverse toute logique humaine... : Etre serviteur !"

Il parlait ainsi à l'occasion de la béatification de Mère Térésa (19.10.03). Aussi, après avoir rappelé : "Qui veut être grand parmi vous doit se faire serviteur...", il ajoutait : "La vie de Mère Térésa est un témoignage de la dignité et du privilège que revêt le service rendu humblement... ; elle a choisi non seulement d'être la plus petite, mais la servante du plus petit. Sa grandeur réside dans sa capacité à donner sans compter, à donner jusqu'à souffrir... Sa vie a été une existence radicale et une proclamation audacieuse de l'Evangile", de notre évangile d'aujourd'hui !

Elle voulait être signe de l'amour de Dieu, de la présence de Dieu, de la compassion de Dieu, rappelant ainsi la valeur et la dignité de chaque enfant de Dieu, créé pour être aimé et aimer. Ainsi amenait-elle les âmes à Dieu et Dieu aux âmes. Et lorsque les moments devenaient très difficiles, elle s'agrippait avec plus de ténacité à la prière devant le Saint-Sacrement.

Soyons tous à son école, disait le pape Jean-Paul II. Lors de sa béatification, on l'a représentée ainsi : d'une main, elle tenait la main d'un enfant ; et de l'autre, elle égrenait un chapelet. Prière et action. Image emblématique : être à la fois tourné vers Dieu et tourné vers le pauvre !  Notre Pape François ne fait que reprendre cet enseignement...

Et puisque nous sommes à la fin du mois de Mai, du mois de Marie, je vous rapporte, pour terminer, une anecdote que j'ai lue récemment :
Il s'agit d'un voyageur qui prend l'avion à Chicago. "Deux religieuses, dit-il, s'avançaient dans le couloir de l'avion, vêtues de simples habits blancs bordés de bleu. Je reconnus aussitôt le visage familier de l'une d'elles... Les deux religieuses s'arrêtèrent et je réalisai que mon voisin de siège allait être Mère Téresa.
Comme les derniers passagers s'installaient, Mère Teresa et sa compagne de voyage sortirent leurs chapelets. Je remarquai que chaque dizaine était formée de grains de couleurs différentes. Mère Téresa m’expliqua par la suite que les dizaines représentaient différentes parties du monde. Elle ajouta : "Je prie pour les pauvres et les mourants sur chaque continent."
Les deux femmes se mirent à prier de façon presque audible, comme un murmure. Bien que je me considère comme un catholique peu religieux, je me joignis à cette prière presque sans m'en rendre compte. Mère Teresa se tourna vers moi, et à ce moment son regard m'envahit d'un sentiment de paix. "Jeune homme," demanda-t-elle, "vous récitez souvent le chapelet ?" - "Non, pas vraiment", avouai-je. Elle me prit la main, tout en me scrutant des yeux. Puis elle me sourit. "Eh bien, vous le ferez maintenant." Et elle déposa son chapelet dans mes mains. (…).

Depuis cette rencontre inattendue dans l'avion, ma vie a changé. (…) J'essaie maintenant de me souvenir de ce qui compte vraiment. Ce n'est pas l'argent, ni les titres ou les biens, mais la façon dont on aime les autres".  C'est tout l'enseignement de notre évangile !

mardi 28 mai 2013

Regard d'amour !

8. T.O. Lundi-Mardi        -                            (Mc 10.17-31)

Nous savons que St Marc dont nous lisons l'évangile tout au long de l'année en le "temps ordinaire" fut le disciple de St Pierre. Or Simon, le futur chef des apôtres, se souviendra longtemps de ce moment où, d'après St Jean (1.42), il fut présenté à Jésus par son frère André. Il se souvient bien : "Jésus le regarda et lui dit : 'Tu es Simon ! Désormais, tu t'appelleras Pierre'". Littéralement, il est dit : "Jésus regarda en lui", ce qui le transforme au point de devenir tout autre : Simon devient Pierre !

Pierre se souviendra à jamais de ce regard de Jésus. Il se souvient des regards de Jésus. Aussi, son disciple Marc note assez souvent ces regards pénétrants de Jésus dont Pierre devait lui parler.
- Déjà on devine l'attitude habituelle de Jésus quand il enseignait : "Il parcourait du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui..." (Mc 3.34).
- Un jour de sabbat, Jésus veut guérir un homme à la main desséchée. Les pharisiens n'approuvent nullement. Et Marc note : "Jésus, promenant sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur cœur..." (Mc 3.5)

Hier dans l'évangile, Marc note en très peu de lignes les regards de Jésus à propos du jeune homme riche :
- "Jésus fixa sur lui son regard et l'aima !" C'est le même mot que St Jean emploie à l'occasion de regard posé sur Simon, lors de sa rencontre avec Jésus : "Jésus regarde en lui".
- Mais, à l'inverse du futur chef des apôtres, le jeune homme détourne son regard. Il ne se laisse pas regarder par le Fils de Dieu qui l'aime !  Comment cela peut-il se faire ? C'est le mystère de notre liberté ! Le jeune homme choisit. Il choisit l'héritage de la vie terrestre - avec tristesse, est-il dit cependant - et renonce à l'"héritage de la Vie éternelle", comme il le demandait pourtant à Jésus !
- Le regard de Jésus fut certainement voilé de peine et de tristesse : "Jésus regarda autour de lui et dit : 'Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu' !".
- Etonnés, les disciples demandent : Mais alors, "qui peut être sauvé ?". Jésus les regarde et répond : "Pour les hommes c'est impossible, mais pas pour Dieu ! Car tout est possible à Dieu !".

"Tout est possible à Dieu !". Pour cela il faut accepter d'être totalement "regardé" par Jésus - un regard qui va "à l'intérieur de nous-mêmes", au plus intime de nous mêmes et qui sollicite notre foi, notre confiance.
+ Lors des promesses étonnantes faites à Abraham et Sara au début des temps, il leur est demandé : "Y-a-t-il une chose trop prodigieuse pour Dieu ?" (Gen 18.14).
+ A la "plénitude des temps", c'est-à-dire à l'accomplissement des promesses lors de l'Incarnation, l'ange rappelle à Marie : "Rien n'est impossible à Dieu !"' (Lc 1.37).

Mais il faut bien comprendre : le "possible" de Dieu ne peut se réaliser que dans l'"impossible" de l'homme. Il faut que l'homme se détache des biens de ce monde et - par voie de conséquence - du regard admiratif des hommes ; il faut que l'homme se détache de lui-même, du regard admiratif, suffisant qu'il se porte à lui-même, pour accueillir pleinement et totalement le regard du Seigneur. C'est ce qu'il y a de plus difficile : quand on est trop "plein" de soi-même, il n'y a plus de place pour le regard aimant de Dieu, et encore moins pour le regard suppliant de ses frères.

"Ne rien préférer à l'amour du Christ", demande St Benoît. La vie chrétienne, à la suite de Pierre et de tous les apôtres, consiste à se laisser regarder d'amour. La vie chrétienne est d'abord consentement plénier au regard d'amour de Dieu, se laisser regarder par Jésus, et, aussitôt, avec une humble et vraie tendresse, aimer et regarder à son tour.

Même si c'est parfois difficile, surtout au début, dit St Benoît - il s'agit là,  peut-être, de ces persécutions dont parle l'évangile -, nous goûtons peu à peu, dès ici-bas, à une plénitude de vie qui ne peut s'expliquer. Et nous témoignons comme Sirac le Sage (lecture) : "Donne au Très-Haut à la mesure de ses dons, d'un regard généreux selon tes ressources. Car le Seigneur sait rendre, il te rendra sept fois plus !". Et Notre Seigneur précise : Dieu te donnera "le centuple, en ce temps déjà... et, dans le monde à venir, la Vie éternelle !".


En ce sens François de Sales avait raison : "La vie, c'est le temps de chercher Dieu - 'chercher sa face', disent les psaumes, son regard -, la mort, le temps de le trouver, l'éternité, le temps de le posséder".

dimanche 26 mai 2013

Sainte Trinité !


Trinité 2013

En comparaison de bien des fêtes comme Noël, Pâques, Assomption, Toussaint, celle de la Sainte Trinité nous paraît bien abstraite. Et la formule apprise autrefois au catéchisme n’arrangeait rien : “Un seul Dieu en trois personnes”. Formulation qui a comme une résonance de mathématique céleste un peu difficile : trois faisant toujours un ! Formulation qui suscitait, évidemment, bien des plaisanteries pour un si grand et profond mystère ! 
Naguère, le fameux chanoine Keer, maire de Dijon et député, à qui, en pleine Assemblée nationale, on reprochait, en faisant allusion au mystère de la Trinité, de ne pas savoir compter jusqu’à trois, rétorqua avec son humour habituel qu’il était encore plus déplorable pour un député de n’avoir pas assez d’intelligence pour dépasser la table d’addition, car pour lui : un multiplié trois fois par un, c’est toujours un !

Mais trêve de plaisanterie ! Les artistes et notamment les peintres se sont essayés, avec talent souvent, à évoquer ce mystère dans sa complexité ! Mais aucune image, aucun tableau ne suffisent à dissiper le brouillard. Alors, comment comprendre ? 

Pour nous aider, il faut d'abord dire et redire que le mystère de la Sainte Trinité, avant d'être un dogme, c'est une expérience, l'expérience des apôtres d'abord, et des premiers chrétiens, et ceux d'aujourd'hui, la nôtre. 
Je le dis d’autant plus fort que je me souviens bien - ce n’est pas une indiscrétion - : jeune prêtre à l’Abbaye, ma fonction m’amenait à côtoyer fréquemment ceux que l’on appelait autrefois “frères convers”, religieux parfois originaux mais très fervents sans pour autant avoir fait grande théologie. Or je me souviens : l’un d’eux, bien plus âgé que moi-même, était comme fasciné par le mystère de la Trinité : Il faisait l’expérience de ce mystère au point qu’il en parlait parfois avec simplicité et une justesse que les théologiens n’auraient pas contredit. Il vivait intérieurement de ce mystère. Oui, la Sainte Trinité, avant d’être un dogme, c’est une expérience !

L’expérience des apôtres d’abord. Ils avaient hérité, bien sûr, de la foi de leur peuple - le peuple Juif -, de cette foi qui affirmait, face au polythéisme ambiant, qu’il n’y avait qu’un seul Dieu ! Et ils priaient en toute confiance le Dieu Unique, redisant les mots des psalmistes : Dieu est notre rocher, un abri, une forteresse, un chemin, une lumière. L’expérience des apôtres, c'était d'abord cela.

Puis, ils ont fait une autre expérience. Pendant trois ans, ils ont partagé la vie de Jésus. Impossible de résumer, en quelques instants, leur longue découverte. Retenons seulement qu'après la mort de Jésus, se souvenant de la manière dont il avait vécu, de la façon dont il était mort en aimant, en pardonnant, se souvenant des apparitions où ils l'avaient revu vivant, ils ont acquis la certitude que Jésus n'était pas seulement un prophète comme les autres, si grand fusse-t-il, mais qu'il était “Seigneur” (Kurios). Autrement dit, ils ont osé croire et osé dire que Dieu lui-même s'était rendu visible dans l'existence de cet homme, son Fils. Quand il parlait, quand il agissait, c'était Dieu qui parlait et qui agissait. 
Enfin, ils étaient sûrs que le Christ était encore et toujours avec eux par son Esprit qu'il leur avait promis en les quittant, cet Esprit qui leur donnait la force de proclamer son Nom partout en dépit des difficultés. Ainsi, très vite, même si le mot “Trinité” ne leur était pas connu, cela ne les empêchait pas de célébrer avec foi le Dieu Père, Fils et Esprit.

C'est à la fin du 4ème siècle seulement qu'on a parlé de Trinité. Pourquoi ? Parce qu'il a bien fallu, à cause des hésitations et des erreurs sur Jésus et l'Esprit Saint, traduire le mystère dans un langage qui ferait référence. Après de nombreuses péripéties, la foi des chrétiens se formula et se fixa au concile de Nicée (325) et au concile de Constantinople (381)
A Nicée, on affirme que Jésus n'est pas une créature mais qu'il est vraiment “Fils de Dieu”. 
A Constantinople, on affirme que Dieu est “une seule nature en trois personnes”. Notions, concepts, formules théologiques sont utiles pour traduire le mystère en langage de référence.

Mais nous, nous sommes comme les apôtres. Notre foi en la Trinité, avant d'être un dogme et une formulation théologique, est une expérience, l'expérience des apôtres, une expérience transmise et relue par les générations chrétiennes.

Nous ne prononçons pas souvent le mot “Trinité”, mais nous prononçons souvent les noms du Père, du Fils et du Saint Esprit, ne serait-ce qu’au début de chaque célébration. Et en toute famille chrétienne, le premier geste qu’on transmet à ses enfants est ce signe de la croix et de la Trinité, comme étant l’élément premier et principal de notre foi !

Aussi, sachons nous-mêmes reprendre, à tout âge, ce signe de croix que nous faisons tous, reconnaissons-le, trop machinalement, même si l'on est religieux, religieuse... 
Ce signe de croix, ce signe de la Trinité, accompli parfois avec simagrée ou grimace comme pour chasser une mouche, m'attriste beaucoup. La Vierge Marie, dans ses apparitions, à Lourdes ou ailleurs, recommandait de toujours faire une "beau signe de croix". Elle l'enseignait en le faisait elle-même magnifiquement et simplement tout à la fois. 
Le signe de la croix est vraiment le signe du chrétien. Il le fait, certes, en rappelant les souffrances rédemptrices du Christ. Mais il le fait également en professant le mystère de Dieu, le mystère de Dieu-Trinité, Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. 

Je ne sais pas où j'ai lu ce beau commentaire de ce signe de croix, mais je vous le livre :
- Au nom du Père, la main sur le front, siège de notre intelligence ; c'est de là que part notre vie. Alors, nous affirmons, comme le faisaient déjà les apôtres, que le Père est source de la vie.
- Au nom du Fils, la main sur le cœur, lieu symbolique de l'amour humain. Alors, nous affirmons que le Fils nous a aimés jusqu'à vivre notre vie d'homme, jusqu’à donner sa vie. C'est l'Incarnation que nous affirmons ainsi, irréductible originalité de l'expérience chrétienne.
- Au nom du Saint Esprit, la main sur les épaules dans un sens horizontal. Alors, c'est l'Esprit qui nous aide à porter le poids de toute notre vie et à crier la “Bonne Nouvelle” du Christ toujours vivant à tous les horizons du temps et de l’espace. 
- Amen. Oui, j'y crois, c'est vrai, c'est solide comme un rocher, comme une pierre. 

Oui, nos prières, nos célébrations débutent par ce signe de la Trinité, parce que notre prière s'adresse au Père, au Fils et au Saint-Esprit. 

Voyez, ce matin, en ce moment, qu'est-ce qui fait le lien entre nous, ici rassemblés, et tous les chrétiens du monde entier ? C’est cette affirmation : nous sommes rassemblés “au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit”. 
Nous croyons que le Christ est au milieu de nous. “Quand deux ou trois sont réunis en mon Nom, a dit Jésus, je suis au milieu d'eux”
Nous célébrons la mort et la Résurrection du Christ, mais toute notre prière eucharistique est adressée au Père, par Jésus et dans l'Esprit. 
Nous communierons tout à l'heure pour nous unir au Christ et c'est au Père que nous demanderons “qu'ayant part au Corps et au Sang du Christ, nous soyons rassemblés par l'Esprit Saint en un seul Corps”.

Le dogme peut nous sembler quelquefois complexe, mais notre expérience de croyant, elle, ne nous trompe pas. “Dis-moi comment tu pries, je te dirai ce que tu crois”, disent les théologiens. Eh bien, nous prions le Père, le Fils et l'Esprit Saint. Avec la Trinité, nous sommes tellement tous unis dans la joie de l'Amour de Dieu. 
Dante avait bien raison : il écoutait déjà, dans la "Divine Comédie", chanter la Trinité de Dieu. Aussi, il écrivait émerveillé : "Il me semblait entendre le rire de l'univers !".

vendredi 24 mai 2013

Mariage - Chasteté !


7. T.O. Vendredi -                                 (Sirac 6.5-17- Mc 10.1-12)

La question posée à Jésus - "Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ?" - et la réponse de Notre Seigneur - "Que vous a prescrit Moïse ?" - me font penser à un épisode curieux que l'on trouve justement dans la vie de Moïse.

Le beau-père de Moïse, Jéthro, prêtre de Madian, entend parler de tout ce que Dieu avait fait pour Moïse et pour son peuple : la sortie d'Egypte ... etc. Et il part à sa rencontre. Or, le texte de l'Exode précise : "Jéthro prit avec lui Cippora, la femme de Moïse, après qu'il l'eut renvoyée..." (Ex. 18.2) ! Curieux !

Quand est-ce que Moïse a renvoyé sa femme ? Nulle part ailleurs, dans la Bible, on y fait allusion ! Curieux ! Pourtant cette notation n'a pas échappé à l'attention. Une des premières personnes, en France, à "mettre le nez" dans la littérature juive est Renée Bloch (née à Neuilly en 1924 et morte accidentellement en 1955) ; et elle a dressé toute une série de références de la tradition juive qui affirment que Moïse aurait délaissé sa femme après la vision du "Buisson ardent".

On dirait qu'à partir de ce moment, l'attention de Moïse pour Cippora aurait été comme "dépolarisée" pour se fixer sur Dieu seul ! Cette remarque de la tradition juive est importante. On entend dire, partout et toujours, que la chasteté chrétienne est une contamination du gnosticisme, de la méfiance de la nature que Dieu a faite bonne, pourtant !
Cependant, ce qui est vrai : la sexualité, dans la Bible, est magnifiée. Il n'y a aucune méfiance. Mais, ceci dit, la femme et l'homme sont créés, personnellement, l'un et l'autre, "à l'image de Dieu". Et pour Dieu, pour Dieu seul, on peut "télescoper" les valeurs les plus belles de la création pour aller directement vers le Créateur. On voit cela dès l'Ancien Testament. Et la Sainte Vierge et Joseph... etc. ont vécu totalement et parfaitement cette polarisation vers Dieu.

D'ailleurs, paradoxalement, l'histoire des Saints nous montre que c'est souvent entre des êtres qui sont, personnellement, totalement polarisés par Dieu que se nouent les amitiés les plus extraordinaires. "Un ami fidèle est un solide refuge..., dit la lecture ; un ami fidèle n'a pas de prix... ; un ami fidèle est un "élixir de vie...". Et on peut penser à St François de Sales et Ste Jeanne de Chantal, à St François et Ste Claire, à Ste Thérèse d'Avila et St Jean de la croix..., et à tant d'autres !
On peut remarquer que dans tout type de Communauté, c'est dans la mesure où chacun garde, personnellement, sa dimension verticale, sa relation à Dieu qu'est la foi, que les rapports horizontaux s'en trouvent meilleurs, sont ce qu'ils doivent être, même entre personnes de tempéraments très originaux et aux aspérités rugueuses !
C'est vrai des ménages. C'est vrai aussi des Communauté religieuses. C'est dans la mesure où les frères et sœurs ont une vie personnelle de prière que les rapports horizontaux sont les plus beaux. C'est un paradoxe que l'on trouve dans la Bible. Et le Nouveau Testament ne fera qu'épanouir des valeurs qui sont déjà en germe dans la tradition biblique.

Il faut savoir se sanctifier pour aller à la rencontre du Dieu Saint ! Le "Saint", c'est le "séparé". Il faut parfois de séparer de tout ce qu'il y a de plus beau pour aller à la rencontre de Dieu. Et cela même dans la vie monastique. Les journées dites "de désert" sont probablement instituées pour cela ! Et plus on pratique cette polarisation, plus on trouve au centuple ce que l'on ne cherchait pas obligatoirement.

Sur ce sujet, il y a encore une notation qu'il faut rapporter à propos de la vie de Moïse. L'avant veille du grand Jour, du Jour de l'Alliance avec Dieu. Moïse dit au peuple : "Tenez-vous prêts pour après-demain, ne vous approchez pas de la femme !" (Ex 19.15).
Il ne faudrait pas voir là, en cette phrase, un tabou. Non, mais simplement une invitation à aller par-delà tout ce qu'il y a de plus beau pour aller à la rencontre du Créateur qui est au-dessus de tout ce qu'il  y a de plus beau !
Et St Paul écrit à ses très chers mais difficiles Corinthiens : "Ne vous refusez pas l'un à l'autre, si ce n'est d'un commun accord, pour un temps, afin de vaquer à la prière..." (I Co. 7.5). Ainsi, dans le mariage, il ne faut pas se refuser l'un à l'autre ! Certes ! Cependant, pour vaquer à la prière, temporairement et d'un commun accord, il faut se laisser "polariser" par Dieu.

Et nous, Religieux et Religieuses qui n'avons pas besoin d'un "commun accord", que doit-il en être ? A chacun de répondre !

mardi 21 mai 2013

Adorer !


7. T.O. Mardi imp.          -   Adorer                           (Sirac 2.1-11)

Il y a comme un refrain qui revient par trois fois dans la lecture d’aujourd’hui : “Vous qui adorer le Seigneur… !“.

Que signifie ce mot "adorer" composé d’un préfixe “ad“ (vers) qui indique une direction et du verbe latin “orare“, prier ?

La préposition “Ad“, “vers“ indique donc une direction. On se tourne vers Dieu. Et vers Dieu seul !

C’est la première démarche de l’adoration : se détourner de soi pour se tourner vers Dieu. "Tournez-vous vers moi et soyez sauvés" (Is 45.22), dit Dieu par le prophète Isaïe. Ce grand homme de foi ne faisait que répéter, même dans les moments les plus tragiques de son peuple : "Dieu seul suffit !". Ce que répéteront tous les saints, comme Thérèse d'Avila : "Dieu seul suffit !", même lorsqu'elle était affrontée à des affaires très humaines, économiques, sociales... D'abord se tourner vers Dieu ! Ce que nous oublions trop.
Bien sûr, prêtres, religieux, chrétiens, nous réservons à Dieu des moments particuliers pour penser à Lui, Le prier. Mais ensuite on mène sa vie comme s'il n'existait plus : on L'oublie ! Bien plus, malheureusement, - le démon est si malin - le temps d’adoration est l’occasion d’un ruminement, d'une vision d'un film à l’intérieur de soi, de ses peines ou de ses joies, de ses échecs ou de ses succès… et de bien des affaires qu'il nous faut mener... Et on rumine, on rumine en oubliant Dieu !

Certes, il est bien normal que la pensée de l’homme se concentre la plupart du temps sur les richesses de la terre de sorte qu’elles puissent concourir - espérons-le - à son bien, à celui de ses proches, à ceux de sa communauté, de sa famille..., au bien de toute l’humanité ! C’est normal et légitime. Au seuil de l’histoire, Dieu n’a-t-il pas dit : “Multipliez vous…, remplissez la terre et dominez la !“.

Mais, dira St Paul, “Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?“ (I Co. 4.7). La première démarche de l’adoration consiste donc à se tourner vers Dieu dans un grand sentiment de reconnaissance. L’homme, certes, ne cesse de prendre possession du monde - et c’est bien -, mais il oublie trop souvent d’en faire hommage à Dieu. Il est bien le roi de la création, mais il oublie d’en être le prêtre.

D’autant que tout ce qui est sorti des mains du Créateur est bon - “Et Dieu vit que cela était bon !“ -. L’adoration inclut avant tout cette admiration de la beauté des œuvres de Dieu et s’accompagne d’une haine pour tout ce qui vient la caricaturer, l’abîmer, la salir et d’abord en nous-mêmes et autour de nous.
Le psaume 104 le dit merveilleusement. En considérant tout ce que Dieu nous donne - et l'être et la vie et toute la création -, nous devrions sans cesse rebondir dans l'action de grâces, faire "hommage à Dieu" de toute la création, disait Claudel.
"Toute ma vie, je chanterai le Seigneur ;
le reste de mes jours, je jouerai pour mon Dieu.
Que mon poème lui soit agréable !
Et que le Seigneur fasse ma joie ! (Ps 104)
Et ce sentiment de joie s'accompagne d'un sentiment très dur dans le verset suivant que parfois on met hypocritement entre parenthèses ou italiques :
"Que les pécheurs disparaissent de la terre ;
Et que les infidèles n'existent plus !"
Ce verset veut dire simplement que l'admiration de la beauté des œuvres de Dieu s'accompagne obligatoirement d'une haine non pas contre les "pécheurs", les "infidèles" - nous le sommes tellement nous-mêmes ! -, mais contre tout ce qui vient abîmer, salir cette beauté des œuvres de Dieu ...
Il faudrait, disait encore Claudel, avoir "une intelligence dure et un cœur tendre", une "intelligence dure" qui n'appelle pas beau ce qui est lad, ou laid ce qui est beau (pas d'amalgame !!!), et en même temps un cœur tendre comme celui de Jésus qui allait vers les marginaux, publicains, prostituées, etc..., et non vers les "professionnels" de la vertu, ces "sépulcres blanchis".

La première démarche de l’adoration consiste donc à se tourner vers Dieu avec un sentiment de gratitude, de reconnaissance, en ayant l’esprit assez pur pour ne pas appeler bien ce qui est mal, et beau ce qui est laid, alors même que nous avons toujours besoin de la miséricorde de Dieu pour purifier en nous toute laideur et tout mensonge qui éloigne de Dieu et entrave toute adoration.

“Puisque Dieu, dira Bossuet dans son grand style, nous a fait l’honneur de nous créer à son image et que le propre de la religion est d’achever dans nos âmes cette divine ressemblance, il est clair que quiconque approche de Dieu doit se rendre conforme à Lui. Et par conséquent, comme il est Esprit et Esprit pur…, il faut épurer nos âmes et venir à cet Esprit pur avec des dispositions qui soient toutes spirituelles…“.  La prière, avait déjà dit Tertullien, “doit procéder du même Esprit auquel elle s’adresse. Personne ne reçoit celui qui lui est opposé…“. D'ailleurs, nul n'est capable, sans l'Esprit-Saint, de s'adresser à Dieu en lui disant "Père" (Gal 4.6 ; Rm 8.15-16), "Notre Père", comme nous l'a pourtant enseigné Notre Seigneur !

Aussi, notre lecture avait précisé : "Vous qui adorer le Seigneur, reposez-vous sur sa miséricorde… Vous qui adorer le Seigneur, ayez foi en lui…¸ Vous qui adorer le Seigneur, espérez ses bienfaits !". Espérance, Foi, Amour de Dieu “plein de tendresse et de miséricorde“, voilà les sentiments qui doivent remplir toute adoration de Dieu. 

dimanche 19 mai 2013

Souffle de Dieu


Pentecôte 13/C

"Sans le Saint-Esprit..., disait en 1972 le patriarche Athénagoras...
Sans le Saint Esprit, Dieu est lointain, Jésus est dans le passé et l'Evangile reste lettre morte...
Sans le Saint Esprit, l'Eglise n'est qu'une simple Association, l'autorité une forme de domination, la mission une vulgaire propagande...
Sans le Saint Esprit, la liturgie est une conjuration des esprits, et la vie chrétienne une morale esclavagiste...".

Oui, "sans le Saint-Esprit", l'Eglise, toute communauté religieuse, toute famille chrétienne ne revêtent qu'un caractère humain, vouées à l'échec, voire au chaos et à l'anéantissement.

Mais qui est donc l'Esprit Saint ? Et d'abord pourquoi toujours traduire le latin “spiritus sanctus”  (ou le grec “pneuma agion”) par “Esprit-Saint” ? Ce serait plus beau et plus juste, me semble-t-il, de traduire par : “Souffle saint”.
Si Dieu est à l'origine de tout, je comprends bien que l'on puisse l'appeler “Père”. S'il est ce Dieu qui a tout partagé de notre vie comme un frère, lui qui nous a révélé son Père, j'aime bien reconnaître en lui le “Fils”. Mais s'il est ce Dieu qui demeure en nous et nous donne la vie, pourquoi ne pas l’appeler habituellement le “Souffle saint” ? Un "Souffle" permanent. St Basile de Césarée écrivait : "Le Père est la "cause originelle", le Fils est la "cause créative, le Saint Esprit est la "cause parachevante", c'est-à-dire qu'il est présent en permanence du début à la dernière phase de la création, présent à toutes les étapes et à tous es les aspects de la création ! Présent du début à la fin de ma vie voulue par Dieu créateur, sanctifiée par le Christ... !

Le mot “Esprit” me semble donc avoir une consonance quelque peu cérébrale, aérienne, presque désincarnée. Alors que le mot “Souffle” prend tout de suite une dimension réaliste, physique, presque charnelle. Il est ressenti comme présence permanente !
C’est d’ailleurs dans cette dimension que nous le découvrons dans la Bible, et dès la Genèse où il est question du "Souffle créateur". St Jean en avait bien pris conscience : “Le vent souffle où il veut : tu entends le bruit qu’il fait, mais tu ne sais pas d'où il vient ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né du Souffle” (Jn 3,8). Aussi, surtout chez les Pères orientaux, il est présenté comme "l'Esprit de Dieu", "l'Esprit du Christ", "l'Esprit d'adoption, de vérité, de liberté, de sagesse, de compréhension, d'humilité, de conseil, de puissance, de connaissance..." !

Et pour l'évangéliste Jean, la “première Pentecôte” a lieu au Calvaire lorsque Jésus rend son "Souffle" ; il rend son "Souffle" comme Principe de la création des cieux nouveaux et de la terre nouvelle (Jn 19,30).
Et cette “première Pentecôte” annonce la “seconde Pentecôte”, comme corrélation dans le mystère pascal du Christ : elle se situe au soir du premier jour de la semaine lorsque le Christ ressuscité "souffle" sur les apôtres pour les envoyer en mission (Jn 20,22).
La “troisième Pentecôte” sera celle de la maison remplie d'un violent coup de vent, cinquante jours après Pâques, celle que nous célébrons aujourd’hui.
Et il y aura même une autre pentecôte, avant bien d'autres par la suite, sur des païens, chez le Centurion Corneille, à Césarée, en présence de Pierre.

Le souffle, comme le vent, est invisible. Seuls sont visibles ses manifestations. St Paul l'explique très bien aux Galates en leur décrivant quels sont les fruits du "Souffle Saint" (Gal 5,22). Nous connaissons bien les trois premiers : “amour, joie et paix”. Mais les autres aussi sont importants : “patience, bonté, bienveillance, foi, humilité et maîtrise de soi”.

Et pour ne reprendre que le premier fruit, cela signifie que s'il y a de l'amour quelque part - je pense à l'amour véritable qui est engagement et non pas caprice évanescent de l'affectif -, le "Souffle saint" est là. Nous le disons, le chantons surtout le Jeudi saint : “Là où est l’amour (la charité), Dieu est présent”. (Ubi caritas et amour, Deus ibi est !"). L’un des moines, fr. Christophe, mort à Tibhérine, en Algérie, écrivait dans l'un de ses poèmes : “Il y a de l'amour dans l'air... et je crois bien que c'est Quelqu'un”.

Ne croyez-vous pas que la vie serait tout autre si l'on s’évertuait à discerner tous les fruits de l'Esprit en nous et autour de nous ? Le malheur est que nous faisons le plus souvent le contraire. Nous passons plus de temps à nous intéresser aux œuvres du “Diviseur” qu'à celles de l'Esprit. "Sans le Saint-Esprit, Dieu est lointain", disait le patriarche Athénagoras.

Or, les “pentecôtes” ont lieu tous les jours dans le cœur de beaucoup d’hommes. Et pas seulement dans l'Eglise, même si nous le situons davantage en Eglise ! L'Esprit de Dieu souffle toujours et partout ; il est, a-t-on dit, le nom propre de la grâce. Le Concile Vatican II l'exprime d'une façon claire et solennelle : “Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal”, ce mystère qui sauve le monde ! (L'Eglise dans le monde de ce temps, § 6).

L'Eglise n'est pas une institution comme les autres. Elle a bien été “instituée” par Notre-Seigneur qui l'a fondée sur les douze Apôtres, à commencer par celui qui est Pierre. Mais ils ont été vite dispersés dans l'épreuve. Ils ont été passés au crible comme le froment, selon une expression bien biblique (Luc 22,31). Ce n'est que dans le "Souffle" promis et reçu que l’Eglise a repris Vie.

Et, aujourd’hui comme hier, les chrétiens sont invités à contempler les œuvres de l'Esprit et à se laisser envelopper par ce "Souffle Saint". C'est lui qui nous donne et nous donnera de vivre comme le Christ en nous rappelant tout ce qu'il nous a dit.
Il nous plongera dans cette Parole de Dieu qu’est le Fils de Dieu venu en ce monde.
Il nous donnera le regard, le style de vie et la force du Christ.
Il nous désencombrera de tout le superficiel. Le Seigneur Jésus désirait des troupes légères : “N'emportez pas trop de choses pour la route” disait-il. Nous en avons probablement trop ajouté à l'extérieur. Mais le "Souffle Saint" est le “Maître intérieur” et le “Père des pauvres”. C'est tout dire. Le reste nous sera donné par surcroît.

Aussi, n'hésitons pas à prier l'Esprit-Saint" !
Lorsque Jésus commençait à prier, St Luc note : "Il tressaillit de joie sous l'action de l'Esprit-Saint" (Lc 10. 21)... Et alors il annonce : "... Combien plus votre Père du ciel donnera-t-il l'Esprit-Saint à ceux qui l'en prient !" (Lc 11.13).

Prions aujourd'hui avec ces formules que la liturgie a retenues :
- "Viens, Esprit-Saint, viens en nos cœurs, viens Consolateur !
- Toi l'envoyé du Dieu Très haut, Tu t'es fait pour nous le défenseur !
Tu es l'Amour, le feu, la source vive, Force et douceur de la grâce du Seigneur
- Mets en nous ta clarté ; Répands en nous l'amour du Père,
- Donne-nous ta vigueur éternelle. Hâte-toi de nous donner la paix
Afin que nous marchions sous ta conduite !
- Fais-nous voir le visage du Très-Haut et révèle-nous celui du Fils
Et Toi, l'Esprit commun qui les rassembles,
Viens en nos cœurs : qu'à jamais nous croyons en toi !

vendredi 17 mai 2013

Résurrection ! Message de Paul.


7 Pâques 13  - Vendredi   -    Résurrection            (Actes 25.13 sv )

“Paul et ses accusateurs ont eu "une discussion à propos d’un certain Jésus qui est mort et dont Paul affirme qu’il est VIVANT !

Ainsi parlait le procurateur, le Juge Festus au roi Agrippa, son invité. Remarquons, au passage, que ce juge Festus est d’une probité exemplaire et d’une intelligence lumineuse au point que l’on peut dire qu’une des meilleures définitions du christianisme fut prononcée par la bouche de ce juge romain, païen pourtant ! Jésus : un homme "qui est mort et dont Paul affirme qu'il est vivant !".
C'est une occasion de prier pour tous les magistrats afin qu'ils manifestent cette sagacité, cette perspicacité, cette probité de Festus !

Paul, marqué sur le chemin de Damas par la Lumière éclatante qu’est le Christ du permanent matin de Pâques ne cessera d’affirmer haut et fort : “Le Christ est ressuscité !“. - “Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine et vaine aussi votre foi ! Mais non ! Le Christ est ressuscité des morts, prémices de ceux qui sont morts…“. (I Co. 15.17).
Toute la vie de Paul chantera ce verset du psaume 68ème : “Dieu est pour nous le Dieu des victoires ; et les portes de la mort sont à Dieu le Seigneur !“ (68.21).

De ville en ville, tel sera le message de Paul !

- A Athènes, ville raffinée, intellectuelle, son message ne sera pas reçu. Paul en fera une quasi dépression !

- A Corinthe, ville portuaire, à la réputation sulfureuse, il saura se faire comprendre, puisant ses arguments non plus, du coup, dans des spéculations philosophiques, mais dans la réalité des interventions divines à l’égard de son peuple : “notre Dieu est le Dieu des victoires…“ ; et sa dernière victoire, c’est sur la mort elle-même.
Se référant probablement à la célèbre victoire nocturne de Gédéon remportée bizarrement en cassant des cruches qui contenaient des torches, de sorte que cette soudaine lumière libérée effraya l'ennemi qui s'enfuit (cf Juges 7), il écrira : “Ce trésor (lumineux de la vie victorieuse de la mort), nous le portons dans des cruches pour que soit manifestée que cette puissance (de vie en nous) vient de Dieu et non point de nous“. (II Co. 4.7). [Dès lors, qu’un chrétien dise à un autre : “T’es une cruche“, cela peut être un compliment !
Certes, l’homme par sa fragilité est une cruche. Mais quand la cruche se cassera, c’est alors que le trésor qu’elle contient - cette lumière de vie divine en lui - sera manifeste et totalement victorieuse (sur la mort). Et Paul de préciser : à chacune de nos respirations, nous recevons la vie de Dieu… A chaque instant, ce mystère de mort et de résurrection imprimé au plus profond de notre être par le caractère baptismal se manifeste… Même si l’homme extérieur part en ruine, notre être intérieur - ce trésor lumineux de vie - se renouvelle à l’image du Créateur…

- A Jérusalem, Paul affrontera ses compatriotes sur ce même sujet.

- Et a Césarée, lors de son procès, il s’adressera au roi Agrippa, l’invité du juge Festus : Toi qui es Juif, tu devrais comprendre cela ! Car la résurrection des morts ne se prouve pas par des raisonnements philosophiques (ce qu’il avait voulu faire à Athènes) ; elle est inscrite dans le réalisme de notre histoire (juive) : - le passage de la mer rouge, du Jourdain, - toutes les victoires de vie en la plaine d’Izréël, (où Dieu n’a cessé de “semer“ - sens du mot "Izréël" - la vie pour son peuple !), - et celle remportée sur les Assyriens au temps d'Isaïe, - et la renaissance du peuple après l’exil… etc.    Souviens-toi, dit-il !
Et cette conviction de la vie, de la "résurrection" permanente du peuple élu est passée peu à peu en la conscience individuelle. L’un des Maccabées, ces martyrs de la puissance grecque, ne disait-il pas : “Scélérat que tu es, tu nous exclus de cette vie présente, mais le Roi du monde nous ressuscitera pour une vie éternelle… C’est du ciel que je tiens ces mains que tu vas me couper, mais c’est de Dieu que j’espère les recouvrer…“. (II Mac 7.9sv).
De plus, selon un autre courant de pensée, le juste doit être récompensé... Aussi, avec Jésus ressuscité, c’est Dieu qui sort de son silence et ne laisse pas le Juste voir le Shéol. Au matin de Pâques, il prend en main sa cause. Et nous avons alors la conviction que “si nous marchons comme Jésus a marché“, si nous passons par où il est passé, nous parviendrons là où il est. Il y a désormais une “tête de pont“ par-delà l’absurde qu'est la mort. C’est déjà inscrit en nous par le baptême !

St Paul a vécu ce mystère de mort et de résurrection sur la route de Damas. Mais tout au long de sa vie, il a fait l’expérience que ce baptême qu’il avait reçu se manifestait, se traduisait d’instant en instant. La vie du Christ en nous se manifeste en chaque instant, comme à chaque moment, il y a la vie en nous chaque fois qu’on inspire pour expirer, pour rendre le souffle… Et quand viendra le moment où on rendra notre dernier souffle, ce sera dans la certitude que Dieu à qui nous remettrons ce dernier souffle nous le rendra. Car il est capable, lui qui nous a créés, de nous re-créer. Oui, notre Dieu est un Dieu qui a les issues de la mort elle-même !