lundi 30 septembre 2013

Parole de Dieu - St Jérôme

26e Lundi T.O. 13                  

Le chapitre 8ème qui termine la première partie du Livre de Zacharie éveille notre attention sur une "Jérusalem terrestre" dont on minimise souvent l'importance dans la pensée chrétienne, en nous projetant, déjà et trop facilement, dans la "Jérusalem céleste" !

Les fêtes juives qui se célèbrent en Septembre-Octobre, généralement, nous invitent à toujours partir de la Jérusalem d'ici-bas avec tout ce que cette ville symbolise de terrestre vers la Jérusalem céleste dont "Dieu seul est l'Architecte et le Fondateur" (Heb 11).

Jésus nous a dit qu'il n'était pas venu abolir mais accomplir ! Aussi la "Jérusalem terrestre" restera toujours - même pour un chrétien - un mystère qui dévoile peu à peu tout le dessein de Dieu à travers l'histoire des hommes. Autrement dit, Jérusalem reste, symboliquement et spirituellement, "le nombril du monde" comme dit Ezéchiel (38.12) en lequel se récapitulent toutes les destructions et reconstructions accomplis par les hommes. Et en ce "nombril du monde", Dieu, selon sa promesse, reste mystérieusement présent ! Dieu est présent en ce "nombril du monde" - et par lui au monde entier -, selon sa volonté exprimée, par exemple, dans le psaume 131ème (v/ 13-14), ce psaume qui fut chanté lors du transfert de l'Arche d'Alliance à Jérusalem par David :
"Dieu a fait choix de Sion ; il a désiré ce Lieu pour Lui :
'C'est ici mon repos à tout jamais, car je l'ai désiré !'".

La "Jérusalem terrestre - et le monde dont elle est le "centre" - a traversé bien des catastrophes et, comme tout le laisse penser, en traversera encore ! Cependant en ce Lieu "que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom" (Dt 12.18,20 ; 16.2 etc), il y a des promesses d'éternité pour tous les hommes, pour le monde.

C'est dans cette pensée qu'il faut lire le prophète Zacharie en la lecture d'aujourd'hui et en celle de demain que nous n'entendrons pas cependant du fait de la fête de Ste Thérèse de l'Enfant-Jésus, chère au cœur des chrétiens de France !

Mais je vous invite à méditer ces deux lectures tout à la fois :
"Ainsi parle le Seigneur Sabaot. J'éprouve pour Sion un amour jaloux... Je reviens à Sion et veux habiter au milieu de Jérusalem ! ...
Voici que je sauve mon peuple des pays d'Orient... Je les ramènerai pour qu'ils habitent Jérusalem. Ils seront mon peuple ; Je serai leur Dieu dans la fidélité et la justice...
Viendront encore des peuples et des habitants de grandes villes. Et les habitants d'une ville iront vers l'autre en disant : 'Allons donc implorer la face du Seigneur et chercher le Seigneur Sabaot !' ... En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues des nations saisiront un Juif par le pan de son vêtement en disant : Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous !".

Mystère de Jérusalem que tout pèlerin en Terre Sainte perçoit lorsqu'il s'y trouve, même si Jérusalem est toujours ce "nombril du monde" en lequel cohabitent inextricablement - comme en notre propre cœur parfois - : beauté et laideur ; paix et guerre ; mensonge et vérité ; connaissance et ignorance... etc. Contexte paradoxale de toute vie humaine !

Nous avons encore à apprendre de ce peuple, notre "frère aîné" dans la foi, disaient Jean-Paul II et Benoît XVI à sa suite.

Aussi, dans un esprit œcuménique, à la suite de St Jérôme que nous fêtons aujourd'hui, il est profitable pour notre foi, me semble-t-il, de savoir le sens des fêtes que les Juifs célèbrent en cette période du temps.

La fête de "Rosh Hachana" ("tête de l'année"), si elle marque bien le premier jour de l'an nouveau, veut surtout rappeler la création du monde, la création du premier homme "à l'image et ressemblance de Dieu". Mais la création est continuelle. La création, c'est "aujourd'hui" ("Yahoum", souvent répété dans le rituel juif). Avons-nous cette pensée que Dieu veut aujourd'hui nous créer "à son image et ressemblance" ? "Aujourd'hui, si vous écoutiez sa voix...!", dit le psaume 94ème qui débute l'office de chaque jour. "Aujourd'hui !". Ecouter la "Parole" créatrice de Dieu en notre vie !

Et avec cette fête juive et pendant deux jours, il est répété que Dieu juge les hommes - juif ou non - pour leurs bonnes ou mauvaises actions. C'est une occasion de nous rappeler que chacun "a du prix aux yeux de Dieu" (Cf. Is 43), qu'il a reçu un appel, une "vocation" particulière ! Y pensons-nous suffisamment ?

Les jours qui suivent la "fête de l'an" sont appelés "Jours terribles" (Yamin Noraïm") : chacun est appelé à faire pénitence pour les fautes commises et à se réconcilier avec son prochain... Jésus ne disait-il pas qu'il n'y a qu'un seul commandement : Aimer Dieu et son prochain ?

Enfin, cette période festive juive se termine solennellement par le "Yom Kippour" ("Jour du pardon") : chacun demande le pardon de Dieu et son inscription au Livre de la vie ! Le jour de notre baptême - il faut savoir s'en souvenir -, n'avons-nous pas été inscrits au "Livre de la vie" ?

Il y a donc toute une perspective d'un commun cheminement de la foi entre Juifs et chrétiens.
On m'a dit que les coutumes juives tendent malheureusement - même à Jérusalem - à se formaliser, à se ritualiser. C'est le danger, à toute époque et chez les chrétiens aussi, évidemment !

Voyez ! Au temps de St Jérôme et de St Augustin, on ne baptisait les jeunes gens qu'une fois passées les frasques de la jeunesse. Et même, certains ne voulaient recevoir ce sacrement que sur leur lit de mort, pensant ainsi parvenir immaculés devant la face de Dieu, au jour du jugement. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse - et c'est la souffrance de bien des prêtres -- : des parents demandent le baptême pour leurs enfants sans trop savoir pourquoi : c'est comme "une assurance tous risques" devant Dieu... !  
Le formalisme ! Dans tous ces cas, c'est abuser de la confiance que l'on doit avoir dans la puissance régénératrice du sang rédempteur versé par le Christ sur la croix ! Ce que rappelle pourtant toute Eucharistie !

Aussi, avec humilité, nous avons tous - Juifs et chrétiens - à nous interroger sur la profondeur de notre foi en tous domaines..., à propos, par exemple, de la "Parole de Dieu" puisque nous fêtons aujourd'hui St Jérôme.
Sa vie fut l'accomplissement de l'exhortation de St Pierre qui, se souvenant de la Parole de Dieu au jour de la Transfiguration, écrivait : "Ainsi nous tenons plus ferme la parole prophétique : vous faites bien de la regarder, comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre et que l'astre du matin se lève dans vos cœurs" (2 Pet 1.19).
L'"astre du matin" fait allusion, bien sûr, à l'Incarnation du Verbe de Dieu... Dès lors, on peut dire : si nous rabaissons la "Parole de Dieu" à une simple écriture - l'écriture d'une "histoire sainte", l'écriture d'une pensée théologique... et que sais-je encore -, c'est que, inconsciemment, nous voilons ce grand mystère de notre foi : "Et le Verbe s'est fait chair". Le "Verbe" !  La "Parole" de Dieu !

Cette importance de la "Parole de Dieu" comme l'importance du mystère de l'Incarnation, St Jérôme en avait bien conscience, lui qui est le modèle de ceux qui ont consacré leur vie à l'interprétation des Ecritures.
Et un soir de Noël, à Bethléem, il disait, passant de l'Ecriture au mystère : "Nous avons assez argumenté...! Prenons-Le (l'Enfant de la crèche) en nos bras et adorons le Fils de Dieu ! Ce Dieu grand qui tonna si longtemps dans le ciel (comme au Sinaï) sans pouvoir nous sauver, il vagit dans son berceau et nous sauva !".

Accueillir Dieu qui naquit à Bethléem, qui veut naître en nos cœurs, c'est également accueillir sa Parole "plus tranchante qu'aucun glaive à double tranchant" (Heb 4.12). Accueillir un "Enfant"... Accueillir une "Parole"... ! C'est dire avec St Jérôme que ce n'est jamais la superbe qui sauve, mais c'est l'humilité qui sauve ! Accueillir humblement... et respectueusement !

Le tempérament assez fougueux de St Jérôme, ou du moins assez étranger à l'onction ecclésiastique ou religieuse - si conventionnelle -, avait besoin de trouver près de la crèche de Bethléem, le silence, la paix et... l'humilité !

Demandons-lui cette même grâce !

dimanche 29 septembre 2013

La convoitise !

26e Dimanche T.O. 13/C                   

Les imprécations du prophète Amos - du "terrible" Amos - dans la première lecture, contre les '"vautrés" et les "exploiteurs" peuvent être écoutés par certains d'une oreille plus ou moins distraite, comme faisant partie d'un genre littéraire où l'orateur fustige ses auditeurs avec une violence qui paraît quand même exagérée. Peut-être ! Quoique... !
En tous les cas, le Christ, lui, s'il n'élève pas la voix apparemment, raconte dans l'évangile une parabole ! Et quelle parabole ! Une "terrible" parabole !

Elle se résume par cette phrase lapidaire :
"Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent !".

Et la preuve, la voici : Cet homme riche n'a pas servi Dieu ! Et bien, c'est le malheur qui l'attend. Sa consolation, il l'a eue sur la terre ; il l'a eue de son argent. Et entendons par là, une bonne fois pour toutes : de son avoir, certes, mais surtout de sa fonction sociale, de son pouvoir imposant habitudes ou fantaisies, bref, de sa "jactance", disent certains psaumes ou livres de la Bible.

Et ce retournement de situation pour le riche ne vient pas d'un jugement imposé de l'extérieur, de Dieu. C'est sur la terre que les riches dont parle Jésus se sont eux-mêmes déterminés. Leur manière d'user de leurs richesses, de leur pouvoir les ont fait entrer, déjà ici-bas, malgré leurs apparences parfois débonnaires, dans la petite cité de leurs petits intérêts, de leurs propres pensées ou habitudes - et c'est la plus profonde des prisons ! -. Ils deviennent prisonniers d'eux-mêmes, et donc incapables de rencontrer Dieu.

Comme il faut les plaindre, ces riches, pense-t-on !
Oui, mais personne n'a le droit de prendre ses distances par rapport à ce riche, personne n'a le droit de se rassurer en déclarant qu'il n'a pas la fortune de celui-là, qu'il ne fait pas bombance comme lui, et qu'il a le souci fréquent d'aider Lazare.
C'est à tous, à nous, que le Christ dit qu'il faut choisir entre deux maîtres.
A chacun de se poser la question.

Et St Augustin éclaire singulièrement la réponse que nous devons fournir quand il écrit : "Dieu ne regarde pas à la possession mais à la convoitise".
Vendre tout ce que l'on a, en faisant ce que le jeune homme riche n'a pas osé faire, est une solution ; mais elle correspond à une vocation particulière ! Et ce n'est pas ici la question !
Tous ceux qui possèdent - beaucoup, moyennement ou peu - font partie d'une société, sont liés aux autres dans les structures d'un régime déterminé, portent des responsabilités familiales et professionnelles dont ils ne peuvent normalement se dégager.

C'est pourquoi St Augustin dit : "Dieu regarde à la convoitise". S'interroger sur la convoitise, sur "sa" convoitise n'est-ce pas déjà répondre à la question : "Quel est mon maître, à moi ?"

En effet, s'interroger sur la convoitise atteint le mal à sa source. Le Seigneur sait bien que même si l'on quitte tout matériellement - si l'on y est appelé -, il faut aussi que, par amour pour lui, on se quitte soi-même. "Là où est ton trésor, là est ton cœur !". Quel est donc mon trésor ?

Et beaucoup iront grommelant : mais il faut bien avoir ! Et chacun a son "trésor" :
- son argent, - "mon argent !" -,   - ses biens divers - "ma maison !"
- sa situation - "mon métier, ma fonction !" -,
- sa famille - "mon épouse, mon époux, mes enfants, mes frères, mes sœurs !" -,
- ses connaissances diverses - "mes diplômes, mon expérience !"
- son style de vie : "mes habitudes !"  - etc.

Certes, il faut bien "avoir" ! C'est une nécessité !
- nécessités familiales, de l'éducation des enfants,
- rang à tenir, obligations sociales,
- crédit à s'assurer, etc. ...

Mais dans cette objection, quelle est la part de la vérité, quelle est la part de l'illusion parfois diaboliquement subtile ?
N'oublions pas une autre parabole du Seigneur, celle des invités aux noces : Ces derniers avaient des explications à fournir, des excuses apparemment très valables pour ne pas se rendre aux noces.
Or le Seigneur n'a pas regardé à ce que ces gens possédaient, mais à leur convoitise. Les occupations derrière lesquelles ils se retranchaient n'étaient que des prétextes à se passer..., à se passer de Dieu tout simplement. Leur maître n'était pas Dieu ! Et les prétextes peuvent être très subtils : On peut très facilement oublier Dieu, oublier les "noces" qu'il nous propose, c'est-à-dire la célébration de son Alliance, en alléguant - paradoxe ! - un service fraternel qui peut être reporté !

Autrement dit, si dans le temps qui nous est donné ici-bas, le cœur est incapable d'accueillir le Seigneur, parce que trop occupé par les affaires de ce monde, il se rend obligatoirement incapable de le rencontrer éternellement. Ce n'est pas Dieu qui condamne; c'est notre propre cœur avec sa convoitise.

Et pour donner quelques indications sur nos convoitises possibles, je dirais que l'accueil de Dieu - qui est notre seul Maître, affirmons-nous chrétiennement - ne peut se faire que dans des cœurs libres, humbles et désireux d'aimer.

La liberté du cœur ! Il s'agit de la liberté par rapport à toutes les facilités de jouissance que le monde et la richesse quelle qu'elle soit, et le pouvoir peuvent offrir.
Je ne parle pas ici - évidemment ; et je le dis avec insistance - de ceux qui vivent dans une grande misère ; et ils sont trop nombreux de par le monde. Ceux-là ne sont pas esclaves de la richesse. Ils n'en ont pas ; ils n'ont rien et souvent considérés comme rien ! Ils sont esclaves de l'injustice des hommes !
Je veux dire que pour beaucoup - chrétiens compris -, les facilités du monde - cet "argent" du monde - ferment le cœur et les yeux. C'est à remarquer : Le riche de la parabole - un très brave homme, diront certains, à n'en point douter ! - ne voit même pas Lazare à sa porte ! Les facilités du monde sont comme des habitudes dont on s'entoure : plus on en a, plus on se sent en sécurité ! Et plus on se sent en sécurité par les habitudes... de sa petite richesse, plus on en est esclave ! Cet richesse-là possède finalement, corps et âme, celui qui s'en croit possesseur. Lorsque de serviteur l'argent devient maître, il se fait obsédant.
On perd alors le sens de Dieu; on se ferme à ses appels intérieurs.
On perd alors le sens de l'homme ; des exigences de la justice.
On s'enferme dans son propre monde ; on perd toute liberté d'être soi-même; on devient incapable de cette liberté que requiert l'ouverture à Dieu, une plus grande union à Dieu, et du même coup l'ouverture à l'autre, une véritable communion fraternelle !

¶  La rencontre de Dieu dans l'éternité demande donc ici-bas une grande liberté du cœur, mais aussi une grande humilité de cœur.
On comprend pourtant la supplique du riche : "Je te prie, disait-il à Abraham, envoie Lazare auprès de mes frères pour qu'ils se convertissent !". - "Non, répond Abraham, même si quelqu'un ressuscite d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus !". D'ailleurs beaucoup de Juifs ont vu Jésus ressuscitant le fils de la veuve de Naïm et Lazare de Béthanie. Et ils n'ont pas cru pour autant en Jésus !
Oui l'humilité est cette faculté qui permet de regarder Dieu avant de se regarder soi-même avec ses pauvres petites richesses. L'humilité est l'échelle qui permet de monter vers Dieu. L'humilité accepte donc facilement ce que Dieu donne à l'homme pour lui permettre de monter vers lui :
- sa Parole qu'il faut méditer, ruminer, disaient les Anciens, avec autant de respect et de préparation que lorsque l'on vient communier,
- l'Eglise qui est le sacrement de la présence de Dieu, malgré les imperfections de ses membres. L'Eglise avec ce qu'elle suggère pour notre temps. On aime le pape, dit-on. Mais lit-on ce qu'il dit aussi facilement que son journal ?
- les sacrements, ces signes que le Christ nous a laissés de sa présence en nous, parmi nous.
Oui, l'orgueil est cette richesse du cœur qui ferme l'homme à Dieu et aux autres.

¶  Un troisième indice de cette possibilité de rencontrer Dieu éternellement c'est d'avoir, ici-bas, ce souci d'aimer Dieu et ses frères. Si le cœur se pervertit au point de paralyser sa faculté d'aimer, comment pourra-t-on alors rencontrer Dieu qui est Amour? Oui, la disposition fondamentale à la rencontre de Dieu est bien la pureté ou plutôt la transparence du cœur qui exclut tout mensonge pour préserver sa petite richesse à soi, cette petite richesse qui nous enferme égoïstement sur nous-mêmes. Seuls les cœurs transparents, qui ne savent pas tromper, sont capables d'aimer vraiment.

"Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent !" - "Là où est ton trésor, là est ton cœur !". Que l'Esprit Saint nous apprenne à faire mourir en nous toute convoitise qui nous enferme en nous-mêmes.

Et nous obtiendrons cette Vie éternelle à laquelle, disait Paul à Timothée, nous avons tous été appelés.

jeudi 26 septembre 2013

Le Temple !

25e Jeudi  T.O. 13                   (Aggée)

La liturgie nous donne deux jours, aujourd’hui et demain, pour écouter le prophète Aggée ; son livre est le plus court de l’Ancien Testament, mis à part le livre d’Abdias.

Aggée nous invite à méditer sur le Temple et son importance ; et nous ne le ferons jamais assez si nous voulons comprendre sa transposition dans le Nouveau Testament.

Pour comprendre l’importance du Temple avant sa destruction par les Babyloniens en 586, il suffit de consulter le prophète Ezéchiel, lorsqu’il prédit son anéantissement : Ez 24,15-27. Le Temple, comparée à l'épouse du prophète sur qui il va pleurer la mort subite, est pour le peuple la joie de ses yeux, l'orgueil de sa force, la passion de son âme. Et le prophète annonce la "mort" de ce joyau qui arrivera si vite que le peuple n'aura même pas le temps de pleurer, de se lamenter comme fit Ezéchiel sur son épouse ! Le temple, avec l'arche, était le signe de l'Alliance scellée entre Dieu et son peuple !

Cependant, comme Jérémie, Ezéchiel prédit qu’après la catastrophe, il y aura une restauration ; mais cette restauration, il la conçoit, du fond de son exil, comme une restructuration des tribus autour de la présence divine revenue dans son Temple. Chaque tribu, chaque personne au sein de la tribu à laquelle il appartient, n’a d’autre raison d’exister que par référence à cette présence centrale de Dieu dans le temple reconstruit. Avec au centre du dispositif le lévite qui chante comme dans le psaume 16ème : "Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi... Je bénis le Seigneur qui s'est fait mon conseil... J'ai mis le Seigneur devant moi sans relâche. Aussi, mon cœur exulte ; car tu ne peux abandonner mon âme au shéol, tu ne peux laisser ton ami voir la fosse. Tu m'apprendras le chemin de vie ; devant ta face, plénitude de joie, en ta droite, délices éternelles". Le Temple est joie de la présence de Dieu ! C'est ce qu'avait prédit Ezéchiel : "Fils d’homme, c’est l’emplacement de mon trône, c’est là que j’habiterai, au milieu des fils d’Israël pour toujours !" 

Lundi dernier, nous avons entendu l’Edit libérateur de Cyrus en 538. Et on a pu remarquer que le Temple est au centre de ce document : "Ainsi parle Cyrus, roi de Perse : Seigneur, le Dieu du ciel, m'a remis tous les royaumes de la terre, c'est lui qui m'a chargé de lui bâtir un Temple à Jérusalem, en Juda. Quiconque, parmi vous, fait partie de son peuple, que son Dieu soit avec lui ! Qu'il monte à Jérusalem, en Juda, et bâtisse le Temple du Seigneur, le Dieu d'Israël ; c'est le Dieu qui est à Jérusalem". (Esd 1.2-3) 

En fait, ce fut une petite minorité des captifs qui revint, une trentaine de mille, en convois successifs entre 537 et 522.
L’exil avait été pour certains assez confortable. Et on avait suivi le conseil de Jérémie : Si l’exil ne devait durer que soixante-dix ans, il fallait néanmoins s'organiser et s’investir : "Ainsi parle le Seigneur à tous les exilés à Babylone. Bâtissez ; installez-vous ; plantez... ; mangez... ; prenez femme et engendrez des fils et des filles... Multipliez-vous là-bas, ne diminuez pas ! ...". (Jr 29.4-8)
Beaucoup, selon Flavius Josèphe restèrent en Babylonie "pour ne point perdre leurs biens". Certains captifs avaient bien prospéré. Ils tenaient à leurs biens immobiliers, à leurs situations acquises, à leurs fonds de commerce. Quelques-uns étaient devenus des banquiers à la réputation mondiale.

Quant aux fervents qui revenaient, ils se trouvaient, une fois sur place, en prise à de grandes difficultés. Ils trouvèrent leurs champs et leurs maisons occupés par des Israélites restés dans le pays, voire par des étrangers (Edomites, Moabites… etc.). Les récoltes étaient atteintes par diverses maladies... Les armées de Cambyse, successeur de Cyrus, avaient traversé le pays pour combattre l’Egypte. Il y avait eu des corvées, des réquisitions.
Il semble cependant que le culte reprit sur l’emplacement du temple, avant même sa reconstruction, dès l’arrivée des premiers immigrants en 538. Mais, une fois les premières pierres posées, les difficultés se multiplièrent au point de délaisser la reconstruction du Temple. La ferveur primitive fit place à un matérialisme pratique. De plus, par fierté, on refusa l’aide proposée par les Samaritains. C'est l'une des raisons de l’hostilité des Samaritains au temps de Jésus : on ne traversait pas la Samarie sans mettre sa sécurité en question.

Bref, le zèle pour la reconstruction du Temple était près de s’éteindre, lorsque, sous le règne de Darius, entre 522 et 485, malgré des tas d’intrigues politiques qu’il fallut surmonter, une nouvelle arrivée de Juifs venant de Babylone réveilla le zèle et la ferveur pour le Temple. C’est à cette époque qu’interviennent surtout Aggée et Zacharie. Ils provoquèrent un réveil, firent repasser au premier plan la motivation principale : la reconstruction du Temple. En quatre ans et six mois, le Temple fut achevé.
La réalisation était cependant assez dérisoire par rapport au Temple détruit en 586 ; et les vieillards qui assistèrent à la Dédicace pleuraient en évoquant les souvenirs qu’ils avaient gardés du premier Temple, celui de Salomon.

Le Temple, que connut Jésus, était une des sept merveilles du monde : mais, Hérode le Grand avait pris la précaution, par ses travaux d’aménagement, de bien souligner la continuité avec la construction au temps du retour d'exil. C'était toujours le deuxième Temple jusqu’à sa destruction par Titus en 70.
Ce qu’il faut cependant bien souligner, c’est que, au temps de Jésus, derrière le rideau qui se trouvait à l’entrée de la partie la plus sacrée, il n’y avait qu’un espace vide, un espace appelé à être comblé ! L’arche avait disparu. Des légendes qui circulaient à ce sujet, la plus célèbre, la seule méritant attention, est celle qui relate l'action de Jérémie : il aurait caché l'arche au moment de l'exil... Et l'on aurait perdu cette cache... ! (Cf. 2 Ma 2).

Cependant retenons l'essentiel du rôle du temple :
Un signe d'alliance entre Dieu et le peuple !
Un signe de la présence de Dieu parmi son peuple !
Et un vide dans le Temple demandant à être comblé !

"Et le Verbe s'est fait chair !".
Mais - notons-le bien - après plus de cinq siècles !
De la construction de ce deuxième temple à l’avènement du Christ, cinq siècles s’écoulent. Cinq siècles ! C'est énorme !

Et, dans la Bible, de ces cinq siècles, on n’a presque rien ; rien entre l’époque du retour et le livre des Macchabées. "On dirait, a dit l'historien Daniel Rops, "que les rédacteurs bibliques ont voulu marquer, par ce silence, qu’en ces années d’attente, il faille considérer, plutôt que les évènements, la vie intérieure du peuple élu !".

Et quel contraste avec le monde environnant. L'empire perse. Les conquêtes d’Alexandre, l’Empire hellénistique, Rome à l’horizon… !
Au milieu de tout cela, Israël est comme un petit îlot de certitudes qu’il préserve dans une résistance farouche, comme le souligne, par exemple, le livre d'Esther : "Aman put en effet constater que Mardochée ne fléchissait pas le genou devant lui ni ne se prosternait !" (Est 3.5)

C’est dans ce silence de cinq siècles que la Bible a pris la forme dans laquelle nous la possédons actuellement, l’héritage le plus précieux que nous avons sans cesse à découvrir et redécouvrir.

Du 5e au 1er siècle (av. J.C.), se poursuit cependant un grand travail rédactionnel en Babylonie, à Jérusalem, à Alexandrie. De ce travail de méditation se dégage le caractère progressif d’un enseignement divin. Dieu éduque son peuple élu, et, à travers lui, toute l’humanité. Non pas une légende théologique, mais, une méditation sur le vécu de l’histoire dans une perspective surnaturelle. Un "vide", une attente qui doivent être comblés !
"Et le Verbe s'est fait chair !".

On ne méditera jamais assez sur ce contraste d’une petite communauté, un "reste" pour parler comme les prophètes, et la fermentation qu’il crée dans l’univers. Un reste qui va se rétrécissant jusqu’à ce que tout s’accomplisse dans la Personne du Verbe Incarné, mort et ressuscité, en qui le monde entier est appelé à se récapituler, lui qui devient "véritable temple", lorsqu'à sa mort, le rideau de l'ancien temple se déchire !

mercredi 25 septembre 2013

Identité et ouverture

25e  T.O. Mercredi  T.O. 13                 (Esd 9, 5-9)

Notre lecture d'aujourd'hui est la fin du livre d’Esdras. Elle nous donne un magnifique exemple de prière pénitentielle - personnelle ou collective - : "Mon Dieu, j'ai trop de honte et de confusion... Nos crimes se sont multipliés jusqu'à dépasser nos têtes... Nous sommes grandement coupables...".

Mais pourquoi tant de culpabilité de la part d'Esdras ? Les motifs nous sont donnés dans les versets qui précèdent notre lecture :
« Les chefs m'abordèrent en disant : "Le peuple d'Israël, les prêtres et les lévites n'ont point rompu avec les peuples des pays plongés dans leurs abominations - Cananéens, Hittites, Perizzites, Jébuséens... etc..., - ! Mais, pour eux et pour leurs fils, ils ont pris femmes parmi leurs filles : la race sainte s'est mêlée aux peuples des pays ; chefs et magistrats, les premiers, ont participé à cette infidélité !" A cette nouvelle, je déchirai mon vêtement et mon manteau, m'arrachai les cheveux..., et m'assis accablé... A l'oblation du soir, je sortis de ma prostration ; vêtement et manteau déchirés, je tombai à genoux, étendis les mains vers le Seigneur, mon Dieu » (Esd 9, 1-5)

Ce qui accable la conscience d’Esdras et des exilés revenus de Babylone pour reconstruire le Temple, ce qui les accable, c’est le fait que le peuple de Dieu a perdu ce qu’il considérait alors comme son "identité" de peuple élu : "La race sainte s’est mêlée aux peuples du pays !". Les mariages mixtes se multipliant, le peuple est devenu vulnérable à l’idolâtrie, les femmes étrangères ayant la spécialité d’entraîner leur mari vers les dieux qui sont les leurs.
L’exemple le plus célèbre fut le roi Salomon en sa vieillesse. Il eut beaucoup d'épouses étrangères ; et ses nombreuses épouses…, est-il dit, "détournèrent son cœur vers d'autres dieux et son cœur ne fut plus tout entier à Dieu comme avait été celui de son père David". C'est ainsi que ce grand roi - mais dont la réputation fut grandement ternie à tout jamais - construisit pour ses épouses de nombreux temples dédiés aux dieux étrangers "sur la montagne à l'orient de Jérusalem". C'est ainsi que le Mont des Oliviers devint le "'Mont de l'abomination", le "Mont du scandale". (Cf I Rois 11)

Ce sentiment de culpabilité aboutit chez Esdras à une résolution totalement inhumaine, exprimée au chapitre suivant. On se réunit et on dit à Esdras : "Nous avons trahi notre Dieu en épousant des femmes étrangères, prises parmi les peuples du pays. Eh bien ! Nous allons prendre devant notre Dieu l'engagement solennel de renvoyer toutes nos femmes étrangères et les enfants qui en sont nés...

Par la suite, on voit comment Dieu lui-même s’occupe de tempérer fortement ce zèle intempestif. La scène devait se dérouler à l'époque des pluies. Et Dieu fit pleuvoir à verse sur l’assemblée qui décide de surseoir à l’exécution des décisions prises. (Esd 10, 12-13) 

Je pense qu’il était bon de rappeler ce contexte de la cérémonie pénitentielle d’Esdras. Le livre d’Esdras fait partie du Canon des livres que l’Eglise reconnaît comme "inspirés". Mais, elle reconnaît aussi comme "inspirés" d’autres livres qui ont été écrits à la même époque, et qui reflètent une tendance, ne disons pas opposée mais complémentaire. Des livres attachés, autant que celui d’Esdras, à la conservation de l’identité du peuple élu dans son intégralité, mais qui n’éprouvaient pas, pour autant, le besoin de prescrire, pour préserver cette intégrité, des mesures brutales et qui frisent l’inhumanité. (Et ne jugeons pas trop vite : notre histoire, l'histoire actuelle recèlent des sentiments et conduites similaires !)

Il y a d'autres livres... écrits ou modifiés à la même époque : par exemple, le livre de Ruth, la Moabite, l’étrangère ; ce livre reflète l’époque des Juges et illustre la loi du lévirat. Mais, à l’époque d’Esdras, a été rajoutée la généalogie qui termine le livre, une généalogie qui marque une ouverture universaliste et prophétique. La Bible de Jérusalem commente : "L’addition de cette généalogie (postérieure, au temps d’Esdras) diffère totalement des données du livre (la loi du lévirat et le dévouement de Ruth). Un autre enseignement se dégage : Ruth, l’étrangère, devient l’aïeule de David et, par lui, du Christ". St Matthieu, à la charnière de l’Ancien et du Nouveau Testament, reprend cette ouverture universaliste dans sa généalogie du Christ.

Le livre de Jonas - très universaliste - est également de la même époque. Quand Jésus dit : "Vous n’aurez pas d’autre signe que le signe de Jonas", il passe sur "l’autre rive" c'est-à-dire chez les païens. Il parle de Naaman, le Syrien. Le "signe de Jonas" manifeste grandement une ouverture du "Royaume de Dieu" pour tous les hommes. Jésus, en citant ce livre, manifeste une universalité extraordinaire.

Que conclure alors du livre d'Esdras. Ce livre marque une progression vers un esprit d'universalité qu'il nous faut suivre nous-mêmes :
- Quand le peuple d'Israël arrive en "Terre promise", il pratique facilement l'anathème, n'ayant pas encore d'autres moyens de garder sa consistance personnelle de "Peuple de Dieu" au milieu de l'abomination des peuples idolâtres qui l'entourent.
- Quand le peuple revient d'exil, on ne pratique plus l'anathème (on en a plus les moyens d'ailleurs), mais on renvoie femmes étrangères et leurs enfants. C'est encore très inhumain.
- Et pourtant à la même époque, une grande sensibilité universaliste se dégage. Une sensibilité qui permettra à St Matthieu d'affirmer - dans sa généalogie - que le Christ, le Messie est issu de femmes étrangères ! (Ruth - Bethsabée, la mère de Salomon...).
- Aussi Jésus lui-même affirmera fortement l'universalité du Royaume de Dieu qu'il annonçait et instaurait.
- Et St Paul, cet ancien "pharisien, fils de pharisien" partira répondre à l'attente des "païens", de tous les "païens" sans exception. Il ira jusqu'à dire : "Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu !".

Il y a une telle puissance d'intégration dans le Christ, une puissance telle que normalement un chrétien ne doit avoir aucune pusillanimité devant tout ce qui lui est proposé au nom de l'art, de la science et de tout ce que vous voudrez. Mais encore faut-il qu'avec le Christ il ait une personnalité, une consistance chrétienne capable d'intégration.
C'est bien là toute la question, le seul problème : avoir assez de consistance dans l'"être chrétien" pour pouvoir accueillir et tout intégrer en vue du Royaume de Dieu. Vouloir tout intégrer sans cette consistance conduit souvent à un désastre.
Aujourd'hui, on parle beaucoup de Robert Schumann, un des pères de l'"Europe" (son procès de béatification est en cours). Son action politique fut totalement inspirée par sa foi chrétienne, sa vie avec le Christ ! C'est un exemple !

Le chrétien risque toujours d'être, dans le monde, complètement disloqué par tout ce qui est offert, à droite, à gauche, devant, derrière. Plus urgente alors apparaît la nécessité de la retraite, de la prière pour sans cesse retrouver la consistance de notre union au Christ qui nous permet alors d'accueillir, d'intégrer et d'unir : "Père, priait Jésus, qu'ils soient un, comme toi et moi nous sommes un !".

Et les monastères doivent pouvoir, normalement, offrir des lieux de forte identité chrétienne et d'ouverture tout à la fois, à l'exemple de notre Sauveur !

lundi 23 septembre 2013

Exil et retour

25e Lundi  T.O. 13/C                  (Esd 1, 1-6)

Soixante-dix ans après la ruine de Jérusalem, Cyrus de Perse, ayant pris le pouvoir, l’exil de Babylone prit fin pour le peuple juif, comme Jérémie l’avait prédit :
"Ainsi parle Le Seigneur : Puisque vous n'avez pas écouté mes paroles, voici que j'envoie chercher toutes les familles du Nord - autour de Nabuchodonosor roi de Babylone - ; et je les amènerai contre ce pays et ses habitants ...  ; Je ferai disparaître chez eux les cris de joie et d'allégresse, les appels du fiancé et de la fiancée, le bruit des deux meules et la lumière de la lampe. Tout ce pays sera réduit en ruine... Ils seront asservis au roi de Babylone pendant soixante-dix ans.
Mais quand seront accomplis les soixante-dix ans, je visiterai le roi de Babylone et cette nation ..., pour en faire une désolation éternelle". etc...  (Jr 25, 8-13)

Ce retour de Babylone à Jérusalem fut regardé, dans la Bible, comme un second exode, semblable à celui qui avait fait sortir le peuple élu de l’esclavage d’Egypte pour le faire entrer en "Terre Promise".

Toute l’Histoire Sainte, finalement, est perçue sur cette alternance d’"exil et de retour", toute l’histoire sainte ; notre propre histoire se déroule sur ce rythme.

Créés à l’image de Dieu pour être en voyage vers Lui, nous sommes partis comme l’enfant prodigue dans les terres lointaines, dans l’exil de la dissemblance ; et il nous faut, comme lui, faire, une "Téshouva"תשׁובה - un "retour" (réponse, réplique).

Dans quelques jours, en Israël, le Schofar, la trompette du Nouvel An juif, va inviter le peuple à ce "retour" vers Dieu, à cette "Téshouva", par une purification qui doit permettre de reprendre la route que Dieu nous a proposée en nous créant à son image et ressemblance.

Ce rythme d’"exil et de retour" est allé crescendo dans le temps au long de l’histoire. La sortie d’Egypte n’est que l’archétype des délivrances que le Dieu Vivant, le Dieu des délivrances, ce Dieu qui a les issues de la mort, va opérer jusqu’à ce que la Passion et la Résurrection du Christ, accomplissant les Ecritures, mette un accord final à cette grande symphonie dans laquelle nous sommes tous engagés. L’histoire ne fait que se répéter mais en progressant.

Et, au cours de l’histoire, on voit ce rythme d’"exil et de retour", passer peu à peu, de la géographie à la morale.

Quand le peuple élu entre en Terre Promise, il a été averti par Moïse qu’il n’y entrait que pour accomplir la Loi et devenir ainsi la "Lumière des nations". S’il garde son identité, le Dieu Vivant demeurera "dans le Lieu"
("haMakom", selon l'expérience de Jacob : "Dieu est dans "le Lieu" ; et je ne le savais pas" - Gen. 28.16)...,
le Dieu Vivant demeurera dans le Temple bâti au "Lieu que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom", Jérusalem.

Si le peuple élu est infidèle, si son cœur s’éloigne de Dieu, il n’a plus de raison d’habiter ce "Lieu", ce "Temple", cette "Terre promise". Il part en exil et la terre est la proie des envahisseurs. Et selon Ezéchiel surtout, Dieu Lui-même part en exil.

L’exil se réalise selon trois dimensions : Le cœur du peuple s’éloigne de Dieu. - Le peuple est alors déraciné du "Lieu", de la "Terre promise". - Et Dieu lui-même quitte son Temple.

En sens inverse, le retour se réalise aussi en trois dimensions : - Le cœur du peuple se retourne vers Dieu, du fond de l’exil. - Le peuple, alors, peut revenir au "Lieu" que Dieu a choisi, en "Terre Promise" ; - et Dieu revient habiter dans son Temple.

Mais, à la "plénitude des temps", avec la venue du Christ, c’est le sens spirituel qui l’emporte sur le sens géographique.
Jean-Baptiste reprend bien le langage des "exils et des retours"... "Je suis la voix de celui qui crie : dans le désert rendez droit le chemin du Seigneur, comme a dit Isaïe, le prophète" (Jn 1,23). "Que les collines s’abaissent, que les vallées s’élèvent" (Is. 40.4 - Lc 3.5)... Dieu revient avec son peuple...!
Mais quand le peuple interroge Jean Baptiste sur le sens profond de ce langage du retour d’exil qu’il reprend aux prophètes qui l’ont précédé, il transpose dans sa réponse la géographie en morale.
"Et les foules l'interrogeaient : "Que faut-il donc faire ?".  Il leur répondait : "Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n'en a pas, et que celui qui a de quoi manger fasse de même". Des publicains aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent : "Maître, que nous faut-il faire ?". Il leur dit : "N'exigez rien au-delà de ce qui vous est prescrit". Des soldats aussi l'interrogeaient, en disant : "Et nous, que nous faut-il faire ?". Il leur dit : "Ne molestez personne, n'extorquez rien, et contentez-vous de votre solde". (Lc 3, 10-14).

Aussi, nous-mêmes réfléchissons, méditons :
Le Christ est sorti d'auprès du Père - "Je suis sorti du Père, disait-il, et je viens dans le monde !" (Jn 16.28 ; Cf. 8.42 ; 13.3 ; 16.27) - Et ayant pris sur lui les péchés du monde, après avoir réalisé en son humanité l'Alliance éternelle entre Dieu et l'homme, il est "retourné" vers "son Père" devenu, grâce à lui, "Notre Père" (Jn 20.17 ; Cf. 13.3 ; 7.34-35 ; 16.28). Il a fait sa "Téshouva", son "retour" vers le Père !

Mais il ne veut pas être seul dans ce "retour" vers Dieu. Il priait : "Père, je veux - c'est la seule fois dans les évangiles où Jésus s'adresse à son Père en lui disant : "Je veux..." !) - Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée...!" (Jn 17.24). Il est devenu la "Tête" de ce "Corps" qui est un "Temple nouveau" - "Il parlait du temple de son Corps" (Jn 2.21) - qu'est l'Eglise, ce nouveau "HaMakom", le "Lieu" de la présence divine, le "'Lieu'" que Dieu a choisi pour y faire habiter son Nom !".

Oui, nous sommes désormais les membres de son Corps. Et nous sommes en marche vers le "Lieu", le "HaMakom" éternel, la Cité dont "Dieu seul est l'architecte et le fondateur" (Heb 11.10).

Et en marche vers cette demeure éternelle, nous attendons la venue du Seigneur comme les anges de son "retour" vers le Père nous l'ont annoncée : "Ce Jésus qui vous a été enlevé pour le ciel viendra de la même manière que vous l'avez vous s'en aller vers le ciel" (Ac. 1.11).
Il reviendra nous prendre avec Lui, parfaire pour chacun de nous et pour son Corps tout entier la "Teshouva", le "retour" plénier du pays de la dissemblance au pays de la ressemblance. "Nous le savons, dit St Jean, lorsqu'il paraîtra, nous lui serons semblables puisque nous le verrons tel qu'il est !" - "esometha" - "opsometha", dit l'apôtre dans un jeu de mots : nous serons (semblables) parce que nous verrons !


Entre l’exil et le retour, le peuple de Dieu, l'Eglise vit dans la foi, l’Espérance et l'Amour divin. C'est sa position d’attente pour ce grand "retour" de notre exil !

dimanche 22 septembre 2013

La richesse !

25e Dimanche T.O. 13/C              

Comme chacun d'entre nous, Jésus a eu à faire avec l'argent.

D'abord, il en a eu besoin : il a donc accepté d'en recevoir d'un groupe de femmes qui le suivaient partout (Lc 8/3 : Jeanne, femme de Chouza, intendant d'Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens).
Il en a aussi distribué en aumônes, par la main de son intendant attitré que semble avoir été Judas (Jn 13/29 : Comme Judas tenait la bourse...).
Un jour, il a même voulu faire un miracle pour payer l'impôt au fisc impérial (Cf. Mt 17/26).
A ses yeux, l'argent, en soi, n'était pas un péché. Ni plus, ni moins.

Mais comme chacun de nous aussi, Jésus a expérimenté le caractère ambigu de l'argent.
Il avait tout de suite discerné que les deux sous de la pauvre veuve pouvait valoir infiniment plus que les espèces sonnantes de quelques riches orgueilleux (Mc 12/43).
Bien plus, l’annonce du Royaume de Dieu s’était, en quelque sorte, heurté au mur de l'argent : le mur qui s’était dressé entre lui et le jeune homme riche, au moment où il l'avait appelé à le suivre sans conditions (Lc 18/23).
Jésus finira lui-même par succomber à cause de l'argent, victime de la cupidité de l'un de ses propres disciples, de celui-là justement qui avait à gérer l'argent du petit groupe des disciples, qui avait trahi par cupidité, pour trente deniers (Mt 26/15).

De cette ambiguïté foncière de l'argent, Jésus a gardé à la fois de bons et de mauvais souvenirs ; ces souvenirs se reflètent aujourd’hui dans l'évangile.

Il y a d'abord la parabole de l'intendant. Cet intendant est plus avisé que malhonnête, Quoique, bien sûr…
Il faut dire que les règles économiques au temps de Jésus n'étaient pas les nôtres. Un régisseur devait au propriétaire du domaine une somme forfaitaire annuelle, le surplus de la production lui revenant comme salaire.
Mais il y avait des malins, comme l'intendant de notre parabole sans doute qui, aujourd'hui encore, a de nombreux émules. Négligeant probablement l'entretien des biens immobiliers, faisant, par exemple, des coupes de bois sans les remplacer, ou ne respectant pas les assolements nécessaires... etc., sa marge de bénéfice était ainsi largement augmentée. Et puis il avait peut-être encore présenter des factures surévaluées - c'est toujours d'actualités -, et que sais-je encore...
En tous les cas, le maître du domaine pouvait être inquiet de ces manières de faire blâmables mais peu contrôlables, tout en étant probablement fort agacé de voir son régisseur devenir aussi riche que lui-même. Aussi s’apprête-t-il à le congédier.

Apprenant cela, cet intendant réduit spectaculairement sa marge de bénéfices afin de mieux assurer son avenir. Il s’assure, en quelque sorte, les bonnes grâces de certains débiteurs, pour le moment de sa disgrâce. Il est beaucoup plus habile, finalement, que foncièrement malhonnête. Voilà pourquoi Jésus loue cet intendant peu délicat pour engager ses disciples à être aussi rapides et intelligents en vue d’acquérir un autre trésor, celui du Royaume de Dieu : “Faites-vous des amis avec le malhonnête argent afin qu'au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous reçoivent dans les tentes éternelles”.

Et Jésus semble insister : la situation est urgente, ne restez pas assis entre deux chaises, et dépêchez-vous de prendre les moyens pour entrer dans le Royaume de Dieu qui est là, imminent. Soyez aussi malins et rapides que ce Monsieur dont on a tant parlé !

Et il continue par une phrase un peu pessimiste : “Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière”. Et puisqu'il s'agit de richesses - quelles qu'elles soient -, c'est le moment de s'apercevoir qu'on n'entre pas encombré dans le Royaume de Dieu : il faut faire le pas et partager généreusement. C'est la vraie manière de gérer toute richesse et d'être digne de confiance pour Dieu.

Oui, finalement, aux yeux de Jésus, il n'y a qu'une seule façon de racheter, de sauver l'argent : c'est de le partager.
Jésus n'est dur que pour ceux qui se font les serviteurs et les esclaves de l'argent, ceux qui l'amoncellent pour eux seuls. Il en a si souvent fait l'expérience : l'argent peut facilement devenir un mur non seulement entre les hommes eux-mêmes, mais encore entre Dieu et les hommes. Or, “nul serviteur ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent”.
Tôt ou tard, un choix s'impose, pour que l'argent puisse fructifier en vue de Dieu et en vie éternelle : “Vendez vos biens, dit Jésus en un autre endroit, et donnez-les en aumônes. Faites-vous des bourses qui ne s'usent pas, un trésor qui ne vous fera pas défaut dans les cieux, où ni voleur n'approche, ni mite ne détruit”. Et Jésus ajoute : “Car, où est votre trésor, là aussi sera votre cœur” (Mt 6/19-21).

Cette dernière précision citée par St Matthieu lève l'embarrassante ambiguïté qui s'attache à l'argent. Dans ce domaine (comme en bien d'autres), tout est finalement affaire de cœur : “Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur”. C'est comme si, par le biais de l'argent, de cet argent dont chacun de nous dispose, Jésus nous interrogeait : “Mais où donc est ton vrai trésor? Où donc est ton cœur ? Qu'as-tu choisi en vérité ? Et si tu penses m'avoir choisi, moi, jusqu'où va ton choix ?”.

Et si la parabole parle d'argent, nous savons très bien - car nous sommes quand même assez intelligents - qu'il y a d'autres richesses, même modestes, - matérielles, intellectuelles, humaines, spirituelles..., richesses de profession ou de fonction... - qui nous sont confiées et que l'on peut accaparer pour soi sans se poser le moins du monde la question de les partager. Une profession est une richesse ; une fonction - même très modeste - est une richesse, richesse que l'on peut accaparer égoïstement, orgueilleusement ou richesse en vue du bien de ceux, de celles pour qui ces professions-fonctions ont été instituées...

Rien d'étonnant alors si Jésus fait du renoncement à ce que l'on possède pour, en principe, un meilleur partage, une meilleure entraide fraternelle, la condition pour être véritablement son disciple. Tôt ou tard, Jésus nous demande ce partage, celui de nos biens matériels, spirituels, sociaux, ecclésiaux, sous une forme ou une autre. Tôt ou tard ! Et uniquement par amour pour lui, pour Dieu ! Parce que, en dehors de lui, nous n'aurons alors plus d'autre trésor.

En rassemblant ici des paroles que Jésus a sans doute prononcées en des occasions diverses, St Luc les faufile subtilement sur les thèmes de l'argent, de la confiance, du partage, du service exclusif d'un maître. D'où l'impression que le régisseur dont il est question est proposé tantôt comme un modèle, tantôt comme un malhonnête gredin.

C’est que Luc veut illustrer une seule idée : pour suivre Jésus, il faut être libre, libre par rapport à l'argent, à toute richesse, à toute puissance et richesses quelconques. Il faut les distribuer, les partager entre frères d’un même Père, celui des cieux. Et si "Notre Père" des cieux est Maître d'un Royaume, il veut nous le donner en héritage. Ainsi, il ne s'agit pas tant d'être le maître d'un domaine que d'être père. Et, à l'exemple de notre "Père des cieux, un vrai père n'est pas un maître orgueilleusement égoïste ! En notre temps, me semble-t-il, le pape François en donne un fort témoignage !