samedi 30 mars 2013

Baptême et Eucharistie


Pâques 2013

Avec tous mes vœux de Sainte fête de Pâques
pour tous et chacun !



Après cette nuit sainte où l'Eglise nous a invités à revivre l'histoire du Salut, avec Abraham, Moïse... les prophètes,
en cette solennité de Pâques en union avec les apôtres, les martyrs,... et tous nos ancêtres qui nous ont légué la foi en Jésus toujours vivant!,
il nous est bon de méditer sur les deux grands sacrements chrétiens : le Baptême et l'Eucharistie,
issus tous les deux du mystère pascal,
issus tous les deux de la mort et de la résurrection du Christ,
ces sacrements que rappelle toute la liturgie pascale.

St Jean avait bien compris cela lui qui note que du côté du Christ jaillirent l’eau et le sang : l’eau purificatrice du baptême et le sang du sacrifice que réactualise toute Eucharistie.
Le Baptême et l'Eucharistie !
L'un et l'autre nous associent au mystère pascal de la mort et de résurrection du Christ pour avoir part à sa Vie.
L'un et l'autre ont un caractère communautaire.
L'un et l'autre sont des sacrements, c'est‑à‑dire des signes qui réalisent en nous l’action de Dieu.

1. Le Baptême et l'Eucharistie nous associent déjà, par la mort et la résurrection du Christ, à sa Vie divine.
- Oui, le baptême est une initiation à la mort et à la résurrection du Christ : il marque le passage (Pâques) du péché - qui est une mort à Dieu, source de toute vie - à la vie divine, et cela par conformité au Christ mort pour nos péchés mais toujours vivant et qui donne Vie, qui veut vivre en nous !
- Et l'Eucharistie est un mémorial (une ré-actualisation) de la mort et de la résurrection : nous acceptons dans la foi notre condition mortelle pour toujours ressusciter, à travers nos croix quotidiennes, à la travers la mort elle-même, grâce au pain d'immortalité, Pain de Vie, viatique pour l'éternité !

St Jean surtout a bien compris ce lien entre
le baptême qui donne déjà Vie avec Dieu
et l’Eucharistie, Pain de Vie, pour les pèlerins que nous sommes.
Aussi met-il intentionnellement dans la bouche de Jésus les mêmes formules pour parler de ces deux sacrements qui sont nécessaires
pour entrer dans le Royaume de Dieu (par le baptême)
et pour participer à la Vie divine (par l’Eucharistie) :
* Il note que disait à Nicodème : "En vérité, je te le dis, personne à moins de naître de l'Eau et de l'Esprit ne peut entrer dans le Royaume de Dieu", en la Vie de Dieu (3/5).
* Et à la foule de Carpharnaüm : "En vérité, je vous le dis ; si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, c’est-à-dire si vous ne faites pas corps avec le Christ qui se rend présent par l’Eucharistie, vous n'aurez pas la Vie en vous" (6/53).

Sachons renouveler en nous cette force divine de résurrection qui nous a été donnée au baptême. Vivons de notre baptême !
Et que l'Eucharistie soit toujours pour nous une nourriture de vie éternelle, qui nous donne force pour avancer vers l'union à Dieu en même temps que vers l’union avec tous nos frères pour former un seul Corps : le Christ !


2. Car le Baptême et l'Eucharistie ont ce caractère communautaire.
Même si leur réception est individuelle, l'un et l'autre nous incorporent à l'Eglise, Corps du Christ : “L’Eglise, disait Bossuet, c’est Jésus Christ continué, communiqué et répandu à travers le temps et l’espace".
C’est surtout St Paul qui souligne cet aspect fondamental qui fut trop oublié dans les siècles récents et qui demeure encore malheureusement trop oublié.
* "Nous avons tous été baptisés en un seul Esprit pour ne former qu'un seul corps" (I Co. 12/13).
* "Puisqu'il n'y a qu'un seul pain, nous ne formons tous qu'un seul corps, car nous avons tous part à ce pain unique" (10/17).

Si le baptême fait revivre au catéchumène, une fois pour toutes, l'histoire du salut, dont le mystère pascal est le point culminant et qui rassemble tous les croyants,
l'Eucharistie l'intègre davantage, chaque fois qu'il communie, à cette communauté des croyants.

Si l'Eucharistie transforme le pain consacré en Corps du Christ auquel nous nous unissons de plus en plus,
le baptême transforme le corps du baptisé en membre du Christ.
Le pape S. Léon écrivait : "Celui qui est accueilli par le Christ et qui accueille le Christ n'est plus après le bain baptismal ce qu'il était avant ; car le baptisé devient le corps du Crucifié" du Christ glorifié. (Sermon XII sur la Passion).


 3. Enfin le Baptême et l'Eucharistie sont des sacrements, c'est‑à‑dire des signes qui réalisent l’action de Dieu.

La théologie sacramentaire, comme toute vraie théo­logie, doit être humble, audacieuse par sa foi plus que par les spéculations de sa raison. Devant tout signe de Dieu - sacrements ou miracles - notre raison défaille ou se révolte.
"Comment un homme peut‑il renaître quand il est vieux?", demande ingénument Nicodème à Jésus lors de la première leçon de catéchisme sur le baptême.
 "Comment cet homme peut‑il nous donner sa chair à manger ?", demandent les Juifs à Jésus lors du premier sermon sur l'Eucharistie.

Il s'agit bien pourtant de signes
qui réalisent l'union de l'homme à Dieu par le Christ mort et réssuscité,
qui nous unissent à lui par la baptême,
qui nous assimilent à lui par l'Eucharistie,
en attendant l'union glorieuse du ciel.
Par Lui, avec Lui, en Lui. Et avec tous nos frères !

Que ces sacrements sont beaux et grands ! Certes, ils nous dépassent, comme Dieu lui-même nous dépasse ! Et ils seront toujours un appel à faire mourir en nous ce qui n'est pas divinisable ; et ce consentement à la mort de ce qui en nous n'est pas divinisable sera toujours une épreuve pour la raison qui se refuse au renonce­ment.
Mais, "il n'est rien de plus conforme à la raison que ce désaveu de la raison" (Pascal).

Une fois admis ces signes de l’action de Dieu en nous, ces signes du baptême et de l'Eucharistie,
une fois accomplie dans la confiance la démarche que chacun d'eux comporte,
il n'est plus que d'être fidèle à l’engagement qu’ils imposent : s’efforcer de vivre de la Vie du Christ et du Christ glorifié, toujours vivant !

vendredi 29 mars 2013

La Passion !


V E N D R E D I - S A I N T    2013

La croix de Jésus-Christ restera toujours pour nous un grand étonnement. Dieu vient chez ses enfants pour les sauver, et ses enfants le mettent à mort...  Acte scandaleux, incompréhensible.
Et voici que Dieu pose un autre acte encore plus étonnant : il fait de cette mort de son Fils sur la croix la source de notre vie nouvelle, l'acte même de notre salut.

Nous sommes des hommes et nous réfléchissons comme des hommes. Nous aurions dû penser qu'après avoir mis à mort son Fils, nous allions être obligés de nous cacher de notre Père. Et c'est Lui qui ressuscite son Fils pour qu'il vienne nous dire : "La Paix soit avec vous !".  Notre prière de ce soir peut être d'abord une contemplation de l'amour incompréhensible de notre Dieu.

Il n'en reste pas moins que nous refusons de nous sentir engagés dans cette passion du Christ : elle s'est passée il y a deux mille ans, dans un pays qui n'est pas le nôtre... En fait, nous nous consolons en pensant plus ou moins consciemment que nous sommes bien étrangers à la condamnation de Jésus. En sommes nous si certains ?

Vraisemblablement nous n'aurions pas osé voter la condamnation à mort de Jésus : nous n'aurions pas été jusqu'à prendre une telle responsabilité. Condamner quelqu'un à mort, c'est une chose terrible : nous ne pouvons pas le faire... ! Mais peut-être que nous l'aurions laissé faire... ! Peut-être que nous aurions été occupés ailleurs à ce moment-là, ou que nous aurions pensé que cela ne nous concernait pas ; peut-être même que nous aurions trouvé l'excuse :  "Je ne l'ai pas su !".  - "C'est trop loin de nous, nous n'y pouvons rien !".  - ou bien encore : "Même si je dis quelque chose, cela ne changera rien !".

Pourtant, il y a aujourd'hui la passion d'un certain nombre d'innocents qui est plus subtile que la condamnation à mort par fusillade, pendaison ou torture : c'est la lente passion de ceux et celles qui meurent de faim, la souffrance physique ou morale d'un certain nombre de gens, peut-être proches de chez nous, qui arrivent à perdre toute espérance et qui trop souvent, hélas, se donnent eux-mêmes la mort. La croix du Christ n'est pas seulement un événement du passé. Beaucoup la revivent aujourd'hui. Ce sont tous ces "pauvres" dont parle facilement notre nouveau pape François !

Je sais bien : ce n'est pas parce que nous allons nous révolter en nous-mêmes que les choses vont changer et que les innocents seront libérés. Ce n'est pas parce que je vais dire quelque chose ou écrire une protestation que les droits fondamentaux des hommes vont être automatiquement respectés. Ce n'est pas parce que je vais donner quelque chose que la faim va être vaincue ! Mais s'habituer à une telle situation, c'est détruire en nous l'amour que Dieu a déposé en notre cœurs, c'est perdre notre vie de fils de Dieu, c'est détruire notre condition de frère.

S'il est exact que nous nous sentons démunis pour résoudre à brève échéance certains problèmes d'oppression et d'injustice, il existe néanmoins, à côté de moi, des croix que je peux éviter de faire porter aux autres, peut-être tout proches de moi. Ce qui nous manque souvent, c'est l'espérance : cette espérance qui est née de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Car, Jésus est mort pour que la mort soit vaincue ! Il a vécu sa passion pour que tous les hommes soient réconciliés avec Dieu et entre eux, pour que la paix et l'amour habitent notre terre.
Et c'est à nous, son peuple, qu'il demande d'être aujourd'hui témoins de cette espérance. Jésus-Christ est mort pour que l'homme vive !

Adorons le Christ en croix ! Prions!

jeudi 28 mars 2013

SERVIR !

Jeudi Saint 13/C             


Quand les mots ne suffisent pas pour manifester, exprimer l'amour, ils font place à des gestes sans paroles. Ce soir, la mémoire chrétienne se concentre sur un geste du Christ : “Jésus ayant aimé les siens, les aima jusqu'au bout. Se levant de table, il se mit à laver les pieds de ses disciples”. 

“Avez-vous compris ce que j’ai fait ?”, demandera-t-il. Il faut toute une vie pour comprendre ce que Jésus a fait ! ... Et comprendre au moins cela : c'est son testament. C'est important un testament. Ce sont ses dernières volontés, volontés de Jésus, Dieu fait homme ! 

Oui, le testament de Jésus, c'est le testament de Dieu. Et non point seulement un testament hautement spirituel..., des considérations hautement religieuses ! Non ! Laver les pieds de ses disciples, c’est le travail du serviteur ! Et c'est là le testament de Dieu fait homme ! 

Jésus l'avait déjà dit : “Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir ... Si quelqu'un veut être grand, qu'il soit serviteur”. Aussi, Jésus répète : “Si moi, le Seigneur et Maître, je vous ai lavé les pieds, vous devez, vous aussi, vous laver les pieds les uns aux autres”. Autrement dit, vous mettre en quatre pour servir ! 

Ce testament de Jésus est un peu à contre-courant des opinions habituelles. Car servir, dira-t-on, ce n'est pas très glorieux ! Non, ce n'est pas la gloire dans le sens de gloriole. 
Mais dans la langue de Jésus, le mot “gloire” signifie : “ce qui fait du poids”. - "Kabôd" : être lourd, avoir du poids - Eh bien ! Si nous voulons avoir une vie qui fasse le poids, il faut se mettre au service de nos frères. Le service des autres, cela doit faire le poids ! C'est tout le poids de nos frères en notre cœur ! C'est à ce poids que l'on peut évaluer la réussite de la vie. A la suite de Jésus qui a porté le poids de toute l'humanité pècheresse ! 
Peu ici, je pense, ont connu le P. Philippe Jobert, moine de Solesmes, décédé récemment. Il fut mon professeur de dogme ; et je pense que, très apprécié, il a marqué plusieurs générations d'étudiants. A la fin de sa vie, il n'enseignait plus officiellement ; il était facilement le "portier" du monastère. Et, un jour - d'après ce que m'a dit le P. Prieur lors de son passage ici - il affirma au cours d'une conversation : "Lorsque je paraîtrai devant le Seigneur, il ne me demandera pas si j'ai été un bon théologien ; il me demandera plutôt si j'ai bien accueilli tous ceux qui se présentaient à la porte de l'Abbaye !".

SERVIR ! Servir ses frères !
- ne pas desservir : il y a des gestes, des silences qui desservent…
- ne pas se servir : se servir des autres ou tout simplement ne pas se servir d'abord !
- servir tout simplement. Alors, il n'y a plus de journées creuses, vides, nulles... !

Croyons à la vie toute simple, au service tout simple, aux mille et mille gestes quotidiens tout simples, gestes de services de nos frères ! C'est ainsi que l'on peut avoir "une vie de poids" ! Avoir une vie de poids - une vie glorieuse (kabôd) - même s'il s'agit de l'existence très humble d'un moine, d'une moniale, cela consiste à remplir les gestes quotidiens les plus modestes, voire obscures, avec un souci d'amour, un souci de service de nos frères vers qui le Christ veut s'approcher comme il veut s'approcher de nous-mêmes !
Je crois que ce fut l'une des nervures de la sainteté de Ste Thérèse de Lisieux. Et Guy de Larigaudie n'hésitait pas à écrire : "Il est plus important de peler des pommes de terre avec amour que de construire des cathédrales !".

Il faut insister : Jésus a fini sa vie en tablier ! Alors, peu importe que l’on prenne le tablier de table ou celui de la cuisine ou celui du ménage, la tenue de l'infirmière ou la blouse de travail..., peu importe, pourvu que ce soit pour servir avec grand amour, cet amour du Christ qui, après avoir lavé les pieds de ses disciples, va donner sa vie pour nous tous ! Par amour !

Une dernière réflexion : Quel rapport y-a-t-il entre ce geste de Jésus et celui de l'institution de l'Eucharistie qui va suivre ? Rappelons au passage que le "lavement des pieds" du Jeudi-Saint fut longtemps considéré, dans les premiers siècles de l'Eglise, comme un sacrement ! Le lavement des pieds : un sacrement comme celui de l'Eucharistie ! Alors interrogeons surtout St Jean :
Pour lui, raconter le pain et le vin ou raconter le lavement des pieds, c'est tout un. Il s'agit toujours de donner sa vie. Apprendre à donner sa vie comme Jésus.
“Faites cela en mémoire de moi”, dit Jésus en levant pain et vin Faites-en autant !   -  “Je vous ai lavé les pieds pour que vous fassiez de même”.

Demandons aux disciples de tous les temps, aux Mère Térésa, Sr Emmanuelle, aux abbé Pierre… Ils savaient bien que celui qui a dit : “Ceci est mon corps” est le même qui a dit : “J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger”. Autrement dit, en bien des circonstances, vous m'avez accueilli, servi !
“Un jour, raconte le célèbre évêque du Brésil, Helder Camara, des fidèles me demandent de célébrer une messe de réparation, parce que, dans un village, des voleurs ont pillé l'église, ont cassé le tabernacle, emporté le ciboire, en jetant les hosties dans la boue. J’y suis allé, bien sûr et je leur ai dit : "Vous êtes horrifiés parce que le Corps du Christ a été jeté dans la boue ! Et vous avez raison. Mais n'oubliez pas qu'ici et ailleurs, le Corps du Christ est jeté dans la boue quand les plus pauvres, les plus petits sont écrasés, humiliés".

Le service religieux n'est désormais service de Dieu que s'il est service de l'homme. A une religieuse qui se plaignait de devoir rester près d'un malade au moment de la prière commune à la chapelle, St Vincent de Paul avait répliqué : "Ma sœur, il faut savoir parfois quitté Dieu pour Dieu !"

“Avez-vous compris ce que j'ai fait ?”, demandait Jésus.

mardi 26 mars 2013

Suivre le Christ !


Mardi Saint 2013                                                                        Jn 13.21sv

J'avoue aimer les chapitres qui traitent de la dernière "soirée" de Jésus avec ses disciples..., dont je vous ai entretenu déjà, probablement. Vous excuserez donc les répétitions ; mais parfois, souvent même - "bis repetita placet" ! (Il est heureux de répéter deux fois !)  Car, pour moi du moins, la mémoire est surtout une faculté qui oublie, trop !

Il faut donc situer notre évangile dans le contexte du "dernier repas" de Jésus. Ce repas avait commencé par un geste particulier, paradoxal de Jésus : il avait voulu laver les pieds de ses disciples, comme un serviteur... Pierre avait fortement protesté. Mais Jésus lui avait dit : "Si je ne lave pas les pieds, tu ne pourras avoir part avec moi !". Autrement dit, tu ne peux pas prétendre être mon disciple ! Aussi, Pierre de s'écrier : "Alors, pas seulement les pieds, mais aussi les mains, la tête !".

Brave Pierre ! Il a toujours des réactions spontanées, admirables mais qui excèdent parfois ses propres forces (Et c'est souvent notre cas également !). Il aime Jésus. Il veut être son disciple ! Et normalement, le disciple, c'est bien celui qui se met totalement au service de son Maître !
- Il l’aide en toutes circonstances jusqu’à lui défaire ses sandales. “Je ne suis pas digne de défaire les courroies de ses sandales“, disait Jean-Baptiste. C’est-à- dire : Je ne suis pas digne d’être son disciple.
- Le disciple est comme un serviteur. Le Maître lui dit : “Va“ ; et il va. Ne serait-ce que pour prévoir “le boire et le manger“, “faire les courses“, comme le souligne l’épisode de la Samaritaine…. - Ou bien, le Maître dit : “Viens“ ; et il vient. “Venez dans un endroit désert vous reposer“, dira un jour Jésus. Et les apôtres le suivront.
- Le disciple imite son Maître. Avec lui, les apôtres apprendront à prier, à chasser les démons, à annoncer le “Royaume de Dieu“ etc… Et déjà, Jésus leur disait certainement : “Ce que je fais, faites-le, vous aussi… !“.

Oui ! Le disciple suit son Maître partout, comme l’exprimera un jour un candidat : “je te suivrai partout où tu iras !“. Autrement dit, je veux être ton disciple !

Or, Jésus dit soudainement : “Là où je vais, vous ne pouvez pas venir !“. C’est la consternation. Le primordial commandement, pour un disciple, n’est-il pas justement de suivre son Maître ? C’est comme si Jésus, après avoir dit à chacun : “Suis-moi !“, après avoir entraîné ses apôtres à sa suite trois ans durant, leur disait : “Vous n’êtes plus dignes d’être mes disciples, puisque là où je vais, vous ne pouvez pas me suivre !“.

Alors, Pierre - toujours au nom de tous - demande, avec tristesse peut-être : “Mais où vas-tu ?“. Et Jésus de lui répondre : “Tu ne peux pas me suivre, maintenant… ; plus tard !“. Nous savons, nous, où Jésus se dirige ! Vers l’accomplissement de son mystère pascal, son passage de mort à vie ! Et les disciples ne sont pas prêts à ce même passage, évidemment ! Comme nous-mêmes, souvent !

Alors, Jésus ajoute avec affection sans doute : "Petits enfants, c'est pour peu de temps que je suis encore avec vous. Vous me chercherez, et comme je l'ai dit aux Juifs : où je vais, vous ne pouvez venir". Mais il précise : Ne vous inquiétez pas ! Voici "un commandement nouveau", un commandement de substitution, si l'on peut dire, à l’accomplissement duquel vous resterez mes disciples : “Aimez-vous les uns les autres !“. “Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples !“.

Vous restez disciples parfaits si vous vous aimez les uns les autres. Car lorsque vous aurez accompli ce nouveau commandement, alors, à ce moment-là, vous pourrez accomplir le premier, le primordial qui est de me suivre même là où je vais. Car “nul n’a d’amour plus grand que celui qui donne sa vie pour ceux qu’il aime !“ (Jn 15.13). Accomplissez ce commandement nouveau et vous trouverez le chemin pour accomplir le premier qui est de me suivre. Jésus, d’ailleurs, ne priait-il pas ainsi : “Père, je veux - c’est la seule fois dans l’évangile où Jésus dit : “Je veux“, en s’adressant à son Père-…, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient, eux aussi, avec moi…. Père, je leur ai fait connaître ton Nom afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux !(Jn 17.24-26).

Aimer ! Oui, mais aimer d'amour divin ! "Afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux...".
Car il faut savoir distinguer la charité fraternelle de l'affection que nous pouvons porter à un ami, estimé très légitimement à cause de sa bonté, de ses richesses... etc. Mais aimer nos frères humains, en tant que frères en humanité, sans que l'intention profonde de la volonté et le mouvement qu'elle imprime à nos amours soit Dieu Lui-même, cela n'est pas un acte de charité surnaturelle. C'est une affection naturelle et compréhensible, “l'égalité et la ressemblance constituant l'affection”, enseignait Aristote ! Et en ce domaine, il peut y avoir, il y a souvent acception de personnes ! Même entre chrétiens, entre religieux !
Différente de l'amitié naturelle, même vertueuse, la charité exige que nous aimions notre prochain pour Dieu, par Lui, en Lui, avec Lui.

Aimer ! Oui, mais Aimer d'amour divin ! C'est le seul moyen de suivre le Christ jusqu'au bout, jusque dans sa gloire divine à travers son mystère pascal !

Mais comme c'est difficile ! Difficile de donner sa vie par amour, de cet amour divin qui a poussé le Christ à livrer sa vie pour nous. Il y a tout un chemin semé d'embûches. Aussi, Jésus nous prévient comme il a prévenu son disciple : "Avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois !". Mais c'est de chute en chute que l'on arrive à monter, que l'on arrive finalement à aimer comme le Christ, comme Dieu nous aime !
Pierre le comprendra. Après sa résurrection, Jésus lui demande : "Pierre, m'aimes-tu ?". Et lui de répondre : "Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime !". Mais Jésus de lui préciser : Alors, "pais mes brebis !" (Cf. Jn 21.17sv). Aime, conduis tout homme vers Dieu, à accueillir l'Amour de Dieu. Et cela même au prix de ta vie. Et l'on sait comment Pierre donnera sa vie à la fois pour son Seigneur et pour ses frères, tant l'amour de Dieu est inséparable de l'amour de l'homme !

Il n'y a qu'un commentaire à faire que St Jean lui-même répétait à la fin de sa vie : Aimer et aimer encore ! Mais aimer non pas d'un amour purement sensible, affectif, comme Pierre le Jeudi-Saint, mais d'un amour divin qui nous fait entendre la parole de Jésus : "Pais mes brebis". Prends soin d'elles jusqu'au don de ta vie s'il le faut... ! 

dimanche 24 mars 2013

Passion selon S. Luc


Dimanche des Rameaux et de la Passion de Notre Seigneur !      Luc. 22 ...

Quelques réflexions seulement aujourd'hui !

- Dans son discours d'adieu, Jésus donne quelques consignes comme celle-ci : il souhaite que le "pouvoir" chez les chrétiens ne s'exerce pas à la manière profane. Les rois païens qui se font facilement appeler, d'une manière ou d'une autre, "Bienfaiteurs", mais qui ne le sont si peu, ne doivent pas servir de modèles aux disciples de Jésus. Ils doivent imiter le Christ qui s'est fait "serviteur de tous" ! Etre au service de nos frères ! N'oublions pas ...

- Selon St Luc, la passion commence par l'arrivée de Satan (22.3) qui ne reste pas inactif ! Jésus sait en effet la faiblesse de ses disciples ; mais il leur dit des paroles d'encouragement. Il annonce le relèvement de Pierre avant d'annoncer sa chute ! St Paul dira : "Dieu est fidèle ! Il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces. Avec la tentation, il vous donnera le moyen d'en sortir et la force de la supporter !" (I Co. 10.13). Ne nous décourageons donc jamais ! Le Christ est là !

- Au mont des Oliviers, Jésus prie et fait prier conformément à ce qu'il a appris à ses disciples. Il reprend deux formules du "Notre Père" ! Au début et à la fin de l'épisode. Il demande de prier pour n'être pas soumis à la tentation. Et il dit à son Père : "Que ta volonté soit faite !". N'oublions pas ces deux motifs de la prière : Collaborer la à volonté de Dieu notre Père sans être atteint par le découragement, l'arme principale et secrète du démon. Dieu accueille la prière de Jésus et lui envoie un ange pour le réconforter, comme il l'avait fait pour le prophète Elie (I Rois 19.4-8). Il le fera pour nous d'une manière ou d'une autre !

- On ne sait pas quelle est la composition de la troupe qui vient arrêter Jésus. L'attention se fixe sur le meneur : l'un des Douze... ! Ne soyons donc jamais étonnés des manquements de certains de nos frères... même et surtout à notre égard ; et suivons toujours l'attitude de Jésus qui met en pratique ce qu'il a enseigné : aimer même ses ennemis. Et il guérit le serviteur du Grand-Prêtre... !

- Dans la cour du Grand-Prêtre, c'est pratiquement en présence de Jésus que Pierre le renie. Mais le regard du Seigneur et le souvenir de ses paroles déclenche la conversion de son apôtre.
A noter que les gardes qui frappent Jésus et se moquent de lui n'affrontent pas le regard du Seigneur. Ils lui voilent le visage tout en lui demandant de jouer à l'extra-lucide ! Comme il est difficile à un coupable de voir le regard d'un innocent !

- Il est bon de remarquer que devant le Grand Conseil de Jérusalem, il n'y a pas de procès à proprement parler : ni témoignage, ni plaidoirie, ni sentence !
Devant Pilate, il y a procès. L'accusation porte sur des motifs politiques. Et Pilate affirme une première fois l'innocence de Jésus.
Il l'envoie à Hérode qui, au lieu de traiter Jésus comme l'un de ses sujets et lui rendre justice, se comporte de manière indigne. Il rend involontairement hommage à Jésus en l'affublant d'un manteau royal !
Reconduit vers le procurateur romain, celui-ci affirme une seconde fois l'innocence de Jésus. Mais cependant, par faiblesse, il cède au peuple et à ses chefs.
Une ironie tragique se dégage du texte : ceux qui avaient accusé Jésus de sédition réclament la grâce d'un séditieux en demandant la mort d'un innocent ! Et Jésus est finalement condamné !

- Jésus porte sa croix ! Mais derrière lui, Simon de Cyrène devient le modèle de tout disciple du Seigneur. Prions ce Simon d'être nous aussi de vrais disciple du Seigneur !

- Jésus meurt sur la croix ! Il meurt en pratiquant ce qu'il a toujours enseigné : l'amour même des ennemis et le pardon des offenses !

- Les chefs des prêtres, les soldats et l'un des malfaiteurs mettent Jésus au défi de se sauver lui-même. Jésus relève ce défi. Il est effectivement un Sauveur. Mais il n'exercera pas ce pouvoir pour son profit seulement. Par décision divine, il introduit au paradis un misérable qui met sa confiance en lui !
Et le salut n'est pas renvoyé à la fin des temps, quand le Messie apparaîtra en toute sa gloire ; il est pour tout de suite... Pour aujourd'hui !

Je ne m'étends pas après cette cérémonie assez longue. Mais sachons méditer sur le récit de la passion du Seigneur. Nos anciens la savaient pratiquement par cœur ! C'est un grand moyen d'union au Seigneur... ! 

jeudi 21 mars 2013

St Benoît


21.03 C  - St Benoît (fête propre aux Ordres monastiques)
   
La parole du psalmiste disant à Dieu : "Ton Amour vaut mieux que la vie" (ps 63.4) résonne en la vie de tous les saints, en la vie de St Benoît tout particulièrement.

Toute la tragédie de la vie vient du fait que nous ne sommes pas assez convaincus de l'Amour que Dieu nous porte, de cet amour ineffable, infiniment fidèle qui seul peut nous rendre heureux. C'était la conviction de St Benoît, conviction qui le poussa d'abord à s'isoler totalement pour vivre pleinement de cet Amour divin. Seul l'amour rend heureux. Or "Dieu est Amour" dit St Jean. Ainsi Dieu seul peut suffire pour nous rendre heureux ! Et toute l'activité d'une vie solitaire, à l'exemple de St Benoît, est de répondre à cet Amour divin par l'amour : "Aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces". C'est le premier des "instruments" à mettre en œuvre selon St Benoît qui, bien sûr, reprend là le commandement de la Loi mosaïque (cf. Deut 6.5).

Et cela, malgré la souffrance qui peut accabler, les épreuves qui peuvent tarauder... ! En quoi un saint comme St Benoît est-il différent d'un autre chrétien, d'un incroyant ? Serait-ce qu'il n'a pas eu à lutter, à souffrir, qu'il n'a pas eu part à la misère humaine ? Bien au contraire ! La vie de St Benoît relatée par Grégoire le Grand le montre suffisamment. "Nombreux sont les maux du juste !", dit le psaume 34ème. Il est éprouvé, dit le livre de la Sagesse, "comme l'or au creuset" (Sg 3.6 ; Cf. Pr 17.3). Epreuves qu'il doit accepter avec grande humilité, dit St Benoît (Cf. 4ème degré d'humilité) qui cite le psaume 66ème : "Tu nous as éprouvés, ô Dieu, épurés comme on épure l'argent...". Epreuves que le chrétien doit accepter, afin, explique St Pierre, "que la valeur de sa foi, plus précieuse que l'or périssable que l'on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d'honneur, lors de la Révélation de Jésus Christ" (I Pet 1.7). Ainsi, dit St Benoît lui-même à la fin du prologue de sa Règle, "nous participerons par la patience aux souffrances du Christ pour obtenir d'être associés aussi à son Règne".

St Benoît nous donne cet exemple : l'homme qui tend vers la sainteté, c'est celui qui, à travers tout événement, bonheur ou malheur, joie ou souffrance, "espérant contre toute espérance" (Rm 4.18), croit en ce Dieu-Amour qui, "avec ceux qui l'aiment, collabore en tout pour leur bien" (Rm 8.28).

Cet homme, en toutes circonstances, reste convaincu que "Dieu est Amour". Dieu n'a pas seulement de l'amour ; il ne prodigue pas seulement de l'amour. Il est essentiellement Amour, un Amour qui se penche vers l'homme d'une manière absolument gratuite... St Jean écrivait : "Nous avons reconnu l'Amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru" (I Jn 4.16). - "Nous avons reconnu et nous avons cru..." ! Ce n'est pas seulement un fait du passé pour l'apôtre. Le mode employé pour ces verbes est le parfait grec qui souligne une action commencée mais non pas terminée ! Pour rendre la nuance de ce mode verbal, il faudrait paraphraser : "Nous avons reconnu l'Amour... et nous continuons à le reconnaître et à y croire fermement !". L'Amour en Dieu est de toujours !

Afin de purifier et d'approfondir cette connaissance de l'Amour de Dieu et notre foi qui en résulte, afin de "demeurer dans l'Amour" divin, il nous faut souvent, à l'exemple de St Benoît, nous isoler, nous retirer "dans la chambre de notre cœur" afin de mieux écouter Dieu qui veut nous parler.

Ecouter ! N'oublions pas le premier mot de la Règle : "Ausculta, o filii... - Ecoute, o mon fils...!". Ecouter avec un "cœur noble et généreux", disait St Luc (8.15), c'est-à-dire un cœur purifié, ce que Dieu nous dit de son Amour ! J'ai déjà eu l'occasion de vous citer le P. Louis Bouyer qui disait : "La prière chrétienne est une prière où l'homme n'a pas l'initiative, mais Dieu, Dieu qui cherche l'homme et où celui-ci n'a qu'à se livrer à l'appel entendu en écoutant de mieux en mieux". Comme le petit Samuel : "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !" (I Sam. 3.9).

A celui qui sait écouter, Dieu lui parle intimement en son cœur : "Je veux écouter ce que le Seigneur dit au-dedans de moi !", chante le psalmiste (Ps 85.9 d'après vulgate). On a beau dire que Dieu est muet, voire que "Dieu est mort", il est toujours vivant. Mais sa parole est parfois comme un murmure, comme ce "bruissement d'un souffle ténu" adressé à Elie (I Rois 19.12), littéralement comme la "poussière d'un silence", "l'éclatement d'un silence". Aussi le silence - extérieur certes, mais surtout intérieur - est déjà par lui-même une louange parfaite à Dieu - "Tibi silentium laus", dit le psaume 65ème (d'après l'hébreu). Un silence qui dispose à "incliner l'oreille de notre cœur", dit encore St Benoît...

Et Jésus lui-même n'a-t-il pas résumé tout le contenu de la parabole du semeur par cette exhortation : "Faites donc attention à la manière dont vous écoutez !" (Lc 8.18) ? Il faut le savoir - c'est une ruse du démon -, avant de lancer son cri contre Dieu, le cri d'une rébellion : "Non serviam - Non, je ne servirai plus" (Jr 2.20), l'homme a d'abord dit : "Non audiam - Non, je ne veux plus écouter !" (Jr 22.21).

Mais à celui qui s'efforce d'écouter, le Seigneur accorde, de temps à autre, comme une parole intérieure tout à fait personnelle, destinée à lui seul. C'est une "certaine expérience de Dieu très douce", dit St Thomas d'Aquin, "quamdam experimentiam dulcedinis" (Som. (I-II 112.5) qui lui permet de savoir, du moins d'une certitude morale, qu'il est en état de grâce, en état d'union avec Dieu !

Que St Benoît nous facilite cette grâce divine !

   

dimanche 17 mars 2013

La femme adultère


5e Dimanche de Carême 13/C       (Jn 8.1-11)

Qu'est-elle donc devenue cette femme dont nous parle l'évangile ? Que faisait-elle quand Jésus fut à son tour arrêté et jugé ?... Ce qui est sûr, c'est qu'elle a dû, sa vie durant, se souvenir de lui et de ce jour unique où elle avait connu, en quelques heures, l'adultère, la mort imminente et soudain une lumière... 

On voudrait savoir qui elle était, quelle avait été sa faiblesse, quelle existence s'ouvrit ensuite pour elle... Or, on ignore jusqu'à son nom ! Elle ne savait pas qu'on parlerait encore d'elle, après deux mille ans ! Dans la fresque sévère des sociétés antiques qui réprimaient l'adultère de la femme et non de l'homme, elle allait être l'exception : cette scène d'humanité interrompt un instant le cours des siècles cruels et laisse entrevoir la lueur lointaine d'une autre justice. 

Les adversaires de Jésus l'avaient surprise et emmenée. Mais ce n'était pas à elle qu'ils en voulaient pour un acte qui d'ailleurs était courant... autant qu'aujourd'hui. Peu leur importait la femme, encore moins l'homme dont il n'est même pas question, et leur faute. Elle n'était qu'un prétexte. On allait l'utiliser pour monter un piège. Le flagrant délit d'adultère, quelle aubaine ! Ce n'était pas la femme qu'ils voulaient juger, c'était Jésus ! 

Lui était assis sur l'esplanade du Temple, comme un maître qui enseigne ! “Tout le peuple venait à Lui !” On ne pouvait pas souhaiter meilleur décor pour poser la question cruciale : “Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Toi, qu'en dis-tu ?” Le piège est sans échappatoire. Si Jésus s'écarte de la Loi, il s'insurge contre Moïse et contre Dieu : il devient l'accusé. S'il est d'accord avec la Loi, on va lapider cette femme et son sang rejaillira sur lui. Que restera-t-il alors de cette miséricorde, de ce pardon qu'il a sans cesse à la bouche quand il va vers les "pécheurs" et les exclus avec qui il prend facilement ses repas ? Quelle que soit sa réponse, Jésus est pris dans le traquenard... La femme, elle, est là, malmenée et lamentable. Un mot, et les pierres pleuvent... 

“Jésus s'était baissé, et, du doigt, il traçait des traits sur le sol...”. Jésus se tait. Est-il embarrassé ? Peut-être.. ! Son silence se prolonge. Le texte précise qu'“on persistait à l'interroger”. Il est bien obligé de répondre, sous peine de perdre la face. On le harcelait pour lui arracher la réponse afin de pouvoir le perdre. 

Jésus se tait au lieu d'instruire la cause. Pourquoi ne réclame-t-il pas la vérification des témoignages ? Il pouvait demander si la femme n'avait pas subi violence, si elle avait eu ou non la possibilité d'appeler au secours. La Loi précisait cela (Cf. Deut. 22). Il pouvait aussi retarder le verdict en cherchant des vices de formes, des circonstances atténuantes. C’est courant aujourd’hui, n'est-ce pas ! 

“Jésus se tait”. Il s'est incliné. Du doigt, il écrit encore dans la poussière. Comme pour prendre distance par rapport à ces hommes et à leur question. Ou plutôt précisons : il écrit sur l'"adama" (la terre, la poussière) d'où l'"Adam", (l'homme) est sorti. Comme Dieu a créé Adam "avec la poussière prise du sol" (Gen 2.7), Jésus veut re-créer l'homme, re-créer une humanité à partir du sol, à partir de rien avec la puissance divine de Dieu Créateur ! Déjà, la femme aurait pu chanter comme nous le ferons dans quelques jours : "Bienheureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur !" Sachons que Jésus veut toujours écrire, nous re-créer sur la poussière de notre vie ! ... 

Soudain, Jésus laisse tomber une de ces paroles dont il avait le secret et qui bouleversaient les débats de fonds en comble : “Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre”. 

Jésus n'a pas plaidé. Il n'a pas contesté le verdict de mort. Et même, il requiert l'application de la Loi. Il semble la mettre lui-même en branle en invitant à jeter la “première pierre”. - “Que celui d'entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre”. En laissant tomber la sentence, Jésus prononce deux mots qui creusent le vertige au cœur des accusateurs. Du témoin qui va mettre en branle la lapidation, il exige un autre témoignage : celui d'une conscience "sans péché". Jésus ne plaide pas. Il ne s'engage pas dans la casuistique ; II ouvre un autre procès : celui de ses adversaires qui veulent sa perte, celui de tant d'hommes prompts à dénoncer le mal chez les autres sans l'apercevoir en eux-mêmes, celui d'une humanité pècheresse, avide de condamner. 

“Celui d'entre vous qui est sans péché...”. Les accusateurs sont sommés de s'examiner, il faut que les juges se jugent eux-mêmes. Car la Loi, pour Jésus, ne s'arrête pas à la surface des hommes, aux rites extérieurs, à leur comportement visible, parfaitement établi : elle est faite pour les modeler au plus profond d'eux-mêmes. Loin de la refuser ou de biaiser avec elle, Jésus en montre toujours l'acuité pénétrante. 

Du coup, le débat se déplace, il vrille maintenant le cœur des accusateurs. Bien au-delà du légalisme, Jésus affine à l'extrême le sens moral des hommes : “Vous avez appris : "Tu ne commettras pas d'adultère". Et moi, je vous dis : quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà, dans son cœur, commis l'adultère avec elle !" (Mt 5/27). 

“Il s'inclina à nouveau et se remit à tracer des traits sur le sol”. Le silence tombe sur le groupe. Jésus écoute, sans doute, de tout son être. Va-t-il entendre jaillir tout à coup le cri de détresse de la femme, les clameurs de la foule, les pierres ? Dans le silence, quelques bruits de pas, seulement. 
Et voilà qu'un sourire d'humour fait tomber la tension dramatique du récit : “ils s'en allaient l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés”. Ces hommes qui s'abritaient derrière la Loi se sont retrouvés devant la Loi, dans l'universelle solidarité de la faiblesse humaine. 

Jésus demeure seul avec la femme. Il lève alors les yeux vers elle. Auparavant, alors que tant de regards brutaux assaillaient l'accusée, Jésus avait eu l'extrême délicatesse de ne pas la regarder. Maintenant, il ne lui dit pas : “Je te pardonne”, ce qui serait encore faire peser sur elle le passé. Il lui demande : “Femme, où sont-ils ? Personne ne t'a condamnée ? - Personne, Seigneur”. Jésus lui dit : “Moi non plus, je ne te condamne pas”. Il ne lui fait pas la morale. En quelques mots, il ouvre l'avenir devant elle : “Va et désormais ne pèche plus”. Jésus n'ignore pas le péché, il n'a aucune complaisance pour le mal, mais il invite toujours à renaître comme si la vie devant Dieu, au lendemain des tempêtes et des naufrages, était de nouveau et toujours au commencement de la création quand Dieu fit l'homme à son image et ressemblances (Cf. Gen 1.27). 

Et ensuite, qu'est-elle devenue, cette femme transfigurée par le regard de Jésus ? Dans l'histoire des inégalités que la justice des hommes a fait peser sur les femmes, cette page demeure une éclaircie de lumière. Pourtant elle a failli être déchirée ! Plusieurs manuscrits ne comportent pas ce passage. On le trouve dans quelques-uns de l'Evangile de Jean, alors que le vocabulaire et le style portent l'empreinte de St Luc. Que s'est-il passé ? Dans l'Eglise des premiers siècles qui sanctionnait très durement l'adultère, même avec une esclave, certains redoutaient-ils ce récit ? Et nous-mêmes ?... 

On a souvent commenté cet épisode en mettant en relief la miséricorde de Jésus. Mais si c'était plus que cela : et si cette femme sans nom demeurait comme un appel muet à ne jamais se retrancher derrière la justice pour rompre la solidarité avec un homme, fût-il un criminel ? Et si, désormais, cette femme contestait à jamais nos jugements et nos condamnations, au nom de l'avenir auquel tout homme est sans cesse appelé par Dieu ? Et si cette femme était notre humanité même, déchirée entre ses fautes et ses juges, et qui a du mal à croire que l'amour divin peut toujours la régénérer ?

vendredi 15 mars 2013

Soukkot et l'aveugle-né !


Carême 4 - Vendredi  -        (Jn 9.1-41)

Je ne voudrais pas trop m'attarder après la proclamation d'un passage d'évangile merveilleux mais assez long ! Sans le commenter, j'aimerais seulement situer cet épisode de la guérison de l'aveugle-né dans son contexte social, religieux et historique. C'est d'importance, me semble-t-il.

Jésus s'était attardé en Galilée avant de se décider, après hésitation, à monter lui aussi, à la suite de ses disciples, à Jérusalem pour "la fête" ! - Quand, aujourd'hui encore, on dit "la fête" en Israël, il s'agit de la fête de Soukkot, la fête des tentes, la Fête par excellence, fête qui durent sept jours !

A l'origine, comme toutes les fêtes bibliques, Soukkot était une fête agraire entre fin septembre et mi-octobre, au moment où les travaux des champs étaient terminés et que les récoltes étaient engrangées. Alors, on rendait grâce à Dieu pour les fruits de la terre tout en lui demandant sa bénédiction pour l'année à venir.

Par la suite, Israël sentit le besoin d'inscrire cette grande fête dans le déroulement de sa propre histoire. Ainsi, durant les sept jours de réjouissance, on prit l'habitude d'évoquer principalement la longue traversée du désert durant laquelle Dieu avait fait Alliance avec le peuple élu ! On relisait l'exode ; on "faisait mémoire" de ce temps où Dieu lui-même avait pourvu à la vie spirituelle et matérielle de son peuple. Car...

- C'est au désert que le peuple avait appris à mettre toute sa confiance en la providence divine.

- C'est au désert que Dieu se fit "voisin" de l'homme, en venant habiter sous une tente, partageant en quelque sorte la précarité de son peuple. Aussi, au cours de la fête, la construction d'une tente près de la maison familiale rappelait-elle cette proximité divine. "Et le Verbe s'est fait chair, dira St Jean ; il a dressé sa "soukka" (sa tente) parmi nous" (Jn 1.14). Et la même affirmation se retrouve dans la bouche de Pierre au moment de la Transfiguration : "Seigneur, si tu le veux, je peux dresser ici trois tentes..." (Mth 17.4). Il devinait en quelque sorte qu'en Jésus la présence divine au milieu des hommes atteignait sa plénitude.

- C'est au désert que Dieu abreuva son peuple assoiffé en faisant jaillir l'eau du rocher. Aussi, au dernier jour de Soukkot, le Grand Prêtre aspergeait le temple et le peuple en signe de bénédiction divine. C'est alors que Jésus s'écrie, non sans une certaine provocation : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et que boive celui qui croit en moi. Comme l'a dit l'Ecriture : "De son sein couleront des fleuves d'eau vive" (Jn 7.37). C'était certainement une allusion à l'affirmation du livre de Zacharie : "Il arrivera, en ce jour-là, que des eaux vives sortiront de Jérusalem, moitié vers la mer orientale, moitié vers la mer occidentale..." (Zach 14.8). Vers le nord et vers le midi !
Aussi, ce n'est pas par hasard que deux des signes, chez St Jean, se passent dans deux piscines, tout près du temple : l'une au nord, la piscine de Betzatha où Jésus guérit un paralytique, l'autre au sud, la piscine de Siloë, alimenté par la fameuse source de Gihon, source salvatrice depuis Isaïe, source qui sort, en quelque sorte, du côté droit du temple, selon la vision d'Ezéchiel, pour aller purifier les eaux de la mer morte, symbole du péché du monde !

- C'est près de cette piscine que Jésus guérit l'aveuglé-né de l'évangile, au cours de cette célèbre fête qui donnait l'occasion de se souvenir encore que Dieu avait guidé son peuple par une colonne lumineuse. Aussi, à l'occasion de Soukkot, tout Jérusalem et principalement le temple étaient grandement illuminés par des procédés que l'on a peine à imaginer. Et c'est à ce moment que Jésus, juste avant la guérison de l'aveugle, s'écrie non sans une certaine provocation encore : "Je suis la lumière du monde !" (9.5). Affirmation qu'il venait déjà d'adresser aus Juifs : "Je suis la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie" (Jn 8.12).

- Ainsi, désormais, les boiteux au nord du temple et les aveugles au sud du temple peuvent suivre Jésus. Autrement dit, tous les paralysés du nord du monde et tous les mal-voyants du sud du monde peuvent suivre Jésus et entrer désormais dans le vrai temple de Dieu que Jésus va construire en son propre Corps, abolissant en quelque sorte l'interdit que David avait lancvé autrefois : "Quant aux boiteux et aux aveugles, David les hait en son âme. C'est pourquoi on dit : Aveugles et boiteux n'entreront pas dans le Temple ! (2 Sam 5.8). Déjà, quand Jésus parlait de sa mission en répondant aux envoyés de Jean-Baptiste qui lui demandaient : "Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre aun autre ?", il avait dit : "Allez dire à votre Maître : "Les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux marchent..." (Mth 11.5). Tous peuvent désormais accéder à Dieu !

Nous sommes tous des aveugles, des boiteux... ! Sachons, en ce temps de carême le reconnaître. Mais Jésus nous appelle à le suivre pour entrer en son Temple. Bien plus, il nous permet de suivre le lent cheminement qui conduit l'aveugle à la lumière de la foi.
Au début, celui-ci se contente de rappeler les faits avec précision. Puis, devant les pharisiens qui l'interrogent, il répète ce qu'il a déjà dit en exprimant une conviction personnelle à propos de Jésus : "C'est un prophète". Et la discussion prenant un cours assez violent, il s'engage davantage : "Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire !". Mais c'est grâce à une nouvelle initiative de Jésus, se révélant à lui commme "le Fils de l'homme" - formule peu compromettante encore - que l'homme qu'on appelle Jésus devient finalement à ses yeux le "Seigneur", reconnu dans la foi : "Je crois, Seigneur ; et il se prosterna devant lui !".

Nous sommes tous des aveugles que Jésus veut illuminer de sa gloire de Réssuscité ! Suivons-le !

mercredi 13 mars 2013

Fidélité !


Carême 4 - Mercredi  -  (Is 49.8-15)

"Au jour du salut, je viendrai à ton secours... Je t'ai établi pour mon alliance... pour relever le pays... pour dire au prisonniers : "Sortez !"... Ils n'auront plus faim, ils n'auront plus soif... Car celui qui a pitié d'eux sera leur guide... Car le Seigneur console son peuple...".

Il faut lire, relire et relire encore la Bible ! Parce que finalement, notre histoire personnelle s’inscrit tellement dans celle des hommes qui nous sont présentés ! Comme pour les Hébreux, notre cœur oscille toujours - il faut le reconnaître quand même - entre Dieu et les idoles de ce monde : argent, pouvoir, plaisirs…et que sais-je encore. Car, que ce soit par une chaîne d'or ou par un fil ténu, disaient les Pères du désert, le résultat est le même : nous restons attachés. Mais toujours le Seigneur veut nous libérer. C'est l'enseignement, me semble-t-il, des lectures d'aujourd'hui. Et St Paul dira : si nous, “nous sommes infidèles, lui, Dieu, demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même !“ ( 2 Tim. 2.13).

Lorsque Moïse - à lui aussi, Dieu avait dit : "Je t'ai établi pour mon alliance" - ..., lorsque Moïse descendit du Sinaï pour signifier l’Alliance particulière que Dieu proposait à son peuple, celui-ci adorait un veau d’or. Or n’avons-nous pas nous aussi un veau d’or (quel qu’il soit) qui éloigne de l’Alliance avec Dieu, d’une relation profonde avec lui - ce qu’est la foi - ?

Et plus tard, Elie, par exemple, - à lui aussi, Dieu avait dit : "Je t'ai établi pour mon alliance" -... Elie s’emportait pour l’amour de Dieu qui le brûlait ; c’était un prophète terrible, capable de rentrer dans une “colère noire“ pour ramener les fils d'Israël à la fidélité envers Dieu ! “Dies irae, dies illa“ (Jour de colère que ce jour-là !) devait-on chanter parfois à son sujet ! Que voulez-vous ! Dieu prend toujours les hommes “tels qu’ils sont et là où ils en sont“. Et il en fait finalement des saints pour mener leurs frères à la sainteté ! Alors notre Saint Elie s’emportait : “Jusques-à-quand danserez-vous d’un pied sur l’autre ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez-le ! Et si c’est Baal, suivez-le !“ (I Rois 18.21). - “Nul ne peut servir deux maîtres“, disait Notre Seigneur.

Mais quel que soit le caractère de tel ou tel prophète, tous diront, proclameront comme dans lecture d'aujourd'hui, rappelleront à un peuple infidèle que le Seigneur, lui, est fidèle, que sa tendresse ne cesse d’entourer son peuple ! “Une femme peut-elle oublier son petit enfant, ne pas chérir le fils de ses entrailles ? Même s’il s’en trouvait une pour l’oublier, moi, je ne t’oublierai pas !“.

Et St Paul qui traversait pourtant moult épreuves au cours de ses voyages missionnaires, s’écrie à chaque instant : “Il est fidèle le Dieu qui vous a appelés à la communion avec son Fils !“ (I co. 1.9). Oui, “Dieu est fidèle il ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces“ ( I Co 19.13). - “Celui qui vous appelle est fidèle ; c’est lui qui encore agira“ (I Thess. 5.28)...

Et quand le Fils Unique de Dieu viendra dans l’histoire des hommes, il ne se contentera pas de parler de l’amour du Père. Il en vivra fidèlement. Au début de sa vie publique, les tentations du Christ sont les nôtres, tentations de l’avoir, de la puissance… Il les écarte dans un abandon confiant à son Père : “Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : ’Le Seigneur ton Dieu tu adoreras ; et c’est à lui seul que tu rendras un culte“.

“A Lui seul !“ C’est certainement là le secret de sa merveilleuse liberté intérieure. Jamais le cœur du Christ ne fut partagé. Il refuse qu’on tire l’épée pour être défendu ! Et devant le Sanhédrin, devant Hérode, Pilate, il apparaît souverainement libre. Et sa vie elle-même, personne ne peut lui arracher ! Il la donne ! Et c’est librement qu’après lui des milliers et des milliers de disciples agiront ainsi librement.

Je crois que c’est cette liberté “d’enfant de Dieu“ qui doit être le secret de tout chrétien, secret ainsi formulé par St Paul : "tout est vous ; mais vous, vous êtes au Christ ; et le Christ est à Dieu !“ (1 Co. 3.21).

Cette liberté-là s’inscrit comme naturellement dans la fidélité à l’amour de Dieu. Car la fidélité ne perd jamais Dieu et n’est jamais privée de lui !  Car l’amour dépasse le commandement… et de loin !