T.O. 13 Vendredi
2013 -
C'est toujours un peu frustrant, me
semble-t-il, d'entendre un récit qui omet de nombreux passages du texte cité.
C'est le cas aujourd'hui de notre lecture qui ne fait que parcourir les
chapitres 23 et 24 du livre de la Genèse. Certes, on ne peut pas faire de
longues lectures au cours d'une cérémonie liturgique. Surtout en Occident ! Les
Orientaux sont moins avares de leur temps ! Mais, finalement, cette réduction
du texte est certainement une invitation, pour chacun, à aller voir le texte intégral.
Je me permets de vous y encourager.
Il est question d'abord de la sépulture de Sara. Le texte intégral
présente un amusant palabre commercial entre les habitants du pays, les fils de
Heth, et Abraham à propos du terrain que celui-ci désire pour enterrer son
épouse.
- C'est que Abraham ne veut pas recevoir
gratuitement même une modeste parcelle de terrain. Car la terre dont il est
question, c'est la terre promise par Dieu. Dieu seul peut donner cette terre.
Il ne peut la recevoir gratuitement que de Dieu. Qu'il y ait une transaction commerciale
pour l'occuper, soit ! Mais "tout
don valable..., dira St Jacques (Jc 1.17), descend du Père des lumières".
+ C'est Dieu qui a l'initiative de la
création et qui donne à tous nourriture et vie, dit le psaume 104.
+ C'est Dieu encore qui a l'initiative du
salut : "Sache aujourd'hui que ce n'est pas ta juste conduite qui te vaut de
recevoir de Dieu cet heureux pays pour domaine", dira le Deutéronome (9.6).
Et Jésus le soulignera également à la Samaritaine à propos de l'eau vive...
+ Et, redisons-le, le plus
grand des dons que Dieu nous fait, c'est son propre Fils : "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils
unique" (Jn 3.16), ce Fils tout rempli de la
richesse du Père : "Et le Verbe
s'est fait chair et... nous avons
contemplé sa gloire, gloire qu'il tient de son Père" (Jn 1.14) Si nous savions mesurer le "Don de
Dieu", nous réaliserions qu'ayant reçu gratuite-ment, il nous faut donner
gratuitement, dira Notre Seigneur (Cf Mth 10.8).
- Il y a encore une réalité importante à
propos de la sépulture de Sara. L'acquisition du terrain est réalisée par
Abraham après un long palabre. Je me souviens, lors d'un séjour à Jérusalem :
alors que nous nous apprêtions à faire des achats dans le "souk" de
la vieille ville, un vieux dominicain nous a lancé : "surtout, ne craignez pas de perdre du temps pour n'importe quel
achat. Sinon vous passerez pour des imbéciles et vous paierez le prix fort
!". Tant il est vrai qu'en Orient, normalement, on ne peut faire
une transaction sans d'abord se connaître ! Nous avons suivi le bon conseil
et nous avons eu droit à des achats à des prix convenables autour d'un thé
rafraîchissant.
Et si nous savions reconnaître cette grande
communion familiale, cette fraternité entre nous, chrétiens, à l'occasion des
dons que chacun a reçus et qu'il doit transmettre ! En terre chrétienne, un
"don" ne se fait pas par autoritarisme ou simple esprit commercial.
Et il ne se reçoit pas sans gratitude. Lorsqu'on a tant reçu de Dieu, tout
calcul, toute étroitesse de cœur deviennent scandaleux. "Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement !" (Mth 5.42). Et puis, le don de
Dieu en Jésus Christ nous entraîne plus loin : Jésus "a offert sa vie pour nous", sa grâce nous porte à
"offrir nous aussi notre vie
pour nos frères", nous dit St Jean (I Jn 3.16). Mais cela exige d'abord de se
connaître, de se reconnaître "frères" en Jésus Christ ! Et,
pour cela, il faut y prendre du temps !
Notre lecture d'aujourd'hui nous propose
encore une autre méditation, à propos du mariage
d'Isaac et de Rebecca !
Vous vous souvenez de l'histoire d'Agar -
c'était Jeudi dernier - qui, en grande difficulté, fait la réconfortante
rencontre avec l'ange du Seigneur près d'une source. Et comme (en hébreu), une
"source", c'est "l'œil de l'eau", cette source devient pour
elle une "vision de vie", puisque l'ange lui promet un fils, "Ismaël",
nom qui veut dire : "Dieu a
écouté" ta plainte ! - Alors, elle s'écrit : "Tu es El Roï", ce qui veut dire : “Tu es le Dieu qui me voit !“ ; Tu es le Dieu-Providence à mon
égard. Aussi nomme-t-elle le puits “Lahaï
Roï“, ce qui veut dire : “Au
vivant qui me voit !“.
Et cette foi en Dieu-Providence est
souvent affirmée dans la Bible. Elle est affirmée à propos du mariage de
Rébecca et d'Isaac.
+ Abraham devient vieux… Il se préoccupe de
trouver une épouse pour son fils Isaac. Il ne veut pas qu’il se marie avec une
cananéenne du coin ! Alors il envoie un vieux serviteur en Mésopotamie. Le serviteur
demande : "Peut-être cette femme ne
consentira-t-elle pas à venir en ce pays-ci : devrais-je ramener ton fils au
pays d'où tu es sorti ? - Abraham répondit : Garde-toi d'y ramener mon fils !…
Et si la femme ne veut pas te suivre, tu seras délié du serment que tu viens de
me faire...!"
Autrement dit, dans la Bible, on ne revient
en arrière que pour mieux aller en avant. On n’interroge le passé que pour
prendre son élan vers l'avenir ; on ne retient du passé que ce qu'il comporte d’avenir.
Si on avait une telle psychologie de foi, une telle psychologie biblique,
chrétienne, bien des problèmes se résoudraient automatiquement. Il n'y aurait
ni intégriste, ni progressiste. Il n'y aurait que des progressants !
+ Alors le serviteur se met en route... et
il arrive en Mésopotamie. Il fait s’agenouiller les chameaux en dehors de la
ville près d'un puits (encore un puits !), à l’heure du soir, à l’heure
où les femmes sortent pour puiser l'eau.
Et il demande à Dieu un signe : La jeune fille à qui je dirai : "Incline
ta cruche, que je boive" et qui répondra : "Bois et j'abreuverai
aussi tes chameaux", ce sera celle-là que tu as destinée à ton serviteur
Isaac...".
Il faut remarquer que, dans la Bible, le
comportement des femmes envers les cruches est extrêmement révélateur de leur
caractère : il y a la Samaritaine qui oublie sa cruche, il y a Marie Madeleine,
Marie de Béthanie etc.
Ici, le critère, c’est la jeune fille qui
ne s’économise pas, qui est généreuse !
Si je lui "demande un peu d’eau à boire" … (c’est la même demande
de Jésus à la Samaritaine au puits de Jacob) ...et qui répondra : "Bois et j'abreuverai aussi tes chameaux", (Et ce n’est pas un
petit travail que d’abreuver toute une caravane de chameaux !), ce sera celle que
Dieu a choisie, une femme généreuse !
+ A peine avait-il fini de parler que
Rebecca arrive : elle avait sa cruche sur l’épaule, etc. Elle remplit toutes
les conditions qu'il avait exprimées à Dieu...
Alors, il y a une réflexion extraordinaire
: "L'homme la considérait en
silence, se demandant si Dieu l'avait ou non mené au but".
Voilà toute la spiritualité biblique la
plus fondamentale : non pas élaborer des systèmes qu'on plaque sur la réalité,
mais déchiffrer l'existence sous le regard de Dieu, au fur et à mesure que cette
existence se déroule.
La Vierge Marie ne faisait pas autre chose.
Elle méditait en son cœur. St Luc nous dit cela deux fois ! Ce n'est pas par
hasard ! (Lc
2.19,51).
Dieu lui avait tout dit à l'Annonciation, à la Présentation au Temple. Mais
elle méditait dans son cœur le dessein de Dieu qui se réalisait dans le concret
de son existence !
+ Ayant fait cette expérience, le vieux
serviteur n’en finit pas d'en rendre grâce tellement il est bouleversé.
"Je me suis prosterné et j'ai adoré Dieu, j'ai béni le
Dieu de mon maître Abraham, qui m'avait conduit, par un chemin de bonté,
prendre pour son fils la fille du frère de mon maître".
Il faudrait qu'à la fin de chaque journée,
nous puissions repasser les événements en essayant de découvrir leur
signification providentielle, parce qu'il n'y a pas de hasard. Si le hasard
existe, ce n'est que Dieu qui nous visite incognito. Il nous faut découvrir Dieu,
notre éternelle Providence !
+ Le serviteur se remet en route avec
Rebecca ; il revient. Et l'histoire se termine non loin du puits de "Lahaï-Roï" : du puits du "Vivant qui me voit".
"Or, est-il dit, Isaac sortit pour se promener dans la
campagne, à la tombée du soir"
Il y a là un mot mystérieux : "lassouakh"
; cela veut dire : "se promener en méditant", "en priant et en
méditant ". Et dans la spiritualité juive, on rattache la prière du soir à
cette promenade que Dieu fait, le soir, en méditant - "lassouakh" -.
Comme il est dit de Dieu après la faute d'Adam et Eve : "Ils entendirent le pas de Dieu qui
se promenait - "lassouakh" - dans le jardin à la brise du jour".
+ Et il nous faut
bien retenir la merveilleuse finale du texte : "Et, levant les yeux, Isaac vit que des chameaux arrivaient.
Et, Rébecca, levant les yeux, vit Isaac..." .
Considérez bien ces yeux qui "se lèvent"
sous les yeux de Celui qui voit, au puits du "Vivant qui me voit"… ! Il faut raconter cette
histoire à tous les fiancés !
Qui
dira alors qu'il n'y a pas un Dieu-Providence qui ne cesse de nous voir, afin
qu'un jour nous puissions le voir, à notre tour, voir celui qui nous voit sans
cesse ? “Quand irai-je et verrai-je la
face de Dieu.“ (Ps.
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