dimanche 26 janvier 2014

Aller dans le monde !

3e Dimanche du "Temps Ordinaire" - 2014.A 

"Jésus quitta Nazareth et vint habiter Capharnaüm !".
Vous dites peut-être de temps en temps, face à une pagaille, à un désordre matériel ou moral, face à une situation rocambolesque ("abracadabrantesque" !) : "Quel Capharnaüm !".
Cette petite ville, ou plus vraisemblablement ce village, n'avait pas bonne réputation. Dans la même invective Jésus citera cette bourgade avec Chorazin, Bethsaïde et tous les bourgs des bords du lac de Génésareth qui malgré les nombreux miracles accomplis en cette région n'ont pas fait pénitence, ne se sont pas convertis (Cf. Mt 11.20 sv).

C'est pourtant là qu'après l'arrestation de Jean- Baptiste, Jésus vient habiter.
C'est de là qu'il ira annoncer la "Bonne Nouvelle" !
C’est là, à ce carrefour important de routes (croisement d'"autoroutes romaines"), en ce lieu de brassage d’hommes qui obligeait à un poste de douane, c’est là qu’un jour, il s'arrêtera, passera à ce poste de douane et dira simplement à Lévi, le fils d'Alphée : "Viens, suis-moi !" (Mc 2,13).
Ce poste frontière était "aux confins de Zabulon et Nephtali". Mais n'y regardons pas de trop près ! Matthieu ne veut pas faire œuvre ni de géographe ni d'historien. On ne parlait plus guère, à son époque, de Zabulon et de Nephtali, mais de la Galilée.
L'important, c'est de remarquer que Jésus commence sa mission à ce "carrefour des nations", en pleine masse humaine, bariolée et diverse, comme le fera son disciple Paul à Corinthe. A tous il dira : "Voici que le Royaume vient ! Il est là parmi vous !".
Quelque trois ans plus tard, en la première aurore du jour pascal, il donnera rendez-vous à ses amis, en leur disant : "Je vous précède en Galilée !". Et, leur apparaissant en cette région, il confiera sa mission à ses amis en leur disant : "Allez, enseignez toutes les nations".

Isaïe, huit siècles plus tôt, avait chanté cette aspiration à l'universalité que rappelle la première lecture : "Dieu glorifiera la route de la mer au-delà du Jourdain, la contrée des nations. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur les habitants du sombre pays une lumière a resplendi" (Isaïe, 8,23 ; 9,1). C’est d’ailleurs ce passage d'Isaïe qui a été retenu pour la fête de Noël, rappelant ainsi la venue de Dieu parmi les hommes.

Jésus ne se retire donc pas au désert, comme Jean-Baptiste ;
il ni ne prêche pas à Jérusalem comme les officiels de la Religion, les experts de la Torah.
Il n'ira même pas à Tibériade, toute proche, le nouveau centre politique.
Il ne se rendra pas non plus à Césarée, la résidence romaine.
Jésus choisit ce lieu de passage où I'on rencontrait la variété des hommes de toutes races et de toutes conditions. Et là, tout simplement, il demande à Simon et à son frère André - hommes simples, des pêcheurs du lac - de l'accompagner et ils s'en vont avec lui. Il fera de même avec Jacques et Jean qui, eux aussi, laissent leurs barques et leurs filets et le suivent sur les vagues de la marée humaine.

Et il est précisé juste après le passage de notre évangile : "les foules de la Galilée, de la Décapole, de la Judée et de la Transjordanie viennent à lui !". Dès le début de sa vie publique, Jésus veut mettre tous les hommes en mouvement. Il ouvre à "toutes les nations" des chemins nouveaux de rencontre, de rassemblement, d’unité.
Il dit être lui-même "le chemin" sur lequel les hommes peuvent aller au-delà d'eux-mêmes.
Il réoriente l'histoire vers Dieu ; il soulève, par la dynamique du Royaume de Dieu, la pesanteur de l'humanité.
Et pour cela, il libère du poids du péché. Il guérit de l'injustice, de la haine, de la violence et de toutes les maladies qui amenuisent la puissance d'aimer. Il fait passer un souffle de fraternité et incite sans cesse à la paix pour que naisse une humanité nouvelle à la mesure de l'amour de Dieu pour tout homme !

Au lieu de tracer des frontières entre les pays, les races et les classes sociales, selon la règle du plus grand profit ou du pouvoir le plus puissant, Jésus veut rassembler des hommes qui échangent et partagent. L'universalité ne peut être pour lui que fraternité d'hommes qui se reconnaissent fils d'un même Père et disent ensemble : "Que ton règne vienne !". Il est bon de le souligner à l'issue de la semaine de prière pour l'unité des chrétiens.

Mais malheureusement, aujourd'hui comme hier, il y a encore des tendances à refaire des "Jérusalem" qui toujours condamnent et tuent les prophètes, ces "fous de l'amour universel", qu’ils soient Jean Paul II, Mère Térésa, l’Abbé Pierre et bien d'autres que l'on a moralement ou physiquement tués.
Certains - et il faut peut-être prendre la réflexion à notre propre compte - certains chrétiens enferment la "Bonne Nouvelle annoncée à toutes les nations" en leur petite mentalité souvent orgueilleusement mesquine qu’ils prétendent imposer autour d'eux et partout. Et - chose comique si elle n’était pas parfois tragique - c’est eux qui crient le plus fort : "Il faut s'ouvrir au monde !", disent-ils, en oubliant
que la seule brèche ouverte sur l’univers, c’est le cœur transpercé du Christ en croix,
que le seul chemin qui rassemble dans la véritable unité, c’est le Christ qui, parce qu’il est Dieu et homme, peut conduire les hommes vers Dieu. Lui seul fait l’unité.

Il faut donc être d’autres Christs, des “Christophores” pour collaborer à la paix, à l’union des hommes entre eux ! Nous prions pour l’unité des chrétiens, nous prions pour la paix dans le monde. Et c’est bien ! Mais que notre prière, si elle nous permet de juger les actes, ne soit jamais sélective vis-à-vis des hommes. Le Christ, venu à ce “carrefour des nations” qu'était Capharnaüm appelle tout homme à lui, à la communion avec Dieu ! Il est important de se le dire, de se le redire !

Aussi, notre mission est claire : aujourd'hui, - qu'on le déplore ou non - c'est le monde entier qui est devenu le "carrefour des nations", par un immense brassage de populations, par les courts et les longs voyages devenus si faciles, par la mondovision et tous les autres moyens de communication.
Par le jeu mondial des interdépendances de tous ordres, il est plus facile à l'un d'entendre cette invitation : "Viens, suis-moi !", et à un autre de répondre à cet appel : "Allez ! De toutes les nations, faites des disciples !".  Par toute notre vie, soyons "sel de la terre", soyons cette petite mesure de levain qui fait monter toute la pâte humaine vers Dieu !

Dans cet extraordinaire carrefour des nations, la "Bonne Nouvelle", toujours aussi fraîche, aussi neuve, peut encore rassembler les hommes dans un même mouvement de fraternité, vers le Royaume de Dieu.
Puissions-nous, tous et chacun, travailler efficacement à ce rassemblement, à cette unité !
C'est la mission de tout baptisé ! Y pensons-nous ?


Pour retrouver les principaux textes, voir Blog : http://mgsol.blogspot.com/

samedi 25 janvier 2014

Se convertir !

25 Janvier   – Conversion de St Paul –      (Ac. 22.3sv – Mc 16.15sv)

Le “Fils de Dieu“ s’est fait homme pour faire des hommes des "fils de Dieu" !
Voilà bien un retournement complet de la destinée humaine : de "fils d'homme", chacun est appelé à être "fils de Dieu" ! Et cette divine destinée est attestée par la rencontre avec ce "Fils de Dieu", Jésus, qui, mort mais ressuscité, est toujours vivant !

Cette rencontre avec le Christ, "Fils de Dieu" se manifeste - de façon cachée ou éclatante, de façon progressive ou foudroyante, peu importe - se manifeste toujours pour chacun à travers une lumière fulgurante et une voix qui affirme : "Je suis Jésus...!". Dès lors, sans rien pouvoir remettre en doute, l'"Illuminé" va répétant : "Le Christ est ressuscité... Il est vivant !" (Cf. I Co. 15) ; et désormais, "la vie, c'est le Christ", "vivre, c'est Christ" (Ph. 1.21).
Telle fut l'aventure de Paul - fulgurante pour lui - dont nous faisons mémoire.

Ce qu'on appelle "conversion" est donc
- une lumière sur notre chemin de vie pour reconnaître que Jésus est le "Fils de Dieu", l'Envoyé du Père,
- une lumière pour mieux percevoir l'appel qu'il nous adresse à être "ses frères" en devenant "enfants de Dieu", afin qu'il soit lui-même "frère d'une multitude..." (Rm 8.29)
- une lumière qui transfigure tous les hommes, appelés, eux aussi, à cette même destinée, appelés tous ensemble à faire "Corps" - Eglise - à faire "Corps du Christ", à le rendre présent dans le monde !
- une lumière qui nous engage à "porter le Nom du Christ devant les peuples païens", à dire comme l'apôtre : "Malheur à moi si je n'annonce pas l'Evangile" (I Co. 9.16), cette "Bonne Nouvelle" de la destinée divine de la condition humaine.

Voilà la conversion de Paul qui, d'une manière ou d'une autre, est aussi la nôtre. Une conversion, un retournement à 180 degrés qui, comme pour Paul, nous saisit "de stupeur et d'effroi".

Aussi, en quelques notations, j'aimerais souligner ce complet et extraordinaire "retournement" de l'apôtre qui nous engage à sans cesse bousculer notre propre vie. Car la vie chrétienne ne sera jamais une vie de rentier spirituel bien installé sur de hautes certitudes, mais une permanente conversion, une incessante interrogation pour mieux réaliser une symbiose de vie de plus en plus profonde avec celle du Christ !

Contemplons quelque peu la vie St Paul pour mieux saisir sa conversion !

Car enfin, Paul était avant tout un Juif et un Juif très fervent !
Son nom “Shaoul“ signifiait : “Demandé à Dieu !“…
Toute sa vie, il restera fier d’être né Juif :
- Circoncis dès le huitième jour (application stricte des prescriptions de la Loi) (Phil. 3.4),
- il était “de la race d’Israël“ (Phi. 3.5), “de la descendance d’Abraham, de la tribu de Benjamin“ (Rm 11.1), “Hébreu, fils d’Hébreu“ (Phi. 3.5).
-  “Quant à la Loi, un Pharisien ; quant au zèle, un persécuteur de l'Église ; quant à la justice que peut donner la Loi, un homme irréprochable“. (Phi. 3.6).
- Toujours, d'ailleurs, il gardera pour son peuple une tendresse filiale
[“J'éprouve une grande tristesse et une douleur incessante. Car je souhaiterais d'être moi-même anathème, séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont Israélites, à qui appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, le culte, les promesses...“ (Rm 9.1-5)].

Le père de Saul était sans doute d'un tempérament énergique et entier (dont il a hérité). Il avait cru bon - comme d'autres, à l'époque - quitter la "Terre Sainte", la Haute Galilée pour fuir les conditions sociales très difficiles, les divers tracas administratifs des pouvoirs en place tant juifs que romains qui n'hésitaient pas à grever d'impôts extravagants l'artisan-commerçant qu'il était (marchant de tissus et fabricant de tentes). Mais, malgré cette émigration, il avait conservé une foi très vive en le Dieu d'Israël. Il était pharisien de la plus stricte observance.
Il initia lui-même son fils à la lecture de la Bible, mais qu’à l’école il apprit à connaître probablement dans la version grecque des Septante (3ème s. av. JC),

Les Juifs possédaient, en effet, un excellent système d’éducation par la famille. C’était le secret de leur force.
- Dès l’âge de 5 ans, l’enfant apprenait l’essentiel de la Loi.
- A 6 ans, il fréquentait ce que l’on appelait “La Vigne“ (jardin d’enfants). C’était une petite école synagogale. L’écolier, assis sur le sol, la tablette de cire sur les genoux et le stylet à la main, apprenait l’histoire de son peuple. Ses maîtres l’entretenaient aussi de l’avenir de ce peuple : un jour le Roi-Messie viendrait et parcourrait victorieusement la terre…
- A 10 ans, Paul fit l’expérience, moins heureuse sans doute, de la tradition orale : préceptes, purifications diverses, règlements, distinctions subtiles dont les rabbins avaient entouré la Loi.
Dans cette période qui lui ravit son paradis d’enfant, Paul fit l’expérience typique et bouleversante de l’homme imparfait, non encore racheté. Parvenu à l’âge adulte, il la résumera dans sa lettre aux Romains (7.9sv). - A chaque pas qu’il faisait, il entendait : “Tu ne dois pas !“ - “Ne fais pas ceci !“ - “Ne touche pas à cela !“... etc. Paul s’habitua à respirer cette atmosphère religieuse quoique étouffante… Peut-être se souviendra-t-il de cette période lorsqu’il donnera ce conseil pédagogique : “Et vous, pères, n’exacerbez pas vos enfants !“. (Eph. 6.4).
- Un principe très sain était en honneur dans les familles pharisiennes : concilier étude de la Torah avec un travail manuel. Le jeune Saul apprit donc le métier de son père qui lui servira plus tard, ne serait-e que pour “n’être à la charge de personne“ ( (I Thess 2.9 – II Thess 3.8 – etc)

- A 18 ans, le jeune Saul se rendit à Jérusalem pour achever sa formation auprès d’un grand maître. Ce fut sans doute avec grande émotion. Et encore davantage lorsqu’il s’assit près du Rabbi Gamaliel “vénéré de tout le peuple“ (Ac 5.34). Ce Maître était un homme au cœur généreux et compréhensif.
Les théologiens d’alors se partageaient à Jérusalem en deux écoles :
+ l’école d’Hillel (grand-père de Gamaliel), de caractère souple et conciliant, qui connaissait toujours un moyen d’échapper à la rigidité de la Loi.
+ et celle de Shammaï qui s’attachait fanatiquement à la lettre.
Plus tard, Paul dira : “Je faisais des progrès dans le judaïsme, où je surpassais bien des compatriotes de mon âge, en partisan acharné des traditions de mes pères“. (Gal 1.14)

Ce qui absorba Paul, ce fut la Bible et encore la Bible ! Il l’apprit par cœur pour ainsi dire. Plus tard, dans ses pérégrinations, il ne lui sera pas possible d’emporter les volumineux et précieux rouleaux de la Loi. Malgré cela, ses lettres regorgent de citations et d’allusions empruntées à presque tous les livres de l’Ancien Testament. C’est que Paul tenait la Bible, la "Parole de Dieu" pour le plus grand trésor du monde !

Je me suis permis ces détails de la vie de Paul pour mieux considérer tout ce qu'a opéré la grâce de Dieu en ce "pharisien, fils de pharisien". Ne nous décourageons donc jamais ! La grâce de Dieu l'emporte toujours, dira l'apôtre. On peut dire cependant qu'il a fallu sans doute beaucoup de temps à Paul, malgré sa fulgurante conversion, pour assimiler la Vie du Christ en la vie d'un Juif fervent.
Il est bon de remarquer d'ailleurs son silence presque complet après sa conversion... durant dix ans environ (entre le chemin de Damas et l'appel de Barnabé à Antioche) Qu’a donc pu faire, pendant tout ce temps, le bouillant et actif Paul ? Il me plaît encore de penser que ce “pharisien, fils de pharisien“, cet ancien élève de Gamaliel à Jérusalem, relut et relut encore toutes les Ecritures à la lumière du Christ ressuscité. Il fit certainement avec le Christ l’expérience des deux disciples d’Emmaüs : “Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait“ (Lc 24.27).

De pharisien à chrétien, quel "retournement"  !
Car ce qu'il faut surtout retenir, c'est qu'à partir de sa conversion, Paul a toujours transmis, en toutes circonstances, le message essentiel de la foi : 
“le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Ecritures ;
il a été enseveli…“ : précision d’un fait qui semble indiscutable et qui exprime la certitude de la mort du Christ ! 
“Il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Ecritures“, précise-t-il encore. 
“Il a été vu par Pierre, puis des Douze !“.
“Puis, il a été vu de plus de cinq cents frères en une seule fois - la plupart sont encore vivants ! -“.
- “En tout dernier lieu, il m’est aussi apparu à moi, l’avorton“.

Et cette "apparition" fut une transformation, un "retournement" de vie.
Puissions-nous, à notre manière, vivre ce "retournement" de vie qu'est une véritable conversion ! 

vendredi 24 janvier 2014

De l'Amour de Dieu !

24 Janvier 2014   - St François de Sales 

On ne peut pas ne pas évoquer aujourd'hui la figure de ce Saint de "la Grande Ecole spirituelle en France" que fut St François de Sales (1567-1622) !

Il était le fils d'une noble famille savoyarde restée catholique face au Protestantisme alors très conquérant.

Envoyé par son père faire des études à Paris, il découvre la théologie et les problèmes de la prédestination soulevés par les calvinistes. Scrupuleux, il se croit damné et est rempli de désespoir. Cependant, il découvre le "Souvenez-vous", la prière mariale attribuée à St Bernard. Subitement, il retrouve la paix... et ce sera l'un des grands messages de sa vie : Il retrouve la paix dans...l'amour de Dieu, dans un amour sans conditions, dans une totale confiance en l'amour divin.

Tel sera le secret de toute sa vie qu'il explicitera dans son "Introduction à la Vie dévote", ouvrage qui s'adresse à chaque baptisé et que l'on peut ainsi résumer : Il faut chercher à être tout entier à Dieu et vivre pleinement dans le monde les devoirs de son état... -
- "Il ne faut voir que Dieu en toutes choses, écrivait-il, et toutes choses en Dieu !". - "Il n'y a rien de petit au service de Dieu. C'est rendre les petites choses fort grandes que de les faire avec un grand désir de plaire à Dieu !".
Cette attention portée à la consécration des choses temporelles et à la sanctification du quotidien, est tout à fait, remarquera le pape Benoît XVI, dans la droite ligne de l'enseignement du Concile Vatican II et de la spiritualité contemporaine.

François de Sales fut ordonné prêtre en 1593 et évêque de Genève en 1602, alors que la ville était le bastion du calvinisme. Il résidera alors à Annecy, Genève demeurant la "Rome" des calvinistes. Il fréquenta les plus grands esprits catholiques de l'époque, introduisit en France la "Réforme des Carmels" initiée par Ste Thérèse d'Avila et encouragera beaucoup le Cal de Bérulle à implanter en France (en 1611) la Société de "l'Oratoire", fondée initialement par St Philippe de Néri, à Rome (en 1533).

Lui-même - après de nombreuses difficultés - fonde finalement, avec l'aide de Ste Jeanne de Chantal l'Ordre des Visitandines, caractérisé par une totale consécration à Dieu de ses membres, dans la simplicité et l'humilité. C'est à l'intention de ses Religieuses, surtout, qu'il écrira son "Traité de l'Amour de Dieu", en 1615, quelques années avant sa mort.

Les sentiments les plus délicats de l’amour que nous devons avoir pour Dieu y sont abordés avec beaucoup de bon sens, de prudence et d’équilibre. Ce "Traité" n’est pas à proprement parler un ouvrage de théologie sur l’Amour de Dieu. Il est comme la réponse d’amour de François à l’amour de Dieu qu’il a connu à plusieurs reprises d’une manière sensible, comme d’ailleurs bien des Saints, même ceux ou celles qui furent comme lui des personnes de grande action.
Le cœur de François est débordant d’amour ! L’Amour de Dieu pour nous et l’amour de nous pour Dieu sont si bien évoqués qu’il est impossible de ne pas découvrir, à travers St François, la réalité du Cœur de Dieu, la réalité du Cœur Jésus, la réalité de l'Esprit d'Amour, tout au long des pages de ce traité.
Il est vrai cependant que ce "Traité" est destiné à ceux - disons - qui cheminent dans la vie spirituelle ; St François de Sales disait lui-même qu'"on parle d'une façon aux jeunes apprentis et d'une autre sorte aux vieux compagnons", tout en affirmant que tout homme porte en lui la nostalgie de Dieu !

Apôtre, prédicateur et écrivain, homme de prière et d'action... engagé dans le débat avec les protestants, il expérimenta au-delà de la nécessaire controverse théologique l'efficacité des rapports personnels et de la charité. En ce sens, il est un bel exemple pour tout missionnaire, tant par sa pensée que par son action !
On peut dire qu'il s'est épuisé au service de Dieu et des hommes. Il ne s’épargna rien pour annoncer l’Evangile : ni visites dans son diocèse, ni catéchèses des petits enfants, ni visites aux condamnés, ni voyages apostoliques... C'est l'époque où l'Église romaine, face au protestantisme et à la doctrine de la prédestination, reprend courage et se lance dans le grand mouvement de la Contre-réforme.

En cette mission, il entreprit d'écrire des lettres personnelles aux gens qu'il ne pouvait atteindre. Puis il fit appel à l'imprimerie pour éditer des textes qu'il placarda dans les endroits publics et distribua sous les portes. Ces publications périodiques imprimées furent considérées comme le premier "journal" catholique du monde, et c’est pourquoi François de Sales est le "patron des journalistes".

Parallèlement, pour toucher les illettrés, il se mit à prêcher sur les places, au milieu des marchés... Vrai pasteur d’âmes, il amena à la communion catholique un grand nombre de frères qui en étaient séparés...

Epuisé, il mourut à Lyon le 28 décembre 1622 et fut inhumé à Annecy le 24 janvier 1623.

En conclusion de l'évocation de cette grande figure du Christianisme en notre pays, je me permets de transmettre quelques aphorismes de ce Saint, très lettré également.

Certains sont bien connus :
- "Le bruit ne fait pas de bien ; et le bien ne fait pas de bruit !".
- "Souvenez-vous qu'on attire plus de mouches avec une cuillerée de miel qu'avec un baril de vinaigre !".

D'autres sont plus significatifs de sa pensée spirituelle :
- "Le monde est né de l'amour ; il est soutenu par l'amour ; il va vers l'amour ; et il entre dans l'amour !".
- "Prenez garde que l'amour propre ne vous trompe, car quelques fois il contrefait si bien l'amour de Dieu qu'on croirait que c'est lui !".

Il y en a encore qui reflètent la sagesse de ce grand "Directeur des âmes" :
- "Il vaut mieux faire des pénitents par la douceur que des hypocrites par la sévérité !".
- "Dans le régime des âmes, il faut une tasse de science, un baril de prudence et un océan de patience !".
- "On a besoin de patience avec tout le monde, mais particulièrement avec soi-même !"

Et il y a ce conseil plein d'humour de ce grand spirituel qui fut aussi un homme d'action :
- "Une demi-heure de méditation est essentielle sauf quand on est très occupé. Alors, une heure est nécessaire !".

mardi 21 janvier 2014

La Vie, un combat !

21 Janvier 2014   - Ste Agnès 

La vie est un combat !
Et pour ce combat, Dieu aime choisir "ce qui est faible pour confondre les forts" (Cf. 1 Co. 1.27-28), comme nous le rappelle l'oraison de la fête d'aujourd'hui. Il choisit le petit David, le dernier de ses frères plus grands, plus forts (Cf. lect.), pour combattre le géant Goliath. Oui, en regardant les martyrs, - comme la Jeune Agnès - soyons persuadés que la vie, notre vie est un combat. Un combat que décrivent les psaumes : une impitoyable guerre ! Personne ne peut s’y soustraire !
Et pour ce combat, il y a deux ennemis, deux armées sans cesse en bataille. Chacun a ses armes, ses pratiques…, son sentier de guerre !
Il y a la route des Ténèbres et la route de la Lumière("Je suis la Lumière", disait Jésus !)
Ces deux routes se partagent l'universalité du réel et elles coexistent dans le temps et dans l'espace où elles définissent la frontière de tous les combats.
C’est un drame, c’est notre drame !
Il a commencé aux premiers jours de la Création, se déroule tout au long des exils et des calvaires des hommes, il s'achèvera dans la gloire divine.

Naguère, le Cal Vingt-Trois soulignait cet incessant combat qui est nôtre : C’est en affrontant les multiples questions de nos sociétés que l’Eglise de France "mène son combat". Ce “combat“ ne consiste pas seulement, disait-il, à défendre le Christ, la foi chrétienne ou l’Eglise. Le véritable combat que les chrétiens ont à mener est d’abord un combat "sur eux-mêmes", afin d’"être plus fidèles à leur foi dans la société contemporaine en proie à la crise de sens que nous connaissons tous". (théorie, par exemple, du "gender" qui fait tant de ravages !).

Le “beau combat de la foi“, disait St Paul (2 Tim 4.7). Aussi, l'oraison d'aujourd'hui nous fait demander en regardant Ste Agnès "sa fermeté dans la foi" !

La vie est un combat, mais un combat    de vie à mort…., et aussi de mort à vie !

Car d’où vient ce combat ? 
Rappelons-nous ...Dieu a un projet ; il met l'humanité en marche vers une ville dont lui est "l'Architecte et le Fondateur". Et cette ville sera faite de pierres précieuses. Et il n'y a pas deux pierres précieuses semblables (cf Apoc. ch. 21), car Dieu n'aime pas "en masse", si je puis dire ; il aime toujours "en particulier", chacun d'entre nous !
Et au lieu de rentrer dans le projet de Dieu avec enthousiasme, avec foi, confiance et amour, les hommes élaborent des contre-projets : ils font des briques ! C’est l’histoire de la tour de Babel ! Nous sommes faits pour les épanouissements de la fécondité ; et nous tombons dans les esclavages de la production : faire des briques... et encore des  briques ! Comme les hébreux, esclaves en Egypte !
(On travaille, on produit, on s’amuse… On élabore des théories et même des théories très religieuses… Et on ne pense pas… au sens de la vie…!)

Qu'est-ce qui se passe alors ? Au lieu de remonter vers son créateur dans un élan de convergence eucharistique où il retrouve son harmonie, le monde, de par la faute de l'homme qui peut être roi de la création mais qui oublie d'en être le prêtre, qui oublie d'en faire l'hommage à Dieu, retombe alors au chaos, dans la multiplicité du chaos…, dans une multitude de langages qui divisent, dans la recherche incessante de la production.
On ne comprend plus ! C'est l'histoire de la tour de Babel.
[Le pape François, à Assise, évoquait même le cas où l’homme prend Dieu (la religion) pour soi… jusqu’au terrorisme…, où l’on se passe de Dieu… C’est "l’inversion sacrilège" par excellence : l'homme qui veut se faire "comme Dieu" ! Alors, c’est le chaos !].

Aussi, sur le fond de l'histoire de la tour de Babel, Dieu met en route ce grand pèlerin, Abraham, “notre père dans la foi”.

L'histoire d'Abraham, son combat ! (Gen ch 12 et sv). Mais c’est notre histoire, l’histoire de notre combat ! Dieu le met en route : “Va !“. Oui, il y a ce mystérieux : "Va-t-en pour toi" ("Lek leka"), "Pars" (Gen 12/1) qui résonne par deux fois dans l'histoire d'Abraham ! Car Dieu n'est pas captatif. Ce n'est pas un amour qui dit : "Viens ici que je te prenne pour t'accaparer". C'est un amour qui dit au contraire : "Va  pour toi ! Va ton chemin, épanouis tout ce que j'ai mis en toi quand je t'ai créé à ma ressemblance. - "Va-t-en pour toi !"

Mais chose très curieuse : lorsque Isaac, le fils de la promesse, a grandi, alors résonne encore le mystérieux "Va pour toi" :
"Prends ton fils, celui que tu aimes et va vers le mont Moriah" (pays de la "vision")
Dieu semble demander le sacrifice d’Isaac, chose apparemment horrible !
Mais il demande en rappelant ce souhait : “Va pour toi !“ pour ton bonheur !
Et il demande en indiquant le but : vers la montagne de la vision.

Et Abraham, cet homme de grande foi, semble comprendre le bonheur qui lui est destiné au cœur même de l’absurdité, puisqu’il est dit : “Abraham dit à ses serviteurs : Demeurez ici... Moi et l'enfant nous irons jusque là-bas, nous adorerons et nous reviendrons vers vous“. (Gen 22.5)
 "Et nous reviendrons !". Admirons, la foi d'Abraham : sacrifier celui sur qui reposaient toutes les promesses… ! -  Admirons, à sa suite, la foi de tous les martyrs !
"Je sais maintenant que tu aimes Dieu parce que tu n'as pas épargné ton propre fils".
Abraham va jusqu'au fond de l'absurde, de l’absurde du combat de la foi. Mais il est face à un Dieu vivant que les hommes auraient été incapables d'imaginer

Oui, Abraham - comme chacun de nous) est face à un Dieu complètement déconcertant. C'est à ce Dieu que nous avons à faire ! Quand il annonce la naissance d'Isaac, Sara, âgée, rit. Et la réponse du mystérieux personnage est : "Y-a-t-il quelque chose d'extraordinaire pour Dieu ?", une phrase qui résonne à travers toute la Bible, jusqu'au Nouveau Testament, lors de l'Annonciation à Marie : "Il n'y a rien d'étonnant pour Dieu !" (Lc 1.37 ) dit l'ange à propos d'Elisabeth, âgée, qui attend un enfant !

Alors, nous aussi, on se met en route à la découverte non pas du Dieu des philosophes, mais de ce Dieu vivant d'Abraham, d'Isaac et de Jacob…, de tous les martyrs ! Et ce Dieu vivant, si nous nous mettons à son école, va nous faire faire cette expérience extraordinaire : c'est que Dieu est plus fort que la mort (Is. 15.8). Il a les issues de la mort elle-même. La mort qui semble anéantir la vie, n’est-ce pas le combat le plus absurde ? Et c'est ainsi que l'épître aux Hébreux résume l'histoire d'Abraham :
"Par la foi, Abraham, mis à l'épreuve, a offert Isaac… Dieu, pensait-il, est capable même de ressusciter les morts; c'est pour cela qu'il recouvra son fils, et ce fut un symbole". (Heb 11)

Et ce rapprochement du sacrifice d'Isaac et celui du Christ, il est, au sens littéral, dans le Nouveau Testament :
"Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous, Lui qui n'a pas épargné son propre Fils" (Rom. 8.31-32).
Sous le mot "épargné", on retrouve le mot qu'il y a dans la Genèse :
"Parce que tu n'as pas épargné ton propre fils".

Alors, ici, tout est dit. C'est l'histoire de toute destinée de celui qui prend la route à la recherche de Dieu. La Sainte Vierge, dans son Magnificat, chante l'accomplissement des "promesses faites à Abraham et à sa descendance pour toujours". Et nous-mêmes, nous nous mettons en route sans savoir où nous allons. Et un jour viendra où nous serons, nous aussi, à notre mont Moriah (à cette montagne de la "vision"). Et nous ferons l'expérience, peut-être au fond de l'absurde (on ne sait pas tous les chemins de notre vie), que Dieu ne nous a pas quittés du regard et nous serons au seuil de cette expérience, de cette vision de Celui qui nous voit maintenant, que nous verrons alors comme Il nous voit. Et cette connaissance sera transformante : nous serons divinisés. C'est toute notre destinée, à la suite d’Abraham, à la suite du Christ pascal, à la suite de tous les martyrs…
“Nous savons que lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est !“ (I Jn 3.2).  (“esometha“ (semblables) – “opsometha“ (verrons).

Ce grand combat de la foi contre la mort, contre  toute mort (maladie, échec, anéantissement) est illustré par tous les martyrs : Ste Agnès au 4ème siècle avec la grande persécution de Dioclétien, par tous les martyrs, par les martyrs d’aujourd’hui.

Aussi, la lettre aux Hébreux, avec un "brin d'humour", nous sollicite à être fidèles dans la foi, "vous, dit-elle, qui n’avez pas encore lutté jusqu’au sang !" (Heb 12.4).

dimanche 19 janvier 2014

Temps ordinaire et extraordinaire !

2e Dimanche du "Temps Ordinaire" - 2014.A 

Permettez-moi une simple remarque liturgique : après les grandioses fêtes de Noël et de l’Epiphanie, nous entrons dans le temps appelé “ordinaire”. L’expression n’est pas satisfaisante, car, finalement, il n’y a ni “temps ordinaire”, ni “temps extraordinaire”.
Le temps est tissé d’instants ; et chaque instant est l’instant de Dieu. Voilà l’ordinaire et l’extraordinaire tout à la fois. Chaque jour est l’aujourd’hui de Dieu : “Aujourd’hui, écouterez-vous sa voix… ?”, demande un psaume. Trop souvent, nous sommes dans le passé (Or Dieu n’est plus dans notre passé), ou dans le futur (et Dieu n’est pas encore dans notre futur). Et l’on découvre toujours trop tard que la merveille - la merveille de Dieu - est dans l’instant, sacrement de la présence de Dieu.

C’est ce que les textes d’aujourd’hui nous suggèrent : St Paul s’adresse aux Corinthiens. Il dirait aujourd’hui : “Vous qui ici", en cet instant (à Vaas, Chateau-du-Loir ou dans les environs...), "vous êtes l’Eglise de Dieu…”. Quand l’apôtre écrit, les termes n’étaient pas encore usés ; le mot “Eglise” n’était pas rabaissé au sens d’institution sociale simplement. L’Eglise était l’Assemblée des chrétiens célébrant chaque instant du jour comme une Eucharistie de la présence de Dieu en notre monde. Elle était l’union de ceux que le Christ transforme, à chaque instant, en son Corps ! Oui, à chaque instant, nous devons former ce Corps dont le Christ veut disposer pour assurer sa présence visible dans le monde jusqu'à la fin des temps.

Voilà pourquoi la Vierge Marie est et sera toujours présente près de nous. Mère du Corps du Christ (à Bethléem et au Calvaire : "Voici ton fils..."), elle est donc notre mère, actuellement, en notre instant. - C’est notre vocation : faire, avec Marie, le “Corps du Christ”. Et pour cela nous sommes “appelés, dit St Paul, à être saints”, purs, transparents de la présence du Christ. `

Quelle vocation ! C’est, par grâce divine, notre ordinaire et notre extraordinaire, en chaque instant…
Aussi, Dieu, par la bouche du prophète Isaïe, nous redit, en chaque instant,  à nous qui devons former le Corps du Christ dans notre aujourd’hui ordinaire et extraordinaire : “Tu es mon serviteur… Je vais faire de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne aux extrémités de la terre”. C’était la mission du Christ ; c’est notre mission en Jésus Christ !

Il ne faut donc pas évacuer la grandeur de chaque instant de notre vie, en les cataloguant d’ordinaire ou d’extraordinaire ! Sinon, on risque de se tromper…

Et d’abord sur soi-même. Il y a un bel épisode d’un livre de Jean Sullivan (poète du 19ème siècle) : Assis au bord de la mer, un cardinal d'Espagne regarde la vague marbrée dont l'écume s'éparpille sur le rivage depuis des millénaires. Il vient de "prendre sa retraite", après avoir été, pendant longtemps, chef et témoin d'Eglise. Soudain, devant l'indifférence des flots, à cette extrémité de la terre et de sa vie, il a le vertige à la pensée de ce que fut son existence : “J'étais en représentation...”, constate-t-il avec un réalisme certainement exagéré.

Oui, il est vrai qu’on peut jouer un rôle important, tenir une fonction élevée, etc… et s’apercevoir un jour qu’on n’a pas véritablement vécu les instants de notre vie que Dieu voulait remplir de sa présence. Et l’instant purificateur de notre mort sera, je crois, de rencontrer sa propre image avec le sentiment de regarder un étranger que le regard toujours aimant de Dieu voudra cependant transformer éternellement "à son image et à sa ressemblance".

Il nous faut donc vivre chaque instant comme ordinaire et extraordinaire sous le regard de Dieu. C’est ainsi encore que l’on peut véritablement découvrir nos frères : Ils sont ordinaires, certes, mais extraordinaires aussi. Sinon on risque de ne les connaître vraiment qu’après leur disparition, n’ayant pas vécu avec eux chaque instant de leur vie sous le regard de Dieu.

Ainsi donc, si on ne vit pas la profondeur de l’instant présent, on en arrive facilement à se tromper sur soi (jouant plus ou moins sa vie), à se tromper sur les autres (par un regard trop réducteur), et à se tromper sur Dieu, sur Jésus lui-même ! 

C’est ce qui faillit arriver à Jean-Baptiste (Ev.). Nostalgique d’un passé révolu, imaginant l’action de Dieu dans le futur, ne vivant pas suffisamment l’instant de la présence de Dieu, il avait annoncé le Messie à sa façon : comme un bûcheron dont la cognée allait frapper les arbres stériles, comme le moissonneur qui allait trier le grain et brûler la balle.
Or, voilà que Jésus se laisse inviter par des gens de piètre réputation : il mange, boit avec eux ; parle de la tendresse de Dieu ! Jean-Baptiste, l'ascète du désert, attendant un Messie de vengeance, a dû se cabrer !
Mais cet homme de feu qui ne cessait de scruter les venues brûlantes de Dieu tout au long de l’histoire, les a vu soudainement se concentrer en son instant présent en lequel il reconnaît la réalité d’un vieux poème insolite, égaré dans le livre d'Isaïe : “Voici mon serviteur bien-aimé... Comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, il n'ouvre pas la bouche...” (Is. 53,7).

Ainsi, Jean-Baptiste comprend : Jésus ne serait pas celui qu'on imaginait, le Messie politique, le Messie casseur d'un monde. Au contraire, il allait ouvrir son chemin inouï dans le prolongement de cet oracle étrange ; “comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir”...
Alors, il confessa humblement : "‘Voici l’Agneau de Dieu !’. Je ne le connaissais pas. Mais celui qui m’a envoyé m’a dit : ‘L’homme sur qui tu verras l’Esprit descendre, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint’”.

Et pendant la vie si brève de Jésus, on ne cessera pas de faire erreur sur lui. Même ses amis rêveront jusqu'au bout de lui voir exercer quelque pouvoir fracassant. Pourtant, beaucoup pressentaient qu'un maître sans pareil était là, au milieu d'eux, à chaque instant, et qu'une vie prodigieuse - la Vie - était concentrée en lui. Mais il faudra qu'il meure pour que des multitudes, de siècle en siècle, commencent à découvrir qui était Jésus… !

Ainsi, comme Jean-Baptiste et beaucoup d’autres, il nous faut vivre pleinement l’instant présent où Dieu ne cesse de se manifester… Aujourd'hui même, en chaque instant de nos vies, Jésus est-il connu d'une connaissance qui transforme notre existence ? Mieux que d’imaginer sa venue, il faut vivre l’instant de la présence permanente de Dieu à l’homme.

Oui, on peut se tromper sur la vie, sur soi, sur les autres. On peut aussi se tromper sur Jésus. Et sur Dieu lui-même. Il ne s’agit pas, par exemple, de suivre Pierre, Apollos ou Paul comme disait l’Apôtre aux Corinthiens ; il s’agit de suivre le Christ en chacun de nos instants !
Il ne s’agit pas, par exemple, d’être spécialement à la remorque de tel ou tel mouvement, il ne s’agit pas d’être intégristes ou progressistes ; il s’agit d’être, en chaque instant, des "progressant" en la vie même de Dieu que Jésus ne cesse de manifester en notre présent.

Alors, on pourra s’exclamer avec le livre de la Sagesse : “Dieu m’a donné une connaissance exacte du réel... Il m’a appris le commencement, la fin et le milieu des temps” (Sg 7.18-19) qui se contractent tous dans l’instant de notre présent, prélude de l’instant éternel de la gloire du Ressuscité.

mercredi 15 janvier 2014

Humilité !

15 Janvier 2014    - Sts Maur et Placide

Saint Maur et Saint Placide ! Les deux disciples exemplaires de St Benoît !
Il me semble que St Grégoire n'en parle à propos de St Benoît que pour souligner les deux grandes vertus monastiques et donc chrétiennes que le Patriarche des moines tient en grande valeur : l'obéissance et l'humilité, vertus parfaitement accomplies en ses deux jeunes disciples.

J'avais souligné naguère, il me semble, en pareille circonstance festive, la grandeur de l'obéissance qui doit être pratiquée à l'exemple du Christ qui disait : “Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé..." (Jn 4.34), et qui priait ainsi à l'approche de sa mort : "Père, ... que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse !" (Lc 22.42). Et il nous a enseigné à répéter sans cesse : "Notre Père..., que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel !".

Mais l'obéissance suppose l'humilité, vertu sur laquelle St Benoît insiste autant, sinon plus !

L'humilité vis-à-vis de Dieu est facile à comprendre, mais déjà un peu moins à accepter et à pratiquer. Pourtant...! Pourtant ne sommes-nous pas tous et chacun dans la situation de Ste Catherine de Sienne à qui le Seigneur s'adressait en lui disant : "Je suis Celui qui est ; Toi, tu es celle qui n'est pas !". Tant notre être, en chacun de ses instants, est totalement dépendant de Dieu. Tant il est vrai que si Dieu, en son incessante action de Créateur, ne nous maintenait pas dans l'existence ("essence" et "esse", comme disent les philosophes), nous ne serions pas !
Et prendre conscience de cette réalité, en toute humilité, c'est une grande manière de percevoir la richesse de la permanente présence de Dieu en notre vie... ! Si nous nous maintenons dans l'existence, c'est que Dieu-Créateur est "avec nous", en nous, lui qui s'est fait "Emmanuel" (= Dieu avec nous !) pour nous le faire mieux percevoir !

L'humilité vis-à-vis des autres, vis-à-vis de ses frères est plus difficile à comprendre et surtout à pratiquer. Dans telle ou telle situation, on se sent tellement supérieur aux autres, plus intelligent, plus pertinent, plus efficace, plus adroit... - et que sais-je erncore - que tous les autres !

La pratique de l'humilité se pose en toute société ; elle se pose surtout en toute communauté chrétienne et donc monastique.
Et surtout comment pratiquer l'humilité quand il y a oppositions légitimes, et parfois si fortes qu'en résultent des conflits... C'est tellement humain ! N'est-ce pas ? Et assez courant !

Il est bon de se souvenir de l'Evangile qui traduit fadcilement cette situation que nous connaissons bien. St Marc, surtout, le fait avec un humour assez pitoresque (9.33-35) : Jésus marche en avant ; et soudainement il se retourne et demande naïvement  à ses apôtres : "De quoi discutez-vous donc, là, derrrière moi, derrière mon dos ?". Alors, les apôtres se trouvent un peu ennuyés, décontenancés, car, dit le texte, "ils se disputaient pour savoir qui était le plus grand". Et une dispute assez tonique au point de chatouiller et d'éveiller les oreilles de Notre Seigneur qui se retourne et questionne... Situation qui peut nous faire sourire, mais si actuelle !

En St Matthieu (18.1sv), les circonstances sont un peu plus à l'avantage des apôtres ; ce sont eux qui s'approchent de Jésus et qui questionnent : "Qui est le plus grand dans le Royaume des cieux ?" Question plus honorable mais toujours orgueilleusement actuelle ! Même en milieu clérical !

Mais chez les deux évangélistes, la réponse est identique : il faut devenir comme un enfant ! A l'exemple de St Maur, de St Placidce, nous dirait St Benoît !
Non pas comme un "tout-petit" (nèpios) qui ne peut dialoguer et qui est souvent présenté comme un modèle d'innocence, de pureté, de perfection morale, mais comme un enfant (paidion), capable de comprendre et de répondre à un appel et qui se tient comme en un état de dépendance déférente !

Dépendance vis-àvis de Dieu, certes ! Mais aussi vis-à-vis des autres !
Car Dieu lui-même s'est fait dépendants de nous, et de quelle manière en son Fils Jésus ! Il nous a donné un grand exemple d'humilité lorsqu'il lava les pieds de ses disciples. Il s'est fait serviteur, lui, le Maître ! Il s'est fait "Serviteur souffrant" jusque sur la croix !
Ainsi, on doit rester dépendant vis-à-vis des autres, même inférieurs, car, en terre chrétienne, toute responsabilité n'est qu'un service, un service de ses frères, à l'exemple du Seigneur. Etre reponsable, c'est être au service de ses frères ! Et le pape lui-même signe ses documents en écrivant : "Le Serviteur des serviteurs de Jésus Christ !".

Voilà bien le fondement de toute humilité qui nous rend toujours accueillants à l'autre quel qu'il soit, même du plus petit de la Communauté, dira St Benoît !

Oh ! Certes, cela peut engendrer quelques conflits divers et parfois légitimes. Mais eux-mêmes doivent être menés en toute humilité. Et pour cela il existe ce que l'on appelle la "correction fraternelle", dont parle Notre Seigneur en St Matthieu : si ton frère, à tes yeux, vient à pécher..., va le trouver seul à seul..., prends ensuite deux ou trois frères avec toi..., puis que toute la Communauté s'engage... !
Même dans la "correction fraternelle, il y a toute une hiétrarchie à suivre exigée par l'humilité. Car l'humilité est toujours au service de la Vérité et de la Charité !

L'humilité ne consiste donc pas à toujours s'effacer (pour ne pas avoir d'histoire, n'est-ce pas !). L'humilité n'est pas le complexe d'infériorité qui n'est finalement que de l'orgueil renversé ! L'humilité consiste souvent à être dans une attitude de vérité, comme St Paul le dit à son disciple Timothée : "Ce n'est pas un esprit de crainte que Dieu nous a donné, mais un Esprit de force et de maîtrise de soi !" (2 Tim 1.7).

Pour cela, il faut être très humble, car l'humilité cherche toujours la vérité et aide grandement à faire les indispensables discernements en toutes circonstances. Avec l'humilité on comprend mieux, par exemple, que
- la "correction fraternelle" n'est pas l'accusation. En ce sens, Satan, par son orgueil, est qualifié de grand "Accusateur" (Apoc. 12.10).
- le repentir n'est pas la culpabilité, cet "univers morbde de la faute", psychose de l'esprit d'après le célèbre docteur Hesnard, disciple de Freud.
- la patience n'est pas la résignation.
- l'obéissance n'est pas la flagornerie
- le détachement n'est pas l'indifférence
- la Providence n'est pas la fatalité
- l'habitude n'est pas la routine.

Oui, l'humilité nous met à l'école d'un véritable et indispensable discernement pour de plus en plus accéder à la vérité tout entière.
Aussi, St Pierre nous recommande : “Enveloppez-vous d’humilité dans vos rapports mutuels“ (I Pet. 5.5).

Mais attention ! Cette vertu est très subtile si je puis dire ; car généralement, lorsque l'on dit qu'on la possède, c'est que déjà on ne l'a plus !