4e
Dimanche de Carême 2014.A
Quelle merveilleuse aventure que celle de
cet aveugle de l’évangile. On est facilement ému par ses tribulations,
ses conflits avec les Pharisiens, sa ren-contre avec Jésus, ses dernières
paroles si émouvantes : "Je
crois, Seigneur !".
L’événement a lieu à l’occasion de la fête
de Soukkot ; cette fête, appelée aussi “fête des tentes”, faisait
mémoire des merveilles accomplies par Dieu au cours de la traversée du désert
par le peuple hébreu. Entre autres, et principalement :
- le miraculeux jaillissement de l’eau à
partir du rocher frappé par Moïse pour étancher la soif de tout le
peuple ;
- et l’apparition de la colonne
lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur périple.
Ces deux éléments - l’eau et la lumière -
rappelaient à leur façon la délivrance d’Egypte et l’entrée en Terre promise.
Et voici que Jésus reprend ces deux
éléments :
- Il demande à l’aveugle d’aller se laver
dans la piscine de Siloë qu’alimentait, par un fameux canal, l’eau qui jaillissait
du rocher à l’extérieur des remparts, à la source de Gihon.
Cette source de Gihon qui rappelait celle
du désert était un autre lieu très symbolique de délivrance depuis la déroute
des armées de Sennachérib, au temps du prophète Isaïe (8ème s.).
Et c’était cette petite source située au
côté droit du temple qui, un siècle plus tard, était devenue, dans la vision
très imaginative d’Ezéchiel, ce grand fleuve qui se jetait dans le Jourdain et
dans la mer morte (symbole de tous les péchés) pour la purifier et la rendre
féconde.
“Va
te laver dans la piscine de Siloë !”. C’était demander à l’aveugle cette
foi qui avait permis aux Hébreux de passer, par la mer rouge, de la
“servitude de l'homme au service de Dieu”, de traverser le Jourdain pour
être purifié comme naguère Naaman, le Syrien, d’aller s’abreuver à cette
source que Dieu ne cessait d’alimenter pour le salut du peuple.
- De plus, la fête voulait rappeler la
nuée lumineuse qui conduisait le peuple tout au long de leur chemin de
délivrance à travers le désert. Aussi, durant ces jours de fête, tout Jérusalem
était illuminé avec un luxe incroyable et des moyens qu’on a peine à imaginer
aujourd’hui.
Et c’est justement en entrant à Jérusalem
au dernier jour de cette fête de Soukkot que Jésus déclare solennellement :
“Je suis la lumière du monde. Celui qui
vient à moi ne marchera pas dans les ténèbres”.
Le récit de notre évangile veut donc
montrer tout à la fois la mission de lumière accomplie par Jésus en ce monde,
et le conflit dramatique qui en résulte, opposant violemment entre elles la
lumière qui permet de voir et les ténèbres : "La lumière est venue dans le monde, avait déjà dit St
Jean, et les hommes ont préféré les
ténèbres à la lumière !" (3/19).
Il est important de comprendre les
circonstances de cette guérison qui nous interpellent nous-mêmes : comment
nous-mêmes réagissons-nous devant cette “Lumière du monde” qu’est le Christ,
nous qui avons été purifiés par les eaux du baptême ? Il suffit alors de reprendre attentivement le
récit.
- Il y a d'abord l'attitude des
PHARISIENS.
Parmi eux, certains se demandent avec bonne
foi qui est cet homme qui accomplit de tels miracles ; mais la plupart ont un
parti pris évident contre Jésus. Ils sont murés dans leur suffisance, leur
orgueil, leur contentement d'eux-mêmes : "Nous
savons…" - "Nous voyons… !" - "Sommes-nous des aveugles, nous aussi ?…". Ils ne
veulent pas voir. C'est le "péché
contre la lumière", comme dira St Jacques. Alors, ils s'enfoncent dans
d'irrémédiables ténèbres. La lumière, au lieu de les éclairer, les aveugle
davantage. - C'est une situation dramatique qui culminera au moment de la
passion du Christ.
Puisse la lumière de notre intelligence ne
pas nous enfermer sur nos petites convictions, nos petites certitudes, avec suffisance
ou paresse, mais nous ouvrir à la lumière même de Dieu !
- Le récit met encore en scène LES
PARENTS de l’aveugle ! Leur attitude, à eux, c'est la peur de se
compromettre avec Jésus. Ils refusent d'opter ! "Nous n'en savons rien !". C'est encore un "péché contre la lumière" qui
les empêche de rencontrer le Seigneur, d'être éclairés.
Cette erreur est toujours actuelle :
le silence de notre foi, par respect humain, par crainte de l'opinion d’autrui,
par peur de se compromettre. On oublie facilement le Christ en le reléguant
dans la sphère du privé, uniquement. Pourtant, le Seigneur ne cesse de nous
redire : "N'ayez donc pas peur
!".
- Imitons plutôt L'AVEULGE-NE, un
des personnages les plus attachants de l'Evangile. C'était un mendiant ignoré,
méprisé. Lui seul pourtant va savoir proclamer hardiment la vérité devant des
gens considérés, instruits, devant les autorités.
Remarquez sa sincérité : il raconte
les faits avec exactitude !
Remarquez son courage.
Il accepte les insultes, les outrages à cause du Christ ! Remarquez son humilité
devant Dieu. Il est le type des “Pauvres de Dieu”. Parce qu'ils sont humbles,
petits à leurs propres yeux, ils reçoivent la lumière !
Cependant, il n'accède pas d'un coup à
la lumière ; et ce n'est pas un des moindres intérêts de ce récit que ce
cheminement intérieur et très progressif de cet homme ! En cela, il est un
modèle de loyauté, de docilité à la grâce, à l'Esprit-Saint. Tout au long de
l’épisode dramatique, on le voit s'élever, de degré en degré, à une
intelligence spirituelle plus haute et de l'événement dont il a été le
bénéficiaire, et de la Personne même du Christ !
+
Au début, Jésus n'est encore pour lui que "l'homme appelé Jésus", et sa propre guérison qu'une
aventure inouïe, inexplicable. "Où
est-il, ce Jésus ?", lui demande-t-on. Il n'en sait rien !
+ Puis, témoin des divisions des
Pharisiens, il commence à comprendre que sa guérison a une signification
religieuse. Alors, il n'hésite pas à dire que ce Jésus est un
"prophète", et sa guérison, par conséquent, un miracle et un "signe".
+ Enfin, quand les Juifs durcissent leur
position et font décidément de Jésus un pécheur, l'aveugle s'affermit,
de son côté, dans la sienne : Jésus est un homme religieux ; c’est parce
qu’il prie que Dieu l’exauce. Bien plus, il ajoute : "Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire
!". Ces paroles courageuses provoquent son expulsion !
+ L'Aveugle guéri en est là quand Jésus le
trouve. On dirait qu'il le cherchait. L'aveugle est au seuil de la foi. Pour
accéder à la pleine lumière, il lui faut encore cette rencontre ; et
Jésus ne la lui refuse pas !
+
"L'ayant trouvé, Jésus lui dit : "Crois-tu au Fils de l'Homme ?". Il répondit : "Et qui est-il, Seigneur, pour que
je crois en lui ?". Admirable disponibilité : son cœur est prêt à
croire. Puissions-nous avoir cette disposition loyale - et qui n'est pas
naïveté, bien sûr - pour recevoir la
lumière, la vérité, pour recevoir Dieu lui-même !
"Jésus lui dit : "Tu le vois; c'est lui qui te parle" !
Alors il dit : "Je crois, Seigneur".
Et il se prosterna devant lui".
L'aveugle accepte le témoignage de Jésus.
Ses yeux s'ouvrent : il voit Jésus des yeux de la foi, et pas seulement de ses
yeux de chair guéris par le miracle. Il
voit en lui l'Envoyé de Dieu, le Sauveur du monde.
Non seulement il connaît désormais les
choses qu'il voit ; mais il reconnaît celui qui le fait voir. En lui, il
reconnaît Dieu qui s’était déjà manifesté dans le désert, lors de la
traversée de la mer rouge et par l’eau qui sortait du rocher... Et Dieu vient
de le purifier dans cette eau qui sort du côté droit du temple !
Ainsi, le mendiant, l'aveugle-né, l'homme
estimé "péché" et rien que "péché" depuis sa naissance,
devient le "signe" vivant de l'homme illuminé et régénéré par
Jésus qui ne peut agir que par puissance de Dieu !
Comme les Hébreux au désert, comme cet
aveugle-né, nous aussi, nous avons un itinéraire spirituel à parcourir. Nous
devons rencontrer le Christ dans sa parole, dans ses sacrements, dans la
prière… Ce sont ces rencontres personnelles avec Jésus qui donnent à notre foi
sa véritable dimension !
Alors, en toute circonstance, dans le
secret du cœur ou devant les hommes, nous pourrons dire, nous aussi : "Je crois, Seigneur" !