samedi 16 août 2014

La foi d'une païenne

T.O. 20ème Dimanche -

Il est facile de se scandaliser des refus que Jésus oppose à la si belle prière de la Cananéenne. Et il est vrai qu’à première lecture, la dureté des réponses de Jésus à cette femme peut surprendre. Il n’empêche : c’est toujours facile de se scandaliser. Il faut pourtant dire et se redire qu’il s’agit, là, de la Parole de Dieu ! Et si on critique facilement tel passage de la Bible, Notre Seigneur pourrait nous adresser ce reproche qu’il faisait à ses apôtres : “N’avez-vous donc pas compris encore ?”

Aussi efforçons-nous de comprendre. Et à propos de cet évangile, beaucoup, comme pour excuser les étonnantes réponses de Jésus, font l’hypothèse d’une dureté “pédagogique” : voulant éprouver la foi de la Cananéenne, Jésus aurait, en un premier temps, refusé le miracle pour que cette femme, en un second temps, exprime une parfaite confiance. Chose possible, mais hypothèse fragile et sujette à caution.

Il vaut mieux prêter attention au récit et à son contexte :
- Dimanche dernier, Jésus se plaignait de la “petite foi” de Pierre qui, marchant sur les eaux du lac à son invitation, avait eu peur et manqué de confiance : “Homme de “petite foi”, pourquoi douter ?”.
- Le Dimanche précédent, on avait remarqué que Jésus avait fui la foule qu’il avait pourtant rassasiée, parce qu’elle n’avait pas compris le sens du miracle des pains. Bien plus, Jésus s’était violemment heurté aux scribes et pharisiens qui, mieux que d’autres, auraient du saisir le sens de ce miracle qui avait moult résonances dans l’histoire d’Israël. Et Jésus, très déçu - ayant comme nous une sensibilité d'homme qu'il était totalement - avait eu cette remarque cinglante : “Ce sont des aveugles qui guident des aveugles…”. Bien davantage encore, il s’apercevait que ses apôtres eux-mêmes n’avaient rien compris : “Vous ne comprenez donc pas encore ?”.

Aussi, très attristé par toutes ces incompréhensions de ses compatriotes eux-mêmes, Jésus se retire dans la région de Tyr et Sidon (sud du Liban). C’était un pays païen. Et il faut se souvenir de la barrière presque insurmontable qui séparait Juifs et Cananéens, du mépris, d’ailleurs réciproque, des uns pour les autres. Comme anecdote qui illustre un reste de cette opposition, on m’a dit qu’il n’y a que, peu de temps encore, lorsqu’un Juif demeurait dans cette région et qu’il y décédait, on transportait le défunt immédiatement en terre juive. Car il était inconcevable que sa dépouille reste en terre païenne, cette terre honnie depuis toujours, depuis le temps surtout où Salomon avait vendu cette région qui faisait partie de la "Terre promise" au roi Hiram de Tyr en compensation de matériaux qu'il avait acquis auprès de ce roi pour ses diverses constructions, le temple notamment ! Politique reconnue néfaste !

Et c’est justement de cette région que surgit une femme - une étrangère, une païenne - qui, par opposition à la “petite foi” de Pierre sur les eaux, par opposition à l'hostilité des scribes et des pharisiens, va manifester au contraire une grande foi : “Ta foi est grande”, lui dira Jésus.

Et pour mieux souligner ce contraste, Jésus - sa pensée étant encore tout attristée par le manque de foi rencontrée chez les siens -, murmure, un peu amer et peut-être ironique, mais surtout à l’adresse de ses apôtres : “Mais, vous le savez, je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël”, ces brebis qui elles-mêmes, pourtant, n’ont encore rien compris. Et, faisant le lien avec le signe mal accueilli de la multiplication des pains, il explique, toujours quelque peu persifleur à l'encontre de ses apôtres et non pas de la femme, païenne : “Il n’est pas bon de prendre le pain des enfants” - qu’ils reçoivent pourtant sans comprendre - “pour le donner aux petits chiens”, à ces païens qui, a priori, ne peuvent que moins bien saisir le sens de ses paroles et actions.

Oui, ce thème du pain, très suggestif pour un Juif, fait le lien entre les décevants incidents qui ont précédés et la demande de cette païenne si remplie de foi : “Femme, ta foi est grande !”.

Autrement dit, si Jésus a semblé fortement rebuter les démarches de cette femme, c’était pour mieux souligner le fort contraste entre le manque de foi qu’il rencontrait chez les siens et l’immense confiance de cette païenne. Le récit se veut d’ailleurs “universaliste”, comme si Jésus, devant cette foi immense, découvrait, émerveillé, que son Père ne lui donnait pas seulement le peuple Juif en héritage, mais aussi la foule immense des païens. D'ailleurs, l’évangile de Matthieu qui s'adresse pourtant à des Juifs convertis, se terminera par cette invitation à l'universel : “Allez, de toutes les nations faites des disciples”.

Ceci dit, pour expliquer ce passage d’évangile un peu difficile. Mais remarquons surtout : pour Jésus, c’est la foi qui est essentielle ! Il ne fait des miracles que pour cela - ce qui est souvent répété dans l’évangile -. Jésus respecte le manque de foi, car il respecte la liberté humaine, don de Dieu. Mais ce manque de foi le déconcerte toujours et l'empêche de répandre à profusion les bienfaits de Dieu qui ne demande que l'ouverture d’un cœur pour les recevoir. L'exemple célèbre est celui de ses compatriotes de Nazareth : “il ne fit pas beaucoup de miracles, parce qu'ils ne croyaient pas”.

Comme la Cananéenne, nous avons tous fait, un jour ou l'autre, l'expérience de ne pas voir nos prières exaucées, apparemment. Eh bien ! Méditons cette scène merveilleuse. Qui sait si elle ne contient pas les réponses, à nos questions.    
- Nous voyons... d’abord, qu'il ne faut pas se fier aux apparences, à ce que nous voyons à l'extérieur ! Jésus apparaît là sans cœur, insensible, dur, cinglant même. Il commence par ne rien répondre. Puis il oppose un refus catégorique : “Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d’Israël”. Enfin il semble se moquer et de la pauvre femme et surtout du manque de foi de ses apôtres : “Il n'est pas bon de prendre le pain des petits enfants, pour le donner aux petits chiens”.
- Mais sous ces apparences, entre cette Cananéenne et Jésus, il se passe quelque chose... à l'intérieur, qui rappelle l’entretien de Jésus avec la Samaritaine.. L’apparente dureté de Jésus est comme un barrage de haute montagne qui provoque la montée des eaux. La foi de la femme grandit, monte, à chaque épreuve nouvelle, jusqu'à constituer comme un grand lac... de confiance et de persévérance.

Parce que, pour Jésus, la foi est plus précieuse que tout. Soumise à trois épreuves successives, qui sont trois prières inexaucées, la Cananéenne, l'étrangère, est devenue un modèle pour les disciples, eux qui n'avaient qu'une “petite foi”, et Jésus ne peut retenir son admiration : “Femme,, ta foi est grande !”.

Cette page d'évangile, sous une forme très concrète, est donc une grande page de théologie... qui annonce la thèse de la lettre aux Romains de St Paul : “L’Évangile est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du juif d'abord - ces brebis de la maison d'Israël -, puis du grec” - ici l'étrangère -. (Rm 1,16). Nous avons là l'essentiel de la révélation évangélique. Jésus n'impose à cette femme étrangère aucune des conditions légales juives... Le salut de sa fille n'est dû qu'à l'humble insistance de sa foi seule.

A une époque où l'on est tenté de majorer l'amour au détriment de la foi, il est bon de nous interroger sur la force de notre foi, que les épreuves de la vie et la prière peuvent faire grandir... afin qu’il nous soit dit à nous aussi : “Ta foi est grande ; que tout s’accomplisse comme tu le veux”.

Cette Cananéenne, cette païenne n’a pas de nom propre, pas plus que la Samaritaine. Que sont-elles devenues ? Elles sont passées comme des météores pour nous solliciter à une foi plus ardente et persévérante, à une charité qui abolisse les barrières entre les hommes. Remercions-les de leurs exemples avant des les rencontrer avec joie au jour éternel dans le Royaume de Dieu.

jeudi 14 août 2014

Grâce et Foi !

15 Août - Assomption de Marie

Au cœur de l'été, la fête de l'Assomption de Notre Dame est comme un rappel de la fête de Pâques. De même que Jésus est ressuscité, passant de ce monde à la gloire divine de son Père, de même Marie, mère de Jésus, est entrée dans le Royaume de Dieu, élevée au ciel dans la gloire de son Fils, avec tout son être jusque dans son corps. "A la fin de sa vie, elle a été élevée au ciel, corps et âme, dans la gloire de Dieu", disait Pie XIII lors de la proclamation du dogme de l'Assomption de Marie (1950)

Voilà donc ce que signifie la fête de l'Assomption pour Marie :
- ce corps, préservé de toute faute par la grâce de sa conception immaculée,
- ce corps de Marie qui a été le tabernacle du Fils de Dieu fait homme,
- ce corps virginal qui a donné naissance au Sauveur,
- ce corps qui n'a connu ni la corruption ni la dégradation du tombeau...,
ce corps a été glorifié, comme naturellement emporté dans la gloire éternelle de Dieu. Telle est l'assomption de Marie : ce mot qui signifie que Dieu "l'a prise avec lui" dans le ciel, au-dessus des anges et des saints.

Il me plaît souvent de penser que l'Assomption, c'est la fête de la mère de Jésus, la fête que Jésus ressuscité a voulu réserver à sa mère : Marie est entrée avec son Fils dans le monde de la résurrection. L'Assomption de Marie, c'est l'accomplissement du projet de Dieu sur sa créature, sur toute créature ; c'est la grâce de la résurrection déjà appliquée à Marie.

Et cela, par pure grâce divine, bien sûr !
En effet, contemplant Marie dans le mystère de son assomption, c'est une fille de notre race que nous contemplons, quelqu'un de la terre ; et elle est le signe de ce que Dieu veut pour tous ; elle est le signe de ce que nous serons un jour.

Sur notre pauvre terre d'égoïsme, de violence, d'orgueil, sur notre terre de péché, une créature, une seule, a échappé, par pure grâce, à la loi d'airain qui nous attire au mal. Première des rachetés, Marie est cette créature parfaite en qui le projet de Dieu n'a rencontré nul obstacle. Marie est le chef-d'œuvre de la création : “elle est si belle, disait Bernadette à Lourdes, qu'on voudrait mourir pour la revoir".

Par pure grâce, Marie est toute sainte ; elle le chante dans son magnificat, et nous la contemplons, émerveillés.

Par pure grâce de Dieu, mais aussi à cause de sa foi : "heureuse celle 'qui a cru" s'écrie Elisabeth lors de la "Visitation" de Marie à sa cousine. Heureuse parce qu'elle a cru à la parole de Dieu, heureuse par sa réponse de foi.

Par pure grâce et donc aussi par la foi ! Jean-Paul II, dans son encyclique sur la Vierge Marie, insistait sur cet aspect de foi.
- "Par la foi, dit-il, Marie s'est remise à Dieu, sans réserve ; elle a répondu de tout son "moi" humain et féminin : elle a cru la première, comme autrefois Abraham dans l'Ancien Testament.
- Elle a cru chaque jour dans des circonstances difficiles, devenant première disciple de son Fils et le modèle des croyants.
- Elle a cru jusqu'au bout : jusqu’à la croix, la résurrection et la pentecôte.
- Et maintenant, elle accompagne et soutient l'Eglise dans son pèlerinage de foi vers le retour du Seigneur".

Aussi, la fête de l'Assomption de Marie est-elle pour nous une immense espérance : celle qui est passée de la foi à la gloire nous montre le chemin.
- En Marie, la loi du péché et de la mort est vaincue.
- En Marie, l'axe de l'humanité, faussé par le péché, se trouve redressé par la miséricorde de Dieu.
- Marie est cette créature à partir de laquelle toute l'humanité peut être à nouveau orientée vers Dieu dans la droiture et la sainteté.
- En regardant Marie, la toute sainte, élevée dans la gloire du ciel, nous contemplons ce que nous serons un jour "par-delà" ("al mouth") dit mystérieusement le psaume 48ème, par-delà tout, par-delà la mort elle-même.

Marie nous oriente vers le Royaume de Dieu !
Marie tourne ainsi nos regards vers cet autre monde qu'elle a laissé entrevoir à Bernadette de Lourdes, le monde de Dieu, où nous serons vivants pour toujours, corps et âme, vivants de la vie même de Jésus ressuscité.

La fête de l'Assomption nous invite donc à élever notre regard plus loin et plus haut que cette terre, trop souvent enfermée dans un cycle étouffant de production et de consommation, de travail et de loisir, d’argent et de plaisir. Non point que la foi nous écarte des soucis des hommes et des combats pour un monde plus juste, mais elle nous remet sous les yeux le but de notre vie, ce qui fait sa dignité.
Marie nous rappelle que nous sommes "fils de Dieu", créés "à son image", destinés à lui ressembler, appelés à partager son bonheur et sa gloire dans une vie éternelle au-delà de notre mort : voilà l'enjeu d'éternité de chacune de nos journées selon l'amour qui les inspire. Marie nous montre le chemin !

Marie nous montre le chemin pour tout notre être, corps et âme
Marie, dans son assomption, nous fait comprendre que c'est corps et âme que nous sommes sauvés et sanctifiés : "glorifiez Dieu dans votre corps" disait St Paul. Nul ne l'a fait mieux que Marie ! Qu'elle nous apprenne à respecter notre corps et celui des autres. Le corps promis à la résurrection glorieuse ne doit être ni manipulé, ni torturé, mais respecté, en toutes circonstances.

"Mon âme chante le Seigneur", répond Marie à Elisabeth. Elle nous apprend ainsi à tout rapporter à Dieu, à vivre dans la joie de la foi, à exprimer à Dieu notre merci pour Jésus qui a pris chair de Marie, a connu notre mort en donnant sa vie par amour, et qui nous entraîne à sa suite vers le Père dans une résurrection de tout notre être.

“Remercions Jésus, priait le pape Jean-Paul II, d’avoir fait participer sa mère à sa vie de ressuscité. Prions Marie de nous donner la joie, l’espérance de la rejoindre, elle notre Mère” !

dimanche 10 août 2014

Espérance !

T.O. 19 Dimanche 

Nous venons d'entendre deux récits magnifiques : un récit de montagne, un récit de mer.
La montagne d'abord : Neuf siècles avant Jésus Christ, Elie, un des plus grands prophètes, va vers l'Horeb, la haute montagne, la montagne de Moïse, la Montagne de l’“Alliance” (1 R 19).
La mer ensuite. La petite mer de Galilée, mais une vraie mer avec ses dangers, ses vents, ses tempêtes. "Si c'est toi, crie Pierre, dis-moi de venir vers toi." - "Viens", répond Jésus. Pierre vient. Mais il a peur ; il coule, Jésus le prend par la main.

Il m'a semblé que ces deux récits, la montagne et la mer, mettaient bien en relief les deux faces, les deux aspects de notre foi chrétienne.

La montagne d'abord. Elie est un homme pourchassé, traqué ; on veut le tuer ; il veut mourir à l'entrée du désert ; mais on le secoue, on lui dit : "Mange, marche quarante jours dans ce désert, et monte ; le Seigneur va passer pour toi".

Cet homme va rencontrer Dieu. Il y eut un ouragan qui fendait la montagne, brisait les rochers, mais le Seigneur n'était pas dans l'ouragan, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. Et après le feu, "le bruit d'une brise légère", "le son d’un silence subtil". C’est le Seigneur Dieu qui passait ! - La traduction, là, est difficile. En mot-à-mot : Elie entendit “le son d’un silence pulvérisé” ou encore : “le son d’une poussière de silence”. On peut dire qu’il s’agit là sans doute d’un silence absolu, c’est-à-dire “sans lien” avec quoi que ce soit, un silence totalement libre de tout, ce qui convient parfaitement à Dieu. Cela ne veut pas dire que le “silence” contient Dieu. Mais cette “poussière de silence” peut être signe de sa présence, de sa seule présence !

C’est pourquoi le silence dans notre relation avec Dieu (prière), le silence de l’âme, ce silence qu'expérimentera, par exemple, St Jean de la Croix, disciple du Mont Carmel où résidait Elie, ce silence-là nous dispose à être présent au Seigneur, à correspondre au souffle de son Esprit. Et puis, le silence également favorise l’écoute de nos frères. “Ce qu’il y a de plus important dans nos conversations, c’est peut-être le silence” a-t-on dit.

Et puis, dans le silence, signe de la présence de Dieu, il y a comme une parfaite indication d’une erreur (une “inversion sacrilège”), cette erreur que le sarcastique Voltaire avait souligné : "Dieu a créé l’homme à son image ; et l’homme le lui a bien rendu !”. Et il est vrai que l’homme, souvent, fabrique son Dieu, à lui, à son image, selon ses idées, ses paroles, ses activités qu'il veut efficaces par ses propres forces… Or Dieu, ici-bas est l’Indicible, l’Invisible. On ne le rejoint souvent que dans le silence !

"Si tu rencontres Dieu, tue-le, ce n'est pas lui", dit un proverbe d'Orient. Quatre siècles plus tôt, sur cette même montagne, Moïse avait voulu voir Dieu. "Fais-moi voir ta face.". - "Si on voit Dieu, c'est qu'on est mort." lui est-il répondu. Le Seigneur cacha Moïse dans la fente d'un rocher ; et la gloire de Dieu passa derrière Moïse. Personnellement j’aime bien ce commentaire de la tradition juive : “Moïse ne vit que le manteau de la miséricorde de Dieu qui recouvrait toutes choses”. Oui, ici-bas, on ne voit Dieu que de dos. Un sillage, une trace, dit St Jean de la Croix, un parfum, "comme un silence". Personne ne met la main sur Dieu. Malheur aux propriétaires tranquilles de Dieu qui savent tout de lui.

Après la montagne, la mer. Il faut savoir que les Hébreux n’avaient absolument pas ni l’esprit, ni le pied marin. Et puis, pour eux, la mer était le refuge des monstres marins du chaos primitif. La mer leur faisait peur.

Et voici que dans une barque de pêcheurs, quelques hommes se sont affrontés toute la nuit à une mer hostile. Aux premières lueurs de l'aube, un fantôme s'avance vers eux sur les flots. Pris de panique, ils crient. "N'ayez pas peur, leur dit Jésus, c'est moi !". - Oui, c'est lui, celui sur qui ces hommes ont joué leur vie. Pour lui, quelques mois plus tôt, ils ont tout laissé. Ils ont reconnu sur le visage de cet homme la splendeur de Celui qu'on ne voit pas. - "Seigneur, demandera Philippe, fais-nous voir le Père"."Philippe, dit Jésus, Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas. Qui m'a vu a vu le Père". Cette phrase est l’une des plus fortes de tout l'Évangile,

Ces hommes viennent de répondre à l’appel de Jésus. Et ici, déjà, il vient de les “lâcher, de les lancer dans l'aventure de la nuit. "Passez sur l'autre rive". L’autre rive (la Décapole) est une région païenne ! Seuls, sans lui. Mais le voilà qui revient. - "Si c'est toi, crie Pierre, dis-moi de venir vers toi." - "Viens", dit Jésus. Pierre marche, mais les vagues sont fortes, il a peur, il coule, il appelle au secours. Jésus est là, lui prend la main, et il lui dit : "Pourquoi as-tu peur ?".

La montagne et la mer ! Personne ne voit Dieu, mais dans notre histoire, un visage d'homme, un regard et un sourire d'homme nous disent tout de Dieu. Il faut donc s'enraciner dans cette histoire, rejoindre, de mains tendues en mains tendues, la main même de Dieu fait homme.

Pour terminer, je voudrais souligner : il y a quelque chose de commun entre ces deux récits, c'est l'angoisse et la peur de tous.
- Elle a peur, il veut mourir, "Je ne suis pas meilleur que mes pères, j'en ai assez". - "Debout !", lui est-il répondu, "mange, marche et monte vers ton Dieu !".
- Pierre a peur ; il perd cœur, il perd pied. La mer est rude pour lui, pour ses compagnons. Ils sont terrifiés, pris dans une dépression qui, bien sûr, arrive par l'ouest, par la Méditerranée. J'ai eu cette chance de voir ce phénomène curieux : quand les nuages blancs qui montent du désert de Jordanie rencontrent, sur le lac, les nuages gris qui viennent de la Méditerranée, cela peut être terrible, terrifiant !

Et nous ? Il y a des jours où on est plutôt en forme. Tour "baigne" ; et puis, avec les nuages divers de notre existence, le temps vient de la détresse, de l'angoisse. Oui, il y a dans nos vies des temps et des zones de haute pression et des temps de basse pression, de dépression. C'est l'heure de la difficile espérance ; pour Elie, pour Pierre, pour chacun de nous. Mais l'heure où on coule, c'est aussi l'heure du souffle dans "le son d’une poussière de silence" ; c’est l'heure de la main tendue !

Ce n'est pas parce que la marée est basse qu'il y a moins d'eau dans la mer. Ce n'est pas parce que la lune, un moment, éclipse le soleil, que le soleil ne brille plus.

Dieu est Dieu ; il n'en finit pas de donner sa Parole, de partager son Souffle, de donner la main.

mercredi 6 août 2014

Solitude et Communion !

6 Août - Transfiguration,                                    

"Ils ne virent plus que jésus seul !".

L'évènement de la vie du Seigneur intitulé "La Transfiguration" est à la fois un mystère de solitude et de communion : Jésus est "avec" ; et Il est "seul" !
- Il est avec Moïse et Élie. Il est avec Pierre, Jacques et Jean. Il est avec son Père qui lui parle.
- Mais Il est aussi tout seul : "Ils ne virent plus que jésus seul !".
Et comme le Christ, chacun doit en effet accomplir sa destinée à la fois seul et avec d'autres, personnellement et communautairement.

D'ailleurs, le modèle de toute société - pour un chrétien du moins -, n'est-il pas le mystère de la Sainte Trinité ?
- Chaque personne est distincte ; chacune s'engage et dit "Je" à son tour. C'est la vraie solitude, celle du Père, "un seul Père", celle du Fils, "un Fils unique", celle de l'Esprit, "dans l'unité d'un seul Esprit".
- Mais, en même temps, chacune de ces Personnes est tellement donnée aux autres qu'elles ont en commun une même existence. C'est la communion absolue, "moi en toi, toi en moi" disait Jésus (Jn 17.11), dans l'affirmation d'un "nous" !

Et le "Fils Unique", en venant sur terre, a voulu vivre dans ses relations humaines cette éternelle tension entre solitude et communion.
La Transfiguration est le sommet d'une vie solitaire et d'une vie partagée. La croix qu'elle annonce en sera l'achèvement.
- Au Golgotha c'est le moment où jésus a été plus seul que jamais, face au Père, face aux hommes.
 Et c'est le moment où il a été plus lié que jamais : Par le sacrifice de sa vie pour les autres, il reçoit la gloire de devenir le "Frère aîné d'une multitude de frères" (Rm 8.10). "Quand j'aurai été élevé de terre, lui fait dire St jean (élevé sur la croix, élevé au ciel par l'Ascension), j'attirerai tous les hommes à moi" (Jn 12, 32).

En cette fête de la Transfiguration, je vous propose de parcourir les évangiles en découvrant ce va-et-vient entre "le Jésus seul" et "le Jésus avec les autres".

Très souvent, il est dit dans les évangiles que Jésus se retirait dans un "désert", ayant besoin de silence, de solitude et même de repos. Mais les foules le recherchent. Il les accueille. les instruit. Il guérit les malades. Jésus ne fuit pas les contacts. Il est l'homme "livré aux autres".

Il en est ainsi à chaque instant de la vie de Jésus : il se retire et il revient !

Quand Jésus se retire dans la solitude du "Grand Nord", près des grandes montagnes de l'Hermon, avec seulement les douze apôtres - la foule et les disciples l'ayant abandonné -, c'est en cet instant, en cet endroit désert qu'il fonde une "communion", son Eglise sur la parole de foi de son apôtre Pierre. Toujours ce mystère de solitude et de communion !

Et sur la montagne de la Transfiguration, Jésus se retrouve avec Elie et Moïse. Ce sont les deux grands solitaires de l'Ancien Testament, les retirés du désert sur la montagne de Dieu. Mais Moise et Élie sont aussi des meneurs d'hommes, des rassembleurs du peuple autour du Dieu Unique. On retrouve toujours la même loi : plus on est seul, seul avec le seul et unique Dieu, et plus on est lié à ses frères.

Et, en cet évènement lumineux de la Transfiguration, Pierre, qui se trompe une fois de plus, croit que le Royaume est arrivé. La solitude est finie ; on va dresser trois tentes avec Moïse et Élie, et demeurer là, toujours, sur la montagne, loin des foules et des combats de l'existence. L'Église à peine née a failli devenir une secte. On est bien entre nous, on s'entend bien, alors on se réfugie dans un coin bien chaud, à l'abri du monde et de ses problèmes. Jésus les fera descendre de la montagne avec Lui pour retrouver les foules et marcher vers la Croix.

Certes, on diré que Jésus sur la montagne de la Transfiguration n'est pas seul, mais avec le Père qui lui parle : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Il est tout mon amour". Jésus est l'être "lié" par excellence, relié à Dieu, comme un Fils à son Père. Il n'est donc jamais seul. Et cette gloire de Fils qui n'était pas apparente, éclate aux yeux des témoins privilégiés.

Et pourtant, en même temps, la Transfiguration est aussi la révélation de la solitude, ou mieux de la distinction du Fils. Un fils, par définition, est celui qui un jour, s'il veut devenir grand, s'il veut dire "Je" au singulier, ne doit plus compter sur les autres, ni sur son père, pour accomplir son destin, mais uniquement sur lui-même.

C'est pourquoi Jésus dira à l'agonie : "Non pas ce que je veux, Père, mais ce que tu veux". Il est "avec", avec son Père pour accomplir sa volonté !
Mais sur la croix, Il déclarera : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". Il est seul.

Sa mort - et notre propre mort le sera sans doute - est un mystère de solitude et de communion.
C'est le moment où ce n'est plus le Père qui parle, mais le Fils qui prend la parole en son propre nom et dit, à l'égard de son Père : "Je Suis !". - "Personne ne m'enlève la vie, mais je m'en dessaisis de moi-même. J'ai le pouvoir de m'en dessaisir et le pouvoir de la reprendre...Tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père !" (Jn 10.18). C'est l'affirmation suprême de sa personnalité de "Fils". Cette vie reçue du Père, et que les hommes veulent m'arracher, dit-il, c'est Moi, Moi seul, qui la donne librement. Et il faut que le Père se retire pour que le Fils, en le mystère même de son incarnation, devienne pleinement Fils, distinct de Lui, et puisse abriter à son tour en son propre cœur tous les enfants de Dieu dispersés.

Mais la Transfiguration annonce et proclame aussi cette gloire de l'égalité parfaite dans la puissance de l'amour entre le Père et le Fils.

Et nous, dans le quotidien de nos vies, comment allons-nous équilibrer notre vie dans l'alternance des temps de désert, de solitude avec Dieu, avec l'expérience d'une vie partagée, en famille, dans les communautés, les groupes divers, bref en cette Eglise que le Christ a voulu ouverte à l'immense foule des hommes ?

Notre monde ressemble trop à une société anonyme, malade de l'individualisme ou du collectivisme, où l'homme n'est plus qu'un numéro. Il est temps d'enlever ces caricatures et de retrouver sur chaque visage incomparable le Visage ensoleillé du Transfiguré, c'est-à-dire du Ressuscité, qui nous fait déjà "fils de Dieu", parce que, désormais" frères du "Fils Unique" d'un "Unique Père" dans l'unité d'un "seul Esprit".

lundi 4 août 2014

Multiplication

T.O. 18 Dimanche - Multiplier les pains divers !

Chaque Evangéliste a sa manière propre de nous présenter Notre-Seigneur !

St Matthieu dont nous parcourons l'Evangile durant cette année, a vu en Jésus Christ, Fils de Dieu incarné, d'abord un Maître, dont l'enseignement  - "la Bonne Nouvelle du Royaume des Cieux" -, devait nous apporter  le salut.  Aussi, dès le début de son Evangile, Jésus enseignait les foules. Mais elles "entendaient sans entendre", elles n'écoutèrent pas le message de ce divin Maître.

C'est pourquoi, dira Jésus lui-même, il parlait par des paraboles afin que celui qui a des oreilles entende la Parole, la comprenne et porte du fruit en abondance. Mais cette manière ne fut pas suffisante non plus !

Aussi, avant de nous donner, en Croix, le suprême témoignage de son amour pour nous, Jésus accomplit de nombreux miracles (des signes, dira St Jean) pour convaincre ceux qui les voyaient : "si vous ne croyez pas ma Parole, croyez pourtant à cause de mes œuvres" (Jn 14.11). Et l'une des principales œuvres du Seigneur, l'un de ses principaux miracles fut la multiplication des pains.

Comment doit-on considérer actuellement ce geste du Seigneur, comment peut-il motiver notre foi ? Si nous rejetons l'enseignement de Jésus, c'est que, nous aussi, nous ne savons pas reconnaître ce signe qu'il a accompli ; signe important et pour notre vie naturelle et pour notre vie surnaturelle.

D’abord, nous oublions trop que c'est Dieu qui nous donne notre pain de chaque jour ; souvent pourtant, nous le lui demandons dans la prière que Jésus nous a apprise lui-même : "Donne-nous aujourd'hui le pain de ce jour". Et s'il est bon d'admirer les merveilleux miracles que Jésus a accomplis autrefois, ne serait-il pas juste de le louer pour celui qu'il accomplit toujours en nous donnant le fruit de la terre, œuvre de ses mains : "Tu es béni, Dieu de l'Univers, toi que nous donnes ce pain, fruit de la terre". Une formule juive qui a trouvé sa place en la prière de notre offertoire eucharistique.
Si Dieu a parfois donné aux hommes de façon spectaculaire la nourriture pour leur corps - telle la manne que Dieu donna aux Hébreux, tel le pain que Jésus multiplia - c'est pour que nous reconnaissions sa prodigalité envers nous, manifestée dans toute la création.
St Augustin dira magnifiquement : A cause de la régularité avec laquelle Dieu nous donne toutes les richesses de sa création, nous perdons et admiration, et reconnaissance et action de grâce ! "Mais, parce que les hommes, soucieux d'autres choses, cessent de contempler les œuvres du Seigneur, Dieu se réserve, en quelque sorte, d'accomplir parfois des choses extraordinaires afin de réveiller ceux qui semblent dormir. Un mort est ressuscité, les hommes sont étonnés, alors qu'il y tant de naissances chaque jour et personne ne s'en étonne ! Pourtant, à y regarder de plus près, il y a plus grand miracle à faire exister ce qui n'était pas qu'à faire revivre celui qui existait !".

Il nous faut donc admirer ce que Dieu nous donne régulièrement à chaque instant et en rendre grâce ! Tel est le sens, par exemple, d’une prière avant un repas… On l'oublie si facilement ! Dans la mentalité biblique, prendre un repas sans rendre grâce, c'est un vol !

Oui, trop souvent, nous oublions, nous manquons de reconnaissance, nous ne rendons pas grâce ! Alors - et c’est significatif - Jésus nous entraîne au désert : "Il partit pour un endroit désert !", comme lui-même, avant sa vie publique, fut conduit par l’Esprit au désert. Et là, il eut faim, comme le peuple d’Israël eut faim au désert lorsqu’il cheminait vers la Terre promise. Et que ne fait-on pas pour satisfaire cette faim ? Satan le sait, lui qui poussa le peuple de Dieu affamé à se révolter, lui qui tenta le Fils même de Dieu : “Ordonne que ces pierres deviennent des pains !”.

Mais le désert, s’il est lieu de tentation, est aussi le lieu où Dieu parle et se fait entendre plus facilement. Le prophète Amos le souligne lapidairement en utilisant l’assonance des mots pour mieux mémoriser : “mitbar dibarti” : au désert, je parlerai”. Oui, lorsque notre existence est si facilement encombrée de tous les divers vacarmes du monde qui nous entoure, il est bon que Jésus nous pousse dans un “endroit désert” - “Au désert, je parlerai” -.

Et quand le Seigneur parle, c’est le miracle, comme l’on dit :
- le peuple vit la manne tomber du ciel.
- Jésus fut servi par des anges
- et, dans l’épisode de notre évangile, c’est la multiplication des pains !

Il faut encore bien remarquer : Dieu, veut associer les hommes eux-mêmes, les bénéficiaires de ses dons, à cette prodigalité : "Donnez leur vous-mêmes à manger", dit Jésus à ses Apôtres. Ainsi tout chrétien devient comptable de la faim des hommes, responsable de leur pain quotidien. Je ne veux pas m'étendre sur cet aspect social, si important cependant. Souvent les derniers papes ont rappelé qu'il appartient à tout chrétien, par sa libre initiative, de pénétrer d'esprit évangélique la mentalité et les mœurs de notre temps, les lois et les structures de leur communauté de vie, pour résoudre ce problème.

Mais, par ce récit de la multiplication des pains, il faut encore aller plus loin ! Car "l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu". Et le lien entre "pain" et "parole" est suffisamment attesté par tout l'Ancien Testament pour qu'il n'apparaisse pas sous-jacent à notre texte. Amos en particulier parle de la faim et de la soif des jours à venir : faim et soif ni de pain, ni d'eau, mais "d'entendre la Parole de Dieu" (8.11sv). Ainsi, Jésus, comme les Prophètes d'autrefois, par ce miracle, veut faire comprendre que sa Parole vient de Dieu, qu'il est la Parole-même de Dieu, qu'il faut s'en pénétrer, s'en nourrir.

Mais comment participer au repas de Jésus ? Comment accueillir son Pain pour recevoir du même coup sa Parole ? - Les Juifs ne le comprirent pas, eux qui préfèrent leur volonté tout humaine à celle de Dieu. "Vous refusez la Parole de Dieu au nom de vos habitudes", leur reprochera un jour Jésus (15.6). Et de fait, même s'ils ont mangé le pain qui n'était qu'un signe, ils ont rejeté le signifié : ils ont rejeté la Parole de Jésus ; ils ont rejeté Jésus lui-même.

Et la même question nous est posée, à nous aussi, et plus clairement encore. Car le "Verbe de Dieu", la "Parole de Dieu" s'est non seulement fait chair par l'Incarnation, mais s'est fait également "Pain de vie", Pain de nos âmes par l'Eucharistie. Et St Matthieu, dans son récit, nous le fait comprendre puisqu'il reprend, pour décrire le geste accompli par Jésus sur le pain qu'il allait faire distribuer à la foule, la phrase du rite eucharistique : "Jésus prit le Pain, le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples".

Derrière ce miracle de Jésus apparaît donc la question essentielle : croire en Jésus,
- croire que Dieu peut nourrir vraiment les hommes affamés et souvent par notre intermédiaire;
- croire qu'il peut les nourrir par sa Parole, sa Parole de Vérité, de vie,
- croire enfin, démarche ultime et prélude à l'union du ciel, qu'il peut les nourrir efficacement, combler leurs désirs, en les associant à son mystère pascal : Corps immolé, sang versé par amour, mais désormais Corps ressuscité et glorieux, ce que signifie et actualise toute Eucharistie.

Finalement, ce récit de St Matthieu nous amène à une triple question à laquelle nous devons répondre :
- croyons-nous en Dieu Créateur qui nous donne le pain matériel dont nos corps ont besoin, c'est-à-dire qu'il nous donne les biens de 1'univers, de tout ce qu'il a créé pour nous ?
- croyons-nous en Jésus, Parole de Dieu, Verbe de Dieu incarné ? Non seulement y croyons-nous, mais sommes nous prêts à communier à cette Parole en l'accomplissant ?
- enfin croyons-nous en Jésus, Pain Vivant de nos âmes, qui déjà veut s'unir vitalement à nous, prélude de l'union éternelle du Ciel ?

Oui, croyons-nous vraiment ? A chacun de répondre !