mercredi 30 avril 2014

Enfant de Dieu !

2  Pâques Mardi 2014  -

“Nul, s’il ne renaît d’en haut, ne peut voir le Royaume de Dieu…“, nous a dit St Jean hier. Et aujourd'hui : "Ne t'étonne pas si je t'ai dit : il vous faut renaître" !

Voilà qui apporte une lumière décisive sur la paternité divine à l’égard des croyants.
Dire que Dieu est père, c’est dire qu’il possède la vie en lui-même et qu’il la communique. Jésus ne disait-il pas : “De même que le Père a la vie en lui, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie (et d’en disposer) lui aussi“.

C’est donc par le Christ que les disciples reçoivent la vie divine.
Il est la vie (Jn 1.4 ; 14.6 ; 11.25-26),
le prince de la vie (dira St Pierre - Act 3.15) ;
il donne l’eau vive (Jn 4.10), le pain et la parole de vie (6.35, 48, 63, 68).
Lui-même dira qu'il n'est venu dans le monde que pour cela ! (10.10. Cf. 12.50, 20.31, I Jn 5.11-12)

Oui, Dieu seul possède la vie ; il la communique par voie de génération. Aussi sera-t-il désigné tout à la fois
- comme le “Dieu vivant“ (Cf. Mth 16.16 ; Act 14.15 ; I Thess 1.9 ; Heb 3.12, 9.14, 10.31, 12.22). “Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants“ (Mc 12.27). :
- et comme “Celui qui engendre“ : “Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu ; et quiconque aime Dieu qui engendre aime aussi celui qui est né de Dieu“ (I Jn 5.1).

Dieu avait déjà un Fils qu’il ne cesse d’engendrer, en lui transmettant tout ce qu’il est et tout ce qu’il a (Cf Jn 16.15). A telle enseigne qu’ils ne sont qu’un (Jn 10.30 ; 17.21-22), et que le Fils s’appelle “l’Engendré“ par excellence (I Jn 5.18).
On doit donc comprendre l’engendrement « d’en-haut », par Dieu, comme aussi réel que toute naissance. C’est bien d'ailleurs ce que comprenait Nicodème, supposant qu’il fallait naître “une seconde fois“.

Et plus précisément, il s’agit
- moins de naître - pas plus que le Fils de Dieu ne saurait quitter le sein du Père : “le Fils de Dieu est dans le sein du Père…“ - (Jn  1.18) 
- que d’être continuellement engendré.
D’ailleurs, le verbe “engendrer“ employé par St Jean l’est très souvent avec la préposition “ek“ qui exprime une relation d’origine. C'est le premier sens de l’adverbe “anôthèn“ que l'apôtre a utilisé : “Nul, s’il ne renaît depuis son commencement, (depuis son origine), ne peut voir le Royaume de Dieu…“.

Autrement dit, le chrétien ne cesse d'être engendré, ne cesse de dépendre de son Père, dès le commencement ; il est depuis toujours dans la pensée éternelle de Dieu. Il est en permanence comme porté et alimenté par Dieu, ne recevant sa subsistance que de lui.
Voilà pourquoi St Jean définit l’être chrétien comme l’“être de Dieu“ (Jn 8.47 ; 1 Jn 3.10 ; 4.2-3) ou l’“être du Père (I Jn 2.16). St Paul parlera, lui, de l’“être dans le Christ“. C’est peut-être ce que St Pierre entendait en désignant les baptisés comme des enfants nouvellement nés, toujours nourris et vivifiés par Celui qui les a engendrés (I Pet 2.2).
En tous les cas, “celui qui est engendré par Dieu“ est, pour St Jean, le nom propre du chrétien (Jn 3.8 ; I Jn 2.29 ; 4.7 ; 5.1,4), un nom qui exprime son être profond. C’est également parce que l’enfant de Dieu participe véritablement à la nature de son Père que le même apôtre le désigne par “teknos“ qui veut dir "enfant engendré", de préférence à “uois“, "fils"… car un fils peut être simplement "adopté" ! Non, nous ne sommes pas des "fils adoptés", mais bien réellement "enfants engendrés de Dieu" !

Ainsi donc, la structure des baptisés, si l’on peut dire, est identique à celle du Fils incarné, le Christ que St Paul ose appeler leur "Frère et Premier-né" (Rm 8.29) : “ceux que d’avance Dieu a connus, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le Premier-né d’une multitude de frères“ !
“Tel est celui-là, tels aussi nous sommes“, dira St Jean (I Jn 4.7). Le Christ est Dieu et homme ! Le chrétien - autre christ – possède, lui aussi, la nature humaine et la nature divine. Sans doute, dans le Christ, les deux natures sont substantiellement, (“hypostatiquement“, disent les théologiens) unies, alors que le chrétien peut perdre cette “theiotès“, cette divinité qu’il porte au plus profond de lui-même. Mais quoi qu’il en soit de la fragilité de cette éminente noblesse ­- “ce trésor, nous le portons en des vases d'argile(II Co 4.7) -, le chrétien est bien, comme le Christ, un fils de Dieu. “Celui-là“ l’est par nature, celui-ci l’est par engendrement spirituel aussi réel qu’une naissance charnelle.

En conséquence, les chrétiens doivent se manifester dans le monde comme les enfants de Dieu (I Jn 3.10 ; 5.2) : par leur foi, leur charité, leur justice, leur force victorieuse, les doivent pouvoir être identifiés comme engendrés par le Père. La canonisation d'une personne, c'est simplement la reconnaissance officielle d'un "enfant de Dieu" ! Telle doit être la morale essentielle du chrétien ! Une morale filiale : “Cherchez à imiter Dieu comme des enfants bien aimés…, à l’exemple du Christ“ (Ephs. 5.1).

St Paul sera, lui aussi, très net : écrivant aux Galates en 57, il énonce clairement le but de la mission du Christ, de son incarnation à la Rédemption : conférer aux hommes la dignité de “fils de Dieu“ : “Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils… afin que nous recevions l’adoption filiale. Puis donc que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, lequel crie : « Abba, Père ! ». De sorte, tu n’es plus esclave désormais, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier“ (4.5-7).
Cette dernière affirmation sera mieux mise en lumière encore quelques mois plus tard en sa lettre aux Romains : “Tous ceux qui sont mus par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu… L’Esprit lui-même témoigne à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ“ (8.14-17).
Il nous faut même remarque que si, d'après l'apôtre, la Présence de l’Esprit est essentielle et concomitante à la constitution de l’“être chrétien“, elle ne le crée point. L’élément formel de l’“engendrement“ est la participation à la qualité de Fils que le Christ possède d’une manière transcendante. Le don de l’Esprit s’ensuit, mais en demeure logiquement distinct.

Selon ces deux textes Gal.. & Rom.), les chrétiens ont un double privilège :
- d’une part, ils ont le droit et la "hardiesse" ("parrhésia") d’appeler Dieu : “Abba“, comme tout fils s’adressant à son père ;
- d’autre part, ils sont les héritiers directs des biens de leur père, comme tous les enfants d’une même famille.  
Même si le nouvel “engendré“ n’a pas, dès le début, la pleine jouissance de ce à quoi il a droit (l’usage de tous ses privilèges), il attend cependant en toute espérance et en toute confiance : “La création attend la révélation des fils de Dieu“ (Rom 8.19).
C’est certain : la filiation divine n’est pas pour St Paul une dénomination plus ou moins extrinsèque, mais bien un don divin, une qualité reçue au plus intime de l’être (dans le cœur - Gal 4.5 -, dans le “pneuma“ - Rm 8.15). Aussi tout chrétien doit agir comme tel, criant à Dieu son amour, sa confiance, étant en quelque sorte à niveau et avec le Fils Unique qui lui donne de partager son âme filiale, et avec l’Esprit-Saint qui stimule sa prière.

C’est merveille de voir comment chaque apôtre cherche à formuler avec plus ou moins de précision et d’expressivité cette doctrine fondamentale de la morale proprement chrétienne : une morale filiale ! Ce qui prouve que l’enseignement vient du Seigneur lui-même, et que ses disciples en ont saisi l’importance. -

En conclusion, retenons bien :
- La condition d'"enfants de Dieu" nous fait, dira St Pierre, “participants de la nature divine“ (2. Pet 1.4). C’est plus qu’une analogie ; c’est une élévation, une transformation de la nature humaine ! Le chrétien entre dans un monde supérieur (sur-naturel), au-dessus de sa nature originelle, le monde de Dieu !
- Si le chrétien est né de Dieu, est son enfant, il doit ressembler à son Père des cieux : “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait“ (Mth 5.48).

Pour cela, il nous faut la grâce permanente de Dieu. St Thomas d’Aquin précisera : “La grâce est une certaine similitude de la divinité participée par l’homme“ (IIIa 2.10 ad 1). Et il expliquera : “Dieu seul peut "déifier" ("deificet") des êtres, en leur communiquant par une participation de similitude quelque chose de sa nature divine ; de même que seul le feu peut mettre un corps en état de combustion…!" (Ia IIae 112.1). Soyons donc accueillants à la grâce de Dieu.

lundi 28 avril 2014

Nicodème !

2  Pâques Lundi 2014  

Nicodème comme Nathanaël, semble-t-il, était versé dans la connaissance des Ecritures. Peut-être adressait-il au peuple, écrivait-il des "midrashim" c'est-à-dire des commentaires de la Torah. Le mot "midrash" venant du verbe "drash" - chercher -, il aimait chercher, avec des étudiants peut-être, le sens de la Torah et ses nécessaires applications pratiques. Il était, en quelque sorte, un exégète ! Certains de ses confrères - les pharisiens surtout - étaient très imbus de leur savoir, devenant facilement orgueilleux et hautains, tendance humaine qui, malheureusement, n'a pas toujours été évitée par ceux qui détiennent ou semblent détenir le "savoir chrétien" !

Ce n'était sans doute pas le cas ni de Nathanaël, ni de Nicodème ! Cependant leurs rencontres avec Jésus furent radicalement différentes.
Tandis que Nathanaël, dès la première rencontre, en plein jour, éclate d’enthousiasme : "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël" (Jn 1,19), Nicodème, lui, rencontre Jésus, de nuit.
Timidement semble-t-il, il essaie, d’entamer par des compliments une conversation que Jésus interrompt brusquement en lui rappelant, sans transition, l’enseignement des prophètes (Jérémie, Ezéchiel et les disciples d’Isaïe). Un enseignement sur la nécessité d’une "nouvelle naissance".
C'était déjà cette nécessité qu'avait bien entrevue David après avoir avoué son adultère et l’assassinat d’Uri, le mari de Bethsabée : "Mauvais je suis né. Lave-moi, Seigneur, et je serai blanc plus que neige… Qu'ils dansent, les os que tu broyas ! Crée en moi un cœur pur, en ma poitrine un esprit ferme ! (Ps 50).

Jésus fait appel à ce que ce notable et lettré d’Israël, Nicodème, devrait savoir de cette prise de conscience qu’a faite progressivement le peuple élu au cours de son histoire, en particulier lors de l’exil à Babylone : Lorsqu’il n’était plus qu’"ossements desséchés", il sentait bien la nécessité, pour survivre, d’une Alliance nouvelle qui ne serait rien moins qu’une nouvelle création. Une nouvelle naissance de l’eau et de l’Esprit selon la vision d’Ezéchiel :
- "Le Seigneur me dit : « Prophétise à l'Esprit....  Tu diras à l'Esprit : ainsi parle le Seigneur Dieu :  Viens des quatre vents, Esprit, souffle sur ces morts, et qu'ils vivent ! » " ( Ez 37,9) 
- "Il me dit encore : « Cette eau (qui sort du temple) descend dans la Araba et se dirige vers la mer ; elle se déverse dans la mer (morte) en sorte que ses eaux deviennent saines. Partout où passera le torrent, tout être vivant qui y fourmille vivra. Car là où cette eau pénètre, elle assainit, et la vie se développe partout où va le torrent »"  (Ez 47,8-9). C'était comme une renaissance comme au moment du passage à travers les eaux de la mer rouge !

Nicodème a certainement profité de l'enseignement de Jésus. On le retrouve ensuite, prenant courageusement la défense de Jésus, lors de discussions violentes pendant la fête des Tentes : "Nicodème, l'un d'entre eux, celui qui était venu trouver Jésus précédemment, leur dit : « Notre Loi juge-t-elle un homme sans d'abord l'entendre et savoir ce qu'il fait ! »" (Jn 7,50-51)

On le retrouve surtout au pied de la croix : "Nicodème - celui qui précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus - vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d'aloès, d'environ cent livres" (Jn 19,39).
Il contemple, comme le disciple bien aimé et la Vierge Marie, il contemple ce corps du transpercé que Jésus lui avait prophétisé, ce corps élevé en signe de salut, comme le serpent d’airain pour les Hébreux dans le désert (ce qu'évoquait le Saint Pape Jean-Paul II dans le texte que je citais hier). Il contemple ce corps transpercé qui deviendra, lors de la résurrection, le Temple au plein sens du mot, d’où s’écoulera un fleuve de résurrection plus efficace que celui qui ressuscita la Mer Morte dans la vision d’Ezéchiel. Lui aussi chantera alors :
"J’ai vu l’eau vive jaillissant du cœur du Christ, Alleluia !
Tous ceux que lave cette eau seront sauvés, Alleluia !".

Nicodème fait contraste, malgré sa lenteur à venir à la foi, avec les chefs des prêtres et les anciens restant frappés de cette faute par excellence, l'orgueil qui rend aveugles ceux qui croient voir ! Avec lui, nous sommes tous invités à regarder le vrai serpent d’airain, le Christ élevé en Croix, mort et ressuscité, devenu le Temple au sens plénier, d’où découle le fleuve régénérateur des sacrements, ce fleuve divin qui fait parvenir jusqu’à chacun de nous la réalité de ce qu’ils signifient.

Voilà la renaissance dont parle St Jean. Et remarquons bien : Ceux qui, comme Marie, Jean et Nicodème, sont les plus près de la croix sont aussi les premiers appelés et les premiers bénéficiaires de cette naissance rédemptrice en regardant avec foi "Celui qui a été transpercé".

Même si St Jean a relaté les propos de Jésus avec son vocabulaire, son style personnels, on ne peut penser qu’il ait inventé ni le dialogue très circonstancié avec Nicodème, ce Maître en Israël, ni la doctrine de la renaissance possible et nécessaire pour accéder au Royaume de Dieu !
D’ailleurs, cette régénération concorde parfaitement avec la nécessité prescrite dans les Synoptiques,
- de devenir de petits enfants : “Si vous ne changez pas et ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez pas…“ (Mth 18.3 ; Mc 10.15). 
- ou de devenir fils du Père céleste : "Priez pour vos ennemis… afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux…“ (Mth 5.44 ).
- et surtout avec la révélation fondamentale du Seigneur : “Vous n’avez qu’un Père, celui qui est dans les cieux“ (Mth 23.9). Et c’est lui qui donne l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent (Lc 11.13).

Aussi, St Jean pourra nettement dire plus tard : “Voyez de quel grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes !“ (I Jn 3.1).

C'est ce que Jésus disait à Nicodème : “Nul, s’il ne renaît d’en haut, ne peut voir le Royaume de Dieu…“. "S'il ne renaît d’en-haut..." (“gennèthè anôthèn“). Je ne sais pourquoi le texte liturgique omet cet important adverbe “anothèn“ qui a une triple acception :
- s'il ne renaît “dès l’origine“, dès le commencement. "Au commencement - Bereshit - Dieu créa...!'. Dès l'éternité, nous sommes dans la pensée de Dieu !
- ou : s'il ne renaît “de nouveau“, une seconde fois. C’est ce sens qu’a retenu la traduction latine (“denuo“) et que St Paul utilise parfois (cf Gal 4.9).
- ou enfin : s'il ne renaît “d’en-haut“.
C'est en ce dernier sens que Jésus disait : “Celui qui est né « d’en-haut » est au-dessus de tout…“ (3.31). Et lorsqu'il s'adresse à Pilate : “Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné « d’en-haut »…“. (19.11). Cet adverbe est ainsi employé pour signifier Dieu lui--même ! Et comme St Jean, St Jacques l’oppose à "terrestre" : “Cette sagesse (celle qui vient de la jalousie, des rivalités) ne vient pas « d’en-haut ». Elle est terrestre, animale, démoniaque !“ (Jac 3.15).

Nicodème comprend bien la nécessité de cet engendrement, mais comme il n’en a aucune idée, il interroge : “Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Comment peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère ?“.
L’araméen qu’employait Jésus devait avoir la même ambivalence du terme grec “anôthèn“. Aussi Jésus précise le caractère spirituel de cette naissance : “En vérité, en vérité, je te le dis, nul, s’il naît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des cieux. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit…“.
La première naissance est physiologique ; la seconde toute spirituelle. Le “Pneuma“ (ce qui est né de l'Esprit), c’est Dieu lui-même agissant, se communiquant. Il est l’auteur de la vie divine dans le croyant, comme il fut l’auteur de la première création (Gen 1.2).
Mais, son action étant invisible, le Seigneur fait appel à la foi de Nicodème : “En vérité, en vérité, insiste Jésus, je te le dis…“ ; et il propose l’analogie du vent, indiscernable lui-même ; mais ses effets sont tellement évidents… !

On ne peut dire avec plus de force que les chrétiens sont des enfants de Dieu et, qu’outre la nature humaine qu’ils possèdent par le fruit d’une génération charnelle, ils possèdent la nature divine par le fruit d’une génération divine, dont le principe est le “semen Dei in eis“, “la semence de Dieu en eux“ dont parlera St Jean : “Quiconque est né de Dieu ne commet plus de péché parce que sa semence demeure en lui ! Il ne peut plus pécher parce qu'il est né de Dieu ! (I Jn 3.9 ).


Nous continuerons demain cette médiation de ce grand mystère d'être "enfants de Dieu" !

dimanche 27 avril 2014

St Jean XXIII, St Jean-Paul II

2ème Dimanche de Pâques 2014  -  Dieu, "riche en miséricorde !".

Aujourd'hui, nous sommes par la pensée et la prière à Rome où beaucoup se sont rendus à l'occasion de la canonisation des papes Jean XXIII et Jean-Paul II.

Aussi, je ne ferai pas d'homélie, ou, plutôt, je vous transmettrai celle que Jean-Paul II avait prononcée en l'honneur de Dieu "riche en miséricorde". C'est lui qui a voulu que l'Eglise prie Dieu sous ce vocable spécialement au dimanche après Pâques !

Mais auparavant quelques mots à propos de Jean XXIII !
Jean-Paul II disait lui-même : "Ce grand pape frappa les gens par l'affabilité de son visage où apparaissait la singulière bonté de son âme !". "Le bon Pape Jean", dira-t-on très vite !
Durant sa nonciature à Paris, il aimait venir à Solesmes, surtout à l'occasion de la Semaine Sainte. On garde le souvenir de sa bonté qui, cependant, n'avait rien de bonasse, de sa grande piété mais aussi de sa gaieté, de sa joie permanente - "la joie de l'Evangile" -. Bien des photographies l'attestent : autour de lui, il n'y avait que des visages souriants et même rieurs.

Il est vrai qu'il avait l'art de la plaisanterie avec gentillesse, esprit et surtout humour. On raconte qu'à l'occasion d'une réunion publique, était également présent, non loin de lui" le président du Parti Communiste, Maurice Thorez, qui, comme lui, avait un certain embonpoint ; il alla le saluer et ajouta à mi-voix : "Je crois que nous sommes du même arrondissement !". Cet humour était surtout un effet de sa bonté très ouverte. Ne disait-il pas : "Il faut être un peu trop bon pour l'être assez !".

Cet humour qu'il pratiquait envers lui-même était également à l'image de sa grande humilité qu'il conserva toujours même lorsqu'il fut devenu pape. "Il y a deux sortes de diplomates, disait-il. Il y a ceux qui parlent beaucoup pour éviter les questions gênantes ; et il y a ceux qui ne parlent pas ou très peu". Et, ajoutait-il, en se moquant de lui-même : "je crois que je fais partie de la première catégorie !".

Plus sérieusement, "il a su unir, disait Jean-Paul II, les vertus chrétiennes à une profonde connaissance de l'humanité, de ses lumières et de ses ombres !". Il paraissait ne jamais être désemparé : Plein de confiance en la divine Providence, il manifestait toujours un optimisme indéfectible, l'optimisme de l'âme chrétienne unie au Christ mort mais toujours vivant, au Christ pascal.
Lorsqu'il annonça, à Saint-Paul-hors-les murs, la tenue d'un futur concile, un cardinal crut devoir lui prédire : "Très Saint Père, vous allez déchaîner le diable !". - "Oui, oui, répondit-il avec sourire ; mais nous sommes plus forts que le diable !", plus forts avec le Christ qui a vaincu le mal, vaincu Satan lui-même !
Un jour, un évêque se plaignit auprès de lui de divers tracas qui l'empêchaient de dormir. "Oui, oui, je comprends, lui dit le bon pape, cela m'est arrivé également jusqu'au jour où j'ai rêvé de mon ange gardien ; il me disait "Voyons, Angelo, ne te prends pas trop au sérieux !". Tant qu'un homme se prend trop au sérieux, tant qu'il "n'aura pas marché sur son moi, disait-il encore, il ne sera pas libre !". Il manifestait ainsi ce que St Paul disait : "Ma puissance donne toute sa mesure dans ma faiblesse !". (2 Co. 12.9).

"Où que tu ailles, vas-y avec ton cœur !", disait-il encore. C'est surtout ainsi que "le bon Pape Jean" a été perçu. Il avait le souci de tout homme, du monde entier. Et l'on sait l'impact important de son encyclique "Pacem in terris". La Paix pour tout homme, sur toutes terres ! C'était son grand désir ! Car, disait-il encore, "l'Eglise ne doit pas seulement s'occuper des catholiques, mais du monde entier !".

Et je pense qu'aujourd'hui le monde entier peut l'acclamer, acclamer le "bon pape", Saint Jean XXIII !


Il y aurait beaucoup à dire également sur Jean-Paul II. Je me contenterai aujourd'hui de vous transmettre une de ses homélies, celle qu'il a prononcée lors d'une visite pastorale à la paroisse romaine "Saint François de Sales", le dimanche 13 mars 1994. Le thème de cette homélie était le message de Sœur Faustine, le message de la miséricorde divine !

Ecoutons le pape en ce jour de sa canonisation, en ce dimanche après Pâques qu'il a voulu : "dimanche de la miséricorde" :

"La parole-clé de la liturgie de ce jour est celle-ci : « Dives in misericordia », "Dieu riche en miséricorde". Cela a été pour moi une parole-clé depuis le début de mon pontificat, de mon ministère ici, à Rome.

Cette inspiration a été apportée dans ma patrie, à Cracovie, à travers une simple Sœur qui s’appelait Faustine ; elle est probablement connue aussi à Rome, connue dans le monde entier, bien qu’elle ait mené une vie très cachée dans le Christ.
Elle a vécu entre les deux guerres mondiales. C’est une grande mystique, l’une des plus grandes dans l’histoire de l’Église. Elle avait une étonnante proximité avec Jésus. Et Jésus s’est révélé à elle comme étant "miséricordieux" !

Venant de cet environnement, j’ai apporté ici une inspiration, presque un devoir : tu ne peux pas, me disais-je, ne pas écrire sur la miséricorde. C’est ainsi qu’est née la deuxième encyclique de mon pontificat : « Dives in misericordia », "Dieu riche en miséricorde".

Qui est ce Dieu « riche en miséricorde » ? Jésus nous l’explique dans une conversation nocturne avec Nicodème. Il dit ceci : "Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ne se perde pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui !" (Jn 3,16-17). Ces paroles extrêmement profondes, qui constituent quasiment le noyau de la Révélation chrétienne, sont ensuite illustrées par un exemple, une parabole particulière de la vie de Moïse.

Nous savons bien que Moïse était un grand chef, un grand prophète parmi son peuple. Il a fait sortir d’Égypte les Hébreux, de l’esclavage vers la Terre promise, à travers le désert pendant quarante ans. Sur ce chemin, sur cet itinéraire, il y a eu une étape très difficile : les serpents avaient attaqué les juifs et ceux-ci devaient mourir. Alors, à ce moment-là, Moïse a reçu de Dieu un commandement : "Fais-toi un serpent, et dresse-le au sommet d'un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu'ils le regardent, et ils vivront !" (Nb 21,8).

C’est un symbole, c’est plus qu’un symbole : c’est la prophétie de la Croix. Qui regarde Jésus crucifié sera guéri physiquement mais surtout guéri spirituellement, sauvé de ses péchés.

C’est le message central, constitutif de l’Évangile.

Dans l’Évangile de St Jean, après ces paroles, Jésus en ajoute d’autres qui sont très significatives.
Jésus parle de marcher dans les ténèbres ou de marcher dans la lumière. Il dit : nous devons marcher dans la lumière. Celui qui marche dans la lumière, qui s’approche de la lumière, accomplit des œuvres bonnes. Si ses œuvres sont bonnes, il veut être dans la lumière. Si ses œuvres ne sont pas bonnes, si elles sont mauvaises, honteuses, il ne veut pas apparaître, il ne veut pas se trouver dans la lumière, il veut rester dans les ténèbres.

Ces paroles sont quasiment une indication classique de ce que nous devons faire. Nous devons nous approcher de la lumière de notre conscience, de la lumière du sacrement de la réconciliation. Nous devons nous approcher pour marcher dans la lumière (pascale du Christ ressuscité !).

... Aujourd’hui, la première Lecture nous rappelle l’ancienne Alliance que Dieu a scellée avec son peuple Israël... Et Dieu fut toujours fidèle à cette Alliance !

Je suis convaincu - et tous les évêques, tous les chrétiens en sont convaincus - que Dieu a scellé une Alliance avec toute l’humanité, avec tous les peuples, avec toutes les nations... Nous devons invoquer cette fidélité de Dieu, nous devons nous montrer fidèles envers lui... parce que Lui est toujours "riche en miséricorde" !

vendredi 25 avril 2014

Pèche miraculeuse !

Vendredi de Pâques 2014   

C'est un magnifique évangile qui nous est donné de méditer en ce temps pascal !

Ce récit de la troisième apparition de Jésus ressuscité au bord du lac de Tibériade n'est peut-être pas de St Jean lui-même. Celui-ci a semblé conclure son évangile par les versets qui précèdent. Ce récit fut peut-être composé par quelques disciples de l'apôtre "bien-aimé" comme le suggèrent les dernières lignes de son évangile ?
Peut-être ! Mais peu importe d'ailleurs !

"Je m'en vais à la pèche", dit Pierre ! Il ne faut pas obligatoirement voir en ces paroles, comme on l'a dit, une attitude, un sentiment de nostalgie du temps écoulé, du temps des trois années passées avec le "Maître" !
On ne peut pas vivre à tout instant sur les sommets, sur le sommet du jour de Pâques qui a permis aux disciples de revoir leur Seigneur ! Il faut vivre, comme l'on dit ! Il faut reprendre la vie tout ordinaire, celle de tous les jours. D'ailleurs, Jésus ressuscité n'a-t-il pas précisé que désormais on le verrait en "Galilée", autrement dit sur les chemins ordinaires des hommes ? Jésus veut désormais nous rejoindre dans l'ordinaire de notre vie ! Ne l'oublions pas et ne soyons surtout pas à la recherche d'un "sensationnel" quel qu'il soit !

"Nous allons avec toi !". Ils sont six à suivre Pierre dans la barque !
- Il y a les pécheurs professionnels, si je puis dire : Pierre et les deux fils de Zébédée, des ardents ceux-là, appelés "fils du tonnerre" ! (Mc 3.17).
- Il y a curieusement Nathanaël ! Car lui, c'est plutôt un intellectuel formé à l'école des scribes. Rappelons-nous sa rencontre avec Jésus qui lui dit l'avoir vu sous le figuier, cet arbre ombragé où les scribes aimaient se rassembler, partager, discuter. Nathanaël, ce théologien monte dans la barque !
- Il y a encore Thomas. Il n'est pas pécheur lui non plus ! Ni un intellectuel. C'est plutôt un homme d'une intelligence très pratique qui appelle un chat un chat ! C'est lui qui disait : "Si je ne vois pas les marques des clous dans ses mains, non, je ne croirai pas !". Il ne doutait pas obligatoirement, comme on l'a trop dit ! Il posait, il se posait des questions. Et bien, ce "questionneur" auquel nous ressemblons parfois monte dans la barque de Pierre !
- Et puis, il y a deux autres disciples qui ne sont pas nommés.

Ils sont sept - chiffre de plénitude - à monter dans la barque !
On dirait que tous les différents apôtres de la future mission évangélique montent dans la barque de Pierre, dans la barque de l'Eglise !

Et il y a la fameuse pèche miraculeuse !

Il y a deux pèches miraculeuses dans les évangiles, toutes deux opérées sur l'ordre du Seigneur (cf. Luc 5.1.11). Et St Augustin s'en donne à cœur joie de les comparer :
- L'une eut lieu avant la résurrection ; l'autre après Pâques !
- Les deux barques des deux pèches miraculeuses représentent l'Eglise tout entière : l'une, c'est l'Eglise actuelle ; elle se trouve au milieu du lac, dans les eaux profondes..., les eaux profondes du monde ! Et l'autre, c'est toujours l'Eglise ; mais la barque arrive près du rivage, près de la nouvelle "Terre promise" où le Christ ressuscité nous attend !
- Ces pèches miraculeuses sont faites sur la parole du Christ, sur son ordre ! Car il n'y a que la Parole de Dieu qui est efficace et non point la parole d'un homme ! N'allons surtout pas croire, présomptueux que nous sommes parfois, que nous sommes "pécheurs d'hommes" du fait de nos propres forces humaines, ou du simple fait - énormité ! - que nous sommes prêtres, missionnaires, religieux, religieuses, responsables d'une paroisse, d'une Communauté - et que sais-je encore - ! La pèche n'est "miraculeuse" que si nous savons transmettre la "Parole de Dieu", agir "sur son ordre" à l'exemple de Moïse à qui était permis de parler "al pi Adonaï", "sur la bouche de Dieu" !

Baptisés - et donc missionnaires là où nous sommes -, ayons toujours à l'esprit cette grande vertu d'humilité que recommande tellement St Benoit. Agissons toujours avec la force du Christ, comme le soulignent les lectures de ces jours-ci à propos de Pierre. Il avouait, lui, tout simplement qu'il n'avait rien, qu'il n'était rien. S'il agissait, c'était toujours "au nom de Notre Seigneur Jésus, le Ressuscité" ! Ce que St Paul saura traduire : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi !".
Puisse toute notre vie être toujours sous l'action de "Notre Seigneur Jésus, le Ressuscité" ! Je crois que c'est l'un des secrets de la sainteté qui consiste à être de plus en plus "transparence" de Dieu ! Et sachons toujours nous souvenir que le premier péché - celui de nos premiers parents -, fut une faute d'orgueil. Et c'est toujours le fondement de toute faute : se croire quelqu'un et devant les hommes et même devant Dieu ! C'est le péché par excellence !

Et c'est toujours dans ce sentiment d'humilité que nous pouvons entendre véritablement l'invitation du Seigneur : "Va travailler à ma vigne !" - ou : deviens "pécheur d'hommes" ! Et nous le sommes alors avec grande tranquillité d'esprit, en toutes circonstances :

- que la pèche soit apparemment infructueuse. Et cela arrive bien sûr. Mais nous nous en remettons au Seigneur, le "vrai Pasteur" !

- que la pèche soit fructueuse comme celle de l'évangile d'aujourd'hui ou comme celle que raconte St Luc (15.1-11) - celle qui eut lieu avant la résurrection - au point de remplir deux barques !
"Il y a là un grand enseignement, dit St Augustin. La première pèche, c'est celle, dit-il, de l'Eglise du temps présent ; et les deux barques figuraient les deux peuples de l'Alliance : les Juifs et les Gentils, la Synagogue et l'Eglise, la circoncision et l'incirconcision". Ce sont les hommes du monde entier, sans distinction aucune, qui peuvent être pris dans les filets divins pour monter dans la barque de l'Eglise !

Mais St Augustin ajoute : "Qu'avons-nous encore entendu ?". Lors de la première pèche, "les disciples jetèrent les filets ; et ils prirent une si grande quantité de poissons que les barques s'enfonçaient et que les filets se rompaient". C'est la figure de l'Eglise du temps présent ; et ne soyons surtout pas étonnés : Oui, "un grand nombre de mauvais chrétiens surchargent et oppriment l'Eglise". Mais les barques ne coulent pas pour autant. L'Eglise ne coulera jamais.
Cependant les filets se rompent. Et St Augustin de commenter simplement : "Si les filets ne s'étaient pas rompus, les schismes ne seraient pas arrivés !". Aussi, ne nous étonnons pas de toutes ces contrariétés. C'est la condition de l'Eglise du temps présent. Et nous savons que le Christ ressuscité veille sur la barque de son Eglise et la mènera à terme...

C'est la signification de la seconde pèche miraculeuse, celle qui eut lieu après la résurrection ! "Pierre - le chef des apôtres - tira le filet sur le rivage !". "Le rivage, c'est l'extrémité de la mer ; l'extrémité de la mer, c'est la fin du siècle", la fin du monde.
Lors de la première pèche, les filets ne furent point trainés sur le rivage, mais les poissons qu'on venait de prendre furent versés dans les barques. Ici, les disciples tirent les filets sur le rivage. Cette fin viendra : nous serons tirés sur la terre ferme, la "Terre promise"... où le Christ ressuscité, le Christ glorieux nous attend

Il y aura 153 poissons !
Je vous passe les réflexions de St Augustin sur ce sujet. Quelque peu pythagoricien, il explique ce chiffre par des symboles multiples et divers sur des pages et des pages !
Le sens le plus vraisemblable de ce chiffre est celui-ci : 153 ! C'était le nombre des différents poissons connus par les Juifs au temps de Notre Seigneur. Aussi ce chiffre de 153 signifie l'ensemble des hommes du monde entier pour lesquels le Christ est mort et ressuscité !

Et retenons surtout : le Christ nous attend sur la rivage de la vie éternelle ; et il nous convie à un repas, à son repas pascal, au repas du Royaume de Dieu dont il nous donne déjà un "signe", un sacrement" ici-bas ! Que ce sacrement est grand !

mercredi 23 avril 2014

Emmaüs, notre route…

Pâques –Mercredi   -       (Luc 24.13sv)

A l'écoute de notre évangile d'aujourd'hui, il faudrait se taire et laisser chaque parole déverser en notre cœur cette assurance pascale : "LE CHRIST EST RESSUSCITE !".
Cet évangile est, selon la l'expression que j'employais lundi dernier, comme le "point focal" de la lumière du matin de Pâques qui concentre tous les rayons du passé pour les projeter, en le traversant, vers l’avenir, vers notre avenir à construire avec le Christ !

Il s'agit d'une rencontre sur la route. Le déroulement en est très construit, dans un parallèle d'oppositions.
D'une part, deux disciples vont de Jérusalem à Emmaüs, mais leurs yeux sont empêchés de reconnaître Jésus qui fait route avec eux. Ils sont désemparés, découragés !
D'autre part, leurs yeux s'ouvrent et, dans un éclair, ils reconnaissent le Seigneur ; mais, Lui, Jésus, leur devient alors invisible ! Tout joyeux, vers Jérusalem ils remontent en racontant leur radieuse rencontre !

C'est un récit très construit dont St Luc a le secret ! Le célèbre Renan disait que ce texte est le plus beau morceau de littérature qui n’ait jamais été écrit.
Il s'articule autour de deux signes majeurs : la parole et le repas. C'est à partir de ces signes que les disciples passent du doute à la foi, du découragement à l'espérance, de la fuite à la mission.

De plus, nous avons là un modèle de catéchèse en trois temps :
- le temps de la parole sur la route,
- le temps du sacrement à l'auberge d'Emmaüs,
- et le temps de la conversion et du témoignage avec le retour à Jérusalem.

Emmaüs, notre route.                    Ceci se passait à Emmaüs, nous dit Luc, à deux heures de marche de Jérusalem.
Mais où se trouve Emmaüs ? La localisation en est incertaine. On a répertorié deux ou trois et même quatre "Emmaüs", selon les circonstances historiques qui imposèrent des changements d'itinéraire pour venir de la Méditerranée à Jérusalem... 
Peu importe d’ailleurs, car, finalement pour St Luc, Emmaüs est moins un lieu géographique qu’un cheminement, un itinéraire spirituel ! Vous me retrouverez, disait Jésus, sur la route de Galilée, "carrefour des nations", autrement dit sur les routes du monde, sur notre propre chemin !

Emmaüs est partout où le Seigneur Jésus révèle sa présence :
Pour Paul, ce fut le chemin de Damas ;
Pour Claudel, derrière un pilier de Notre-Dame de Paris… 
Et pour nous ? Emmaüs est là, chaque fois que Dieu nous fait signe sur la route de la vie, tandis que nous avançons, croyants parfois incertains, chercheurs de Dieu dans le doute et quelquefois dans la nuit. Le Christ est souvent sur notre chemin.
Mais savons-nous le reconnaître ? Pourtant, ce que facilement on appelle "hasard", c'est souvent le Christ qui arrive mais incognito, comme il le fit pour les deux disciples sur la route d'Emmaüs. Il nous faut le reconnaître !

Oui, prenons le chemin d'Emmaüs, celui de nos questions et de nos doutes, et apprenons comment Jésus nous y rejoint, nous éclaire, réchauffe notre cœur et nous assure de sa présence.

Le signe des Ecritures                    Le premier temps de la rencontre est celui de la parole sur la route
Alors que toute la vie de Jésus est présentée par Luc comme une marche, une "montée" vers Jérusalem, la ville sainte, voici que les deux disciples désespérés lui tournent le dos. Autrement dit, toute l'aventure vécue avec Jésus et l'immense espoir soulevé dans leur cœur, se termine dans l'échec de la croix. Jésus est mort. C'est fini.

Mais sur cette route du désespoir, Jésus s'approche, marche avec eux.
Jésus fait redire aux deux hommes ce qu'ils ont sur le cœur, ce qu'ils viennent de vivre ; Il leur pose des questions et, à partir de leurs réponses, il leur propose une autre lecture des évènements. Il les invite à tout relire "selon les Ecritures" et non plus selon leur attente très limitée et trop humaine, celle d'un libérateur politique et triomphant. Tandis qu'Il cite Moïse et les prophètes, ils comprennent que le Messie annoncé devait souffrir avant d'entrer dans la gloire de Dieu. Alors, la croix n’est plus un échec, mais une preuve suprême d'amour. A la lumière de la Parole de Dieu, tout prend un autre sens ; et un avenir s'ouvre devant eux... Ils se reprennent à espérer.

Pour nous aussi, la Parole de Dieu doit éclairer ce que nous avons à vivre d'une lumière toujours nouvelle

Le signe du repas                            Marchant avec leur mystérieux compagnon sur la route d'Emmaüs, nos deux disciples sont déjà intérieurement "retournés" : le "signe de la Parole" les a déjà fortement éclairés.

C'est alors qu'intervient le "signe du repas". C'est là que se fait la reconnaissance. En rompant le pain avec eux, Jésus pose le signe de l'alliance, le signe de la cène…
L’intelligence de la foi, éclairée par les Ecritures, les illumine d’un éclair fulgurant : cette fraction du pain,
c’est celle du repas de la Cène,
c’est encore celle de la multiplication des pains,
c’est celle du repas que Dieu donnait à son peuple dans le désert, avec la manne…,
c’est celle du repas que le Christ ne cessera de donner, à travers les siècles, à tous ses disciples pour leur transmettre sa vie, sa vie de Ressuscité !

C'est ce geste qui leur ouvre les yeux, ce geste qui est un "sacrement" de l'invisible, le "sacrement" d’une présence. C'est par ce signe, désormais, que le Christ reste avec eux. Ils le reconnaissent à la fraction du pain... !

Conversion et témoignage                  Vient alors le troisième temps, celui de la joie retrouvée, de la joie à annoncer. Après avoir eu le cœur “retourné“ par les Ecritures, par la "Parole" de Jésus au moment de la fraction du pain, ils "retournent" à Jérusalem tout joyeux ; et ils annoncent : "c'est vrai, le Seigneur est ressuscité !"

Nous aussi, ayant reconnu la présence du Ressuscité, nous sommes invités à toujours reprendre la route pour annoncer la Bonne Nouvelle à tous ceux qui cherchent dans la nuit ou qui pensent que leurs chemins ne mènent à rien…, à tous ceux qui se découragent...
Et ceux-là ne sont jamais aussi éloignés que nous le pensons ! C'est peut-être parfois notre frère, notre sœur !

lundi 21 avril 2014

La Résurrection ! Hier et aujourd'hui !

Lundi de Pâques 2014   -

Aujourd'hui et très souvent durant tout le temps pascal, la liturgie nous invite à double mouvement : d'abord un devoir de mémoire ; mais un devoir de mémoire qui doit nous projeter dans l'avenir !

1. Un devoir de mémoire ! La Résurrection du Christ - "quand est venu l'accomplissement du temps !" (Gal 4.4) - apparaît comme le "point focal" de toute l'histoire, un "point focal" qui reçoit et accueille tous les rayons de lumière céleste que Dieu, dans sa pédagogie providentielle (dans son économie", disent les Orientaux), a envoyés, dispersés tout au long des siècles. Ils viennent tous, ces rayons divins, se concentrer en la personne du Christ ressuscité !

C'est ce que nous explique St Pierre aujourd'hui (cf. lecture) en rappelant la figure du roi David. Ce qui lui était annoncé, prophétisé se réalise en fait pleinement en l'un de ses descendants, le Christ ressuscité : "Je voyais constamment le Seigneur devant moi, car il est à ma droite pour que je ne sois pas ébranlé" (Ps 16)... il ne m'a pas fait connaître la décomposition, la "fosse" (selon hébreu) du tombeau ; il m'a montré le chemin de la vie. Et St Pierre précisera plus loin toujours à propos de David ce qui s'applique parfaitement au Christ : "Le Seigneur dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite !" (ps. 110).

Le premier des apôtres avait bien compris un des derniers enseignements de Jésus, celui qu'il adressa aux deux disciples d'Emmaüs : "Commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait" (Lc 24.27).

Le Christ nous encourage à accueillir la Parole de Dieu, à scruter les Ecritures qui nous font comprendre de plus en plus le dessein de Dieu manifesté en Jésus : Dieu s'est fait homme ! Et au matin de sa résurrection, il nous rappelle le but de toute vie : "Je monte vers mon Père et (désormais) votre Père !". Il nous a manifesté l'Amour de Dieu, cet Amour qui l'a poussé au don total de sa vie pour que tout homme puisse recevoir l'Amour du Père !

Ce faisant, en nous appliquant à discerner cette pédagogie amoureuse de Dieu à l'égard des hommes tout au long de l'histoire, nous devenons plus aptes à percevoir cette même pédagogie divine qui s'exerce à l'égard de chacun, à notre égard. Nous nous surprenons, au fur et à mesure que le temps s'écoule, à mieux reconnaître la présence divine en notre vie, malgré les aléas de notre histoire personnelle. Cette présence divine, c'est celle du Christ ressuscité qui nous conduit à Dieu, notre Père !

Oui, le Christ accomplit parfaitement en lui-même le dessein de Dieu : faire alliance, faire l'alliance de Dieu avec l'homme, faire l'alliance de Dieu avec chacun d'entre nous. Le "point focal" dont je parlais, n'est-ce pas d'ailleurs également notre propre baptême qui nous a plongé dans le mystère pascal du Christ, qui nous assimile au Christ ressuscité, au Christ qui a manifesté l'amour de Dieu pour tous les hommes depuis la création du monde ?


2. Aussi l'aventure divine du dessein de Dieu ne s'arrête pas là ! Elle ne s'arrête pas à l'accomplissement dans le Christ ressuscité de ce que Dieu avait prévu, préparé tout au long des siècles. Nous ne devons regarder le passé que pour mieux préparer l'avenir !

Le Christ lui-même nous dit aujourd'hui qu'il nous donne rendez-vous en Galilée. C'est là qu'on le verra !
La Galilée, c'est le "carrefour des nations" ; c'est la foule bariolée de toute l'humanité !
La Galilée, "carrefour des nations", c'est parfois et même souvent un "Carphanaüm", cette ville ou Jésus aimait rencontrer les hommes de tous milieux et conditions.
La Galilée, c'est notre lieu, notre monde.
La Galilée, c'est là où je suis avec tous ceux que Dieu m'a donnés à rencontrer.

Et en cette Galilée, Jésus nous dit, me dit : "Je suis avec vous tous les jours" (Mth 28.20). Autrement dit, il répète ce que Dieu disait à Moïse : "JE SUIS !", je suis avec vous, même et surtout en vos circonstances de vie difficiles, voire de persécution. "N'ayez pas peur !". Et allez annoncer ma présence parmi les hommes : "De toutes les nations, faites des disciples !" (28.19).

Notre rôle est immense : Je deviens avec le Christ ressuscité responsable de mon frère, de celui qui est proche et de celui qui est loin... En sommes-nous suffisamment conscients ?

samedi 19 avril 2014

Le Ressuscité !

Pâques 2014   

Elle est sortie à l'aube pour aller au tombeau ! C'était plus fort qu'elle.
Son regard ne se pose qu'avec tristesse sur les paysages familiers et magnifiques que nimbe la lumière mauve du jour levant. Est-il possible que tant de beauté subsiste alors que tout a chaviré ? Comme si la splendeur du jour naissant faisait injure aux ténèbres de la mort... 
De loin, elle s'aperçoit qu'on a roulé la pierre ! Ainsi, se dit-elle, ils n'ont pas désarmé... ; ils vont jusqu'à lui refuser même la paix du repos sépulcral, là au creux du rocher ! Sans chercher à en savoir davantage, d'un bond, Marie de Magdala repart en courant prévenir Pierre : "Ils ont enlevé le Seigneur !" (20, 2)

La plupart des exégètes considèrent que ces versets de Jean, malgré leur rédaction tardive, reflètent la plus ancienne tradition. Et, de fait, il doit y avoir dans cette primauté de Marie à découvrir le tombeau vide un noyau résistant. Les Evangiles sont unanimes à la mentionner, même si, à Marie de Magdala, ils vont lui adjoindre une, deux compagnes, ou plus... ! D'ailleurs, pouvait-on décemment faire porter sur une seule femme la responsabilité d'avoir donné pareille alerte ? De toute façon, même à plusieurs, elles ne recueilleront que piètre crédit auprès des disciples. Peut-on s'en remettre à la sensibilité souvent fantomatique de quelques femmes ?

Pierre, toutefois, court au tombeau pour vérifier les dires ; il constate, et, commente sobrement le texte, "s'en retourne chez lui, tout perplexe de ce qui était arrivé" (Luc 24,12).

Marie de Magdala l'avait-elle suivi ? En tous les cas, on la retrouve là, dans le jardin, si troublée qu'elle ne s'étonne pas de voir deux anges, et ne paraît pas davantage surprise qu'ils lui adressent la parole. A leur question, elle répond spontanément, livrant son incompréhension et sa révolte devant cette double séparation. Comme si la mort n'avait pas suffi !

Or, voici que la question lui est réitérée par un nouvel interlocuteur qui va plus loin dans l'invitation à cerner sa souffrance : "Qui cherches-tu ?" (Jn 20,15-16).. Marie ne nommera pas l'Absent, elle redit simplement l'intolérable de cette absence qui lui barre tout horizon. Alors, Jésus se donne à reconnaître, au seul énoncé de son nom : "Marie !".  

Ces choses-là ne s'inventent pas ! Et aucun livre ne les emprisonnera… Elles vous sautent au cœur, elles vous prennent de l'émotion même du premier jour, inviolée sous les mots.

Bien sûr, le constat du tombeau vide, les explications des anges renvoyant aux Ecritures, les apparitions du Ressuscité elles-mêmes nous sont des éléments d'information non négligeables. Mais ils ne "prouvent" rien ; et il nous importe davantage qu'en les consignant, leurs auteurs aient laissé simplement échapper ces détails encore tout vibrants d'authenticité.  

Ainsi de même, au soir de cet unique jour, dans une auberge, un étrange Invité accomplit soudain les gestes réservés habituellement à celui qui accueille ; il "prend le pain, le bénit, le rompt" (Lc 24,31)... Pour les deux compagnons, à Emmaüs, en un éclair c'est la brûlure de l'évidence : "Leurs yeux s'ouvrent : ils le reconnaissent... " ; Mais, lui, déjà n'est plus là !  

Ou encore, au bord du lac, un Inconnu a allumé un feu de braise, a préparé du poisson...  Pudeur du silence qui retient chacun des hommes de l'interroger : "Qui es-tu ?" (Jn 21,12), soudés qu'ils sont d'une même certitude.

Ce "savoir" de Marie, des disciples, est né d'un "voir" ; et c'est leur privilège ! Mais plus encore il est le fruit d'un regard intérieur, d'une écoute creusée soudainement au plus intime de leur être, il est le jaillissement de leur foi à sa source ; et nous en sommes ondoyés. Nous devenons contemporains de l'expérience qu'ils relatent, nous adhérons à leur reconnaissance du Ressuscité. Et ils nous invitent à cette même et possible expérience, tant la foi ne repose pas sur le "voir", mais sur l'expérience de ceux qui ont cru : "Heureux, dira Notre Seigneur, ceux qui, sans avoir vu, ont cru !". A l'exemple de St Jean, par exemple, dont il est dit : "Il vit et il crut !" (Jn 20.8). "Il vit une chose, commente sobrement St Augustin ; mais il en crut une autre !".

C'est dans la relecture la plus personnelle qu'ils ont pu faire de l'événement pascal que les premiers témoins nous transmettent quelque chose de sa véracité et de sa signifiance. Un compte rendu des faits bruts, si tant est qu'il ne soit jamais possible, eût été pure abstraction. Si la Résurrection n'était qu'un fait purement historique, elle serait forcément un événement interprété. Et il est heureux qu'on n'ait pas cherché à harmoniser les divers récits qui fourmillent de détails inconciliables ou trahissent des intentions didactiques ou liturgiques variées. Par cela même, ces textes constituent pour nous une "tradition" : en nous les livrant, des hommes et des femmes se sont livrés eux-mêmes, avec leurs hésitations... et avec la conviction qui les a balayées ! Ce sont des croyants qui nous tendent la main et nous passent leur flambeau. Oui, la "Bonne Nouvelle" de la Résurrection se propage de la foi à la foi.  

Et cette foi court de siècle en siècle au point de pouvoir dire nous-mêmes : Oui, "Jésus le Crucifié, Dieu l'a ressuscité, nous en sommes témoins" ! (Cf. Actes des Apôt. 2, 22-24; 2, 32; 3,15; 4,10). Dans ce cri d'une audace inouïe, des "hommes simples et sans instruction" (Cf. Actes 4,13), aujourd'hui comme hier, se sont engagés, s'engagent à la face du monde ; et les Actes des Apôtres nous laissent entrevoir avec quel réalisme s'incarne cette annonce !
Libérés de la peur, des hommes, des femmes acceptent chaînes et persécutions.
Libérés de la possession, ils mettent tous leurs biens en commun.
Libérés des tabous et des divisions qui compartimentent le monde, "esclaves et hommes libres, juifs et Grecs, hommes et femmes" (Gal. 3,28), inaugurent ensemble un nouvel ordre social, fondé sur l'amour du Christ.  

Le plus étonnant de la Résurrection est sans doute cette force de convergence que l'événement a déployée, drainant depuis vingt siècles des "hommes de toutes races, langues, peuples et nations" (Apo.. 4,9) : l'immense nuée des témoins ! Leur vie, à chacun, serait inexplicable sans cette onde de choc qui est venue faire voler en éclats les frontières qui nous cloisonnent du dedans, qui est venue poser les bases de la plus universelle fraternité.

Pâques est un processus, une croissance ! Pâques est un feu que Jésus a "jeté sur la terre" (Lc 12, 49). En le ressuscitant, Dieu a donné raison à l'Évangile, ouvrant passage au flux de son propre Esprit en l'homme.  

Lumière du septième jour où Dieu lui-même se repose de sa création...,
Lumière d'un monde recréé en Jésus Christ... au septième jour !
Pâques aujourd'hui encore requiert nos vies pour que continue de retentir la seule Nouvelle capable de fonder l'Espérance humaine : "Christ est ressuscité !"