2 Pâques Mardi 2014 -
“Nul,
s’il ne renaît d’en haut, ne peut voir le Royaume de Dieu…“, nous a dit St Jean
hier. Et aujourd'hui : "Ne t'étonne
pas si je t'ai dit : il vous faut renaître" !
Voilà qui apporte une lumière décisive sur
la paternité divine à l’égard des croyants.
Dire que Dieu est père, c’est dire qu’il
possède la vie en lui-même et qu’il la communique. Jésus ne disait-il pas : “De même que le Père a la vie en lui, ainsi
a-t-il donné au Fils d’avoir la vie (et d’en disposer) lui aussi“.
C’est donc par le Christ que les
disciples reçoivent la vie divine.
Il est la vie (Jn 1.4 ;
14.6 ; 11.25-26),
le prince de la vie (dira St Pierre - Act 3.15) ;
il donne l’eau vive (Jn 4.10), le pain et la
parole de vie (6.35,
48, 63, 68).
Lui-même dira qu'il n'est venu dans le
monde que pour cela ! (10.10.
Cf. 12.50, 20.31, I Jn 5.11-12)
Oui, Dieu seul possède la vie ; il la
communique par voie de génération. Aussi sera-t-il désigné tout à la fois
- comme le “Dieu vivant“ (Cf. Mth 16.16 ; Act
14.15 ; I Thess 1.9 ; Heb 3.12, 9.14, 10.31, 12.22). “Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants“ (Mc 12.27). :
- et comme “Celui qui engendre“ :
“Quiconque croit que Jésus est le Christ
est né de Dieu ; et quiconque aime Dieu qui engendre aime aussi celui qui
est né de Dieu“ (I
Jn 5.1).
Dieu avait déjà un Fils qu’il ne cesse
d’engendrer, en lui transmettant tout ce qu’il est et tout ce qu’il a (Cf Jn 16.15). A telle enseigne
qu’ils ne sont qu’un (Jn
10.30 ; 17.21-22),
et que le Fils s’appelle “l’Engendré“ par excellence (I Jn 5.18).
On doit donc comprendre l’engendrement «
d’en-haut », par Dieu, comme aussi réel que toute naissance.
C’est bien d'ailleurs ce que comprenait Nicodème, supposant qu’il fallait
naître “une seconde fois“.
Et plus précisément, il s’agit
- moins de naître - pas plus que le
Fils de Dieu ne saurait quitter le sein du Père : “le Fils de Dieu est dans le sein du Père…“ - (Jn 1.18)
- que d’être continuellement engendré.
D’ailleurs, le verbe “engendrer“ employé
par St Jean l’est très souvent avec la préposition “ek“ qui exprime une relation d’origine. C'est le premier sens de
l’adverbe “anôthèn“ que l'apôtre a
utilisé : “Nul, s’il ne renaît depuis son
commencement, (depuis son origine), ne peut voir le Royaume de Dieu…“.
Autrement dit, le chrétien ne cesse d'être
engendré, ne cesse de dépendre de son Père, dès le commencement ; il est depuis
toujours dans la pensée éternelle de Dieu. Il est en permanence comme porté
et alimenté par Dieu, ne recevant sa subsistance que de lui.
Voilà pourquoi St Jean définit l’être
chrétien comme l’“être de Dieu“
(Jn
8.47 ; 1 Jn 3.10 ; 4.2-3) ou l’“être
du Père“ (I
Jn 2.16).
St Paul parlera, lui, de l’“être dans
le Christ“. C’est peut-être ce que St Pierre entendait en désignant les
baptisés comme des enfants nouvellement nés, toujours nourris et vivifiés par
Celui qui les a engendrés (I
Pet 2.2).
En tous les cas, “celui qui est engendré par Dieu“ est, pour St Jean, le
nom propre du chrétien (Jn 3.8 ; I Jn 2.29 ; 4.7 ; 5.1,4), un nom qui
exprime son être profond. C’est également parce que l’enfant de Dieu participe véritablement
à la nature de son Père que le même apôtre le désigne par “teknos“ qui veut dir "enfant engendré", de préférence à “uois“, "fils"… car un fils
peut être simplement "adopté" ! Non, nous ne sommes pas des
"fils adoptés", mais bien réellement "enfants engendrés de
Dieu" !
Ainsi donc, la structure des baptisés, si
l’on peut dire, est identique à celle du Fils incarné, le Christ que St Paul
ose appeler leur "Frère et
Premier-né" (Rm
8.29) : “ceux que d’avance Dieu a connus, il les a
aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci
soit le Premier-né d’une multitude de frères“ !
“Tel
est celui-là, tels aussi nous sommes“, dira St Jean (I Jn 4.7). Le Christ est
Dieu et homme ! Le chrétien - autre christ – possède, lui aussi, la nature
humaine et la nature divine. Sans doute, dans le Christ, les deux natures sont
substantiellement, (“hypostatiquement“,
disent les théologiens)
unies, alors que le chrétien peut perdre cette “theiotès“, cette divinité qu’il porte au plus profond de lui-même.
Mais quoi qu’il en soit de la fragilité de cette éminente noblesse - “ce trésor, nous le portons en des vases d'argile“ (II Co 4.7) -, le chrétien est bien, comme le Christ, un fils de
Dieu. “Celui-là“ l’est par nature, celui-ci l’est par engendrement
spirituel aussi réel qu’une naissance charnelle.
En conséquence, les chrétiens doivent se
manifester dans le monde comme les enfants de Dieu (I Jn 3.10 ;
5.2) :
par leur foi, leur charité, leur justice, leur force victorieuse, les doivent
pouvoir être identifiés comme engendrés par le Père. La canonisation d'une
personne, c'est simplement la reconnaissance officielle d'un "enfant de
Dieu" ! Telle doit être la morale essentielle du chrétien ! Une
morale filiale : “Cherchez à
imiter Dieu comme des enfants bien aimés…, à l’exemple du Christ“ (Ephs. 5.1).
St Paul sera, lui aussi, très net :
écrivant aux Galates en 57, il énonce clairement le but de la mission du
Christ, de son incarnation à la Rédemption : conférer aux hommes la
dignité de “fils de Dieu“ : “Quand vint la plénitude des temps, Dieu
envoya son Fils… afin que nous recevions l’adoption filiale. Puis donc que
vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, lequel
crie : « Abba, Père ! ». De sorte, tu n’es plus esclave
désormais, mais fils ; et si tu es fils, tu es aussi héritier“ (4.5-7).
Cette dernière affirmation sera mieux mise
en lumière encore quelques mois plus tard en sa lettre aux Romains : “Tous ceux qui sont mus par l’Esprit de
Dieu, ceux-là sont fils de Dieu… L’Esprit lui-même témoigne à notre
esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or si nous sommes enfants, nous
sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ“ (8.14-17).
Il nous faut même remarque que si, d'après
l'apôtre, la Présence de l’Esprit est essentielle et concomitante à la
constitution de l’“être chrétien“,
elle ne le crée point. L’élément formel de l’“engendrement“ est la
participation à la qualité de Fils que le Christ possède d’une manière
transcendante. Le don de l’Esprit s’ensuit, mais en demeure logiquement
distinct.
Selon ces deux textes Gal.. & Rom.), les chrétiens
ont un double privilège :
- d’une part, ils ont le droit et la "hardiesse" ("parrhésia") d’appeler
Dieu : “Abba“, comme tout fils s’adressant à son père ;
- d’autre part, ils sont les héritiers
directs des biens de leur père, comme tous les enfants d’une même famille.
Même si le nouvel “engendré“ n’a pas, dès
le début, la pleine jouissance de ce à quoi il a droit (l’usage de tous ses
privilèges), il attend cependant en toute espérance et en toute
confiance : “La création attend la
révélation des fils de Dieu“ (Rom 8.19).
C’est certain : la filiation divine
n’est pas pour St Paul une dénomination plus ou moins extrinsèque, mais bien un
don divin, une qualité reçue au plus intime de l’être (dans le cœur - Gal 4.5 -, dans le “pneuma“ - Rm 8.15). Aussi tout
chrétien doit agir comme tel, criant à Dieu son amour, sa confiance, étant en
quelque sorte à niveau et avec le Fils Unique qui lui donne de partager son âme
filiale, et avec l’Esprit-Saint qui stimule sa prière.
C’est merveille de voir comment chaque
apôtre cherche à formuler avec plus ou moins de précision et d’expressivité
cette doctrine fondamentale de la morale proprement chrétienne : une
morale filiale ! Ce qui prouve que l’enseignement vient du Seigneur
lui-même, et que ses disciples en ont saisi l’importance. -
En conclusion, retenons bien :
- La condition d'"enfants de
Dieu" nous fait, dira St Pierre, “participants
de la nature divine“ (2. Pet 1.4). C’est plus qu’une analogie ; c’est
une élévation, une transformation de la nature humaine ! Le chrétien entre
dans un monde supérieur (sur-naturel), au-dessus de sa nature originelle, le
monde de Dieu !
- Si le chrétien est né de Dieu, est son
enfant, il doit ressembler à son Père des cieux : “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait“ (Mth 5.48).
Pour cela, il nous faut la grâce permanente
de Dieu. St Thomas d’Aquin précisera : “La grâce est une certaine
similitude de la divinité participée par
l’homme“ (IIIa
2.10 ad 1).
Et il expliquera : “Dieu seul peut "déifier" ("deificet") des êtres, en leur
communiquant par une participation de similitude quelque chose de sa nature
divine ; de même que seul le feu peut mettre un corps en état de
combustion…!" (Ia
IIae 112.1).
Soyons donc accueillants à la grâce de Dieu.