mardi 29 juillet 2014

L'hospitalité !

29 Juillet - Sts Marthe, Marie, Lazare                           

Retenons aujourd'hui cette phrase de la lettre aux Hébreux : "N'oubliez pas l'hospitalité. Elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir des anges", c'est-à-dire Dieu lui-même. Une allusion à Abraham qui offrit l'hospitalité à trois étranges voyageurs. Et c'était Dieu qui se manifestait ! Oui, l'hospitalité est une grande chose : elle permet d'accueillir Dieu lui-même !
Mais il y s hospitalité et hospitalité !

La lecture et l’évangile pourraient faire penser à deux modes d'hospitalité :
-  le mode d’Abraham, avec celui de Marthe,
- et le mode de Marie, sœur de Marthe.

Les premiers s’investissent pour bien accueillir celui qui vient. Mais la joie de la visite, que le Seigneur leur rend, est devenue "fatigue" chez Marthe et "perplexité" chez Sara, l’épouse d'Abraham. Cependant l'hospitalité donnée se transforma, pour cette dernière, dans la fécondité désirée : "Je reviendrai chez toi dans un an, est-il dit à Abraham, et, à ce moment là, Sara ta femme, aura un fils !" (Gn 18,10)..

Mais aujourd'hui, regardons surtout Marthe qui est heureuse de l'arrivée de Jésus chez elle ! Mais, avec lui, arrivent Pierre, Jacques, Jean, et les autres ! Ensuite - en Orient, c'est normal ! - arrivent des disciples qui suivent le Maître. Alors le sourire d'accueil devient une grimace, signe de nervosité, à la vue des personnes qui arrivent ! Marthe perd patience avec sa sœur Marie qui ne l’aide pas, et aussi avec le Seigneur. Quelle signification en cette attitude ?

Le problème de notre hospitalité est que, en accueillant l’autre (et il y a toujours un "autre" à accueillir), nous ne nous laissons pas facilement "embrasser", si je puis dire, par celui qui arrive providentiellement et qui peut nous "enrichir" parce que, peut-être, envoyé par Dieu... Le problème - et je dirais le péché -, est que, finalement, nous nous tenons loin de celui qui vient à nous. Toute la fatigue, toute la tristesse, toute la colère et la perte d’énergie, viennent du fait que, comme Marthe, nous nous définissons plus par les choses à faire pour l’invité - et parfois avec grande démonstration et suffisance -, que par le contact véritable avec la personne qui frappe à la porte de notre cœur bien plus qu'à la porte de notre maison.

Marie, elle, voit l’arrivée de Jésus avec cette dimension de l’amitié, de l'union avec le Christ, avec Dieu. Aussi, veut-elle avant tout "écouter" ! Autrement dit, dans l'accueil de toute personne, on ne devrait jamais se retrouver à deux..., mais toujours à trois : avec le Dieu ! Ce fut la grande recommandation que donnait naguère le P. Caffarel aux couples qui venaient à lui et qui formèrent le mouvement appelé dès lors "Foyer Notre-Dame". Se parler en présence de Dieu!

Oh ! Certes, il faut savoir être prudent dans l'accueil de celui qui peut se présenter inopinément, subitement. Oui, bien sûr ! Et St Benoît, en son époque très troublée, donne de précieux conseils pour cela. Il n'empêche, l'accueil véritable devrait toujours nous mettre en contact avec quiconque au niveau de l'amour que Dieu porte à chacun pour nous enrichir mutuellement...

Un second enseignement, plus secondaire, est à retenir de l'évangile de Luc. On pense, nous, que Marthe assume un rôle typiquement féminin envers son invité : elle est tout occupée à dresser la table...  Mais c'est une grande nouveauté pour l'époque...!  Cela n’était pas normal au temps de Jésus ! La femme ne pouvait pas accueillir ; la maison appartient à l’homme et ici, nous savons que c’est la maison de Lazare, son frère dont, curieusement, Luc ne dit rien ! Et c'est intentionnel ! Car Luc que l'on a souvent surnommé "l'évangéliste de la femme" veut dire que toute femme peut accueillir Jésus. Sans doute, en écrivant cet épisode, Luc pensait à la première personne qui a "accueilli" Jésus, Fils de Dieu : la Vierge Marie, modèle d'hospitalité !

Et Luc va insister. Il montre Marie, la sœur de Marthe, qui s'entretient avec l'invité ! Un comble pour l'époque ! C'était encore un rôle réservé à l'homme ! Bien plus, Marie, en s’asseyant aux pieds du Maître pour l’écouter, devient la figure typique du disciple. C'est vraiment une nouveauté. En effet, les rabbins n’acceptaient pas les femmes avec eux ; devenir un disciple, était réservé aux hommes. Mais pour Jésus, selon Luc, les femmes sont appelées à l’écoute et à devenir des disciples. Le disciple chrétien (mot qui vient du verbe latin "dìscere" = apprendre -) se met d'abord à l'écoute de la Parole, du Verbe fait chair ! La relation commence par l’écoute et non par le "faire".

Mère Teresa de Calcutta avait bien compris cela. Ce qu’elle a "fait" et a "fait faire", était une goutte dans le désert de l’immense pauvreté du monde - disait-elle -. L'important pour elle, c'était le regard avec lequel, en partant de l'écoute et de la contemplation de Jésus, elle a regardé l’homme, chaque homme, du plus pauvre des pauvres au plus puissant. Ce qui compte avant de faire, c’est d’écouter le Seigneur et ses paroles...
L’homme, en écoutant, devient facilement la, parole qu'il écoute. S’il écoute Dieu, il devient Dieu. Il conçoit Dieu, non pas comme concept mais comme Présence qui le transforme pour savoir accueillir divinement !

Il faut aussi rappeler que, lorsque Jésus reproche fraternellement à Marthe de s’agiter et de s’essouffler pour trop de choses, il ne conteste pas la préparation de la nourriture, mais l’essoufflement, il ne remet pas en question le cœur généreux de Marthe, mais l’agitation. Il n'y a pas là, comme on l'a fait parfois, opposition entre vie active et vie contemplative. Luc décrit deux attitudes qui doivent faire partie de la vie de tout disciple : l’écoute et le service. La tension n’existe pas entre l’écoute et le service mais entre l’écoute et le service qui distrait. Marthe est tellement occupée à servir l’invité qu’elle n’a plus d’espace pour l'écouter. Un vieux rabbin disait en parlant d’un de ses collègues : "il est tellement occupé à parler de Dieu qu’il oublie qu’il existe".

Et en écoutant Dieu, en accueillant Dieu, on devient plus disponible à accueillir son frère !  St Benoît, dans sa Règle, le souligne fortement. "Les hôtes seront reçus comme le Christ, écrit-il. En effet, lui-même dira : "J'étais un hôte et vous m'avez reçu !" (Mth 25, 35). On les reçoit tous "avec le respect dû à chacun, surtout les frères chrétiens et les étrangers" (Cf. Gal 6, 10).  Et St Benoît de donner des conseils en ce sens pour savoir qui on accueille et comment accueillir ! On reconnaît là, en même temps, toute sa prudence.
"C'est pourquoi, dès qu'on annonce l'arrivée d'un hôte, le supérieur et les frères viennent à sa rencontre avec tout l'honneur que l'amour inspire. Ils commencent par prier... Puis ils se donnent la paix. On donne ce baiser de paix seulement après la prière, à cause des tromperies de l'esprit du mal".
St Benoît sait bien dire les choses ; car il connait bien le cœur de l'homme qui détourne si facilement les choses et les actes de leur sens profond. Ce n'est qu'ensuite - après l'accueil humble, la prière, voire la lecture de la "Loi divine" -, qu'on pratiquera "toutes les marques de l'hospitalité" ... de sorte que l'on puisse toujours dire : "Dieu, nous avons reçu ta tendresse dans ta sainte maison" (Ps 47,10).  Ecouter Dieu ensemble pour mieux s'accueillir et s'enrichir ! Tel est le secret, pour St Benoît, de la véritable hospitalité !

Que la Vierge Marie, que Marthe, Marie et Lazare que nous fêtons aujourd'hui nous aident à pratiquer les uns pour les autres une profonde et réelle hospitalité qui n'a rien à voir avec les mondanités du monde, si facilement trompeuses parce que trop marquées d'égoïsme, de satisfaction sensible, voire d'orgueil, de suffisance ! Et surtout : "N'oubliez pas l'hospitalité. Elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir des anges", c'est-à-dire Dieu lui-même.

samedi 26 juillet 2014

Le trésor !

T.O. 17 Dimanche 

Les textes de ce jour paraissent disparates. Sans vouloir à tout prix les réunir sous un même intitulé, nous pouvons, sans doute, y découvrir, une fois de plus, la cohérence de vie que la foi chrétienne nous propose.

l - St Paul nous place immédiatement devant l'essentiel de la foi et de la vie chrétienne. Pour lui, pour nous avec lui, la foi n'est pas une idée mais une personne : Jésus-Christ. Paul écrira aux Philippiens (1.21) : "to zèèhn Cristoj" ("to dzèn Christos"). "Vivre Christ !", tant les deux mots sont pour lui interchangeables. La vie, c'est laisser vivre en nous le Christ ! Si bien que St Paul pourra écrire : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi !" (Ga. 2.20). Elle est très importante cette affirmation. Souvent, trop souvent, on réduit la prédication, l'apostolat à des dogmes, à des certitudes intellectuelles, voire - et c'est affreux si c'est restrictif - à tout un système de lois morales. Pour Paul, la foi, c'est rencontrer Jésus Christ, c'est faire l'expérience d'une alliance avec Dieu ! Certes, cette rencontre, cette alliance ont des caractéristiques qui obligent l'intelligence et la vie morale. Il reste que l'important, c'est de "rencontrer" le Seigneur, de "marcher avec Dieu", de "marcher devant Dieu", de "marcher vers Dieu", selon les termes fréquents de l'Ancien Testament.

Le texte de Paul, parce que concis, trop concis souvent, a donné occasion à bien des difficultés dans l'histoire de l'Église. Paul nous dit en effet que ceux que Dieu sauvera, "il les a appelés de toute éternité" et, comme par avance, il les a "prédestinés" à devenir ses fils.
Certains ont pu conclure de cette "prédestination" à la négation de la liberté humaine. Si je suis sauvé par avance, c'est bien que je n'ai aucun poids personnel dans la décision de mon salut. A ce sujet, il convient de se rappeler que Dieu est dans l'éternité. Pour lui il n'y a ni passé, ni présent, ni avenir. Pour Dieu le mot "prédestination" ne signifie rien. Il n'a de sens que pour nous qui sommes dans le déroulement du temps.

Ce que St Paul exprime par des expressions de ce genre, c'est la découverte qu'il a faite, par le Christ, de l'amour infini de Dieu, amour éternel, amour qui nous précède évidemment puisque dès le premier instant de notre existence nous sommes déjà aimés. Oui, nous sommes aimés par avance.
Or le propre de l'amour c'est bien d'attendre la réponse de l'aimé. Lorsque cette réponse est donnée, fruit de la liberté de celui qui est aimé, il est clair que ce n'est pas cette réponse qui crée l'amour. Certes, la liberté de celui qui est aimé est totale. Et pourtant ce n'est pas elle - cette liberté - qui fait que l'amour existe. Sans l'amour préalable de Dieu, jamais une réponse humaine n'aurait existé.

Essayons, au fil de nos moments libres, de contempler cet amour qui nous précède et qui nous destine à l'éternité de Dieu.  - Essayons aussi de réfléchir à notre réponse à cet amour, à l'aide de l'Évangile de ce jour.

2 - Cette page de St Matthieu, au fond, ne nous dit qu'une seule chose. Le véritable croyant, c'est celui qui a reçu le "coup de foudre" de la personne du Christ, avec lui, en lui ! Ce "trésor" caché dans un champ, c’est l'amour de Dieu. Une fois qu'il l'a vraiment découvert, comment un croyant ne donnerait-il pas tout ce qu'il a pour l'acquérir ? Cette espèce de frénésie, de polarisation totale des énergies que tous les amateurs de trésors sont capables d'exercer en vue d'obtenir l'objet de leur désir, comment se fait-il qu'elle ne devienne pas nôtre, si vraiment l'amour de Dieu nous apparaît comme l'essentiel, comme un "trésor" ? L'acharnement à "jouir" du trésor qu'est l'amour de Dieu, pourquoi ne devient-il pas le nôtre si vraiment cet amour divin nous semble primordial ?

C'est à ce manque d'enthousiasme et d'acharnement que nous mesurons toute la distance qui nous sépare de notre vocation, du but auquel l'amour de Dieu nous destine, nous "prédestine". Nous avons dit "oui" à cet appel, mais nous nous attardons encore à nos vieilles amours. Nous demeurons attachés aux fausses idoles, aux faux "trésors" qui sont placés au centre de nos vies par notre égoïsme, nos envies de toutes sortes. - Va, "vends tout ce que tu possèdes", est-il dit à l'homme riche. Nous sommes loin de cette radicalité. Notre foi n'est pas encore la foi d'un profond amour.

Et voilà pourquoi l'Evangile de ce jour nous conseille un lent et patient labeur de tri. Comme le pêcheur qui passe un à un les poissons de son filet pour garder les bons et jeter les mauvais, c'est à ce travail que nous sommes invités pour replacer Dieu et son Royaume à leur vraie place dans nos vies.

3 - Si notre réponse à l'amour fou de Dieu ne peut encore prendre la forme éclatante et soudaine d'un “coup de foudre” comme pour Paul et de bien des saints, qu'elle sache emprunter les chemins plus sinueux et laborieux de la sagesse, d’un cœur qui sache écouter à l'exemple de Salomon (1ére lect.). Certes, Salomon n'a pas encore reçu la révélation du Fils donné par Dieu au monde dont nous parle St Paul. Pourtant, à cause de cette capacité d'écouter, d'accueillir, il en porte une totale espérance. À cause de cette espérance, il ne demande donc qu'une seule chose : "avoir un cœur qui écoute". Cette nécessité d'écouter, d'accueillir - qui est le secret de la Sagesse et qui contient déjà les prémisses de la foi - est capable de permettre les grands choix de la vie et de faire éclore en nous l’espérance. Cette espérance n'est pas encore la lumière fulgurante de l'évidence. Elle est, cependant, la boussole qui permet de s'orienter dans la nuit.

L'Eglise a toujours reçu, parmi ses membres, de grands amoureux de Dieu comme un St Paul, un St François et de tant d'autres. Leur fulgurance aide tous les autres chrétiens à marcher avec persévérance sur les chemins de l'espérance et à acquérir, peu à peu, en place de la fausse sagesse qui vient des hommes, la vraie Sagesse qui vient de Dieu et qui prépare notre cœur à l’accueillir.

          

Collaboration !

26 Juillet - Ste Anne et St Joachim,                                

Fête des parents de la Vierge Marie. Ils ne sont pas connus par les Evangiles mais par des traditions qui remontent à la première moitié du 2ème siècle !
Naturellement, le culte de Ste Anne a grandi dans le rayonnement de celui de sa fille, la Vierge Marie. A Jérusalem, dans la basilique "Sainte-Marie, où elle serait née", on vénérait également les aïeux de Jésus. Aussi, tout naturellement, cette basilique, au temps des croisés, va devenir "l'église Sainte-Anne" ! Le culte de St Joachim s'est joint beaucoup plus tardivement à celui de son épouse.

Faute de renseignements plus explicites, je me bornerai à une seule réflexion :

Quelle est la mère, quels sont les parents qui, un jour ou l'autre, ne furent pas étonnés des richesses que leur enfant développait et qu'ils ne soupçonnaient même pas... Jean-Paul Sartre l'a exprimé magnifiquement à propos de Marie. Prisonnier dans un stalag lors de la dernière guerre avec quelques Religieux, ceux-ci l'avaient sollicité de s'exprimer à l'occasion de la fête de Noël. Il écrira : "Aucun enfant n'a été plus cruellement et rapidement arraché à sa mère. Car il est Dieu et il dépasse de tous côtés ce qu'elle peut imaginer !".  Si bien qu'en retrouvant leur jeune enfant au temple, Marie et Joseph "furent frappés d'étonnement... Ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait" (Lc 2.48). Et tout au long de sa vie terrestre, le Christ suscitait ainsi le même étonnement : Ses auditeurs "étaient frappés d'étonnement et disaient : 'D'où lui venait cette sagesse et ces miracles" (Mth 13.54)

Quoi de plus normal ? Jésus est Dieu... et "il dépasse de tous côtés" ce qu'on peut imaginer ! Cependant Marie, avec Joseph, avait reçu mission de faire l'éducation humaine, religieuse de Jésus, de collaborer à l'œuvre de l'Esprit-Saint en vue de la rédemption du monde. Et ils le firent merveilleusement, saintement.

On peut faire la même réflexion à propos de Ste Anne et St Joachim, les parents de Marie. Eux aussi devaient s'étonner du don de Dieu qu'était leur enfant. Ils s'étonnaient certainement de sa piété, de son intelligence, de la pureté de vie de celle qui sera proclamée "l'Immaculée" ! Mais ils ne savaient pas qu'ils avaient donné naissance à celle de qui devait naître le Fils Unique de Dieu. Oui, eux aussi s'étonnaient, car leur enfant, Marie, "dépassait de tous côtés" ce qu'ils pouvaient imaginer. Eux aussi eurent la tâche de faire son éducation, de collaborer à l'œuvre du Saint-Esprit, pour faire fructifier les dons merveilleux déposés en son âme !

Et au jour de Noël, au jour de chaque Eucharistie, en ce jour, il nous est dit à nous aussi : "Il vous est né aujourd'hui un Sauveur qui est le Christ Seigneur" (Lc 2.11), qui est le Christ-Dieu. Et les bergers, avant nous, premiers auditeurs de cette "Bonne Nouvelle" pour toute l'humanité, suscitaient l'étonnement (Lc 2.18).

En cet instant encore, il nous est dit à nous aussi : "Un enfant nous est né, un Fils nous a été donné... On proclame son nom : 'Merveilleux-Conseiller, Dieu-Fort'" (Is 9.6). Il suscite notre étonnement, "Car il est Dieu et il dépasse de tous côtés" ce qu'on peut imaginer !

Mais cet enfant, ce Fils, il nous est confié, comme Marie fut confiée à Anne et Joachim, comme Jésus fut confié à Marie et Joseph. Il nous est confié pour le faire "grandir" et en nous-mêmes et dans le monde entier, pour le salut de tous les hommes.

- Oui, à nous aussi, il nous est demandé de faire grandir le Christ en nous-mêmes, tout d'abord ! De sorte que nous puissions dire comme St Paul : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi !" (Gal 2.20). De sorte que "vivre, c'est Christ" (Phil. 1.21), dit encore l'apôtre ! Sa formule est d'une concision étonnante : "le vivre, Christ !". On serait en droit de chercher un verbe exprimant un état, une action. Au lieu d'un verbe, Paul donne un nom : "Christ". Tant ce nom est tout pour l'apôtre. Tant il y a, pour ainsi, dire transfusion de Christ en Paul et de Paul en Christ ! Faire "grandir" le Christ en nous. "Il fait qu'il grandisse et que moi je diminue", disait Jean-Baptiste (Jn 3.30). Il faut évacuer l'"homme ancien" en nous pour faire place à l'"homme nouveau", le Christ. Telle notre tâche !

- Nous devons également faire grandir le Christ dans le monde. Telle est encore notre mission ! De sorte que le monde entier devienne Eglise, Corps du Christ.: "Avec le genre humain, dit le Concile Vatican II, tout l'univers lui-même, intimement uni avec l'homme et atteignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive perfection" (L.G.48). C'est ce à quoi il nous faut sans cesse travailler : la sanctification des hommes et de tout l'univers lui-même dans le Christ ressuscité !

Prions tout spécialement aujourd'hui Ste Anne et St Joachim spécialement pour les parents et tous les éducateurs afin qu'ils fassent, à leur exemple, grandir le Christ en tous ceux qui leur sont confiés.  Faire grandir le Christ en nous et autour de nous, telle est bien notre mission !

vendredi 25 juillet 2014

Le "service" de tout pèlerin !

25 Juillet - St Jacques le Majeur                    

Il n'est pas toujours facile de distinguer dans le Nouveau Testament les divers personnages qui portent le nom de Jacques ! On les prend aisément l'un pour l'autre. Et les diverses traditions ne nous y aident pas beaucoup, il faut le reconnaître.

Essayons d'y voir un peu clair :
- Il y a Jacques "le Majeur", apôtre, frère de Jean, les deux fils de Zébédée, On le nomme "le Majeur", sans doute parce qu'il était l'aîné de Jean ou parce qu'il fut l'un des premiers appelés par Jésus. C'est celui que l'on fête aujourd'hui !
- Il y a jacques "Le Juste", frère ou plutôt cousin du Seigneur. C'est lui qui sera appelé par la suite le premier évêque de Jérusalem et dont Paul fait mention, ayant été favorablement accueilli par lui après sa conversion...
- Il  y a Jacques, fils d'Alphée, apôtre, dit "le Mineur", sans doute pour simplement le distinguer de Jacques "le Majeur".
- Il y a Jacques, l'écrivain, le rédacteur de la lettre qui porte son nom !

Pour faire court, on peut dire :
- La tradition occidentale et surtout l'exégèse moderne tendent à distinguer ces divers personnages qui portent le même prénom.
- La tradition orientale affirment facilement que Jacques "le Juste", "frère du Seigneur", seraient également Jacques "fils d'Alphée", apôtre. Et la "Lettre de St Jacques" serait également à attribuer à ce même personnage !

Quoi qu'il en soit, Jacques "le Majeur" que nous fêtons aujourd'hui est le premier appelé par le Seigneur, avec son frère Jean. C'étaient des pêcheurs, simples gens, mais rudes à la tâche, au tempérament facilement passionné, audacieux. C'étaient des hommes, dirions-nous aujourd'hui, bien décidés, voire ambitieux. Aussi Notre Seigneur devait tempérer parfois leur zèle fougueux. On les surnommait "fils du tonnerre" (boanergues). N'avaient-ils pas voulu appeler le "feu du ciel" sur un village inhospitalier (Lc 9.54), ce châtiment qu'Elie avait infligé à ses adversaires (Cf II Rois 1.10-12) ?

Jacques, avec Jean et Pierre : des hommes "entiers", à forte personnalité, mais que Jésus privilégia parce que, malgré leurs humeurs et leurs errances, ils étaient ardents à vouloir le suivre.
Ce sont ces trois disciples que l'on retrouve auprès de Jésus en des circonstances particulières : la résurrection de la fille de Jaïre - l'évènement de la Transfiguration - l'épisode de l'agonie de Jésus au jardin de Gethsémani !

Ardent dans la mission, après la résurrection du Seigneur, peut-être Jacques fut-il aussi quelque peu provocateur, ce qui poussa le roi Hérode Agrippa à le faire décapiter. Ce fut le premier apôtre, martyr (vers 41-44) !

Catherine Emmerich (mystique allemande du 18ème-19ème siècle) aurait eu cette révélation : un an après la crucifixion du Christ, après la lapidation d'Etienne, les apôtres partirent évangéliser le monde entier. St Jacques "le Majeur" serait parti pour l'Espagne durant quatre années. Et, suite à une nouvelle persécution à Jérusalem. il y serait revenu pour encourager ses frères.
Et une tradition du 7ème-9ème siècle affirme que son corps aurait été transporté jusqu'en Espagne. L'épisode des Maures, des arabes fit oublier le lieu de sa sépulture. Ce n'est qu'après que le lieu de sépulture fut indiqué à un ermite par une étoile qui désigna le champ du lieu de la sépulture. C'est ainsi que ce lieu fut l'objet d'une vénération et devint "Saint Jacques de Compostelle" : du "champ de l'étoile" (campus - stella). Et l'on connaît également les fervents pèlerinages - de nos jours encore - à Saint Jacques de Compostelle !

Mais retenons de notre évangile d'aujourd'hui ce que l'on pourrait appeler "la conversion de St Jacques" ! Car il était, avec son frère Jean, ambitieux, désirant honneur et gloire humaine. C'est courant cela, même en Eglise ! Sans doute une caractéristique familiale et héréditaire puisque la mère de ces deux frères ne semblait pas être en reste pour solliciter les honneurs !

Et Jésus de demander : "Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire ?" Ils lui dirent : "Nous le pouvons !" Et Jésus précise : "Ma coupe, vous y boirez !". Beaucoup y voit en cette réponse du Seigneur une allusion au futur martyre de St Jacques.  - Mais pour en arriver là, pour transmettre le message évangélique, il faut devenir "serviteur", serviteur de Dieu et serviteur de ses frères ! Non pas chercher les honneurs humains, la prédominance orgueilleuse, mais chercher humblement à "servir" ! Au nom du "Fils de l'homme qui n'est pas venu pour être servi, mais servir !".

Mère Térésa avait bien compris que le service de ses frères est une œuvre de foi qui bannit l'orgueil. Elle disait : "Le fruit de la foi est l'Amour. - Le fruit de l'Amour est le Service. - Le fruit du service est la paix !".

Aussi prions aujourd'hui St Jacques, avec cette humble prière que tout pèlerin lui adresse : "Donne-nous bonne route ! Fais que nous puissions parvenir au lieu que nous voulons atteindre et, à la fin, au port du salut éternel... Fais que parmi les vicissitudes du voyage qu'est cette vie, nous soyons toujours sous ta protection et ton assistance !".

mercredi 23 juillet 2014

Epouse, Européenne et Religieuse

23 Juillet - Ste Brigitte,                      

Brigitte de Suède, appartenait par sa naissance (1302) et son mariage à la haute Société suédoise.

Mère de huit enfants, attentive à leur éducation, elle vécut avec son mari une vie très pieuse ; et ils étaient tous deux très conscients de leurs charges communes dans la société de l’époque.

Après la mort de son mari, lors de leur retour d’un pèlerinage à Compostelle, elle fonda vers 1346 l'abbaye de Wadstena. Elle y institue un ordre nouveau : l’Ordre du Très Saint Sauveur  qui suivait la règle de saint Augustin.

C'est alors qu'elle reçoit des révélations principalement sur la passion du Christ. "Elle éprouvait une telle douceur à contempler les plaies du Sauveur qu'elle en était parfois tout embrasée d'amour" dit son chroniqueur. Elle recevait également dans ces révélations des lumières sur la politique européenne, sur l'Eglise, invitant fortement le pape Clément VI à quitter Avignon pour Romme. On retient encore de ses Révélations surtout celles qu’elle reçut sur la vie de Notre Dame et celles concernant la Nativité du Christ.

Elle-même s’installe à Rome à partir de 1350.

A un âge assez avancé pour l’époque, elle partit pour un pèlerinage en Terre Sainte… Aussi est-elle invoquée comme patronne des pèlerins.

Très peu de temps après sa mort (1373), en 1391, Sainte Brigitte est canonisée par le pape Boniface IX ; et elle est devenue et restée particulièrement populaire dans les pays scandinaves, l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie.

De son vivant, elle a œuvré pour l'unité au sein de l'Église catholique, devenant un exemple pour l'unité des chrétiens.

Elle a été déclarée co-patronne de l'Europe par le pape Jean-Paul II, le 1er octobre 1999, à l'ouverture du synode des évêques sur l'Europe, en même temps que Catherine de Sienne et Edith Stein. "Sainte Brigitte, dira le pape à son propos, est vénérée comme sainte car elle a su mener une vie sainte dans le cadre de ses responsabilités publiques et de sa vie d’épouse, de mère de huit enfants, et dans sa vie religieuse jusqu'à sa mort".

Aussi, est-il bon d’invoquer aujourd’hui Ste Brigitte. Elle est d’une grande actualité :
- comme épouse et mère exemplaire. On pourrait faire un parallèle à ce sujet avec les parents de Ste Thérèse de Lisieux ou avec le Bx Charles de Habsbourg et son épouse Zita de Bourbon-Parme dont la cause de béatification est instruite en notre Diocèse.
- comme co-patronne de l’Europe, et d’une Europe chrétienne (grand sujet d’inquiétude). On pourrait faire le parallèle, à ce propos avec Catherine de Sienne (1347-1380), mystique pourtant, elle aussi.
- comme Religieuse. Si le style de ses Révélations est parfois un peu abscons, Ste Brigitte était cependant très éloignée d’une spiritualité mièvre et sentimentale ; elle savait rappeler fortement les fondements de notre foi : la Nativité et le mystère pascal du Christ que rappelle toute Eucharistie.

Mystique certes, elle restait encore très active au service de ses frères sans autoritarisme aucun. On pourrait la comparer, à ce propos, à Mère Térésa.

Pour ses trois motifs, sachons prier, invoquer Ste Brigitte.

mardi 22 juillet 2014

l'Union à Dieu !

22 Juillet - Ste Marie Madeleine,                                     

Avec la fête de Ste Marie-Madeleine, nous sommes invités à contempler la mort et la résurrection du Christ, ce grand mystère que l'on n'aura jamais fini d'approfondir pour parfaitement le vivre, nous l'espérons, "au jour de notre naissance" - "dies natalis" -, disaient les Anciens, au "jour de notre naissance" plénière en la gloire du Ressuscité !

Le mystère est si grand qu'il y a moult manières de l'appréhender. En tous les cas, ce que l'on peut dire c'est que les récits évangéliques sont si minutieux dans leur simplicité, si riches en détails qu'ils n'ont pu être inventés... jusque dans leur contraste. Contemplons quelque peu !

Jésus meurt sur la croix entouré de sa mère, de St Jean et de quelques femmes dont Marie-Madeleine. Grâce, certainement, à la foi, l'espérance, l'amour de Joseph d'Arimathie, on dépose le corps de Jésus "dans le tombeau qu'il s'était fait creuser dans le rocher". Puis, devant ce tombeau, on roule une grosse pierre !

Selon St Matthieu et Marc - non loin sans doute de Marie, la mère de Jésus - Marie-Madeleine était "assise en face du sépulcre". Et St Luc précise, lui : "Comme le sabbat commençait à luire" (Lc 24.54) - une allusion à l'apparition de l'étoile du soir qui marque le début du sabbat ou aux lampes qu'on allumait pour sa célébration -, elle s'en retourna rapidement pour "observer le repos selon le commandement". Tout semble se terminer et recommencer en ce jour du Sabbat !

Dès lors, il ne sera plus question de Marie, la mère de Jésus. On ne la retrouvera qu'après l'Ascension, au Cénacle, avec les apôtres. Au grand jour de la résurrection, rien n'est dit de Marie. Elle est en silence. Non pas étrangère à ce grand mystère. Mais en silence. L'amour du cœur de Marie, l'Immaculée, qui englobe sa foi intense, sa persévérante espérance, cet amour, comme tout véritable amour, peut se nourrir de silence bien plus que de paroles. Le mystère de Pâques va lui révéler grandement l'amour de Dieu - "Voyez de quel grand amour le Père nous a fait le don !", écrira plus tard St Jean (I Jn 3.1). Marie reçoit d'abord ce mystère en silence. D'ailleurs, tout au long de sa vie, plus Marie recevait l'amour de Dieu manifesté par son fils, plus elle entrait dans le silence d'une vie intérieure, la distrayant de plus en plus des circonstances extérieures. Tant il est vrai qu'une vie intérieure - une vie d'union à Dieu - échappe à l'histoire. Cette vie ne se réalise qu'en Dieu. Marie, la mère de Jésus, est donc en silence, un silence de contemplation, d'adoration, de communion..., d'union !

Et, comme par opposition, en quelque sorte, St Jean écrit : "Le premier jour de la semaine, à l'aube, alors qu'il faisait encore sombre - autrement dit : le temps du sabbat étant à peine écoulé -, Marie de Magdala se rend au tombeau" ! Et sous la plume de l'évangéliste, il nous semble entendre cette Marie si empressée, impatiente, empruntant la voix de la Bien-Aimée du Cantique des cantique : "Toute la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Etendue sur mon lit, je l'ai cherché. Je ne l'ai pas trouvé. Il faut que je me lève, que je parcours la ville... Je veux chercher celui que mon cœur aime !" - Avant d'arriver à l'union intime avec Dieu, comme Marie, la mère de Jésus, avons-nous, comme Marie de Magdala, ce "désir de Dieu", ce grand désir de Dieu qui a tellement façonné le cœur des saints ? Etre, par amour, comme inquiet de Dieu. "Où es-tu, mon Dieu ? Je te cherche, mon Dieu !". Tel est souvent la prière des psaumes.

L'ardeur de son amour presse Marie-Madeleine à vite revenir au tombeau... Mais la pierre du tombeau est roulée... ; le corps de son Seigneur a disparu : Vite, elle prévient les apôtres. Et vite elle revient au tombeau ; et ajoute St Jean : "Elle pleurait !".

Jésus va lui apparaître. Mais lorsque Jésus se fait voir après sa résurrection, les sens ne sont plus habilités à percevoir tout de suite la réalité de sa présence qui, pourtant, est plus réelle que jamais. Et Marie-Madeleine va le confondre avec le jardinier !
Il en sera de même pour les disciples d'Emmaüs qui ne reconnaissent pas l'inconnu qui les rejoint sur la route. De même pour les disciples au bord du lac. C'est comme une constance : la présence de Jésus est plus réelle que jamais et on ne le reconnait pas ! Il se fait reconnaître à la fraction du pain; il se fait toujours reconnaître au travers de son mystère pascal !

Jésus aimait Marie de Magdala ; à cause de la générosité de son cœur, il lui fait le don de sa première apparition ; mais, c'est comme pour purifier sa vie de foi, d'espérance, d'amour, lui rappeler les exigences d'une union plus intérieure avec lui, cette union qui maintient la mère de Jésus en silence.

"Ne me touche pas !", lui dit Jésus. N'ayant pas trouvé le repos d'une vie intérieure avec Jésus, elle s'adonnait à des activités belles, bonnes, inspirées par la générosité de son cœur souffrant, mais qui étouffaient en elle les exigences d'une union plus profonde avec le Ressuscité, son Seigneur. Autrement dit, elle cherchait Jésus - oh ! certes ! - ; mais elle le cherchait là où il n'était déjà plus !

"Va trouver mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu !". On peut dire que toute l'expérience chrétienne, religieuse se concentre dans un seul petit mot d'une signification intense, dans une seule syllabe, cette proposition grecque "pros" difficile à traduire ; elle se trouve curieusement au début de l'évangile de St Jean : "Au commencement était le Verbe ; et le Verbe était "pros theon", en relation, en élan vers Dieu !
Cette proposition se trouve donc au début et à la fin de l'évangile de St Jean ; c'est comme une inclusion qui contient tout notre itinéraire ici-bas ! Jésus, le Verbe de Dieu, en s'incarnant, a détourné en quelque sorte cet élan éternel qu'il a vers le Père pour passer parmi nous, les hommes. Et cela afin de nous entraîner, nous aussi, vers son Père devenu "notre" Père ! Son itinéraire devient notre pèlerinage. St Ignace d'Antioche avait parfaitement compris ce sens de notre vie chrétienne. Il parlait de l'Esprit-Saint qui est comme une source en nous et qui crie : "Allons vers le Père !". Le Christ, parfaite "Image de Dieu" est venu nous dépanner en quelque sorte, nous, pauvres "images de Dieu" défigurées par le péché, nous qui avions comme renoncé à l'aventure du bonheur que Dieu propose. Il est venu nous rencontrer et nous entraîner dans son élan. "Par Lui, avec Lui, en Lui, dans l'Esprit-Saint, tout honneur et toute gloire !".

Tout le voyage terrestre que nous avons à faire peut se résumer en un seul petit mot, un monosyllabe : "pros" ! Il nous encourage, avec le psaume 94ème, à redire chaque matin : "Oui, je me lèverai et j'irai vers mon Père !".

dimanche 20 juillet 2014

Semence divine !

T.O. 15e Dimanche

Vous le savez sans doute, le levain, qu'on n'emploie plus guère dans la boulangerie moderne (à la différence de la levure), est un morceau de pâte déjà fermenté que l'on a gardé du pétrissage précédent pour communiquer à la nouvelle pâte sa puissance de fermentation.

Il est évident, que pour nous chrétiens, le premier et grand levain du monde, c'est le Christ Jésus, fils de Dieu, qui
- par son Incarnation est venu justement, en pleine pâte humaine, pour insérer sa force divine dans toute l'épaisse carapace de notre humanité
- et, par sa Résurrection, nous donner la suprême chance - la grâce - de nous élever à la Vie même de Dieu.
Le Christ nous le dit lui-même : “Et moi, élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi”. (Jn 12/32)

Cette fermentation, cette "élévation" est déjà commencée en nous et signifiée par notre baptême. Notre baptême est ce grain, cette graine, ce levain dont Jésus parle en paraboles.
Avons-nous conscience de cette puissance de fermentation divine déposée en nous et que l’Esprit du Christ cherche sans cesse à exercer ? Car "l'Esprit vient en nous", nous dit St Paul (2ème lect.) pour que nous sachions prier le Père comme il faut au nom de son Fils. Bien plus encore, ajoute l'apôtre, en nous, "l'Esprit veut ce que Dieu veut !".

Et que veut l'Esprit ? Il veut que la puissance divine du Christ, manifestée au jour de sa résurrection, soulève l'humanité pour l'accorder à la vie même de Dieu, cette vie divine que déjà il nous donne avec la force d'un levain, d'une graine destinée à devenir un grand arbre.

Et remarquons-le encore : si le Christ n'est plus physiquement présent parmi nous, c'est à son Église qu'il a confié le soin de continuer et d'achever sa mission, à son Eglise à qui il donne puissance de fermentation divine.
Et quand je prononce le mot “Église”, je pense que, pour vous, il n’évoque pas seulement le Pape, les Évêques, les Prêtres ou religieux... ! Dans sa grande "Constitution sur l'Eglise" (Lumen Gentium), le Concile Vatican II nous présente une magnifique définition de l'Eglise. Elle est, dit le texte (n°1), "le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen, de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain" : l'"union intime" avec Dieu qui façonne l'"unité entre les hommes" ! "Qu'ils soient un, priait Jésus, comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi... Qu'ils soient un en nous, eux aussi !". Et nous-mêmes, au moment de l'Eucharistie, le Sacrement de l'Eglise par excellence, nous demandons d'être "un seul corps et un seul esprit dans le Christ" ! (P.E. 3)

Nous sentons-nous directement concernés comme membres, selon une autre image souvent employée, comme membres, à part entière, de ce grand et unique Corps en fermentation divine qu'est l'Eglise ? C’est ensemble que nous formons cette Église qui est, selon l’expression de Bossuet, “Jésus Christ continué, communiqué et répandu à travers le temps et l’espace”. "M'est avis, disait encore Jeanne d'Arc lors de son procès, que le Christ et l'Eglise, c'est tout un !".

C’est le mystère de l’Incarnation qui se continue. Et nous en sommes responsables. Grâce à ce levain de puissance divine déposée en nous par le baptême, nous sommes responsables - chacun et tous ensemble - de la présence du Christ en cette humanité en laquelle il s'est incarné ! Tous, nous en sommes responsables, individuellement et collectivement, évêques, prêtres, religieux et aussi, bien sûr, les laïcs. Le Concile le dit à sa façon : “Les laïcs sont appelés par Dieu pour travailler, comme du dedans, à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment..." (L. G. 31). Qu’en est-il ?

Aussi, une seule question importe : Comment, nous, chrétiens du 21e s., laïcs, religieux, prêtres, pouvons-nous être ferment divin dans la pâte humaine de notre monde d’aujourd’hui ?

- En premier lieu, me semble-t-il, de même que le levain pour agir doit être introduit dans la pâte et mêlé à elle, de même le chrétien doit, d'une manière ou d'une autre, accepter et assumer sa présence dans le monde. Vous n’êtes pas du monde, disait Jésus, mais vous êtes dans le monde !

- Cela suppose que chacun d'entre nous ait suffisamment de lucidité, de réalisme, d'humilité peut-être, pour voir quel est “son monde à lui”... En règle générale, on doit savoir fleurir et porter du fruit là où le Seigneur nous a placés : famille, milieu ecclésial, religieux, milieu de travail... !

Malheureusement, elle est très fréquente, chez les chrétiens, la tentation de vivre dans un monde de rêve ou bien dans un monde si intérieur que le ferment de la puissance divine ne peut plus avoir d’efficacité suffisante. Une tentation qui se présente à tous, même aux moines et aux moniales qui se disent facilement "retirés du monde" ! L'expression peut être ambigüe ! "Retirés du monde", au sens que St Jean emploie : retirés du monde mauvais, du monde du péché ! Oui, bien sûr ! Et cela vaut aussi pour tout chrétien. Mais non "retirés du monde", de cette humanité en laquelle le Christ s'est incarné, de cette humanité qui nous fait solidaires de nos frères. Même pour un ermite, il y a une manière de vivre qui l'unit fortement à tous ses frères créés comme lui "à l'image de Dieu", à tous ses frères en Jésus Christ !

A tous, St Pierre demande : “Soyez toujours prêts à rendre témoignage devant les hommes de l’espérance qui est en vous !”. Et St Jean Chrysostome de commenter : “Le Christ nous a laissés sur la terre pour que nous devenions des flambeaux qui éclairent, pour que nous soyons un levain dans la pâte, pour que nous nous comportions comme des anges parmi les hommes, pour que nous soyons des hommes spirituels parmi les charnels, afin de les gagner, afin que nous soyons des semences et que nous portions des fruits en abondance. Il n’y aurait plus de païens si nous nous comportions en vrais chrétiens”.

Oui, c’est notre responsabilité. Ce matin, le Christ, en nous demandant d'être levain, grain ou graine nous invite tous à nous interroger loyalement.

- Face au monde d'aujourd'hui, face également à l'Église d'aujourd'hui, qui n'est plus celle d’hier et qui n'est pas encore celle de demain, mais celle de notre temps, savons-nous regarder le temps d’aujourd’hui avec le regard du Christ, lui qui, de condition divine, est venu dans le monde prenant notre chair mortelle ? Cet "Aujourd’hui" est comme un sacrement de la présence de Dieu, a-t-on dit, - car Dieu n’est plus dans le passé ; il n’est pas encore dans le futur ; il est en notre "aujourd'hui" -… Ce temps de l’"aujourd’hui" est le moment précieux dans lequel Jésus ressuscité désire vivre, parler, agir. Ce temps de l’"Aujourd’hui" est la matière première avec laquelle Jésus désire bâtir son Royaume d'éternité ; ce temps de l'"Aujourd'hui" est la pâte dont nous devons être levain.

- Et dans cet "aujourd’hui", le Christ nous demande, à nous, ses disciples, d'être présents, d'une manière ou d'une autre,... Non pas seulement d'une manière individuelle - "Je n'ai qu'une âme qu'il faut sauver !", chantait-on naguère de façon pas très orthodoxe - ; mais avec toute l’Eglise, avec d'autres chrétiens, avec d'autres hommes de bonne volonté. “Ne sommes-nous pas membres les uns des autres ?”, demandait St Paul. Il faut éclairer et orienter toutes les réalités temporelles, enseignait le Concile Vatican II, de telle sorte qu'elles se fassent et prospèrent constamment selon le Christ.

Éclairer, orienter, à la lumière de la Parole de Dieu que nous entendons chaque dimanche, voire tous les jours !
Eclairer, orienter à la lumière de l'enseignement de l'Eglise  
Eclairer les problèmes de notre temps quels qu’ils soient, économiques, éthiques, locaux ou mondiaux…, découvrir, avec mes frères, la pensée de Dieu sur notre "aujourd’hui" que nous vivons.

N’ayons pas d’illusions cependant : l'insertion des chrétiens dans le monde est difficile et exigeante. Aussi, pour que le levain agisse, le chrétien doit entretenir sa capité de fermentation. Pour qu'il garde une présence active et vraie au milieu du monde, sans composer avec le péché, il doit garder le contact avec Jésus Christ par la prière et les sacrements, et principalement de l’Eucharistie. Le pape Benoît écrivait naguère : “L’Eucharistie rend permanente la présence du Christ ressuscité qui continue à se donner à nous. De la pleine communion avec lui, découlent l’engagement à annoncer et à témoigner de l’Evangile, et l’ardeur de la charité envers tous. L’Eglise vit de l’Eucharistie. Sans l’Eucharistie, la foi, l’espérance s’éteignent, la charité se refroidit”.

Oui, nous recevons le Christ en notre main, en notre bouche, en notre cœur pour que, par notre travail, par nos paroles et par toute notre vie, il continue de sauver le monde d’"aujourd’hui" ! Et même, nous pouvons ajouter avec le livre de la Sagesse (1ère lect) : "Il n'y a pas de Dieu en dehors de toi, Seigneur, toi qui prend soin de toutes choses", "aujourd'hui" et, comme tu le désires, avec nous et non sans nous !

mardi 15 juillet 2014

Vers Dieu !

15 Juillet - St Bonaventure,                              

Giovanni da Fidanza est né en 1221, pas très loin de Viterbe qui, à l'époque, faisait partie des Etats pontificaux. Enfant, il tombe gravement malade. Sa mère, très pieuse, le porte à François, "le petit pauvre d'Assise" (+ 1226). Selon une tradition du 15ème siècle, St François, en le voyant, se serait écrié : "O bonna ventura !" ("quelle chance !"). Rien n'est moins sûr ! Et l'on ne sait rien, finalement, de son changement de nom : Bonaventure !

En tous les cas, le jeune enfant revient guéri. Quelques années plus tard (1236), son père, médecin, l'envoie étudier à Paris où il reçoit le grade de "Maître es arts" !

Mais en 1243, il entre chez les Frères Mineurs. Sa guérison par l'intercession de François d'Assise n'est peut-être pas étrangère à cette décision. En tous les cas, il aura toujours une grande dévotion envers le Saint d'Assise.

Il entreprend des études de théologie sous la houlette d'Alexandre de Halès.
Ce grand théologien, franciscain lui-même, fera l'admiration de St Thomas d'Aquin. Ce "doctor" réputé "irrefragabilis" - "irréfutable"- révolutionna la théologie de l'époque. Avant lui, on commentait essentiellement les Saintes Ecritures. Alexandre innove en présentant à toute question qui se pose une triple source d'autorités : ceux qui disent "oui" (thèse) - ceux qui disent "non" (antithèse) - et vient ensuite la "reconciliatio", le jugement (synthèse). Et ces fameuses "autorités", ceux qui font autorité, sont choisies non seulement dans la Bible et les Pères de l'Eglise, mais aussi - scandale pour certains ! - parmi les auteurs grecs, latins, arabes. On reconnaît ce "processus intellectuel" qu'utilisera largement St Thomas d'Aquin qui reçoit son titre de "Doctor" en 1257, en même temps que St Bonaventure qui, lui, gardait une préférence pour les sources bibliques et patristiques (Il admirait particulièrement St Augustin !). Cependant, si ces deux condisciples - futurs saints l'un et l'autre - savaient s'affronter intellectuellement, ils ne cessaient nullement de fort s'estimer.

Dès lors, "Doctor" lui aussi, St Bonaventure, en de doctes tournois intellectuels et spirituels, fort à la mode en ce temps-là, ne cesse de rompre des lances pour l'honneur de "Dame Humilité, reine de tous les religieux, de Dame Pauvreté, reine des Mendiants et des sœurs Charité et Obéissance", attaquées par des théoriciens, ennemis des Ordres nouveaux, les Mendiants (essentiellement dominicains et franciscains).

Tant de vaillance et d'acharnement au travail lui valent d'être élu "Ministre Général" de son Ordre en 1257 (charge qu'il conservera jusqu'en 1273).
La main stigmatisée du "petit Pauvre d'Assise" avait été fort heureuse en le guérissant, naguère, de sa maladie enfantine. Ce successeur de St François, plein de sagesse, sera comme le second fondateur de l'Ordre franciscain qui fut très vite affronté à la grande querelle entre ceux que l'on appelait "Les Spirituels" et "Les Conventuels", c'est-à-dire entre les partisans acharnés de la pauvreté absolue et les partisans d'une évolution en particulier vers l'enseignement !
St Bonaventure condamna "Les Spirituels" lors du chapitre général de l'Ordre, à Narbonne. Et il fait réviser les Constitutions de l'Ordre avec l'appui du pape, tout en s'attelant à écrire une biographie de St François.
Il est à noter également que c'est à cette époque que St Bonaventure prescrit la sonnerie des cloches en l'honneur de l'Annonciation, pratique qui préfigure la prière de notre "Angelus" !

Ce grand Religieux, honneur de l'Eglise, le pape Clément IV voulut le nommer archevêque d'York. St Bonaventure sut esquiver cette gloire, par humilité. Cependant en 1271, à Viterbe, sa réputation s'imposa et il fit élire le pape Grégoire X, après trois ans de vacance du Saint-Siège ! En 1273, il est consacré Cardinal-Evêque d'Albano. Et en 1274, le pape le charge de préparer le Deuxième Concile de Lyon qui s'ouvra la même année. En cette grande occasion, St Bonaventure, conscient du bien des Eglises d'Orient, a la joie d'accueillir les représentants de l'Eglise grecque qui vient s'unir à l'Eglise romaine. A la messe papale, après l'évangile chanté en grec et en latin, il prend la parole pour la dernière fois dans une assemblée chrétienne pour recommander la réunion des Eglises. Il fut ainsi le précurseur de l'œcuménisme !

Il meurt épuisé, à l'âge de 53 ans, entouré de ses frères de Lyon. Le 1er Avril 1482, Sixte IV (pape franciscain), l'inscrit au nombre des Saints et il est proclamé "Docteur de l'Eglise" par le pape Sixte-Quint en 1587.

On raconte qu'un vieux Frère, nommé Egide, demanda un jour au savant Père Bonaventure : "Quelqu'un qui ne sait ni A ni B, peut-il aimer Dieu aussi bien qu'un savant qui sait tout ? " - "Bien sûr !, répondit notre savant Franciscain ! Une pauvre petite vieille peut l'aimer mieux qu'un Docteur en théologie !". Le Bien étant diffusif de soi et le frère Egide étant très expansif par nature, celui-ci courut crier à la balustrade de la maison : "Otez ! Oyez ! Une pauvre petite vieille peut aimer Dieu encore mieux que notre Père Bonaventure !". Et il est bien vrai que seule importe la charité et que sans elle, nous perdons notre éternité et même notre temps, notre énergie, celle que nous pouvons déployer, par exemple, en l'étude des "choses de Dieu".

St Bonaventure ne dédaigna pas pour autant les études. Il le manifeste suffisamment dans l'un de ses livres les plus remarquables qui veut acheminer l'âme vers son Dieu (1). L'amour, est-il expliqué, s'appuie sur la philosophie et la théologie ; il s'élève par six degrés des créatures au Créateur ; il part humblement du monde des sens. Pédagogie spirituelle du professeur expérimenté... !
Mais quand l'auteur arrive au somment de son livre, à la dernière étape vers Dieu, si je puis dire, il s'écrie : "Pour ce passage de la créature à Dieu, la nature ne peut rien et la science très peu de choses. Il faut donner peu au travail de l'intelligence et beaucoup à l'onction (de l'Esprit de charité en nous) ; peu à la langue et beaucoup à la joie intérieure ; peu à la parole et aux livres et tout au don de Dieu, c'est-à-dire au Saint-Esprit ; peu ou rien à la créature et tout au Créateur, Père, Fils et Esprit-Saint. Interrogez la grâce et non la science ; le désir et non l'intelligence ; les gémissements de la prière et non l'étude livresque ; l'époux et non le maître ; Dieu et non l'homme ; l'obscurité et non la clarté ; non la lumière qui brille, mais le feu qui embrase tout et transporte en Dieu...".

Peut-être que pour mieux unir St Thomas d'Aquin et St Bonaventure qui désormais chantent ensemble la gloire de Dieu, nous faut-il bien distinguer le don de science et le don de la sagesse.
Le premier est un don qui nous fait bien connaître toutes choses créées, d'en bien user afin de mieux nous diriger vers leur Créateur.
Le second est un don qui, nous élevant au-dessus de tout ce qui est créé, nous dispose à contempler la Vérité qu'est Dieu lui-même en qui nous nous complaisons et que nous aimons par dessus tout ! Et il est vrai - heureusement - que ce don peut être donné à une simple femme qui récite son chapelet ! Deo gratias !