3ème
Dimanche de Carême
Il y a des événements dont on ne saisit le sens
qu'après coup, quand la poussière qu'ils ont soulevée a eu le temps de se
redéposer et que les souvenirs ont eu le temps de fermenter dans le cœur.
L'épisode du temple est sans doute de ceux-là
Car il n'est pas simplement question, ici, pour Jésus,
de nettoyer le sanctuaire, de son aspect bruyant et commercial, comme pour le
rendre à son silence et à sa majesté première. Ce n'aurait pourtant pas été
inutile, car le temple de Jérusalem, orgueil du peuple juif, était devenu un
complexe polyvalent qui tenait lieu à la fois de cathédrale, de parlement - le
Sanhédrin y siégeait -, et de banque - c'est là qu'étaient entreposés les
trésors d'Israël -. Purifier le temple et le rendre à sa destination première,
au culte envers Dieu aurait déjà été un but fort louable et, déjà, très
difficile, car c'était défier les trois pouvoirs réunis de la religion, de la
politique et de l'économie.
Mais Jésus veut aller encore beaucoup plus loin.
Non seulement il faut parler d'une véritable
occupation du Temple par Jésus, ce que St Jean et surtout St Luc souligne : "Il était chaque jour à enseigner dans
le temple", ce qui agace les autorités
juives…
Non seulement il occupe le temple, mais il parle
purement et simplement de la destruction de ce temple édifié à grand frais.
D'ailleurs, n'avait-il pas déjà dit à la Samaritaine : "L'heure vient ou ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que
vous adorerez Dieu" (Jn 4.24).
LE TEMPLE,
CORPS DU CHRIST.
Un passage de l'épître aux Hébreux nous aide à
mieux comprendre encore ce que Jésus veut dire : "De sacrifice et d'offrande, tu n'as pas voulu, mais tu m'as
façonné un Corps. Holocaustes et sacrifices ne t'ont pas plu. Alors, j'ai dit :
'Me voici… Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté'" (Heb
10.5).
Ce passage est clair : bien plus que des
sacrifices, Dieu désire un Corps, une vie qui fasse sa volonté, sa volonté d'Alliance
entre Dieu et l'homme. Une Alliance qui doit être manifestée dans l'amour
mutuel.
C'est donc en lui-même, en son Corps, en sa Vie,
que Jésus, Dieu et homme, va édifier le véritable Temple, le véritable Culte
de la Nouvelle Alliance entre Dieu et les hommes : "Et le verbe s'est fait chair. Il a habit parmi nous. Et nous
avons vu sa gloire, la gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il
tient du Père" (Jn 1/14).
- Et ce corps, cette Vie du Fils de Dieu qui a pris Corps, va se dresser face
aux trois pouvoirs religieux, politique, économique du temple terrestre. Il va
être élevé en Temple nouveau de l'Alliance divine : "Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai".
Et St Jean de bien préciser : "Le temple dont il parlait, c'était son Corps",
son Corps né du sein de Marie, son Corps d'enfant
et de charpentier,
son Corps qui avait parcouru les chemins et les
bourgs de la Palestine,
son Corps qui allait souffrir la torture et mourir
sur la croix,
son Corps qui ressusciterait le troisième jour.
Voilà le Temple nouveau fait de vie et de travail,
de joies et de luttes, de rencontres et de miracles, de souffrance et de mort,
d'espérance…
LE TEMPLE,
CORPS DU CHRIST, EUCHARISTIE.
Désormais il n'y aura plus d'autre Temple que ce
Corps dont les membres vont se multiplier à travers le monde. Car son Corps, un
jour, à la stupeur de tous, Jésus l'avait proposé comme nourriture pour la
vraie Vie.
Et il allait bientôt l'offrir à ses compagnons en
leur partageant le pain de la dernière Cène.
Dès lors, tous ses disciples peuvent, bien sûr,
continuer d'utiliser des lieux de rassemblement, de prières ; mais ce sera
moins des lieux d'offrandes et de sacrifices que des lieux où ils viendront
s'insérer dans le Corps sacrifié du Christ, dans son Sang offert, pour être
finalement eux-mêmes son Corps, Temple de Dieu, et repartir le construire
dans le cœur de tous les hommes : "Ce
n'est plus moi qui vis, disait St Paul, c'est
le Christ qui vit en moi" ; c'est son Corps qui
grandit, c'est son Temple qui se construit.
Là encore, ne faisons pas ce que j'appelle une
"inversion sacrilège" : ce n'est pas nous qui construisons, qui nous
construisons en accueillant le Corps du Christ ! C'est avant tout le Corps du Christ qui
grandit, qui se développe quand il s'incorpore à nous, à notre vie. Et son
Corps ressuscité devient en nos corps prémices, promesses de toutes les
résurrections. Il y a comme une pénétration, une osmose. C'est cela, avant tout
l'Eucharistie.
Bien sûr, il y a lieu de porter l'intérêt sur la
beauté de l'office, de rendre plus signifiant, plus compréhensif ce qui
s'accomplit, de privilégier l'aspect fraternel de nos assemblées, mais à
condition cependant que tout se fasse en vue de faire grandir le Corps du
Christ, en vue de développer le Temple de la Nouvelle Alliance.
LE TEMPLE,
CORPS DU CHRIST, CORPS DE L'EGLISE.
Il avait bien compris cela St Paul, lorsqu'il
sillonnait le monde gréco-romain. Il avait connu le temple de Jérusalem et sa
vaste esplanade. Il avait prêché devant le Parthénon, à Athènes. Il avait vu
les splendeurs des temples sacrés. Et, cependant, d'Ephèse, capitale
prestigieuse où l'on pouvait admirer le fameux temple d'Artémis, l'une des sept
merveilles du monde, il avait l'audace d'écrire aux chrétiens de Corinthe où
l'on visite encore les ruines lumineuses du temple d'Apollon, il écrivait avec
hardiesse à cette communauté déchirée, déjà, par la désunion et les
mesquineries : "Mais le Temple de Dieu, c'est vous !".
Et il avait raison : le Temple de Jésus est fait de
"pierres vivantes", comme
le disait St Pierre. (I Pet 2.5) "Là
où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux" (Mth 15.20). Il s'agit toujours du Corps
du Christ qui grandit dans l'humanité souvent opaque. C'est un Temple de visages,
de mains, de cœurs et d'esprits, dont le ciment est toujours à refaire dans la
rencontre, le partage, l'accueil de l'Evangile et l'action de grâces commune.
"La
Messe, il faudrait la refaire, dit-on parfois. Comment voulez-vous que les Jeunes viennent à l'église pour regarder le
prêtre, là-bas, sans rien faire eux-mêmes". Et c'est vrai, d'une
certaine manière : "Les églises sont
faites pour les hommes et non les hommes pour les églises". Et il est
heureux qu'à la suite de Vatican II, la liturgie se soit adaptée et s'adapte
aux sensibilités de telle ou telle communauté, de tel ou tel pays.
Mais il ne faut pas pour autant oublier l'essentiel
: "Le Temple de Dieu, c'est
vous". Et ce Temple vit lorsque des hommes et
des femmes laissent le ferment de l'Evangile travailler leur vie. Et le Temple
est désormais partout, subtil et insaisissable comme la lumière. Et le secret
de son bâtisseur invisible, secret que nous désirons connaître et nous
approprier, surtout en ces temps qui nous conduisent vers Pâques, ce secret
n'est-il pas le mot "Résurrection" ?