dimanche 26 juillet 2015

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17ème Dimanche du T.O. 15/B


On peut faire plusieurs erreurs de perspective à propos de l’évangile d’aujourd’hui !
L'erreur première serait de crier “au miracle” et d'en être tellement irrité (c'est tellement irrationnel !) ou séduit (comme c'est beau !) que nous serions exactement dans la situation des juifs qui veulent faire de Jésus leur Roi ; un Roi thaumaturge, extraordinaire... Alors Jésus s'enfuit !
La seconde erreur - inverse et plus fréquente - est celle de ceux qui diront, deux jours plus tard : “c'est intolérable, qui peut entendre cela ?”

Et pourtant, cet épisode de la multiplication des pains est tellement important dans l'Evangile de Jean qu'il constitue le point de départ d'un long discours. C'est un signe (comme dit souvent St Jean) que Jésus accomplit. Un signe qu'il faut bien comprendre et bien lire.

Il ne s'agit pas pour Jésus de déclencher l'enthousiasme des foules. Ni de provoquer, en le heurtant, le sens pratique et technique de ses auditeurs. C’est plus important que cela ! Il veut nous amener à confesser la Foi, celle qui fait dire à Pierre : “A qui irions-nous Seigneur ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle”.

 [Un geste de partage, né d'un regard]

Ce qui est premier - et que nous commente merveilleusement le texte à propos d'Elisée -, c'est le regard de Jésus. Il voit la foule qui le suit, qui a contourné le lac pour l'écouter et l'écouter encore. Une foule affamée, et démunie. Il lit la fatigue et la faim sur les visages !

Combien de fois regardons-nous sans voir ? Combien de fois voyons-nous sans remarquer. Car “on ne voit bien qu'avec le cœur”. Nous savons que deux tiers de l'humanité meurt de faim, et, dans notre inconscience, nous n'imaginons même pas de pouvoir porter le fardeau de la faim, du sous-développement des autres. Jésus, Lui, voit. Et il provoque ses disciples à voir comme lui. Mais comment faire pour donner à manger à cette foule ?

Et ne disons pas trop vite que les disciples ne voient pas. Il s'en trouve un, André, pour remarquer un enfant qui possède cinq pains d'orge et deux poissons. André commence à voir. Même si ce qu'il voit le désespère : “qu'est-ce que cela ? pour tant de monde ?”.
Cependant, André commence à voir, mais il ne croit pas encore à ce qu'il voit. Il n'imagine pas ce que peut donner la libéralité de Dieu quand une étincelle jaillit dans le cœur d'un enfant et surtout d'un enfant de pauvres. Il n'y a rien de plus riche que le don d'un pauvre. C'est pourquoi, de riche qu'il était, Dieu, en Jésus, s'est pauvre pour sauver les pauvres que nous sommes tous !

[Un partage né d'un enfant]

Et pourtant, Jésus l'avait bien dit : “si vous ne devenez pas semblable à un petit enfant, vous ne verrez pas le Royaume de Dieu”. Cet enfant, avec sa petite fortune alimentaire est un point de départ possible. Une espérance pour le Royaume. Il suffirait que, dans cette foule, l'enfant desserre ses mains, ouvre ses pauvres trésors. Qu'il ne garde pas pour soi : mais qu'il donne !
Et c’est ce qui se fait : Jésus prend les pains des mains de l'enfant. On ne peut imaginer Jésus prendre de force ! Lui qui dit toujours : “Si tu veux ...”. Non, ces cinq pains d'orge et ces deux poissons, l'enfant les donne. Et voilà que tout devient possible... La foule ne cesse pas de se passer de mains en mains ces éléments d'un repas de pauvres. Et il en reste.
Regardons ! Retenons bien ! Il a suffit qu'un petit, qu'un pauvre desserre ses mains, et le partage devient possible. Aux dimensions de la libéralité de Dieu. Au point, encore une fois, qu'il en reste. Car Dieu ne lésine pas quand l'homme consent à vivre la première béatitude : celle de la pauvreté qui partage.

[C'était avant la pâque...]
Et puis, vous l'avez remarqué : Jean note que cela se passe “avant la Pâque”. C'est par les mêmes mots qu'il marquera les derniers jours de Jésus, quand Il montera à Jérusalem, pour partager le pain du repas pascal avant d'accomplir ensuite sa Pâque, cette vraie Pâques qui nous permettra de partager le Pain du Royaume de Dieu.
Ainsi, au moment du partage du pain, il soulignera en lavant les pieds de ses disciples, que le partage fraternel est indispensable pour "avoir part avec lui" (Jn 13.8) au repas du Royaume de Dieu". Pour Jean, le service des frères, le partage entre frères sont les "signes" du Royaume de Dieu,  de l'Eucharistie (dont Jean ne raconte pas l'institution) ; l'Eucharistie, signe pascal du pain partagé pour le salut du monde !

Cette seule expression “c'était avant la Pâque”, annonce l'intention de Jean : il veut nous parler de l'Eucharistie que nous célébrons chaque dimanche. Il veut nous rappeler que célébrer l'Eucharistie n'est rien si tout ne commence pas, en nos vies, comme la multiplication des pains, par un regard attentif et efficace sur les besoins qui nous entourent.

Toute eucharistie débute, normalement, par cette attention, ce regard interrogatif : que pourrions-nous faire ?”

Tout commence par un geste d'enfant qui partage son goûter, ses maigres provisions. Comme si Jésus nous disait : et toi, qu'as-tu à partager avec tes frères, puisque moi, je vais partager... ma vie ?

Partage des biens matériels, évidemment !
Mais bien davantage le partage de toutes les richesses qui constituent notre vie :
- le petit bout de pouvoir que nous détenons les uns sur les autres, même dans une même famille ;
- le partage de cette qualité qui est nôtre et qui nous rend attentifs aux autres, mais que nous cachons parfois pour n'être pas dérangés ;
- le partage, c'est encore tout ce que nous savons bien et que nous gardons, serré en nous-mêmes, terré en nous-mêmes.

Comment, alors, faire Eucharistie, puisqu'elle commence par le partage ?

 [Les gens disaient...]
Nous pensons facilement que le partage prend du temps, des forces, un peu de nous mêmes ; nous pensons que ce partage va nous diminuer, nous empêcher de vivre.
Mais regardons la foule.
Elle s'émerveille de ce qu'elle a été capable de faire.
Elle s'émerveille du Christ,
Elle apprend à rendre grâce dans la joie.
Elle apprend à vivre au rythme de Dieu.
Dans le partage, par le partage, elle a fait l'expérience de ce qu'en rompant sa vie, en ne la gardant pas pour soi, on s'enrichit de la pauvreté de Dieu qui dépasse tous les biens.

Mais, évidemment, le “Malin” est toujours là pour nous tromper comme il a trompé les auditeurs de Jésus. Ils veulent l’enlever pour le faire Roi. Alors, il se dérobe et se retire, seul dans la montagne.

C'est encore là une leçon de vie, car on pourrait se croire "quelqu'un" quand on a, une fois seulement, commencé à regarder pour voir, à écouter pour entendre, à partager vraiment. On pourrait se croire chrétien bien comme il faut. Alors, il est urgent de se retirer dans la solitude et de se confronter avec la libéralité de Dieu qui donne comme il respire. Au-delà des attentes.
Car c'est cela la prière de Jésus : quand Il a provoqué à la pauvreté, quand il a enseigné à un enfant à se dessaisir de ce qu'il tient, Jésus ne cherche pas autre chose que son Père. Il ne cherche aucune gloire humaine. Il ne cherche que la gloire de Dieu... qui donne éternellement !

[L'Eucharistie : école de pauvreté]
Et c'est tout cela notre Eucharistie de chaque dimanche. Un apprentissage du don, du partage, de l'écoute tant de Dieu que des attentes des hommes. Et une école de pauvreté. Que faisons-nous, en réalité, en rendant grâce ? Nous disons au Père, en Jésus, que ce que nous avons été capables de faire vient de Lui. De Lui seul ! Et que nous lui rendons grâce de ce que son Esprit, en nous, a été plus fort que nos accaparements.

samedi 25 juillet 2015

En pèlerinage avec St Jacques

Fête de St Jacques, apôtre - 25 Juillet 2015

St Jacques, apôtre, était frère de St Jean l’Évangéliste. On le surnomma le Majeur, pour le distinguer des autres "Jacques" nommés dans les Evangiles et les Actes des apôtres.

Il exerçait la profession de pêcheur, ainsi que son père et Jean, son frère. Un jour qu’ils nettoyaient leurs filets sur les bords du lac de Génésareth, Jésus appela les deux frères ; à l’instant, quittant leur barque et leur père, ils se mirent à sa suite...

Le choix que Jésus fit des deux frères pour être, avec Pierre, témoins d'évènements exceptionnels (comme la Transfiguration) montre assez l’affection dont Il les honorait.

Selon la Tradition, après la dispersion des Apôtres, Jacques le Majeur vint en Espagne. Il la parcourut en tous sens ; mais il ne put convertir que neuf disciples. N’est-ce pas un sujet de consolation pour tous les missionnaires dont les efforts ne sont pas toujours couronnés de succès ? Dieu se plaît ainsi à éprouver ses envoyés ; ils sèment, d’autres recueilleront la moisson. Chez nous, St Siméon Berneux est un bon exemple !

Selon la Tradition encore, la Sainte Vierge, vivante encore, lui apparut et lui demanda de construire, en son honneur, une chapelle qui serait une protection pour l’Espagne.

Puis, St Jacques revint à Jérusalem, y prêcha et convertit beaucoup de personnes. Un jour qu’il prêchait, une émeute, préparée à l’avance, se souleva contre lui ; on le conduisit au gouverneur Hérode, en disant : "Il séduit le peuple, il mérite la mort." Hérode, homme sans conscience, visant avant tout à plaire, commanda de trancher la tête de l'Apôtre.

Selon la tradition à nouveau, le glorieux martyr appartenait à l’Espagne qu’il avait évangélisée. Sa dépouille mortelle y fut conduite par quelques disciples. Il n’est peut-être pas au monde un ancien pèlerinage plus célèbre que celui de Saint-Jacques de Compostelle.

La route de Compostelle attire encore de plus en plus de monde, et même des gens pas ou peu pratiquants. Il me semble que le commun dénominateur de ces pèlerins est d’aller à la rencontre, à la découverte de soi-même. Celui qui se met en route laisse derrière lui son passé et souhaite même prendre une certaine distance par rapport au présent ; il part à la découverte de lui-même, à la recherche de ce qui donne une valeur réelle à son existence ; il veut faire le point. Et je suis sûr qu'à leur retour, beaucoup affirment comme une profession de foi : "Rien ne sera plus comme avant !".

Rentrer en soi-même, voilà un objectif que St Grégoire le Grand notait à propos de St Benoît. C'est le travail d'un recentrement de sa vie, un travail non de dispersion, mais au contraire d'unification comme autour d'un centre de gravité. Humainement, c'est déjà beaucoup. Mais ce centre ne doit pas être notre propre "je", notre "ego". Le chrétien est invité à se laisser rejoindre par un autre, comme les pèlerins d'Emmaüs, avec celui que l’apôtre Jacques a lui-même suivi et annoncé.
Plusieurs fois, Jacques, le fils de Zébédée, sur la route de sa vie, a entendu l’appel de Jésus : il était un des quatre premiers disciples (cf. Mt 4, 21) ; il était un des douze apôtres choisis par le Seigneur (cf. Mt 10, 23) ; il a accompagné son Seigneur sur la montagne de la Transfiguration (cf. Mt 17, 1) ; Il était présent lors de la résurrection de la fille de Jaïre ; enfin, il était un des trois disciples à qui Jésus a demandé d’aller à l’écart avec lui à Gethsémani (cf. Mt 26, 37). Chaque fois, Jacques a dit "oui" et s’est laissé déranger par son Seigneur.

Aujourd’hui, à travers la lecture et l’évangile, l’apôtre Jacques nous rejoint sur les routes de notre vie, comme il souhaite rejoindre ceux qui sont sur les chemins de Compostelle. Tous, nous sommes sur une route de foi. Chaque vie humaine est un pèlerinage. Et sur le chemin de la vie, chacun connaît des hauts et des bas, des errances, des faux pas, voire le péché. Chacun de nous entend de temps à autre une invitation à faire demi-tour, à se retourner, à se convertir. Avec les paroles de l’apôtre Paul, saint Jacques nous fait comprendre que ce qui donne sens à notre vie, nous le portons comme dans des vases d’argile. Mais cette fragilité ne doit pas nous effrayer, car le Christ est la force qui porte notre vie.

Oui, le Christ doit être notre seule force ! L'évangile nous l'indique à propos de la rencontre entre Jésus et la mère de Jacques et de Jean. Cette femme manifeste une préoccupation bien maternelle. L’avenir, la situation, le statut de ses fils lui tient à cœur. Jésus la décevra, puisqu’il ne peut rien garantir. Là aussi, rien de neuf sous le soleil : les bonnes relations, le "bras long", de nos jours encore, ne sont pas nécessairement une garantie pour une belle carrière….

Aussi Jésus engage un dialogue en profondeur avec ses apôtres. Il met les choses au point. Ceux qui le suivent sont appelés à servir - comme lui -. C’est clair ; il n’y a pas à tergiverser. Ici-bas, être apôtre de Jésus, voire être chrétien, c’est s’engager résolument dans la vocation du service gratuit, dans le don, à la suite de celui qui a appelé.

Le Seigneur terminait sa rencontre avec ses disciples en ces termes : "Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude".
Ainsi, il fait comprendre que son service dépasse le service humain ; il donne sa vie pour nous libérer, pour nous sauver, pour nous racheter. L’humanité était comme prise en otage par le mal, par le péché, par la mort. Par son mystère pascal, Jésus veut nous faire sortir de l’esclavage du péché. Le pouvoir du mal, de la mort ou de Satan est cassé. Dieu, en Jésus, a le "dernier mot", un mot non de puissance humaine, mais un mot d'amour divin.

Depuis lors, grâce au Seigneur Jésus, nous sommes libres et appelés à la liberté, au bonheur éternel.
Depuis lors, la foi, l’espérance et la charité nous sont données.

Et dans l’eucharistie, nous pouvons exprimer notre action de grâce pour cette libération par la mort et la résurrection du Christ. Il nous dit de faire cela en mémoire de lui. Il nous invite à partager son Corps, à confirmer notre désir de le suivre sur le chemin du service. Les chemins de Compostelle, ce sont nos chemins de vie qui nous permettent d'oser reconnaître notre fragilité, notre faiblesse, nos refus de servir, nos péchés ; mais, plus encore, ils nous permettent de nous ouvrir à l’amour gratuit de Celui qui nous invite à le suivre - comme l’apôtre St Jacques l’a fait, jusqu’au don de sa vie, lui aussi -.

dimanche 19 juillet 2015

Unité par le Christ !

16e Dimanche  Ord. 15/B

St Paul, dit-on, est d’une lecture difficile. C’est vrai, tant il veut toujours tout dire et tout à la fois. Il est pourtant capital ce texte que nous avons entendu et que l’apôtre adresse à sa chère communauté d’Ephèse ! Comme celui de dimanche dernier - c'était le début de sa lettre - où l'apôtre, de façon un peu lyrique, décrivait
le dessein d'amour de Dieu-Père pour tous les hommes, établi avant même la création
dessein déjà accompli parfaitement, "récapitulé" disait l'apôtre, en son Fils, Dieu fait homme,
et dessein qui se poursuit aujourd'hui encore comme un achèvement grâce à leur Esprit commun, Esprit d'amour, répandu dans le cœur des croyants.
Dimanche dernier je me suis efforcé de commenter ce dessein divin décrit par St Paul, un peu trop longuement. Aussi, je serai plus court aujourd'hui !

Pour comprendre quelque peu notre texte, il faut se souvenir que dans la mentalité biblique, (comme en la mentalité chrétienne, d'ailleurs), un des problèmes fondamentaux est la division, conséquence du péché de l’homme, division qui s'oppose fortement au dessein d'amour de Dieu-Père pour tous les hommes :

+ Le péché a détourné de sa fin toutes les complémentarités que le Créateur avait voulues fécondes : la différence de sexe, de race, d'âge, de psychologie, etc. Ces différences complémentaires, puissances d'unité voulues par le Créateur, sont devenues, par le péché, puissances d’opposition, d’hostilité !
Et toute l’histoire biblique est une présentation de cette division aux formes si variées :
* Division des frères devenus ennemis, fondée sur l’envie (pensons à Caïn et Abel, à Esaü et Jacob, à Joseph et ses frères, etc.)
* Division des pays frères entre Israël et Ismaël, entre Israël et l’Egypte, entre Israël et toutes les Nations.

+ Aussi, toute l’histoire du peuple de Dieu, c'est une grande aspiration à la fin de la division, à la réconciliation, à la paix, lorsque toutes les nations de la terre se béniront mutuellement par le nom de la descendance d’Abraham. Et quand Paul parle d'Abraham, notre "père dans la foi", il pense au Christ dont il est le "prototype" !. Evidemment !

Tel est le cadre général de notre texte !

A y regarder de près, Paul fait état de deux réconciliations principales exprimées par un passage de l’éloignement (“vous qui étiez loin”) à la proximité (“vous qui êtes devenus proches”).

- La première réconciliation est celle des “deux peuples” ("Israël et les païens"). Les voici, grâce au Christ, réunis en un seul corps ; ils forment désormais, ensemble, un “Homme nouveau”, dit l'apôtre.

- Et cette réconciliation contribue à la seconde : la réconciliation entre les frères ennemis conduit à la réconciliation avec Dieu. Et même, Paul semble dire que la première est préalable à la seconde !
N’est-ce pas, d’ailleurs, le sens de cette supplication à nous transmise par le Christ : “Père, pardonne-nous, comme nous pardonnons”.
Et Jésus priait : “Qu’ils soient un - en un premier temps si je puis dire - comme nous sommes un” !
Un Peuple, un Corps, un “Homme nouveau”. Cette unité des hommes conduit alors au Dieu unique !

- Mais nous serions tentés de penser : si, pour approcher de Dieu, être en union avec Lui, il faut nous réconcilier, pardonner, faire union entre nous. etc…, nous faisons dépendre notre salut de notre seul effort de réconciliation ! Certains l'ont pensé au cours des siècles. C'est l'erreur du pélagianisme contre laquelle St Augustin a beaucoup lutté. Ce fut encore l'erreur du jansénisme, plus proche de nous. Et inconsciemment certains pensent de cette façon. Alors, est-ce nous qui nous sauvons ou est-ce Dieu qui sauve ?

C’est ici qu’intervient, reprend St Paul, le “Christ, notre paix” ! Cette unité, préalable à notre approche de Dieu, c’est Dieu lui-même qui l'a déjà faite dans le Christ, Dieu fait homme. "Par sa chair crucifiée !"
Le Christ a crucifié la “chair”, poursuit l’apôtre.
Et pour lui, la “chair”, c’est tout ce qui s’oppose à l’Esprit, qui est Esprit d’unité, d'amour.
La “chair”, c’est la volonté de s’imposer soi-même, de survivre pour soi, au détriment de l’autre ;
La “chair”, c’est la défiance envers l’amour ;
La “chair”, c’est désir de vengeance, volonté de punir, la haine finalement !

Tout cela le Christ l’a mis à mort par le seul fait qu’il ait accepté de mourir pour tous, en renonçant à la suprématie, à la vengeance, à la haine, à l’égoïsme… !
Bref, tout ce qui sert aux hommes à diviser a été crucifié en Jésus Christ !

Et pour autant, ce n’est pas une réconciliation automatiquement effectuée par le Christ. Le Christ a bien mis à mort “en sa chair”, tous les principes de division. Mais c’est dans la mesure où nous accueillons à notre tour ce qu'il a réalisé en son mystère pascal de mort et de vie, cette victoire de l’amour sur la haine, de la vie sur la mort, que nous pouvons approcher de Dieu Père. C’est un pouvoir qui nous est donné par le Christ et que désormais nous pouvons exercer avec lui en mettant à mort en nous, à notre tour, tous les germes de division.

Et du même coup, les “uns et les autres”, devenus frères, nous pourrons regarder Dieu comme "Notre Père" !

Oui, c'est le Christ qui nous aide à cette union.
Et cette union qui sera pleinement réalisée dans la gloire du Christ est bien signifiée et se construit aujourd'hui par le mystère de l'Eucharistie qui nous rassemble chaque dimanche (voire chaque jour), sacrement qui ré-actualise pour nous le mystère pascal du Christ.

Le Concile Vatican II enseignait : "Par le sacrement de l'Eucharistie est représentée et réalisée l'unité des fidèles qui, dans le Christ, forment un seul Corps.
A cette union avec le Christ
qui est la lumière du monde,
de qui nous procédons,
par qui nous vivons,
vers qui nous tendons, tous les hommes sont appelés !" (L.G. 3).
Ils sont appelés, avec la grâce du Christ, sous la mouvance de l'Esprit d'Amour, d'Union, à construire cette unité qui sera parfaite en la gloire de Dieu-Père qui aime les hommes de toute éternité !

Alors une seule question : allons-nous, par nos attitudes, désavouer durant cette semaine, ce que nous célébrons solennellement le dimanche ?

samedi 11 juillet 2015

Prophète de l'"Economie" divine !

15e Dimanche du T.O. 15/B

S'il est difficile de se faire accepter comme prophète dans son propre pays, la difficulté n'est pas moindre quand on vient d'un pays "frère" avec lequel on se trouve en conflit. C'est le cas en bien des contrées où des chrétiens renouvellent l'expérience du prophète Amos.

C'était à l'époque du "schisme" d'Israël. Originaire du Sud, Amos vint proférer des oracles d'une virulence rare contre le Royaume du Nord qui avait acquis une remarquable prospérité économique, mais au prix de grandes injustices et compromissions Ses violentes invectives contre les nantis (il ira jusqu'à traiter les femmes de la cours de plantureuses "vaches de Bashan" - rendez-vous compte !) sont pour ceux-ci une intolérable provocation.

Ainsi, quand Amos s'en prend jusqu'au sanctuaire local, le prêtre Amazias entre en lice. Il le dénonce au roi : "C'est un conspirateur du Sud infiltré dans le pays. Il faut l'expulser !". Et sans attendre, il veut intimider Amos par des termes méprisants : "Va-t-en d'ici, avec tes visions !". Tu n'es qu'un exalté qui appelle "visions" les élucubrations d'un esprit dérangé ! "Enfuis-toi en Juda ; Là-bas tu gagneras ta vie en faisant ton métier de prophète". L'ironie est cinglante : On ne se laisse pas prendre à tes paroles, homme stipendié pour jeter le trouble parmi nous. Retourne en ton pays ! Là-bas, on te paiera pour jouer ce petit jeu ! - Ces réactions sont de tout temps !

Amos répond simplement : "Je n'étais pas prophète ni fils de prophète ; j'étais bouvier et je soignais les figuiers. Mais le Seigneur m'a saisi..., et c'est lui qui m'a envoyé : Va, tu seras prophète pour mon peuple Israël". La réponse d'Amos est humble, mais ferme. Non, il n'a rien à voir avec ces bandes d'extatiques, "faux charismatiques" dirait-on, qui se répandaient à son époque autour des sanctuaires. Il avait un métier dont il tirait sa subsistance : ce n'est ni le besoin, ni l'appât du gain qui lui a fait quitter son travail. Il a été "saisi" par Dieu, arraché à son troupeau et à ses champs de figuiers sans avoir pu opposer la moindre résistance.  - C'est cela un prophète : il parle de Dieu non par des preuves du dehors, mais par sentiment intérieur et immédiat. Il ne peut pas lui-même s'en empêcher. Rien ni personne ne peut l'empêcher : une force d'en-haut l'habite !

Plus tard, Pierre et Jean exprimeront ce même sentiment : "il nous est impossible de ne pas dire ce que nous avons vu et entendu" (Ac 4,I9-:2O).

Et c'est la même force intérieur qui fait parler St Paul dans sa lettre aux Ephésiens : il ne peut pas ne pas dire, transmettre, annoncer ! Sa lettre est un magnifique exposé sur le dessein de Dieu ("l'économie divine", disent les Orientaux), arrêté de toute éternité, réalisé par le Christ et qui se déploie dans l'Église ! Par le lyrisme employé, l'exposé captive d'emblée et son intérêt ne se relâche pas un instant. - Le début est, dans le texte grec, une longue et même phrase que le célèbre Loisy a qualifiée de "somptueux galimatias", tant Paul veut tout dire et tout à la fois !

L'apôtre commence par une "bénédiction", une "action de grâce". C'est là le fondement de toute spiritualité juive. Le croyant doit être sans cesse en "action de grâce", en "eucharistie", vivre en un immense "merci" pour tout ce que Dieu donne"Béni soit le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus-Christ... il nous a comblés de sa bénédiction spirituelle en Jésus Christ".
Puisse toute notre vie individuelle, ecclésiale, être, une louange à la gloire de Dieu, Père, Fils et Esprit-Saint ! "Si tu savais le don de Dieu", nous dit Jésus comme à la Samaritaine. C'est l'objet de toute "action de grâce" !

Et l'"action de grâce" de Paul est suscitée par cette découverte : "nous" sommes les purs bénéficiaires d'un acte de bonté de la part de Dieu. "Il nous a bénis, choisis !". Ce "nous" n'est pas, là, un pluriel d'auteur, ne concerne pas les seuls chrétiens, mais englobe toute l'humanité... "Dieu a tant aimé le monde", dira St Jean (Jn 3.16). Certes, seuls, les chrétiens peuvent "bénir" étant seuls à comprendre ce don divin qui suscite la bénédiction. Mais ce don divin ne leur est pas réservé. C'est l'humanité entière qui est concernée. Et cela avant même "la fondation du monde" !

Et c'est en comblant les hommes de "toutes sortes de bénédictions" que Dieu révèle son identité de "Père". Certes, il est "Père du Christ", ce Jésus que les croyants confessent comme "Seigneur" ("Kurios" - Dieu) du fait de sa résurrection. Mais son action de "Père" qui a sa source en lui-même, il l'exerce par l'Esprit-Saint (il s'agit de "bénédictions Spirituelles") en son Fils, le Christ, qui, dit l'apôtre, récapitule toutréunit tous les êtres en lui-même ! Tout est "ramené sous un seul Chef, le Christ !". Le Christ "récapitule" "en sa chair" le dessein de Dieu qui se déroule d'un bout à l'autre de l’Histoire. Par Lui, avec Lui et en Lui, toute la création - et notre vie elle-même - est remise entre les mains de Dieu "son Père et notre Père" ; tout, par le Christ, est "conduit vers le Père" ! L'apôtre a même inventé un mot compliqué (ἀνακεφαλαιώσασθαι 1,10) pour exprimer cette mission : dans le Christ, tous, "vous êtes intégrés à la construction pour devenir demeure de Dieu, dans l'Esprit Saint" ; dans le Christ, Dieu a "saisi l'univers entier, ce qui est au ciel et sur la terre ; il a tout "récapitulé sous un seul chef".

Finalement, l'action de Dieu-Père, c'est tout l'Amour que s'échangent les Personnes de la Sainte-Trinité - Famille de Dieu - et qui rejaillit, par pure bonté divine, sur tous les hommes - Famille humaine -, sur tout le créé. Nous sommes nés de Dieu-Trinité, déjà destinés à vivre en Dieu-Trinité, Père, Fils, Esprit-Saint, à vivre en leurs liens d'amour divins, liens si forts qu'il n'y a qu'un seul Dieu ! Et l'apôtre semble insister : Bénir pour Dieu, c'est tout donner, se donner lui-même ! En donnant son Fils, Dieu-Père, sous la motion de son Esprit d'Amour qui les unit, donne tout, tout ce qu'il peut donner de lui-même à l'homme, à tous les hommes.

Nous comprenons dès lors que cet amour de Dieu-Père pour tous les hommes, manifesté en son Fils Unique, et toujours à l'oeuvre par leur Esprit commun - Esprit d'amour - est la "source" de toute fraternité : Jésus dira : "Tous, vous êtes frères !" (Mth 23.8). Et St Pierre nous exhorte à être des frères aimants, des "philadelphes" (I P. 3.8). St Paul précisera : "C'est de Dieu lui-même que vous avez appris à vous aimer !" (I Thess. 4.9).

Finalement tout vient de la vie trinitaire manifestée en Jésus Christ ! Dieu, le Père, est à l'origine et au terme du vaste mouvement dans lequel nous sommes insérés : "Il nous a choisis avant la création du monde, pour que nous soyons, dans l'amour, saints et irréprochables" ; "il nous a d'avance destinés à devenir pour lui des fils".

Tel est son projet formé de toute éternité.

Et le Christ est toujours présent en cette œuvre du salut qui part du Père !
"En lui" que, "dans les cieux", il en a élaboré ce plan d'amour et son déroulement.
"En lui", Dieu "nous a choisis..., "nous a destinés à devenir pour lui des fils".
"En lui", nous avons "écouté la parole de vérité, la Bonne Nouvelle de notre salut" ; et, devenus croyants, nous avons "reçu la marque de l'Esprit Saint".
"Par lui", il nous a rachetés et comblés de sa grâce.
"Par lui", il nous a dévoilé "le mystère de sa volonté".
"Par Lui, avec Lui, en Lui, à Toi, Dieu le Père, tout honneur et toute gloire !"

Et en tout cela l'Esprit Saint est comme le "moteur" de l'œuvre de Dieu. Aussi est-il toujours invoqué en des moments solennels
- Pour un baptême : "Envoie ton Esprit pour enfanter les peuples nouveaux qui vont naître pour toi de la fontaine baptismale" ;
- Pour la Confirmation : "Sois marqué de l'Esprit Saint, le don de Dieu'' ;
- Pour l'ordination : "Envoie sur lui, Seigneur, l'Esprit Saint pour qu'il remplisse fidèlement son ministère'' ;
- Pour l'Eucharistie : "Sanctifie par ton Esprit les offrandes que nous apportons, pour qu'elles deviennent le corps et le sang de ton Fils".

Oui, l'Esprit-Saint est toujours présent, actif dans l'Eglise du Christ et dans le monde pour faire advenir le Règne de Dieu, selon son dessin d'amour...

"Père très saint, nous proclamons que tu es grand et que tu as créé toutes choses avec sagesse et par amour..." (Préface de la 4ème P.E.)

Voilà ce que St Paul, comme tout prophète, ne pouvait ne pas dire. Voilà le témoignage que nous pouvons, devons porter !

Fort et faible !

Saint Benoît - 11 Juillet 2015

Dimanche dernier, St Paul, du tranchant de son glaive bien trempé, exprimait le paradoxe de notre foi chrétienne, celui de la Croix glorieuse qui doit s'appliquer à chacun de nous. Ainsi, lorsqu'il se plaignait de ses persistantes faiblesses, le Seigneur lui rappelait ce paradoxe du mystère pascal : "Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Co 12,9). Déjà, l'apôtre lui-même avait écrit aux Corinthiens cette formule lapidaire : "Ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes" (1 Co 1,25). Et avec les Philippiens, il reprenait l'hymne liturgique qui chante l'humilité du Christ jusqu'à une mort ignominieuse mais qui est désormais exalté par le Père pour son obéissance aimante (Ph. 2.6-11).

Et ce paradoxe pascal doit être vécu personnellement, communautairement, ecclésialement, ce que l'on oublie trop facilement

St Benoît dans sa Règle propose aux moines et à tous ceux qui veulent s'inspirer de son esprit, de suivre le Christ dans cette faiblesse qui est la vraie force, dans l'humilité qui élève ; et nous n'avons jamais fini d'entrer dans ce mystère les uns et les autres, les uns par les autres : c'est l'enseignement pratique des sept degrés d'humilité.

À la fin du chapitre sur l'institution de l'Abbé, vers la fin de la Règle, St Benoît lui recommande "la discrétion, mère des vertus", de sorte, dit-il que "les forts puissent désirer davantage et que les faibles n'aient pas à s'enfuir !" (64.19). Forts et faibles dans une même Communauté : toujours ce paradoxe pascal qui permet de "durer" et de "durer" encore, grâce au Christ mort sur la croix, mais toujours vivant !
Certes, pour l'abbé surtout mais aussi pour chaque moine, moniale, il s'agit d'entraîner, de "mener" ses frères et sœurs, mais jamais cependant de les "surmener" ! Le danger pour les forts est de se complaire dans leur force, tandis que les faibles n'ont guère à se vanter de leurs infirmités.
St Benoît avait déjà mis les choses au point à propos de la répartition du nécessaire : "Celui qui a besoin de moins rendra grâces à Dieu et ne s'attristera point ; celui à qui il faut davantage s'humiliera et ne s'élèvera point à cause de la miséricorde qu'on lui fait. Ainsi tous les membres seront en paix" (34,3-5).
Forts et faibles savent qu'il leur faut offrir à la fois leur faiblesse et leur force, mais plus ils iront à la suite du Christ, plus ils se rendront compte avec St Paul que leur véritable force est leur faiblesse offerte à Dieu !

"En corrigeant les autres par ses avis, l'Abbé, dit St Benoît, se corrigera lui-même de ses défauts". Ainsi finit le long chapitre sur l'Abbé au début de la Règle (2,40). Et le chapitre qui concerne sa nomination, à la fin de la Règle, lui rappelle ceci : Ainsi, "il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse" (64,13).
A  la fois faible mais fort dans le Christ pascal !

Aussi, en cette fête de St Benoît, je vous propose cette prière - quelque peu modifiée - d'un moine, prière qu'il composa pour son nouvel Abbé, à l'occasion de sa bénédiction abbatiale, mais prière qui peut être profitable à chacun personnellement, communautairement et ecclésialement !

"Je veux ce que Dieu veut, par Marie, ma Mère.

Car je suis fait pour aimer et servir ceux que le Christ m'a confiés.
Qui suis-je, Seigneur, pour que tu poses ton regard divin sur moi ?
Qu'est-ce que j'ai de beau et que les autres n'ont pas ?
Je suis rempli de faiblesses.

Comme les doux Moïse et Jérémie, j'ai envie de te dire :
Seigneur, je ne sais pas parler ; confie cette tâche à un autre.
Mais que ta volonté soit faite !

Tu ne m'as pas donné la science de ce monde,
cette science qui fait courir beaucoup d'hommes.
Mais tu m'as donné la paix intérieure et l'amour de mes frères.

C'est à cause de ma faiblesse que tu m'as choisi,
afin que je sois un signe pour ceux qui m'ont mis au monde !

Merci Seigneur, pour ta miséricorde,
Et fais de moi une offrande agréable à tes yeux.
Reçois-moi tel que tu apparais dans l'hostie, nu et pauvre.
Pour que ton œuvre continue à s'accomplir à travers moi !".


Oui, prions ainsi avec l'esprit de St Benoît ; car ne sommes-nous pas responsables les uns des autres. Et il nous sera demandé : "Que tu sois faible ou fort, que tu sois faible et fort tout à la fois, Qu'as-tu fait de ton frère, de ta sœur ?".

dimanche 5 juillet 2015

Présence de Jésus


14ème Dimanche du T.O. 15/B

On m’a raconté - ou j’ai lu, je ne sais plus - une anecdote assez piquante. C’était aux temps des prêtres-ouvriers ! Dans un gros bourg de l'Ouest, l'un d’eux était facteur. Un jour, il célébrait un enterrement. A la sortie du cimetière, un ancien murmura à l'un de ses amis : “C'est incroyable ! Les prêtres ne veulent plus rien faire ! Voilà maintenant qu'ils font enterrer les morts par le facteur !” L'interlocuteur répliqua : “Mais c'est un prêtre... !” – “Allons donc, je vous assure que c'est le facteur, il vient me porter le journal tous les matins ; et d'ailleurs il est très gentil...”.

Jésus n'était pas facteur, il était charpentier. Le mot grec que l'on traduit par “charpentier” a un sens plus large : il désigne l'ouvrier qui travaille le bois, la pierre ou le métal ; en fait il s'agissait souvent du “constructeur de maison”. On a remarqué, d’ailleurs, que Jésus fait davantage allusion au travail de la pierre qu'à celui du bois. Jésus et Joseph construisaient de petites maisons simples, comme on peut en voir encore aujourd'hui en Palestine.

Et voilà le maçon du village qui prend la parole dans l'assemblée en prière ! Dans la synagogue ! C’est incroyable ! Il n'avait pas fait d'études particulières, il n'avait pas été formé par quelque grand maître. “D'où cela lui vient-il ?” Ses paroles sont empreintes de sagesse ; on dit qu'il a fait des miracles, et qu'il vient même de ressusciter une petite fille ! Mais c'est tout de même le maçon du village. On connaît sa famille ; ce sont des gens comme tout le monde. Ils n'ont rien d'extraordinaire !

Ainsi, on se hâte de ramener Jésus à l'humanité commune. On regarde vers les siens, vers le passé, plutôt que de se laisser “interpeller” par une parole, un événement, par le surgissement d'un possible avenir, tout neuf. Où se retrouverait-on, si on se laissait embarquer au large de la vie dite “normale” ?

L'évangile nous dit que Jésus ne put accomplir “aucun miracle” dans son village. Seulement quelques malades guéris en leur imposant les mains. “Il s'étonna de leur manque de foi”. Et il ajoute : “Un prophète n'est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison”.

A Nazareth, Jésus n'était que le maçon, le camarade, le cousin... Il ne lui était pas permis d'être autre chose. Il était réduit à sa situation professionnelle, à son rôle social, à sa place dans la famille, dans le clan. Que de fois des personnes sont emprisonnés par une étiquette, une épithète, une réputation.

Pour que Jésus puisse être autre chose que le gars du bâtiment ou le fils de Marie, il aurait fallu le regarder et attendre de lui quelque chose d'unique : avoir “foi” en lui ! C’est classique, n’est-ce pas ?

Or, Jésus vient toujours étonner les siens, et les déranger. On veut toujours - souvent du moins - l'enfermer dans des formules, des programmes, dans le merveilleux que l’on imagine. Or, pour lui, faire des miracles, c’est toujours pour bouleverser la vie, changer la vie, faire un retournement, une “conversion” des cœurs. Et cela de mille manières, souvent très discrètes. "Je fais toutes choses nouvelles", disait Dieu par le prophète Isaïe (43.19), comme le répètera St Jean dans son Apocalypse (ch.21).

Un Saint du 18ème siècle, le Père de Caussade, écrivait : “Le Christ se présente à nous sous un déguisement : les uns ne Le reconnaissent pas, les autres sont d'autant plus prévenants que le déguisement est plus minable”. Quels sont les déguisements de Jésus ? Oh, ce n’est pas toujours celui du facteur, mais plutôt 
un événement qui nous surprend, 
un visage qui lève vers nous son attente, 
un de ces petits “riens” qui font la trame de la vie et que l’on remarque soudainement...
A chacun de percer les “déguisements” de Jésus.

A chacun de reconnaître les prophètes de notre temps. Car à beaucoup – et à nous-mêmes -, Jésus dit soudainement comme à Ezéchiel : “Fils d’homme, je t’envoie…”, que ‘on soit facteur ou non ! Oh ! Certes, n’allez pas chercher très loin : 
ce peut être - ce doit être d’ailleurs - un mari pour son épouse et réciproquement. 
Ce peut être, soudainement et en un temps record, un ami, un compagnon de travail, un frère, une soeur... 

Oh, bien sûr, tous ceux-là, comme Paul, comme chacun de nous, ils portent en eux une écharde qui les rend faibles. Mais malgré cette faiblesse, ils portent en eux un trésor : le Christ qui vient à nous. Oui, disait encore St Paul, nous sommes comme des poteries fragiles qui portons un trésor en nous-mêmes.

En sommes-nous conscients ? Car Dieu nous envoie beaucoup de messages tout au long de nos jours. Mais, souvent, nous les enfermons dans un cadre trop insignifiant. Comme les gens de Nazareth, nous n’avons plus l’oreille assez attentive. Et si, en ce temps liturgique appelé "temps ordinaire", nous étions plus attentifs aux surgissements de la Parole de Dieu qui veut toujours faire des "choses nouvelles" et extraordinaires, en nos vies si banales apparemment ? 

Pour terminer, je souhaite désigner des prophètes - des porte-paroles - de Dieu qui, trop souvent, sont ignorés et qui, les premiers, peuvent répéter après St Paul : “C’est lorsque je suis faible que je suis fort de la force du Christ !” : ce sont les malades, les souffrants de toutes sortes ! Il y en a tant !

Le Christ est avec eux, lui qui a dit : “Je ne suis pas venu pour les bien portants, mais pour les malades”. Souvent très dépendants, ils ne jouissent pas des richesses de ce monde ; et c’est dans la pauvreté qu’ils manifestent la richesse du Christ. Souvent crucifiés en leurs souffrances comme le Christ en croix, ils ne cessent de désigner, silencieusement et pleins d’espérance, la maison du Père. "Laissez-moi aller dans la maison du Père", disait le pape Jean-Paul II, en son dernier jour d'agonie.

Je ne sais si aujourd’hui, il y a beaucoup de facteurs qui soient prêtres ! Ce que je sais, c‘est que nous sommes tous appelés à transmettre les messages et les lettres que le Seigneur veut adresser à chacun de nous.