jeudi 6 août 2015

La maladie

Fête de la Transfiguration !

Vous le savez : depuis un certains temps, j’ai eu, j’ai quelques ennuis de santé. Au point que je dois me rendre au CHU de Nantes pour une intervention chirurgicale un peu délicate (le 20 Août - après un cout pèlerinage à Lourdes).
Une occasion pour moi de solliciter les prières de tous ceux, connus ou inconnus, qui ont eu et ont la bienveillance de me lire de façon permanente ou occasionnelle. Un grand merci pour vos prières !
Une occasion également pour moi de m’unir à tous les malades auxquels on ne pense pas toujours suffisamment.

Aussi, je me permets quelques réflexions sur ce sujet qui peuvent aider les uns et les autres
à approcher le mystère de la souffrance, de la maladie,
à approcher le Christ souffrant en nos frères
à mieux vivre le mystère pascal, "point focal" de l'œil de la foi qui permet de mieux regarder notre propre existence avec ses heurs ou malheurs !
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Nous sommes faits pour être heureux dans notre corps et dans notre âme.
Et pourtant nos corps sont souvent blessés et nos âmes alourdies par l'égoïsme et le péché. Nous sommes des êtres fragiles. L'homme tôt ou tard devient malade. Et il meurt.
Mais Dieu nous a créés pour la vie. Et il nous invite à prendre soin de nos âmes et de nos corps. Il veut que nous conservions la santé de l'âme et du corps en y collaborant nous-mêmes. Aussi beaucoup d'hommes et de femmes se consacrent à la santé de leur prochain. L'homme malade est entouré de médecins, de personnel soignant, de psychologues et de thérapeutes pour l'aider à vaincre cet éternel ennemi : la mort. - Mais Dieu aussi s'en occupe : il aime les malades, comme il aime tout ce qui est petit et fragile. A lire l'Évangile, Jésus a passé toute sa vie à guérir les malades.

Mais, d'abord, qu'est-ce qu'être malade ?

Certes tout est dit dans le dictionnaire médical. À peine y a-t-il peut-être une ou deux maladies qui n'y sont pas répertoriées. Et le traitement est prévu, les médicaments connus et disponibles. Du moins dans les parties privilégiées du globe.     
Mais être malade, est ce simplement savoir ce qui est marqué dans le dictionnaire ?
Et guérir est-ce simplement suivre et réussir ce que le médecin a noté sur sa prescription médicale ? Non !
Car la fièvre est bien plus et autre chose que ce qui se lit sur le thermomètre.
C'est un sentiment douloureux dans la tête et le corps ;
c'est le cœur qui bat dans les tempes, la transpiration abondante… ;
la maladie c'est se sentir mal et inapte à tout.
Oui, la maladie a sa définition quantitative et médicale, mais elle a aussi sa définition humaine et qualitative.
Elle a même sa définition surnaturelle et théologique.

Alors, être malade qu'est-ce ?
C'est vivre en rupture de relation. Avec tout.

D'abord avec son propre corps. Normalement mon corps m'obéit comme un bon et fidèle serviteur. Je lui dis d'aller à gauche : il va ; à droite et il obéit aussitôt. Mais il suffit de peu de chose et ce corps docile peut devenir un valet insubordonné : il n'écoute plus. Il faut que je m'explique avec lui. Nous avons des discussions houleuses. Il y a rupture entre moi et mon corps. C'est la définition humaine, qualitative de la maladie. Et ces discussions interminables avec cette monture rétive, ne se trouvent dans aucun dictionnaire médical.

Mais il y a aussi rupture avec son environnement. Il suffit de devoir rester un beau matin au lit et tout l'environnement change.
Tous les bruits de l'extérieur que je n'entendais jamais, je les entends maintenant.
Ma chambre devient un lieu, non plus de repos mais de combat avec la maladie.
Le papier contre les murs prend d'étranges formes.
Tous les objets changent : mes vêtements sur la chaise, mes souliers sans propriétaire et rangés contre le mur.
Être malade c'est être en rupture avec son environnement.

Et mes relations avec les hommes, avec ma parenté, mes amis changent.
Pour beaucoup il y a comme un enchaînement : au début "tout le monde" vient rendre visite au malade et on lui raconte tout ce qui se passe dans les lieux qu’il côtoyait hier encore. Après quelques semaines, on vient moins. “Nous avons déjà été”, dit-on. Et cela lui ferait plutôt mal de tout lui raconter, il se sentira trop hors jeu. Non, taisons-nous plutôt”.
C'est cela aussi la maladie : être en rupture avec ses amis, ses voisins, ses collègues.

C'est aussi être en rupture avec soi-même. Qui devient malade - surtout si c'est la première fois et que c'est grave - se révolte contre lui-même dans un sentiment d'impuissance et de sourde culpabilité. Il perd la paix avec lui-même.

Mais il y a aussi une dernière rupture qui peut se faire jour : celle de notre relation de confiance avec Dieu. “Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? Es-tu vraiment le père qui m'aime comme son enfant ? Si oui, pourquoi permets-tu tout ceci ? Et pourquoi précisément moi ?”.
Oui, la maladie, ce peut être le temps des grands "pourquoi". Pourquoi cette maladie ? Pourquoi moi ? Pourquoi si jeune ?

La maladie c'est tout cela : ces cassures en profondeur qui m'habitent.

Et guérir, c'est quoi alors ?
C'est réparer toutes ces cassures, renouer toutes ces relations, retrouver son insertion dans son environnement, corporel familial et social, psychologique et religieux. C'est renouer - et souvent d'une autre façon - avec son corps, avec les choses, avec les hommes, avec Dieu. Ainsi l'on peut sortir de l'hôpital parfaitement guéri selon le corps, mais pas selon l'âme : on peut ne rien avoir appris quant à la gestion de sa finitude.

C'est pourquoi nous entourons les malades de soins de différents ordres.
Dans l'ordre du corps, il y a ce gigantesque effort de la médecine pour restaurer les liens entre notre moi et notre corps.
Il y a aussi l'accompagnement psychologique et humain de tant de professionnels, mais aussi et en particulier dans l'Église et dans certains lieux comme à Lourdes.
Dieu soit loué, dans le monde et dans l'Église, pour tant d'hommes et de femmes médecins, psychologues, conseillers, thérapeutes. Mais aussi pour tant de simples amis laïcs et prêtres qui écoutent les malades à longueur de journées et de nuits.

Mais pour la question du pourquoi, nous n'avons que Dieu et son Christ pour y répondre et pour nous en guérir. C'est la raison d'être profonde du sacrement des malades. Il nous enseigne sur la Passion de Jésus et nous configure au Christ souffrant, mort et ressuscité. Il nous identifie à Celui qui sur la Croix a été habité par tous nos ”pourquoi” et qui a traversé la mort dans une confiance totale dans l'amour du Père. Il s'est abandonné à Dieu sans avoir reçu une réponse à la question du pourquoi de la finitude et de la mort.

Mais une chose n'a pas encore été touchée ni dite : les malades qui s'unissent à la croix du Christ dans la foi, sont porteurs d'un mystère. Selon la parole de Paul, “ils complètent dans leur corps ce qui manque aux souffrances du Christ en faveur de son Eglise”.
Et nous touchons, là, au mystère de la maladie qui n'est accessible qu'aux yeux de la foi : les malades sont les amis du Christ et en plus nos amis et ceux de l'Eglise. Ils font rayonner la force thérapeutique du Christ et de sa croix.

Devant un tel mystère, on ne peut que se taire, admirer et remercier nos frères et sœurs malades et leur demander d'intercéder pour nous pour ces jours où nous aussi, nous entrerons dans les jours des grands ”pourquoi” et dans ce mystère de la maladie.