jeudi 31 décembre 2015

Bonne Année 2016 !

1er janvier - Ste Marie, Mère de Dieu 16 C -    

En ce premier jour de l'an, je vous dis à tous, à chacune, à chacun en toute simplicité : "Bonne et heureuse année !".

Que faudra-t-il pour que cette année 2016 soit bonne ? J'entends et beaucoup évoquent la santé, le travail, l'emploi..., des satisfactions en famille, en affaire… Et puis aussi, la paix, la justice, la sécurité…, l'entente...

Oui, voilà ce que souhaitent la plupart des gens. Et nous, chrétiens, nous souhaitons tout cela aussi. Car nous ne sommes pas de purs esprits, et le fait d'être chrétiens ne nous empêche pas de souhaiter la santé et la réussite. Notre vie terrestre doit être aussi "belle" que possible pour tous, selon notre parcours, notre vocation...

Dieu lui-même souhaite pour tous ce bonheur tout simple qui manque encore si durement à tant de nos frères.
Jésus aurait-il guéri tant de malades si la santé n'avait pas été importante à ses yeux ?
Aurait-il multiplié les pains pour des affamés ? etc.
Ne négligeons pas, ne méprisons pas ce genre de choses, ni pour nous-mêmes, ni, à plus forte raison, pour les autres..., et surtout pour les autres !
Soyons généreux sur bien des plans, ce que nous oublions parfois, pensant davantage à ce que l'on peut nous donner qu'à ce que l'on peut donner !
Pourtant, n'est-ce pas sur cela que nous serons jugés à l'heure de notre mort : "J'ai eu faim et tu m'as donné à manger, nous dira le Seigneur… J'étais malade et tu es venu me voir.… Tout ce que tu as fait pour le plus petit de tes frères, c'est pour moi que tu l'as fait !".
Oui, soyons très généreux ; et toujours dans un esprit bénédictin, c'est-à-dire avec humilité et simplicité, sans ostentation ou démonstration intempestives, ce qui est la manière du monde :

Mais nous savons aussi que le simple bonheur matériel ne peut pas nous suffire et qu'il ne nous rassasiera jamais complètement. Voilà pourquoi St Benoît nous engage fortement à un certain renoncement des biens matériels pour mieux indiquer les biens spirituels. Nous savons que nous sommes faits pour beaucoup plus.

Alors, à la lumière de Noël, cherchons à quelles conditions cette nouvelle année 2016 pourra être belle et bonne !

Noël, n'est-ce pas "Dieu-avec-nous" ?
Alors, je souhaite tout simplement que le Seigneur soit avec vous tout au long de cette année. C'est d'ailleurs le souhait que le prêtre renouvelle souvent au cours de chaque Eucharistie : "Le Seigneur soit avec vous !".

Puissions-nous vivre de plus en plus avec le Seigneur, vivre de sa Lumière, en tenant compte de ses appels, de ses désirs que l'Esprit-Saint peut souffler en chaque cœur, et pas obligatoirement à son voisin, à sa voisine. Puissions-nous vivre avec le Seigneur, nous nourrir de plus en plus de sa Parole, de son message...

Oui, Noël, c'est "Dieu-avec-nous" parce que, au-delà des nourritures terrestres qui nous sont indispensables, nous avons faim et soif de sa Vie, de sa Lumière, de sa Parole, même quand nous n'y pensons pas. L'homme ne vit pas simplement de pain, de santé, de bien-être matériel ou de loisirs légitimes, mais de Dieu. St Augustin disait : "Seigneur, tu nous as faits pour toi, et notre cœur restera toujours insatisfait tant qu'il ne reposera pas en toi !". Il y a en nous une dimension divine que Dieu seul peut remplir.

Oui, contemplons de plus en plus Jésus. "Il est, dit le pape François, le visage de la miséricorde de Dieu !". C'est Lui qui nous rend heureux en nous libérant véritablement. Ce ne sont ni la politique, ni la science (même religieuse), ni l'économie qui vont libérer l'homme du péché, des conflits, des divisions... etc. Il faut que "le Père de toute miséricorde" intervienne dans nos vies, en nos familles, en notre peuple..., dans le monde !

Et la miséricorde, ce n'est pas une simple idée, c'est une expérience de Dieu, c'est - je dirais - un "toucher" de Dieu, l'expérience de son amour qui pardonne et qui se donne... "Si j'arrive seulement à toucher ses vêtements...", disait une malade, dans l'évangile (Mth 9.21). - "Touchez moi, regardez...!", disait le Ressuscité à ses apôtres (Lc 24.39). Et à Thomas : "Mets ton doigts dans mon côté !"; Er aujourd'hui, il dit : "Prenez, mangez...!".
Oui, la miséricorde, c'est une "porte" qui s'ouvre sur nos chemins d'imperfection pour que le Christ nous donne lui-même sa sainteté, pour nous "toucher" !

Que 2016 soit pour chacun de vous une année de bien-être, de santé, de tranquillité d'esprit, personnellement et collectivement... etc.
Et que 2016 soit surtout et en même temps pour chacun une année de compagnonnage avec Jésus Christ, visage du "Père plein de miséricorde..

Et pour cela, n'hésitons surtout pas à prier avec ferveur la Vierge Marie, Mère de Dieu !
"En Marie, disait (audacieusement, me semble-t-il) le pape François, au jour de l'ouverture de la "Porte Sainte, le 8 décembre dernier, ...en Marie, Dieu va jusqu'à prévenir la faute originelle que tout homme porte en entrant dans le monde ; c'est l'amour de Dieu qui devance, qui anticipe et qui sauve !". Ainsi donc, "même l'histoire du péché n'est compréhensible qu'à la lumière de l'amour qui pardonne...!". Et alors, "nous comprenons que la victoire de l'amour du Christ enferme tout dans la miséricorde de Dieu !". "La Vierge Immaculée est devant nous un témoin privilégié de cette promesse et de son accomplissement !".
"Que de tort est fait à Dieu et à sa grâce, ajoutait le pape, lorsqu'on affirme avant tout que les péchés sont punis par son jugement, sans mettre en avant, au contraire, qu'ils sont pardonnés par sa miséricorde (Cf. St Augustin : "De praedestinatione sanctorum" 12.24). Oui, c'est vraiment ainsi. Nous devons faire passer la miséricorde avant le jugement. Et, dans tous les cas, le jugement de Dieu sera toujours à la lumière de sa miséricorde !".

Que Marie intervienne en notre faveur, elle "qui nous permit d'accueillir l'auteur de la vie, Jésus Christ, visage de la miséricorde du Père".
Avec elle, nous serons alors "en paix" !

Que le Seigneur soit avec vous, en vous ! 

dimanche 27 décembre 2015

Innocence !

28 Déc. 15-16 - Les Saints Innocents ! -  Pouvoir et pouvoirs !

L'Eglise serait-elle parfois provocatrice ? Provocatrice et pour notre intelligence et pour notre foi en même temps ?
Il y a trois jours, nous étions émerveillés devant un enfant nouveau-né - Dieu fait homme - ! Aujourd'hui, nous sommes affrontés à la mort inqualifiable d'enfants innocents !

Bien plus, en cette circonstance affreuse, non seulement Dieu se tait, mais il envoie un ange informer Joseph du danger que court l'enfant Jésus, sans se soucier, semble-t-il, d'enfants qui vont périr à cause de lui !
Toujours cette même question lancinante que notre intelligence peine à appréhender et à résoudre : Pourquoi Dieu n'intervient-il pas pour nous écarter de telle ou telle catastrophe, pour nous protéger des malheurs possibles, pour anéantir les "ouvriers du mal", comme disent les psaumes ?

Seule notre foi peu avancer quelques réflexions !

Remarquons d'abord qu'il s'agit, finalement, dans l'évangile de ce jour, d'une lutte, et d'une lutte qui est vieille comme le monde, la lutte de pouvoirs !
Où est né le "roi des Juifs", avaient demandé les Rois-Mages, passant par Jérusalem. Et voilà qu'aussitôt le roi Hérode a peur de perdre son pouvoir, a peur d'un roi tout juste né ! Comme tout tenant d'un pouvoir quelconque, il a peur de le perdre...
Remarquons au passage que ce roi, tout sanguinaire qu'il soit, n'est pas dépourvu d'un certain réalisme et d'une intelligence modeste - ce ne sera pas toujours le cas dans l'histoire, et aujourd'hui encore - : il reconnait implicitement que tout pouvoir n'est pas tout savoir ! Il convoque grands prêtres et scribes pour s'enquérir du lieu où doit naître ce roi qui peut s'opposer à sa royauté !

Cependant, il se trompe lourdement, ce roi comme tout homme assoiffé de domination. Car le pouvoir de Jésus n'est pas celui d'Hérode. Il n'en veut nullement ! Un jour, on lui demandera : "Tu es roi ?". Et il répondra : "Oui, je suis roi. Mais ma royauté n'est pas de ce monde. Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix" (Cf. Jn 33-37). Et Pilate conclura : "Mais qu'est-ce que la vérité ?". Comme pour dire : la vérité n'est-elle pas ce que le pouvoir pense ? C'est toujours si actuel !

Vérité de vie et vérité d'un homme, d'un groupe d'hommes..., quelle différence ! Il ne s'agit donc pas de la même royauté !
Le trône de Jésus fut d'abord une mangeoire ; et toute sa vie consistera à se donner en nourriture. Et cela jusqu'à nous, par l'Eucharistie, afin de nous donner sa vie, la Vie divine, vraie Vérité ! Aussi, son trône sera une croix ; son sceptre, un roseau ; son vêtement royal un manteau de pourpre propre à la dérision que facilement utilise l'orgueil de la "vérité" humaine !

Depuis l'Incarnation, la puissance de Dieu s'est établit dans l'humilité, dans la fragilité humaine. Et pour le rencontrer véritablement, le rencontrer, en vérité, dans la Vérité, sa Vérité, il faut soi-même se faire petit, se délivrer de toutes nos petites puissances trop humaines et facilement dérisoires auxquelles nous sommes pourtant souvent si attachés. Comme Hérode, nous avons peur de les perdre. Pourtant, ce sont aux "petits", aux "humbles" que le Royaume de Dieu sera accordé ! Et c'est bien là le paradoxe provocateur de la foi chrétienne... ! Personnellement, je garde en mémoire la vie du pape Benoît XVI, homme de Dieu si intelligent et si humble tout à la fois. Il fut un grand exemple !

Autre petite réflexion : Jésus semble donc avoir été protégé lors du massacres des enfants innocents ! Mais ce n'était pas un privilège.
C'était pour attendre "son heure", comme il le dira à sa propre mère. Son "heure" arrivée, il se livrera à ses bourreaux en pleine conscience d'homme, en un libre consentement d'amour : faire consciemment de sa mort un acte d'amour pour tous les hommes.

Bien plus, Jésus fera de sa mort un acte d'amour qui, en la personne du bon larron, ouvre le ciel à tous les brigands repentants de notre humanité : "Père, priera-t-il, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu'ils font !". Car il sait que Dieu, lui, peut faire miséricorde avec justice, et justice avec miséricorde. C'est un des grands mystères de Dieu : en Lui, justice et miséricorde se conjuguent parfaitement. Déjà, ici-bas, nous comprenons que "la justice sans la miséricorde n'est que cruauté" ; et que "la miséricorde sans la justice est mère de la débauche !", comme dira si bien St Thomas d'Aquin. Mais en Dieu, justice et miséricorde sont en parfaite connexion... Quelle consolation, pour nous, pécheurs !

Et lorsque Jésus intercède ainsi pour tous les bourreaux de l'histoire, ce n'est pas seulement sa vie livrée qui prend sens, mais celle également de tous ceux qu'il "récapitule" en lui, selon l'expression de St Paul, c'est-à-dire la vie de toutes les victimes innocentes dont le sang rejaillit sur notre pauvre humanité marquée par le péché. C'est en leur nom que Jésus intercède auprès du Père.

Finalement, si l'Eglise "canonise" ces enfants que l'on nomme "Saints Innocents", c'est pour nous signifier que toutes les victimes innocentes - alors même qu''elles ne pouvaient en avoir conscience - ont été, dans leur vie comme dans leur mort, étroitement unies au sacrifice conscient du Christ qui est notre défenseur devant le Père. Il est "la victime offerte" qui fait de toutes les morts innocentes des sacrifices parfaits de charité...  Leurs souffrances insérées ainsi en celles du Christ, prennent alors une valeur de rédemption que nous ne pouvons soupçonner totalement !

Ainsi prier les "Saints Innocents", c'est prier avec le Christ en croix qui intercède pour nous !

samedi 26 décembre 2015

La famille de Jésus !

Fête de la Sainte Famille 15-16

Bonne Année à tous, à chacun en cette fin d'année 2015, au seuil de 2016 !

Au seuil d’une nouvelle année, l'Eglise offre à notre contemplation la plus émouvante des icônes : celle de la Sainte Famille.
Oui, le Fils de Dieu a voulu imprégner d'un amour divin la réalité de la famille humaine !
Et cette réalité de la famille humaine n’est pas une réalité statique ; elle est d'abord une histoire, une évolution, un mouvement. On l'oublierait volontiers. Et le témoignage des évangiles est là pour nous le rappeler.

Le jour de Noël, il nous fut donné de contempler un jeune couple avec son enfant. Sans doute cette famille naissante échappe‑t‑elle à la mesure commune. Mais de cela rien ne paraissait, car l'incarnation du Fils de Dieu devait se jouer dans la réalité humaine la plus commune, la plus fami­lière, celle que nous connaissons bien.
Ce fut une naissance comme les autres, avec tout ce que cela comporte à la fois de mystérieux et de simple, de pénible et d'émouvant. Un couple uni par l'amour, un enfant aimé et puis... un secret. Mais chaque couple a son secret. Celui qui liait Marie et Joseph était, certes, d'une profondeur incomparable. Mais il n'en paraissait rien.

Ainsi commence une famille : un homme, une femme liés par l'amour, puis un enfant qui grandit sous le regard attentif et aimant de ses parents. Cet enfant représente, disait naguère le pape Jean-Paul II, la floraison de l’amour conjugal qui, en lui, se retrouve et se consolide. En voyant le jour, il apporte un message de vie qui, en dernière analyse, renvoie à l’Auteur de la Vie !”.
Tel est le secret de toute famille !

Mais s'il est relativement aisé de mettre un enfant au monde, fleur de l’amour conjugal, don de l’Auteur de toute vie, il est moins facile faire con éducation, comme l'on dit, c'est-à-dire de l'élever, de le "ré-engendrer" jour après jour jusqu'à son accession à la peine liberté de l'âge adulte.
Et c’est là, encore et toujours, œuvre de l’amour conjugal. Elever un enfant c'est essentiellement l'aimer, l'aimer à deux, l'aimer de l'amour même dont on s'aime mutuellement. La réussite d'un enfant est davantage le fruit de l'amour du couple parental que de toutes les techniques d'éducation. Il a besoin que s'incruste en lui l'image de deux visages unis, au point qu'il puisse un jour s'écrier en action de grâce : "Mes parents m'ont aimé comme ils s'aimaient".

L'amour du couple pour son enfant doit revêtir les mêmes qualités que l'amour réciproque des époux, tout au long des jours. D'ailleurs les enfants soumettent souvent leurs parents à une sorte d’“examen” permanent. Ils le font ne serait-ce qu’à travers l’expression de leur visage, parfois souriant, parfois voilé par la tristesse. C’est comme si, dans toute leur façon d’être, était inscrite une interrogation : maman, papa, m’aimez-vous… ? 
J'imagine que, dans le cadre si attachant de Nazareth, Marie et Joseph ont accompagné cette interrogation de l’enfant Jésus…  !

Et voici qu'arrive le jour l'enfant, devenu adolescent, donne les premiers signes de liberté. Le besoin de s'éloigner de la tutelle de ses parents est une manifestation naturelle de la croissance, comme en toute société d'ailleurs : car on ne peut pas, on ne doit pas rester "enfant", physiquement, psycholo-giquement, spirituellement, toute sa vie. Et la grâce d'"enfants de Dieu" qui nous a été donnée ne doit pas conduire à une vie infantile. Elle doit s'exercer avec cette pleine liberté que donne l'Esprit-Saint. St Paul le dit souvent ! (Le P. Anatrella - prêtre psychiatre bien connu - le dit fortement dans un livre récent sur les Communautés religieuses).

Aussi, sur le plan humain - et même parfois spirituel -, ce sont alors parfois les douleurs de l'affranchisse­ment. C'est comme si l'enfant sortait une seconde fois du sein maternel, en s'évadant du sein familial. Et c'est souvent le temps des conflits entre un jeune, pressé de conquérir sa liberté, et des parents affolés de perdre leur petit jusqu'à en éprouver une sorte de douleur inexprimable.

La Sainte Famille n'a pas échappé à cela. A douze ans, Jésus s'affranchit d'une singulière façon. Il fait une véritable "fugue". Non par opposition à sa famille, mais pour manifester son indépendance et déjà signifier son exceptionnelle vocation. Chacun a une vocation particulière - Dieu n'aime pas "en masse" ; j'aime à le rappeler ; il aime toujours en particulier -... Chacun a une vocation particulière qu'il doit accomplir avec pleine liberté en toute société, une liberté à toujours respecter. 

L'évangile nous montre que Jésus, adolescent, a ainsi plongé ses parents dans l'angoisse ; et ceux-ci, l'ayant retrouvé au Temple, ne lui épargnèrent pas leurs reproches.  Sans doute, Jésus était Jésus, à nul autre comparable ! Et pourtant… En affirmant devant ses parents qu'il se devait d'être "chez son Père" (selon la nouvelle traduction liturgique, plus fidèle au texte) , ceux-ci comprirent qu'il s'éloignait d'eux pour rejoindre cet univers mystérieux auquel eux n'avaient pas encore accès.

Il est bon de remarquer ici que, selon St Luc, ce furent les premières paroles de Jésus : "être chez son Père". Elles seront également ses dernières paroles dans ce même évangile (Cf. 23.46 ; 24.49). Jésus lui-même, selon St Jean, résumera parfaitement le sens de sa vocation : "Je suis sorti d'auprès Père - Je suis venu dans le monde - et je vais vers le Père" (Jn 16.28). Du Père il est venu pour nous conduire vers le Père ! Telle est bien sa vocation !

Marie et Joseph ont dû faire un effort douloureux pour situer cet événement dans la trame humaine, commune, naturelle du processus de croissance de tout adolescent en qui s'enfante un homme libre, en qui se dessine un destin personnel. L'évangile note bien : "Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait !". C’est déjà l’irruption de l’inconnu au-dedans et au-delà des efforts d'amour les plus ingénieux de parents face aux provocations de la liberté de leur enfant. Paradoxe de l’éducation qui repose sur des convictions mais ne jouit d’aucune assurance, qui ne s’affirme aujourd’hui que pour s’effacer demain.

Que les parents qui s'affolent parfois des signes de libération en leur enfant, se souviennent de ce qui est arrivé un jour dans l'existence de la Sainte Famille. Qu'ils invoquent Marie et Joseph ! Car généra­lement, les bouleversantes manifestations de l'adolescence et ses contestations préludent à une sorte de retour au calme. "Quant à Jésus, est-il dit, il grandissait en sagesse, en taille et en grâce sous le regard de Dieu et des hommes !".

Et, si le témoignage d'amour des parents a été suffisant, la relation enfant‑parents, passe peu à peu du plan vertical de l'obéissance au plan horizontal d'un amour profond et réciproquement partagé ; elle devient une relation de confiance, de confidences réciproques. Et la famille retrouve son équilibre, sa sérénité et sa paix, prête à engendrer une nou­velle famille.

Nous ne savons rien de l'existence familiale de Jésus, entre l'incident de sa "fugue" au Temple et son entrée dans ce que l'on appelle sa vie publique.
Mais dès les noces de Cana nous voyons réapparaître Marie avec son fils dans un rapport, justement, d'affec­tueuse confiance réciproque. Et déjà se dessine, alors, une nouvelle famille : celle des disciples, avec qui il prendra le repas pascal pour en faire le signe prophétique de l'immense famille humaine réconciliée en lui.
Et puis ce sera la croix d'où il confiera sa mère à ses apôtres et son Eglise à sa mère, avant de la retrouver et de l'accueillir dans le Royaume du "Père" au matin de l'Assomption, pour une ineffable et éternelle confiance.

Entre la souffrance de la croix et la gloire du ciel, Marie a très probablement passé ses "vieux jours" au sein de la nouvelle famille engendrée par son Fils : l'Eglise naissante. Et c’est à ce niveau que doit nous hisser tout sacrement de mariage.
Le Cal Etchegaray écrivait : “Il faut témoigner de l'originalité du mariage chrétien que si peu de gens, et même si peu de chrétiens comprennent, le réduisant à un mariage civil soupoudré de quelques rites religieux.
Le mariage chrétien est le symbole du don que le Christ fait de sa vie pour l'Eglise, il est signe de l'alliance de Dieu avec son peuple. Ce thème mystique peut paraître à certains inaccessible, voire irréel. Il demeure pourtant le fond même du mariage chrétien où les époux annoncent prophétiquement, par leur vie commune, la "création nouvelle" où seront parfaitement conjuguées l'intimité et l'universalité de l'amour, sans que la première - l'intimité - perde de sa profondeur, ni la seconde - l'universalité - de son extension”.

Oui, comme tout homme, Jésus a fondé une famille, l'Eglise, réalité humaine et divine, l'Eglise, signe de la Famille divine, Père, Fils, Esprit-Saint en laquelle toutes les familles de la terre sont appelés à s'insérer éternellement. C'était son but à Jésus : quitter la Famille divine pour venir en une famille humaine afin que toutes les familles de la terre puissent entrer en la Famille de Dieu. Oui, le Fils de Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu, disait St Irénée. Et ce plan d'amour divin passe le plus souvent par la réalité de la famille humaine.

N'oublions pas également que c'est à Marie qu'a été confiée la nouvelle "Famille" de son Fils, l'Eglise, signe familial à la fois humain et divin.
Aussi c'est en elle que je vous redis, que je redis à toutes vos familles, quelles qu'elles soient : "Bonne et sainte Année"!

jeudi 24 décembre 2015

Un conte d'humanité !

Noël - Messe du Jour 15-16/C  


Office de la Nativité avec messe de minuit, messe de l'aurore, la fatigue, spécialement chez les Moniales, commence à se faire sentir. Aussi, je ne voudrais pas être trop long. Et pour ne pas amplifier la lassitude, je me permets de vous transmettre une histoire, un conte que j'ai glané je ne sais plus où ! Un conte, ce n'est pas trop difficile à entendre ; mais il peut être cependant très instructif !

Chaque année, quelques jours avant la fête de Noël, Marie-Noëlle, une jolie petite fille, bout d'impatience. Mettez-vous à sa place ! Dès le début de l'Avent, avec ses parents, elle creuse la grotte dans le papier-rocher. Ensuite apparaissent le bœuf et l'âne, puis les brebis qui restent à distance. Vers le 20 décembre, la maman place Joseph et Marie et la crèche où doit reposer l'enfant. Puis on rapproche un peu les moutons, chaque soir. Marie-Noëlle voudrait pousser tous les moutons jusqu'à la grotte, pour fêter l'événement. Mais ça n'est pas possible, paraît-il. Il faut attendre... et attendre !

L'an dernier, il s'est passé quelque chose de bouleversant. Figurez-vous que Marie-Noëlle, en visitant les alentours de la grotte, a trouvé le petit Jésus dans un creux des rochers. La maman l'avait mis là, dans une proximité discrète, pour qu'il soit prêt à prendre sa place, le soir de Noël. Vous imaginez l'émotion de la fillette : le nouveau-né était là, tout seul, au froid, sans personne pour s'occuper de lui. C'était terrible ! Elle a voulu le mettre immédiatement entre Marie et Joseph, sous le souffle tiède du bœuf, dans le regard profond de l'âne. Mais ce n'était pas encore Noël !

Aussi, pendant une absence de Marie-Noëlle, Jésus a disparu. Stupeur ! À son retour, elle l'a cherché partout. On lui a dit qu'il fallait attendre quatre jours. Ces quatre jours furent des siècles. On avait beau avancer les moutons, ça ne comblait pas le cœur de la petite !

Je vais continuer mon histoire. Mais remarquons d'abord - vous l'avez deviné -, que l'histoire de Marie-Noëlle, c'est la nôtre ! La petite fille qui s'impatiente et cherche encore et toujours, mais c'est l'humanité, cette humanité qui voudrait voir l'enfant, - Dieu fait homme - ! Quand verra-t-elle enfin apparaître le visage de l'homme-Dieu ?

Si l'on regarde vers le passé, que de sang versé, que de massacres !
Aujourd'hui encore, que de violences. Quand donc verrons-nous la naissance de cet enfant caché qui sera "Prince de la Paix" ?

Et pourtant, il y a vingt siècles, au milieu des ténèbres du peuple d'Israël, un événement s'est produit, infime, qui a commencé de féconder la vie humaine. Un enfant est né à Bethléem, dans l'obscurité de la nuit de l'histoire. Des bergers sont accourus. Des anges l'ont enrobé de leurs chants de lumière.

Trente ans plus tard, on a vu un jeune homme partir sur les chemins de Palestine, comme une flamme insolite d'humanité.
Partout où il passait, le feu de l'amour prenait :
Il a invité à changer le monde.
Il a bousculé toutes les pesanteurs,
il a supprimé les barrières.
Il a parlé au Dieu Très Haut avec la liberté d'un bambin.
Là où il arrivait, il renversait l'ordre établi :
les derniers devenaient les premiers,
les pauvres étaient plus heureux que les riches.
Il faisait renaître la femme perdue, le publicain voleur.
Un goût de vivre inconnu surgissait avec cet homme.
De quoi transfigurer l'existence, les sociétés, bâtir d'amour un monde neuf.

Je sais : cette flambée d'humanité n'a eu, apparemment, qu'un temps. Les puissants de ce monde se sont ligués contre le jeune prophète : l'enfant de l'étable de Bethléem a été cloué sur une barre, il est mort en croix pour avoir voulu faire naître l'humanité.

Et pourtant, il est ressuscité, il est vivant, il est parmi nous.
Dès lors, au long des siècles, sa contagion n'a cessé de courir dans le sang des hommes. "Celui dont la maladie s'appelle Jésus ne saurait jamais guérir !", dit un mystique. Car cet Enfant-Dieu, tout petit, tout frêle, apporte encore le salut qui change nos yeux et nos cœurs pour changer le monde.

Et aujourd'hui encore, l'humanité attend le visage de Dieu. Il prend le visage de ces jeunes qui le découvrent. Et ils chantent avec lui : nous sommes tous nés pour changer le monde.
Ce visage divin se découvre encore en tous ceux qui veulent substituer à la logique de la haine la dynamique de l'amour, comme un levier pour soulever le globe terrestre.
En tous ceux encore qui tissent autour de la planète une chaîne aussi serrée que rien ne pourra jamais la briser.
Et que sais-je encore.

Et c'est là que je rêve encore avec la jeune fille, Marie-Noëlle, qui, le jour de la Nativité de l'Enfant-Dieu, regarde, contemple et prophétise.

Le dernier pèlerin a quitté l'étable. L'enfant allait dormir enfin. Doucement la porte s'ouvre et une femme parait sur le seuil, couverte de haillons, si vieille et si ridée que dans son visage couleur de terre, sa bouche elle-même semblait n'être qu'une ride de plus.

En la voyant, Marie prend peur.
L'âne et le bœuf mâchent paisiblement leur paille, sans marquer plus d'étonnement que s'ils la connaissaient depuis toujours.
Chacun des pas que fait la femme semble long comme des siècles. Elle continue d'avancer et voici qu'elle est au bord de la crèche. Grâce à Dieu, Jésus dort toujours.
Soudain, il ouvre les paupières et sa mère est bien étonnée de voir que les yeux de la femme et ceux de son enfant étaient exactement pareils et brillaient de la même espérance.

La vieille alors se penche sur la paille, tandis que sa main va chercher dans le fouillis de ses haillons quelque chose qu'elle semble mettre encore des siècles à trouver.
Marie la regarde toujours avec la même inquiétude.
Enfin, au bout de très longtemps, la vieille finit par tirer de ses hardes un objet caché dans sa main et le remet à l'enfant. Après tous les trésors des mages et les offrandes des bergers, quel était donc ce présent ? D'où elle était, Marie ne pouvait pas le voir. Cela dura encore bien longtemps.

Puis la vieille femme se relève, comme allégée du poids très lourd qui l'attirait vers la terre. Ses épaules ne sont plus voûtées, son visage a retrouvé miraculeusement sa jeunesse. Et quand elle s'écarte du berceau pour regagner la porte et disparaître dans la nuit d'où elle était venue, Marie put voir enfin ce qu'était son mystérieux cadeau.
Eve, car c'était elle, venait de remettre à l'enfant un fruit, le fruit du premier péché ; et le fruit brillait aux mains du nouveau-né comme le globe du monde nouveau qui venait de naître avec lui.

En ce jour de Noël, ma parabole voudrait chanter
- la foi en cet enfant - Emmanuel, Dieu avec nous -, capable avec nous désormais de recréer le monde.
- l'espérance en ce monde nouveau qu'il est venu instaurer en nos cœurs, si nous savons l'accueillir.
- l'amour qui l'a inspiré et qu'il nous donne pour continuer son œuvre de salut !

La force de l'Amour !

Noël - Messe de l'aurore 15-16 C 

Quelle rubrique de journal aurait mentionné l’événement rapporté par l'évangile, si la presse avait existé au temps de Quirinius, gouverneur de Syrie ? Je pense qu'il aurait paru sous la rubrique "Faits divers", et sûrement pas "à la une", comme l'on dit !

Oui, voilà ce que Dieu choisit : une venue discrète dans une bourgade méconnue, sous les traits "d'un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire" que découvrirent les bergers. Oui, Dieu fait rarement de l'esclandre quand il se manifeste.
En ce Noël 2015, quelques semaines après les évènements tragiques qui ont ensanglanté une partie du monde et notre propre pays, évènements qui se veulent de grande puissance, contemplons ce que Dieu a choisi pour se manifester aux hommes :
Il a choisi la précarité d'un nouveau-né !
Il a choisi la fugacité d'une parole !
Il a choisi la vulnérabilité d'un condamné !
Il a choisi la frugalité d'une bouché de pain !

Dieu a choisi la précarité d'un nouveau-né !
Voilà le premier signe donné aux bergers et en même temps à l'humanité.
Quoi de plus précaire qu'un nouveau-né ? Il dépend de tout et de tous. Et cette dépendance est vitale pour lui. Dieu accepte de se faire porter, nourrir, d'apprendre à parler, à marcher... Dieu, le Créateur, choisit d'être homme, et donc petit d'un homme !
Quel grand message : la véritable force de la vie, c'est l'Amour dont elle peut être entourée. L'Enfant de Bethléem, entouré de tendresse dans la pauvreté humaine d'une crèche nous dit que le véritable handicap est celui du cœur !
Si Dieu a choisi la précarité d'un nouveau-né, c'est pour dire aux hommes la force de la tendresse qui l'a entouré dès sa naissance !

Dieu a choisi la fugacité d'une parole !
Dieu est Parole créatrice : "Il dit et cela fut", dit le livre de a Genèse. Lui, le Souffle créateur a choisi de se faire souffle humain, parole humaine ! Jésus n'a rien écrit. Il a préféré parler, et faire confiance à ceux qui se souviendraient de ses paroles et écriraient pour les générations à venir, jusqu'à nous !
Des paroles, nous en entendons chaque jour, abondamment parfois. Que de mots écrits dans la presse, la publicité, sur Internet ! Les journalistes sont à l'affût de la parole qui fait choc.
L'originalité de la Parole du Christ, c'est que sa parole, ce fut en même temps sa façon de vivre. Oui, le Verbe s'est fait chair. La "Parole" a pris corps ; et tout ce qu'il a dit, il l'a vécu. Quand Dieu dit..., il fait ! C'est en cela qu'il est crédible et qu'il est fiable.
Une parole peut être fugace, mais celle de Dieu est vraie parce que vécue dans l'amour. Telle est sa force et sa fécondité.

Dieu a choisi la vulnérabilité d'un condamné.
On ne peut pas parler de la venue de Jésus à Bethléem sans parler, aussi, de sa mort à Jérusalem.
Oui, Dieu s'est mis du côté de l'innocent injustement condamné depuis cette nuit où "il n'y avait pas de place pour lui dans la salle commune" (Lc 2.7), et où sa naissance fut annoncée d'abord aux exclus de l'époque, des bergers. Et il choisira d'être rejeté dans ce procès où il sera au banc des accusés, "lui qui était passé sur terre en faisant le bien" (Ac. 10.38) !
Mais le condamné crucifié a été relevé ; c'est là notre espérance. La vulnérabilité d'un enfant de Bethléem qui sera celle d'un Innocent condamné, parce qu'elle fut choisie par amour, a connu la victoire de la Vie ! Notre espérance n'est pas vaine ! Avec l'enfant de Bethléem, avec le Christ ressuscité, des réconciliations s'établissent, des murs s'effondrent, des conflits disparaissent. La paix est possible ! La vulnérabilité d'un enfant et d'un Innocent condamné est une force en notre monde de violents !

Dieu a choisi enfin la fragilité d'une bouchée de pain !
Nous sommes là, en ce Noël, pour partager le repas du Seigneur ! Quoi de plus frugal qu'un peu de pain, un peu de vin ? C'est ce que Jésus a choisi pour que nous fassions mémoire de Lui ! Dieu a choisi de se faire nourriture, de se laisser manger pour que l'humanité grandisse, grandisse en amour !
Nous avons besoin de cette nourriture-là pour que nous choisissions à notre tour la précarité de l'enfant qui reconnaît sa fragilité, et qui se réjouit même d'être fragile pour être aimé.
Nous avons besoin de cette nourriture-là pour que nous parlions la langue de Dieu, cette langue qui bannit les mots "vengeance", "rancune", "haine", "chacun pour soi"... ; et qui, au contraire, met sur nos lèvres les mots "tendresse", "pardon", "fraternité", "miséricorde"... Une langue qui ne soit pas langue morte, mais langue vivante parlée et vécue.
Nous avons besoin de cette nourriture-là pour aimer jusqu'au don de soi, prenant au sérieux la parole du Christ : "Il n'y a pas de plus grande preuve d'amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime" !
Le pain que Dieu nous donne est Pain de Vie ; c'est sa force et notre force !

En cette nuit de Noël où Dieu, en Jésus, se fait fragile et non tout-puissant, croyons en ce Dieu qui manifeste sa force
dans la fragilité d'un nouveau-né,
dans la fugacité d'une parole,
dans la vulnérabilité d'un crucifié,
dans la frugalité d'une bouchée de pain.

Sa force, son unique force est celle de l'Amour !

Un Dieu si loin qui se fait proche !

Noël 2015 - Nuit. 

En nos temps parfois si troublés, ce dont nous avons besoin, n'est-ce pas, c'est de sécurité, de tranquillité, de paix. Ce sont des vœux que nous nous adressons facilement !
Si la fête de Noël porte en elle tant de nostalgie, de tendresse, d’émotions, c'est qu'elle nous remet devant les yeux la figure de l'enfance la plus fragile. En elle, nous voyons tout à la fois la beauté, l'innocence, mais aussi la faiblesse de l'existence et donc la protection qu'elle réclame et l'amour qu'elle demande.

Et facilement, nous nous identifions à cette enfance ; et c'est sur nous-mêmes que nous nous apitoyons quand une telle figure de l'innocence nous est présentée.
Comme si, secrètement, nous était rendue la sécurité de l'enfant enveloppé par l'amour d'un père, d'une mère.
Comme si nous pouvions nous donner un instant l'illusion d'être à nouveau petits enfants dans la sécurité de l'amour originel.

Et si nous trouvons souvent que le monde est dur, c'est parce qu'il y a un trop grand contraste entre cette nostalgie qui nous habite et la réalité de notre existence.
Au fond, nous voudrions que le monde soit comme l'amour d'une mère pour son petit. Nous cherchons l’assurance que Dieu nous entoure comme un nourrisson est porté par ses parents, selon une expression d'Isaïe (Cf. Is 49.15).
Et nous nous étonnons que le monde ne soit pas cela.
Et si nous ressentons une émotion, c'est souvent d'avoir rêvé, l'espace d'une nuit ou d'une heure, que cela pourrait être ainsi. Alors qu'en fait, le monde demeure dur, impitoyable, et que nous ne sommes plus des bébés.

Mais est-ce bien un tel rêve enfantin, une telle sécurité illusoire qui nous sont proposés par l'image de l’Enfant de la crèche ? Terrible question que doit soulever notre foi !

En effet, dire qu'en cet Enfant nous reconnaissons le Fils de Dieu qui vient habiter parmi nous,
est-ce reconnaître en lui un instant de rêve et de fragilité
ou est-ce, au contraire, être heurtés - encore et encore -, affrontés à ce qui est le plus proprement incroyable : Dieu, que personne n'a jamais vu ?
Terrible question posée à notre intelligence si faible !

Car Dieu nous est presque inconnaissable ! Ne dit-on pas facilement : “Je n’arrive pas à me faire une idée de Dieu, à en être sûr comme je suis sûr d'un théorème mathématique”.
Parce que Dieu, ce n'est pas le résultat d’une conviction purement rationnelle.
Parce que Dieu ne se vérifie pas tous les matins comme on regarde le soleil.
Parce que Dieu ne se voit pas comme un bout de bois sculpté dans une église.
Nous ne savons pas qui est Dieu vraiment, totalement !

Car Dieu est plus grand que nous et plus grand que tout ce que nous pouvons concevoir ; nous ne pouvons parler de son existence comme de celle d'un être de ce monde. Dieu est comme un gouffre et un abîme au-delà de nous-mêmes. Et celui qui veut regarder ce mystère de Dieu frôle parfois des abîmes où l'incroyance et la foi, le doute le plus profond et la foi la plus forte se côtoient et oscillent de l'un à l'autre. Et ce n'est pas toujours la tranquillité que nous recherchons trop facilement !

Et il est à remarquer que cette épreuve où doute et foi se côtoient, cette épreuve n’est pas l'athéisme de celui qui refuse. Non point ! Car l’homme qui est ainsi dérouté devant le mystère de Dieu et qui n'ose pas concevoir dans son propre cœur que Dieu, l'Inconcevable, puisse s'intéresser à lui et l'aimer, cet homme-là commence à croire ; il commence à ressentir que Dieu se fait proche de lui !

Or, justement, nous affirmons en cette nuit de Noël que
celui qui est plus grand que nous, plus grand que tout, plus grand que tous nos doutes et espérances, plus grand que toute idée que nous pouvons nous en faire,
celui à qui, surtout en des moments difficiles, nous oserions reprocher : “Tu es loin et tu sembles nous laisser seuls”,
celui-là, Dieu, se livre à nous en devenant nous-mêmes, en prenant sur lui notre propre fragilité, celle d’un enfant qui quémande sécurité.
Mystère et don incompréhensible qui ne peuvent nous être accordés que dans le secret de notre cœur.

Car dire que Dieu devient accessible dans le mystère d'un enfant, c'est dire que Dieu devient combien plus incroyable, combien plus inconcevable. La maman qui a tenu un petit bébé dans ses bras, saint bien, elle, sa fragilité, sa dépendance. Oser croire que Dieu lui-même se livre ainsi dans cette fragilité d’un tout petit, c'est presque moins croyable que toute autre idée de Dieu.
Oui, c'est au moment même où Dieu se donne à nous qu'il nous paraît encore plus incompréhensible.
Mais dites-moi, n'est-ce pas quand un véritable amour nous atteint que l'amour devient inconcevable ?
Ainsi c'est quand Dieu-Amour se fait proche, que nous aurions envie de reculer en disant : “C’est si beau ; mais est-ce vrai ?”

Cela veut peut-être dire que nous ne pouvons approcher un mystère si déroutant pour notre esprit, bouleversant tellement notre existence - le mystère de Dieu -, qu'à condition d’être nous-mêmes changés.
Si Dieu se livre ainsi entre nos mains, tel un enfant entre les bras de ses parents, cela veut dire que Dieu, l'Inconcevable, non seulement est pour nous comme un vis-à-vis, mais que Celui qui est au dessus de nous, au dessus de tout, se livre à nous dans la figure d’un frère.
Et ce frère nous ne pouvons le découvrir qu'en devenant, nous-mêmes, son frère.
Nous ne découvrons l’amour d’un frère que lorsque nous consentons à l'aimer comme frère.
Nous ne pouvons reconnaître le mystère de Dieu qui se cache dans cet enfant livré que si nous, nous acceptons de nous livrer à lui comme un enfant dépendant qui quémande sécurité et paix.

Nous sommes ici devant la question la plus fondamentale, devant le secret le plus difficile et le plus simple, la joie la plus grande et la plus profonde, mais qui demeure comme fragile, cachée au centre de notre existence et qui, sans cesse, nous appelle à naître comme Jésus le disait à Nicodème : “Il vous faut naître d’En-Haut”. La naissance du Fils de Dieu doit provoquer notre permanente "renaissance".

Noël n’est donc pas l'instant d’un rêve, le rêve de notre enfance évanoui, mais c'est au contraire l’instant le plus profond et le plus réel de toute vie.
De même que l'Enfant Jésus naît de Marie, de même, nous aussi, il nous faut naître d'"En Haut", être mis au monde par l'amour de Dieu, nous recevoir de lui pour mieux le recevoir, Lui, "Dieu-Amour" !

St Jean ne disait-il pas : “Il est venu chez lui, et à tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu…  Ils sont nés de Dieu. … Et le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous…!”. 

dimanche 20 décembre 2015

Joie !

4ème Avent  15-16/C - Joie !

Toute la joie de la "Bonne Nouvelle" du Christ, "Bonne Nouvelle" de Dieu parmi les hommes, cette joie paraît s'être condensée dans ces premiers chapitres de l'évangile de Luc.
Et cette joie ne nous sera à nouveau annoncée que lorsque les disciples, invités à toucher le corps du Christ ressuscité, leur incrédulité vaincue, se retrouveront “remplis d'Esprit Saint, louant et bénissant Dieu dans le Temple, pleins de joie (Lc 24.52-53 - dernières phrases de l'évangile de Luc).
Mais entre le moment du baptême de Jésus et celui où il surgit ressuscité, la joie est fugace, elle est à peine suggérée. Ou plutôt, pour ainsi dire, elle ne peut pas s'exprimer pleinement, totalement.

C’est dire que, pour nous encore, cette joie de la "Bonne Nouvelle" du Christ nous est donnée d'une façon - je dirais - "dramatique" ; non pas dans une dramatisation extérieure et spectaculaire, mais dans le "drame" de notre condition humaine souvent déchirée et contradictoire.
Sans cesse, nous sommes pris entre notre faiblesse et la force de Dieu.
Entre notre péché et le pardon qui nous enveloppe.
Entre l'espérance qui nous habite et les forces du doute qui nous saisissent.
Entre la promesse de la vie et la mort qui nous étreint de tous côtés.
Entre une présence de Dieu qui est - nous le savons - au cœur de notre vie et un silence de Dieu dans un monde qui paraît si vide de sens.

Pourtant, en ce début de l'évangile de Luc, avant que Jésus ne commence sa vie publique, la joie chrétienne apparaît pleinement offerte, ingénument : car cette joie qui se trouve au début veut être déjà, probablement, comme un achèvement. Au seuil de son évangile, St Luc veut nous faire entrer dans un secret presque incommunicable ; il veut déjà nous faire entendre ce que nous écouterons au terme : “Je suis le Ressuscité, le Vivant ; soyez dans la joie !”. En remontant ainsi à la source de la joie, le Christ ressuscité, il nous fait savoir où va ce fleuve immense de la joie de Dieu à laquelle nous sommes destinés dès le début et tout au long et au terme de notre vie.

Il n’y a pas d’autre façon de lire ces premiers récits de St Luc, même si les événements qu’il relate, si nous voulons les mesurer au poids de notre existence que je qualifiais de "dramatique"..., même si ces événements peuvent paraître presque inconsistants !
Quoi de plus secret, de plus impossible à dire que l'exultation de ces deux femmes, Marie et Elisabeth, qui vont enfanter.
Plus encore, quoi de plus ténu que ce mystère caché d'enfants pas encore nés qui, dans le secret du sein de leur mère, sont présentés comme les messagers de la voix de Dieu ?
Et comment oser identifier la joie la plus profonde du monde dans ce secret silencieux d'enfants qui bougent dans le sein de leur mère ?

Nous ne pouvons pas en donner une pleine justification. Car de telles réalités ne sont perceptibles qu'à l'intérieur du croyant au Christ ressuscité, toujours vivant ! Cette joie est bien réelle, mais secrète ;
elle n’est accessible qu’à ceux qui partagent le secret de foi de Marie qui doit enfanter ;
elle n’est accessible qu’à ceux qui entrent dans son silence d'adoration d'un Dieu qui devient homme !
Cette joie secrète ne peut habiter que les disciples du Ressuscité qui reçoivent dans la foi cette confidence profonde et silencieuse de Marie : les temps sont accomplis, semble-t-elle dire. Dieu en Jésus est en moi, et, par moi, en vous et parmi vous ! N'est-ce pas cela Noël ?

Et cette joie secrète - mariale - est tout intérieure, à l'opposé de nos désirs trop humains. Si nous méditons les phrases du Magnificat, cette joie est toute entière donnée comme une joie de Dieu.
C'est l'exultation du croyant qui sait recevoir sa joie de la présence de Dieu.
C'est une joie qui proclame la présence de Celui qui vient au-devant de nous, en nous, et qui veut accomplir sa promesse de salut en nous.
C'est la joie du chrétien qui trouve sa plénitude de vie en reconnaissant que vient jusqu'à lui, en lui, la puissance du Ressuscité, du Vivant.

C'est une joie intérieure qui n'est faite que d'oubli. Non pas l'oubli morbide de l'homme qui se laisse comme couler dans son propre néant. Mais c'est
l'oubli du Croyant qui, devant son Créateur, reçoit sa vie uniquement du Ressuscité ;
l'oubli de soi qui fait dire au prophète : “Voici, ô Dieu, je viens faire ta volonté !” (Cf Heb 10.9).
l’oubli de Marie qui, dans la joie, s’exclame : “Qu’il me soit fait selon ta Parole. Je suis la servante du seigneur !”.
l'oubli de soi pour recevoir tout de Dieu et se recevoir de lui.
l'oubli qui nous fait entrer dans la Vie de Dieu !  N'est-ce pas cela Noël ?

C'est encore l'oubli de soi-même parce que les larmes de l'homme pécheur vont s'effacer et que l'ancien monde s'en va, dira St Jean.
Et dans cet oubli, l'Esprit Saint nous donne sa propre mémoire et fait que Marie ne se souvient que de Dieu, de sa promesse et de son accomplissement : “Il relève Israël ; il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères…”. - De même alors, la mémoire du chrétien revient aux racines de la vie de l'homme dans le secret de Dieu ; et elle retrouve alors la promesse divine et son accomplissement déjà en notre aujourd'hui. Avec joie ! Joie intérieure ! N'est-ce pas cela Noël ?

C'est une joie qui se souvient de Celui qui a dit qu'il viendrait, et qui, se souvenant, reçoit de lui la paix. C’est une joie secrète, car il est impossible de se la donner à soi-même. C'est une joie tellement profonde et secrète qu'il nous semble parfois impossible de l'éprouver vraiment.
Pour l'éprouver, il faudrait que nous soyons beaucoup plus purs que nous ne le sommes. Il faudrait que nous soyons capables de cesser de gémir sur nous-mêmes, de cesser d'être divisés et déchirés par mille désirs contradictoires, de cesser d'être heurtés par le scandale de ce monde pour être seulement fascinés par la plénitude de vie qui vient en nous, qui vient habiter en ce monde.
Pour l'éprouver, il faudrait que nous ayons en nous la plénitude de grâce de Marie à qui il est dit qu'en elle va reposer la gloire de Dieu.

C’est alors qu'on peut se rappeler cette parole de Jésus à ses disciples au moment de sa mort et sa résurrection, au moment où ils vont, eux, vivre cette même Passion dans la lâcheté de leur abandon. Il leur dit : “La femme, quand elle va accoucher, est dans la douleur. Mais une fois qu'elle a enfanté, elle est dans la joie d'avoir mis au monde un fils !” (Jn 16.21).
Et Jean, le Voyant de l'Apocalypse, décrit l'Église dans la figure céleste de cette femme qui est dans les douleurs de l'enfantement et qui a la joie de bientôt mettre au monde le premier-né sur qui repose tout pouvoir.
Cela veut dire que cette joie du commencement dans l'épreuve, elle est aussi la joie de l'Église ; et il n'est pas insensé, ni absurde d'oser demander à Dieu de nous faire entrer dans cette joie-là, malgré nos souffrances diverses.
Elle est pour nous, cette joie, puisque, de la bouche même du Christ et de son Apôtre, la figure de la femme qui enfante et qui donne au monde ce Fils nous est appliquée à nous, Église du Christ, appelée à faire surgir en notre monde le Sauveur des hommes. N'est-ce pas cela Noël ?

Ainsi, dès le commencement de notre vie, avec Marie - celle qui va enfanter et qui toujours enfante, elle la "Mère de l'Eglise" - avec Marie, nous sommes comme poussés en avant vers le terme, vers ce mystère de la présence du Christ ressuscité, du Vivant en nous, parmi nous.
Nous sommes poussés vers ce mystère de la présence divine en nous et parmi les hommes pour oser entrer déjà dans la joie. N'est-ce pas cela Noël ?
En ce mystère pascal de mort et de vie que, nous aussi, nous avons à vivre parfois cruellement, devant la présence du Christ en nous, du Christ au corps livré, au sang versé (que rappelle toute Eucharistie), la joie de Dieu nous est déjà donnée !

Et peut-être devons-nous, nous aussi, recevoir comme un accomplissement silencieux ce qui nous apparaît encore comme un enfant sans parole. Recevoir déjà comme une plénitude ce qui ne fait qu'annoncer la plénitude de la fin des temps.
C'est certainement ce que St Luc veut nous dire en parlant de cette joie des commencements avec Marie et Elisabeth, joie qui n'aura sa signification plénière qu'au matin de la Résurrection du Seigneur qui déjà veut être tout en tous ! N'est-ce pas cela Noël ?