Absence jusqu'au 3 mars environ,
mais sans oublier aucun des membres de la diaspora ! fr. MG.
dimanche 22 février 2015
vendredi 20 février 2015
Quel jeûne ?
Vendredi après
les Cendres - Is
58, 1-9a - Mt 9, 14-15
Dans
le bref Evangile que nos venons d’entendre, Jésus "remet en place",
si je puis dire, ceux qui se scandalisent de voir que certains ne pratiquent
pas les observances que l’on faisait de son temps. Il leur reproche de se mêler
de ce qui ne les regarde pas ; et puis, comme le disait si bien l'Ecclésiaste (Qohélet), il y a un temps pour tout :
"Il y a un temps pour planter et un
temps pour arracher,
Un temps pour pleurer et un temps pour rire,
Un temps pour se lamenter et un temps pour
danser... !" (Qo. Ch 3).
Et
bien de même, il y a un temps pour manger, et un temps pour jeûner !
Mais
surtout, rappelons-nous ce que Jésus disait, en un autre endroit de l'évangile,
à propos des pratiques religieuses :
"Deux
hommes montèrent au Temple pour prier ; l'un était Pharisien et l'autre
publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : "Mon Dieu, je
te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes... ; je
jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers".
Le publicain n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la
poitrine, disant : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !". Je
vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non. Car
tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé".
( Lc 18, 10 -14).
Avec
une lucidité que pourrait envier certains spécialistes modernes en psychologie,
Jésus montre que de fait la pratique religieuse peut devenir, quand elle n’est
que pur formalisme, un moyen de rassurer la conscience en évitant de la
promener dans des fautes beaucoup plus graves qu’on commet et envers Dieu et
dans nos relations avec les autres.
"Malheur
à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe,
du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la
Loi, la justice, la miséricorde et la
foi ; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela". (Mt 23.23).
Ce
n’est pas un hasard que l’Evangile d’aujourd’hui a été choisi en ce début de
Carême pour nous mettre en garde contre le formalisme que peut révéler
l’observance religieuse.
A
certaines époques, on a mis tellement l’accent sur ces observances extérieures
que cela a provoqué même chez les chrétiens un besoin de défoulement : on n’avait
pas trouvé de meilleur moyen de réagir contre l’exagération qu’en faisant
précéder le carême par le carnaval. Finalement, aujourd’hui, on parle davantage
de distractions diverses et nombreuses que du Carême.
Et
la première lecture nous rappelle également que, quelques siècles avant Jésus,
le prophète Isaïe avait réagi contre le formalisme religieux d’une
manière qui reste encore très percutante dans les situations où nous sommes parfois
plongés.
Il
est bon de jeûner, d’en faire une pratique collective, mais que cela ne serve
pas de paravent derrière lequel on continue à pratiquer l’injustice et la
violence. Quel est le jeûne qui plaît à Dieu ? Certainement pas
celui qui nous éviterait de faire les vraies réformes, celles qui rétablissent
l’harmonie et la paix, là où nous vivons, dans nos relations familiales,
amicales, professionnelles : "Heureux les artisans de paix, ils seront
appelés Fils de Dieu !".
Et cet oubli sur le plan personnel devient
planétaire. On le sait : la mondialisation dont on parle beaucoup
actuellement entraîne souvent de terribles injustices. On ferme des usines pour
de simples motifs d’intérêts économiques ; et les délocalisations permettent souvent
de trouver de la main d’œuvre moins chère en des pays où on accélère la
production en surmenant des travailleurs réduits en esclavage. Tout est
subordonné aux intérêts égoïstes, personnels ou collectifs ! Aussi, le pape
François, le Mercredi des Cendres, nous a encouragés à lutter contre "le vertige de la mondialisation de
l'indifférence" !
Quel
est donc le jeûne qui plaît à Dieu ? Grande question que posait déjà
Isaïe !
N'est-ce
pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier
les liens du joug ; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs
? N'est-ce pas partager ton pain avec
l'affamé ; héberger chez toi les pauvres sans abri...". Bref, "ne pas te dérober devant celui
qui est ta propre chair !". ( Is
58.6-7).
Et
sachons-le, le jeûne, la pénitence a, traditionnellement, deux objets :
-
Une purification de soi-même : "Le
jeûne, disait St Pierre Chrysologue, est
un chemin merveilleux pour labourer le champ de la sainteté !".
- Et
un encouragement à pratiquer la justice et la charité fraternelle : St Ambroise
s'exclamait : "Combien le jeûne est
religieux si tu envoies aux pauvre le prix de ton repas !".
jeudi 19 février 2015
Souffrance - Mort - Résurrection !
Jeudi après les
Cendres Mt 9, 14-15
"Il faut que le Fils de l'homme
souffre beaucoup... !".
Et
le disciple du Christ doit passer, lui aussi, par ce mystère pascal dont il est
déjà question dans l'évangile, qui nous sera présenté tout au long du Carême,
et que nous célébrerons solennellement à Pâques !
Comment
parler de la mort du Christ ?
Dieu-Père
ne voulait certainement par la destruction d'un Innocent, une fin aussi
tragique, ignominieuse pour son Fils bien-aimé !
Et Jésus
ne lui a pas offert son sang en pensant qu'il lui serait agréable !
Les
premiers chrétiens n'ont jamais pensé cela !
La crucifixion
est un crime. Ceux qui l'ont voulue, ce sont les autorités juives et les
représentants de Rome, c'est-à-dire tous ceux qui se sont fermés au Règne de
Dieu.
Cette
mort affreuse est absurde, injuste. Mais Jésus ira jusqu'à la mort pour être
fidèle au Règne de Dieu qu'il voulait établir : tous pourront voir alors
jusqu'où va sa confiance dans le Père et son amour des hommes.
Il
faut le dire et le redire : le Père n'a pas voulu que l'on tue son Fils aimé ;
c'est l'offense la plus grave que l'on puisse lui faire. Mais, s'il le faut, il
le laissera être crucifié, il n'interviendra pas pour détruire ceux qui le
crucifient ; car il veut continuer d'aimer le monde, ce monde de pécheurs,
et révèlera ainsi à tous jusqu'à quels insondables extrémités s'étend "la
folie de son amour" pour les hommes.
Les
premiers chrétiens diront, emplis d'étonnement : "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils" (Jn 3.16).
Sur
la croix, personne n'offre quoi que ce soit à Dieu afin qu'il manifeste
une plus grande bienveillance envers l'homme pécheur.
C'est
lui qui offre ce qu'il a de plus cher : son Fils ! Son amour est
antérieur à tout !
St
Paul l'affirmera catégoriquement : "La
preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore
pécheurs, est mort pour nous !" (Rm 5.8).
Dieu ne pouvait révéler son amour de façon plus manifeste. Il ne s'est pas
arrêté même devant ce qu'il avait de plus cher : son Fils ! "Il n'a pas épargné son propre Fils,
mais l'a livré pour nous ; comment, avec lui, ne nous accorderait-il pas toute
sa faveur ?" (Rm 8.32).
Oui,
l'amour de Dieu est inouï. Pendant que son Fils agonise, Dieu ne fait rien, ne
dit rien, n'intervient pas ! Il respecte ce que l'on fait à son Fils. Tout
simplement, il supporte la mort de son Fils bien-aimé par amour pour les
hommes qui resteraient perdus sans son amour divin. C'est l'amour de Dieu
qui nous est révélé suprêmement dans cette "crucifixion-résurrection".
Car
la résurrection montre que Dieu était avec le Crucifié de façon réelle, sans
intervenir contre les bourreaux, mais en assurant son triomphe final, (par sa
résurrection) ! C'est ce qu'il y a de plus grandiose dans l'amour de Dieu : le
pouvoir d'anéantir le mal sans détruire ceux qui le font. Il rend justice à
Jésus, sans détruire ceux qui le crucifient. St Paul avait bien compris cela : "C'était Dieu qui, dans le Christ, se
réconciliait avec le monde, ne tenant plus compte des fautes des
hommes" (2 Co. 5.19).
Oui,
Amour de Dieu incroyable ! "Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs cherchent
une sagesse, nous proclamons, nous, dira Paul, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs
et folie pour les païens. Mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, il
est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie
de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus
fort que les hommes" (I Co. 1.22-25).
En ce Christ crucifié qui nous
semble une "faiblesse" et une impuissance, est enfermée "la
force" salvatrice de Dieu. "Il
était nécessaire que le Christ souffre beaucoup" selon le dessein
d'amour de Dieu "annoncé par les Ecritures". Avec Dieu, il
fallait qu'il en soit ainsi, car dans sa "folie" inimaginable, il
aime tous les hommes ses enfants jusqu'à l'extrême. Comme une mère, si l'on
peut dire, qui aime ses enfants jusqu'à se sacrifier pour eux, s'il le faut !
Ainsi donc, Dieu n'apparaît
pas comme celui qui exige au préalable la souffrance et la mort de Jésus
pour que son honneur et sa justice soient satisfaits, et qu'il puisse ainsi
"pardonner" aux hommes.
Et Jésus n'apparaît pas comme
celui qui s'efforce d'influencer Dieu par ses ssouffrances pour obtenir de lui bienveillance
divine envers le monde pécheur.
Les premiers chrétiens ne
pouvaient dire une chose pareille. Si Dieu avait été celui qui exige
préalablement le sang d'un innocent pour sauver l'humanité, il aurait été alors
un "Dieu de justice" qui ne sait pas pardonner gratuitement, un
créancier implacable qui ne sauve personne si la dette contractée envers lui
n'a pas été soldée. Si Dieu était ainsi, qui pourrait l'aimer, l'aimer de tout
son cœur et de
toutes ses forces ?
Dieu n'apparaît pas non plus
comme celui qui décharge sa colère contre Jésus. A aucun moment, Dieu-Père ne
rend responsable son Fils bien-aimé de fautes qu'il n'a pas commises ; et il ne
le considère pas comme un "substitut" des pécheurs. Comment un Dieu
juste pourrait-il imputer à Jésus les péchés qu'il n'a pas commis ? Jésus est
l'Innocent. Il ne subit aucun châtiment. Il souffre par le refus de ceux qui
s'opposent au Règne de Dieu. Il n'est pas la victime du Père, mais
de Caïphe et de Pilate. Il porte les souffrances que lui infligent
injustement les hommes ; et le Père porte la souffrance de son Fils aimé. Par
amour des hommes pécheurs !
Ce qui donne une valeur
rédemptrice au supplice de la croix, c'est l'amour et non pas la souffrance. Ce qui sauve l'humanité, ce
n'est pas quelque "mystérieux" pouvoir rédempteur enfermé dans le
sang versé devant Dieu. En elle-même, la souffrance est mauvaise et n'a aucune
force rédemptrice. Dieu n'aime pas voir voir Jésus souffrir. Ce qui sauve au
calvaire - et cela seul -, c'est l'amour insondable de Dieu, incarné
dans la souffrance et la mort de son Fils. Il n'y aucune force salvatrice
dans la souffrance en dehors de l'amour. Seul, l'amour de Dieu explique tout !
La souffrance reste mauvaise ;
mais c'est précisément pour cela qu'elle devient l'expérience humaine la plus
solide et la plus réelle pour exprimer l'amour. Nous-mêmes nous l'expérimentons
parfois : on souffre toujours à proportion de notre amour pour quelqu'un...
C'est pourquoi les premiers
chrétiens ont vu en Jésus crucifié l'expression la plus réaliste, la plus
extrême, de l'amour inconditinnel de Dieu pour l'humanité, le signe mystérieux
et insondable de son pardon, de sa compassion, de sa tendresse rédemptrice.
Seul, l'incroyable amour de
Dieu peut expliquer ce qui s'est passé sur la croix. Ce n'est qu'à l'ombre
lumineuse de la croix qu'à pu surgir la grandiose affirmation chrétienne : "Dieu est amour !" (I Jn 4.8,16). C'est ce dont Paul avait une
intuition émue : "Le Fils de Dieu
m'a aimé et s'est livré pour moi !" (Gal 2.20). Il m'a aimé jusque là !
Une seule conclusion :
tout disciple du Christ doit
imiter son Maître et passer par ce mystère pascal que chaque Eucharistie
réactualise.
Dès lors, sachons le : nos
propres souffrances - les plus humbles comme les plus fortes - doivent être offertes au
Christ pascal. Une fois offertes, elles ne nous appartiennent plus pour être
siennes, pour être au Christ. Une fois siennes, mêlées aux siennes propres, aux
amertuimes de la croix ou du jardin des oliviers, elles sont capables, avec
lui, de sauver les hommes, tous les hommes ! Grâce à son amour divin ! "Par lui, avec lui, en lui !".
mercredi 18 février 2015
Carême !
Mercredi des Cendres
A trois reprises, dans cet évangile, nous avons
entendu Jésus dire : “Ton Père voit
dans le secret !”. A trois
reprises, Jésus nous encourage à situer notre action, pendant ce carême, dans
le domaine des choses qui ne se voient pas. Et à quatre reprises, Jésus nous a
mis en garde contre les manifestations visibles et même spectaculaires. Ce
n'est pas là que se construit le Règne de Dieu. Il faut toujours faire
attention au “paraître”. "Pour
connaître Dieu, disait St Jean de la Croix toujours tranchant, l'esprit doit plutôt renoncer à ses lumières
que chercher à s'en servir !".
Ce que Jésus veut dire, c'est que la véritable
conversion est d'abord intérieure. Elle couronne ce désir, cette recherche
de Dieu… la "quête de Dieu", malgré parfois les circonstances
douloureuses, les questions difficiles qui peuvent nous en éloigner… C’est cela qui compte : cette relation
profonde avec le Seigneur, même si, parfois, le Seigneur nous paraît bien loin
de nous et de nos difficultés… Mais "c'est peut-être, commentait Karl
Rahner, pour que nous puissions mieux le
trouver que Dieu fait semblant de nous abandonner !". Car on
s'aperçoit alors que ce n'est pas Dieu qui est silencieux, c'est nous qui
sommes sourds !
Aussi, sans ce désir silencieux de Dieu, sans cette
recherche intérieure, de cœur, toute pratique extérieure est nulle. A
l'inverse, bien sûr, ce désir, cette recherche authentique se traduisent,
souvent, en actes concrets. Et l'Evangile d'aujourd'hui nous en indique trois :
le partage, la prière et le jeûne.
Très exactement situé dans la tradition des
prophètes juifs, Jésus commence par inviter à un partage vrai. On se
souvient du prophète Isaïe proclamant : “Le
jeûne qui me plaît c'est de dénouer les liens de servitude et de libérer le frère
enchaîné” (Is. 58/6). C'est bien dans
cette même tradition que Jésus situe ses recommandations. L'effort de justice
commence par un vrai partage. Mais de quel partage s’agit-il ?
Beaucoup - et j'en ai été parfois le témoin
émerveillé ; et vous en êtes témoins également -, beaucoup pratiquent le
partage matériel. Et c’est bien, merveilleux de voir quelqu'un qui peut donner
et qui effectivement donne !
Cependant, il est toujours bon de s'interroger : il
n'y a pas que l'argent ou les biens matériels. Il y a la disponibilité,
l'amabilité (malgré nos diverses souffrances
physiques ou morales)… Il y a surtout notre foi, notre
espérance, notre charité. Savons-nous partager cette richesse suprême
qu'est notre relation au Christ avec tous ceux qui nous entourent. Certes,
c'est parfois difficile. Mais en avons-nous au moins le désir ? Partager ce
que l’on est plus que ce que l’on a ! Le but de la vie cénobitique (de la vie ecclésiale), n'est-ce pas, avant
tout, ce partage d'un élan incessant vers Dieu ? Moi qui vis de façon quelque
peu érémitique, chaque fois que l'un de mes frères vient jusqu'ici, je trouve
souvent quelque chose d'admirable chez lui... ! Et cela m'encourage... ! Il ne
faut pas toujours remarquer les défauts de nos frères et sœurs, mais bien plutôt
leurs qualités, leur foi, leur espérance, leur amour de Dieu. C'est là
que se situe le vrai partage, ne l'oublions pas !
Sur notre manière de prier également, Jésus
nous questionne. Ce qui importe, nous dit-il, c'est la rencontre cœur à cœur
avec le Père. Les prières enthousiastes de certains groupes dynamiques sont
justes et appréciables… ! Nos prières de demande sont également légitimes… ! Mais
encore et surtout être capables de prière “gratuite”, si je puis dire : se
tenir devant Dieu, dans le secret, sans autre raison que d'être avec lui ! Paul
Claudel s'écriait dans sa prière : "Allez
! Je ne vous demande rien, mon Dieu ! Vous êtes là, et c'est assez !".
Le passage où Jésus nous parle de la manière de jeûner
concerne en réalité presque davantage la joie de vivre. L'effort de
pénitence et de conversion que symbolise le jeûne ne nous retire pas de la vie
active et des relations normales avec les autres. C'est, en effet, une offrande
joyeuse qu'attend le Seigneur : “Dieu
aime celui qui donne avec joie”. (2 Cor 9/7).
Le carême ne doit pas nous couper de la vie, de nos frères mais nous y rendre
sans doute plus attentifs. C'est ainsi que Jésus lui-même s'est comporté :
tourné vers le Père, il restait néanmoins très présent (Mth 11/19), mangeant et buvant avec tous, même si on le lui
reprochait. - Et ce jeûne-là convient bien à la prière. St Bernard disait : "Le jeûne et la prière vont ensemble :
la prière obtient la force de jeûner ; et le jeûne mérite la grâce de la prière
!".
Décidément, la croissance du Règne de Dieu ne se
mesure pas aux manifestations extérieures. C'est dans le silence que se
joue le salut du monde, aujourd'hui comme au temps de Jésus. La célébration à
laquelle nous participons, même en petit nombre, est déjà l'annonce et le signe
de cette efficacité mystérieuse du partage, de la prière et du jeune dans
l'attente de la résurrection.
dimanche 15 février 2015
Délivrance !
6e
Dimanche du T.O. 15/B
« Un jour, un lépreux vint
trouver Jésus ! ».
Il a bien du mérite, ce pauvre homme, à
entreprendre cette démarche ! La
première lecture du Lévitique nous le rappelait : ses contemporains l'ont mis
"hors société". Non seulement, il est victime d'une pénible maladie,
mais pour des raisons où se mêlent confusément mesures sanitaires et
superstitions religieuses, il est tenu à l'écart de tout, de la vie de la
société, du culte public. Autour de lui, les autres ont dressé d'infranchissables
barrières !
« Il se
couvrira le haut du visage jusqu'aux lèvres et il criera: "Impur!
Impur!" - C'est pourquoi il habitera à l'écart ».
Mais voici que ce lépreux n'accepte plus d'être un
"mort-vivant", un "exclu" ; il veut redevenir un homme libre,
libre de vivre avec les autres, de retrouver sa dignité et devant Dieu et
devant les hommes. - Alors, il décide de rencontrer Jésus.
« Il tombe à
genoux et le supplie : "Si tu veux, tu peux me purifier !" ».
Et la rencontre est d'une prodigieuse intensité. Ce
malheureux arrive, prisonnier de son mal ; en face, Jésus "pris de pitié devant cet homme", d'un seul geste, va
faire tomber toutes ses entraves :
« Jésus étend
la main, le touche et dit : "Je le veux, sois purifié" ».
Oui, voilà bien une rencontre qui sauve ! A son
terme, les deux interlocuteurs ne sont plus les mêmes :
- Jésus a révélé sa bonté, cette bonté qu'il
tient de Dieu, son Père.
- Le lépreux est guéri ; ce mort social, ce
rejeté, renaît à la vie. Il ne lui restera plus qu'à se présenter au prêtre
qualifié, se rendre au "bureau des constations", si je puis dire. Il
a retrouvé la vie, et, comme presque malgré lui, à la face du monde, il
va proclamer cette "Bonne Nouvelle".
« Jésus fut
pris de pitié devant cet homme ! ».
Même si les exégètes s'interrogent sur la véritable
traduction du texte grec, il ne nous est pas interdit de nous demander pourquoi
Marc fait mention de cette "pitié" de Jésus.
Oh ! Il ne s'agit pas de mettre un peu
d'"émotion" dans le récit, mais bien de nous rappeler que Jésus est
venu chez nous pour rendre visible la miséricordieuse pitié de notre Dieu.
St Luc ne dit-il pas au début de son Evangile : « Voilà l'effet de la bonté profonde de
notre Dieu : grâce à elle nous avons été visité par l'Astre levant venu d'en
haut » c'est à dire par le Christ, Dieu fait homme (Luc 1/78).
Oui, en bravant l'interdit de la Loi et en touchant
cet homme impur et excommunié, Jésus veut nous révéler l'infinie Bonté de
Dieu pour l'homme.
Certes, ici, le geste du Christ aboutit à une guérison
corporelle ; et nous-mêmes, ce matin, en écoutant ce récit de guérison, y
sommes très sensibles. Mais n'est-il pas souhaitable d'aller un peu plus loin
et de déceler la pureté spirituelle, la rectitude intérieure que Jésus veut
nous apporter de la part de Dieu :
« Il s'est
donné lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier
un peuple qui lui appartienne, qui soit plein d'ardeur pour les belles œuvres » (Tite 2/14).
Finalement, Jésus
semble accorder peu d'importance au miracle ; ce n'est pas une
"pièce-maîtresse" de sa "stratégie missionnaire" : « Attention, ne dis rien à personne ! ».
Il veut nous faire comprendre, par cette guérison
de la lèpre (qui, chez les Juifs, était attribuée
à Dieu seul) que le temps du Règne de Dieu est arrivé, qu'en Lui
réside la puissance souveraine de Dieu, capable de tout purifier, de rendre
droit ce qui est tordu… :
« Lui parle,
ceci est. Lui commande, ceci existe ! » (Ps 33/9).
Aujourd'hui encore, par les sacrements et notamment
l'Eucharistie, Jésus "étend la
main" et nous "touche"…
Dans la foi, sommes-nous conscients d'être ainsi,
par le Christ, mis en relation avec Dieu notre Père tout-puissant qui seul peut
nous purifier, nous réhabiliter comme fils de Dieu ? -
Et quelles peuvent en être les conséquences dans
notre vie quotidienne ?
« Une fois parti, le lépreux guéri se mit à
proclamer bien haut et à répandre la nouvelle ».
Voilà ce qui fait sans doute (plus que la guérison elle-même) le résultat le
plus spectaculaire de la rencontre de Jésus et du lépreux.
Cet homme rejeté, exclu de tout, va pouvoir enfin vivre
! C'est cela la Nouvelle ; et cette Nouvelle va provoquer des bouleversements :
autour de lui, tout va s'agiter…; des liens, des solidarités vont se créer, des
prises de conscience se révéler.
Bien sûr, dans l'Evangile, apparemment, Jésus va en
être la victime. il va être obligé de rester en "des endroits déserts" ; pourtant, ce dynamisme, ce zèle
un peu tapageur du lépreux sont remarquables ! Et ils nous interrogent !
Nous avons des rencontres régulières avec le Christ
(notre Eucharistie quotidienne ou dominicale en est une) ; mais voyons :
sommes-nous si pressés de faire partager aux autres la joie de notre guérison,
de notre vie avec le Seigneur ? Nos amis, ceux avec qui nous vivons s'en
rendent-ils même compte ?
Sommes-nous si sûrs de n'avoir pas, nous aussi,
d'une manière ou d'une autre, à "proclamer
et répandre la "Nouvelle", la Bonne Nouvelle de notre Alliance
avec Dieu ?
Aussi, réfléchissons dans la Paix, dans
l'Espérance. Par l'Eucharistie notamment, nous sommes venus
"rencontrer" le Seigneur. Puissions-nous l'entendre nous dire : « Je le veux, sois purifié ! ». Alors, nous proclamerons dans la joie,
spécialement à tous les "exclus" humains ou spirituels - et ils sont
plus nombreux que nous pouvons le penser -, nous proclamerons : « Dieu aime les hommes ! ». Quelle
"Bonne Nouvelle" ! Evangile : "Bonne Nouvelle ! Dieu nous aime !
Et comme Dieu n'aime pas "en masse", si je puis dire, proclamons que
Dieu nous aime, chacun, chacune en particulier !
vendredi 13 février 2015
Défunts !
Sépulture Sr
Marie-Grégoire
Au
prieuré "La Paix Notre-Dame", il y a eu un évènement particulier : le
décès d'une Moniale (âgée), Sr Marie-Grégoire.
J'ai
hésité à mettre sur mon "blog" l'homélie de cette circonstance
locale. Je le fais cependant pour vous inviter à "communier" avec nos
frères défunts !
Prier
Dieu pour nos défunts, a-t-on dit, c'est apprendre comme eux à ne plus désirer
que Dieu ! Et se recommander à leurs prières, c'est demander pour soi les plus
pures grâces de la sainteté !
Victor
Hugo écrivait : "Les morts son des invisibles, mais non des absents
!", ce qui faisait dire à St Augustin, après le décès de sa mère, Ste
Monique : "Je suis convaincu que ma mère reviendra me visiter et me
conseiller !".
"Si
Dieu nous prend un à un nos amis, c'est pour faire d'eux les étoiles de notre
espérance et de notre ciel !" (Cardinal Journet).
"Jésus
priait ainsi", nous
est-il dit dans l'évangile !
On ne
parle pas souvent de la prière de Jésus. Nous regardons surtout Jésus tourné
vers les hommes, pour leur parler du Règne de Dieu, pour les guérir, les
sauver. Mais Jésus tourné vers son Père, on en parle beaucoup moins. Or
Jésus priait ; c’était pour Lui comme une respiration vitale, l'oxygène de sa
vie !
Les évangiles
le rappellent souvent :
Jésus priait seul de grand matin, à l'écart dans un lieu désert, et longuement
parfois : "Il passa toute la nuit à
prier Dieu", rapporte-t-on souvent.
Jésus
prie avant de choisir ses apôtres, avant la profession de foi de Pierre à
Césarée et en bien d'autres circonstances. D'après Luc, la Transfiguration a
lieu "pendant qu'Il priait".
Devant la foi des humbles, Jésus tressaille de joie dans l'Esprit : "Père, je te rends grâce...".
Jésus prie encore pour soutenir la foi de Simon-Pierre durant la passion "afin qu'il ne défaille pas".
Enfin Jésus prie, comme en agonie, au Jardin des Oliviers, ainsi que sur la
croix ; et sa prière est toujours tournée vers le Père : "Que ta volonté soit faite... Père, en tes mains, je remets mon
esprit".
A lire
attentivement les évangiles, on peut dire que Jésus priait constamment. Et cela
a beaucoup frappé les apôtres ; l'ayant vu une fois prier ainsi longuement, ils
lui ont demandé : "Maître,
apprends-nous à prier" ; et vous connaissez la réponse de Jésus : "Quand vous priez, dites : "Notre
Père..."
Il me
plaît de souligner cette caractéristique de Notre Seigneur, car celle qui nous
rassemble ce matin nous redit à sa manière l'importance de prier avec le
Christ, comme lui. Sr Marie-Grégoire, avant même son entrée au monastère, avait
découvert la grandeur de la prière, de la prière chantée, et particulièrement
de la prière du chant grégorien. Et pour elle, ce fut un honneur et une mission
que de recevoir, au jour de sa vêture, le beau nom de Sr Marie-Grégoire,
nom du pape Grégoire qui fut, selon la tradition, à l'origine du chant
grégorien.
Oui, toujours,
ici comme sur son lit d'hôpital où je l'avais rencontrée et jusqu'à ses
derniers moments ici-bas, elle manifesta l'importance de la prière chantée ou
solitaire.
Car sans
cette relation à Dieu que manifeste la prière, la vie perd facilement son sens ;
sans cette dimension verticale de la relation à Dieu, la relation horizontale
avec les hommes est souvent ternie, voire anéantie. La vraie prière loin de
nous retirer du monde nous fait communier intimement à l'amour sauveur de
Dieu pour tous les hommes.
Ainsi
donc, Jésus priait tout au long de sa vie. Mais Jean est le seul évangéliste à
nous faire pénétrer un peu plus dans cette prière de Jésus, notamment en cette
heure où il allait passer de ce monde à son Père. En cet instant suprême où il
se sait trahi, condamné, perdu, comment Jésus prie-t-il ? Est-ce qu'il pense à
lui ? Pas du tout ! C'est à nous qu'Il pense, à nous ses disciples : "Père saint, garde-les, garde-les dans
la fidélité".
C'est
tout le sens apostolique d'un monastère, de la vie d'une Moniale. On ne rentre
pas au monastère pour mener une vie centrée sur soi-même. On entre au monastère
pour sans cesse se tourner vers Dieu et lui confier tous les hommes.
Le moine,
la moniale, le chrétien lui-même doit avoir un cœur de "veilleur,
d'"éveilleur". Il doit être un "Grégoire", beau prénom des
premiers siècles chrétiens qui signifie "veiller" ("gregorein" en
grec). Etre une lampe qui
brille par son union à Dieu et ainsi manifester le souci de veiller pour ses
frères ! Ce fut certainement le souci de Sr Marie-Grégoire !
Après
avoir célébré la Cène, Jésus confie à son Père tous ceux qui croient en Lui, et
pour eux, Il demande trois choses, trois grâces : "Garde-les dans la fidélité à ton nom ; qu'ils soient un
comme nous sommes un ; qu'ils aient en eux ma joie".
Comme
elle est grande la prière de Celui qui va mourir ! Son regard porte loin, son
amour se donne entièrement. La prière de Jésus après la cène est un testament
d'amour, c'est la prière du souverain-prêtre pour son Eglise. Jésus y
récapitule toute son œuvre, tout ce qu'Il a fait pour les hommes quand il était
avec eux : "J'ai veillé sur eux ; je
leur ai fait don de ta parole ; je les gardais dans la fidélité ; je les ai
envoyés dans le monde." - "Et maintenant, je viens vers Toi,
Père...". Jésus nous confie tous à Dieu : "ils ne sont pas du monde pécheur, pas
plus que moi ; mais en ce monde, garde-les du Mauvais. Je les ai envoyés dans
ce monde pour qu'ils soient témoins de la vérité. Ta parole seule est vérité".
Avant de
parler aux hommes, de les rencontrer, avant d'agir et de poser des signes de
salut, Jésus se tournait vers son Père ; son cœur se remplissait de l'amour
infini de Dieu pour les hommes. Et au soir de ses journées comme au soir de sa
vie, Jésus se tourne vers son Père pour lui confier les hommes qu'il aime.
Avec foi,
laissons-nous rejoindre, aujourd’hui, par cette prière de Jésus : Père,
garde-les fidèles, qu'ils soient unis, qu'ils aient en eux ma joie. Cette
prière est pour nous source de force, d'espérance et d'amour. A la suite de
Jésus, que notre prière se tourne ainsi vers le Père pour tous les hommes de
ce monde pécheur où Il nous envoie, d'une manière ou d'une autre, pour être
ses témoins.
Aujourd'hui,
certains semblent oublier Dieu ; d'autres ont renié la foi de leur baptême ;
d'autres encore ont trahi, comme Pierre, comme Judas : Mais Jésus nous a
tous pris, il a pris tous les hommes, sans exception, dans sa prière.
Que notre prière, de même, ne laisse de côté aucun de ceux qui nous entourent,
mais les présente tous au Père, au nom de son Fils, qui pour eux tous a donné
sa vie. N'est-ce pas le sens d'une vie consacrée à Dieu ? Je crois que Sr
Marie-Grégoire avait bien conscience de son rôle apostolique, par la prière
surtout.
Car Jésus
prie, lui, pour que nous soyons tous sanctifiés. Devenir des saints,
voilà qui nous paraît impossible... Or, être saint, c'est vivre comme Jésus. Et
nous savons que la prière de Jésus et sa présence de Ressuscité nous aide pour
vivre du même Esprit que Lui. Au milieu de ce monde, de ses misères et de ses
réussites, les disciples de Jésus que nous sommes doivent être l'âme du monde.
Et c'est chacun et chacune de nous qui sommes appelés à cette sainteté, à cette
conformité avec Jésus Christ, à cette reconnaissance de l'Amour du Seigneur pour
tous les hommes, pour tout homme quel qu'il soit.
St
Marie-Grégoire avait ce souci pastoral principalement auprès de ceux et celles
qu'elle rencontrait en tant qu'hôtelière du monastère. Elle devait ressentir ce
grand désir du Christ : Garde-les dans la fidélité à ton Nom - Qu'ils soient un
comme le Christ l'a voulu et qu'ainsi il aient en eux la joie !
En
faisant mémoire de Sr Marie-Grégoire, ayons le souci qu'elle manifestait au
jour de sa profession religieuse : "Benedicam
Dominum in omni tempore ; semper laus ejus in ore meo" - "Je bénirai
le Seigneur en tout temps ; que sa louange soit toujours en ma bouche".
A
l'exemple de la Vierge Marie, sa vie fut finalement un long
"Magnificat", à l'exemple de Marie qu'elle vénérait depuis sa
naissance, depuis son enfance à Lyon, près du sanctuaire Notre-Dame de
Fourvière.
Que
Notre-Dame introduise désormais Sr Marie-Grégoire en la gloire divine d'où elle
continuera à "veiller" sur nous tous !
lundi 9 février 2015
Silence ! Prière !
10 Février
- Ste Scholastique
Sainte Scholastique (480-543) !
Sainte
Scholastique était la sœur de saint Benoît.
Suivre
son frère dans la solitude et la vie monastique était son unique aspiration.
Elle
se consacra à Dieu dès sa plus tendre jeunesse, et elle se rapprocha de
son frère, quand il se fut établi au Mont-Cassin, afin de profiter de
ses leçons et de ses exemples.
Saint
Benoît rencontrait alors sa sœur une fois par an. Ils se retrouvaient à
mi-chemin de leurs lieux d'habitation.
Leur
dernier entretien est resté célèbre. Scholastique avait eu prémonition de sa
mort. Elle voulut donc passer toute la nuit à échanger avec son bienheureux
frère sur les joies de la Vie avec le Seigneur.
"Voici un cas,
dit St Grégoire non sans humour, me semble-t-il, où le vénérable Benoît ne put faire ce qu'il voulait.
Sa
sœur Scholastique, consacrée à Dieu dès son enfance, avait coutume de venir le
voir une fois l'an.
Ils passèrent la journée entière dans
la louange de Dieu et les entretiens spirituels, puis... Scholastique fit cette demande à son frère :
-
Je t'en prie, ne me quitte pas cette nuit ; parlons jusqu'au matin des joies de
la vie éternelle.
-
Que dis-tu là, ma sœur ?
répondit Benoît. Il m'est impossible de
passer la nuit en dehors du monastère !
Mais
la moniale, sur le refus de son frère, joignit les mains sur la table et
s'inclina pour prier Dieu.
Quand elle releva la tête, il se fit un
tel fracas d'éclairs et de tonnerre, un tel déluge de pluie, que ni le
vénérable frère Benoît, ni les frères venus avec lui ne pouvaient mettre un
pied dehors. La moniale, en
inclinant la tête, avait répandu sur la table un torrent de larmes qui avait changé en pluie la sérénité du
ciel.
L'homme
de Dieu, au milieu des éclairs, du tonnerre et de l'inondation, vit qu'il ne
pouvait revenir au monastère et, contrarié, se plaignit à sa sœur :
-
Que le Dieu tout-puissant te pardonne, ma sœur, qu'as-tu fait ?
-
Je t'ai prié, répondit Scholastique, tu n'as pas voulu m'entendre ; j'ai prié mon
Seigneur et il m'a entendue. Mais va, sors si tu peux, laisse-moi et rentre au
monastère.
Lui,
cependant, ne pouvait quitter l'abri. Il n'avait pas voulu rester de bonne
grâce, il resta malgré lui.
Toute la nuit ils veillèrent donc
ensemble, parlant de Dieu, et goûtant la joie de cet échange spirituel.
Le
lendemain, la sainte femme revint à sa cellule, et l'homme de Dieu au
monastère. Mais voici que, se trouvant dans sa cellule, trois jours plus tard,
il leva les yeux au ciel et vit l'âme de sa sœur, détachée de son corps, pénétrer
les profondeurs du ciel sous l'apparence d'une colombe".
Au-delà du récit plus légendaire qu'historique,
propre à l'hagiographie du temps, St Grégoire veut transmettre quelques
recommandations utiles pour tous les temps, et le nôtre particulièrement ! Comment
ne pas nous rappeler, aujourd'hui, quelques paroles de la "Règle de saint
Benoit" qui gardent toujours leur actualité dans l'Eglise et qui sont
valables pour tous, quelle que soit notre vocation et notre fonction ?
- D'abord
la valeur du silence. C'est sans doute ce que St Benoît voulait signifier à
sa sœur Scholastique, alors même que le Seigneur accordait au frère et à la
sœur de prolonger leurs entretiens spirituels jusque dans la nuit. St Benoît
écrira dans sa Règle : "Quelquefois
nous devons éviter de parler, même pour dire des choses bonnes. Et cela,
par amour du silence... !" - Quant
aux plaisanteries, les paroles inutiles..., nous les condamnons partout et pour
toujours !". (ch 6).
Oui
aimer le silence ! Jean Tauler dira : "Si
tu parles, le Verbe se tait... Ecouter et se taire, c'est ainsi qu'on va
au-devant du Verbe !". Tant il est vrai que le
silence est le fondement de l'union à Dieu. "Le
langage que Dieu entend le mieux n'est que silence d'amour", disait St
Jean de la Croix ! Car "en
amour, un silence vaut mieux qu'un langage !" - Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas
savoir demeurer au repos dans une chambre. Nous sommes pleins de choses qui nous
jettent dehors !" (Pascal). Oui aimer le silence ! Oh !
certes, le silence n'est pas l'amour, mais il est une précaution pour l'amour !
De toute façon, sachons-le : en tout homme se trouve une part de solitude
qu'aucune intimité humaine ne peut remplir. Mais justement, c'est là que
Dieu nous attend pour mieux le rencontrer !
- Et
le silence est le berceau de la prière ! "Quand nous supplions le Seigneur, le Dieu du monde entier, nous
devons le faire avec...humilité et respect", dira St Benoît. Avec humilité
et respect, silencieusement !
Tous,
dans l'Eglise, à la suite de sainte Scholastique, nous sommes invités - comme
nous le rappelle la prière liturgique de la fête - "à servir le Seigneur avec une charité sans défaut et à goûter la
douceur de son amour". Cette "Douceur de Dieu" nous
l'éprouvons en particulier dans la prière !
Pour
nous, chrétiens, la prière n'est jamais du temps perdu, un temps inutile ou
improductif même si les devoirs qui nous sollicitent de toutes parts sont
importants ; sans cet "oxygène de la prière" nos vies sont en
définitive vides, creuses ou tournent sur elles-mêmes ! "Il n'y a pas de
travail supérieur à celui de prier le Seigneur", dit un apophtegme.
"Parfois - disait
naguère le Pape Benoit XVI -, nous nous lassons
de prier, nous avons l'impression que la prière n'est pas si utile à la vie,
qu'elle est peu efficace. C'est pourquoi, nous sommes tentés de nous consacrer
à l'activité, d'employer tous les moyens humains afin d'atteindre nos objectifs,
et nous n'avons pas recours à Dieu... !
Nous ne devons jamais désespérer, mais
persévérer toujours dans la prière...
Si un homme ne croit pas en la
Bonté de Dieu, il ne peut pas prier de manière vraiment adaptée.
La Foi est essentielle comme fondement
de l'attitude de la prière".(1)
Nous
avons tous besoin de cultiver une relation régulière avec le Seigneur qui est
venu pour que nous ayons la Vie en abondance : en cela, la prière fidèle,
persévérante, régulière nous permet de nous recentrer sur le Seigneur, sur sa
Parole et sa présence sacramentelle. Etre devant le Seigneur ! Peut-être que
celui qui prie vraiment ne fait finalement qu'écouter. "La prière, disait Simone Weil (la philosophe) est la plénitude de l'attention".
L'important dans la prière "n'est
pas de penser beaucoup, mais d'aimer beaucoup !", disait Thérèse
d'Avila. "Je ne lui dis rien (à
Dieu), disait encore Ste Thérèse de Lisieux, je l'aime !". Le Curé d'Ars ne disait pas autre chose.
Sainte
Scholastique, priez pour nous, pour nous tous afin que nous sachions prendre
dans notre vie le temps de nous relier au Seigneur, Lui, le Dieu du monde
entier, que tu as aimé, servi et chanté intensément !
Que
dans la prière ou le travail qui nous incombe, nous ne recherchions qu'une
seule et même chose : glorifier Dieu par toute notre vie !
(1) Benoit XVI. Homélie du dimanche 17 octobre 2010.
dimanche 8 février 2015
Souffrance de l'Innocent !
5e
Dimanche du T.O. 15/B
Le problème de la souffrance en général, le
problème de la souffrance imméritée, celle des innocents, est l'un des plus
angoissants qui se pose à l'esprit humain. On ne saurait y apporter de réponses
simples, péremptoires.
Et ce problème se complique, pour le croyant, du
fait qu'il met souvent Dieu lui-même en cause : S'il n'est pas responsable de
la souffrance, comment peut-il la permettre et laisser le juste souffrir ?
C'est le sujet du Livre de Job.
La réflexion se développe à partir d'un vieux conte
populaire oriental. Job, homme juste comblé d'honneur et de richesses, se voit
accablé de tous les malheurs : il perd enfants et ses biens tout à la fois ;
lui-même, frappé d'une maladie hideuse, se trouve réduit à l'état de mendiant
misérable. Pourquoi ? Mais pourquoi donc ?
Par la bouche de ses amis, on entend alors toutes
les explications habituelles : Ou bien Dieu t'a châtié pour tes péchés,
ou bien il t'a injustement abandonné. Dans ce dernier cas, comment, lui
dit-on, ne pas te révolter et maudire ce Dieu qui s'est cruellement moqué de
toi ? La résignation est une attitude indigne d'un homme sensé ; elle est même
dégradante.
Dans le passage que la liturgie a retenu pour aujourd'hui,
l'auteur brosse un tableau particulièrement sombre de la condition de l'homme
sur la terre. Sa vie est "une
corvée" accomplie sans joie, dont il n'y a rien à attendre sinon
la paye quotidienne qui permet de subsister.
Pire encore : c'est une existence d'esclave qui
n'aspire qu'à "un peu d'ombre"
pour bénéficier de quelques instants de répit au cours de sa pénible journée de
travail. La nuit elle-même est marquée par la souffrance. A peine couché, il
songe au travail qui l'attend le lendemain. Les cauchemars, l'angoisse
troublent son sommeil.
Et où tout cela mène-t-il ? A rien ! Demain le fil
de la vie sera tranché : comme celui de la navette que le tisserand déplace
rapidement sur la longueur de la trame, d'une lisière à l'autre de la pièce
d'étoffe qu'il confectionne. Quand il n'y a plus de fil dans la navette, on la
remplit à nouveau et le mouvement reprend avec un autre fil qui, lui aussi,
sera bientôt épuisé.
Comment Dieu regarde-t-il tout cela ? "Souviens-toi, Seigneur,
termine notre texte d'aujourd'hui, souviens-toi
: ma vie n'est qu'un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur". Ce
n'est pourtant pas là un cri de révolte. Plutôt la plainte, entre le désespoir
et l'espérance, la plainte d'une humanité qui ose à peine se tourner vers Dieu
pour lui rappeler son néant et sa souffrance. Ce sont de tels messages -
adressés à Dieu ou aux hommes, qui pourrait le dire ? - qu'on lit parfois dans
le regard d'enfants exténués, qu'on trouve sur des photographies d'hommes et de
femmes soumis à une vie d'esclaves dans des pays déshumanisés, dans des régions
de mort ! Aujourd'hui encore !
Le pessimisme de Job paraîtra exagéré à ceux dont
la vie, malgré ses difficultés et ses peines, reste traversée d'assez de lueurs
ou même de rayons de soleil pour raviver le courage et l'espérance contre toute
espérance. Ceux-là ne peuvent pas faire leurs les déchirantes lamentations de
Job. Mais il faut les laisser retentir en soi, ces lamentations, car elles
portent jusqu'à nous l'écho de la vie sans horizon d'une foule de frères et de
fils de Job qui, près de nous peut-être, dépérissent, comme lui, aux
portes des villes, sans qu'on s'en rende compte !
A l'époque où le Livre a été rédigé, la perspective
d'une autre vie était encore confuse. Mais aujourd'hui encore, il serait malvenu
si, pour consoler Job, l'encourager dans son épreuve, on se contentait de lui
dire : "Songe au ciel, à la récompense que te vaudront tes intolérables
souffrances d'aujourd'hui ! - Patience, tu auras un avenir florissant !".
De telles paroles, le poème les met dans la bouche des amis de Job ! Ces beaux
discours qui lui paraissent leçons apprises par cœur ne peuvent apporter le
moindre soulagement à ses plaies : au contraire, elles en sont douloureusement,
tristement irritées.
Naguère, le cardinal Pierre Veuillot disait sur son
lit d'hôpital : "Nous savons bien
faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même, j'en ai parlé avec chaleur.
Dites aux prêtres de n'en rien dire : nous ignorons ce qu'elle est. J'en ai
pleuré !".
La certitude d'une rétribution céleste n'est pas,
seule, une réponse satisfaisante au problème de la souffrance qui reste un
scandale, surtout quand elle frappe des innocents. Car c'est dès maintenant
qu'il nous faut travailler, à l'exemple du Christ, à soulager, guérir ceux qui
n'en peuvent plus ! St Jacques ne disait-il pas : "Si un frère n'a pas de quoi manger tous les jours et que l'un de
vous leur dise : "Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit
!", sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? Votre foi
est alors une foi morte !" (Jc 2.15).
Nous ne mesurons pas suffisamment la force de ces paroles de l'Ecriture !
Un écrivain (Dostoïevski),
un Job de notre temps, affirmait : "Je
me refuse à accepter cette harmonie supérieure (comme
une rétribution céleste à la souffrance). Je prétends qu'elle ne vaut pas une larme d'enfant, une larme de cette
petite victime qui se frappait la poitrine et qui priait le "bon
Dieu" dans son coin infect ; non, elle ne les vaut pas. Tant qu'il en est
ainsi, il ne saurait être question d'harmonie.
Les bourreaux
souffriront en enfer, me diras-tu ? Mais à quoi sert ce châtiment, puisque les
enfants aussi ont eu leur enfer ? D'ailleurs, que vaut cette harmonie qui
comporte un enfer ?
Et si la
souffrance des enfants sert à parfaire la somme des douleurs nécessaires à l'acquisition
de la vérité, j'affirme d'ores et déjà que cette vérité ne vaut pas un tel
prix.
Je ne veux
pas que la mère pardonne au bourreau ; elle n'en a pas le droit. Qu'elle lui
pardonne sa souffrance de mère, mais non ce qu'a souffert son enfant déchiré
par les chiens. Quand bien même son fils pardonnerait, elle n'en aurait pas le
droit...
Je veux le
pardon, le baiser universel, la suppression de la souffrance.
Y a-t-il
au monde un être qui aurait ce droit et ce pouvoir ?... Oui, cet Etre existe. Il peut tout
pardonner, tous et pour tout, car c'est lui qui a versé son sang innocent pour
tous et pour tout. Tu l'as oublié, c'est lui la pierre angulaire de l'édifice,
et c'est à lui de crier… " (1)
Lui seul peut dire, et nous en lui, comme l'affirme
le psaume 31ème : "Bénissons
le Seigneur : il guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures. Le Seigneur
élève les humbles et rabaisse jusqu'à terre les impies". Il l'a fait
en Jésus et veut toujours le faire par l'intermédiaire de ceux qui
confessent le Nom de Jésus. C'est le gage de l'harmonie céleste que le
Christ a proclamée par sa résurrection !
A l'heure de la souffrance - la sienne et encore
plus celle des autres - il faut se taire en levant les yeux vers le Christ. Il
n'explique pas le mal, la souffrance. Il la prend en pardonnant. Et
en la prenant, il en donne un sens.
Telle est la Lumière de notre foi en le Christ
pascal. Lui, l'Innocent, le Juste qui connaît la souffrance pour avoir assumé
librement mais douloureusement celle de tous les hommes, a pardonné à ses
bourreaux. Et il peut, lui, s'adresser au Père qui a permis que son propre Fils
meure afin que, "par ses
blessures, nous soyons guéris" (Is
53,6). Un seul donne un sens à notre vie souffrante. C'est lui que nous
bénissons, et non la souffrance dont il a saisi, dans son offrande, "le poids perdu", comme
l'affirme une hymne :
"Le Fils
de Dieu, les bras ouverts,
A tout saisi
dans son offrande,
L'effort de
l'homme et son travail,
Le poids
perdu de la souffrance". (Hymnaire de la Liturgie des Heures)
Oui, nous pouvons, nous devons proclamer cette
affirmation de foi à propos du mal, de la souffrance. Oui, nous pouvons...,
mais - redisons-le encore - à une seule condition : que nous ayons nous-mêmes
en notre cœur les sentiments qui animaient le cœur du Christ jusque sur la
croix : "sentiments de compassion,
de bienveillance, de douceur, de patience... Et par dessus tout l'amour qui est
le lien parfait" (Col 3.12 sv).
Cet amour divin qui, par nos mains, peut aujourd'hui soulager, guérir et abolir
les souffrances injustes... Et cela, même en nos communautés familiales, paroissiales,
religieuses. C'est ce vœu que formulait dernièrement le pape François aux
religieux, religieuses. Il s'agit, disait-il, de renouveler nos vies par une
vraie charité ! Oui, que l'on ne puisse plus, ici ou ailleurs, répéter ce
dicton ancien : "Maison de piété !
Maison de peu de charité !". Car c'est l'Amour de Dieu manifesté en
Jésus-Christ et que leur Esprit commun nous donne qui sauve le monde ! Rien
d'autre !
(1) : Dostoïevski : Les Frères Karamazov
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