dimanche 22 février 2015

Absence

Absence jusqu'au 3 mars environ, 
mais sans oublier aucun des membres de la diaspora !  fr. MG.

vendredi 20 février 2015

Quel jeûne ?

Vendredi après les Cendres -                   Is 58, 1-9a  -  Mt 9, 14-15

Dans le bref Evangile que nos venons d’entendre, Jésus "remet en place", si je puis dire, ceux qui se scandalisent de voir que certains ne pratiquent pas les observances que l’on faisait de son temps. Il leur reproche de se mêler de ce qui ne les regarde pas ; et puis, comme le disait si bien l'Ecclésiaste (Qohélet), il y a un temps pour tout :
"Il y a un temps pour planter et un temps pour arracher,
Un temps pour pleurer et un temps pour rire,
Un temps pour se lamenter et un temps pour danser... !" (Qo. Ch 3).
Et bien de même, il y a un temps pour manger, et un temps pour jeûner !

Mais surtout, rappelons-nous ce que Jésus disait, en un autre endroit de l'évangile, à propos des pratiques religieuses :
"Deux hommes montèrent au Temple pour prier ; l'un était Pharisien et l'autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : "Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes... ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers". Le publicain n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, disant : "Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !". Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non.  Car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé". ( Lc 18, 10 -14).

Avec une lucidité que pourrait envier certains spécialistes modernes en psychologie, Jésus montre que de fait la pratique religieuse peut devenir, quand elle n’est que pur formalisme, un moyen de rassurer la conscience en évitant de la promener dans des fautes beaucoup plus graves qu’on commet et envers Dieu et dans nos relations avec les autres.
"Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin, après avoir négligé les points les plus graves de la Loi, la justice, la  miséricorde et la foi ; c'est ceci qu'il fallait pratiquer, sans négliger cela".  (Mt 23.23).

Ce n’est pas un hasard que l’Evangile d’aujourd’hui a été choisi en ce début de Carême pour nous mettre en garde contre le formalisme que peut révéler l’observance religieuse.
A certaines époques, on a mis tellement l’accent sur ces observances extérieures que cela a provoqué même chez les chrétiens un besoin de défoulement : on n’avait pas trouvé de meilleur moyen de réagir contre l’exagération qu’en faisant précéder le carême par le carnaval. Finalement, aujourd’hui, on parle davantage de distractions diverses et nombreuses que du Carême.

Et la première lecture nous rappelle également que, quelques siècles avant Jésus, le prophète Isaïe avait réagi contre le formalisme religieux d’une manière qui reste encore très percutante dans les situations où nous sommes parfois plongés.
Il est bon de jeûner, d’en faire une pratique collective, mais que cela ne serve pas de paravent derrière lequel on continue à pratiquer l’injustice et la violence. Quel est le jeûne qui plaît à Dieu ? Certainement pas celui qui nous éviterait de faire les vraies réformes, celles qui rétablissent l’harmonie et la paix, là où nous vivons, dans nos relations familiales, amicales, professionnelles : "Heureux les artisans de paix, ils seront appelés Fils de Dieu !".
Et cet oubli sur le plan personnel devient planétaire. On le sait : la mondialisation dont on parle beaucoup actuellement entraîne souvent de terribles injustices. On ferme des usines pour de simples motifs d’intérêts économiques ; et les délocalisations permettent souvent de trouver de la main d’œuvre moins chère en des pays où on accélère la production en surmenant des travailleurs réduits en esclavage. Tout est subordonné aux intérêts égoïstes, personnels ou collectifs ! Aussi, le pape François, le Mercredi des Cendres, nous a encouragés à lutter contre "le vertige de la mondialisation de l'indifférence" !

Quel est donc le jeûne qui plaît à Dieu ? Grande question que posait déjà Isaïe !
N'est-ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère : défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug ; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs ?  N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé ; héberger chez toi les pauvres sans abri...". Bref, "ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair !". ( Is 58.6-7).

Et sachons-le, le jeûne, la pénitence a, traditionnellement, deux objets :
- Une purification de soi-même : "Le jeûne, disait St Pierre Chrysologue, est un chemin merveilleux pour labourer le champ de la sainteté !".
- Et un encouragement à pratiquer la justice et la charité fraternelle : St Ambroise s'exclamait : "Combien le jeûne est religieux si tu envoies aux pauvre le prix de ton repas !".

jeudi 19 février 2015

Souffrance - Mort - Résurrection !

Jeudi après les Cendres                                             Mt 9, 14-15

"Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup... !".
Et le disciple du Christ doit passer, lui aussi, par ce mystère pascal dont il est déjà question dans l'évangile, qui nous sera présenté tout au long du Carême, et que nous célébrerons solennellement à Pâques !

Comment parler de la mort du Christ ?
Dieu-Père ne voulait certainement par la destruction d'un Innocent, une fin aussi tragique, ignominieuse pour son Fils bien-aimé !
Et Jésus ne lui a pas offert son sang en pensant qu'il lui serait agréable !
Les premiers chrétiens n'ont jamais pensé cela !
La crucifixion est un crime. Ceux qui l'ont voulue, ce sont les autorités juives et les représentants de Rome, c'est-à-dire tous ceux qui se sont fermés au Règne de Dieu.

Cette mort affreuse est absurde, injuste. Mais Jésus ira jusqu'à la mort pour être fidèle au Règne de Dieu qu'il voulait établir : tous pourront voir alors jusqu'où va sa confiance dans le Père et son amour des hommes.

Il faut le dire et le redire : le Père n'a pas voulu que l'on tue son Fils aimé ; c'est l'offense la plus grave que l'on puisse lui faire. Mais, s'il le faut, il le laissera être crucifié, il n'interviendra pas pour détruire ceux qui le crucifient ; car il veut continuer d'aimer le monde, ce monde de pécheurs, et révèlera ainsi à tous jusqu'à quels insondables extrémités s'étend "la folie de son amour" pour les hommes.

Les premiers chrétiens diront, emplis d'étonnement : "Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils" (Jn 3.16).

Sur la croix, personne n'offre quoi que ce soit à Dieu afin qu'il manifeste une plus grande bienveillance envers l'homme pécheur.
C'est lui qui offre ce qu'il a de plus cher : son Fils ! Son amour est antérieur à tout !
St Paul l'affirmera catégoriquement : "La preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous !" (Rm 5.8). Dieu ne pouvait révéler son amour de façon plus manifeste. Il ne s'est pas arrêté même devant ce qu'il avait de plus cher : son Fils ! "Il n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous ; comment, avec lui, ne nous accorderait-il pas toute sa faveur ?" (Rm 8.32).

Oui, l'amour de Dieu est inouï. Pendant que son Fils agonise, Dieu ne fait rien, ne dit rien, n'intervient pas ! Il respecte ce que l'on fait à son Fils. Tout simplement, il supporte la mort de son Fils bien-aimé par amour pour les hommes qui resteraient perdus sans son amour divin. C'est l'amour de Dieu qui nous est révélé suprêmement dans cette "crucifixion-résurrection".

Car la résurrection montre que Dieu était avec le Crucifié de façon réelle, sans intervenir contre les bourreaux, mais en assurant son triomphe final, (par sa résurrection) ! C'est ce qu'il y a de plus grandiose dans l'amour de Dieu : le pouvoir d'anéantir le mal sans détruire ceux qui le font. Il rend justice à Jésus, sans détruire ceux qui le crucifient. St Paul avait bien compris cela : "C'était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait avec le monde, ne tenant plus compte des fautes des hommes" (2 Co. 5.19).

Oui, Amour de Dieu incroyable ! "Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs cherchent une sagesse, nous proclamons, nous, dira Paul, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens. Mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, il est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes" (I Co. 1.22-25).

En ce Christ crucifié qui nous semble une "faiblesse" et une impuissance, est enfermée "la force" salvatrice de Dieu. "Il était nécessaire que le Christ souffre beaucoup" selon le dessein d'amour de Dieu "annoncé par les Ecritures". Avec Dieu, il fallait qu'il en soit ainsi, car dans sa "folie" inimaginable, il aime tous les hommes ses enfants jusqu'à l'extrême. Comme une mère, si l'on peut dire, qui aime ses enfants jusqu'à se sacrifier pour eux, s'il le faut !

Ainsi donc, Dieu n'apparaît pas comme celui qui exige au préalable la souffrance et la mort de Jésus pour que son honneur et sa justice soient satisfaits, et qu'il puisse ainsi "pardonner" aux hommes.
Et Jésus n'apparaît pas comme celui qui s'efforce d'influencer Dieu par ses ssouffrances pour obtenir de lui bienveillance divine envers le monde pécheur.
Les premiers chrétiens ne pouvaient dire une chose pareille. Si Dieu avait été celui qui exige préalablement le sang d'un innocent pour sauver l'humanité, il aurait été alors un "Dieu de justice" qui ne sait pas pardonner gratuitement, un créancier implacable qui ne sauve personne si la dette contractée envers lui n'a pas été soldée. Si Dieu était ainsi, qui pourrait l'aimer, l'aimer de tout son cœur et de toutes ses forces ?

Dieu n'apparaît pas non plus comme celui qui décharge sa colère contre Jésus. A aucun moment, Dieu-Père ne rend responsable son Fils bien-aimé de fautes qu'il n'a pas commises ; et il ne le considère pas comme un "substitut" des pécheurs. Comment un Dieu juste pourrait-il imputer à Jésus les péchés qu'il n'a pas commis ? Jésus est l'Innocent. Il ne subit aucun châtiment. Il souffre par le refus de ceux qui s'opposent au Règne de Dieu. Il n'est pas la victime du Père, mais de Caïphe et de Pilate. Il porte les souffrances que lui infligent injustement les hommes ; et le Père porte la souffrance de son Fils aimé. Par amour des hommes pécheurs !

Ce qui donne une valeur rédemptrice au supplice de la croix, c'est l'amour et non pas la souffrance. Ce qui sauve l'humanité, ce n'est pas quelque "mystérieux" pouvoir rédempteur enfermé dans le sang versé devant Dieu. En elle-même, la souffrance est mauvaise et n'a aucune force rédemptrice. Dieu n'aime pas voir voir Jésus souffrir. Ce qui sauve au calvaire - et cela seul -, c'est l'amour insondable de Dieu, incarné dans la souffrance et la mort de son Fils. Il n'y aucune force salvatrice dans la souffrance en dehors de l'amour. Seul, l'amour de Dieu explique tout !

La souffrance reste mauvaise ; mais c'est précisément pour cela qu'elle devient l'expérience humaine la plus solide et la plus réelle pour exprimer l'amour. Nous-mêmes nous l'expérimentons parfois : on souffre toujours à proportion de notre amour pour quelqu'un...

C'est pourquoi les premiers chrétiens ont vu en Jésus crucifié l'expression la plus réaliste, la plus extrême, de l'amour inconditinnel de Dieu pour l'humanité, le signe mystérieux et insondable de son pardon, de sa compassion, de sa tendresse rédemptrice.

Seul, l'incroyable amour de Dieu peut expliquer ce qui s'est passé sur la croix. Ce n'est qu'à l'ombre lumineuse de la croix qu'à pu surgir la grandiose affirmation chrétienne : "Dieu est amour !" (I Jn 4.8,16). C'est ce dont Paul avait une intuition émue : "Le Fils de Dieu m'a aimé et s'est livré pour moi !" (Gal 2.20). Il m'a aimé jusque là !

Une seule conclusion :
tout disciple du Christ doit imiter son Maître et passer par ce mystère pascal que chaque Eucharistie réactualise.
Dès lors, sachons le : nos propres souffrances - les plus humbles comme les plus fortes - doivent être offertes au Christ pascal. Une fois offertes, elles ne nous appartiennent plus pour être siennes, pour être au Christ. Une fois siennes, mêlées aux siennes propres, aux amertuimes de la croix ou du jardin des oliviers, elles sont capables, avec lui, de sauver les hommes, tous les hommes ! Grâce à son amour divin ! "Par lui, avec lui, en lui !".


mercredi 18 février 2015

Carême !

Mercredi des Cendres

A trois reprises, dans cet évangile, nous avons entendu Jésus dire : “Ton Père voit dans le secret !”.  A trois reprises, Jésus nous encourage à situer notre action, pendant ce carême, dans le domaine des choses qui ne se voient pas. Et à quatre reprises, Jésus nous a mis en garde contre les manifestations visibles et même spectaculaires. Ce n'est pas là que se construit le Règne de Dieu. Il faut toujours faire attention au “paraître”. "Pour connaître Dieu, disait St Jean de la Croix toujours tranchant, l'esprit doit plutôt renoncer à ses lumières que chercher à s'en servir !".

Ce que Jésus veut dire, c'est que la véritable conversion est d'abord intérieure. Elle couronne ce désir, cette recherche de Dieu… la "quête de Dieu", malgré parfois les circonstances douloureuses, les questions difficiles qui peuvent nous en éloigner…  C’est cela qui compte : cette relation profonde avec le Seigneur, même si, parfois, le Seigneur nous paraît bien loin de nous et de nos difficultés…  Mais "c'est peut-être, commentait Karl Rahner, pour que nous puissions mieux le trouver que Dieu fait semblant de nous abandonner !". Car on s'aperçoit alors que ce n'est pas Dieu qui est silencieux, c'est nous qui sommes sourds !
Aussi, sans ce désir silencieux de Dieu, sans cette recherche intérieure, de cœur, toute pratique extérieure est nulle. A l'inverse, bien sûr, ce désir, cette recherche authentique se traduisent, souvent, en actes concrets. Et l'Evangile d'aujourd'hui nous en indique trois : le partage, la prière et le jeûne.

Très exactement situé dans la tradition des prophètes juifs, Jésus commence par inviter à un partage vrai. On se souvient du prophète Isaïe proclamant : “Le jeûne qui me plaît c'est de dénouer les liens de servitude et de libérer le frère enchaîné” (Is. 58/6). C'est bien dans cette même tradition que Jésus situe ses recommandations. L'effort de justice commence par un vrai partage. Mais de quel partage s’agit-il ?

Beaucoup - et j'en ai été parfois le témoin émerveillé ; et vous en êtes témoins également -, beaucoup pratiquent le partage matériel. Et c’est bien, merveilleux de voir quelqu'un qui peut donner et qui effectivement donne !
Cependant, il est toujours bon de s'interroger : il n'y a pas que l'argent ou les biens matériels. Il y a la disponibilité, l'amabilité (malgré nos diverses souffrances physiques ou morales)… Il y a surtout notre foi, notre espérance, notre charité. Savons-nous partager cette richesse suprême qu'est notre relation au Christ avec tous ceux qui nous entourent. Certes, c'est parfois difficile. Mais en avons-nous au moins le désir ? Partager ce que l’on est plus que ce que l’on a ! Le but de la vie cénobitique (de la vie ecclésiale), n'est-ce pas, avant tout, ce partage d'un élan incessant vers Dieu ? Moi qui vis de façon quelque peu érémitique, chaque fois que l'un de mes frères vient jusqu'ici, je trouve souvent quelque chose d'admirable chez lui... ! Et cela m'encourage... ! Il ne faut pas toujours remarquer les défauts de nos frères et sœurs, mais bien plutôt leurs qualités, leur foi, leur espérance, leur amour de Dieu. C'est là que se situe le vrai partage, ne l'oublions pas !

Sur notre manière de prier également, Jésus nous questionne. Ce qui importe, nous dit-il, c'est la rencontre cœur à cœur avec le Père. Les prières enthousiastes de certains groupes dynamiques sont justes et appréciables… ! Nos prières de demande sont également légitimes… ! Mais encore et surtout être capables de prière “gratuite”, si je puis dire : se tenir devant Dieu, dans le secret, sans autre raison que d'être avec lui ! Paul Claudel s'écriait dans sa prière : "Allez ! Je ne vous demande rien, mon Dieu ! Vous êtes là, et c'est assez !".

Le passage où Jésus nous parle de la manière de jeûner concerne en réalité presque davantage la joie de vivre. L'effort de pénitence et de conversion que symbolise le jeûne ne nous retire pas de la vie active et des relations normales avec les autres. C'est, en effet, une offrande joyeuse qu'attend le Seigneur : “Dieu aime celui qui donne avec joie”. (2 Cor 9/7). Le carême ne doit pas nous couper de la vie, de nos frères mais nous y rendre sans doute plus attentifs. C'est ainsi que Jésus lui-même s'est comporté : tourné vers le Père, il restait néanmoins très présent (Mth 11/19), mangeant et buvant avec tous, même si on le lui reprochait. - Et ce jeûne-là convient bien à la prière. St Bernard disait : "Le jeûne et la prière vont ensemble : la prière obtient la force de jeûner ; et le jeûne mérite la grâce de la prière !".

Décidément, la croissance du Règne de Dieu ne se mesure pas aux manifestations extérieures. C'est dans le silence que se joue le salut du monde, aujourd'hui comme au temps de Jésus. La célébration à laquelle nous participons, même en petit nombre, est déjà l'annonce et le signe de cette efficacité mystérieuse du partage, de la prière et du jeune dans l'attente de la résurrection. 

dimanche 15 février 2015

Délivrance !

6e Dimanche du T.O. 15/B 

« Un jour, un lépreux vint trouver Jésus ! ».

Il a bien du mérite, ce pauvre homme, à entreprendre cette démarche !  La première lecture du Lévitique nous le rappelait : ses contemporains l'ont mis "hors société". Non seulement, il est victime d'une pénible maladie, mais pour des raisons où se mêlent confusément mesures sanitaires et superstitions religieuses, il est tenu à l'écart de tout, de la vie de la société, du culte public. Autour de lui, les autres ont dressé d'infranchissables barrières !
« Il se couvrira le haut du visage jusqu'aux lèvres et il criera: "Impur! Impur!" - C'est pourquoi il habitera à l'écart ».

Mais voici que ce lépreux n'accepte plus d'être un "mort-vivant", un "exclu" ; il veut redevenir un homme libre, libre de vivre avec les autres, de retrouver sa dignité et devant Dieu et devant les hommes. - Alors, il décide de rencontrer Jésus.
« Il tombe à genoux et le supplie : "Si tu veux, tu peux me purifier !" ».

Et la rencontre est d'une prodigieuse intensité. Ce malheureux arrive, prisonnier de son mal ; en face, Jésus "pris de pitié devant cet homme", d'un seul geste, va faire tomber toutes ses entraves :
« Jésus étend la main, le touche et dit : "Je le veux, sois purifié" ».

Oui, voilà bien une rencontre qui sauve ! A son terme, les deux interlocuteurs ne sont plus les mêmes :
- Jésus a révélé sa bonté, cette bonté qu'il tient de Dieu, son Père.
- Le lépreux est guéri ; ce mort social, ce rejeté, renaît à la vie. Il ne lui restera plus qu'à se présenter au prêtre qualifié, se rendre au "bureau des constations", si je puis dire. Il a retrouvé la vie, et, comme presque malgré lui, à la face du monde, il va proclamer cette "Bonne Nouvelle".

« Jésus fut pris de pitié devant cet homme ! ».
Même si les exégètes s'interrogent sur la véritable traduction du texte grec, il ne nous est pas interdit de nous demander pourquoi Marc fait mention de cette "pitié" de Jésus.
Oh ! Il ne s'agit pas de mettre un peu d'"émotion" dans le récit, mais bien de nous rappeler que Jésus est venu chez nous pour rendre visible la miséricordieuse pitié de notre Dieu.
St Luc ne dit-il pas au début de son Evangile : « Voilà l'effet de la bonté profonde de notre Dieu : grâce à elle nous avons été visité par l'Astre levant venu d'en haut » c'est à dire par le Christ, Dieu fait homme (Luc 1/78).
Oui, en bravant l'interdit de la Loi et en touchant cet homme impur et excommunié, Jésus veut nous révéler l'infinie Bonté de Dieu pour l'homme.

Certes, ici, le geste du Christ aboutit à une guérison corporelle ; et nous-mêmes, ce matin, en écoutant ce récit de guérison, y sommes très sensibles. Mais n'est-il pas souhaitable d'aller un peu plus loin et de déceler la pureté spirituelle, la rectitude intérieure que Jésus veut nous apporter de la part de Dieu :
« Il s'est donné lui-même pour nous afin de nous racheter de toute iniquité et de purifier un peuple qui lui appartienne, qui soit plein d'ardeur pour les belles œuvres »  (Tite 2/14).

Finalement, Jésus semble accorder peu d'importance au mi­racle ; ce n'est pas une "pièce-maîtresse" de sa "stratégie missionnaire" : « Attention, ne dis rien à personne ! ».
Il veut nous faire comprendre, par cette guérison de la lèpre (qui, chez les Juifs, était attribuée à Dieu seul) que le temps du Règne de Dieu est arrivé, qu'en Lui réside la puissance souveraine de Dieu, capable de tout purifier, de rendre droit ce qui est tordu… :
« Lui parle, ceci est.  Lui commande, ceci existe ! » (Ps 33/9).

Aujourd'hui encore, par les sacrements et notamment l'Eucharistie, Jésus "étend la main" et nous "touche"
Dans la foi, sommes-nous conscients d'être ainsi, par le Christ, mis en relation avec Dieu notre Père tout-puissant qui seul peut nous purifier, nous réhabiliter comme fils de Dieu ? -

Et quelles peuvent en être les conséquences dans notre vie quotidienne ?
 « Une fois parti, le lépreux guéri se mit à proclamer bien haut et à répandre la nouvelle ».
Voilà ce qui fait sans doute (plus que la guérison elle-même) le résultat le plus spectaculaire de la rencontre de Jésus et du lépreux.
Cet homme rejeté, exclu de tout, va pouvoir enfin vivre ! C'est cela la Nouvelle ; et cette Nouvelle va provoquer des bouleversements : autour de lui, tout va s'agiter…; des liens, des solidarités vont se créer, des prises de conscience se révéler.

Bien sûr, dans l'Evangile, apparemment, Jésus va en être la victime. il va être obligé de rester en "des endroits déserts" ; pourtant, ce dynamisme, ce zèle un peu tapageur du lépreux sont remarquables ! Et ils nous interrogent !
Nous avons des rencontres régulières avec le Christ (notre Eucharistie quotidienne ou dominicale en est une) ; mais voyons : sommes-nous si pressés de faire partager aux autres la joie de notre guérison, de notre vie avec le Seigneur ? Nos amis, ceux avec qui nous vivons s'en rendent-ils même compte ?
Sommes-nous si sûrs de n'avoir pas, nous aussi, d'une manière ou d'une autre, à "proclamer et répandre la "Nouvelle", la Bonne Nouvelle de notre Alliance avec Dieu ?

Aussi, réfléchissons dans la Paix, dans l'Espérance. Par l'Eucharistie notamment, nous sommes venus "rencontrer" le Seigneur. Puissions-nous l'entendre nous dire : « Je le veux, sois purifié ! ».   Alors, nous proclamerons dans la joie, spécialement à tous les "exclus" humains ou spirituels - et ils sont plus nombreux que nous pouvons le penser -, nous proclamerons : « Dieu aime les hommes ! ». Quelle "Bonne Nouvelle" ! Evangile : "Bonne Nouvelle ! Dieu nous aime ! Et comme Dieu n'aime pas "en masse", si je puis dire, proclamons que Dieu nous aime, chacun, chacune en particulier !

vendredi 13 février 2015

Défunts !

Sépulture Sr Marie-Grégoire

Au prieuré "La Paix Notre-Dame", il y a eu un évènement particulier : le décès d'une Moniale (âgée), Sr Marie-Grégoire.
J'ai hésité à mettre sur mon "blog" l'homélie de cette circonstance locale. Je le fais cependant pour vous inviter à "communier" avec nos frères défunts !
Prier Dieu pour nos défunts, a-t-on dit, c'est apprendre comme eux à ne plus désirer que Dieu ! Et se recommander à leurs prières, c'est demander pour soi les plus pures grâces de la sainteté !
Victor Hugo écrivait : "Les morts son des invisibles, mais non des absents !", ce qui faisait dire à St Augustin, après le décès de sa mère, Ste Monique : "Je suis convaincu que ma mère reviendra me visiter et me conseiller !".
"Si Dieu nous prend un à un nos amis, c'est pour faire d'eux les étoiles de notre espérance et de notre ciel !" (Cardinal Journet).

"Jésus priait ainsi", nous est-il dit dans l'évangile !
On ne parle pas souvent de la prière de Jésus. Nous regardons surtout Jésus tourné vers les hommes, pour leur parler du Règne de Dieu, pour les guérir, les sauver. Mais Jésus tourné vers son Père, on en parle beaucoup moins. Or Jésus priait ; c’était pour Lui comme une respiration vitale, l'oxygène de sa vie !

Les évangiles le rappellent souvent : Jésus priait seul de grand matin, à l'écart dans un lieu désert, et longuement parfois : "Il passa toute la nuit à prier Dieu", rapporte-t-on souvent.
Jésus prie avant de choisir ses apôtres, avant la profession de foi de Pierre à Césarée et en bien d'autres circonstances. D'après Luc, la Transfiguration a lieu "pendant qu'Il priait". Devant la foi des humbles, Jésus tressaille de joie dans l'Esprit : "Père, je te rends grâce...". Jésus prie encore pour soutenir la foi de Simon-Pierre durant la passion "afin qu'il ne défaille pas". Enfin Jésus prie, comme en agonie, au Jardin des Oliviers, ainsi que sur la croix ; et sa prière est toujours tournée vers le Père : "Que ta volonté soit faite... Père, en tes mains, je remets mon esprit".

A lire attentivement les évangiles, on peut dire que Jésus priait constamment. Et cela a beaucoup frappé les apôtres ; l'ayant vu une fois prier ainsi longuement, ils lui ont demandé : "Maître, apprends-nous à prier" ; et vous connaissez la réponse de Jésus : "Quand vous priez, dites : "Notre Père..."

Il me plaît de souligner cette caractéristique de Notre Seigneur, car celle qui nous rassemble ce matin nous redit à sa manière l'importance de prier avec le Christ, comme lui. Sr Marie-Grégoire, avant même son entrée au monastère, avait découvert la grandeur de la prière, de la prière chantée, et particulièrement de la prière du chant grégorien. Et pour elle, ce fut un honneur et une mission que de recevoir, au jour de sa vêture, le beau nom de Sr Marie-Grégoire, nom du pape Grégoire qui fut, selon la tradition, à l'origine du chant grégorien.

Oui, toujours, ici comme sur son lit d'hôpital où je l'avais rencontrée et jusqu'à ses derniers moments ici-bas, elle manifesta l'importance de la prière chantée ou solitaire.
Car sans cette relation à Dieu que manifeste la prière, la vie perd facilement son sens ; sans cette dimension verticale de la relation à Dieu, la relation horizontale avec les hommes est souvent ternie, voire anéantie. La vraie prière loin de nous retirer du monde nous fait communier intimement à l'amour sauveur de Dieu pour tous les hommes.

Ainsi donc, Jésus priait tout au long de sa vie. Mais Jean est le seul évangéliste à nous faire pénétrer un peu plus dans cette prière de Jésus, notamment en cette heure où il allait passer de ce monde à son Père. En cet instant suprême où il se sait trahi, condamné, perdu, comment Jésus prie-t-il ? Est-ce qu'il pense à lui ? Pas du tout ! C'est à nous qu'Il pense, à nous ses disciples : "Père saint, garde-les, garde-les dans la fidélité".
C'est tout le sens apostolique d'un monastère, de la vie d'une Moniale. On ne rentre pas au monastère pour mener une vie centrée sur soi-même. On entre au monastère pour sans cesse se tourner vers Dieu et lui confier tous les hommes.
Le moine, la moniale, le chrétien lui-même doit avoir un cœur de "veilleur, d'"éveilleur". Il doit être un "Grégoire", beau prénom des premiers siècles chrétiens qui signifie "veiller" ("gregorein" en grec). Etre une lampe qui brille par son union à Dieu et ainsi manifester le souci de veiller pour ses frères ! Ce fut certainement le souci de Sr Marie-Grégoire !

Après avoir célébré la Cène, Jésus confie à son Père tous ceux qui croient en Lui, et pour eux, Il demande trois choses, trois grâces : "Garde-les dans la fidélité à ton nom ; qu'ils soient un comme nous sommes un ; qu'ils aient en eux ma joie".
Comme elle est grande la prière de Celui qui va mourir ! Son regard porte loin, son amour se donne entièrement. La prière de Jésus après la cène est un testament d'amour, c'est la prière du souverain-prêtre pour son Eglise. Jésus y récapitule toute son œuvre, tout ce qu'Il a fait pour les hommes quand il était avec eux : "J'ai veillé sur eux ; je leur ai fait don de ta parole ; je les gardais dans la fidélité ; je les ai envoyés dans le monde." - "Et maintenant, je viens vers Toi, Père...". Jésus nous confie tous à Dieu : "ils ne sont pas du monde pécheur, pas plus que moi ; mais en ce monde, garde-les du Mauvais. Je les ai envoyés dans ce monde pour qu'ils soient témoins de la vérité. Ta parole seule est vérité".

Avant de parler aux hommes, de les rencontrer, avant d'agir et de poser des signes de salut, Jésus se tournait vers son Père ; son cœur se remplissait de l'amour infini de Dieu pour les hommes. Et au soir de ses journées comme au soir de sa vie, Jésus se tourne vers son Père pour lui confier les hommes qu'il aime.

Avec foi, laissons-nous rejoindre, aujourd’hui, par cette prière de Jésus : Père, garde-les fidèles, qu'ils soient unis, qu'ils aient en eux ma joie. Cette prière est pour nous source de force, d'espérance et d'amour. A la suite de Jésus, que notre prière se tourne ainsi vers le Père pour tous les hommes de ce monde pécheur où Il nous envoie, d'une manière ou d'une autre, pour être ses témoins.
Aujourd'hui, certains semblent oublier Dieu ; d'autres ont renié la foi de leur baptême ; d'autres encore ont trahi, comme Pierre, comme Judas : Mais Jésus nous a tous pris, il a pris tous les hommes, sans exception, dans sa prière. Que notre prière, de même, ne laisse de côté aucun de ceux qui nous entourent, mais les présente tous au Père, au nom de son Fils, qui pour eux tous a donné sa vie. N'est-ce pas le sens d'une vie consacrée à Dieu ? Je crois que Sr Marie-Grégoire avait bien conscience de son rôle apostolique, par la prière surtout.

Car Jésus prie, lui, pour que nous soyons tous sanctifiés. Devenir des saints, voilà qui nous paraît impossible... Or, être saint, c'est vivre comme Jésus. Et nous savons que la prière de Jésus et sa présence de Ressuscité nous aide pour vivre du même Esprit que Lui. Au milieu de ce monde, de ses misères et de ses réussites, les disciples de Jésus que nous sommes doivent être l'âme du monde. Et c'est chacun et chacune de nous qui sommes appelés à cette sainteté, à cette conformité avec Jésus Christ, à cette reconnaissance de l'Amour du Seigneur pour tous les hommes, pour tout homme quel qu'il soit.
St Marie-Grégoire avait ce souci pastoral principalement auprès de ceux et celles qu'elle rencontrait en tant qu'hôtelière du monastère. Elle devait ressentir ce grand désir du Christ : Garde-les dans la fidélité à ton Nom - Qu'ils soient un comme le Christ l'a voulu et qu'ainsi il aient en eux la joie !

En faisant mémoire de Sr Marie-Grégoire, ayons le souci qu'elle manifestait au jour de sa profession religieuse : "Benedicam Dominum in omni tempore ; semper laus ejus in ore meo" - "Je bénirai le Seigneur en tout temps ; que sa louange soit toujours en ma bouche".
A l'exemple de la Vierge Marie, sa vie fut finalement un long "Magnificat", à l'exemple de Marie qu'elle vénérait depuis sa naissance, depuis son enfance à Lyon, près du sanctuaire Notre-Dame de Fourvière.

Que Notre-Dame introduise désormais Sr Marie-Grégoire en la gloire divine d'où elle continuera à "veiller" sur nous tous !


lundi 9 février 2015

Silence ! Prière !

10 Février   -        Ste Scholastique

Sainte Scholastique (480-543) !
Sainte Scholastique était la sœur de saint Benoît.
Suivre son frère dans la solitude et la vie monastique était son unique aspiration.

Elle se consacra à Dieu dès sa plus tendre jeunesse, et elle se rapprocha de son frère, quand il se fut établi au Mont-Cassin, afin de profiter de ses leçons et de ses exemples. 
Saint Benoît rencontrait alors sa sœur une fois par an. Ils se retrouvaient à mi-chemin de leurs lieux d'habitation.
Leur dernier entretien est resté célèbre. Scholastique avait eu prémonition de sa mort. Elle voulut donc passer toute la nuit à échanger avec son bienheureux frère sur les joies de la Vie avec le Seigneur.

"Voici un cas, dit St Grégoire non sans humour, me semble-t-il, où le vénérable Benoît ne put faire ce qu'il voulait.
Sa sœur Scholastique, consacrée à Dieu dès son enfance, avait coutume de venir le voir une fois l'an. Ils passèrent la journée entière dans la louange de Dieu et les entretiens spirituels, puis... Scholastique fit cette demande à son frère :
- Je t'en prie, ne me quitte pas cette nuit ; parlons jusqu'au matin des joies de la vie éternelle.
- Que dis-tu là, ma sœur ? répondit Benoît. Il m'est impossible de passer la nuit en dehors du monastère !
Mais la moniale, sur le refus de son frère, joignit les mains sur la table et s'inclina pour prier Dieu. Quand elle releva la tête, il se fit un tel fracas d'éclairs et de tonnerre, un tel déluge de pluie, que ni le vénérable frère Benoît, ni les frères venus avec lui ne pouvaient mettre un pied dehors. La moniale, en inclinant la tête, avait répandu sur la table un torrent de larmes qui avait changé en pluie la sérénité du ciel.

L'homme de Dieu, au milieu des éclairs, du tonnerre et de l'inondation, vit qu'il ne pouvait revenir au monastère et, contrarié, se plaignit à sa sœur :
- Que le Dieu tout-puissant te pardonne, ma sœur, qu'as-tu fait ?
- Je t'ai prié, répondit Scholastique, tu n'as pas voulu m'entendre ; j'ai prié mon Seigneur et il m'a entendue. Mais va, sors si tu peux, laisse-moi et rentre au monastère.

Lui, cependant, ne pouvait quitter l'abri. Il n'avait pas voulu rester de bonne grâce, il resta malgré lui. Toute la nuit ils veillèrent donc ensemble, parlant de Dieu, et goûtant la joie de cet échange spirituel. 
Le lendemain, la sainte femme revint à sa cellule, et l'homme de Dieu au monastère. Mais voici que, se trouvant dans sa cellule, trois jours plus tard, il leva les yeux au ciel et vit l'âme de sa sœur, détachée de son corps, pénétrer les profondeurs du ciel sous l'apparence d'une colombe".


Au-delà du récit plus légendaire qu'historique, propre à l'hagiographie du temps, St Grégoire veut transmettre quelques recommandations utiles pour tous les temps, et le nôtre particulièrement ! Comment ne pas nous rappeler, aujourd'hui, quelques paroles de la "Règle de saint Benoit" qui gardent toujours leur actualité dans l'Eglise et qui sont valables pour tous, quelle que soit notre vocation et notre fonction ?

- D'abord la valeur du silence. C'est sans doute ce que St Benoît voulait signifier à sa sœur Scholastique, alors même que le Seigneur accordait au frère et à la sœur de prolonger leurs entretiens spirituels jusque dans la nuit. St Benoît écrira dans sa Règle : "Quelquefois nous devons éviter de parler, même pour dire des choses bonnes. Et cela, par amour du silence... !" - Quant aux plaisanteries, les paroles inutiles..., nous les condamnons partout et pour toujours !". (ch 6).  
Oui aimer le silence ! Jean Tauler dira : "Si tu parles, le Verbe se tait... Ecouter et se taire, c'est ainsi qu'on va au-devant du Verbe !".   Tant il est vrai que le silence est le fondement de l'union à Dieu. "Le langage que Dieu entend le mieux n'est que silence d'amour", disait St Jean de la Croix !  Car "en amour, un silence vaut mieux qu'un langage !" - Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre. Nous sommes pleins de choses qui nous jettent dehors !" (Pascal).  Oui aimer le silence ! Oh ! certes, le silence n'est pas l'amour, mais il est une précaution pour l'amour ! De toute façon, sachons-le : en tout homme se trouve une part de solitude qu'aucune intimité humaine ne peut remplir. Mais justement, c'est là que Dieu nous attend pour mieux le rencontrer !

- Et le silence est le berceau de la prière ! "Quand nous supplions le Seigneur, le Dieu du monde entier, nous devons le faire avec...humilité et respect", dira St Benoît. Avec humilité et respect, silencieusement !
Tous, dans l'Eglise, à la suite de sainte Scholastique, nous sommes invités - comme nous le rappelle la prière liturgique de la fête - "à servir le Seigneur avec une charité sans défaut et à goûter la douceur de son amour". Cette "Douceur de Dieu" nous l'éprouvons en particulier dans la prière !         
Pour nous, chrétiens, la prière n'est jamais du temps perdu, un temps inutile ou improductif même si les devoirs qui nous sollicitent de toutes parts sont importants ; sans cet "oxygène de la prière" nos vies sont en définitive vides, creuses ou tournent sur elles-mêmes ! "Il n'y a pas de travail supérieur à celui de prier le Seigneur", dit un apophtegme.
"Parfois - disait naguère le Pape Benoit XVI -, nous nous lassons de prier, nous avons l'impression que la prière n'est pas si utile à la vie, qu'elle est peu efficace. C'est pourquoi, nous sommes tentés de nous consacrer à l'activité, d'employer tous les moyens humains afin d'atteindre nos objectifs, et nous n'avons pas recours à Dieu... !
Nous ne devons jamais désespérer, mais persévérer toujours dans la prière...
Si un homme ne croit pas en la Bonté de Dieu, il ne peut pas prier de manière vraiment adaptée.
La Foi est essentielle comme fondement de l'attitude de la prière".(1)

Nous avons tous besoin de cultiver une relation régulière avec le Seigneur qui est venu pour que nous ayons la Vie en abondance : en cela, la prière fidèle, persévérante, régulière nous permet de nous recentrer sur le Seigneur, sur sa Parole et sa présence sacramentelle. Etre devant le Seigneur ! Peut-être que celui qui prie vraiment ne fait finalement qu'écouter. "La prière, disait Simone Weil (la philosophe) est la plénitude de l'attention". L'important dans la prière "n'est pas de penser beaucoup, mais d'aimer beaucoup !", disait Thérèse d'Avila. "Je ne lui dis rien (à Dieu), disait encore Ste Thérèse de Lisieux, je l'aime !". Le Curé d'Ars ne disait pas autre chose.

Sainte Scholastique, priez pour nous, pour nous tous afin que nous sachions prendre dans notre vie le temps de nous relier au Seigneur, Lui, le Dieu du monde entier, que tu as aimé, servi et chanté intensément !
Que dans la prière ou le travail qui nous incombe, nous ne recherchions qu'une seule et même chose : glorifier Dieu par toute notre vie !

(1) Benoit XVI. Homélie du dimanche 17 octobre 2010.

dimanche 8 février 2015

Souffrance de l'Innocent !

5e Dimanche du T.O. 15/B  

Le problème de la souffrance en général, le problème de la souffrance imméritée, celle des innocents, est l'un des plus angoissants qui se pose à l'esprit humain. On ne saurait y apporter de réponses simples, péremptoires.
Et ce problème se complique, pour le croyant, du fait qu'il met souvent Dieu lui-même en cause : S'il n'est pas responsable de la souffrance, comment peut-il la permettre et laisser le juste souffrir ? C'est le sujet du Livre de Job.

La réflexion se développe à partir d'un vieux conte populaire oriental. Job, homme juste comblé d'honneur et de richesses, se voit accablé de tous les malheurs : il perd enfants et ses biens tout à la fois ; lui-même, frappé d'une maladie hideuse, se trouve réduit à l'état de mendiant misérable. Pourquoi ? Mais pourquoi donc ?

Par la bouche de ses amis, on entend alors toutes les explications habituelles : Ou bien Dieu t'a châtié pour tes péchés, ou bien il t'a injustement abandonné. Dans ce dernier cas, comment, lui dit-on, ne pas te révolter et maudire ce Dieu qui s'est cruellement moqué de toi ? La résignation est une attitude indigne d'un homme sensé ; elle est même dégradante.

Dans le passage que la liturgie a retenu pour aujourd'hui, l'auteur brosse un tableau particulièrement sombre de la condition de l'homme sur la terre. Sa vie est "une corvée" accomplie sans joie, dont il n'y a rien à attendre sinon la paye quotidienne qui permet de subsister.
Pire encore : c'est une existence d'esclave qui n'aspire qu'à "un peu d'ombre" pour bénéficier de quelques instants de répit au cours de sa pénible journée de travail. La nuit elle-même est marquée par la souffrance. A peine couché, il songe au travail qui l'attend le lendemain. Les cauchemars, l'angoisse troublent son sommeil.
Et où tout cela mène-t-il ? A rien ! Demain le fil de la vie sera tranché : comme celui de la navette que le tisserand déplace rapidement sur la longueur de la trame, d'une lisière à l'autre de la pièce d'étoffe qu'il confectionne. Quand il n'y a plus de fil dans la navette, on la remplit à nouveau et le mouvement reprend avec un autre fil qui, lui aussi, sera bientôt épuisé.

Comment Dieu regarde-t-il tout cela ? "Souviens-toi, Seigneur, termine notre texte d'aujourd'hui, souviens-toi : ma vie n'est qu'un souffle, mes yeux ne verront plus le bonheur". Ce n'est pourtant pas là un cri de révolte. Plutôt la plainte, entre le désespoir et l'espérance, la plainte d'une humanité qui ose à peine se tourner vers Dieu pour lui rappeler son néant et sa souffrance. Ce sont de tels messages - adressés à Dieu ou aux hommes, qui pourrait le dire ? - qu'on lit parfois dans le regard d'enfants exténués, qu'on trouve sur des photographies d'hommes et de femmes soumis à une vie d'esclaves dans des pays déshumanisés, dans des régions de mort ! Aujourd'hui encore !

Le pessimisme de Job paraîtra exagéré à ceux dont la vie, malgré ses difficultés et ses peines, reste traversée d'assez de lueurs ou même de rayons de soleil pour raviver le courage et l'espérance contre toute espérance. Ceux-là ne peuvent pas faire leurs les déchirantes lamentations de Job. Mais il faut les laisser retentir en soi, ces lamentations, car elles portent jusqu'à nous l'écho de la vie sans horizon d'une foule de frères et de fils de Job qui, près de nous peut-être, dépérissent, comme lui, aux portes des villes, sans qu'on s'en rende compte !

A l'époque où le Livre a été rédigé, la perspective d'une autre vie était encore confuse. Mais aujourd'hui encore, il serait malvenu si, pour consoler Job, l'encourager dans son épreuve, on se contentait de lui dire : "Songe au ciel, à la récompense que te vaudront tes intolérables souffrances d'aujourd'hui ! - Patience, tu auras un avenir florissant !". De telles paroles, le poème les met dans la bouche des amis de Job ! Ces beaux discours qui lui paraissent leçons apprises par cœur ne peuvent apporter le moindre soulagement à ses plaies : au contraire, elles en sont douloureusement, tristement irritées.
Naguère, le cardinal Pierre Veuillot disait sur son lit d'hôpital : "Nous savons bien faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même, j'en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n'en rien dire : nous ignorons ce qu'elle est. J'en ai pleuré !".
La certitude d'une rétribution céleste n'est pas, seule, une réponse satisfaisante au problème de la souffrance qui reste un scandale, surtout quand elle frappe des innocents. Car c'est dès maintenant qu'il nous faut travailler, à l'exemple du Christ, à soulager, guérir ceux qui n'en peuvent plus ! St Jacques ne disait-il pas : "Si un frère n'a pas de quoi manger tous les jours et que l'un de vous leur dise : "Allez en paix, mettez-vous au chaud et bon appétit !", sans que vous leur donniez de quoi subsister, à quoi bon ? Votre foi est alors une foi morte !" (Jc 2.15). Nous ne mesurons pas suffisamment la force de ces paroles de l'Ecriture !

Un écrivain (Dostoïevski), un Job de notre temps, affirmait : "Je me refuse à accepter cette harmonie supérieure (comme une rétribution céleste à la souffrance). Je prétends qu'elle ne vaut pas une larme d'enfant, une larme de cette petite victime qui se frappait la poitrine et qui priait le "bon Dieu" dans son coin infect ; non, elle ne les vaut pas. Tant qu'il en est ainsi, il ne saurait être question d'harmonie.
Les bourreaux souffriront en enfer, me diras-tu ? Mais à quoi sert ce châtiment, puisque les enfants aussi ont eu leur enfer ? D'ailleurs, que vaut cette harmonie qui comporte un enfer ?
Et si la souffrance des enfants sert à parfaire la somme des douleurs nécessaires à l'acquisition de la vérité, j'affirme d'ores et déjà que cette vérité ne vaut pas un tel prix.
Je ne veux pas que la mère pardonne au bourreau ; elle n'en a pas le droit. Qu'elle lui pardonne sa souffrance de mère, mais non ce qu'a souffert son enfant déchiré par les chiens. Quand bien même son fils pardonnerait, elle n'en aurait pas le droit...
Je veux le pardon, le baiser universel, la suppression de la souffrance.
Y a-t-il au monde un être qui aurait ce droit et ce pouvoir ?...  Oui, cet Etre existe. Il peut tout pardonner, tous et pour tout, car c'est lui qui a versé son sang innocent pour tous et pour tout. Tu l'as oublié, c'est lui la pierre angulaire de l'édifice, et c'est à lui de crier… " (1)

Lui seul peut dire, et nous en lui, comme l'affirme le psaume 31ème : "Bénissons le Seigneur : il guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures. Le Seigneur élève les humbles et rabaisse jusqu'à terre les impies". Il l'a fait en Jésus et veut toujours le faire par l'intermédiaire de ceux qui confessent le Nom de Jésus. C'est le gage de l'harmonie céleste que le Christ a proclamée par sa résurrection !

A l'heure de la souffrance - la sienne et encore plus celle des autres - il faut se taire en levant les yeux vers le Christ. Il n'explique pas le mal, la souffrance. Il la prend en pardonnant. Et en la prenant, il en donne un sens.
Telle est la Lumière de notre foi en le Christ pascal. Lui, l'Innocent, le Juste qui connaît la souffrance pour avoir assumé librement mais douloureusement celle de tous les hommes, a pardonné à ses bourreaux. Et il peut, lui, s'adresser au Père qui a permis que son propre Fils meure afin que, "par ses blessures, nous soyons guéris" (Is 53,6). Un seul donne un sens à notre vie souffrante. C'est lui que nous bénissons, et non la souffrance dont il a saisi, dans son offrande, "le poids perdu", comme l'affirme une hymne :
"Le Fils de Dieu, les bras ouverts,
A tout saisi dans son offrande,
L'effort de l'homme et son travail,
Le poids perdu de la souffrance".  (Hymnaire de la Liturgie des Heures)

Oui, nous pouvons, nous devons proclamer cette affirmation de foi à propos du mal, de la souffrance. Oui, nous pouvons..., mais - redisons-le encore - à une seule condition : que nous ayons nous-mêmes en notre cœur les sentiments qui animaient le cœur du Christ jusque sur la croix : "sentiments de compassion, de bienveillance, de douceur, de patience... Et par dessus tout l'amour qui est le lien parfait" (Col 3.12 sv). Cet amour divin qui, par nos mains, peut aujourd'hui soulager, guérir et abolir les souffrances injustes... Et cela, même en nos communautés familiales, paroissiales, religieuses. C'est ce vœu que formulait dernièrement le pape François aux religieux, religieuses. Il s'agit, disait-il, de renouveler nos vies par une vraie charité ! Oui, que l'on ne puisse plus, ici ou ailleurs, répéter ce dicton ancien : "Maison de piété ! Maison de peu de charité !". Car c'est l'Amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ et que leur Esprit commun nous donne qui sauve le monde ! Rien d'autre !

(1) : Dostoïevski : Les Frères Karamazov