17ème
Dimanche du T.O. 15/B
On
peut faire plusieurs erreurs de perspective à propos de l’évangile
d’aujourd’hui !
L'erreur
première serait de crier “au miracle” et d'en être tellement irrité (c'est tellement
irrationnel !) ou séduit (comme c'est beau !) que nous serions
exactement dans la situation des juifs qui veulent faire de Jésus leur Roi ; un
Roi thaumaturge, extraordinaire... Alors Jésus s'enfuit !
La
seconde erreur - inverse et plus fréquente - est celle de ceux qui diront, deux
jours plus tard : “c'est intolérable, qui
peut entendre cela ?”
Et
pourtant, cet épisode de la multiplication des pains est tellement important
dans l'Evangile de Jean qu'il constitue le point de départ d'un long discours. C'est
un signe (comme dit souvent St Jean) que Jésus accomplit. Un signe
qu'il faut bien comprendre et bien lire.
Il
ne s'agit pas pour Jésus de déclencher l'enthousiasme des foules. Ni de
provoquer, en le heurtant, le sens pratique et technique de ses auditeurs.
C’est plus important que cela ! Il veut nous amener à confesser la Foi,
celle qui fait dire à Pierre : “A qui
irions-nous Seigneur ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle”.
[Un geste de partage, né d'un regard]
Ce
qui est premier - et que nous commente merveilleusement le texte à propos
d'Elisée -, c'est le regard de Jésus. Il voit la foule qui le suit, qui
a contourné le lac pour l'écouter et l'écouter encore. Une foule affamée, et
démunie. Il lit la fatigue et la faim sur les visages !
Combien
de fois regardons-nous sans voir ? Combien de fois voyons-nous sans remarquer.
Car “on ne voit bien qu'avec le cœur”.
Nous savons que deux tiers de l'humanité meurt de faim, et, dans notre
inconscience, nous n'imaginons même pas de pouvoir porter le fardeau de la
faim, du sous-développement des autres. Jésus, Lui, voit. Et il provoque
ses disciples à voir comme lui. Mais comment faire pour donner à manger à
cette foule ?
Et
ne disons pas trop vite que les disciples ne voient pas. Il s'en trouve un,
André, pour remarquer un enfant qui possède cinq pains d'orge et deux poissons.
André commence à voir. Même si ce qu'il voit le désespère : “qu'est-ce que cela ? pour tant de monde ?”.
Cependant,
André commence à voir, mais il ne croit pas encore à ce qu'il voit. Il
n'imagine pas ce que peut donner la libéralité de Dieu quand une étincelle
jaillit dans le cœur d'un enfant et surtout d'un enfant de pauvres. Il n'y a
rien de plus riche que le don d'un pauvre. C'est pourquoi, de riche qu'il
était, Dieu, en Jésus, s'est pauvre pour sauver les pauvres que nous sommes
tous !
[Un
partage né d'un enfant]
Et
pourtant, Jésus l'avait bien dit : “si
vous ne devenez pas semblable à un petit enfant, vous ne verrez pas le Royaume
de Dieu”. Cet enfant, avec sa petite fortune alimentaire est un point
de départ possible. Une espérance pour le Royaume. Il suffirait que, dans cette
foule, l'enfant desserre ses mains, ouvre ses pauvres trésors. Qu'il ne garde pas
pour soi : mais qu'il donne !
Et
c’est ce qui se fait : Jésus prend les pains des mains de l'enfant. On ne
peut imaginer Jésus prendre de force ! Lui qui dit toujours : “Si tu veux ...”. Non, ces cinq pains
d'orge et ces deux poissons, l'enfant les donne. Et voilà que tout devient
possible... La foule ne cesse pas de se passer de mains en mains ces éléments
d'un repas de pauvres. Et il en reste.
Regardons !
Retenons bien ! Il a suffit qu'un petit, qu'un pauvre desserre ses mains,
et le partage devient possible. Aux dimensions de la libéralité de Dieu.
Au point, encore une fois, qu'il en reste. Car Dieu ne lésine pas quand l'homme
consent à vivre la première béatitude : celle de la pauvreté qui partage.
[C'était
avant la pâque...]
Et
puis, vous l'avez remarqué : Jean note que cela se passe “avant la Pâque”. C'est par les mêmes mots qu'il marquera
les derniers jours de Jésus, quand Il montera à Jérusalem, pour partager le
pain du repas pascal avant d'accomplir ensuite sa Pâque, cette vraie
Pâques qui nous permettra de partager le Pain du Royaume de Dieu.
Ainsi,
au moment du partage du pain, il soulignera en lavant les pieds de ses
disciples, que le partage fraternel est indispensable pour "avoir part avec lui" (Jn
13.8) au repas du Royaume de Dieu". Pour Jean, le service des
frères, le partage entre frères sont les "signes" du Royaume de Dieu,
de l'Eucharistie (dont Jean ne raconte
pas l'institution) ; l'Eucharistie, signe pascal du pain partagé pour le salut
du monde !
Cette
seule expression “c'était avant la Pâque”,
annonce l'intention de Jean : il veut nous parler de l'Eucharistie que nous
célébrons chaque dimanche. Il veut nous rappeler que célébrer l'Eucharistie
n'est rien si tout ne commence pas, en nos vies, comme la multiplication des
pains, par un regard attentif et efficace sur les besoins qui nous
entourent.
Toute
eucharistie débute, normalement, par cette attention, ce regard interrogatif : “que pourrions-nous faire ?”
Tout
commence par un geste d'enfant qui partage son goûter, ses maigres
provisions. Comme si Jésus nous disait : et toi, qu'as-tu à partager avec tes
frères, puisque moi, je vais partager... ma vie ?
Partage
des biens matériels, évidemment !
Mais
bien davantage le partage de toutes les richesses qui constituent notre vie :
-
le petit bout de pouvoir que nous détenons les uns sur les autres, même dans
une même famille ;
-
le partage de cette qualité qui est nôtre et qui nous rend attentifs aux
autres, mais que nous cachons parfois pour n'être pas dérangés ;
-
le partage, c'est encore tout ce que nous savons bien et que nous gardons,
serré en nous-mêmes, terré en nous-mêmes.
Comment,
alors, faire Eucharistie, puisqu'elle commence par le partage ?
[Les gens disaient...]
Nous
pensons facilement que le partage prend du temps, des forces, un peu de nous
mêmes ; nous pensons que ce partage va nous diminuer, nous empêcher de vivre.
Mais
regardons la foule.
Elle
s'émerveille de ce qu'elle a été capable de faire.
Elle
s'émerveille du Christ,
Elle
apprend à rendre grâce dans la joie.
Elle
apprend à vivre au rythme de Dieu.
Dans
le partage, par le partage, elle a fait l'expérience de ce qu'en rompant sa
vie, en ne la gardant pas pour soi, on s'enrichit de la pauvreté de Dieu qui dépasse
tous les biens.
Mais,
évidemment, le “Malin” est toujours là pour nous tromper comme il a trompé les
auditeurs de Jésus. Ils veulent l’enlever pour le faire Roi. Alors, il se
dérobe et se retire, seul dans la montagne.
C'est
encore là une leçon de vie, car on pourrait se croire "quelqu'un"
quand on a, une fois seulement, commencé à regarder pour voir, à écouter pour
entendre, à partager vraiment. On pourrait se croire chrétien bien comme il
faut. Alors, il est urgent de se retirer dans la solitude et de se confronter
avec la libéralité de Dieu qui donne comme il respire. Au-delà des attentes.
Car
c'est cela la prière de Jésus : quand Il a provoqué à la pauvreté, quand il a
enseigné à un enfant à se dessaisir de ce qu'il tient, Jésus ne cherche pas
autre chose que son Père. Il ne cherche aucune gloire humaine. Il ne cherche
que la gloire de Dieu... qui donne éternellement !
[L'Eucharistie
: école de pauvreté]
Et
c'est tout cela notre Eucharistie de chaque dimanche. Un apprentissage du don,
du partage, de l'écoute tant de Dieu que des attentes des hommes. Et une école
de pauvreté. Que faisons-nous, en réalité, en rendant grâce ? Nous disons au
Père, en Jésus, que ce que nous avons été capables de faire vient de Lui.
De Lui seul ! Et que nous lui rendons grâce de ce que son Esprit,
en nous, a été plus fort que nos accaparements.