dimanche 29 novembre 2015

Apocalypse Now !

1er Avent 15-16 C

La question de l’Apocalypse, de la “fin du monde”, c’est-à-dire, finalement, la question du sens de l’Histoire et donc du sens de notre propre existence, est une question constante.
Oui, question constante même en notre Occident sceptique, plus ou moins agnostique ; question constante de l'homme qui toujours va s'interrogeant sur lui-même.

Oui, interrogation permanente ! Car regardons :
- ce sentiment d'appartenir à un monde incapable de se donner un sens ;
- ce constat que si la technique se poursuit, les civilisations, elles, meurent;
- cette vision globale du monde où la cohérence semble nous échapper ;
- cette tentative perpétuelle d'anticiper un avenir possible sans aucune assurance pour demain ;
- cette lucidité qui s'épuise à constater l'écroulement de nos espoirs en ruminant avec nostalgie l'intelligence des mondes passés… etc.
tout cela, n'est-ce une manière plus ou moins consciente de proclamer l’Apocalypse, tout en se posant la question fondamentale du sens de l’Histoire, de notre histoire ?

Non, le discours du Christ ne parle pas de choses absurdes dont nous pourrions faire l'économie en fermant pieusement cette page d’évangile au langage quelque peu voilé, abscons.
D'autant que l’homme, lui, n'écoutant pas la voix du Christ, ne cesse pas de se fabriquer ses propres “apocalypses” imaginaires ou, hélas, réelles : celles, inventées, des bandes dessinées d’aujourd’hui et celles, bien concrètes, des folies sanglantes et absurdes qui prétendent anticiper un avenir merveilleux, quitte à le déclarer, le lendemain, n’avoir aucun sens.

Pourtant, le Christ, lui, veut répondre à cette question du sens de l’Histoire, de notre propre histoire, de notre existence, mais sans accepter pour autant les termes de notre questionnement...

Ce que le Christ nous dévoile, c'est une image de notre vocation personnelle dans le destin collectif de l'humanité.
Et, tout d'abord,
- il faut accepter que cette image donnée par la Parole de Dieu provoque, en nous, un ébranlement des cohérences humaines que l'on recherche pour notre vie, en nous plaçant devant le Ressuscité, le Vivant par excellence !
- Il faut accepter que, devant lui, nous soyons sans cesse partagés de sentiments contradictoires : obscurité et lumière, péché et grâces, joie et peur tout à la fois.
- Il faut accepter de ne pas éclaircir ces textes comme on résout un problème avec un ordinateur.

Alors, seulement, nous pourrons entendre cette phrase qui se trouve au centre du discours du Christ : "Amen, je vous le dit : cette génération ne passera pas sans que tout cela n’arrive. Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas !”

St Luc rapporte ces propos de Jésus à une date plus tardive que celle des autres évangélistes, probablement après la ruine de Jérusalem, en 70. S'il les rapporte, c'est que ces propos ont un sens. Signifient-ils que les contemporains de Jésus ne mourront pas sans voir le bouleversement du ciel et de la terre et de la mer ? Manifestement ce n'est pas arrivé ! Il y a donc un sens plus simple à trouver !

Déjà, au temps de Notre Seigneur (comme en notre temps),
- même quand le désir d’une intervention divine se faisait suppliante (et cela nous arrive),
- même quand le désordre politique ou social provoquait des fuites soudaines et brutales, des émigrations, comme pour les parents de St Paul, par exemple, émigrants à Tarse (et cela arrive en notre temps)
- même quand il y avait des flambées d'espérance grâce à l’émergence d’un sauveur quelconque, etc.,
l'expérience religieuse savait bien, elle, qu'une “génération”, c'est un temps de l'histoire, un temps de l'humanité dont la clôture n’appartient pas à l'homme.

Et cette “génération”, mais c’est toujours la nôtre, au sens où, de fait, Jésus ouvre et ferme l'histoire, notre propre histoire d’aujourd’hui, à chacun de nous ! C'est ce temps-ci de notre histoire, ce temps auquel nous avons à faire face. Et “les paroles” de Jésus “qui ne passeront pas” sont destinées à nous permettre de tenir bon en ce temps-ci de l'histoire, en notre génération, et de remplir au mieux le rôle qui est le nôtre comme disciples de Jésus, au milieu des cataclysmes qui nous arrivent !

Ainsi ces paroles de Jésus décrivent surtout la manière dont nous devons nous situer en notre monde d’aujourd’hui, parfois si désespérant.
- Or, souvent, nous passons notre temps à vouloir construire par nous-mêmes comme une harmonie secrète entre nos propres vies et les hommes qui nous entourent, entre ciel et terre, en suppliant Dieu que notre univers soit sûr et solide.
- Nous passons notre temps à nous désirer un temps et un univers où les puissances d'En Haut, - bénéfiques, naturellement ! - nous assureraient un monde bien fait, un bonheur donné et assuré.
- Nous passons notre temps à succomber à la frayeur de voir que ce monde qui, selon nous, devrait être sûr, solide et rempli de bonté, est pourtant fissuré et déchiré par la présence de la mort... etc.
Et ainsi, chacun de nous fait l'expérience que les puissances du ciel - du ciel qu'il s'imagine - sont ébranlées.

Et cela est vrai pour tout homme
- quand s'écroule son univers et qu'il découvre qu'il est seul face à son propre passé,
- quand il découvre qu'il n'y a plus de référence au moment où la mort, celle de ceux qu’il aime et la sienne propre, déchire la sécurité d'un monde qui devrait être immortel et immuable.
Oui, le ciel et la terre et les puissances des cieux sont ébranlés chaque fois que s'accomplit l'irréversible d'une vie - gâchée ou réussie, qu'importe - puisque, de toutes façons, c'est une page qui se tourne.

Or ce monde que l’on désire si cohérent humainement,
- c'est un fantasme que l'homme se crée,
- c'est la manière imaginaire dont l'homme divinise son existence,
- c'est une façon d'appeler à son propre secours ciel et terre pour que tout l’univers soit à son propre service.
Et quand il constate que ce monde s'ébranle, il a peur. Et il dit que ce monde s'en va, que les temps sont finis, qu'il va y avoir la guerre, car ce monde n'est pas juste et il faut le casser.
Et il dit que si Dieu existait, les choses ne se passeraient pas ainsi, qu'on ne peut plus croire à rien ! Il y avait un âge d'or, et il n'y a plus d'âge d'or. Et les hommes sèchent de frayeur ou s'enferment dans le scepticisme.

Et Jésus, lui, de nous dire : N'ayez pas peur ! "Redressez ;-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche !”.
Jésus veut traverser tous nos fantasmes, tous les fantasmes d'une fausse sécurité, et les fantasme de nos frayeurs païennes, pour nous donner non pas une autre vision qui se substituerait à la nôtre, mais une attitude de foi, cette foi qui nous fait traverser toute espérance illusoire et toutes craintes comme des disciples qui osent se relever debout devant Dieu, dans l'espérance de voir venir à lui le Christ qui a traversé la mort, le Christ ressuscité, toujours vivant !

Alors, vous, dit Jésus, veillez, car vous savez qu'en ce temps-ci est proche le règne de Dieu, votre délivrance, l'été de Dieu.
Vous êtes, en ce monde-ci avec ses frayeurs, les témoins d'une autre liberté et d’un autre été qui germe et qui vient.
Et même si vous échappez à la peur, vous connaissez aussi toutes les ruses du démon : n’allez pas vous endormir dans l'insignifiance de la vie, dans la noyade des beuveries, dans la vanité des richesses, dans le sommeil du désespoir.

Vous qui devez attendre, ne cessez pas d'attendre.
Vous qui devez non pas avoir peur mais veiller, priez en tout temps, la prière étant l’acte de foi qui exorcise tous les produits de notre imagination et permet à l’homme de rester debout en ce monde qui est le nôtre, porteur de l’espérance de la venue du Fils de l’homme en notre propre existence et dans tout l’univers ! 

Le Christ vient ! Ce sera le leitmotiv de ce temps de l'Avent qui nous invite à accueillir la venue du Fils de Dieu fait chair en notre vie. Sachons que l'arme de ce Fils de Dieu, le Christ, est sa grande miséricorde divine ! Tel est mon vœu en ce début d'année liturgique, "Année de la Miséricorde".

mardi 24 novembre 2015

Non du monde, mais dans le monde !

T.O. 34 imp. Mardi -  (Da. 2 - Lc 21.5sv)

(Homélie adressée au Mouvement "Sève" du Mans !)

Avec le livre de Daniel, nous sommes plongés dans une littérature apocalyptique, (= apocalypse veut dire : “Dieu révèle“ !) qui traduit l’attente, l’espérance du peuple de Dieu, l’attente du "Jour de Dieu" !
Et notre lecture peut rappeler ce que disait St Jean : “N'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde".. Car "le monde passe avec ses convoitises ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement". (1 Jn 2, 15-17)

Aussi, les premiers chapitres du livre de Daniel nous invitent
- à l’esprit critique vis à vis du monde tel qu’il se présente toujours ;
- à prendre nos distances par rapport à ce qu’il a de plus séduisant ;
- à être parfois en rupture avec ce qu’il a de plus impressionnant, avec les modes de pensée véhiculées par sondages, statistiques et diverses majorités d’opinion qui, souvent, se succèdent dans l’incohérence.

Ainsi dans le premier chapitre (lecture d'hier), Daniel est présenté comme un de ces garçons d’élite que les puissants du monde veulent apprivoiser en leur procurant ce que la culture païenne a de plus luxueux. Mais, Daniel s'en détourne ! Et à la surprise de tous, il apparaît, au terme d'un recyclage imposé, en meilleure santé physique et intellectuelle que ses compagnons. Il fait preuve de plus de sagesse que les meilleurs docteurs de Babylone. C’est que la fidélité à Dieu fait acquérir la vraie sagesse et donne déjà “jeunesse éternelle“ ! Première leçon vis-à-vis du monde, leçon que nous avons toujours à méditer.

Et dans la lecture d'aujourd'hui, il y a la célèbre vision du colosse aux pieds d’argile. Ecrivain tardif, Daniel a eu l’occasion de tirer des leçons de l’histoire, de la succession des empires qu'il a connus ou qu’on a pu lui raconter.

Cette vision est d’une étrange actualité pour les plus anciens d'entre nous, témoins des désastres de la 1ère guerre mondiale, et de l'entrechoquement des superpuissances, et de la chute des deux plus cruels tyrans du 20ème siècle, témoins encore (comme moi en Algérie) des guerres de décolonisation, ce qui a entraîné, entraîne encore bien des pays dans les impasses de la violence, alors qu’ils aspirent à la paix dans une “mondialisation“ galopante. Avec Daniel, on ne peut être à meilleure école pour exercer l’esprit critique, prendre ses distances et ne pas être des moutons de panurge, dans le courant des idées à la mode.

Et je pense
- au panégyrique que Jésus fait de Jean Baptiste : "Qui êtes-vous allés voir au désert ?" (En dehors de toutes les agitations du monde),
- à François d’Assise, en rupture avec la civilisation artificielle de son époque,
- à St Dominique persuadant les ecclésiastiques envoyés convertir les cathares de commencer par abandonner luxe, chevaux et carrosses pour rejoindre leurs interlocuteurs dans la pauvreté évangélique…
Toutes choses que nous rappelle sans cesse notre pape François ! Souvent, lui aussi, en rupture avec les modes mondaines, voire ecclésiastiques...

Mais de toutes les critiques, les ruptures dont nous parle la liturgie de ces jours-ci, la plus frappante est celle dont le Christ nous donne l’exemple dans l’évangile. On l’invite à admirer le temple d’Hérode dans sa magnificence presque achevée. Et Jésus, lui, de réagir de la manière la plus inattendue - réaction pourtant dans la ligne des prophètes - condamnant le ritualisme rassurant : "Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit !".
Bref, la liturgie de ces jours-ci nous apprend à chercher les valeurs stables, à investir dans ce qui ne passe pas, à bâtir sur le roc et non sur le sable.

C'est ce disait déjà St Etienne et que rappelait la fondatrice du mouvement Sève : "la maison de Dieu ne se bâtit pas de main d'homme" (Act. 7.48). Elle se construit de l'Amour de Dieu pour toute l'humanité, manifesté par le Christ mort jusque sur une croix. A sa suite, il faut admettre que le grain puisse mourir pour porter des fruits. Il faut que la sève pascale du Christ monte en nous, de sorte qu'"en ajoutant à ce qui fut", elle nous fasse atteindre la Vie qui n'a plus de limites !

Pour ce faire, il y a deux réalités que le chrétien doit distinguer : la fin du monde et la fin d'un monde, même si ces deux fins sont liées ensemble.
La fin des temps, du monde ! On le sait : la terre n'est pas éternelle. Les sciences enseignent l'âge approximatif de notre planète, annoncent sa fin au moment prévisible de l'épuisement de l'énergie solaire. Cependant, quand la Bible parle de cet événement, c'est surtout pour affirmer la venue définitive et glorieuse de Dieu ! Alors pourquoi désespérer et avoir peur ?

Mais, sans aller aussi loin, régulièrement nous assistons à la fin d'un temps d’un monde tel que nous le connaissions ou que d'autres ont connu. Pensons à l'extinction de tant de civilisations…, à la disparition radicale de certaines façons de vivre de nos grands-parents, arrières grands-parents... ! Mais, avec toujours l'émergence, chaque fois, de “mondes” nouveaux...! Toujours la fin d'un monde pour un nouveau monde. C'est aussi de cela dont parle la Bible !

Et les hommes, auxquels Dieu a laissé toute liberté de continuer sa création, ont ainsi le pouvoir de transformer le monde, en allant d'un monde à un autre, meilleur si possible ! Parfois, malheureusement, ils s'y prennent comme des apprentis sorciers, en gâchant, en dégradant cette terre qui leur est confiée. Le pape François l'a sérieusement rappelé dans sa magnifique encyclique "Laudato Si..." !
Aujourd'hui, devant les mutations climatiques, nous commençons à prendre au sérieux la déchirure de la couche d'ozone, les désastres provoqués par diverses pollutions, les effets nocifs de nos interventions sur la vie végétale, animale…, et, bien davantage, sur la vie de l'homme lui-même, de sa conception à sa mort. Ces constatations sont assez graves pour interpeller tout homme soucieux de l'avenir de l'humanité. Certes, il y aura la "fin du monde" ; mais il y a aujourd'hui la "fin d'un monde" dont nous sommes en grande partie responsables ! Le pape y insiste fortement !

Mais nous le constatons malheureusement : devant l'éternel projet du Créateur qui, dans la succession inévitable d'un monde à un autre monde, veut conduire l'humanité à la fin du monde pour nous accueillir en son monde divin, l'homme forme un "contre-projet". Il veut se construire lui-même sans le concours de Dieu. Il est victime d'un "aveuglement", dira Isaïe, le fameux "divertissement" dont parle Pascal. Les hommes "deviennent, dit-il encore, comme le peuple de Sodome et Gomorrhe ! ".
Quand, dans la Bible, on évoque cette région (point le plus bas de la terre, - 400 m), on parle de "mahapekah Sedom". "Mahapekah" veut dire, "retournement", "contraire". En cette région, on dirait que la terre s'est comme retournée, révulsée... L'homme devenant pécheur, l'univers orchestre cette aberration et se retourne, se révulse… en quelque sorte : "mahapekah Sedom". Cette révolte de la terre, le pape en parle dans son encyclique.

Mais chez Osée - Isaïe, Ezéchiel également - quand l'homme pèche, qu'il est dans le chaos, ce n'est plus tellement la terre qui se retourne, se révulse, mais c'est le "cœur" même de Dieu"Mon cœur en moi est bouleversé ("retourné" : même racine que pour Sodome)". Mais, dit Dieu, "je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère..., car je suis Dieu et non pas homme ; au milieu de toi je suis le Saint... !". (Osée 11.7sv). Et toujours, il nous dit : "Faites-vous un cœur nouveau !" (Ez. 18.31). Et c'est lui-même qui fera, si je puis dire, l'opération chirurgicale : "J'ôterai de votre chair le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair" (Ez. 36.25-26).

Avec cette fidélité permanente de Dieu à l'égard de l'humanité tout au long de la succession des mondes de l'Histoire, après la fin d'un monde souvent causé par l'homme, émerge, un "nouveau monde" que Dieu laisse encore et toujours à notre liberté.

Cependant "la fin d'un monde" - quelle qu'en soit sa cause - n'est pas indépendante de la "fin du monde" ! Car notre vocation n'est-elle pas d'améliorer, d'humaniser ce monde afin de le préparer à sa métamorphose finale ? Les gémissements, les tâtonnements plus ou moins ratés ou réussis qui se manifestent à travers nos "mondes" successifs sont des signes révélateurs. Ils sont, dit St Paul, les "douleurs d'enfantement d'un "monde nouveau" en train de naître", le monde de Dieu (Rm 8,19). Douleurs en vue d'une "indicible naissance", disaient les Anciens.
Aussi, même à travers tous les soubresauts de l'Histoire, de notre histoire, nous sommes surtout conviés à la foi et à l’espérance... Comme pour Abraham, notre Père dans la foi ! A travers les épreuves, il lui est dit : “Va ! Vers le pays que je te montrerai” - “Va pour toi !", pour ton bonheur ! A travers heurs et malheurs, il s'agit d’un profit, d’un bonheur pour l’homme ! 

Et cette espérance en un bonheur inépuisable, Dieu, "au cœur bouleversé, retourné, révulsé" par le péché des hommes, la donne en son Fils, Jésus, Dieu fait homme. Mort sur une croix, mais ressuscité, il est là, avec nous, toujours “en travail” d’humanité, de cette humanité voulue par Dieu dès le matin de la création ! "Mon Père est à l'œuvre et moi aussi je suis à l'œuvre" (Jn 5.17). Il est là ! Il reviendra, a-t-il dit, en sa gloire ! Il viendra tout illuminer de la beauté créatrice et toujours rédemptrice de Dieu. Sa victoire sera nôtre !
Avec le Christ ressuscité, c'est donc dans notre aujourd'hui - parfois mouvementé - que déjà se réalise lentement, laborieusement, difficilement parfois, ce monde divin auquel nous sommes conviés. C’est dire l'importance de nos tâches humaines, qu'elles soient familiales, sociales, politiques ou culturelles. Par elles, se prépare déjà, par le dynamisme de résurrection que le Christ nous donne, par l'action de l'Esprit qu'il envoie..., se prépare ce "monde nouveau" qui n'est pas un autre monde, mais notre monde “devenu autre”, ce monde divin auquel il nous invite à participer à son éclosion.

Dans la succession d'un monde à un autre, nous devons "servir" pour qu'advienne ce monde divin en lequel toute "union" sera accomplie, puisque le Christ - Dieu fait homme -, le Christ - ressuscité -, qui nous invite à s'incorporer à lui, se fera "tout en tous" (Col 3.11), pour que "Dieu soit tout en tous" (I Co. 15.28) ! C'est ce que nous allons célébrer dans le sacrement de l'Eucharistie, anticipation de l'union parfait avec Dieu et avec tous nos frères.

samedi 21 novembre 2015

Royauté !

Christ-Roi 2015

Célébrons ensemble aujourd’hui non pas un simulacre de fête de Christ-Roi, mais une vraie fête du Christ-Roi ! Non pas faire semblant de croire à une royauté, celle du Christ, et prononcer des paroles, des chants, comme si on y croyait, tout en gardant en soi objections et réticences sans les formuler.

Des réticences ! ce serait normal. Est-ce que l'image que nous avons en tête quand il est question de royauté, de roi, de reine, est-ce que cette image est la plus adaptée pour dire le mystère du Christ ? Alors que dans notre monde, depuis plus d'un siècle, les royautés ont été, pour la plupart, remplacées par des républiques. Comment entrer dans la fête du Christ-Roi sans tricher ? Eh bien, comme toujours, en posant objectivement les questions que l'on se pose et en cherchant vraiment une réponse adéquate.

Aussi, faut-il poser deux questions principalement. Et je crois que ce sont les questions d'un grand nombre de chrétiens, questions souvent entendues et formulées sur tous les tons.
- la première : “Jésus, es-tu roi, véritablement ?”
- la deuxième : “Si tu es roi, où est ton royaume ?”.

“Es-tu roi ?” - Première question. Elle a été posée à Jésus lui-même - l'évangile l'affirme - par le gouverneur romain, Pilate, à Jérusalem. “Es-tu roi ?”
Cette question a traversé les siècles. 
Et la réponse de Jésus aussi : “Ma royauté ne vient pas de ce monde”. 
Roi, oui, mais, pas à la manière de ce monde, Il ne s'agit pas d’une royauté de prestige, de force, de domination, surtout quand on connaît la tyrannie des royautés au temps de Jésus, telle celle d’un Hérode, tyrannie qui existe encore sous différents régimes d’ailleurs ! (Et même parfois entre chrétiens) !

Jésus-Roi ! Oui ! Mais, la veille de sa mort, ce jeudi-là, il avait pris un tablier et lavé les pieds de ses disciples.
Jésus-Roi ! Oui ! Mais, ce jour-là, il était debout, les mains liées ; on allait le couronner, mais d'une couronne d'épines. On allait le revêtir du manteau royal, mais c'était le manteau rouge des fous. Son corps allait être torturé, cloué. La scène est pitoyable. Quand Dieu vient inaugurer son Règne, c'est ainsi que se déroule le sacre.
Jésus-Roi ! Oui ! Mais un roi fraternel : “Ce que vous faites au plus petit, c'est à moi que vous le faites”
Jésus-Roi ! Oui ! Mais un roi secret, un roi ignoré, au point que ceux qui l'ont servi ne l'ont pas toujours reconnu. “Quand vas-tu établir ton Royaume ?”, demandaient ses apôtres quelques jours encore avant sa mort. Et à la fin des temps, il est dit que beaucoup se poseront la question sur la nature de ce Royaume du Christ : “Quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim ?”

Et l'on se trompe beaucoup sur la royauté du Christ, si l'on oublie tout cela. 
Chaque fois que l'Église, au cours des siècles, a cédé à la tentation du pouvoir, du prestige... (Et le pape François rappelle que c'est toujours d'actualité)..., 
chaque fois que des hommes d'Église ont singé les princes de ce monde,
chaque fois que les chrétiens rêvent de faire du Christ-Roi l'allié de quelque pouvoir temporel, 
chaque fois que..., elle a été infidèle à l'Évangile ! 
Infidèle et étrangère à cette révélation : le Christ-Roi, mais un roi d'amour ! Et alors, je souscris totalement à cette Royauté qui n’est pas toujours reconnue, puisque “l’amour lui-même n’est pas toujours aimé !” comme le disait St François d'Assise au sultan d'Egypte Al-Kamil. 

“Tu es roi, mais où est ton Royaume ?”. C'est la deuxième question. Écoutons la réponse de Jésus, elle a traversé les siècles : “Le Royaume, il est au milieu de vous” (Cf. Lc 6.20). Donc, pas pour plus tard seulement, mais pour maintenant déjà. Pas dans les nuages mais sur la terre.

Le Royaume dont parle Jésus, c'est dans en monde, en nos sociétés qu'il est établi, qu’il est à promouvoir, à bâtir, là où nous vivons, et pas spécialement le dimanche ! Comprenons l’enseignement du Christ : c’est toute la vie des hommes que Dieu veut embellir, lui donner un “caractère royal et sacerdotal”. Avec le Christ, “les temps sont accomplis, écrivaient Matthieu et Marc, le Royaume de Dieu est là !” (Cf. Mc 1.15). Et Jésus affirme : “Si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé parmi vous !” (Mth 12.28). Le Royaume de Dieu parmi vous ! 

Aussi, le Concile Vatican II de préciser : “Toutes ces valeurs de dignité, de communion fraternelle, de liberté, tous ces fruits excellents de notre nature que nous aurons propagés selon son commandement, nous les retrouverons plus tard mais comme purifiés, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettre à son Père "un Royaume éternel et universel : royaume de vérité, de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix" (Cf. Préface). Mystérieusement, le Royaume est déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra” (Constitution. Past. LG n° 39).

Autrement dit, depuis la venue du Christ principalement, il n’y a rien de profane dans le monde. Le mot “profane”, au sens étymologique, vient du mot latin “pro-fanum” : ce qui est devant le temple. Dans le temple, c’est la part que l'on doit à Dieu ; devant le temple, c’est la part réservée à l'homme ! Distinction simpliste, courante et si néfaste en notre mentalité occidentale ! Non, il n'y a rien de profane. C'est en vivant notre existence d'hommes et de femmes que nous construisons ou non le Royaume de Dieu.

Vous connaissez sans doute cette anecdote : Un homme passe devant trois tailleurs de pierre. 
Au premier, il demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je gagne ma vie”
Au deuxième, il demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je taille une pierre”
Au troisième il demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je bâtis une cathédrale !”
Bâtir la cathédrale du Royaume de Dieu !

Dans le monde d'aujourd'hui, il semble indispensable que les disciples du Christ clament avec force que notre vie humaine, que notre monde ne va pas en s'effritant, mais que nous bâtissons, construisons du définitif. Certes, bien des réalités disparaîtront totalement, mais les liens que nous aurons tissés dans l'amour, dans l'amitié, demeureront éternellement. Le regard de tendresse, l'attention d'un instant, la rancune oubliée, le travail avec les gestes mille et mille fois répétés, l'engagement solidaire, tout peut porter un fruit d'éternité.
Cela peut étonner ? Tant mieux, parce que c'est étonnant, merveilleusement étonnant. C'est déjà le mystère du Règne de Dieu. Et même si vous vous sentez quelque peu étranger à ce mystère, sachez que ce mystère n'est pas loin de vous.

vendredi 20 novembre 2015

Temple de Dieu !

33e Semaine T.O. 2015 - Vendredi 

La lecture souligne avec détails l'importance du culte que l'on doit rendre au Seigneur dans l'action de grâce, alors que Jésus, dans l'évangile, critique, à la suite des prophètes, les manières cultuelles du Temple !

Les prophètes ont souvent été des hommes critiques, de "démolition", si je dire : le jour où sera abattu l'"arbre" (dynastie royale et temple tout à la fois), alors le Seigneur fera pousser un surgeon de la tige de Jessé, l'ancêtre. Lui seul produira l'amour de Dieu, la justice, le bon droit...  Avec les prophètes, on est souvent en pleine utopie révolutionnaire : il faut que le Seigneur démolisse tout pour tout reconstruire dans la sainteté... !
Les prêtres, au contraire, estimaient fondamentales les institutions, quitte à les réformer de temps en temps quand les contestations sont trop fortes à leur égard. Les institutions - liturgiques surtout - doivent exister pour entretenir la relation d'Alliance entre Israël et son Dieu !

Je dis cela pour comprendre la rigueur de Notre Seigneur : "Ma maison sera une maison de prière et vous en avez fait un repaire de brigands !"
Que veut dire Jésus ? L'expression "repaire de brigands" vient du prophète révolutionnaire Jérémie. En son temps, des brigands faisaient des razzias, détroussant les voyageurs... ! Ensuite, ils allaient jouir bien tranquillement de leurs rapines dans les profondes gorges des monts de Juda, lieux très difficiles d'accès pour la police de l'époque..., avant de refaire surface pour de nouvelles sorties scélérates.

Et Jérémie de faire une comparaison vigoureuse : "Quoi, dit-il au nom de Dieu, voler, tuer, se parjurer etc... ; et puis venir en ce temple en criant : "Temple de Dieu ! Temple de Dieu !". Quelle audace ! En ce temple, vous vous croyez en sécurité comme les brigands en leurs repaires pour mieux continuer ensuite toutes vos abominations ! A vos yeux, est-ce un repaire de brigands, ce temple qui porte mon nom ?" (Cf. 7.3sv).
Et Jérémie d'accuser : on donne foi et confiance à quelque chose de visible, une construction faite par d'homme, au lieu de s'adresser au Dieu invisible qui seul est Saint, qui seul peut sanctifier, conduire l'homme avec droiture. - Autrement dit, il est bon de venir à l'église, d'y allumer un cierge, d'y remplir tous ses "devoirs religieux"..., avec baptême, mariage, sépulture..., etc. Mais tout cela, dirait Jérémie, n'est pas une "assurance-tout-risque", une "assurance-vie" ! Ces pratiques sont nulles, si elles ne sont pas accompagnées d'une profonde démarche vers Dieu, le trois fois Saint ! "A vos yeux, est-ce un repaire de brigands, ce temple qui porte mon nom ?".

De plus, en une circonstance précise, Jérémie enfonce le clou : Parce que l'Assyrie devient menaçante, alors, appréhendant une invasion étrangère (comme des brigands appréhendant la police), vous interprétez cette éventualité comme une menace de Dieu qui pèse sur vous, mauvais que vous êtes ! Et vous venez au temple comme pour désamorcer la colère divine. Vous accourrez au temple, disant : "Le Seigneur est avec nous !". Et ainsi vous prenez ce temple comme un paratonnerre pour que les nuages de la colère divine puissent se délester régulièrement grâce à vos pratiques cultuelles. Et Jérémie de proclamer haut et fort : Vous vous trompez ! Vous n'êtes que des brigands sous vos gestes cultuels !

Pourtant ce prophète révolutionnaire ne renie pas totalement le temple. Oui, "le temple de Dieu" existe bien, dit-il ; mais seulement si vous vous conduisez selon la justice, selon les lois du Seigneur (décalogue). Le temple ne sera pas alors une hypocrisie, Dieu souhaitant surtout résider "au milieu de son peuple". - Peut-être que pour Jérémie, déjà, le vrai "temple du Seigneur", c'est autant "le peuple de Dieu" que "le temple de pierres". Mais "le temple de pierres" peut parfois être un dangereux alibi pour ne pas prendre au sérieux ce vrai "temple de Dieu" qu'est le peuple lui-même.

C'est à cette ambiguïté du temple que pensait Jésus lorsqu'il disait : "Détruisez ce temple ; je le rebâtirai en trois jours !". C'est le Corps du Christ qui deviendra alors véritable "temple de Dieu". Et c'est en devenant membres du Corps du Christ que nous entrons dans le vrai temple de Dieu.

Remarquons encore que Jésus utilise l'expression de Jérémie, mais dans un contexte moins fort et un peu différent. Il veut dire qu'il ne faut surtout pas que le commerce mercantile se mêle au culte, le temple étant lieu de prière et non de commerce. -
C'est qu'en son temps, il y avait le commerce des "vétérinaires sacrés" qui contrôlaient la pureté des bêtes pour les sacrifices. Source de profit. Et puis, on ne pouvait introduire dans le temple de la monnaie étrangère, païenne. Il fallait donc des "changeurs". Autre profit lucratif ! Ainsi donc double surévaluation économique au cour du marché animal ! Et Jésus vitupère : "Ne faites pas de la maison de prière un repaire de brigands !".

Aujourd'hui encore, il a parmi nous des "prophètes" qui proclameront un idéal religieux très élevé, sans "besoin logistique", matériel pour exprimer leur foi. Et il y a toujours aussi des croyants qui aiment s'appuyer sur des institutions, des rites pour exprimer cette même foi.
N'en soyons pas étonnés. Peut-être faut-il les deux tendances pour que le plus grand nombre, parmi nous, puisse sans cesse s'ajuster à Dieu avant le face-à-face éternel qui nous fera "semblables à Dieu", dit St Jean.

En tous les cas, que Jérémie et Jésus lui-même nous aident à faire de notre culte ni un alibi à nos mauvaises conduites, ni un prétexte de mercantilisme. Ayons toujours à l'esprit cette précision de la lettre aux Hébreux : "En entrant dans le monde, le Christ a dit : De sacrifices et d'offrandes, tu n'en as pas voulu... Alors j'ai dit : Me voici, ô Dieu, pour faire ta volonté !" (Heb. 10.5sv).

samedi 14 novembre 2015

Fin d'un monde - Fin du monde !

33e Dimanche du T.O. 15/B 

Voici l’automne : le ciel est souvent gris ; la terre, mouillée et froide. Les dernières feuilles des arbres tombent et pourrissent. Les jours raccourcissent. Et la déprime guette parfois ! Difficile de ne pas penser à la fin de 2015…, à la fin de notre vie..., à la fin du monde ! Et en cette fin d’année liturgique, les textes proposés touchent cette réalité essentielle inscrite dans la révélation : la fin d'un temps, la fin des temps et la venue glorieuse du Fils de Dieu ! Inséparablement !

Il y a là deux réalités que le croyant ne doit jamais séparer, me semble-t-il : la fin du monde et la fin d'un monde.

La fin du monde ! Cet événement, souvent décrit de façon catastrophique, n'est surtout que le fond du tableau de la venue définitive du Fils de Dieu. Aussi, il mérite quelque attention. Car c'est un fait : le monde passe et la terre n'est pas éternelle !
L'univers a eu un commencement, même si les savants discutent du scénario possible et probable.
Bien plus, dans cette histoire du cosmos, les astronomes arrivent à conjecturer l'âge approximatif de la terre.
Nous savons aussi, - même sans aucun cataclysme, extraterrestre ou provoqué par la bêtise des hommes -, que la terre cessera d'exister au moment, déjà estimable, de l'épuisement de l'énergie solaire.

Mais, sans aller aussi loin, n'assistons-nous pas régulièrement à la fin d’un monde tel que nous le connaissions ou que d'autres ont connu ? Pensons à l'extinction de tant de civilisations…, à la transformation radicale de certaines façons de vivre disparues ou en train de disparaître, comme le monde de nos grands-parents, arrières grands-parents... ! Mais, avec toujours l'émergence, chaque fois, de “mondes” nouveaux... ! Toujours la fin d'un monde pour un nouveau monde !

Car les hommes, auxquels Dieu a laissé toute liberté de continuer sa création, ont ainsi le pouvoir de transformer le monde. Parfois, malheureusement, ils s'y prennent comme des apprentis sorciers, en gâchant, en dégradant cette terre qui leur est confiée. Le pape François l'a sérieusement rappelé dans sa magnifique encyclique "Laudato Si..." !

Aujourd'hui, devant les mutations climatiques, nous commençons à prendre au sérieux la déchirure de la couche d'ozone, les désastres provoqués par diverses pollutions. On s'inquiète des effets nocifs résultant de nos interventions sur la vie végétale, animale…, et, bien davantage, sur certaines interventions, pour ne pas dire les bricolages, effectués sur l’embryon, le génome humain.

Non, nous n'avons pas besoin des textes catastrophiques de la Bible pour nous faire peur. Ces constatations sont assez graves pour interpeller tout homme et toute femme lucide, soucieux de l'avenir de l'humanité, celle d'aujourd'hui et surtout celle de demain. Aucun croyant ne peut s'y soustraire. Certes, il y aura la "fin du monde" ; mais il y a aujourd'hui la "fin d'un monde" dont nous sommes en grande partie responsables ! Le pape y insiste fortement ! La "fin d'un monde" est-elle toujours pour un meilleur "monde nouveau" ? Certains événements dont l'homme est responsable pourraient nous permettre d'en douter parfois !

Et cependant "la fin d'un monde" n'est pas totalement indépendante de la fin du monde" !. Car n'est-il pas de notre pouvoir, n'est-il pas de notre devoir d'améliorer, d'humaniser ce monde afin de le préparer à sa métamorphose finale ? C'est là qu'est la deuxième et plus importante partie du message des textes d’aujourd’hui
Message d'espérance“Dès que les branches du figuier deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l'été est proche...”. Cette parole de Jésus doit nous empêcher d'être des prophètes de malheur. Ces grincements, ces gémissements, ces tâtonnements plus ou moins ratés ou réussis sont des signes révélateurs. Ils sont, comme dit St Paul, les "douleurs d'enfantement d'un "monde nouveau" en train de naître"(Rm 8,19). Douleurs en vue d'une "indicible naissance", disaient les Anciens.

Douleurs…, certes ! Car il faut, de toute façon, quitter le passé, plus ou moins parfait, plus ou moins imparfait, quitter le présent connu, pour un lendemain inconnu. Mais à travers tous les soubresauts de l'histoire, de notre histoire, nous sommes surtout conviés à la foi et à l’espérance... Comme pour Abraham, notre Père dans la foi ; à travers les épreuves, il lui est dit : “Va ! Vers le pays que je te montrerai” - “Va pour toi !", pour ton bonheur ! A travers heurs et malheurs, il s'agit d’un profit, d’un bonheur pour l’homme ! 
Et cette espérance est fondée, pour nous chrétiens, sur Jésus Christ. Sur Jésus dont nous faisons mémoire. Il est de chez nous : fils d’homme ! Mais il est aussi Fils de Dieu, Fils de Dieu Sauveur, c’est-à-dire, si je puis dire, toujours “en travail” d’humanité, de cette humanité voulue par Dieu dès le matin de la création ! Il est là ! Il reviendra, a-t-il dit, en sa gloire ! Il viendra tout illuminer de la beauté créatrice et toujours rédemptrice de Dieu. Sa victoire sera nôtre !
Avec le Christ ressuscité qui nous rassemble, c'est donc dans l'aujourd'hui - notre aujourd'hui parfois mouvementé - que déjà se réalise lentement, laborieusement, ce monde divin auquel nous sommes conviés. C’est dire l'importance de nos tâches humaines, qu'elles soient familiales, sociales, politiques ou culturelles. Par elles, se prépare déjà, grâce au dynamique de résurrection que le Christ nous a donné, grâce à l'action de l'Esprit qu’il nous envoie, que se prépare ce "monde nouveau" qui n'est pas un autre monde, mais notre monde “devenu autre”, ce monde divin, ce monde auquel il nous invite à participer à son éclosion.

Jésus ne donne ni indication d'heure ni de date pour situer cet avènement final et glorieux : “seul le Père le sait”, dit-il discrètement. Mais finalement l'heure du passage dans ce “monde de Dieu", dans ce monde - notre monde - "devenu autre”, n'est-elle pas, dans un premier temps, personnelle à chacun, à chacune d'entre nous ? Car c’est toujours dans l’aujourd’hui que commence, pour chacun, sa propre résurrection.
Mais celle-ci ne sera totale qu'à la fin des temps lorsque nous serons en compagnie de tous nos frères et sœurs, et aussi, je pense, en fusion avec tout le cosmos avec lequel nous “faisons corps”. Le Christ - Dieu fait homme -, le Christ - ressuscité -, ce même Christ désire s'incorporer à nous, se faire "tout en tous" (Col 3.11), pour que "Dieu soit tout en tous" (I Co. 15.28) !

Autrement dit, aujourd’hui, en ce dimanche d’automne, l’heure du passage à la "fin d'un monde" qui nous achemine à la "fin du monde", c’est maintenant :
- Voici l’heure de la fidélité : je garde foi en Jésus Christ ; les yeux fixés sur lui, j’entre dans sa vie de plus en plus…, en plénitude !
- Voici l’heure de l’espérance : il faut avancer les yeux fixés sur Jésus ; Jésus crucifié aujourd’hui dans son corps d’humanité, comme hier en son corps physique. Mais aussi, Jésus vainqueur, vivant dans la gloire du Père…
- Voici l’heure du témoignage : Nous sommes membres d’une église, “Peuple en marche”. Peuple immense dont les premiers membres sont arrivés au terme. Peuple immense qui avance lentement, douloureusement parfois, mais sûrement vers la gloire du Christ ressuscité !

Cela est poétiquement et magnifiquement exprimé par une croyante de notre temps (Gertrude von Le Fort) :
“Quand les âmes les plus solitaires viendront à la lumière
et que seront lavées toutes fautes et jusqu'à celles que nous ignorions,
alors le Seigneur relèvera ma tête.
Et je resterai là comme un miroir dépouillant à la face des mondes ;
les astres reconnaîtront en moi ce qu'il y a en eux d'éternel,
les âmes reconnaîtront en moi ce qu'il y a en elles de divin.
Et Dieu reconnaîtra en moi son amour... !”. (Hymnes à l'Église, Tournai, Casterman, 1952).

Oui "Dieu sera tout en tous !"

mercredi 11 novembre 2015

Un moine évangélisateur !

Saint Martin - 11 Novembre

La fête de la St Martin était, en France, très populaire jusqu'à la Révolution, et aussi dans le reste de la chrétienté occidentale.

Une pieuse légende raconte que, lorsqu'on transféra la dépouille du Saint de Candes à Tours, les buissons se mirent à refleurir à son passage le long de la Loire ! Ce miracle serait à l'origine de ce que l'on appelle "l'été de la Saint-Martin", un redoux dont nous bénéficions particulièrement cette année mais qui est, en fait, occasionné par des vents du sud-ouest qui touchent souvent la France autour du 11 novembre.

Plus historiquement, notons : c'est en référence à St Martin qu'en 1918, à l'instigation surtout du général Foch - un chrétien qui récitait tous les jours son chapelet - que les négociateurs français auraient fixé au 11 novembre la date de l'armistice. On a du mal à penser que Georges Clemenceau réputé comme libre penseur notoire au bord de l'athéisme, ait voulu faire cet honneur au Saint, de même en ce qui concerne ses collaborateurs gouvernementaux. Quoi qu'il en soit, c'est pour nous une occasion de prier pour tous ceux qui ont donné leur vie pour notre pays... !

Prions aussi pour ceux qui risquent parfois leur vie pour maintenir paix et ordre en tous lieux de France, puisque St Martin a été choisi comme Saint Patron par la Communauté chrétienne des policiers de France, le 19 Janvier 1993, et reconnu et accepté comme tel par la Conférence des évêques le 22 mars de la même année. Et - chose plus curieuse - St Martin a été noté et enregistré comme "Patron de tous les policiers de France", le mois suivant, par Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur !

St Martin, nommé encore "Martin le Miséricordieux", est né dans l'Empire Romain, à Savaria (l’actuelle Hongrie), en 316 ou 317.

Son père était tribun militaire, officier supérieur chargé de l’administration de l’armée. Aussi, n'est-il pas étonnant qu'il attribuât à son fils le prénom de "Martin", mot qui signifie "voué à Mars", dieu de la guerre !
Ayant été muté à Pavie, Martin le suivit. Et c'est en cette ville qu'il entra en contact avec des chrétiens. Il n'avait que dix ans environ et voulait déjà se convertir au christianisme, se sentant attiré par le service du Christ.

Cependant son père, irrité de voir son fils se tourner vers une religion nouvelle, le force, dès ses 15 ans, à entrer dans l’armée. En tant que fils de vétéran, il a le immédiatement le grade de "circitor" : le "circitor" est chargé de mener les rondes de nuit et d’inspecter les postes de garde.

Affecté à Amiens en Gaule, un soir de l’hiver 338, il rencontre un pauvre, transi de froid. Sans argent, ayant déjà généreusement distribué sa solde, il tranche son manteau ou du moins la doublure de sa pelisse pour le couvrir. Il a alors 18 ans ! La nuit suivante le Christ lui apparaît en songe vêtu de cette étoffe. Le reste de son manteau, appelé "cape" sera placé plus tard, à la vénération des fidèles, dans une pièce dont le nom est à l'origine du mot "chapelle".

Selon Sulpice Sévère - un de ses biographes -, Martin sert encore deux années dans l'armée ; puis, toujours en garnison à Amiens, il se fait baptiser à Pâques 336. Notons que cette époque - appelée improprement "époque de l'invasion des Barbares" - est un temps de grande transition, la fin d’un règne et le début d’un autre règne où tous, même les soldats, sont pénétrés par les idées nouvelles. Ne vivons-nous pas, nous-mêmes, une époque analogue ? Aussi, prions St Martin avec optimisme.

Ayant pu quitter l’armée, Martin se rend à Poitiers pour rejoindre le renommé évêque Hilaire qui a le même âge que lui et appartient comme lui à l’aristocratie. Cependant l'évêque est moins tourné vers la mortification et plus intellectuel ; cependant il accueille Martin avec joie.

La Chrétienté est alors déchirée - déjà ! - par divers courants de pensée. Les chrétiens se combattent violemment et même physiquement. Il y a surtout les "ariens" qui nient que le Christ soit "Dieu fils de Dieu ", au contraire des "trinitaires" de l’Église romaine. Mais les premiers sont très influents auprès du pouvoir politique. Alors que Hilaire, un "trinitaire", tombe en disgrâce et est exilé, Martin est averti "en songe" qu’il doit rejoindre ses parents en Illyrie afin de les convertir. Il réussit à convertir sa mère mais son père, apparemment, reste étranger à sa foi.

Mais, en Illyrie, c’est la foi arienne qui domine. Et Martin, fervent représentant de la foi trinitaire, est publiquement fouetté puis expulsé. Il se réfugie à Milan ; mais là encore, les ariens dominent et Martin est à nouveau chassé. Il se retire alors avec un prêtre dans une île déserte, se consacrant au Christ, par la prière et la pénitence !

En 360, après le concile de Nicée (325), les "trinitaires" regagnent leur influence politique et Hilaire retrouve son évêché. Martin en est informé et revient lui-même à Poitiers. Agé de 44 ans, il s’installe en un domaine gallo-romain qu'Hilaire lui indique près de Poitiers. C'est en ce lieu - appelé Ligugé - que Martin crée la première communauté de moines en Gaule. Mais ce premier monastère sera aussi le lieu de l’activité d’évangélisation que St Martin va mener activement pendant dix ans.

En 371, à Tours, l’évêque Lidoire vient de mourir ; les habitants veulent choisir Martin qui n’aspire nullement, lui, à l'épiscopat. Les habitants l’enlèvent - mœurs du temps ! - et le proclament évêque le 4 juillet 371 sans son consentement ; Martin se soumet en pensant qu’il s’agit là sans aucun doute de la volonté divine. "Vox populi, Vox Dei !".

Désormais, même s’il est évêque, Martin ne modifie en rien son train de vie. Il poursuit ses mortifications et continue à porter des vêtements rustiques et rugueux. Il crée un nouvel ermitage à 3 km au nord-est des murs de la ville : c’est l’origine de Marmoutier, avec pour règle la pauvreté, la mortification et la prière. C’est une vie faite d’un courage viril et militaire que Martin impose à sa communauté.

Mais Marmoutier va devenir un centre de formation pour l’évangélisation. Martin et ses disciples vont sillonner les campagnes qui, à cette époque, sont païennes. Il prêche avec efficacité les paysans, forçant le respect par l’exemple et le refus de la violence. Il sait parler au peuple des campagnes alors que la foi chrétienne est encore essentiellement urbaine.

Au soir de sa vie, sa présence est requise pour réconcilier des clercs à Candes, à l'ouest de Tours. Malgré fatigue et vieillesse, il s'y rend. Son intervention est couronnée de succès ; mais le lendemain, épuisé par cette vie de soldat du Christ, Martin meurt le 8 novembre 397. Disputé entre Poitevins et Tourangeaux, son corps, subtilisé par ces derniers, est rapidement reconduit par le fleuve à Tours et enterré le 11 novembre.

St Martin fut toute sa vie un soldat ! Il avait certainement médité ce mot de St Paul adressé à son disciple Timothée : "Prends ta part de souffrances, en bon soldat du Christ Jésus. Dans le métier des armes, personne ne s'encombre des affaires de la vie civile, s'il veut donner satisfaction à qui l'a engagé" (2 Tim 2.3-5)..

St Benoît, avec toute la tradition monastique (St Bernard, en particulier) soulignera fortement qu'en entrant au monastère, on entre en une milice, celle du Christ. Comme l'avait souligné St Paul lui-même : "Rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l'armure de Dieu, pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre... les esprits du mal...
C'est pour cela qu'il vous faut endosser l'armure de Dieu, afin qu'au jour mauvais vous puissiez résister et... rester fermes.Tenez-vous donc debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse, et pour chaussures le Zèle à propager l'Evangile de la paix ; ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais ; enfin recevez le casque du Salut et le glaive de l'Esprit, c'est-à-dire la Parole de Dieu. Vivez dans la prière et les supplications ; priez en tout temps, dans l'Esprit ; apportez-y une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints". (Ephes. 6.10-20).

Prions ! Pour être tous, d'une manière ou d'une autre, de bons soldats du Christ !"Tout chrétien, dira le pape Léon XIII, doit être un vaillant soldat du Christ !" (encyclique Sapientiae christianae, 1890).