lundi 29 février 2016

Pénitence !

Epsilon de Carême  - Pénitence !

Beaucoup de textes liturgiques nous parlent de jeûne, de privation... !

Certes, le jeûne (l'ascèse en général) est un désir - très louable - de vouloir imiter le Christ qui, par ses souffrances humaines, nous a sauvés, a voulu "tuer" "le vieil homme" en nous-mêmes, comme dit St Paul, pour y établir "l'homme nouveau" comme "fils de Dieu", "à son image et ressemblance" !

Mais remarquons encore que, dans la Bible, le jeûne est associé plus souvent à la prière qu'à la pénitence.
Il s'agit moins d'une pratique régulière que d'une observance occasionnelle qui exprime l'intention de chercher la volonté de Dieu. En ce sens que le chrétien veut s'abstenir de nourriture - c'est-à-dire de tout ce qui pourrait facilement le détourner de Dieu - pour mieux chercher la volonté divine.
- Ainsi l'Eglise d'Antioche jeûna avant d'envoyer Paul et Barnabé pour leur premier voyage missionnaire (Ac. 13.3).
- De même, Paul et Barnabé, avant de désigner les "Anciens" dans les jeunes Eglises qu'ils fondent (Ac. 14.23).
- Et l'Eglise, dans le même sens, propose "jour de pénitence" la veille des grandes fêtes et des grands évènements (ordination par exemple).

Le jeûne (l'ascèse) n'est pas un but en soi. Il veut faciliter un climat de confiance, de disponibilité, de dépendance en lequel on désire rencontrer Dieu !

Pénitence de carême pour mieux rencontrer le Christ pascal.  C'est mon "epsilon" d'aujourd'hui !


(P.S. Epsilon qui ne sera pas le dernier, je l'espère bien. Mais je dois m'absenter quelques jours pour examens médicaux. Merci de vos prières !).

samedi 27 février 2016

Moïse !

3ème Carême 16/C

Aujourd’hui, les deux lectures nous parlent de Moïse, de son aventure humaine et spirituelle tout à la fois.
Evoquons cette grande figure du peuple d'Israël - son fondateur ! -.

Moïse doit fuir… dans le désert de Madian (nord-ouest de l’Arabie). Il fuit, expliquera l’Apocalypse, cette grande cité qu’on nomme symboliquement Egypte, "là même où le Seigneur a été crucifié” (Apoc. 11.8). C’est dire que Jérusalem s’est comporté parfois comme l’Egypte. C'est dire que tout homme peut être un "égyptien" qui veut anéantir le peuple de Dieu ! L'histoire de Moïse n'est donc avant tout qu'une évocation transhistorique du monde dans lequel nous sommes et dont Jésus a dit : “Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde(Cf. Jn 15.9 etc.)…  -

Il faut en sortir, fuir ce monde qui nie Dieu et qui nous rend alors si facilement esclaves comme les Hébreux en Egypte, destinés pourtant - et nous avec eux - à une fécondité : cette mission déjà donnée à Adam et Eve : “Soyez féconds” (Gen 1.28). Et voilà qu’on les contraint à une production de plus en plus grande : faire des briques et encore des briques. Toujours ce dessein orgueilleux de l’homme dès le début de la création : “Faisons des briques, cuisons-les au four ; et nous bâtirons une tour dont le somment touche le ciel” (Gen. 11.3). C'est toujours - et actuellement encore - le mythe païen de Prométhée qui voulait être comme Dieu ! C’est le péché par excellence.

Dans le texte, à propos de Moïse, il y a, en filigrane, un jeu de mot entre servitude (avdout) et service de Dieu (avoda). Autrement dit, il faut toujours s’appliquer - pour être dans le monde, mais non du monde - à passer de la servitude au service. C’est en servant Dieu qu’on redevient véritablement libre - St Paul le soulignera -. C’est en méconnaissant Dieu qu’on tombe dans l’esclavage de la production. “Faire des briques !” : C’est le symbole de la production de l’esclavage qui s’oppose aux épanouissements de la fécondité à laquelle Dieu nous appelle, lui qui nous a créés “à son image et ressemblance”.

Moïse doit fuir… pour passer de la production à la fécondité.
Mais, dans le désert de Madian où il fuit, Moïse a soif - comme Jésus au bord d’un puits, comme Jésus sur la croix : “J’ai soif”, comme chacun de nous souvent dans le désert du monde -.
Moïse a soif ; et il arrive près d’un puits. Savez-vous ce qui se passe près des puits, dans la Bible ? C’est là que les femmes viennent puiser l’eau. Alors, près des puits, souvent, il se passe des histoires d’amour. - On aurait tort d’en rire. Les Pères de l’Eglise aimaient les reprendre, car toutes ces histoires culminent dans la rencontre de Jésus et de la Samaritaine au puits de Jacob.

Dès lors, toutes les histoires d’amour, aujourd’hui encore, doivent se développer auprès de celui qui a dit : “Je suis l’eau vive, la vraie source”. D’ailleurs - chose très rare -, dans le texte, on écrit avec précision : “le puits” (avec l’article - Ex. 2.15 -), alors qu’on ne connaît pas le nom du lieu, et  comme s'il n'y avait qu'un seul puits ! C’est donc déjà “le puits"..., le puits d’éternité.
Et c’est ainsi que Moïse, près du puits, - ce "puits d'éternité" - épousa Çippora, Ils eurent un fils, Guershôm”, qui veut dire : “Emigré-là”. Nous sommes tous des émigrés, diront St Pierre (I P 2.11) et St Paul (Col 1.21). Mais Dieu nous aide non à produire, mais à être féconds de semences de vie éternelle dans et par l’amour de Dieu, du Dieu de toute alliance !

Moïse doit fuir. Et il y a cet épisode extraordinaire du buisson ardent. “L’ange de Dieu apparut (littéralement fut vu) dans une flamme de feu. Moïse vit. Le buisson ne se consumait pas. Alors, il se dit : Je vais faire un détour pour voir cette vision étrange. Et Dieu vit qu’il faisait un détour pour voir (Ex 3.2sv). En quelques mots, il y a une répétition importante du verbe “voir”. C'est qu'il s’agit toujours - et surtout avec Jésus -  de “voir celui qui nous voit sans cesse”. Souvent dans les évangiles, il est noté qu'on cherchait à voir Jésus, comme Zachée (Lc 19.2) et bien d'autres (Jn 12.21). Et Jésus lui-même dira : “Qui me voit, voit le Père” (Cf. Jn 14.9). Ne nous détournons jamais de notre destinée : voir Dieu ! Déjà ici-bas - comme dans un miroir (même mauvais), dira St Paul (I Co. 13.12) - et pleinement en notre jour d’éternité.

Moïse doit fuir … la servitude de la production ; et il fait un détour pour voir… Dieu voit qu’il fait un détour pour voir. Ne nous étonnons pas : il nous faut parfois, nous aussi, faire bien des détours - difficiles, souvent - pour être sur la trajectoire de Dieu qui passe et qui voit.
En ce cas, la curiosité est une bonne chose ! Si Moïse n’avait pas été curieux, il ne se serait rien passé ! Chercher à voir ! St Thomas d'Aquin parle d'une bonne curiosité - "studiosité", dit-il plutôt pour l'opposé à la mauvaise curiosité -, une bonne curiosité - studiosité - qui s'applique aux choses de Dieu et qui consiste, si je puis dire, à fouiller les coffres du Saint-Esprit ! (Iia IIae 167).

Chercher à voir !  Ce n’est pas que Dieu ne soit pas là où nous sommes. Non ! Dieu est partout ! Même une fourmi n’existerait pas si Dieu ne donnait l’existence à chaque instant par une création permanente. Ce n’est pas Dieu qui n’est pas là ; C’est nous qui sommes absents. Tous, nous sommes plus ou moins malades de cette maladie dont parlait Pascal : le divertissement. Nous pensons à tout, sauf aux choses importantes, sauf... à Dieu ! C’est un peu ennuyeux parce que, par le divertissement, nous perdons du temps ; et à force de perdre du temps, on perd sa vie. (Et nous n’en avons qu’une !).

Moïse doit fuir … Pour voir véritablement, il fait un détour dans le désert, c'est-à-dire dans un endroit aride, difficile, dur ! Mais n'est-il pas dit aussi que dans le désert la voix de Dieu retentit : “Je l’attirerai au désert, et je lui parlerai au cœur”, dit Dieu par le prophète Amos au sujet de son peuple (2.16). Là encore, il y a une assonance voulue : au désert (mitbar), je parlerai (dibarti). Dieu qui parle au cœur dans le désert, dans notre désert ! Et Isaïe de proclamer : “Une voix crie : dans le désert, frayez le chemin de Dieu !” (40.3).
Oui, dans le désert, on n'entend que le silence, mais parfois un silence qui est présence de Dieu, comme ce fut le cas pour le prophète Elie : il entendit dans le désert de l'Horeb où il fuyait, lui aussi, "le bruissement d'un souffle ténu" (litt. "comme l'éclatement d'un silence"). C'était Dieu qui passait ; il venait s'entretenir avec son prophète qui, est-il dit, était "passionné pour le Seigneur, Dieu des puissances" (I R. 19.14). Si l’un de vous est dans un désert, que Dieu lui inspire un détour pour mieux l’entendre !

Car toujours, nous sommes interpellés par Dieu pour faire un détour qui consiste à passer du paraître à l’être. Au fond, nous vivons tous au plan artificiel du paraître, nous jouons tous des comédies. Or Dieu est “Celui qui est” - “Je suis celui qui suis... Tel est mon Nom”. Alors pour être sur la trajectoire de Dieu qui passe, il faut un minimum de ressemblance avec lui qui est l’Etre. Etre ce que l’on est. Etre ! C’est alors que la rencontre se fait…! Car Dieu nous prend, comme Jésus le fit avec ses apôtres, tels que nous sommes et là où nous en sommes. Il n’attend pas notre perfection.

Et au désert, si nous faisons un détour pour "être" véritablement, alors Dieu descend pour faire monter : “Je suis descendu pour faire monter ce peuple vers une terre fertile…” (Ex 3.8). Voilà encore une caractéristique de Dieu : il descend pour nous rencontrer et nous faire monter : “Lui de condition divine, dira St Paul, il est descendu, devenant semblable aux hommes… Aussi Dieu l’a exalté, l’a fait monter…” (Phil. 2.6). C’est avec Jésus que Dieu veut nous faire monter… vers Lui !

Et c’est alors que nous découvrons Dieu : “Je suis celui qui est” dit-il. C’est, dit-on, difficile a traduire. C'est une expression hébraïque contenant la racine du verbe "être", si bien que l'on peut traduire indifféremment : Je suis qui j’ai été, qui je suis - ou - qui je serai… ! Peut-être que cette réponse ambiguë sur le "Nom de Dieu" n'est finalement, en quelque sorte, qu'une fin de non-recevoir : "Mon Nom" ?, dit Dieu, tu le sauras bien : pour le moment, marche ! Et au fur et à mesure que tu mettras un pied l’un devant l’autre dans l’existence, tu découvriras que “Je suis” avec toi ! C’est pourquoi Jésus reprendra : “Je suis ! Je suis le pain, l’eau vive ; je suis la voie, la vérité, la vie". Le Seigneur avec vous, avec nous ! "Dominus vobiscum !". On découvre Dieu tout au long de l’existence, dans la banalité de nos actions quotidiennes.

Aussi, avec cette grande figure qu'est Moïse, retenons surtout : Dieu “qui est” n’a pas besoin de paraître. Et si nous ne faisons pas un petit détour - c’est le temps favorable, en Carême -, si nous vivons seulement au plan du paraître, nous risquons de dire que Dieu n’existe pas vraiment ! Alors que c’est nous qui sommes distraits ! C'est nous qui sommes dans le "divertissement" !

vendredi 26 février 2016

Dieu, Libérateur !

Epsilon  de Carême - Libération (2) !  

...Alors que faire... ?

Que faire quand l'homme découvre que sa prise de conscience de libération (souvent myope) ne mène à rien, ne conduit pas à une véritable libération ?

Il faut alors s'en remettre à Celui pour lequel les besoins de libération de l'homme ne se trouvent pas en décalage par rapport à la conscience qu'il en a. C'est le Créateur !
On peut affirmer, a priori, que Dieu, en tant que Créateur, est le seul pour qui la conscience et le besoin de sa créature ne sont pas en décalage.
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Pour l'homme, il y aura toujours cette difficulté, ce décalage entre prise de conscience d’un besoin de libération et le besoin objectif, authentique de libération.
C’est son drame, sa souffrance.
Et je suis convaincu que l'homme, à notre époque qui se veut si moderne et développé, a un âge mental encore très peu évolué On dirait qu'il se trouve encore au niveau des premiers âges mentaux de l’existence : Il y a des exigences qui s'imposent à lui avec la même exigence avec laquelle un enfant ressent les siennes, étant tout entier dans la perception actuelle et factuelle… ! Ses parents, eux, savent ses besoins pour sa vie future d'adulte.

Ainsi Dieu, lui,
qui voit l'homme à venir, l'homme à naître, l'homme qu'il a éternellement conçu "à son image et ressemblance",
qui voit cet homme que l'homme d'aujourd'hui essaie de mettre au monde…, avec la liberté qu'il lui a donnée...,
Dieu, lui, a la connaissance des besoins objectifs de l’homme.

Et c’est le décalage entre besoin “perçu” et besoin “révélé”.
Finalement, la Révélation divine est plus que nécessaire pour que les besoins objectifs et authentiques de l'homme affleurent à sa conscience.
Dieu seul peut faire prendre conscience à l'homme de ses besoins authentiques. Et c’est la première “libération ” : libérer l'homme de la prise de conscience superficielle, essentiellement momentanée et myope des besoins qu'il a… C'est sans doute la plus fondamentale des libérations ! Et une libération qui peut permettre à l'homme de devenir lui-même et librement un libérateur et non pas seulement un agitateur.

Voilà pourquoi on peut affirmer que Dieu est le “Libérateur des hommes” ! Il est le seul qui peut avoir une conscience des authentiques besoins de l'homme qu'il crée. Il est le seul qui puisse transmettre cette conscience pour que l'homme, pleinement libre, coopère lui-même à sa véritable libération.

Et cette pleine conscience des besoins authentiques de l'homme s'est faite en Jésus Christ !

Voilà pourquoi la relation à Dieu (par l’écoute de sa Parole, par la prière… etc.) est une garantie de parvenir, à terme, à une consciente et réelle libération de nos diverses servitudes et angoisses.

Oui, Dieu en Jésus, est bien notre "LIBERATEUR" !

jeudi 25 février 2016

Conscience et besoin de libération !

Epsilon  de Carême - Libération (1) !  - 

On a proclamé, on a écrit : "Jésus, LE LIBERATEUR !" !

Devant cette affirmation, certains contestent : “Libérateur de qui, de quoi ? Certes, nous aspirons à de meilleures conditions de vie, à être libérés... de la maladie, des accidents, des inconvénients divers inhérents à toute existence. Mais, nous ne sommes quand même pas des esclaves !”. En sommes-nous très sûrs ?

Essayons de voir clair en ce domaine :
- On peut manifester une certaine conscience d’un besoin de libération
- On peut avoir un besoin objectif de libération plus ou moins conscient.
- Mais la conscience d'un besoin objectif de libération et le besoin objectif de libération ne se superposent pas toujours parfaitement ! C’est là, le drame !

- Il y a parfois plus ou moins concordance : Ainsi, le parisien des mois d’été peut prendre conscience d’un besoin estival, d’un besoin de soleil et de grande respiration sur le sable d’occasion de “Plage-Paris” !
Et le paysan qui, arrive dans la Capitale, éprouvera immédiatement le besoin objectif d’être libéré le plus tôt possible de l’air pollué et des “encombrements de Paris”. Il prendra la première occasion libératrice pour aller respirer à nouveau le vent qui souffle sur son champ de patates dont se gausse facilement le parisien.

- Le plus souvent la concordance est moindre. L’homme, dans sa conscience, peut imaginer des besoins de libération et être aveugle sur les besoins de la vie. Ainsi l’automobiliste, dans une ville, est obsédé, dans sa conscience, de son besoin de se déplacer, de circuler, de pouvoir stationner... tandis que. le promeneur, lui, ressentira le besoin objectif d’être libéré du bruit assourdissant et du gaz carbonique qui se dégagent des automobiles.

- Plus sérieusement encore, il existe des états de misères où il n'y a aucune conscience d’esclavage. Pourquoi ? Parce que ces “miséreux” - ces esclaves divers de toute époque - ne peuvent imaginer que les choses soient autrement. Il faut un minimum de connaissance pour le concevoir, pour prendre conscience d’un état d'esclavage… !
C’est ce qui existait chez les Hébreux en Egypte. Seul, Moïse qui, lui, avait une éducation d'un noble égyptien pouvait concevoir comme condition de servitude les circonstances de vie de ses frères... Il éprouvait peux eux le besoin d'une libération. Eux, n’avaient que des revendications occasionnelles… liées à leur condition d’esclave.

Il faut donc admettre qu'il existe bien un besoin objectif de libération dont l'homme puisse ne pas en être pleinement conscient..., que demeure toujours une sorte de décalage entre la conscience et le besoin.

Au temps de Jésus, il y avait ce décalage dramatique entre conscience et besoin :
Les Juifs subissaient une dure occupation romaine. Et pour ce peuple, au plan de la conscience, le besoin de libération nationale était infiniment ressenti, survolté, surchauffé. 
Or, Jésus, lui, a déçu ce besoin en n’intervenant pas à ce niveau de libération, et en "s'amusant", si je puis dire
- à libérer les hommes de leurs péchés, alors qu'ils avaient envie d'être libérés des Romains,
- à dire à un paralysé : "tes péchés te sont remis", alors qu'il avait simplement envie de se promener.
Jésus voulait faire prendre conscience d’un besoin qui ne coïncidait pas au besoin dramatiquement ressenti et exacerbé du peuple de son époque.

Finalement, notre prise de conscience de libération est souvent myope. Elle ne voit que les effets ressentis et exprimés d’une cause objective de libération nullement découverte.
Et cette prise de conscience myope risque seulement de faire osciller, de façon de plus en plus folle et contradictoire, le nuisible balancier des conséquences d’une servitude objective - "lutte des classes" -, sans jamais arriver à trouver une réelle libération.

Alors, que faire ? (A suivre). 

mercredi 24 février 2016

Veiller

Epsilon  de Carême 

"Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez !" (Mc13.37)
"Veillez et priez !" (Mc 14.38)
"Heureux celui qui veille !" (Ap.16.15)

VEILLER ! C'est une recommandation souvent formulée dans la Bible !

Mais qu'est-ce donc que veiller ?
En réponse, je vous transmets simplement une explication du grand Cardinal Newman (1801-1890) :

"Savez-vous ce que c'est que de veiller ?
Savez-vous ce que c'est que d'attendre un ami,
d'attendre qu'il vienne, et de le voir tarder ?

Savez-vous ce que c'est que d'être dans une compagnie qui vous déplaît,
et de désirer que le temps passe
et que l'heure sonne où vous pourrez reprendre votre liberté ?

Savez-vous ce que c'est que d'être dans l'anxiété au sujet d'une chose qui peut arriver ou ne pas arriver ;
ou d'être dans l'attente d'un événement important qui fait battre votre cœur quand on vous le rappelle, et auquel vous pensez dès que vous ouvrez les yeux ?

Savez-vous ce que c'est que d'avoir un ami au loin,
d'attendre de ses nouvelles,
et de vous demander jour après jour ce qu'il fait en ce moment,
et s'il est bien portant ?

Savez-vous ce que c'est que de vivre pour quelqu'un qui est près de vous, à tel point
que vos yeux suivent les siens,
que vous lisez dans son âme,
que vous voyez tous les changements de sa physionomie,
que vous prévoyez ses désirs,
que vous souriez de son sourire,
et que vous vous attristez de sa tristesse,
que vous êtes abattu lorsqu'il est ennuyé,
et que vous vous réjouissez de ses succès ?

VEILLER DANS L'ATTENTE DU CHRIST EST UN SENTIMENT QUI RESSEMBLE A CEUX-LA, autant que les sentiments de ce monde sont capables de figurer ceux d'un autre monde !".

Veillons donc dans l'attente du Christ
qui est venu,
qui vient
et qui viendra dans sa gloire de Ressuscité !

lundi 22 février 2016

Miséricorde divine

Epsilon de Carême

"Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la conversion !".

En cette année de la miséricorde, il faut souligner et encore souligner que Dieu, en Jésus, s'adresse aux pécheurs, parce qu'il a un "cœur" sensible à la "misère" de l'homme. Et le péché n'est-il pas la première de toutes les misères humaines, source très fréquente de toutes les autres ?

Aussi, les disciples du Christ forment désormais "un peuple acquis", dit St Pierre, uniquement par la miséricorde de Dieu : "Vous qui autrefois, disait l'apôtre aux premiers chrétiens, n’aviez pas obtenu Miséricorde, et qui maintenant avez obtenu Miséricorde !" (I P. 2.9-10).

Pourquoi le mot "miséricorde" ?  Pourquoi le mot "amour" ne suffit-il pas ?

En français, le mot « amour » est quelque peu ambigu et pauvre, car on n'aime pas quelqu'un comme on aime le chocolat ! Et pourtant on utilise le même mot !

Le grec a trois mots pour dire "amour" : "eros", "philía" et "agapè". (Il y a même encore le mot "philostorgia" qui exprime un "amour de famille", un amour dont l'origine est le sang).

Les apôtres ont souvent utilisé le mot "agapè" pour exprimer l'amour de Dieu à notre égard : c'est un "amour de surabondance", un amour de pure bonté...! Et c'est déjà beaucoup !

Mais les premiers chrétiens ont encore créé le mot "miséricorde" pour rendre compte de ce que le cœur de Dieu rejoint les misères de tous ! Le cœur de Dieu est dans l’auto-donation de lui-même vers nous : voilà sa "miséricorde", une "miséricorde" qui nous fait participer à sa propre vie !

Arrêtons de penser que Dieu serait méchant, serait un Dieu d'une justice implacable, sévère et impitoyable. Ce dieu, c'est le dieu du déisme, le fameux "grand horloger".

Le Dieu que Jésus nous révèle est un Dieu qui n’est que Miséricorde. C'est son Cœur qu'il veut nous donner pour vivre de Sa Vie ! Et la vie chrétienne, ici-bas, n'est finalement qu'un "noviciat" (plus ou moins long) qui, au jour éternel, nous fera aimer parfaitement comme Dieu aime !

Le pape François avait bien raison de dire : "Le Seigneur ne se lasse jamais de pardonner. Jamais ! C'est nous qui nous fatiguons de lui demander pardon"

Aussi pour terminer, je vous livre une "histoire de miséricorde divine" que j'aime bien : Un jour le Diable dit à Dieu : “Ce qui m’étonne chez Toi, c’est que les hommes ne font que pécher et tu leur pardonnes sans cesse, alors que moi, je n’ai péché qu’une fois, et tu ne m’as jamais pardonné !” - Et Dieu de lui répondre : “Oui ! Mais toi, combien de fois m’as-tu demandé pardon ?”.

C'est cela le "sacrement de réconciliation" : la rencontre avec Dieu plein de miséricorde !

samedi 20 février 2016

Alliance et Transfiguration

2e Dimanche de Carême 2016/C   

Abraham, ce “Père des croyants” (Cf. Rm 4.16) occupe une place capitale dans l'Histoire. Aussi, sa foi, sa confiance en Dieu nous sont très utiles !
 Il n'a pas d'enfant ; pourtant il a “foi en Dieu” qui lui promet une descendance innombrable : "Regarde le ciel, compte les étoiles... Vois quelle descendance je te donnerai !".

Et comme toujours, la promesse divine - ici, une descendance - se fonde sur le rappel l'"anamnèse", le "souvenir" des merveilles que Dieu a déjà accomplies : “Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir d’Our”. Cette sortie d’Our en Chaldée évoquera bien sûr, pour le futur lecteur de la Bible, une autre sortie, celle de l’Exode, la délivrance de la servitude en Egypte et l'entrée en la Terre promise.
Oui, l'"anamnèse", le "souvenir" de Dieu - comme une "profession de foi" en un Dieu qui est de toujours à toujours - actualise ce qu'Abraham a déjà fait sous la conduite de Dieu et dont la grâce l'atteint en son aujourd'hui, en son moment présent.
Et bien davantage, plus qu’une simple évocation du passé qui s'actualise, l'"anamnèse" est aussi une profession d'espérance en un Dieu toujours fidèle et qui ne peut, lui, oublier.
Souvent, d’ailleurs, reviennent dans la Bible les mots de "Souviens-toi" à l'adresse du peuple, ou de "Je me souviens" dits par Dieu quand il annonce une nouvelle intervention. Voilà ce qu’est une véritable "anamnèse" !

Ainsi, d'un passé, Dieu regarde toujours notre avenir : “Vois, dit-il à Abraham, quelle descendance tu auras”.
Celui-ci ose alors demander : “Comment, vais-je le savoir ?” ["Comment cela se fera-t-il ?, demandera Marie elle-même !]. Et Dieu fait toujours la même réponse : “Parce que je m'y engage, comme je me suis déjà engagé lors de mon alliance, au moment de ta sortie du pays d’Our”. Autrement dit, Dieu est toujours fidèle !

Et Abraham, dans “un sommeil mystérieux”, voit Dieu se soumettre à un vieux rite d'alliance : Il passe, sous la forme d'une flamme, entre des animaux partagés en deux. Passer ensemble entre des animaux ainsi divisés, c'était dire : “Qu'il ait le sort de ces animaux, celui d'entre nous qui trahirait notre alliance”. Mais ici, c'est Dieu seul qui passe entre les animaux ! Cela veut dire que Dieu cesserait d'être Dieu s'il n'accomplissait pas sa promesse. Il s'agit donc d'un engagement de Dieu, indéfectible de son côté.

Et “les rapaces, qui descendaient sur les morceaux” - qu'Abraham écarte -, pourraient bien signifier tout ce qui voudrait contrarier l'alliance divine, faire douter l'homme de l'engagement de Dieu. Douter du Dieu de l’Alliance, c'est toujours d'actualité ! Abraham est bien le modèle accompli de l'homme de foi et, par là, du juste : ces rapaces, il les chasse !

Et ce rite archaïque d’il y a 4000 ans a, pour les croyants d'aujourd'hui, une portée considérable. Il rappelle que l'alliance dans laquelle Dieu s'engage remonte très loin, dès avant le Sinaï.
Et surtout, cette “anamnèse” tourne nos regards vers cette ultime “signature d'alliance” par laquelle Dieu s'est engagé d'une manière inouïe : non plus par le sang d'animaux, mais par celui de son propre Fils livré pour le salut des hommes. Et le feu de l'Esprit-Saint - ce feu de Pentecôte - maintient toujours le Christ entre ciel et terre, si je puis dire, pour que nous entrions en son alliance. Ainsi souvenons-nous ! Et faisons "anamnèse" !

C'est désormais cette alliance conclue sur la croix du Christ est le mystère pascal que célèbre et réactualise l'Eucharistie. C'est vers cette croix qu'à l'heure ultime, se tourne le regard de l'agonisant, pour que s'éloignent de lui les rapaces tentateurs et que, dans la paix, il remette son esprit à Dieu qui a promis le Royaume à la descendance d'Abraham, le “¨Père des croyants”.

Et c’est dans ce contexte d’alliance que l'Eglise nous invite à méditer le bel évangile de la Transfiguration ! Tout commence pendant que Jésus est en prière et que ses trois disciples dorment.
Plus tard, en une circonstance analogue, Jésus s'étant encore mis en prière, les trois mêmes disciples se laisseront de nouveau aller au sommeil. Jésus les réveillera, mais pour leur montrer un visage triste jusqu'à la mort...
Pour l’heure Jésus les réveille dans la lumière fulgurante de sa gloire. “Se réveillant, dit Luc, ils virent la gloire de Jésus avec Moïse et Élie, à ses côtés”. Et ce fut l'éblouissement. Un éblouissement qui n'était pas appelé à durer, mais dont la trace, lumineuse et douloureuse à la fois, allait les marquer jusqu'à cette lumière qu'ils reconnaîtront un jour sur la face du Ressuscité.

Le choc les a mis complètement hors d'eux-mêmes. La vision de Jésus en gloire les jette pour ainsi dire dans un état second. Luc, lui-même, avoue qu'ils ne savaient pas ce qu'ils disaient. A Pierre, elle arrache un cri aussi touchant qu'irréfléchi : “Il est heureux que nous soyons ici, dressons trois tentes…”. Pierre semble avoir oublié où il se trouve. Mais peu importe. Ce qui l'intéresse, c'est uniquement lui, Jésus, celui qu'il aime, toujours le même et maintenant si différent, mais en même temps tellement plus vrai et plus nature que d'ordinaire : Jésus tel qu'il est depuis toujours en lui-même et face à son Père. Oui, vraiment, qu'il fait bon d'être ainsi auprès de Jésus, dans le rayonnement de sa gloire, l'œil et le cœur inondés de cette lumière ! Pierre voudrait y demeurer.

Ce Pierre ne nous est pas étranger. Pour peu que quelque éclaboussure de la gloire de Jésus nous ait été donnée d'apercevoir ou de pressentir seulement, nous aussi, nous voudrions y établir à jamais notre demeure. Nous en restons blessés et nous serions prêts à gravir n'importe quelle hauteur, à affronter n'importe quelle intempérie, pour la grâce d'en être favorisés une nouvelle fois. Pour nous aussi, désormais, tout a changé. Une petite flamme allumée jadis, à un moment donné, à la chaleur de Jésus transfiguré, continue à couver paisiblement sous les cendres de notre cœur. Et même le baptisé qui pense n'avoir jamais rien vu de cette gloire, en porte cependant le secret désir au plus profond de lui.

Mais c'est en vain que Pierre voudrait planter sa tente… La vision est de courte durée. Cependant, Dieu ne laissera pas Pierre à lui-même. Au moment où Jésus transfiguré est soustrait à son regard, il entendra la voix du Père : “Celui-ci est mon Fils, écoutez-le !”. Car Jésus n'était pas seul dans sa gloire. Il était le resplendissement de la gloire et la parfaite image d'un autre, de son Père. Un Père invisible, mais qui prend soudainement la parole pour nous dire : "Ecoutez-le !". Car c'est en l'écoutant que nous parviendrons à la gloire du Dieu de l'Alliance !

Et lorsque les feux de la Transfiguration se seront éteints, il reste et restera toujours Jésus. Et Luc précise : “Jésus seul.” Car pour celui qui a entrevu quelque chose de la gloire de Jésus, ou qui est habité par le désir de l'entrevoir, toutes les autres lumières pâlissent définitivement.
Et de même, pour celui qui a saisi, ou plutôt qui a été saisi par une seule parole de Jésus, toutes les autres mélodies s'éteignent. Car sa Parole est toujours avec nous, et elle nous brûlera jusqu'à la fin de nos jours. Il n'y a pas de brûlure plus suave, ni de plus inguérissable. Mais il n'y a pas non plus de plus grande joie.

C’est ce que St Paul affirme (2ème lecture) : L'héritage promis, Dieu l'a donné par la croix du Christ. Dès à présent, “nous sommes citoyens des cieux”, quoique vivant encore dans l'espérance de la manifestation plénière du Seigneur Jésus, “lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer”. C'est donc l'heure du choix pour ou contre la croix du Christ ! (Ph 3,17 - 4,1).

St Paul, suivi par bien d'autres, a opté. Toutes “les valeurs charnelles” auxquelles il était si farouchement attaché, “tous ces avantages” qu'il avait, il les considère comme “une perte”, comme “des balayures”, “à cause du Christ”, “en vue d'un seul avantage, le Christ” (Ph 3,4-8).

Sûr de la Promesse, Abraham était prêt à sacrifier son fils. A l’exemple de Paul, oubliant tout “ce qui est en arrière et tendu vers l'avant” (Ph 3,13), sacrifiant tout le reste, le chrétien choisit la croix du Christ.
C’est en elle que Dieu nous fait déjà “citoyens des cieux”, en la lumière éternelle du Père de toute miséricorde

Donner la main !

Epsilon  de Carême - Comment prier ? (4) - Conclusion 

Oui, prier, c'est "dangereux" !

La prière est un combat à mort. Il faut que quelqu'un meure.
Si l'homme tente d'y maîtriser Dieu, de lui faire subtilement violence, de le ramener à lui : il y tue Dieu et il y tue son humanité.
Ou bien, c'est l'homme qui accepte de mourir, pour se prêter à l'invasion des hommes, à l'invasion de Dieu.
Sans mourir, nous ne pouvons ni voir Dieu ni aimer les hommes. N'est-ce pas tout le sens du Carême et du mystère pascal que nous allons célébrer prochainement !

Le combat de Jacob avec l'ange (Gen 32) ne cesse pas dans la nuit de l'histoire. La prière est cette aventure de mort et de vie.

Un soir, au cours d'un "camp", je marchais avec quelques enfants. J'étais un peu perdu moi-même ; et je n'en étais pas très fier ! La nuit tombait !
Au moment où nous allions rentrer dans un bosquet plus noir encore, j'ai entendu derrière moi la voix d'une petite fille qui murmurait avec une hardiesse feinte : "Mon Dieu ! Faites qu'on se perde !". - Merveilleuse prière finalement : comment voulez-vous que nous allions vers Dieu et qu'il nous sauve, si nous ne savons pas que nous sommes perdus ? - Et en même temps, la main de la petite se tendait dans l'ombre vers la mienne… pour se raccrocher à moi !

Péguy le disait bien, à sa façon : ce qui fait le chrétien, ce n'est pas l'étiage, (son faible niveau de vie spirituelle à combler)... Ce qui fait le chrétien, c'est qu'il donne la main.
A Dieu et à son frère tout à la fois !

vendredi 19 février 2016

Le vrai climat de la prière !

Epsilon  de carême - Comment prier ? (3) -

Mais alors, si la prière est à ce point dangereuse,
si elle risque de s'enliser dans un narcissisme qui s'ignore,
mieux vaut se contenter de vivre, sans s'aventurer dans ces zones spirituelles où dansent tant de mirages ! Tout le monde, finalement, ne peut pas faire de l'escalade vers l'oxygène des sommets… de Dieu !

C'est vrai, mais tous ont besoin pourtant de respirer pour vivre. Nous savons combien d'hommes aujourd'hui respirent mal. Le besoin est grand de dilater les respirations de l'homme. Non, il ne faut pas renoncer à l'aventure de la prière !

Et si l'on donnait à cette fameuse parabole du pharisien et du publicain un aboutissement heureux ?
On pourrait imaginer : « Le pharisien eut un frisson soudain et se prosterna la face contre terre en disant : “Seigneur, aie pitié du pharisien que je suis. Ah ! Je suis bien comme les autres hommes qui sont si aveugles à regarder vers toi et à regarder leurs frères. Seigneur que je connais si peu, enlève la poutre de mon œil !”… Puis le pharisien se releva et descendit au fond du Temple, à côté du publicain, pour partager son silence et sa prière ».

La trajectoire de la prière, toujours à refaire, c'est cette courte distance du pharisien au publicain. Il suffit de quelques pas intérieurs, il suffit de se retourner, il suffit de modifier son regard. Mais c'est déjà changer d'humanité et changer de Dieu !

La prière : changer d'humanité.
Changer d'humanité !  Car, en nous-mêmes, trop souvent pharisiens, que de manières de s'isoler, et de regarder de loin le reste des hommes ! Celui qui se met à distance des hommes est déjà loin de Dieu.
Prier, c'est d'abord recevoir en soi le monde entier, s'avancer vers Dieu avec tous les hommes dans son cœur, se mettre "dans l'axe de la misère humaine".
Que serait la prière de quelqu'un qui oublierait
tant de drames sanglants de par le monde,
tant d'injustices et de souffrances à côté de nous,
tant de grandeur, de fragilité et de misère dans notre humanité ?
Est-il possible de prier sans entendre sans cesse la voix de Jésus : "J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais malade, j'étais en prison… …! ".
Prier, c'est d'abord être avec tout le monde. Car Dieu, depuis l'Incarnation, habite la foule des hommes. Prier, c'est partir en humanité. Et conséquemment peiner ensuite pour changer l'humanité, autour de nous et en nous.

La prière : changer de Dieu.
Et c'est aussi changer de Dieu !  Car la manière dont l'homme traite l'homme atteint Dieu ; et la manière dont l'homme traite Dieu atteint l'homme. Qui détruit Dieu détruit l'homme ; et qui tue l'homme tue Dieu.
Le pharisien, établi loin des hommes, dressait devant lui l'image d'un Dieu qui lui ressemblait : Dieu n'était pour lui qu'un "détour" pour ne pas sortir de lui-même.

Quel Dieu nous donnons-nous lorsque nous prions ?
Il n'est pas facile de répondre, mais n'oublions jamais le mot terrible d'un écrivain (Proudhon) : "J'ai cessé de croire en Dieu le jour où j'ai rencontré un homme meilleur que lui !".

Prendre le sentier de la prière, c'est percevoir que Dieu est autre que l'image de Lui que nous secrétions nous-mêmes.
Prendre le sentier de la prière, c'est consentir à la mort du dieu que nous avions habillé de notre propre image.

(Conclusion : à suivre)

jeudi 18 février 2016

Renaissance permanente !

Epsilon de Carême - Comment prier (2)  - La Prière : Renaissance permanente !

Si la prière n'est pas une question de moralité...,
Si les "techniques" pour prier n'y suffisent pas...,
Alors, comment prier ?

Reprenons la parabole du pharisien et du publicain.
Dans l'homme qui semblait un modèle de santé religieuse - le pharisien -, Jésus diagnostique le mal le plus irrémédiable.

Certes, ce pharisien est intègre et généreux, ne commettant ni vol, ni injustice, ni adultère, cultivant la maîtrise de soi et la générosité. Pourtant, cet homme n'est pas redescendu chez lui "justifié", parce que sa prière l'a enfermé sur lui-même.

Il remercie Dieu d'être un bon pharisien. Il "pose" son existence face à Dieu. Il ne sait plus que l'homme a toujours à "re-naître" de la bonté de Dieu. Ce n'est pas pour rien qu'après cette parabole, Luc nous rapporte la parole de Jésus : "Quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant n'y entrera pas" (18/17).

Or, le pharisien ne pense plus être un "enfant de chœur". Il est un adulte installé à son compte dans les affaires de Dieu. Or, la foi, disait justement le pape François dernièrement, n'est pas un "compte en banque spirituel".

Le pharisien, lui, rend grâce pour son existence droite ; mais, ce faisant, il ignore qu'il a toujours à recevoir sa vie, dans une pauvreté radicale, de la grâce gratuite et gracieuse de Dieu.

Le pharisien ne veut plus "re-naître"; il ne sait plus qu'il a, chaque jour, à tout accueillir de Dieu comme un enfant. Dieu n'est plus pour lui la source incroyable où coule l'eau vive qui toujours nous ranime.
Dieu n'est pas, pour lui, Celui qui surgit avec le visage de la tendresse, de la miséricorde, là où on l'attend avec celui de la justice. Dieu ne le surprend plus.
Le pharisien ne parle que de lui en parlant de Dieu. Sans le savoir, il refuse Dieu. Il se trompe sur Dieu !

Du même coup, il s'est "séparé" également des autres. Il n'est pas comme le reste des hommes, et en particulier comme ce publicain qui semble arriver juste à point pour fournir un terme de comparaison. Sa prière déclare cette distance.

Face aux hommes, comme face à Dieu, le pharisien est installé à son compte. Il n'a pas besoin d'eux. Il n'a plus à recevoir. Il a laissé derrière lui les hommes du commun. Il refuse l'humanité.

Oui, la prière a ses risques :
elle peut emmurer en lui-même celui qui croit s'adresser à Dieu,
elle peut bafouer Celui qu'elle croit louer,
elle peut piétiner la solidarité élémentaire des hommes entre eux.

(à suivre)

mercredi 17 février 2016

Prière : Ni moralité ni savoir !

Epsilon de Carême - Comment prier ?  -

Comment prier ? Car, prier, c'est difficile, parce que, a-t-on dit paradoxalement, prier c'est dangereux ! C'est qu'en priant, on prend des risques majeurs : celui de s'isoler des autres, celui de se tromper sur Dieu, celui de gâcher sa vie !

La parabole du pharisien et du publicain le dit à sa façon (Lc 18.9-14).
Vous la connaissez bien, cette parabole. C'est une "parabole de combat" ! On la croit rassurante parce qu'on se range très vite du côté du publicain - non sans pharisaïsme d'ailleurs -, alors que cette parabole est décapante, puisque Jésus a l'audace de déclarer, en quelque sorte, que la prière peut séparer et de Dieu et des autres !

Aujourd'hui encore la force subversive de cette parabole reste intacte. Aussi faut-il y regarder de plus près... "Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L'un était pharisien et l'autre publicain…".

Le premier avait grande allure. Il faisait partie des pharisiens, hommes pieux et exigeants ! Ils étaient des modèles pour les Juifs du temps. C'étaient, pour la grande majorité, des "Justes" !

Mais alors, pourquoi la prière de ce Juste sera-t-elle finalement refusée ?
Aurait-il oublié quelque faute ? La parabole ne le donne nullement à entendre. Pas plus qu'elle n'insinue que le publicain fût meilleur qu'il ne disait. Les données sont claires : le pharisien était un "pur", un vrai ; et le publicain un de ces hommes véreux. C'est clair !
Prier ne suppose donc pas une déclaration de "bonne conduite". Et heureusement ! Pourtant, on entend souvent : “S'il m'arrive tel malheur, c'est que je le mérite sans doute ! - Si je ne suis pas exaucé, c'est que je ne suis pas assez saint !"  - Or, rien n'est plus faux. Ce ne sont pas des bilans de moralité que Jésus confronte, mais deux attitudes à l'abrupt de la prière…
Ainsi donc, premier constat : la prière n'est pas d'abord une question de moralité ! Et heureusement, car, alors personne ne pourrait prier ! Et d'ailleurs, l'une des plus belles prières de la Bible est celle de David après sa faute : le "Miserere" (Ps 50).

De plus, l'un savait prier ; et l'autre ne savait guère. Le pharisien avait une longue expérience de "l'accès à Dieu". On lui avait appris... Il savait, par exemple - ce que nous ignorons si souvent - que toute prière doit commencer par l'action de grâce.

Et faut-il le taxer d'orgueil et de prétention, alors qu'il remercie Dieu - qu'il fait "action de grâce - d'être un honnête homme et qu'il lui présente l'offrande de sa vie ? Ce serait trop facile, et nous serions encore sur le terrain de la morale.

Non, ce n'est pas sur la façon de prier que porte l'accusation de Jésus. Il sait trop bien - lui qui nous a appris le "Notre Père" - il sait que nous ne savons pas prier "comme il faut" !

La prière peut utiliser des "techniques" (recueillement - écouter, ruminer la Parole de Dieu... etc.). Et c'est bien, très bien. Mais il reste que la technique en ce domaine n'y suffit pas, loin s'en faut ! Et heureusement !

La Prière n'est pas d'abord "savoir prier". La faille est plus profonde, plus difficile à déceler. Jésus va y porter le scalpel avec une lucidité inconnue jusqu'à lui.

La prière n'est ni moralité ni savoir ! Qu'est-elle donc ?

(à suivre)

mardi 16 février 2016

Prière "existentielle" !

Epsilon de Carême - Prière (1) - La vie est une prière !

Hier, avec Jésus dans le désert de la tentation, nous étions invités à prier... à prier comme Jésus !

La prière dans la Bible est surtout "existentielle" !

C'est une relation avec Dieu-Sauveur
- pour "rendre grâce" de ce qui est arrivé ;
- pour reconnaître la "présence de Dieu" en ce qui arrive ;
- pour accomplir le "dessein d'amour de Dieu" en ce qui arrivera !

C'est dire que c'est la foi en Dieu-Sauveur qui sous-tend toute prière - et pour le passé, et pour le présent, et pour l'avenir - !

Une des grandes figures de la prière est certainement Moïse : ce fondateur du Peuple élu, du Peuple de Dieu !
Sa prière est active par ses supplications :
- Il en appelle toujours à l'amour de Dieu en faveur de son peuple !
- Il en appelle à sa justice, à sa fidélité, malgré les fautes du peuple !
Sa prière est toujours contemplative. C'est dans l'union à Dieu - le Saint ! - qu'il établit toute une législation pour le peuple !

Ce qui est encore remarquable : Moïse discerne que la prière peut être aussi une "perversion" de l'esprit, quand on "tente" Dieu (comme aux eaux de Mériba), c'est-à-dire quand on le prie ainsi : je croirai en toi si tu fais ce que je demande, si tu fais ma volonté ! N'est-ce pas notre cas, parfois ?

De même, beaucoup de rois et surtout de prophètes furent des hommes de prière !

L'essentiel des prières du roi David - même s'il fut un grand pécheur ! - est bien cette demande : "Agis, Seigneur, envers ton serviteur comme tu l'as dit !". Autrement dit : "Que ta volonté soit faite !".

Les prophètes (Samuel, Elie, Amos, Isaïe...ztc.) priaient sans cesse. La tradition voit en Jérémie "celui qui prie beaucoup pour le peuple" (2 Mac 15.14). Il fit de son cœur le "lieu de rencontre" entre Dieu et son peuple :
- Tantôt, il demande le salut du peuple dont il fait siennes ses souffrances.
- Tantôt, il se plaint de son peuple quand il oublie Dieu ; et même il crie vengeance !
- Tantôt, il s'épanche sur son propre sort comme intercesseur !

Après l'exil apparaissent davantage les "prières personnelles" qui, pour un certain nombre, furent écrites et formèrent peu à peu le "livre de prières" par excellence, le psautier !

Aussi, on peut considérer le psautier comme toute la Bible sous forme de prière. Et quand on s'efforce de faire le joint entre son existence et l'Histoire Sainte, on s'approprie facilement le langage des psaumes. C'est ainsi que l'on peut "prier sans cesse" : non seulement quand on peut prendre la position parfaite (s'il y en a une), mais dans toutes les circonstances de la vie, telles qu'elles se présentent !

Et le psautier lui-même se concentre dans le "Notre Père", cette prière que Jésus lui-même nous a donnée :
- Dieu est invoqué comme "Père", qui "voit dans le secret" : C'est dire l'intimité du priant avec Dieu, intimité que manifestent souvent les psaumes.
- Cette prière est un acte de foi en le dessein d'amour de Dieu quoi qu'il arrive, en sa volonté bienveillante, miséricordieuse...
- Cette prière de Jésus formule les demandes essentielles : le pain, le pardon, la grâce de ne pas être emporté par les épreuves... !

Mais comment prier ? (à suivre).