dimanche 30 octobre 2016

Jésus passe

31e dimanche ordinaire 16/C

On la connaît bien, cette plaisante histoire de Zachée : le petit homme juché sur son sycomore ; le voleur repenti qui fait restitution. Mais au-delà de ces images pittoresques, qu'a voulu nous signifier St Luc ?

« JÉSUS TRAVERSAIT LA VILLE DE JERICHO »
Jésus traverse Jéricho, car il est en marche vers Jérusalem, c'est-à-dire vers l'accomplissement de son mystère pascal de mort et de vie.
Pour Luc, surtout depuis le Transfiguration, toutes les actions, toutes les paroles, toute la vie de Jésus ne sont déterminées que par cet accomplissement de son mystère pascal. Aussi ne cesse-t-il pas de souligner la marche déterminée de Jésus vers Jérusalem, lieu de cet accomplissement.
Or il vient de rappeler la forte incompréhension des disciples à l'annonce de la mort tragique de Jésus, premier "volet", si je puis dire, de ce mystère pascal (18, 31sv).
- C'est alors que Jésus guérit, à l'entrée de Jéricho, un aveugle : il semble dire à ses apôtres et à nous-mêmes : ne faut-il pas être délivré d'une cécité spirituelle pour entrer, avec lui, en son mystère pascal ?
- C'est alors que Jésus s'adresse, en cette même ville, à Zachée jugé sur son arbre pour "voir Jésus" : "Descends vite…", lui dit Jésus : Ne faut-il pas descendre de nos suffisances humaines pour recevoir humblement Jésus et entrer, avec lui, en son mystère pascal ?

On dirait que Luc a voulu écrire en parallèle l'histoire de cet aveugle et celle de Zachée, comme réponse à l'incompréhension des apôtres et donc à la nôtre !  Celui qu'on croyait aveugle était en fait le seul à voir clair, puisqu'il reconnaissait le "Fils de David", le Messie, le Christ pascal (18, 38‑39) ;  - Celui qu'on jugeait pécheur est déclaré "fils d'Abraham" puisqu'il accueille Jésus-Sauveur en sa demeure. (19, 5‑9).

C'est comme un renversement de situation. Seul l'aveugle voit. Seul le riche accueille le salut, alors que Jésus venait d'affirmer précisément : "il est plus facile pour un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu".
Cependant il avait tout aussitôt ajouté : "Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu" (18,27). Réflexion qui traverse toute la Bible depuis qu'elle fut adressée à Sara qui doutait de pouvoir enfanter : "Y a-t-il rien de trop merveilleux pour Dieu ?", lui est-il dit (Gen 18.14). Réflexion adressée à Marie elle-même à qui l'ange de l'Annonciation lui révèle que sa cousine Elisabeth, alors âgée, va enfanter, car, lui dit-il : "rien n'est impossible à Dieu." (Lc 1.37).
Voilà la clef de tout retournement, de tout renversement. C'est de Dieu seul que vient cette possibilité invraisemblable aux yeux de l'homme, c'est de Dieu seul que vient le salut de l'homme !

« AUJOURD'HUI IL FAUT... »
Et le récit de Luc ne cesse de souligner cette initiative divine dans le comportement de Jésus. C'est une mauvaise habitude de lecture de considérer d'abord et davantage l'attitude amusante de Zachée juché sur son arbre que celle de Jésus.
Oh! certes, notre homme se met en peine pour compenser sa petite taille et pour "voir Jésus" ! Mais cette curiosité à "voir Jésus" est-elle toujours signe de conversion ? Ce n'est pas certain. St Luc notera encore la curiosité d'Hérode à "voir Jésus". Et c'était une curiosité malsaine : il espérait voir Jésus faire un miracle.

L'important pour Zachée, comme pour chacun d'entre nous, c'est bien l'attitude de Jésus qui passe en sa ville, près de lui, qui passe près de nous et qui nous dit comme à Zachée, avec un mélange de simple familiarité et de solennelle autorité : "Descends vite, aujourd'hui, il faut que j'aille demeurer chez toi…"
Plus que l'attitude de Zachée, St Luc souligne celle de Jésus qui vient sauver l'homme pécheur. Plus que notre propre attitude manifestée par notre démarche dominicale, plus que notre propre curiosité, il nous importe de discerner l'attitude de Jésus qui dit à chacun d'entre nous : "Aujourd'hui, il faut que j'aille chez toi" !

"Aujourd'hui"… Jésus nous redit : "aujourd'hui, en ce lieu de mon Eucharistie, il faut que j'aille demeurer chez toi". -
"Aujourd'hui". Ce mot se rencontre souvent chez St Luc pour annoncer la présence du salut de Dieu offert en la personne de Jésus :
- Ainsi les anges, à Noël, proclament : "Aujourd'hui, il vous est né un Sauveur". (2,11) ;
- A son compagnon de supplice le Crucifié déclarera : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis" (23,43).
- Et une fois accueilli, Jésus déclarera à Zachée : "Aujourd'hui le salut est venu pour cette maison" (v/9)

Puissions-nous entendre avec l'oreille du cœur cette demande du Seigneur : "Aujourd'hui, il faut que j'aille chez toi". "Aujourd'hui, ne fermons pas notre cœur..." (Ps 94). Et si nous acquiesçons à cette demande, nous entendrons : "aujourd'hui, le salut est en toi"!

Quant à l'expression "il faut", elle sert à désigner l'accomplissement d'un mystérieux vouloir divin qui doit se réaliser par la mort et la résurrection du Christ (cf. 9,22, 17,25; 22,37).
Quand Jésus vient, si on l'accueille aujourd'hui, il vient toujours en son mystère pascal de mort et de vie, mystère que nous rappelle l'Eucharistie. Aujourd'hui, il faut que j'aille chez toi, en mon mystère pascal. Nous sommes donc avertis : ce n'est pas pour la commodité du voyage que Jésus demeure chez Zachée, chez nous, mais pour que déjà soit donné là, chez Zachée et chez nous, un signe de l'œuvre pour laquelle le Sauveur est en route vers Jérusalem : le salut du monde réalisé en son mystère pascal.

Et si Luc note que Zachée reçoit Jésus avec joie, c'est que cette allégresse est à ses yeux signe du salut de Dieu : il le souligne depuis l'annonce aux bergers (2,10) jusqu'à la manifestation du Ressuscité (24, 41 52). Et nous aussi, si nous accueillons le Christ pascal chez nous, le signe de sa présence en nous sera la joie !

 «LE FILS DE L'HOMME EST VENU... »
Et la conclusion du récit (v.10) souligne bien encore l'initiative de Jésus qu'il nous faut remarquer tout au long du récit : il est celui qui "est venu chercher et sauver ce qui était perdu". N'avait-il pas dit déjà en la maison de Matthieu, le publicain : "Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs" (5,32) ; et c'est aussi le refrain qui scande les paraboles de la miséricorde dans lesquelles il s'agit toujours de chercher et trouver ce qui était perdu (15,6.9.24.32).

Mais ici ce rôle est attribué au "Fils de l'homme" : on sait que ce titre désignait un mystérieux personnage d'origine céleste qui devait venir à la fin des temps pour exercer le jugement dernier. C'est Jésus qui est ce "Fils de l'homme" dont la présence opère dès maintenant un jugement. Et comment Jésus rend-il ce jugement ? Il ne condamne pas, il annonce aux pécheurs leur pardon ; ce sont les Pharisiens et les scribes qui risquent, s'ils s'enferment en leur refus hautain, de se juger et de se condamner eux-mêmes (cf. 2,34; 7,29). Autrement dit, c'est toujours l'homme qui se condamne. Dieu, en Jésus, vient sauver : "Aujourd'hui…" !

lundi 17 octobre 2016

Missionnaire !

29e Dimanche du T.O. 16/C   

En cette "Journée missionnaire universelle",
il est bon de se redire : nous sommes, nous devons être missionnaires parce que chrétiens. Il est bon de nous rappeler cette évidence. Car la mission n'est pas une spécialité ; elle est un devoir pour tout baptisé : il a été "appelé" pour être" envoyé". Une telle exigence nous concerne donc tous. Aussi faut-il nous demander quelles sont les conditions d'une authentique mission. Si vous le permettez, j'en retiendrai trois :
- Le missionnaire doit être envoyé.
- Le missionnaire doit transmettre la foi.
- Le missionnaire doit prier.

1. Le missionnaire doit être envoyé.
Il n'est pas inutile de le rappeler, car bien des gens - et même des chrétiens - se croient une mission parce qu'ils se la sont donnée à eux-mêmes ! Or cela est absolument contraire à l'esprit chrétien, évangélique !

Nul n'est missionnaire de lui-même - pas même le christ qui a déclaré : "Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même". La mission du chrétien est participation à la mission du christ qu'il a reçue du Père : "comme tu m'as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés". Et qui a-t-il envoyé dans le monde ? Pierre et les Apôtres ! Et après eux, leurs successeurs : le Pape et les évêques. (cf. Vat. II). Ce sont eux qui, à leur tour, donnent mission à ceux qui veulent collaborer au salut des hommes en Jésus christ !

La mission, la nôtre, sera toujours divine et jamais humaine. Ceux qui organisent leur vie chrétienne et leurs diverses activités apostoliques selon leurs propres critères et jugements font obligatoirement fausse route ; et - la plupart du temps - n'en reçoivent guère de joie sinon celle - bien modeste - que peuvent donner les hommes. Et souvent, d'ailleurs, ils sont tiraillés entre ce qu'ils pensent et ce que pense l'Eglise, entre ce qu'ils font et ce que fait l'Eglise au nom du Père par Jésus christ et sous l'action de l'Esprit-Saint. Cela est très important, me semble-t-il : nous sommes des envoyés de Dieu et non de nous-mêmes !

2. Le missionnaire doit transmettre la foi !
"Cela va sans le dire ; cela va mieux en le disant !" (selon la célèbre formule de Talleyrand, appliquée à autre chose que la foi, évidemment !). Le missionnaire ne transmet pas son idéologie : en témoignant de sa propre foi, il doit transmettre la foi des apôtres, et reçue, vécue dans l’Eglise. Dans la deuxième lecture, St Paul invite son disciple Timothée : "Tiens-toi à ce que tu as appris et dont tu as acquis la certitude". Le missionnaire reçoit la foi au sens d’un contenu "donné" par le Christ, l’Eglise. Et il a, sans cesse, à en vérifier le bien fondé, de sorte que vivent de plus en plus sa relation avec Dieu et sa relation avec ses frères.

Il a à en “vérifier le bien-fondé” pour lui-même ! D'abord ! C’est-à-dire réfléchir sans cesse à tout ce que le Christ nous a dit et nous transmet encore par l’Eglise. Il ne s'agit pas de se cramponner à des formules dogmatiques ou à des rites liturgiques sans souci de leur origine et de leur développement. Il s'agit - conformément à la parole de la première lettre de St Pierre - "d'être toujours prêt à rendre raison de l'espérance qui est en nous, avec douceur et respect". Si nous sommes parfois si peu "missionnaires", n'est-ce pas parce que notre foi n'est pas suffisamment éclairée ?

Certes, il n'est pas nécessaire d'être théologien pour faire son salut et être missionnaire ; mais il ne suffit pas de se contenter des souvenirs vagues et à moitié oubliés du lointain catéchisme de notre enfance

Jean-Paul II, Benoît XVI et, aujourd'hui, notre pape François ont souvent recommandé aux prêtres de cultiver leur foi. On pourrait faire, me semble-t-il, la même recommandation à tout chrétien ! Certains disent qu'ils préfèrent "partir de la vie", pour rencontrer Dieu, car ils aiment le concret. Et c'est bien ! Mais "partir de la vie" est bon à condition que cette démarche soit sans cesse confrontée avec la Parole de Dieu qui doit inspirer et régir toute notre vie.

3. Le Missionnaire doit prier !
Les lectures d'aujourd'hui nous apportent un enseignement sur la prière !  Dans la première lecture, l'auteur du livre de l'Exode nous décrit Moise les mains étendues dans l'attitude du "priant", intercédant pour son peuple. Et dans l'Evangile, Jésus lui-même nous invite, par une parabole, à une prière inlassable et même importune. Oui, si le missionnaire ne prie pas, il se décourage vite devant l'échec ou se glorifie vite de ses succès.

Si Thérèse de Lisieux, au fond de son Carmel a été déclarée patronne des Missions, c'est qu'elle offrit sa vie monotone et héroïque, comme une prière, pour l'extension de l'Eglise. Alors, "il faut prier sans cesse", comme le demandait St Paul, lui le Missionnaire par excellence !
Et cette affirmation doit nous interroger : "Sur qui comptons-nous? Sur Dieu ou sur nous-mêmes ?" C'est tout le sens de la question de l'évangile   : "Le Fils de l'Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ?". A voir le petit nombre que nous sommes à prier, chaque dimanche, la question se pose en effet. Et nous-mêmes dans nos journées, quelle place laissons-nous à la prière ? Serions-nous en reste par rapport à certains qui n’ont pas reçu la Révélation du Christ, comme Gandhi, lui qui affirmait : "La prière est la clef du matin et le verrou du soir".

Oui, avons-nous un rendez-vous quotidien avec Dieu ? Oh je sais, on dit : "Je n'ai pas le temps !”. Et c’est vrai parfois ! Ou encore : “je ne prends pas le temps... !”. Et c’est encore plus vrai. Car prier, c'est d'abord prendre du temps pour Dieu, lui accorder un peu de notre temps. Si on aime quelqu'un on prend le temps d'être avec lui, de l'écouter, de lui parler, de l'aimer. La prière est ce rendez-vous avec Dieu ; elle nous expose au rayonnement de son Amour comme on s'expose au soleil.

Et puis, si vous avez véritablement que très peu de temps, je me permets de vous rappeler une façon de prier qui est très ancienne et qui n'exige que deux ou trois secondes, le temps suffisant d'une respiration pour élever son âme vers Dieu dans un acte d'offrande, d'action de grâces, de demande. Si au cours de la journée, on utilise très souvent cette manière de prier qui ne dure que le temps d'un souffle, d’une respiration, alors, je crois qu’on parvient vite à respirer la vie même de Dieu. Et respirant cette vie divine, on est comme naturellement disposé à l'insuffler aux autres par le souffle d'une parole évangélique, d'une parole missionnaire.

N'oublions donc pas : Le Chrétien doit être missionnaire. Car c'est un envoyé qui transmet ce qu'il a reçu du Christ avec qui il communie sans cesse par la prière. Le Christ a besoin des hommes, de vous-mêmes comme de moi-même !

Aussi, pour terminer, je vous livre quelques réflexions récentes du pape François sur la prière. Chacun pourra en faire, me semble-t-il, son profit :
"Lorsqu’un chrétien prie, il ne s’éloigne pas de la foi, il parle avec Jésus !
Mais prier, ce n’est pas "dire des prières". Une chose est de prier, et une autre de dire des prières ! Comme le dit Jésus : "Quand tu pries, va dans ta chambre et prie le Père dans le secret, dans un cœur à cœur !".
Et le pape de mettre en garde : ceux qui ne prient pas, abandonnent la foi et la transforment en idéologie moraliste, sans Jésus ! La foi, pour ainsi dire, devient une idéologie. Et l’idéologie ne rassemble pas. - Jésus n’est pas présent dans les idéologies avec sa tendresse, son amour, sa douceur. Les idéologies sont rigides, toujours !
Quand un chrétien devient disciple d’une idéologie, il a perdu la foi : il n’est plus un disciple de Jésus, il est devenu le disciple de cette manière de penser. La connaissance de Jésus est transformée en une connaissance idéologique et même moraliste qui ferme la porte avec toutes ses prescriptions.
La foi devient une idéologie et l’idéologie fait peur, l’idéologie chasse les gens, éloigne les personnes et éloigne l’Église des personnes. C'est une maladie grave d’être un chrétien idéologue, "sans bonté".