Christ-Roi 16/C
Célébrons ensemble aujourd’hui
non pas un simulacre de fête de Christ-Roi, mais
une vraie fête du Christ-Roi,
non pas faire semblant de croire à une royauté, la
Royauté du Christ, prononcer chants et paroles comme si on y croyait,
tout en gardant en soi des objections sans trop les
dire,
tout en gardant des réticences sans les formuler.
Des réticences, c'est normal !
Est-ce que l'image que nous avons en tête quand il
est question de royauté, de roi, de reine, est-ce que cette image est la plus
adaptée pour dire le mystère du Christ ?
Alors que dans notre monde, depuis plus d'un
siècle, les royautés ont été, pour la plupart, remplacées par des républiques,
comment entrer dans la fête du Christ-Roi sans tricher ?
Eh bien, comme toujours, en posant objectivement
les questions que l'on se pose et en cherchant vraiment une réponse.
Aussi, nous faut-il nous poser deux questions
principalement. Et je crois que ce sont les questions d'un grand nombre de
chrétiens, les vôtres, sans doute, questions souvent entendues et formulées sur
tous les tons.
- la première : “Jésus, es-tu roi, véritablement
?”
- la deuxième : “Si tu es roi, où est ton
royaume ?”.
“Es-tu roi ?” C'est la première question.
Elle a été posée à Jésus lui-même, vous le savez, par le gouverneur romain,
Pilate, dans une salle du Prétoire à Jérusalem.
“Es-tu roi ?” Cette question a traversé les
siècles. Et également la réponse de Jésus : “Ma
royauté ne vient pas de ce monde”.
Roi, oui, mais pas à la manière de ce monde.
Il ne s'agit pas d’une royauté de prestige, de force, de domination, surtout si
l’on examine la tyrannie des royautés au temps de Notre-Seigneur, telle celle
d’un Hérode, tyrannie qui existe encore (!), sous différents régimes
d’ailleurs !
Jésus-Roi ! Oui, mais, la veille de sa
mort, ce jeudi-là, il avait pris un tablier et lavé les pieds de ses disciples.
Jésus-Roi ! Oui, mais, ce jour-là, il
était debout, les mains liées ; on allait le couronner, mais d'une couronne
d'épines ; on allait le revêtir du manteau royal, mais c'était le manteau rouge
des fous.
Son corps allait être torturé, cloué. La scène est
pitoyable. Quand Dieu vient inaugurer son Règne, c'est ainsi que se déroule le
sacre.
Jésus-Roi ! Oui, mais un roi fraternel
: “Ce que vous faites au plus petit,
c'est à moi que vous le faites”.
Un roi secret, un roi ignoré, au point que ceux qui
l'ont servi ne l'ont pas toujours reconnu. “Quand
vas-tu établir ton Royaume ?” demandaient ses apôtres quelques jours
encore, avant sa mort. – Et à la fin des temps, il est dit que beaucoup se
poseront la question sur la nature de ce Royaume du Christ : “Quand est-ce que nous t'avons vu avoir
faim?”
Vous voyez à quel point on se trompe sur la royauté
du Christ, si l'on oublie cela !
Chaque fois que l'Église, au cours des siècles, a
cédé à la tentation du pouvoir et du prestige..., chaque fois que des hommes
d'Église ont singé les princes de ce monde, chaque fois que les chrétiens
rêvent de faire du Christ-Roi l'allié de quelque pouvoir temporel, chaque fois
que l'Église a cédé à quelque tentation théocratique, elle a été infidèle à
l'Évangile.
Infidèle et étrangère à cette révélation : le
Christ-Roi, mais un roi d'amour ! Et alors, je souscris totalement à
cette Royauté qui n’est pas toujours reconnue, puisque “l’amour lui-même n’est pas toujours aimé !”, comme le disait
si bien le petit pauvre d'Assise au grand sultan d'Egypte, Al-Kamil. Et c'est
ce même refrain qu'il répétait en pleurant lorsqu'il parcourait la compagne de
la Toscane ou de l'Ombrie.
“Tu es
roi, mais où est ton Royaume ?”. C'est la deuxième question : Écoutons la
réponse de Jésus, elle a traversé les siècles. “Le Royaume, il est au milieu de VOUS”.
Donc, pas pour plus tard seulement, mais pour
maintenant déjà.
Pas dans les nuages mais sur la terre.
Le Royaume dont parle Jésus, c'est dans notre monde,
dans nos sociétés qu'il est établi, qu’il est à promouvoir, et toujours à
bâtir, là où nous vivons, et pas spécialement le dimanche !
Comprenons l’enseignement du Christ : c’est
toute la vie des hommes que Dieu veut embellir, lui donner un “caractère royal et sacerdotal”, comme
le célébrant le déclare au moment d'un baptême, par exemple.
Avec le Christ, “les
temps sont accomplis, écrivaient Matthieu et Marc ; le Royaume de Dieu est là !”.
Et Jésus affirme : “Si c’est par le
doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu
est arrivé parmi vous !”.
Le Royaume de Dieu parmi vous !
Et le Concile Vatican II de préciser : “Toutes
ces valeurs de dignité, de communion fraternelle, de liberté, tous ces fruits
excellents de notre nature que nous aurons propagés selon le commandement du
Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard mais comme
purifiés, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettre à son Père "un Royaume éternel et
universel : royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté
et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix" (Préface de notre fête). Mystérieusement, le Royaume est déjà présent sur cette
terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra”
(Const. Past. "Gaudium et spes" n° 39).
Autrement dit, depuis la venue du Christ
principalement, il n’y a rien de profane dans le monde.
Le mot “profane” au sens étymologique vient du mot
latin “pro-fanum” qui veut dire : ce qui est devant le temple. Dans le
temple, c’est la part que l'on doit à Dieu ; devant le temple, c’est la
part réservée à l'homme ! Distinction simpliste, courante et si néfaste en
notre mentalité occidentale ! Non,
il n'y a plus rien de profane. C'est en vivant notre existence d'hommes et de
femmes que nous construisons ou non le Royaume de Dieu !
Vous connaissez sans doute cette anecdote. Un homme
passe devant trois tailleurs de pierre. Au premier, il demande : “Qu'est-ce que
tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je gagne ma vie”. Au deuxième, il
demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je taille une
pierre”. Au troisième il demande :
“Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je bâtis une cathédrale”.
Bâtir la cathédrale du Royaume de Dieu ! Par tout ce que l'on fait
!
Dans le monde d'aujourd'hui, il semble
indispensable que les disciples du Christ clament avec force que notre vie
humaine, que notre monde ne va pas en s'effritant, mais que nous bâtissons,
construisons du définitif. Bien des réalités disparaîtront totalement (comme l'évangile de dimanche dernier le suggéraient),
mais les liens que nous aurons tissés dans l'amour, dans l'amitié, demeureront
éternellement. Le regard de tendresse, l'attention d'un instant, la rancune
oubliée, le travail avec les gestes mille et mille fois répétés, l'engagement
solidaire, tout peut porter un fruit d'éternité.
Cela peut étonner ? Tant mieux, parce que c'est
étonnant, merveilleusement étonnant. Dieu est toujours étonnant quand il
veut bâtir son Royaume d'amour dès ici-bas en vue d l'éternité !
Et même si vous vous sentez quelque peu étranger à
ce mystère divin, sachez que ce mystère n'est pas loin de vous.