lundi 28 novembre 2016

Avent - Prier 1

PRIER.
Epsilon 1

La prière n'est-elle pas l'attitude essentielle qu'il nous faut avoir en ce temps de l'Avent, ce temps qui nous invite à toujours mieux accueillir Dieu, lui qui s'est incarné pour faire alliance avec nous, avec chacun de nous ?

Avec Marie qui a su accueillir le Verbe de Dieu par la foi, le recueillement, la prière..., sachons nous préparer à faire de notre cœur, de tout notre être une "crèche", une "demeure" pour notre Dieu ! Si Marie, a dit St Augustin, a su accueillir Dieu en son corps, c'est qu'elle l'avait déjà accueilli en son cœur !

Prions pour accueillir Dieu ! Ce sera, si vous le voulez bien, le propos de mes "epsilons", en ce temps de l'Avent, si le Seigneur m'en donne la force... !

A ses chers Thessaloniciens, Paul écrit : “Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance, car c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus“ (I Thess 5.16).

Faut-il donc toujours être à genoux, toujours se précipiter dans une église, toujours se retirer dans sa chambre pour prier dans le secret ?  “Priez sans cesse“, dit Paul !  Et lui, priait-il toujours, ce grand actif ? Que veut-il donc dire ?

Il ne faut pas confondre en les pratiquant tout à la fois et non pas en les opposant :
“prière de vie“ et “vie de prière“ ;
avoir des moments de prières dans sa vie,
et faire également et surtout de toute sa vie une prière.

Un jour, au cours d’une retraite - les conférences et les réflexions étaient assez longues et prenantes -, un participant demanda : “quand est-ce qu’on va s’arrêter pour prier ?

Bien sûr, il faut des moments où l’on s’arrête pour penser à Dieu seul ! C’est un moyen de “confesser“ son existence, d’être comme l’eau du lac face au soleil, totalement transparent pour en recevoir une énergie toujours nouvelle.

Mais ceci dit, il faut aussi et surtout intégrer toute son existence dans la prière, faire de toute sa vie une prière.

A suivre

samedi 19 novembre 2016

Vraie Royauté

Christ-Roi 16/C

Célébrons ensemble aujourd’hui
non pas un simulacre de fête de Christ-Roi, mais une vraie fête du Christ-Roi,
non pas faire semblant de croire à une royauté, la Royauté du Christ, prononcer chants et paroles comme si on y croyait,
tout en gardant en soi des objections sans trop les dire,
tout en gardant des réticences sans les formuler.

Des réticences, c'est normal !
Est-ce que l'image que nous avons en tête quand il est question de royauté, de roi, de reine, est-ce que cette image est la plus adaptée pour dire le mystère du Christ ?
Alors que dans notre monde, depuis plus d'un siècle, les royautés ont été, pour la plupart, remplacées par des républiques, comment entrer dans la fête du Christ-Roi sans tricher ?
Eh bien, comme toujours, en posant objectivement les questions que l'on se pose et en cherchant vraiment une réponse.

Aussi, nous faut-il nous poser deux questions principalement. Et je crois que ce sont les questions d'un grand nombre de chrétiens, les vôtres, sans doute, questions souvent entendues et formulées sur tous les tons.
- la première : “Jésus, es-tu roi, véritablement ?”
- la deuxième : “Si tu es roi, où est ton royaume ?”.

“Es-tu roi ?” C'est la première question. Elle a été posée à Jésus lui-même, vous le savez, par le gouverneur romain, Pilate, dans une salle du Prétoire à Jérusalem.  
“Es-tu roi ?” Cette question a traversé les siècles. Et également la réponse de Jésus : “Ma royauté ne vient pas de ce monde”.
Roi, oui, mais pas à la manière de ce monde. Il ne s'agit pas d’une royauté de prestige, de force, de domination, surtout si l’on examine la tyrannie des royautés au temps de Notre-Seigneur, telle celle d’un Hérode, tyrannie qui existe encore (!), sous différents régimes d’ailleurs !

Jésus-Roi ! Oui, mais, la veille de sa mort, ce jeudi-là, il avait pris un tablier et lavé les pieds de ses disciples.

Jésus-Roi ! Oui, mais, ce jour-là, il était debout, les mains liées ; on allait le couronner, mais d'une couronne d'épines ; on allait le revêtir du manteau royal, mais c'était le manteau rouge des fous.
Son corps allait être torturé, cloué. La scène est pitoyable. Quand Dieu vient inaugurer son Règne, c'est ainsi que se déroule le sacre.

Jésus-Roi ! Oui, mais un roi fraternel : “Ce que vous faites au plus petit, c'est à moi que vous le faites”.
Un roi secret, un roi ignoré, au point que ceux qui l'ont servi ne l'ont pas toujours reconnu. “Quand vas-tu établir ton Royaume ?” demandaient ses apôtres quelques jours encore, avant sa mort. – Et à la fin des temps, il est dit que beaucoup se poseront la question sur la nature de ce Royaume du Christ : “Quand est-ce que nous t'avons vu avoir faim?”

Vous voyez à quel point on se trompe sur la royauté du Christ, si l'on oublie cela !
Chaque fois que l'Église, au cours des siècles, a cédé à la tentation du pouvoir et du prestige..., chaque fois que des hommes d'Église ont singé les princes de ce monde, chaque fois que les chrétiens rêvent de faire du Christ-Roi l'allié de quelque pouvoir temporel, chaque fois que l'Église a cédé à quelque tentation théocratique, elle a été infidèle à l'Évangile.
Infidèle et étrangère à cette révélation : le Christ-Roi, mais un roi d'amour ! Et alors, je souscris totalement à cette Royauté qui n’est pas toujours reconnue, puisque “l’amour lui-même n’est pas toujours aimé !”, comme le disait si bien le petit pauvre d'Assise au grand sultan d'Egypte, Al-Kamil. Et c'est ce même refrain qu'il répétait en pleurant lorsqu'il parcourait la compagne de la Toscane ou de l'Ombrie.

 “Tu es roi, mais où est ton Royaume ?”. C'est la deuxième question : Écoutons la réponse de Jésus, elle a traversé les siècles. “Le Royaume, il est au milieu de VOUS”
Donc, pas pour plus tard seulement, mais pour maintenant déjà.
Pas dans les nuages mais sur la terre.
Le Royaume dont parle Jésus, c'est dans notre monde, dans nos sociétés qu'il est établi, qu’il est à promouvoir, et toujours à bâtir, là où nous vivons, et pas spécialement le dimanche !
Comprenons l’enseignement du Christ : c’est toute la vie des hommes que Dieu veut embellir, lui donner un “caractère royal et sacerdotal”, comme le célébrant le déclare au moment d'un baptême, par exemple.
Avec le Christ, “les temps sont accomplis, écrivaient Matthieu et Marc ; le Royaume de Dieu est là !. Et Jésus affirme : “Si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le Royaume de Dieu est arrivé parmi vous !”.
Le Royaume de Dieu parmi vous !

Et le Concile Vatican II de préciser : “Toutes ces valeurs de dignité, de communion fraternelle, de liberté, tous ces fruits excellents de notre nature que nous aurons propagés selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard mais comme purifiés, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettre à son Père "un Royaume éternel et universel : royaume de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce, royaume de justice, d’amour et de paix" (Préface de notre fête). Mystérieusement, le Royaume est déjà présent sur cette terre ; il atteindra sa perfection quand le Seigneur reviendra” (Const. Past. "Gaudium et spes" n° 39).

Autrement dit, depuis la venue du Christ principalement, il n’y a rien de profane dans le monde.
Le mot “profane” au sens étymologique vient du mot latin “pro-fanum” qui veut dire : ce qui est devant le temple. Dans le temple, c’est la part que l'on doit à Dieu ; devant le temple, c’est la part réservée à l'homme ! Distinction simpliste, courante et si néfaste en notre mentalité occidentale !  Non, il n'y a plus rien de profane. C'est en vivant notre existence d'hommes et de femmes que nous construisons ou non le Royaume de Dieu !

Vous connaissez sans doute cette anecdote. Un homme passe devant trois tailleurs de pierre. Au premier, il demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je gagne ma vie”. Au deuxième, il demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je taille une pierre”.  Au troisième il demande : “Qu'est-ce que tu fais ?” ; et l'homme répond : “Je bâtis une cathédrale”. Bâtir la cathédrale du Royaume de Dieu ! Par tout ce que l'on fait !

Dans le monde d'aujourd'hui, il semble indispensable que les disciples du Christ clament avec force que notre vie humaine, que notre monde ne va pas en s'effritant, mais que nous bâtissons, construisons du définitif. Bien des réalités disparaîtront totalement (comme l'évangile de dimanche dernier le suggéraient), mais les liens que nous aurons tissés dans l'amour, dans l'amitié, demeureront éternellement. Le regard de tendresse, l'attention d'un instant, la rancune oubliée, le travail avec les gestes mille et mille fois répétés, l'engagement solidaire, tout peut porter un fruit d'éternité.
Cela peut étonner ? Tant mieux, parce que c'est étonnant, merveilleusement étonnant. Dieu est toujours étonnant quand il veut bâtir son Royaume d'amour dès ici-bas en vue d l'éternité !
Et même si vous vous sentez quelque peu étranger à ce mystère divin, sachez que ce mystère n'est pas loin de vous.

mardi 15 novembre 2016

Tout est "sève" !

15 Novembre - Saint Albert le Grand     
Aux membres du mouvement "Sève"

St Albert le Grand naquit en Bavière dans le diocèse d'Augsbourg vers l'an 1200. Son père était officier de la Cour, avec une haute charge dans l'administration. Très vite, la capacité intellectuelle de l'enfant fut remarquée. Mais lui-même dira que son "grand livre de prédilection" fut la nature. Son génie s'épanouit au grand air, au contact du roc et de l'eau, l'œil toujours ouvert sur les plantes et les animaux.
Pour lui, la création parle du Créateur. La "sève" des plantes, l'instinct si sûr des animaux, tout lui révèle la présence de Dieu, une présence d'amour. L'harmonie des éléments si variés de la création manifeste l'Amour d'un Dieu unique en la diversité des Personnes divines.
Mais Albert, à la suite d'Aristote qu'il a introduit en Occident, écoute également la nature pour elle-même afin de découvrir avec une curiosité insatiable toute sa "sève" qui peut être si utile à l'homme. Il avait sans doute hérité du génie humain et spirituel d'Hildegarde de Bingen qui vécut au siècle précédent. En ce sens, St Albert, amant de la nature comme Hildegarde, est un "moderne" ! Plus encore que nos "écologistes" !

A l'âge de 16 ans environ, on l'envoie parfaire ses études à Bologne où il fit la connaissance d'un dominicain, le Bx Jourdain de Saxe, surnommé alors "la sirène des écoles". Il subit sans doute son influence, restant cependant hésitant à entrer dans l'ordre des Frères prêcheurs. Il semble que sa vocation subit tentations diverses et interrogations. Plusieurs textes en témoignent. Mais sa grande dévotion envers Notre-Dame fut un déterminant secours et assura sa persévérance. Là encore, St Albert, par sa piété mariale, se montre "'moderne". Aller vers Dieu, c'est aller vers ses frères Allers vers ses frères, c'est aller vers Dieu. Et cette vocation se fait plus facilement avec et par Marie !

En 1228, il est "lecteur", c'est-à-dire professeur à Cologne. Il s'efforce d'adapter à la pensée chrétienne les théories d'Aristote qui commencent à se répandre grâce, principalement, aux grands penseurs arabes Avicenne (10ème s.) et Averroès (12ème s.). Bien plus, toujours accueillant, il cherche à utiliser la spéculation juive en lisant principalement un de ses plus significatifs représentants, Moïse Maïmonide (+ 1204 à Cordoue) qui, lui aussi, introduisit la philosophie aristotélicienne dans la pensée juive. St Thomas d'Aquin le surnommera "l'Aigle de la Synagogue" ! Là encore, St Albert se montre intellectuellement d'une audacieuse modernité ! Ne faut-il pas être "sève" non d'un passé, mais d'un présent en vue de l'avenir

De Cologne, il va enseigner à Hildesheim, Fribourg-en-Brisgau (où il y a encore une célèbre université dominicaine), à Ratisbonne, Strasbourg. En 1245, il est à Paris où il explique les classiques "Sentences" de Pierre Lombard (+ 1160), maître à penser s'il en fût. Grand théologien du siècle précédent, ce Piémontais termina sa vie comme évêque de Paris. Introduisant une distinction entre Ecriture et théologie, il fut un modèle pour Thomas d'Aquin qui, avec grand intérêt, écoutait alors Albert le commentant. La encore, ce dernier se montrait, spirituellement, très moderne. La "sève" de la pensée se puise en la Parole de Dieu pour faire germer les semailles en notre temps ! La "sève" de la vie se manifeste toujours par une recherche de la vérité !

Puis notre savant théologien revient à Cologne où lui est confié l'Université, le "Studium generale", comme on disait. Sa charge ne l'empêchait nullement de continuer à écrire ; il commente le pseudo "Denys l'aréopagite" (écrits du 5ème-6ème s.) et aussi l'"Ethique à Nicomaque" d'Aristote. Son grand savoir est sollicité pour régler certains conflits en cette ville de Cologne, ce qui lui donne l'occasion de lutter contre, disait-il, les "juristes retors". Par sa pensée très libre, voire critique, il se montre très "moderne" !

En 1254, il est élu provincial (supérieur) de son Ordre en Allemagne. Il semble qu'il enseignait avec un grand équilibre à la fois humain et spirituel (c'est si rare !). Par exemple, il savait lutter contre une ascèse indiscrète, nuisible aux bonnes études, disait-il. En même temps, il vitupérait contre les glissements vers une vie trop commode de certains religieux qui comptaient trop facilement sur l'obligeance des fidèles ! ...
Un fait amusant, par exemple : il rappelait que chaque Frère devait circuler par ses propres moyens, blâmant formellement ce que nous appelons  "l'auto-stop", moyen familier de se faire "voiturer sans fatigue et au compte d'autrui". Chaque Frère, disait-il, doit assurer sa propre vie et celle de la Communauté. Là encore sa conception de la charité est très moderne en des temps où les chrétiens étaient si facilement mis à contribution pour la réalisation ... de grands projets (cathédrales...). Si la "sève" puise son élan au contact de la terre, elle ne doit pas se satisfaire d'elle-même, mais exister pour le bien de tout ce qui l'entoure et la nourrit parfois.

En 1256, il entre en lice dans un terrible combat entre les "Séculiers" de l'Université et les "Ordres mendiants" (Dominicains et Franciscains), conflit dû comme souvent à la jalousie des uns, à l'orgueil des autres ; les premiers reprochant aux seconds une concurrence déloyale (dans l'enseignement) et les accusant d'un manque de pauvreté malgré les apparences !
Albert et le futur Docteur de l'Eglise, St Bonaventure, défendirent leur ordre devant le pape Alexandre IV qui leur donna satisfaction. Ce fut pour Albert une occasion de prêcher devant la "Curie romaine" ; il commenta principalement St Jean, tout en combattant les erreurs d'Averroès qui, pourtant, lui avait fait connaître, en partie, Aristote dont il se réclamait. C'est qu'avec St Jean il voulait surtout reconnaître que les sciences humaines ne sont qu'une aide pour affirmer et formuler, en notre langage humain, que Dieu est Amour, que toute "sève" humaine ne se puise qu'en cet Amour !

Malgré ses fortes réticences, il doit accepter la charge d'évêque de Ratisbonne, ville importante de l'Allemagne du sud. Il consacra beaucoup de temps à remettre en ordre les finances du diocèse dont la gestion était très désorganisée ; et il combattit le relâchement des mœurs des clercs, ce qui ne fut pas sans secousses diverses, le peuple lui-même étant trop habitué à voir un prélat comme un prince !
Aussi, dès que possible, il renonce à sa charge. D'ailleurs, le pape de l'époque, Urbain IV, voyait bien que la véritable fonction d'Albert, dans l'Eglise, était la recherche et l'enseignement philosophique et théologique.

On songea à l'envoyer à nouveau à Paris pour combattre les théories de Siger de Brabant, disciple trop admiratif d'Averroès. Mais c'est à Cologne qu'il va donner ses dernières leçons.

En 1274 meurt son ancien disciple, Thomas d'Aquin. Albert le pleura avec grande émotion. Il défendit son œuvre que l'on voulait censurer pour trop grande utilisation de la philosophie d'Aristote.

Cependant, l'âge venant, il perdait peu à peu la mémoire, ce qui l'accablait fortement. Comme un visiteur de marque frappant à sa porte demandait à le voir, il aurait répondu avec un humour un peu sinistre mais réaliste : "Albert n'est plus ici ; il y fut...!", laissant entendre qu'il n'y avait plus là qu'un corps sans âme vraiment vivante, qu'il n'avait plus "sève" humaine, mais uniquement divine qui l'invitait déjà et fortement à l:'union à Dieu-Amour !

Il mourut le 15 novembre 1280, assis, entouré de ses frères. Très vite, il fut honoré et prié. Cependant ce n'est qu'en 1931 que Pie XI le proclama saint et docteur de l'Eglise. Et Pie XII, en 1953, le donna comme saint Patron pour tous ceux qui cultivent les sciences naturelles. Il est d'ailleurs possible que cette lenteur de l'Eglise à le canoniser vienne, pour une part, de la légende assez fâcheuse qui présentait Albert le Grand comme magicien adonné aux sciences occultes.

Il faut surtout retenir que son œuvre est considérable et extrêmement variée. Grand savant dans les sciences de la nature, il a hardiment montré comment utiliser Aristote pour servir la pensée chrétienne. Sa théologie en laquelle la note affective est toujours perceptible décèle un tempérament augustinien ; les mystiques rhénans pourront se réclamer de lui pour faire prévaloir l'union à Dieu, avant tout !  (Maître Eckhart (+1328), Tauler (+1361), Henri Suzo (+1366), Ruusbroec (+1381)...)

Le pape Benoît XVI a célébré St Albert le Grand en reconnaissant que "l'un de ses plus grands mérites fut d'étudier, avec une rigueur scientifique, les œuvres d'Aristote, convaincu que tout ce qui est rationnel est compatible avec la foi révélée par les Saintes Ecritures. En d'autres termes, St Albert le Grand a ainsi contribué à la formation d'une philosophie autonome, distincte de la théologie et unie à elle uniquement pour l'unité de la vérité".

Qui a dit que le Moyen-âge était une période d'obscurantisme ? La figure de St Albert le Grand, ce contemporain de St Louis, démontre magistralement le contraire humainement, intellectuellement et spirituellement. Puisse-t-elle nous inspirer en notre époque que l'on dit décadente !

dimanche 13 novembre 2016

Fins dernières !

33ème Dimanche du T.O. 16

En ce début du 21ème siècle, en ce temps de mondialisation, arrivent parfois à nos oreilles des propos, des prophéties diverses qui cherchent à nous effrayer en annonçant une fin du monde imminente. Cette fin du monde serait le résultat tantôt d’un processus interstellaire, tantôt de cataclysmes atomiques, tantôt, tout simplement, le résultat de plusieurs affrontements mondiaux…, et que sais-je encore !
Il y a là, dans certains milieux, et même parfois chez des chrétiens, un danger sérieux de dérapage, contre lequel Jésus met sévèrement en garde : Prenez garde de ne pas vous laisser égarer... Ne marchez pas derrière de faux prophètes !

Mais il est un autre danger, plus grand encore, peut-être, c'est de nier, a contrario et par principe, la fin du monde présent, c'est d'oublier que réellement Jésus doit venir dans sa gloire divine et de faire taire systématiquement les prophètes, les vrais, qui nous font espérer sa venue.

Face à ces réflexions antagonistes, la parole de Jésus est toujours actuelle. Interrogé sur la date de la ruine du Temple, tout neuf à l'époque, mais qui allait être détruit quarante ans plus tard, Jésus répond tout d'abord en parlant des signes avant-coureurs, non pas de la destruction de Jérusalem, mais de la fin des temps et de sa venue dans la gloire. Utilisant le langage des apocalypses, il parle sans ménagement de guerres, d'épidémies, de famines, de faits terrifiants, de grands signes dans le ciel. Il est difficile de parler plus nettement de la réalité de la fin des temps.

Mais, en même temps, Jésus veut éviter tout emballement. Parlant des signes annonciateurs de la fin, il ajoute : Il faut que cela arrive d'abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin. Et il précise qu'avant tout cela, il y aura la persécution de l'Église, à cause de lui : Vous serez détestés de tous, à cause de mon Nom. Mais, au beau milieu de l'épreuve, il faudra garder une totale confiance : C'est par votre persévérance que vous obtiendrez la vie.

Que conclure sinon qu’à la suite de Jésus, à la suite de toute la tradition chrétienne, il faut dire et redire sans peur : l'univers dans lequel nous sommes est bon, parce que créé par Dieu ; mais, pour la foi chrétienne, il est aussi profondément désordonné, blessé, abîmé. Dans sa lettre aux Romains (8,20), Paul va jusqu'à dire que la création est actuellement “assujettie à la vanité”, “livrée au pouvoir du néant”.
Depuis l’origine du monde jusqu'à aujourd'hui, en passant par l'évolution qui a engendré l'homme en sa condition actuelle, la création est marquée par un dérapage, par une chute originelle dont l'une des conséquences est l'épreuve du vieillissement et la dureté de la mort.

Pour souligner cette réalité profonde, on peut dire en termes imagés : au lieu de passer paisiblement du paradis terrestre au paradis céleste, selon le plan initial du Créateur, nous ne pouvons aujourd'hui pénétrer dans le bonheur divin qu’à travers un déchirement, qu’à travers la rupture de la mort. Nous le savons et, même si cela nous coûte beaucoup de souffrances, surtout morales, nous avons à intégrer la mort dans tous nos projets de vie terrestre. Dans tous nos projets de vie terrestre ! Même les plus beaux ! Un de mes professeurs disait naguère que même Solesmes, en sa renommée religieuse, n'était sans doute pas destiné à une éternité terrestre telle que nous pouvions la concevoir humainement. St Augustin ne pensait pas autrement lui qui fut le contemporain du sac de Rome par les Wisigoths. Et on pourrait donner bien d'autres exemples...

Aussi, aujourd’hui tout particulièrement, Jésus nous demande d'accueillir cette même perspective concernant l'ensemble de l'univers et de l'histoire. Le monde tel qu'il est maintenant n'est plus comme Dieu l'a voulu et créé. Cependant, lui aussi demeure appelé à entrer dans la gloire divine, celle que le Père a inaugurée en ressuscitant Jésus le jour de Pâques. Mais, comme chacun de nous, à la suite du Christ, le monde ne peut entrer dans la vie nouvelle du Ressuscité qu'à travers une mort, qu'à travers un ébranlement profond. Jésus nous en parle clairement ; mais nous avons souvent de la peine à intégrer cette perspective ; et nous vivons comme si ce monde devait durer toujours dans sa condition présente.

En nous redisant que l'univers et l'histoire doivent passer, comme nous, par une mort, Jésus ne veut pas nous effrayer, même s'il nous prédit honnêtement les faits terrifiants liés à toute mort. Car, pour lui, l'ébranlement final de l'univers ne sera que l'envers d'une nouvelle et bienheureuse naissance à un monde régénéré. L’auteur de la première lecture, Malachie, l'avait entrevu : dans un premier temps, le jour du Seigneur sera brûlant comme une fournaise, mais, en définitive, c'est un Soleil de justice qui se lèvera au dernier jour, apportant la guérison dans son rayonnement victorieux.

C’est vrai ! Aujourd’hui, Jésus veut sans doute tourner notre regard vers les fins dernières et de notre vie à chacun et du monde entier.
Mais loin de nous détourner de nos responsabilités terrestres, cette perspective sur les réalités ultimes nous révèle le prix du temps présent, les conséquences éternelles de nos engagements d'ici-bas. C'est pourquoi Paul sermonnait les Thessaloniciens qui, au nom de leur foi en la venue de Jésus qu’ils croyaient toute proche, vivaient dans l'oisiveté. Il les invite à travailler dans le calme.

De même, nous aussi, nous devons nous acquitter, avec grande application, de nos tâches terrestres ; au milieu des persécutions, petites ou grandes, nous devons rendre le témoignage que Jésus attend de nous. Mais, en même temps, pensant à notre destination ultime et à la destination finale de l'histoire, pensant au poids de souffrance qui accable ce monde blessé à mort, supplions avec le dernier verset de la Bible, supplions avec l'Esprit Saint et l'Église entière, avec l'Esprit Saint et Marie, supplions avec ardeur : “Oui, viens, Seigneur Jésus !” (Ap. 22,20).
Viens, Seigneur Jésus, dès maintenant en transfigurant en ton mystère pascal de mort et de vie tout ce que nous pouvons accomplir ici-bas ; viens, Seigneur Jésus dès maintenant et au jour éternel, celui qui sera le nôtre et celui de tout l’univers.

Alors, suppliant de cette manière le Christ déjà ressuscité, nous pourrons mieux accueillir  dans une espérance active la réponse que, depuis vingt siècles déjà, il nous donne dans l'Apocalypse avec beaucoup d'amour et un brin d'humour : Oui, je viens bientôt... !
Amen. Viens, Seigneur Jésus !

samedi 5 novembre 2016

Vraie mort - Vraie Vie !

32ème Dimanche du T.O. 16

Croyez-vous vraiment à la résurrection des morts ? La question est d’importance. Elle n'est pas théorique. Un sondage récent révèle que plus de 50 % de gens, en France, ne croient à aucun au-delà de la mort.

Croyez-vous que l'homme en général, et nous tous en particulier, nous sommes faits pour la mort, ou que nous sommes faits pour la vie ?
De façon un peu alambiquée, c'est ce que les Sadducéens demandent à Jésus. Pour eux l'homme est fait pour la mort. Tout homme qui naît doit mourir. Et “personne n’est revenu du séjour des morts”. Il n'y a pas de résurrection, ni aujourd'hui, ni plus tard. C'est un fait d'observation !
Aussi ne voient-ils qu’un seul moyen de survivre, c'est d'avoir une descendance, un enfant, des enfants pour prolonger la vie, pour maintenir le nom et garder le souvenir de l'ancêtre. On ne ressuscite pas ! On se suscite une descendance. C'est tout ! Il n'y a pas de résurrection. Tout juste une succession. C'est le bon sens ! C'est l'évidence !

Ce sera encore cette question qui sera très débattue entre St Paul, les Sadducéens et les Pharisiens, lors du dernier passage de l'apôtre à Jérusalem. Ce qui lui vaudra d'être arrêté et envoyé au procurateur romain à Césarée maritime. Et ce dernier, Festus, de bien comprendre le litige qu'il lui faut trancher : "Il s'agit, dira-t-il à son invité le roi Hérode, d'un certain Jésus qui est mort et dont Paul affirme qu'il est vivant !". (Ac. 25.19). Remarquons qu'il n'y a pas de meilleure définition du christianisme. Et c'est un païen qui l'a prononcée : Jésus est bien mort. Mais nous affirmons qu'il est toujours vivant !

Il y a deux morts
Dans notre évangile, Jésus insistait déjà : Non ! L'homme n'est pas fait pour la mort. Il est fait pour la vie. Il peut ne pas mourir. Mais attention ! Il y a mort et mort, et il ne faut se prêter à une confusion !

La première mort, nous la connaissons bien. Elle vient par usure, et elle est inévitable. C'est la mécanique qui s’épuise. A un moment, plus ou moins brutal, il faut se séparer. Cette première mort, dit le Christ, - et il sème le scandale en disant cela - n'est pas la vraie mort. Elle est un passage. Les chrétiens diront plus tard : elle est une pâque, et non un point final.

Mais il y a une deuxième mort. C'est la vraie mort. Celle-là seule est redoutable, car elle supprime le vivant, si l’on peut dire, de la mémoire même de Dieu. Cette mort est un enfer ; c’est l’enfer ! L'enfer c’est, en quelque sorte, de ne plus exister du tout, d'être hors-Dieu, d'être hors-la-vie.

Remarquons, au passage, que ce n'est pas Dieu qui nous met hors de Lui, hors la Vie qu'il est. C'est l'homme qui affirme, d'une manière ou d'une autre, que Dieu n'existe pas, que la Vie n'existe pas ! Et, Lui, Dieu, parce qu'il respecte notre liberté, ne peut que dire : "Que ta volonté soit faite !".
Et cependant, cette mort n'est pas fatale. On peut y échapper en nous adressant à Dieu, à la Vie qu'il est pour lui dire finalement, de manière un peu confuse peut-être : "Que ta volonté, ta volonté d'amour, ta volonté de vie soit faite !".

Et s’il y a deux façons de mourir, il y a donc deux façons de vivre, dit Jésus aux Sadducéens et, au-delà d'eux, à nous-mêmes.
Une façon où vivre n'est que survivre. Elle est sans grande espérance, quasi désespérée ; et on comprend que les sept frères s'acharnent à procréer !
Et il y a une autre façon où vivre c'est vouloir éviter cette mort qui nous séparerait de Dieu. Car ceux qui vivent de cette vie-là, “ils ne peuvent plus mourir, dira un jour Jésus. Ils sont pareils aux anges car ils sont fils de Dieu étant fils de la résurrection”. (Lc 20,36). “Pareils aux anges” veut dire précisément “être avec Dieu”. C’est une expression comme une autre pour exprimer ce mystère, comme l’expression : être “fils de Dieu”, où être “fils de la résurrection”. Jésus récuse donc cette histoire des sept frères qui, sans y parvenir, veulent à tout prix une descendance, et qui utilisent une femme, non pour l'aimer mais pour en avoir un enfant.

Et Jésus leur oppose l'exemple d'Abraham.  Abraham, souvenez-vous, c'est cet homme qui a eu un fils dans sa vieillesse. Et il pense - selon la mentalité de l'époque - que Dieu lui demande de sacrifier ce fils. Tuer sa descendance, lui, le vieillard qui avait bien failli mourir sans descendance ! C'est vraiment se rayer des vivants. Or Abraham part pour le faire. Pourquoi ? Parce que pour vivre, il fait davantage confiance en son Dieu qu'en son fils. Ce ne sont pas les enfants qui font la vraie vie, se dit Abraham, c'est le Dieu vivant ! Dieu disposera. Aussi, à cause de sa foi, Dieu a-t-il aimé Abraham. Il en a fait le père des vivants, de tous ceux qui dès aujourd'hui vivent de cette vie qui échappe à la seconde mort.
De même en est-il des sept frères martyrs d'Israël (1ère lecture). Ils préfèrent la mort qui vient des hommes plutôt que la trahison entraînant la mort qui les priverait de Dieu.

Il y a une vie qui ne meurt pas
Et Jésus nous redit sans cesse cette parole, à laquelle Abraham a cru par avance, parole que nous négligeons d’entendre parce qu’elle nous inquiète au lieu de nous apaiser, même si cette parole est de celles dont nous avons le plus besoin.
Oui, Jésus nous redit cette parole aujourd’hui : Il y a une vie qui ne meurt pas ! Il y a une vie éternelle ! D’ailleurs, combien de fois a-t-il pris la peine de la dire, cette parole !
“Qui mange ma chair vivra à jamais”, dira-t-il après la multiplication des pains (Jn 6,51) .
“Qui boit de cette eau que je donnerai, dit-il à la Samaritaine, deviendra en lui source de vie éternelle”. (Jn 4,14)
“Celui qui voit le Fils et croit en lui possède la vie éternelle”. (Jn 6,40).
Et puis cet autre passage où il est encore question d'Abraham : “Si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort”. Les gens lui dirent : “Maintenant nous savons que tu es fou. Abraham est mort, les prophètes aussi, et tu dis : Si quelqu'un garde ma parole il ne goûtera jamais la mort. Es-tu plus grand qu'Abraham, notre père qui est mort ? Qui prétends-tu être ?”. Et Jésus de répondre en quelque sorte : Non, Abraham n'est pas mort ! Il est vivant, et il n'est pas votre père, car il est le père des vivants, et vous vous êtes des morts-vivants, vous qui cherchez à me faire mourir pour me faire taire ! (Cf. Jn 8).

Vous êtes faits pour vivre
A nous que la mort préoccupe parfois, c’est à nous que Jésus adresse cette parole. Elle fonde notre espérance. Oui, nous croyons le Ressuscité, quand il nous dit : Vous êtes faits pour la Vie ! Non pas pour une survie éphémère, mais pour une vie éternelle, celle-là même que Dieu seul peut donner, sa Vie, sa Vie divine ! La vie n'est pas une question de durée, ni de santé. ni de réussite ou de descendance. La vie, c'est d'“être avec Dieu”. Elle est offerte à tous.
Et en ce sens, il y a déjà des vivants parmi nous. Nous les appelons les saints, et ils sont nombreux, même s'il y a, hélas, des morts parmi les vivants, de ceux qui oublient Dieu et leurs frères et même qui les exploitent, les torturent et les tuent : ils piétinent la vie et leur faute est vraiment mortelle. Nous le constatons bien, hélas, en notre monde !

Telle est notre espérance : Il y a une résurrection. Nous la tenons de Dieu lui-même qui est un Dieu des vivants, et non des morts. Cette parole, - St Paul le disait déjà - est folie pour beaucoup. Mais pour nous elle est salut.

Et je la redis, cette parole, pour renouveler notre courage et notre patience. Voilà pourquoi nous ne devons pas quitter des yeux, quelle que soit notre faiblesse, notre maladie, notre sentiment d'échec ou notre solitude, l'icône du Christ ressuscité. Nous l'avons solennellement chanté Mardi dernier, en la fête de tous les Saints : Jésus est le premier-né d'une immense foule de vivants qui chantent inlassablement la gloire de notre Dieu.