2e
Dimanche de Carême 2016/C
Abraham, ce “Père des croyants” (Cf. Rm 4.16) occupe une place capitale dans l'Histoire.
Aussi, sa foi, sa confiance en Dieu nous sont très utiles !
Il
n'a pas d'enfant ; pourtant il a “foi
en Dieu” qui lui promet une descendance innombrable : "Regarde le ciel, compte les étoiles...
Vois quelle descendance je te donnerai !".
Et comme toujours, la promesse divine - ici,
une descendance - se fonde sur le rappel l'"anamnèse", le
"souvenir" des merveilles que Dieu a déjà accomplies : “Je suis le Seigneur qui t’ai fait sortir
d’Our”. Cette sortie d’Our en Chaldée évoquera bien sûr, pour le futur
lecteur de la Bible, une autre sortie, celle de l’Exode, la délivrance de la
servitude en Egypte et l'entrée en la Terre promise.
Oui, l'"anamnèse", le "souvenir"
de Dieu - comme une "profession de foi" en un Dieu qui est de
toujours à toujours - actualise ce qu'Abraham a déjà fait sous la conduite
de Dieu et dont la grâce l'atteint en son aujourd'hui, en son moment
présent.
Et bien davantage, plus qu’une simple
évocation du passé qui s'actualise, l'"anamnèse" est aussi une
profession d'espérance en un Dieu toujours fidèle et qui ne peut, lui,
oublier.
Souvent, d’ailleurs, reviennent dans la
Bible les mots de "Souviens-toi"
à l'adresse du peuple, ou de "Je me
souviens" dits par Dieu quand il annonce une nouvelle intervention.
Voilà ce qu’est une véritable "anamnèse" !
Ainsi, d'un passé, Dieu regarde toujours
notre avenir : “Vois, dit-il à
Abraham, quelle descendance tu auras”.
Celui-ci ose alors demander : “Comment, vais-je le savoir ?” ["Comment cela
se fera-t-il ?, demandera Marie elle-même !]. Et Dieu fait toujours la même réponse : “Parce que je m'y engage, comme je me suis
déjà engagé lors de mon alliance, au moment de ta sortie du pays d’Our”. Autrement
dit, Dieu est toujours fidèle !
Et Abraham, dans “un sommeil mystérieux”,
voit Dieu se soumettre à un vieux rite d'alliance : Il passe, sous la
forme d'une flamme, entre des animaux partagés en deux. Passer ensemble entre
des animaux ainsi divisés, c'était dire : “Qu'il ait le sort de ces animaux,
celui d'entre nous qui trahirait notre alliance”. Mais ici, c'est Dieu seul
qui passe entre les animaux ! Cela veut dire que Dieu cesserait d'être Dieu
s'il n'accomplissait pas sa promesse. Il s'agit donc d'un engagement de Dieu, indéfectible
de son côté.
Et “les
rapaces, qui descendaient sur les morceaux” - qu'Abraham écarte -,
pourraient bien signifier tout ce qui voudrait contrarier l'alliance divine,
faire douter l'homme de l'engagement de Dieu. Douter du Dieu de l’Alliance,
c'est toujours d'actualité ! Abraham est bien le modèle accompli de l'homme
de foi et, par là, du juste : ces rapaces, il les chasse !
Et ce rite archaïque d’il y a 4000 ans a,
pour les croyants d'aujourd'hui, une portée considérable. Il rappelle que
l'alliance dans laquelle Dieu s'engage remonte très loin, dès avant le Sinaï.
Et surtout, cette “anamnèse” tourne nos
regards vers cette ultime “signature d'alliance” par laquelle Dieu s'est
engagé d'une manière inouïe : non plus par le sang d'animaux, mais par celui de
son propre Fils livré pour le salut des hommes. Et le feu de
l'Esprit-Saint - ce feu de Pentecôte - maintient toujours le Christ entre ciel
et terre, si je puis dire, pour que nous entrions en son alliance. Ainsi
souvenons-nous ! Et faisons "anamnèse" !
C'est désormais cette alliance conclue
sur la croix du Christ est le mystère pascal que célèbre et réactualise l'Eucharistie.
C'est vers cette croix qu'à l'heure ultime, se tourne le regard de l'agonisant,
pour que s'éloignent de lui les rapaces tentateurs et que, dans la paix, il
remette son esprit à Dieu qui a promis le Royaume à la descendance d'Abraham,
le “¨Père des croyants”.
Et c’est dans ce contexte d’alliance que
l'Eglise nous invite à méditer le bel évangile de la Transfiguration !
Tout commence pendant que Jésus est en prière et que ses trois disciples
dorment.
Plus tard, en une circonstance analogue,
Jésus s'étant encore mis en prière, les trois mêmes disciples se laisseront de
nouveau aller au sommeil. Jésus les réveillera, mais pour leur montrer un
visage triste jusqu'à la mort...
Pour l’heure Jésus les réveille dans la
lumière fulgurante de sa gloire. “Se
réveillant, dit Luc, ils virent la
gloire de Jésus avec Moïse et Élie, à ses côtés”. Et ce fut
l'éblouissement. Un éblouissement qui n'était pas appelé à durer, mais dont la
trace, lumineuse et douloureuse à la fois, allait les marquer jusqu'à cette
lumière qu'ils reconnaîtront un jour sur la face du Ressuscité.
Le choc les a mis complètement hors
d'eux-mêmes. La vision de Jésus en gloire les jette pour ainsi dire dans un
état second. Luc, lui-même, avoue qu'ils ne savaient pas ce qu'ils disaient. A
Pierre, elle arrache un cri aussi touchant qu'irréfléchi : “Il est heureux que nous soyons ici, dressons trois tentes…”.
Pierre semble avoir oublié où il se trouve. Mais peu importe. Ce qui
l'intéresse, c'est uniquement lui, Jésus, celui qu'il aime, toujours le
même et maintenant si différent, mais en même temps tellement plus vrai et plus
nature que d'ordinaire : Jésus tel qu'il est depuis toujours en lui-même et
face à son Père. Oui, vraiment, qu'il fait bon d'être ainsi auprès de Jésus,
dans le rayonnement de sa gloire, l'œil et le cœur inondés de cette lumière
! Pierre voudrait y demeurer.
Ce Pierre ne nous est pas étranger. Pour peu que
quelque éclaboussure de la gloire de Jésus nous ait été donnée d'apercevoir ou
de pressentir seulement, nous aussi, nous voudrions y établir à jamais notre
demeure. Nous en restons blessés et nous serions prêts à gravir n'importe
quelle hauteur, à affronter n'importe quelle intempérie, pour la grâce d'en
être favorisés une nouvelle fois. Pour nous aussi, désormais, tout a changé.
Une petite flamme allumée jadis, à un moment donné, à la chaleur de Jésus transfiguré,
continue à couver paisiblement sous les cendres de notre cœur. Et même le baptisé
qui pense n'avoir jamais rien vu de cette gloire, en porte cependant le secret
désir au plus profond de lui.
Mais c'est en vain que Pierre voudrait
planter sa tente… La vision est de courte durée. Cependant, Dieu ne laissera
pas Pierre à lui-même. Au moment où Jésus transfiguré est soustrait à son
regard, il entendra la voix du Père : “Celui-ci
est mon Fils, écoutez-le !”. Car Jésus n'était pas seul dans sa gloire.
Il était le resplendissement de la gloire et la parfaite image d'un autre, de
son Père. Un Père invisible, mais qui prend soudainement la parole pour nous
dire : "Ecoutez-le !". Car
c'est en l'écoutant que nous parviendrons à la gloire du Dieu de l'Alliance !
Et lorsque les feux de la Transfiguration
se seront éteints, il reste et restera toujours Jésus. Et Luc précise : “Jésus
seul.” Car pour celui qui a entrevu quelque chose de la gloire de Jésus, ou
qui est habité par le désir de l'entrevoir, toutes les autres lumières
pâlissent définitivement.
Et de même, pour celui qui a saisi, ou
plutôt qui a été saisi par une seule parole de Jésus, toutes les autres
mélodies s'éteignent. Car sa Parole est toujours avec nous, et elle nous
brûlera jusqu'à la fin de nos jours. Il n'y a pas de brûlure plus suave, ni de
plus inguérissable. Mais il n'y a pas non plus de plus grande joie.
C’est ce que St Paul affirme (2ème
lecture) :
L'héritage promis, Dieu l'a donné par la croix du Christ. Dès à présent,
“nous sommes citoyens des cieux”,
quoique vivant encore dans l'espérance de la manifestation plénière du Seigneur
Jésus, “lui qui transformera nos pauvres corps
à l'image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de
tout dominer”. C'est donc l'heure du choix pour ou contre la croix du
Christ ! (Ph
3,17 - 4,1).
St Paul, suivi par bien d'autres, a opté.
Toutes “les valeurs charnelles”
auxquelles il était si farouchement attaché, “tous ces avantages” qu'il avait, il les considère comme “une perte”, comme “des balayures”, “à cause du
Christ”, “en vue d'un seul
avantage, le Christ” (Ph 3,4-8).
Sûr de la Promesse, Abraham était prêt à
sacrifier son fils. A l’exemple de Paul, oubliant tout “ce qui est en arrière et tendu vers l'avant” (Ph 3,13), sacrifiant tout
le reste, le chrétien choisit la croix du Christ.
C’est en elle que Dieu nous fait déjà “citoyens des cieux”, en la
lumière éternelle du Père de toute miséricorde.