lundi 28 mars 2016

La Pâques ! Les pâques !

Pâques 2016 -  

La fête de Pâques, c'est d'abord la résurrection de Jésus, c.-à-d. le "passage" (sens du mot Pâques) de Jésus à la vie définitive et glorieuse en Dieu, à la vie divine avec son humanité.

[La Pâque des Hébreux] 
Mais la Bible nous parle déjà d'une première "pâque", d’un premier “passage” qui eut lieu au temps de Moïse, quatorze siècles environ avant notre ère. Mais de quel “passage” s'agissait-il ?

A cette époque, les Hébreux, en Egypte, étaient une minorité de plus en plus opprimée, condamnée aux travaux forcés, réduite en esclavage.
Alors, Dieu suscite Moïse pour obtenir leur libération. Car Dieu ne veut pas que des peuples, des hommes soient opprimés par d'autres peuples, d’autres hommes.

En effet, ce qui définit l'homme créé "à l'image de Dieu", c'est sa liberté, sa possibilité de conduire lui-même sa propre vie, - "se déterminer soi-même vers le bien qui nous convient", dit St Thomas d'Aquin -. Il s'agit d'aider l'homme à accéder à cette véritable liberté de sorte qu'il se détermine lui-même à se diriger et vers le service de Dieu et vers celui de ses frères. St Paul insistera sur ce point : une liberté sous la mouvance de l'Esprit-Saint ! En ce sens, toute contrainte - fusse-t-elle celle de la Loi - peut conduire à un esclavage.
Aussi, Dieu dit à Moïse : Tu vas faire "passer" tes frères de l'esclavage à la liberté, de la servitude au service de Dieu et des hommes. Telle fut la première pâque. Et il est toujours actuel ce “passage” de la servitude au libre service et de Dieu et des hommes tout à la fois !

Mais, pour passer de la servitude au service, il y a un immense désert. Les Hébreux mirent quarante ans (période symbolique de toute une vie) à le traverser. Ce fut une période douloureuse, apparemment mortelle.
Souvent, les Hébreux voulurent faire marche arrière, préférant la sécurité misérable de leur esclavage en Egypte à la perspective exigeante de devenir un peuple libre.

Oui, durant cette longue traversée du désert, les Hébreux eurent l'impression d'aller vers la mort. En réalité, ils allaient vers la vie, la vraie vie, la terre de la liberté.
Mais, ils ne pouvaient pas devenir un peuple libre sans passer par une sorte de mort, sans mourir à leur mentalité d'esclave, à leur passivité, leur servilité.
Oui, pour naître à la vie du service de Dieu et des hommes, il faut mourir à sa situation d'esclave, briser bien des chaînes :
- celles de l'orgueil qui fut, qui est toujours le premier péché en Adam,
- celles de l'égoïsme qui en est une conséquence.
- celles des richesses, et que sais-je encore.

Oui, il faut briser bien des chaînes !  
Cela exige efforts et courage.
La longue traversée du désert symbolisait ces exigences et cette mort.

[La Pâque de Jésus]. 
Cette Pâque des Hébreux nous apporte une lumière sur Jésus lui-même. Car il a “re-vécu” pour son propre compte ce que son peuple avait vécu auparavant.
Il monte au calvaire, vers la mort. En réalité, il va, avec toute son humanité, vers la vraie vie, la vie même de Dieu
La résurrection de Jésus n'est pas le retour à sa vie terrestre, elle est le "passage" à la vie même de Dieu ; et désormais les conditions de sa vie sont celles de la vie de Dieu, avec toute son humanité. Aussi, Jésus ressuscité n'est plus lié comme nous à tous les conditionnements de l'espace et du temps qui parfois nous entravent.

Et pourtant, c'est bien le même Jésus d'avant sa résurrection. En passant par la mort et la résurrection, le Fils de Dieu ne s'est pas dépouillé de l'humanité assumée lors de son incarnation ; il n'a pas rejeté son corps comme une chose devenue inutile, méprisable.

Non ! C'est Jésus tout entier, homme et Dieu, qui est vivant désormais au cœur même de la Sainte Trinité. Grâce à lui, on peut dire que l'humanité, prise globalement, dans son ensemble, a déjà une place dans la gloire divine.
Telle est la Pâque de Jésus, le "passage" de Jésus que nous fêtons aujourd'hui.

[La Pâque du Chrétien]. 
Mais nous aussi, nous devons faire notre “passage”, notre pâque, comme les Hébreux jadis, et comme Jésus aussi. 

Et c'est lui, Jésus, qui nous entraîne à sa suite ; c'est lui le “passeur”. Grâce à lui, la mort n'est plus une impasse, ni un retour au néant. Grâce à lui, notre mort sera pour nous aussi le "passage" à la vie définitive en Dieu pour laquelle nous avons été créés. 

Là, nous découvrirons notre véritable dimension : l'homme ne se définit pas simplement par ses seules dimensions terrestres ; Dieu nous a créés pour que, librement, nous trouvions en lui, par lui, avec lui la plénitude de notre bonheur, de la vie.
Nous en faisons l'expérience souvent : ici-bas, nous n'arrivons jamais à atteindre l'amour parfait, la beauté parfaite, la bonté parfaite, la vérité parfaite, la communication parfaite avec les autres ; tout cela reste fragile, incomplet, éphémère. Nous ne serons pleinement rassasiés qu’en Dieu, avec lui, par lui.

[Nos Pâques quotidiennes].   
Ce passage, - cette pâque définitive en Dieu -, se fera à travers notre mort, comme pour Jésus.   

Mais il nous faut le préparer, ce passage, - cette "Pâque" - chaque jour à travers toutes les décisions que nous prenons librement, tous les choix que nous faisons et qui sont autant de petites pâques, de petits “passages”, accompagnés de petites libérations.

Quand je décide d’être au service d’autrui, quand pour cela je décide de renoncer à une satisfaction, chaque fois je me libère un peu de mon égoïsme, je le fais mourir en moi.
Chaque fois que je passe par une libération, par une sorte de mort pour découvrir quelque chose de la vraie liberté et de la vraie vie, j’accomplis déjà en moi la Pâque du Christ.

De tous nos choix, de toutes nos décisions de chaque jour, nous pouvons donc faire librement autant de pâques, de “passages” de libérations vers la plénitude de vie pour laquelle nous sommes faits.

C'est ainsi qu'un Jour, grâce au Christ ressuscité, nous deviendrons des hommes vraiment complets et définitivement achevés.
Ici-bas, nous ne serons jamais que des hommes en devenir, en cours de formation ; c'est en Dieu seul que nous atteindrons notre croissance et notre taille définitives.

[La Pâque de l'univers] 
Mais, ne pensons pas qu'à nous... Pensons aussi à tous nos frères, chrétiens ou non : ne sommes-nous pas tous solidaires les uns des autres ?
“Toute âme qui s'élève élève le monde”, a-t-on dit. De même, nous pouvons affirmer : Tout homme qui passe de l'égoïsme à l'amour, du doute à la foi, du découragement à l'espérance, des ténèbres à la lumière, de l'erreur à la vérité…, tout homme qui grandit ainsi dans la vie du Christ ressuscité contribue à faire grandir avec lui l'humanité toute entière.

La résurrection du Christ ne fut pas seulement hier. Elle est aujourd'hui. Elle sera demain. La résurrection du Christ est "en marche", en accomplissement incessant. L'éternité de la vraie vie est commencée. Et l'univers tout entier aspire à cette pâque éternelle. St Paul soulignera encore cet aspect universel.
Et c'est en ce sens qu'il disait : “vous êtes ressuscités avec le Christ...!".  Oui ! Déjà ! Aussi, de ce fait, "recherchez donc les réalités d'en haut ! Tendez vers les réalités d'en haut !”.
Alors, ce sera la Pâque éternelle, plénière !

samedi 26 mars 2016

La soif du Christ !

Epsilon  de carême 

Du haut de la croix, Jésus a crié : “J’ai soif… !“ (Jn 19.28)
Il était déjà annoncé :
­- “Mon palais est sec comme un tesson, et ma langue se colle à la mâchoire !“ (Ps. 22.16) 
- “Dans ma soif, ils m’abreuvent de vinaigre… !“. (Ps. 69.22)

Jésus a soif
- soif d’accomplir parfaitement la volonté du Père bien plus autrement qu’il éprouve une soif par manque d’eau fraîche.
- soif des âmes qu’il veut sauver est bien plus forte que celle qui lui fait implorer un apaisement physique.
Il est dévoré du désir ardent de se donner aux hommes, de leur dispenser l’eau vive de sa grâce.

Tout comme au puits de Jacob où Jésus demande à boire à la Samaritaine (Jn 4.7) et promet l’eau vive, il clame sa soif sur la croix ; et tout de suite après, il laisse couler de son côté l’eau et le sang, cette eau qui symbolise les fleuves d’eau vive que le Saint Esprit répandra sur les âmes au jour de la Pentecôte (Cf. Jn 7.38-39).

St Grégoire de Nazianze commente :
“J’ai soif d’amour, j’ai soif de communiquer mon amour à profusion“…
Le Christ a soif que nous ayons soif de lui !
Il abreuve tous ceux qui cherchent à boire.
Celui qui lui demande un bienfait, lui rend un bienfait.
Le Christ donne avec empressement et prodigalité : donner lui apporte plus de joie que les autres n’en ont à recevoir !“.

Autrement dit, nous calmons la soif dévorante du Cœur de Jésus par notre propre soif

La Vierge Marie a non seulement compris en quoi consistait la vraie soif de son Fils, mais elle l’a encore apaisée de façon efficace : elle a ouvert son cœur pour y accueillir l’amour de Jésus, elle s’est laissée aimer de lui, elle a capté toutes les grâces que tant d’autres laissent déferler sans en profiter.

Claudel commentait de façon poétique : “Au moment où Jésus déclare qu’il a soif, et où le bourreau porte à ses lèvres ce lambeau tout ruisselant d’un vin immonde, il y a au moins à ses pieds ce vase honorable (Marie) !
Marie est ce vase insigne de la vraie dévotion qui s’ouvre comme un calice pour recueillir le double jet de sang et d’eau que le flanc rompu du Crucifié se prépare à épancher et dont l’effusion va nourrir cette coupe à laquelle tous les prêtres jusqu’à la fin du monde ne cesseront pas de mettre une lèvre pénitente et enivrée“ (“L’Epée et le miroir“).

La tâche essentielle des amis de Jésus est de savoir demeurer dans le rayonnement de son amour !
Aussi, demandons l'aide de Marie, Mère de Jésus et notre Mère !

jeudi 24 mars 2016

Vie eucharistique !

JEUDI-SAINT 2016   -  

"Ceci est mon Corps livré pour vous. Faites cela en mémoire de moi !". (I Cor 11/24). Et c'est avec passion que l'apôtre Paul rappelait à ses fidèles de Corinthe "la Tradition qui vient du Seigneur" : l'événement du Jeudi Saint.

Et, ordinairement, nous entendons avec attention, prononcées par un prêtre, les paroles de Jésus : "Ceci est mon Corps… Ceci est mon Sang !".
Pourtant..., pourtant, notre faiblesse est telle qu'une certaine lassitude, une furtive inattention se lisent parfois sur nos attitudes au cours de la célébration de l'Eucharistie.

Aussi, en ce Jeudi-Saint, faisons effort pour redécouvrir l'étonnante actualité de ce grand sacrement.
A vrai dire, il est présomptueux de tenter d'évoquer, rapidement, ce Mystère de l'Eucharistie. Il est si riche ! Et c'est, peut-être, cela qui décourage notre intelligence. D'ailleurs, il est curieux de constater comment, depuis le Concile Vatican II surtout, on met en lumière, tour à tour, tel ou tel aspect du "Mystère", en le privilégiant avec excès, parfois, par rapport aux autres.

- Pour les uns, l'Eucharistie, c'est surtout le renouvellement du sacrifice rédempteur du Christ qui s'offre à son Père, renouvellement qui donne valeur à l'offrande de toutes nos peines, échecs, impuissances.

- Pour d'autres, c'est tout simplement l'Incarnation chaque fois renouvelée : le Christ est là, près de ses disciples, en tout temps et en tout espace. Il est avec eux, là-même où ils se trouvent ; il est là en leurs peines et travaux, en leur silence comme en leurs relations fraternelles. Il est là, suprême levain divin pour tous ceux qui désirent soulever la pâte des affaires humaines en vue de la construction du Royaume de Dieu !

- Pour ceux-ci, encore, c'est avant tout la fête pascale. Au milieu de nos routines, ennuis, deuils…, des évènements mortifères, il nous est bon de redire notre foi en la Résurrection, de nous souvenir qu'en Jésus-Christ, la vie est plus forte que toutes les puissances de mort conjuguées !

- Pour ceux-là, c'est la fête du Repas, du Pain partagé. Les chrétiens réunis en petis groupes, s'exclament : "Oh ! Qu'il est bon d'être tous ensemble !" (Ps 133).  Dans un monde anonyme et froid, il est réconfortant de communier dans une même ferveur, de partager notre vie avant d'accueillir "Celui qui revient" et qui "reviendra" définitivement en sa gloire !

Je ne sais quelle est, actuellement, dans le Mystère Eucharistique, la facette qui nourrit le plus la foi d'ici ou d'ailleurs. J'oserais même dire qu'à la limite, cela n'a pas tellement d'importance, qu'il n'est pas forcément nécessaire de choisir, encore moins de crier au définitif ou à l'Absolu. L'Eucharistie, "Don de Dieu", nous dépasse tellement !
Mais il me semble qu'en ce Jeudi Saint, tous, - laïcs, prêtres, religieux -, nous avons une seule question à nous poser : "L'Eucharistie me fait-elle vivre ?".

Car si le Christ nous a dit : "Ceci est mon Corps donné pour vous… Ceci est mon Sang livré pour vous…", c'est d'abord pour que nous puissions exercer notre activité de croyants en Jésus-Christ.

Ainsi, participer à l'Eucharistie, c'est :
- croire en Jésus-Christ, Dieu fait homme. Et ce n'est pas toujours simple. Dépouillée de la chaude ambiance de  Noël, l'Incarnation du Fils de Dieu, premier signe de la Tendresse de Dieu pour l'homme, déroute parfois nos petits esprits raisonneurs !
- … c'est croire en Jésus-Christ, mort pour tous les hommes. Et ce n'est pas toujours simple. La Passion du Christ et sa Croix, nous déroutent parfois.
- … c'est croire en Jésus-Christ, pour "nous incorporer" à Lui, à Lui qui se donne à nous.
Avons-nous véritablement admis qu'à chaque Eucharistie se réalise pour nous l'admirable parole de St Paul : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi !". Jamais aucun amour humain n'a réalisé une telle union : ma vie d'homme, de femme, de jeune ou d'adulte est transformée en celle de Jésus-Dieu… !
Peu importe alors que l'on parle de "trans-fusion", "trans-signification" ou "trans-substantiation"… ! L'essentiel est bien que, par la présence du Christ dans l'Eucharistie, je sois "trans-porté " au-delà de mes petites limites égoïstes, que l'Esprit de Jésus s'empare, en fait, de moi pour penser, vouloir, aimer à ma place.
Mon idéal chrétien est bien alors celui-ci : ce n'est plus moi qui vis avec ma modeste intelligence, ma propre sensibilité parfois énervée et énervante... etc. ; c'est le Christ qui vit en moi avec toute sa dimension divine, avec surtout son amour divin

C'est ainsi que l'on peut pressentir quelles sont les conséquences fondamentales d'un tel Mystère : Il ne s'agit plus seulement pour nous de comprendre ou de croire. Il faut vivre ! Vivre l'Eucharistie !
Le Christ se donne à "manger et boire" pour qu'à notre tour, nous nous laissions "manger et boire". Quand le Christ, au repas de la Cène, ajoute : "Vous ferez ceci en mémoire de moi…", il ne s'adresse pas seulement aux prêtres en leur confiant la célébration sacramentelle de sa Mort et de sa Résurrection, mais il demande à tout baptisé - ministre compris - d'accomplir ce que Lui vient de faire : un Sacrifice amoureusement offert.

En clair, chaque fois que nous prononçons ou entendons : "Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang… Faites ceci en mémoire de moi…", nous sommes invités à ce que toute notre vie - avec travail, joies, peines, espoirs... -, soit transposée en Jésus-Christ. Tout cela ne nous appartient plus ; c'est donné, c'est livré !

St Ignace d'Antioche l'avait bien compris, lui qui disait avant son martyre : "Je suis le froment de Dieu et je suis moulu par la dent des bêtes pour devenir un pain très pur du Christ !".

"Je suis le Froment du Christ !", disait St Ignace.
"Je vous exhorte, demandait St Paul, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu… !"           

Le Jeudi-Saint, après le lavement des pieds qui est si intimement lié à l'institution de l'Eucharistie, le Christ avait prévenu ses Apôtres : "C'est un exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous… !".
Ce sont des paroles que nous connaissons bien ; mais les avons-nous "assimilées", prises au sérieux : y-a-t-il vraiment un lien véritable entre l'Eucharistie et notre vie ?

En théorie, nous acceptons sans doute d'être le "froment du Christ" ! Oui, bien sûr ! Mais sommes-nous "comestibles ?". Sommes-nous prêts non pas à 'manger" nos frères, - à les utiliser égoïstement -, mais à "être mangés" nous-mêmes ? A être à leur service gratuitement.
Sinon, on risque fort d'entendre parfois autour de nous ce désespérant soupir : "La messe ! Pourquoi s'y rendre ? A quoi ça sert ?".

Oui, nous sommes trop souvent des pains durs, rassis par l'égoïsme, et des vins aigrelets à cause de l'orgueil ; et celui, celle qui viennent vers nous risquent de s'y briser les dents, de s'y user l'estomac. Nous avons du mal à faire transparaître notre foi eucharistique dans le concret de nos existences, même si nous y participons chaque jour.
Et ils n'ont pas toujours tort ceux qui nous reprochent notre suffisance ! Le P. Chevrier avait raison : "Il est difficile, disait-il, de se laisser manger par ses frères !".

Faudrait-il donc, en ce Jeudi Saint, sombrer dans la désespérance ?
Non, car l'Eucharistie n'est pas seulement le signe d'une union entre les hommes ; elle est la venue en nos vies du Seigneur, aujourd'hui et demain ; elle est l'annonce de son retour dans sa gloire divine ; et à ce moment-là - le signe faisant place à la réalité - nous serons tous en Lui.

samedi 19 mars 2016

Simon de Cyrène.

Rameaux 2016 - 

Après le long récit de la passion de Notre Seigneur, quelques mots seulement pour vous parler simplement d'un homme qui passe pratiquement inaperçu dans ce récit de la passion et qui, pourtant, aurait certainement beaucoup de choses à nous dire.

Il s'agit d'un certain Simon..., celui qui a aidé Jésus à porter sa Croix.

Que savons-nous de lui ? Rien ou presque rien... Il était originaire de Cyrène. Cyrène, c'est en Afrique du Nord ! Autrement dit : c'était un émigré !

Il revenait des champs. Sans doute avait-il travaillé dur. Et vers midi où le soleil tape fort, il rentrait, fatigué, à la maison.

Enfin ce qu'on sait, c'est qu'il est réquisitionné, lui, le passant.

Ce qui est frappant, c'est à la fois son anonymat et la place privilégiée qu'il a prise dans le Mystère de la passion du Christ.
- Anonyme... Car on n'a pas reparlé de lui. Il n'a même pas sa place dans le catalogue des saints. Il est rentré dans la nuit et l'oubli de l'histoire.
- Et pourfant quelle place il a eue ! Il a porté la Croix du Christ ! Le seul ! Il était à côté de Lui. Il l'a vu souffrir, pleurer, crier peut-être ! Et ce faisant, il a été le partenaire du plus bouleversant événement de l'histoire : ce chemin de Croix où Dieu lui-même a donné sa vie pour que tous les hommes sans exception, soient sauvés !

En cette heure exceptionnelle, Dieu a eu besoin d'un homme, d'un frère, de ce Simon, lui l'étranger, lui qui simplement passait par là, ce jour-là !
Sans le savoir, il est devenu le premier disciple de ce Jésus qui avait dit auparavant : “Celui qui veut être mon disciple, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive !”.

En ce jour-là, Simon a pris sa place de disciple, bien avant les apôtres qui s'étaient enfuis, bien avant cet autre Simon qui, lui, avait renié.

Ce Simon de Cyrène est le frère de tant de gens très simples... Il y en a certainement parmi vous…, de ces personnes que l'on oublie facilement, voire que l'on méprise, parfois !

Ces gens-là ne sont pas obligatoirement très familiers de l'Eglise. Ce ne sont pas toujours des militants, comme on dit. On ne les trouve pas forcément dans les EAP - Equipes d'animation pastorale" -. Mais, quand il faut prendre sa place auprès de quelqu'un qui porte douloureusement sa croix, ils savent le faire, sans publicité.

Simon de Cyrène nous montre le chemin : lui le lointain, il s'est fait le prochain. Il a su partager la passion du Christ.

Avec lui, désormais, nous savons que s'il y a des croix impossibles à écarter, reste l'immense appel à s'aider à les porter les uns les autres. "Portez les fardeaux, les uns des autres", écrira St Paul (Gal 6.2). "C'est un devoir pour nous, les forts, dira-t-il encore, de porter l'infirmité des faibles !" (Rm 15.1). Et cela, avec grande humilité, précisera-t-il, "car si quelqu'un se prend pour un personnage, lui qui n'est rien, il est sa propre dupe" (Gal 6.3).

C'est ce qu'affirme à sa manière un beau texte du Concile Vatican II : “Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu seul connaît, la possibilité d'être associés au mystère pascal du Christ !” (G et S - n° 22 § 5).
En s'aidant mutuellement !

Simon de Cyrène, toi, l'étranger, l'ouvrier, le paysan, l'oublié, le simple passant, le méprisé peut-être, Simon, priez pour nous !

Sous le regard de Dieu !

Saint Joseph : 19 Mars (Luc 2, 41-51) - 

Le culte à saint Joseph s’est développé au 16ème siècle avec Ste Thérèse d’Avila qui avait une grande dévotion pour lui. Elle en fit le saint patron des couvents qu’elle fondait.
En décembre 1870, le pape Pie IX proclamait st Joseph patron de l’Eglise universelle.
Léon XIII son successeur publia une encyclique sur la place de St Joseph dans l’Eglise et dans le monde.
Et Pie XII christianisa la fête du 1er mai, fête du travail, en déclarant st Joseph patron des travailleurs.

Les Evangiles ne nous rapportent aucune parole de St Joseph. Quand ils en parlent, c’est toujours en lien avec Jésus et Marie.
La mission de Joseph fut donc de veiller sur eux, de les protéger. Tous trois nous sont présentés comme une famille humaine toute simple, semblable à bien d'autres familles, mais totalement placée sous le regard de Dieu ! En somme, une "bonne famille" ! - "Une bonne famille ! A la bonne heure !", s'était écrié naguère un archevêque de Paris !

La scène qui nous est rapportée aujourd’hui est la seule que l’on connaisse sur la petite enfance de Jésus. Une scène importante pour qu'elle soit la seule que Marie ait rapportée à l’évangéliste. Une scène écrite bien après la résurrection, et donc à comprendre à la lumière de Pâques

A l’heure où Marie et Joseph repartent de Jérusalem, Jésus s’attarde dans le temple. Ce n’est ni un caprice d’enfant ni une étourderie mais une décision volontaire et réfléchie. Jésus veut montrer que dans le Temple, il est aussi chez lui. Avant d’être le fils de Marie, il est d’abord le Fils de Dieu son Père !

Certes, nous comprenons l’angoisse de Marie et Joseph. L’enfant a pu être enlevé ou être victime d’un accident. Comme tous les parents, en pareille circonstance, ils craignent le pire. Pendant trois jours, ils vont le chercher inlassablement et ce n’est que le troisième jour - un troisième jour déjà pascal - qu’ils le retrouvent...

Dans l’anxiété qui l’oppresse, Marie ne peut cacher sa douleur : "Pourquoi nous as-tu fait cela ?". Et c’est là qu'il faut entendre la réponse de Jésus : "Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ?". Il leur montre qu’il est entièrement au service de son Père. Dès son plus jeune âge, il fait passer sa mission avant toute autre considération même d’ordre familial.
Marie et Joseph ont dû faire un cheminement difficile pour adhérer au mystérieux projet de Dieu sur leur fils. Pour eux, ce fut certainement une adhésion "dans la nuit" de la foi.

Finalement, cet épisode nous renvoie à notre vie chrétienne et à la place que nous donnons à Dieu. Il nous rappelle, tout comme à Joseph, que tout doit être subordonné à Dieu, que Dieu doit être "le premier servi". Dieu compte sur chacun de nous, là où nous sommes ; et il ne faut pas que des considérations d’ordre familial, matériel et que sais-je encore... nous empêchent de lui donner la première place en notre vie.

Souvent, nous entendons : je n'ai pas eu le temps de faire oraison, de prier, de réfléchir à mon action sous le regard de Dieu, d'être le plus possible en "alliance", en relation avec Dieu..., parce que..., parce que... !
Il y a toujours, il y aura toujours de très "bonnes raisons". Et c'est ainsi que notre fidélité au Seigneur risque souvent de passer après bien d’autres choses, souvent bien secondaires.
L'Evangile d'aujourd'hui nous provoque, avec l'aide de St Joseph, à réfléchir sur nos vraies priorités, à ce à quoi nous donnons vraiment de l’importance en notre vie. Nous sommes souvent très loin de tout subordonner à notre amour pour Dieu notre Père et, conséquemment, à un véritable amour pour nos frères !

Que St Joseph nous aide, à travers difficultés, épreuves, questions qui peuvent nous assaillirent ! Qu’il nous apprenne la confiance totale à la Parole de Dieu, malgré, parfois, la "nuit de la foi".
Qu’à l’exemple de Jésus, Marie et Joseph, nous cherchions à découvrir toujours plus le mystère caché de ce Dieu qui vit au milieu de nous !

jeudi 17 mars 2016

Amour qui sauve

Epsilon de Carême

Tout être humain à besoin d'amour, de tendresse. En fut-il totalement privé, c'est la mort ! On connait la cruelle expérience tentée par Frédéric II de Hohenstaufen sur des enfants nouveau-nés : il leur fit donner tout ce qui était nécessaire à la vie, mais sans aucune marque d'affection. Pas un de ces enfants ne vécut. La parole du psalmiste disant à Dieu : "Ton amour vaut mieux que la vie" (Ps. 63/4 ) peut aussi s'entendre de l'Amour en général. L'amour est plus important que la vie elle-même ! 

"Tu m'as gratifié de la vie, et tu veillais avec sollicitude sur mon souffle !", disait Job à Dieu, lui dont la vie ne fut, en partie, qu'une longue souffrance ! (Job 10.12). Etre persuadé que Dieu veille sans cesse sur nous avec amour ! Même et surtout en des moments difficiles !

Toute la tragédie de la vie du croyant vient du fait que nous ne sommes pas assez convaincus de l'amour que Dieu nous porte, de cet amour ineffable, infiniment fidèle qui seul peut nous rendre heureux.
En effet croire en Dieu, c'est croire obligatoirement en l'Amour, "car Dieu est l'Amour !", ne cessait de répéter St Jean (I Jn 4/8).

En quoi un saint est-il différent d'un chrétien tiède et médiocre, ou encore d'un incroyant ? Serait-il qu'il n'a ni à lutter ni à souffrir ? Qu'il n'a point part à la misère humaine, ou qu'il n'est point frappé avec les autres ?
Non, point ! "Malheur sur malheur pour le juste", dit le psaume (Ps 34/2O!. C'est le "juste" précisément que le Seigneur éprouve comme "l'or au creuset" (Sg III/6) afin de le purifier en sainteté de vie, "afin que, bien éprouvée, votre foi, plus précieuse que l'or périssable que l'on vérifie par le feu, devienne un sujet de louange, de gloire et d'honneur, lors de la Révélation de Jésus Christ" (I P  I/7).

L'homme qui tend vers la sainteté, c'est celui qui, à travers tout - bonheur et malheur, joie ou souffrance, "espérant contre toute espérance" (Rm 4.18), croit en ce Dieu-Amour qui "avec ceux qui l'aiment, collabore en tout pour leur bien" (Rm 8/28). Ils affirment avec le psaume : Même "Si mon père et ma mère m'abandonnent, Dieu m'accueillera !" (cf Ps 27.1O).

"Dieu est Amour !", disait St Jean. Il n'a pas seulement l'amour, il ne prodigue pas seulement l'amour ; il est essentiellement Amour, un Amour qui se penche vers les hommes d'une manière absolument gratuite, un Amour qui, miséricordieusement, sauve avant tout le pécheur. Et "la preuve que Dieu nous aime, c'est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous !" (Rm 5.8). St Jean disait encore : "Nous avons reconnu l'amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru... !" (I Jn 4.16). Les savants, grands hellénistes, soulignent qu'ici, en grec, il y a un "double parfait". Autrement dit, cette connaissance et cette foi sont une conviction et une adhésion durables et assurées ; il faudrait paraphraser : Nous avons connu l'amour ... et nous continuons à  le  connaître  et à y croire fermement.

Oui, telle est notre foi ! Dieu est Amour. Il l'a manifesté en son Fils, Jésus - Dieu fait homme -, qui, par amour pour nous, a souffert jusqu'à mourir sur une croix.

Certes, on peut se demander le "pourquoi" de la souffrance en nous, dans le monde... !
Sans aborder cette grande question, reconnaissons seulement
que la souffrance existe,
que le Fils de Dieu a assumé cette souffrance humaine,
que sa souffrance sur la croix fut l'expression suprême de l'amour de Dieu pour tout homme, un amour qui sauve et nous permet de faire alliance avec Dieu-Amour, de nous unir à Lui, dès ici-bas et pleinement au jour éternel.

Dès lors, surtout en cette "Semaine Sainte" qui approche,
offrons nos souffrances au Christ en croix,
plaçons nos souffrances en les siennes.
Et sachons encore que nos souffrances en les siennes peuvent, elles aussi, acquérir, avec lui, une valeur de "rédemption", de salut pour les hommes, nos frères... !

C'est tout le mystère de Pâques que nous allons bientôt célébrer solennellement !

mardi 15 mars 2016

Temps - Résurrection - Eternité !

Epsilon  de Carême 

Comment articuler le temps et l'éternité dont nous parlons souvent en cette période de Carême ?
Question courante et difficile !  Car l'homme a l'expérience de l'un mais pas de l'autre.

Et l'on se dit pourtant : Derrière la fuite inexorable du temps, la précarité et la fugacité de toute chose, il y a certainement une permanence fondatrice sans laquelle rien ne serait, ni rien ne tiendrait ! On peut donc affirmer, d'entrée de jeu, que le temps et l'éternité ne sont pas deux mondes étrangers. Il nous faut les penser ensemble.

Mais tous, nous avons tendance à imaginer une succession :
- le temps présent,
- puis l’attente de la résurrection,
- et enfin l'éternité.
Mais penser ainsi, c'est réintroduire le temps et ses codes arbitraires dans quelque chose qui n'a rien à voir avec le temps. On ne peut pas situer l'éternité après le temps : Dieu n'est ni avant ni après !

Il faut donc essayer d'analyser et de discerner. Et on peut dire de façon schématique :
- le temps, c'est la succession de nos instants présents !
- l'Eternité, c'est Dieu qui n'a ni "avant", ni "après". Il "est" ! Éternel Présent. Pur Acte d'être !
L'homme, affirme-t-on, a une "âme immortelle" ; mais il n'est pas de soi "éternel". Il ne peut accéder à l'éternité qu'en communiant à l'"Unique Éternel", à Dieu lui-même ! Communion plénière quand nous serons dans la Gloire. Communion anticipée ici-bas quand nous sommes dans la grâce.

- La résurrection, elle, relève de ce que la théologie orientale appelle "l'Économie  divine" : une réflexion sur l'Agir de Dieu. Et non de la Théologie qui est une réflexion sur l’Être de Dieu.
La résurrection du Christ inaugure un monde nouveau, tout en étant un événement de ce monde : elle est précisément à la charnière des deux, du temps et de l'Eternité. Elle est une "Pâques", où s'accomplit le passage d'un monde obscur marqué par la mort vers un monde de lumière et de béatitude.
La Pâque du Christ annonce et appelle notre propre résurrection, qui est également “quelque chose qui nous arrive” : un événement !

Un "événement" ! En deux temps :
- Tout d'abord, nous faisons l'expérience d'une résurrection spirituelle, dès la vie présente : c'est comme une nouvelle naissance. Nous recevons une vie nouvelle, qu'on appelle aussi "vie éternelle". Nous entrons dans le Royaume de Dieu, par la porte de la foi et des sacrements de la foi.
- Dans un deuxième “temps”, au-delà de la mort, nous connaîtrons la résurrection corporelle.
L'une et l'autre s'inscrivent dans une histoire et donc jalonnent une durée, durée temporelle pour la première, durée mystérieuse pour la seconde.

La théologie classique appelle cette dernière durée, cette "durée mystérieuse" : "aevum" qui n'est ni le temps, ni l'éternité. Mais quelque chose entre les deux :
- une permanence sans avant ni après, ce en quoi elle ressemble à l'éternité divine,
- mais dans laquelle cependant il peut y avoir des “moments”, ce en quoi elle ressemble au temps des créatures corporelles. (Cf St Thomas d'Aquin : Somme théologique : Ia  art. 1 - q. 5-6).

Bref,
- Dans le temps, nous allons vers Dieu, avec l'aide de sa grâce qui nous fait déjà "participants de sa vie divine".
- Par la mort, nous entrons dans l'"Autre monde", jalonnés de "moments mystérieux" : jugement personnel - éventuellement "moments" du purgatoire - rencontre avec tous ceux qui, à leur tour, traversent la frontière de la mort...
- Enfin, la Résurrection nous fera vivre de la gloire divine du Ressuscité  ; Une vie sans fin, sans oublier que le mot “fin” à vrai dire n'a de sens que vu d'ici-bas : notre joie sera sans fin parce que, en quelque sorte, toujours nouvelle.

Aujourd'hui, profitons du temps de Carême pour nous préparer à l'"Autre monde" qui nous introduira, nous l'espérons, en la Vie éternelle de Dieu, Vie d'Amour que s'échangent les trois Personnes divines.

dimanche 13 mars 2016

Accusateurs accusés !

5ème Dimanche de Carême 16/C

Quelle aubaine pour les ennemis de Jésus ! Ils sont sûrs, ce jour-là, d'avoir trouvé la manière de le “piéger”. Ils traînent devant lui une "pécheresse", comme ils disent..., comme l’on dit toujours !

Mais, finalement, ce n'est pas cette femme qu'ils veulent juger, c'est Jésus. Ils espèrent, ce jour-là, le mettre dans une situation impossible : “Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là, et toi que dis-tu ?”.

Le piège est bien monté, le dilemme implacable. Si Jésus approuve Moise, toutes ses paroles sur le pardon des pécheurs, sur Dieu miséricordieux ne sont que du vent Et s'il se prononce pour l'acquittement, il se met en opposition avec la Loi. Pas d'échappatoire !

Comment Jésus va-t-il sortir de là ?
Que fait-il, penché vers la terre ?  Veut-il éviter, par délicatesse, de croiser le regard de cette femme ?
Que fait-il à griffonner sur la poussière ? Veut-il éviter de pointer son doigt vers la malheureuse ?

Soudain, il crève le silence par une de ces paroles dont il a le secret et qui bouleversera tous les débats : “Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter une pierre !". Autrement dit, il demande d'abord aux juges de se juger eux-mêmes, en conscience. Il demande aux accusateurs de voir s'ils n'ont pas à s'accuser eux-mêmes, en conscience. Et vous savez la suite : ils s'en vont l'un après l'autre, à commencer par les plus âgés !

La femme, elle, a dû se souvenir, sa vie durant, des mots que Jésus lui a adressés : “Moi non plus je ne te condamne pas, va, et désormais ne pèche plus”.

Cette femme ! On n’en sait pas plus ; on ne connaît même pas son nom ! L’évangile ne le révèle pas et ne dit pas ce qu'elle est devenue. Pourquoi ? La réponse est simple : cette personne qui a péché, c'est moi, c'est peut-être vous, c'est sûrement nous, c'est l'humanité pécheresse !

Mais alors, si c'est nous, c'est donc devant nous, ce matin, que Jésus se tient, et c'est à nous qu'il redit ces paroles. Que veut-il nous dire ? La même chose, avec les mêmes mots : deux phrases aux significations immenses.

La première : “Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter une pierre !".
Y a-t-il une phrase qui en dise aussi long en aussi peu de mots, et avec autant de justesse, sur la condition humaine ?  
Qui peut s'ériger véritablement en juge de son frère ?
Oh ! D'abord une réponse de bon sens :
Que sait-on de cet homme que l’on juge ?
Que sait-on de cette femme que l’on condamne ?
Que sait-on de ce couple qui a divorcé ?
Que sait-on de l'enfance de ce jeune délinquant ?
Que sait-on de cet homme qui s'est donné la mort ?
Oui, Que sait-on ? Que sait-on ?  etc…
Jean Cocteau avait raison d'écrire : "Surtout, surtout, sois indulgent. Hésite sur le seuil du blâme. On ne sait jamais les raisons, ni l'enveloppe intérieure de l'âme, ni ce qu'il y a dans les maisons, sous les toits, entre les gens !".

Et voici une deuxième réponse que suggère l'évangile : Qui es-tu, toi-même, pour juger ? Avant de juger ton frère, commence donc par te juger toi-même, en conscience. Ecoute bien cette parole de Jésus : “Que celui qui est sans péché, jette la première pierre !". Une parole qui donne envie d'ouvrir la main pour lâcher la pierre que l’on s'apprêtait à lancer.

Non pas tellement la pierre d'une remarque incisive et de circonstance. Jésus lui-même ne s'en privera pas à l'encontre
- de ses apôtres eux-mêmes qu'il qualifiait d'"esprit bouchés",
- de certains scribes et pharisiens aux attitudes hypocrites,
- d'Hérode lui-même qu'il affublait, avec humour, du sobriquet de "renard" !

Mais il s'agit plutôt, comme pour la femme de l'évangile, de lâcher la pierre tranchante...
- d'une accusation sans instruction,
- d'un jugement sans partie contradictoire,
- d'une condamnation sans appel et qui ternit à tout jamais une réputation.

Cet évangile interroge chacun de nous à ce niveau-là.
Il interroge aussi notre Église à ce niveau-là. Naguère, le Cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, en commentant ce texte, avait eu le courage de dire aux hommes d'Eglise de ne pas juger seulement en référence à une Loi…, mais de toujours penser à l'homme, même pécheur, et que Dieu aime. Peut-être nous faut-il, nous aussi, apprendre à écrire sur la poussière de façon très éphémère.

Et je me faisais cette réflexion : je n'ai pas connu, par exemple, Mgr Helder Camara, ni l'Abbé Pierre et bien d'autres évidemment... ! Par contre, j'ai connu, par exemple, Mgr Annibale Bugnini, le liturgiste de Vatican II, puisqu'il m'a ordonné prêtre... Un livre sur sa vie vient de paraître...
Et bien, sur eux et sur bien d'autres plus ou moins célèbres, j'entends encore, je lis encore quelques désaccords à propos de certaines de leurs positions. Oh, désaccords tout à fait légitimes, après tout ! Mais qui ne devraient jamais se transformer en jugements définitifs venant ternir l’action de toute une vie.

Eux aussi - et bien d'autres avec eux - ont souvent écrit sur la poussière du sol. Et parfois également, comme le fait le pape François, ils se sont relevés pour crier leurs interrogations sur l’homme, la femme. Sur l'homme, la femme de toujours qu'ils voulaient conduire à Dieu plein de miséricorde au prix de bien des souffrances, voire de leur vie, à l'exemple du Christ.

Et n'oublions pas non plus : si le péché personnel d'un jugement fait des malheurs autour de nous, ne serait-ce qu'en nos familles, le péché collectif d'une condamnation tacite, le péché de l'oubli, le péché de l'indifférence, comme dit souvent le pape François, fait des drames dans le monde.

Qu'as-tu fait de ton frère ? Pas seulement celui qui est près de toi, mais de l’homme, de la femme, de cette femme de l’évangile d’aujourd’hui qui représente toute l'humanité que Jésus est venu sauver. Et, si nous la regardons bien, cette femme-humanité sauvée par le sang du Christ, nous qui ne sommes pas sans péchés, nous n’oserons plus jeter la pierre, mais plutôt prendre une pierre et encore une pierre pour essayer de bâtir le Royaume de Dieu, dès ici-bas.

Et Jésus dit encore une seconde parole : “Moi non plus, je ne te condamne pas, va et ne pèche plus !. Ces mots-là aussi ont une signification immense, à condition de bien les comprendre.
Car il ne faut pas voir dans cet épisode l'illustration d'une sorte d'indulgence de Jésus, de complaisance à bon compte, à la limite de la tolérance complice. Rien de ce qu'on peut savoir du Christ, ne se prête à cette interprétation.
Non ! Le mal, c'est le mal ; Jésus l'a souvent dénoncé : et il faut savoir le dénoncer, le combattre ouvertement. Notre religion n'est pas une "religion de salon", disait le pape dernièrement - on pourrait dire ici avec humour : une religion de parloir -. Jésus ne fermait pas les yeux sur la gravité du péché. Mais il les ouvrait bien davantage encore sur le visage du pécheur !

Soyons clairs, Jésus a toujours dénoncé le péché, et avec quelle vigueur parfois ! - Et il faut le faire encore ! -. Mais il a toujours accueilli le pécheur. Feuilletez l'album de famille, l'évangile ! Vous y rencontrerez Zachée, Matthieu, les publicains, Marie-Madeleine, la Samaritaine, et même ce prisonnier de droit commun sur son poteau d'exécution.

Jésus nous révèle le vrai visage de Dieu qui n'est qu'amour, non pas pour encourager je ne sais quel laxisme…, mais pour proclamer la miséricorde divine.
Car Dieu n'attend pas que nous changions pour nous pardonner, il nous pardonne pour que nous changions ! J’en suis de plus en plus persuadé : Dieu nous prend tels que nous sommes et là où nous en sommes. Et il dit à chacun : “Viens, suis-moi !”, tel que tu es !

Finalement, Jésus n’est certes pas venu contredire les exigences de la Loi. Il n’est pas venu abolir, mais accomplir, disait-il. Mais il sait de quoi nous sommes pétris. Il se souvient que nous sommes poussière…, que nous retournerons en poussière. Mais nous savons que c'est de cette poussière même qu'il nous façonnera, comme au premier jour de la création, en "homme nouveau", disait St Paul, pour la vie éternelle.
Oui, ce jour-là et dès aujourd’hui, Jésus, de son doigt divin, dessine sur la poussière de nos vies, comme pour signifier que la Loi divine doit s’écrire jusque dans nos immenses fragilités.

Aussi, il nous redit aujourd'hui par son prophète Isaïe : "Ne songez plus au passé. Je fais un monde nouveau !". Un monde de ressuscités, dirait St Paul. Disons avec lui : "Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, tout tendu vers l'avant, je cours...", vers Dieu-Père, plein de miséricorde !

jeudi 10 mars 2016

Création - Rédemption - Eternité !

Epsilon  

"Le Seigneur modela l'homme avec de la poussière prise du sol" (Gen 2.7).

Tertullien nous offre une belle image - ce n’est qu’une image - de la création par Dieu :
"Les mains de Dieu étaient à l’ouvrage : elles touchaient, pétrissaient, étiraient, façonnaient la glaise qui ne cessait de s’ennoblir à chaque impression des mains divines. Imagine-toi Dieu occupé, appliqué tout entier à cette création : mains, esprit, activité, conseil, sagesse, providence, amour surtout orientaient son travail ! C’est qu’à travers ce limon qu’il pétrissait, Dieu entrevoyait déjà le Christ qui un jour serait homme : Verbe fait chair, comme cette terre qu’il avait entre les mains !".

Autrement dit, au jour “unique“ ("erad", dit l'hébreu, c'est-à-dire : "un seul", "unique", "permanent") de la création, Dieu pensait au “jour unique“ ("permanent") de l’Incarnation de son Fils Unique, Incarnation conçue comme une "recréation".

Et au jour “unique“ ("permanent") de l'Incarnation, Dieu pense au jour “unique“ de l’entrée plénière du Corps de son Fils en la gloire céleste : la "Pâques" éternelle.

Or, déjà, par le baptême principalement, nous faisons partie de ce CORPS du Christ !
C’est donc tous les jours le mystère de l'Incarnation
qui se continue jusqu'à notre dernier jour terrestre, notre "Pâques",
qui sera notre entrée plénière, au jour "unique" d'éternité, dans la gloire du Corps du Christ ressuscité.

Voilà notre destinée voulue par Dieu Créateur, Rédempteur ("Re-créateur") pour nous faire entrer en son jour "unique" d'éternité, en sa gloire éternelle qui, pour nous, ne sera rien d'autre qu'une participation à cet Amour divin que s'échangent éternellement les trois Personnes divines !  

mardi 8 mars 2016

Le Jugement dernier !

Epsilon de Carême

Bien des textes rapportent que la "fin du monde" sera marquée par de "grandes assises judiciaires", en quelque sorte, devant lesquelles tout homme, mort ou vif, devra comparaître !
Rm 14.10 : "Tous, en effet, nous comparaîtrons au tribunal de Dieu",
II Co. 5.10 : "Il faut que tous, nous soyons mis à découvert devant le tribunal du Christ, pour que chacun recueille le prix ce qu'il aura fait pendant qu'il était dans son corps, soit en bien, soit en mal"

Tout sera pesé - œuvres, peine, travail, pensées et actions les plus secrètes -, tout sera pesé par "Celui qui juge avec justice" (I Pet. 2.23), sans faire acception de personnes - "car Dieu ne fait pas acception des personnes" (Rm 2.11) -.
Et le jugement doit s'entendre au sens strict : un "tri" entre bons et mauvais.
Le terme "crisis", souvent employé, est l'action de séparer  : "l'un est pris, l'autre laissé" (Mth 24.40). Cf. Mth 21.32 ; 13.49. 24.5).
Et une morale en découle : Dieu - tel un Maître - a confié ses biens (Cf Mth 25.14) : Parole, Esprit-Saint, amour, grâce..., Eucharistie... Il a tout confié, à charge pour chacun de "faire fructifier" (Cf. Lc 19.13)..

Aujourd'hui, on a un peu de peine à comprendre l'importance de ces rétributions célestes. Et certains de prôner un service de Dieu gratuit, au-delà de tout espoir de récompense ou d'appréhension d'un jugement, espoir ou appréhension que caractériserait une mentalité de "mercenaire" !

Certes ! Mais il restera toujours, cependant, qu'"on ne se moque pas de Dieu". Et "ce que l'on sème, on le récolte" ! (Cf. Gal 6.7).

Aussi, on peut déduire : Certes, il y aura bien un "jugement" pour chacun
+ mais un "jugemnt" divin qui n'appartient qu'à Dieu - Or "Dieu est Amour" avant tout, ne l'oublions pas ! -,
un jugement que les premiers disciples du Christ ont sans doute trop décrit selon la mentalité de leur temps ! Evidemment !
Il n'empêche ceoendant que le Christ a souligné avec autant d'insistance la sévérité des châtiments éventuels que les séductions du bonheur céleste (voir nombre de paraboles...).
mais un "jugemnt" divin dont la description -  trop humaine, soit ! - serait encore à mettre, a-t-on dit, sur le compte d'une "pédagogie" miséricordieuse pour stimuler notre volonté paresseuse, nous détacher des séductions passagères et trompeuses, nous aider à mieux correspondre à la grâce.... 
Cette terrible description du jugement céleste serait alors à comprendre comme une aide, commente Philon d'Alexandrie, pour tous "ceux qui n'ont pas reçu de la nature la faculté de se discipliner eux-mêmes !".

Et ceci d'autant plus que le "saint" lui-même n'est pas un héros ! Aussi, cette description du "jugement" céleste - souvent terrible - et toute la morale évangélique veulent surtout souligner cette invitation adressée à chacun : "cherchez le Royaume de Dieu ; le reste vous sera donné par surcroît" (Lc 12.31).

Autrement dit : La morale chrétienne - à la suite de St Paul notamment et de la lettre aux Héreux - veut surtout lutter contre une sclérose du cœur, une mauvaise volonté qui stérilise l'action de la grâce, une inertie et une torpeur radicalement contraire au don de Dieu.

Et, de tout cela, il reste cette réalité : l'éliminé sera le paresseux ; le sauvé sera le vigilant actif ! (Cf. Lc 12.48). Tout le christianisme est ordonné au ciel - "être avec le Christ'" - et n'a de sens que par lui. L'enfer n'est le résultat que d'un refus.
D'après la lettre aux Hébreux, la damnation est réservée à l'infidélité obstinée (10.26), à ceux qui rejettent Dieu, s'en détournent et s'en détachent volontairement (Cf. 2.1-4 ; 3.12 ; 6.4-6 ; 10.24). Dieu ne fait que consommer une séparation voulue par l'homme !

Aussi, l'"enfant de Dieu", aimant et vigilant, affronte le jugement de son Père avec "parrhésie" - une conscience tranquille -. Il croit à l'infini de la charité divine (Rm 8.15 ; I Jn 2.28 ; 4.17). Il adhère de toute son âme au Christ qui l'a délivré de l'appréhension de la mort. Et celle-ci ne sera que l'achèvement de son incorporation, de son assimilation au Sauveur. Et déjà il peut s'écrier : "Heureux les morts qui meurent dans le Seigneur ; dès à présent..." (Apoc.14.13).

Au fond, de tout cela, il y a un principe qui se détache : Certes, nous sommes tous pécheurs. Et la miséricorde divine est grande ! Cependant, doit toujours demeurer la recherche de Dieu - seul saint ! - qui bannit toute sclérose.
Péguy avait raison d'écrire :
“Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite.
Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite.
Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée.
On a vu les jeux incroyables de la grâce pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse ; et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a pas vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué… Les “honnêtes gens“ ne mouillent pas à la grâce !“