J'ai
bien conscience d'avoir semblé délaisser mes lecteurs. Rien de tel pourtant !
Quelques ennuis de santé et diverses circonstances en furent la cause.
Aussi
je vous transmets aujourd'hui trois réflexions, même si je dois m'abstenir encore
durant une quinzaine de jours. Mais durant ces jours, soyez assurés de ma
pensée et de ma prière.
P.S. Tout en restant aumônier du prieuré
"La Paix Notre-Dame", ma nouvelle adresse postale est : "Les
Salons de Saint François" - 72500 LAVERNAT Le 24 Sept 2016
26e Dim. T.O. 16.C :
Nous
connaissons cette histoire depuis longtemps. Et même très longtemps ! Les
exégètes disent que ce n'est pas Jésus qui l'a inventée. On la racontait déjà
en Égypte au 6ème siècle avant Jésus Christ. Cette petite histoire a
traversé les frontières et les rabbins juifs aimaient la proposer à leur tour
aux fidèles d'Israël. Jésus s'en est saisi. Mais il va la modifier, la raconter,
la modeler d'une autre façon, à sa manière.
Disons
d’abord qu’à première lecture cette parabole nous met mal à l'aise. Elles sont
abruptes ces paroles de Jésus sur l'argent, la richesse, les riches. Ces
paroles semblent excessives, sans nuances : malheur aux riches !
Et
on a envie d'objecter : l'argent que l’on gagne, c'est notre vie dépensée dans
le travail, notre intelligence, nos forces, notre compétence, notre fatigue.
mises au service de notre famille, au service de la société. Et puis. il est
naïf de prononcer des simplismes sur l'argent et le profit. au nom d'un
évangélisme sommaire. De l'argent, du profit, il en faut pour faire vivre une
entreprise, créer des emplois et permettre certains progrès considérables dont
nous profitons au 21ème s.
Il
serait inconcevable que Jésus ait pu prononcer des paroles qui condamneraient
ces richesses-là. Il ne s’agit pas de cela.
Mais il reste que Jésus nous met sérieusement
en garde contre l'aveuglement que peut générer la richesse. Alors, comment
comprendre cette parabole ? Pour cela on peut retenir simplement deux mots de
Jésus : “abîme” et “Parole”.
"Abîme".
Jésus
met en scène deux hommes : un homme riche aux vêtements de luxe qui festoie
avec ses amis, pendant qu'un pauvre, couvert de plaies agonise à sa porte.
Le
riche, Jésus ne lui donne pas de nom, c'est un riche.
Par
contre, Jésus appelle le second “Lazare”, un beau nom.
“Lazare” signifie en hébreu : “Dieu aide”. Tout au long de la Bible, en effet,
Dieu est du côté des pauvres, Dieu proteste au nom des pauvres. Dans cette
parabole, Jésus proteste encore au nom des pauvres.
On
intitule parfois ce récit : la parabole de Lazare et du mauvais riche, Mais, où
voit-on que ce riche soit mauvais ? Dans cette histoire, il ne fait de mal à
personne, on ne le montre pas en train d'insulter, de rudoyer Lazare, ni qu'il
se soit enrichi frauduleusement. De quoi ce riche, qui n'a fait aucun mal,
est-il coupable ? Qu'est-ce qu'on lui reproche ?
C'est
la distance, la distance qu'il a mise entre lui et le pauvre. La grille de sa
propriété est une vraie barrière, un mur infranchissable. Il n'a pas vu le
pauvre. C'est comme s'il n'existait pas. Plus loin, dans le texte, Jésus
parlera d'un “abîme”. Pour l'instant, seul un portail les sépare en ce monde.
Un abîme infranchissable va rendre cette séparation définitive au séjour des
morts. L’abîme qui les sépare dans l'au-delà, c'est celui que le riche a creusé
sur la terre.
Un
grand "abîme" ! Gardons cette image. L'image est terrible et
terriblement actuelle comme les paroles du prophète Amos qui nous aident à
prendre la mesure de la parabole. En effet, Amos ne parle pas simplement d'un
riche et d'un pauvre, mais de son peuple tout entier. Il craint que le peuple
d'Israël s'effondre. C'était au 8ème siècle avant Jésus Christ. Si
la situation perdure, dit-il, il n'y aura plus de peuple en face des Assyriens
qui menacent ; le peuple sera désuni, tant les injustices sociales sont
scandaleuses, tant se creuse l'écart entre les riches et les pauvres et tant
les puissants s’enferment dans leurs systèmes.
Il
nous faut accueillir la parabole de Jésus dans cette dimension-là. Pas seulement
l'histoire d'un riche et d'un pauvre, mais l'histoire de nos sociétés où il y a
de multiples abîmes qui se creusent et qui se répercutent dans le monde entier.
Il est donc urgent d’écouter la "Parole" de Jésus.
Le
grand "abîme" ! Jésus nous met en garde contre ce grand abîme qui se
creuse entre les riches et les pauvres et qui, à plus ou moins long terme, est
une menace pour la terre entière.
C'est
la deuxième leçon de la parabole, le 2ème mot à retenir : “Parole”. Après sa mort, le riche supplie Abraham
d'envoyer Lazare dans la maison de son père : “J'ai cinq frères, qu'il les avertisse pour qu'ils ne fassent pas comme
moi et ne viennent pas eux aussi dans ce lieu de torture”. Abraham répond : “Ils ont la Loi et les prophètes”.
Non, dit le riche, “Si quelqu'un
d'entre les morts vient les trouver, ils se convertiront“. – “S'ils n'accueillent pas Moise et les
prophètes, répond Abraham, quelqu'un
pourra bien ressusciter, ils ne seront pas convaincus“.
La
leçon est claire, Dieu n'a pas d'autre manière de secouer notre tranquillité et
de nous ouvrir les yeux que sa "Parole".
Dieu
nous a parlé en envoyant son Fils. Jésus nous décrit, à longueur de pages dans
l'Évangile, le monde que Dieu veut, une terre habitable pour tous. Pour les
chrétiens, la solidarité envers les plus pauvres quels qu’ils soient -
car il y a une multitude de pauvretés diverses - n'est pas une matière à
option. Croire, c'est agir pour transformer le monde.
Pour
frapper nos imaginations, Jésus brossera un jour un tableau saisissant, il
annoncera une nouveauté aux conséquences religieuses et sociales
révolutionnaires. Il s'identifiera aux affamés, aux déguenillés, aux prisonniers.
“J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais nu”.
Heureusement, nous sommes nombreux à entendre cette "Parole", on ne
compte plus ceux et celles qui donnent de leur vie, de leur temps, de leur
argent pour combler l'abîme. Et les chrétiens n'en ont pas le monopole. Tant
d'hommes, de femmes luttent pour un monde plus juste. Ils sont nombreux ceux
qui ont compris que la vraie richesse, c'est l'homme, comme le disait
si bien, naguère, le pape Jean-Paul II.
Malgré
les nombreuses tragédies de notre monde, la vie pourrait devenir
prodigieusement belle si tous les hommes de bonne volonté, les responsables
divers écoutaient davantage cette "Parole" de Jésus sur cette réalité
d’un “abîme” qui risque toujours de se creuser.
Or,
sur cet “abîme”, il y a toujours des passerelles à inventer. C’est le rôle de
tous et de chacun à sa manière.