dimanche 12 février 2017

La "morale" du Christ

6ème  Dimanche du T.O. 17/A

Notre évangile d'aujourd'hui est un extrait du "Discours sur la montagne", le premier des cinq grands discours dans lesquels Matthieu a rassemblé l'enseignement de Jésus.

De façon solennelle, Jésus proclame qu'il n'est pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir, la parachever. Avec une souveraine autorité, qui atteste la parfaite conscience qu'il a de lui-même, de sa qualité de Fils de Dieu, Jésus nous expose aujourd'hui, en six antithèses, les exigences nouvelles, qui permettront de dépasser les anciennes prescriptions pour atteindre une justice supérieure, pour atteindre, comme dit St Paul, "la sagesse du mystère de Dieu, sagesse cachée mais prévue par Dieu pour nous donner la gloire", celle qui nous fait véritablement "enfants, fils de Dieu" !

Ainsi donc :
- Il vous a été dit : Pas de meurtre. Moi, je vous dis : Même pas de colère, ni d'injures.
- Il vous a été dit : Pas d'adultère. Moi, je vous dis : Même pas un regard de convoitise.
- Il vous a été dit : Il est possible de répudier une épouse dans certaines conditions. Moi je vous dis : Aucune répudiation.
- Il vous a été dit : Œil pour œil, dent pour dent. Moi je vous dis : Aucune vengeance.
- Il vous a été dit : Pas de faux serment. Moi, je vous dis : Pas de serment du tout.
- Il vous a été dit : Aimez votre prochain. Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis.

"Il vous a été dit !" : C'est l'habituelle formule passive qui permet d'éviter de prononcer le nom de Dieu. Mais, évidemment, Dieu est sous-entendu comme sujet du verbe. C'est bien, en effet, de la volonté divine que Moïse avait été l'interprète. Précisément, Jésus seul pouvait se permettre de retoucher le texte sacré. Et de quelle manière ! Avec quelle impitoyable radicalité !

La première antithèse est l'une des plus développées, mais n'en n'est pas pour autant l'une des plus faciles à aborder, tant les termes nous paraissent excessifs. Et, cependant, elle nous situe au cœur même du problème, c'est‑à‑dire de cette perfection idéale à laquelle Jésus veut nous conduire.
"Il a été dit : Tu ne tueras pas", "Celui qui tuera est bon pour la condamnation". La loi punissait de mort le meurtrier. Or Jésus emploie, à propos de celui qui se met en colère, la même expression : "Il est bon pour la condamnation".
Jésus met sur le même plan le geste extérieur que le législateur peut atteindre et punir, et la perversion intérieure d'un cœur haineux, sans laquelle il n'y aurait pas de meurtre et que seul peut connaître le regard de Dieu.  St Jean n'hésitera pas à écrire : "Quiconque hait son frère est homicide, et vous savez que pas un homicide n'a la vie éternelle en lui". (I Jn 3.15).

Parlant de l'adultère, Jésus établira la même équation entre la faute réelle et le regard mauvais "qui est déjà un adultère commis dans le cœur".

Jésus dénude les âmes pour atteindre la racine du mal et réclamer la pureté des dispositions intérieures. Un écrivain juif a pu noter, à propos de ces antithèses de Notre Seigneur : "Jésus a parlé de manière directe, tel l'éclair". - Oui, l'éclair, il ne dure pas, mais à l'instant où il déchire la nuit, il n'y a plus d'obscurité ; le moindre détail du paysage est illuminé d'une manière irréelle. Mieux qu'en plein midi.
Et bien, l'éclair de la parole de Jésus ne laisse subsister aucun repli d'ombre, aucune demi-teinte. Impossible de s'arrêter à la matérialité des actes, de se protéger derrière les attitudes honorables. Etre en règle avec la Loi ne suffit plus : "Tout homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère dans son cœur !"

L'éclair a percé les ténèbres du cœur. C'est là que les hommes vivent secrètement. C'est là qu'ils mentent, qu'ils trahissent, qu'ils convoitent, qu'ils tuent.

C'est là aussi qu'ils aiment en vérité et répandent la bonté. Jésus conduit l'homme à l'intérieur de lui-même. Jusque dans les cavernes d'où surgissent toutes les violences. Jusqu'à cette profondeur où notre glaise humaine peut se faire souple ou dure en la main de Dieu créateur et rédempteur. Nous sommes bien au-delà des codes de savoir-vivre et des règles de morale : c'est en son cœur que l'homme ne cesse pas de naître, de choisir, de poser le regard de la guerre ou de la paix sur les autres hommes. C'est dans le cœur que l'homme entend toujours la Parole de Dieu, rapportée par le Sage de la première lecture : "Le Seigneur a mis devant toi l'eau et le feu ; étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes... selon leur choix". Mais il faut bien le savoir et bien le reconnaitre : "Dieu n'a commandé à personne d'être impie, il n'a permis à personne de pécher".

Le Concile Vatican II nous enseigne : Au fond de son cœur, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Au moment opportun résonne toujours dans le cœur de l'homme une voix qui ne cesse de le presser d'aimer, d'accomplir le bien et d'éviter le mal. Oui, le cœur est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. (Cf. L'Eglise dans le monde... LG n° 16).

Notre Seigneur avait donc bien raison de nous préciser : "Ce n'est pas ce qui entre dans le cœur de l'homme qui souille l'homme, mais c'est ce qui en sort".(Mth 15.18).

Aussi, St Luc nous recommande-t-il : "Ayez donc un cœur qui écoute" - Et puissions-nous dire nous-mêmes, comme le petit Samuel : "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute" (I Sam 3.9).

C'est alors, comme dit encore St Paul, que nous entendrons, que nous verrons "ce qui été préparé pour ceux qui aiment Dieu !".
C'est alors que nous comprendrons la nouveauté de l'enseignement du Christ. Jusqu'à lui, le grand principe moral était : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse !". Ce principe était ce qu'on appelé la "Règle d'Or" de beaucoup de religions. Mais avec le Christ, le principe nouveau, c’est d'"aimer comme Dieu nous a aimés". Et pour bien comprendre, cela suppose que notre cœur contemple le cœur du Christ ouvert sur la croix, et qu’on médite ce mystère de la Trinité où les Personnes n’existent que comme relations subsistantes, disent les théologiens, où tout égoïsme est comme exorcisé, supprimé.
Voilà la nouveauté des enseignements du Christ que parfois on estompe facilement. Le commandement nouveau, c’est : "aimez-vous comme je vous ai aimés". Et comprenant cela, on puise en Dieu la force d’aimer même ses ennemis… 

Aucun commentaire: