6ème
Dimanche du T.O. 17/A
Notre évangile d'aujourd'hui est un extrait
du "Discours sur la montagne", le premier des cinq grands discours
dans lesquels Matthieu a rassemblé l'enseignement de Jésus.
De façon solennelle, Jésus proclame qu'il
n'est pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir, la parachever. Avec une
souveraine autorité, qui atteste la parfaite conscience qu'il a de lui-même, de
sa qualité de Fils de Dieu, Jésus nous expose aujourd'hui, en six antithèses,
les exigences nouvelles, qui permettront de dépasser les anciennes
prescriptions pour atteindre une justice supérieure, pour atteindre, comme dit
St Paul, "la sagesse du mystère de
Dieu, sagesse cachée mais prévue par Dieu pour nous donner la gloire",
celle qui nous fait véritablement "enfants, fils de Dieu" !
Ainsi donc :
- Il vous a été dit : Pas de meurtre. Moi,
je vous dis : Même pas de colère, ni d'injures.
- Il vous a été dit : Pas d'adultère. Moi,
je vous dis : Même pas un regard de convoitise.
- Il vous a été dit : Il est possible de
répudier une épouse dans certaines conditions. Moi je vous dis : Aucune
répudiation.
- Il vous a été dit : Œil pour œil, dent
pour dent. Moi je vous dis : Aucune vengeance.
- Il vous a été dit : Pas de faux serment.
Moi, je vous dis : Pas de serment du tout.
- Il vous a été dit : Aimez votre prochain.
Moi, je vous dis : Aimez vos ennemis.
"Il
vous a été dit !" : C'est l'habituelle formule passive qui permet
d'éviter de prononcer le nom de Dieu. Mais, évidemment, Dieu est sous-entendu
comme sujet du verbe. C'est bien, en effet, de la volonté divine que Moïse
avait été l'interprète. Précisément, Jésus seul pouvait se permettre de
retoucher le texte sacré. Et de quelle manière ! Avec quelle impitoyable
radicalité !
La première antithèse est l'une des plus
développées, mais n'en n'est pas pour autant l'une des plus faciles à aborder,
tant les termes nous paraissent excessifs. Et, cependant, elle nous situe au
cœur même du problème, c'est‑à‑dire de cette perfection idéale à laquelle Jésus
veut nous conduire.
"Il
a été dit : Tu ne tueras pas", "Celui qui tuera est bon pour la
condamnation".
La loi punissait de mort le meurtrier. Or Jésus emploie, à propos de celui qui
se met en colère, la même expression : "Il
est bon pour la condamnation".
Jésus met sur le même plan le geste extérieur
que le législateur peut atteindre et punir, et la perversion intérieure d'un
cœur haineux, sans laquelle il n'y aurait pas de meurtre et que seul peut
connaître le regard de Dieu. St Jean
n'hésitera pas à écrire : "Quiconque
hait son frère est homicide, et vous savez que pas un homicide n'a la vie
éternelle en lui". (I Jn 3.15).
Parlant de l'adultère, Jésus établira la
même équation entre la faute réelle et le regard mauvais "qui est déjà un adultère commis dans le cœur".
Jésus dénude les âmes pour atteindre la
racine du mal et réclamer la pureté des dispositions intérieures. Un
écrivain juif a pu noter, à propos de ces antithèses de Notre Seigneur : "Jésus a parlé de manière directe, tel
l'éclair". - Oui, l'éclair, il ne dure pas, mais à l'instant où il déchire
la nuit, il n'y a plus d'obscurité ; le moindre détail du paysage est illuminé
d'une manière irréelle. Mieux qu'en plein midi.
Et bien, l'éclair de la parole de Jésus ne
laisse subsister aucun repli d'ombre, aucune demi-teinte. Impossible de s'arrêter
à la matérialité des actes, de se protéger derrière les attitudes honorables. Etre
en règle avec la Loi ne suffit plus : "Tout
homme qui regarde une femme et la désire a déjà commis l'adultère dans son cœur
!"
L'éclair a percé les ténèbres du cœur.
C'est là que les hommes vivent secrètement. C'est là qu'ils mentent, qu'ils
trahissent, qu'ils convoitent, qu'ils tuent.
C'est là aussi qu'ils aiment en vérité et
répandent la bonté.
Jésus conduit l'homme à l'intérieur de lui-même. Jusque dans les cavernes
d'où surgissent toutes les violences. Jusqu'à cette profondeur où notre glaise
humaine peut se faire souple ou dure en la main de Dieu créateur et rédempteur.
Nous sommes bien au-delà des codes de savoir-vivre et des règles de morale :
c'est en son cœur que l'homme ne cesse pas de naître, de choisir, de poser le
regard de la guerre ou de la paix sur les autres hommes. C'est dans le cœur que
l'homme entend toujours la Parole de Dieu, rapportée par le Sage de la première
lecture : "Le Seigneur a mis devant
toi l'eau et le feu ; étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort
sont proposées aux hommes... selon leur choix". Mais il faut bien le
savoir et bien le reconnaitre : "Dieu
n'a commandé à personne d'être impie, il n'a permis à personne de pécher".
Le Concile Vatican II nous enseigne : Au
fond de son cœur, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas
donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir. Au moment opportun
résonne toujours dans le cœur de l'homme une voix qui ne cesse de le presser
d'aimer, d'accomplir le bien et d'éviter le mal. Oui, le cœur est le centre le
plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se
fait entendre. (Cf.
L'Eglise dans le monde... LG n° 16).
Notre Seigneur avait donc bien raison de
nous préciser : "Ce n'est pas ce qui
entre dans le cœur de l'homme qui souille l'homme, mais c'est ce qui en
sort".(Mth
15.18).
Aussi, St Luc nous recommande-t-il : "Ayez donc un cœur qui écoute"
- Et puissions-nous dire nous-mêmes, comme le petit Samuel : "Parle, Seigneur, ton serviteur
écoute" (I
Sam 3.9).
C'est alors, comme dit encore St Paul, que
nous entendrons, que nous verrons "ce
qui été préparé pour ceux qui aiment Dieu !".
C'est alors que nous comprendrons la
nouveauté de l'enseignement du Christ. Jusqu'à lui, le grand principe moral était
: "Ne fais pas à autrui ce que tu ne
voudrais pas qu'on te fasse !". Ce principe était ce qu'on appelé la "Règle
d'Or" de beaucoup de religions. Mais avec le Christ, le principe nouveau,
c’est d'"aimer comme Dieu nous a
aimés". Et pour bien comprendre, cela suppose que notre cœur contemple
le cœur du Christ ouvert sur la croix, et qu’on médite ce mystère de la Trinité
où les Personnes n’existent que comme relations subsistantes, disent les
théologiens, où tout égoïsme est comme exorcisé, supprimé.
Voilà la nouveauté des enseignements du
Christ que parfois on estompe facilement. Le commandement nouveau, c’est : "aimez-vous comme je vous ai aimés".
Et comprenant cela, on puise en Dieu la force d’aimer même ses ennemis…
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