samedi 18 février 2017

Un "monde" nouveau !

7ème  Dimanche du T.O. 17/A

Faut-il être illogique et fou pour être disciple de Jésus ?
Car soyons réalistes et francs ! Que se passe-t-il lorsque nous sommes giflés, volés, lorsque nous sommes agressés par toutes sortes de chicanes et de haines ? La réponse apparaît clairement dans les journaux et sur les écrans de télévision : rancunes, menaces, vengeances, représailles, etc...,  sous le prétexte, souvent, de légitime défense. Bref, tous les jours, nous voyons le cortège de ces violences qui sèment la mort et l’injustice.

Et nous le savons bien : nous-mêmes, parfois, nous nous enfonçons plus ou moins dans ces marécages pourris de l’injure, de la calomnie, de la vengeance, de la vindicte, persuadés que nous gagnerons la bataille de celui qui a raison, qui est le plus fort, qui aura le dernier mot ! C’est alors que nous nous engluons, aspirés par le tourbillon des folles surenchères de l’orgueil.

Or, l’évangile nous enseigne aujourd’hui que le point où Dieu et l’homme diffèrent peut-être le plus est leur attitude en face du mal. Des deux, l’homme est celui qui se défend le moins bien.

Regardons nos sociétés. Au fur et à mesure de leur évolution, elles se construisent des systèmes pour contrôler efficacement le mal. Des systèmes basés sur une certaine justice, une certaine équité dont chacun, tant soit peu évolué, finit par admettre le bien fondé : le mal doit être puni, le tort causé dédommagé ; il convient d'aimer ceux qui nous aiment, de saluer nos amis. Par contre, rien n'est dû à ceux qui nous haïssent, sinon peut-être de rendre, en temps opportun, le mépris dont ils nous accablent. En agissant de la sorte, un certain ordre semble créé et respecté où chacun reçoit ce qui lui est dû, et où personne ne doit plus rien réclamer.

Or Jésus, dont le Royaume n'est pas de ce monde, vient bouleverser cet ordre apparemment équitable. Il semble dire à la société très éclatée de son époque - et la nôtre ne l’est pas moins - : une telle justice ne suffit plus ; elle est trop faible pour vaincre le mal. Il ne suffit plus de le contenir par un subtil équilibre de forces, par la peur d'un procès ou d'une vengeance : œil pour œil, dent pour dent. Car c'est bien la peur qui assure la stabilité et la force interne d'une telle société, même si cette peur est désormais civilisée et que les gouvernants en jouent habilement pour assurer le bon ordre et la paix de tous.

Dieu, au contraire, n'a pas besoin de triompher du mal par la peur. Il est assez puissant pour en triompher par le bien, pour vaincre la haine par l'amour. En Jésus, Dieu s'est incarné pour nous l’enseigner, pour le prouver. Ainsi, dans l'évangile, Jésus ouvre un chemin de la victoire sur le mal à cette poignée de disciples réunis autour de lui sur la montagne dont il fait son Eglise.Ill jette le ferment d'une société et d'un monde absolument nouveaux. Aussi leur demande-t-il de ne pas résister ni de riposter au mal, mais de s'y prêter, pour ainsi dire, avec cependant une surabondance d'amour.

Ses paroles sont bouleversantes, presque choquantes : "Si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. Si quelqu'un veut te prendre ta chemise, laisse-lui encore ton manteau... Donne à qui te demande... Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent...". De telles consignes sonnent irréelles, candides, et même périlleuses ou subversives. Comment gérer de la sorte une société et y maintenir le bon ordre ?

Mais, justement, le rôle de Jésus est de faire advenir, au cœur même de cette société basée sur la loi du plus fort avec la logique implacable de la jungle, une lueur, un signe éclatant de ce que sera un jour une autre Société. Celle où Dieu sera tout en tous, où son amour envahira tous les hommes, un amour qui ne fait pas la distinction entre justes et le méchants, qui les fait bénéficier également de son soleil et de sa pluie ; un amour miséricordieux qui ne rend jamais le mal pour le mal, mais qui excelle, en rendant le bien pour le mal, à vaincre et à effacer celui-ci, à transformer le cœur du méchant le plus endurci : "Aimez vos ennemis afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux".

Cette force de Dieu est la seule à venir vraiment à bout du mal. Elle s'appelle l'amour miséricordieux. Celui-ci est folie aux yeux du monde. Il peut même paraître subversif à certains moments. Il est cependant le seul à éclairer déjà quelque peu la terre par un rayon du ciel, par un reflet de l'amour du Père : "Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait".

Et Jésus fut le premier à être au milieu du monde cet amour incarné de Dieu. Le premier aussi à céder apparemment au mal, à se laisser faire par lui pour mieux en triompher dans un excès d'amour. Mais ce triomphe sera au prix de souffrances atroces et de la mort. Il ne pouvait en être autrement. Car avant la fin des temps, il n'y a pas encore, en ce monde, assez de cœurs qui puissent recevoir la pleine révélation de l'Amour miséricordieux du Père. Celui qui s'y prête scelle un tel témoignage par des souffrances et parfois par son propre sang, comme le fit Jésus, comme les martyrs après lui

Depuis lors, le pardon, la non-violence, l’amour de l’adversaire, la prière pour les bourreaux… sont les divers arguments de la divine logique de Celui qui a succombé sous la haine, mais qui nous offre la puissance de sa Pâque plus forte que le mal et la mort elle-même.

Pourquoi ne pas miser, comme lui, sur la miséricorde au lieu de nous perdre avec les autres dans la spirale des inimitiés et des vengeances destructrices ? Le Crucifié sans haine est aujourd’hui ressuscité ! Telle est bien la foi que nous proclamons chaque dimanche. Et il nous donne son Esprit pour refaire - au moins un peu ! - ce qu’il a parfaitement manifesté.

Certes, il ne nous en veut pas de ne pas toujours réussir, tant il sait combien il est difficile, surhumain, d’être non-violent, doux, pardonnant, aimant quoi qu’il arrive. Mais quelle excuse aurons-nous, devant le Père et son Fils Jésus, si nous n’avons même pas essayé, recommencé, persévéré, quoi qu’il en coûte ?

Là est la pierre de touche du christianisme, tant il est vrai que tout le reste est encore relativement facile puisque les publicains et les païens en font autant. Rendre le bien pour le mal, pardonner à ses ennemis, c’est vraiment la perfection de la charité.
Nous qui nous proclamons chrétiens, nous sommes appelés à cette perfection, afin d’être en ce monde les prophètes du Royaume à venir, les fondateurs-bâtisseurs de la Cité de Dieu.

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