samedi 18 mars 2017

La Samaritaine

3ème  Dimanche de Carême 17 - A 

Dans l'évangile, St Jean nous décrit la rencontre de Jésus et de la Samaritaine avec un mouvement, une pénétration des sentiments, une émotion discrète, qui donnent à cette page un charme incomparable.

Le récit se divise en deux parties très marquées centrées,
l’une sur l'eau vive
et l'autre sur le culte nouveau, l'adoration en esprit et en vérité.
Et ces deux thèmes aboutissent à la révélation de la personne de Jésus : "Si tu savais le don de Dieu, et celui qui te parle", et finalement en fin de récit : "Je suis le Messie, moi qui te parle".

Arrêtons-nous seulement sur quelques mots.
"Jésus fatigué par la route, s'était assis près d'un puits".
“Déjà commence le mystère, dit St Augustin. Car
- ce n'est pas sans raison qu'est fatigué le Fils de Dieu qui est aussi la Force de Dieu ;
- ce n'est pas sans raison qu'est fatigué celui qui refait la force des fatigués;
- ce n'est pas sans raison qu'est fatigué celui dont l'abandon cause nos fatigues, dont la présence nous réconforte.
C'est pour nous que Jésus est fatigué par la route”.

Ainsi nous trouvons Jésus qui est la Force même ; et nous le trouvons fatigué. Jésus faible et fort.
- Fort, car "au commencement, avait dit St Jean dès le début, était le Verbe et le Verbe était Dieu ; et tout, par lui, a été fait, et sans lui rien n'a été fait".
+ Faible, car "le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous".
- La Force de Christ a donné l'existence à ce qui n’était pas.
+ La faiblesse du Christ a préservé de la mort ce qui était.
- Il nous a créés par sa Force.
+ Il nous a rachetés par sa faiblesse.

Oui, Jésus est venu ; et c'est en s'humiliant qu'il est venu au puits. Il est venu fatigué parce qu'il a porté la faiblesse de la chair.
Car le Fils de Dieu incarné est à la fois Dieu et homme, parfaitement Dieu et parfaitement homme. Dieu n'est pas diminué en lui ; et l'homme qu'il est n'est pas incomplet : "Il s'est fait en tout semblable à nous hormis le péché", dira Paul (Cf hil 2.7 - I Co 5.21).

Et en même temps que la divinité du Christ, St Jean aime, dans son évangile, souligner cette humanité du Christ, semblable à la notre :
- Jésus pleure à la mort de Lazare, son ami.
- Jésus fut tenté comme tout un chacun.
- Jésus fut fatigué, accessible à la tristesse, au trouble.
- Jésus supporte la pauvreté de la crèche à la croix
- Et finalement, il mourut

Et cette faiblesse, cette fatigue, cette souffrance du Christ sont pour nous une immense leçon. Car, nous aussi, comme Jésus, nous sommes fatigués, fatigués de notre condition de pauvres pécheurs. La route est longue, semée d'embûches, de tentations, de peines, de souffrances. Et pour nous aussi, elle aboutit a la mort, la mort de notre corps et parfois la mort lente et non moins cruelle de nos aspirations simplement humaines.

Mais ces souffrances nous font participer aux souffrances, aux fatigues, à la passion de Jésus. Et dans cette participation, dans l’adhésion par la foi à la passion de Jésus, nous trouvons la vie, la vie véritable. "Nos souffrances a-t-on dit (1) nous pouvons les offrir au Christ. Une fois offertes, elles ne nous appartiennent plus ; elles sont siennes. Et mêlées aux souffrances du Christ, elles participent alors à la Rédemption du monde...".
En ce temps de Carême où nous commémorons les souffrances, les fatigues du Christ endurées pour nous, présentons lui nos propres peines, fatigues, souffrances, épreuves - si lourdes, soient-elles ! -. Présentons-les à son côté ouvert par la lance du soldat d'où est sortie de l’eau, cette eau vive dont parle Jésus à la Samaritaine. Et lui, homme et Dieu, les présentera à son Père qui, par lui, augmentera en nous cette eau vive qui nous a déjà ressuscités, depuis le baptême, à la vraie vie, sa vie divine.

Jésus est donc fatigué au bord du puits.
Et une femme de Samarie vint pour tirer de l’eau. Et Jésus lui dit : "Donne-moi à boire". Et la conversation se poursuit. C'est l'exemple du dialogue éternel entre Dieu et l'homme !
Remarquons bien que c’est Jésus qui commence le dialogue. Parce que, comme son Père, il est celui qui aime le premier, il prend l'initiative d'un dialogue de salut. Il aurait pu attendre que cette femme lui parle ; mais son amour le "presse". Prenons conscience que toutes les démarches que nous pouvons faire pour rencontrer Dieu ne sont qu’une réponse a une première démarche de Dieu lui-même. C’est toujours Dieu qui vient chercher l'homme, parce qu'il est celui qui aime le premier. Toute la Bible porte ce témoignage.

Dieu nous connaît ! Toujours, il nous aime, "tel que l'on est et là où l'on en est", a-t-on dit ! "Il m'a dit tout ce que j'avais fait", dira la Samaritaine. Elle avoue que sa vie n'a pas été, sans doute, très morale avec ses cinq maris. Mais Jésus, lui en premier, l'a regardée et aimée telle qu'elle était !

A propos, ces cinq maris dont il est question dans le récit font probablement allusion aux cinq divinités dont les Assyriens avaient introduit le culte en venant remplacer les Hébreux du Royaume du Nord déportés en 722. Ces divinités sont nommées au 2ème livre des Rois (17,29). Et ce peuple nouveau composé d'Assyriens qui devint "peuple Samaritain" adoptera également le culte au Dieu d'Israël. Ce syncrétisme - honni par les croyants de Jérusalem - est aussi et même plus épouvantable que les infidélités conjugales de la Samaritaine. - Ne sourions pas, car nous aussi, nous avons nos syncrétismes : une foi en Dieu qui tolère le culte de l'argent, du pouvoir, du plaisir et que sais-je encore, le culte de soi-même ! Mais Jésus, lui en premier, nous regarde et nous aime comme il a regardé et aimé la Samaritaine. C'est lui qui fait toujours le premier pas !

Et de même, lorsque nous portons en nous le désir du salut de nos frères, c’est à nous également de faire le premier pas. N’attendons jamais que l'on vienne à nous ; mais allons vers nos frères. Comme le Christ, nous sommes des envoyés. "L'amour du Christ nous presse, dira St Paul. Car il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux". (2 Co. 5.14). Et remarquons bien que ce doit être le Christ lui-même qui doit nous pousser vers nos frères. Tant que la démarche vient de nous seuls, nous qui sommes pécheurs, elle n’a pas toute sa perfection. C'est le Christ qui doit agir en nous et que nous devons laisser agir. St Augustin avait raison en déclarant : "Moi, je ne suis que le répétiteur extérieur (et parfois pécheur) du Maître intérieur qui seul instruit les cœurs" !

L’apostolat, comme l'on dit, c'est laisser transparaître le Christ en nos pensées, nos paroles, nos actes, laisser transparaître le Christ qui, malgré nos fatigues, nos faiblesses, nos limites, voire nos fautes, veut et peut s'adresser à chacun de ceux que nous rencontrons, comme lui-même a rencontré la Samaritaine. C'est l'humble condition de tout apostolat !

Retenons surtout : Jésus vînt au puits ; et il y vint fatigué. C’est dans la faiblesse que le Fils de Dieu qui est la Force de Dieu engage la conversation avec la Samaritaine.
Que cette attitude de Notre Seigneur soit pour nous une leçon et un encouragement. Car, nous dit St Paul, "ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort" (I CO. 1.27). "Ma grâce te suffit, lui avait dit le Christ, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Co. 12.9). Aussi Paul ira jusqu’à dire : "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort" (Id v/10).
Nous aussi, c'est dans la faiblesse de notre condition d'homme et de pécheur, que notre foi peut soulever des montagnes.

Et ne cessons pas d’implorer Notre-Dame, la très humble servante du Seigneur de nous obtenir cette force divine qui nous fera engendrer nos frères à la vie divine.


(1) Mgr Vladimir Ghika, prêtre et prince roumain, mort martyrisé par les Nazis durant la dernière guerre

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