samedi 23 septembre 2017

Dieu, toujours premier

25e T.O. 17/A

Cette page d'évangile n'est pas faite pour nous dire comment un chef d'entreprise doit rétribuer son personnel. S'il en était ainsi, l'entreprise en question aurait vite fait de se mettre en faillite et d'envoyer au chômage tous ses employés.
L'intention de Jésus est tout autre. Elle est d'abord de nous révéler l'immense bonté de Dieu pour les pauvres, les déshérités, les pécheurs; et surtout sa bonté miséricordieuse, toute gratuite, à l'égard de ceux qui n'ont aucun mérite à faire valoir.

Reprenons cette parabole : "Le royaume des cieux est comparable au maître d'un domaine qui embauche des ouvriers pour les vendanges".

Le Maître du Royaume des cieux, c'est Dieu lui-même. Bien sûr ! Les ouvriers, c'est nous, les hommes. Et le Maître embauche dès le matin, puis à midi, puis vers trois heures, enfin vers cinq heures de l'après-midi, car le travail presse. A la fin de la journée, c'est le salaire. Or, il donne autant aux derniers embauchés qu’à ceux qui ont travaillé dès le matin, alors que les derniers n'ont fait qu'une heure

Qu'est-ce que ça veut dire ? Ces derniers représentent les malheureux, les pauvres, tous ceux qui n'ont pas eu de chance dans leur vie, ceux qu'on a envie d'ignorer, ceux que l'évangile appelle souvent les "publicains et les pécheurs". Personne ne leur a parlé, ne leur a annoncé le Royaume de Dieu !

Eh bien, ceux-là, Jésus nous dit que Dieu les aime tout comme les autres et qu'il veut les sauver, car ils gardent toute leur valeur à ses yeux. C'est pour cela que Jésus les fréquente et qu'il mange avec eux, comme avec des amis. "La volonté de mon Père, dit-il, c'est que pas un seul ne se perde !".

Oui : Dieu est comme ça. Il ne pose aucune condition à l'amour qu'il porte aux pauvres et aux pécheurs. Tout homme, quel qu'il soit, est précieux à ses yeux ! C'est même écrit dans la bible.

Alors attention à ne pas nous tromper de Dieu ! Le vrai Dieu révélé par Jésus, c'est celui qui nous a aimés le premier, alors que nous ne le connaissions même pas ; c'est le Dieu généreux, magnanime, qui met sa gloire à offrir son salut à tous les pécheurs, à tous les malchanceux. Il ne calcule pas selon nos mérites mais selon sa miséricorde.

Il y a dans les évangiles de nombreuses pages qui nous révèlent ce vrai Dieu, tellement différent de ce que nous pensons spontanément. Souvenez-vous : la parabole de l'enfant prodigue ! Ce garnement qui avait quitté la maison familiale pour aller faire la noce dans un pays lointain et qui finit par revenir parce qu'il n'avait plus rien à manger... Son père, qui représente Dieu, court au devant de lui ; et dès qu'il l'aperçoit sur la route du retour, il l'embrasse ; il lui a déjà tout pardonné ; on fait la fête pour l'accueillir.


A travers tout cela, Jésus nous enseigne :

Un premier enseignement : Vous aussi, faites de même. Ne soyez pas mesquins ! soyez généreux ! Soyez magnanimes et miséricordieux comme votre Père du ciel ! Ne calculez pas !
Vous vous souvenez de l'évangile de dimanche dernier : Pierre demande à Jésus : "Combien de fois devrai-je pardonner à mon frère ? jusqu'à sept fois ? Mais non, répond Jésus, non pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois !" -  Cesse donc de calculer ! Est-ce que je calcule, moi, le nombre de fois où je vous pardonne ?.
C'est ce que Jésus fera, par exemple, après sa résurrection : Pierre l'avait renié. Jésus, non seulement lui donne son pardon, mais il lui redonne en plus toute sa confiance ; il en fait le premier chef de son Eglise : "Sois le pasteur de mon troupeau tout entier". Folie de l'amour de Dieu !

Oh ! Certes ! Cette façon de faire n’est pas toujours évidente dans les conjonctures de nos vies quotidiennes, sur des plans divers, économiques, sociales, morales… Mais il faut au moins s’y essayer. “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait”, dira N.S.

Deuxième enseignement à retenir, surtout : nos rapports avec Dieu ne doivent pas être des rapports de serviteurs à maître. Jésus nous a dit : "Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis". Le serviteur attend de son maître ce qui lui est dû pour le travail qu'il a fourni ; il espère même un peu plus, il est toujours prêt à réclamer davantage, comme l'homme de la parabole qui proteste par jalousie, par dépit de voir que ceux qui n'ont travaillé qu'une heure reçoivent autant que lui.

C'était la mentalité des pharisiens du temps de Jésus : puisqu'ils pratiquaient la loi, ils estimaient être quittes envers Dieu, et Dieu se devait de les récompenser : "J'ai fait ceci, alors Dieu me doit bien cela !”.-  “J’ai fait telle prière avec conviction, j'ai fait telle bonne action, alors Dieu se doit de me répondre !”.-  Non, Dieu n'est pas un commerçant dont nous serions les clients, ni un comptable. Si nous avions cette mentalité, nous ferions partie de ces premiers dont parle Jésus et qui passeront les derniers dans le Royaume des cieux, après les publicains et les prostituées qui se sont convertis.

Avec Jésus, nous ne sommes plus sous le régime de la loi et du droit, mais sous le régime de l'amour et de la grâce. Nous ne serons jamais quittes envers Dieu, car nous ne pourrons jamais l'aimer comme il nous a aimés. Ce qu'il faut donc, c'est l'aimer d'un cœur pleinement filial, puisqu'il est notre Père, et aimer Jésus de toutes nos forces, puisqu'il nous a choisis pour ses amis. Il nous faut passer d'une mentalité religieuse juridique à un esprit d'amour.

Vous voyez, nous n'aurons jamais fini de découvrir notre vrai Dieu. C'est pour cela qu'Isaïe nous disait tout à l'heure : "Cherchez le Seigneur !"
Cherchez-le dans la prière filiale, cherchez-le dans l'étude et la méditation de l'évangile, cherchez-le avec votre intelligence, et aussi et surtout avec votre cœur. Et plus vous le chercherez, plus vous sentirez le besoin de le chercher encore davantage.

Et ce ne sera jamais fini, car il nous dépassera toujours : "Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant ses chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et ses pensées au-dessus de vos pensées".

dimanche 17 septembre 2017

Le pardon

24e T.O. 17/A

Au temps de Jésus, certains rabbins conseillaient de pardonner jusqu'à trois fois. Pierre qui savait la magnanimité de Jésus lui demande s'il faut pardonner "jusqu'à sept fois" ! La réponse donne le vertige : "Je ne te dis pas jusqu'à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois" ! Un chiffre de perfection multiplié par l'infini...

Même si l'on prend la formule à la lettre : pardonner quatre cent quatre-vingt-dix fois, est-ce "raisonnable" ? Nous sommes au-delà de toutes les patiences. Jésus n'est-il pas en train de rêver, au lieu d'aider les hommes à progresser modestement au milieu des conflits qui les déchirent ?

Aussi, la réponse de Jésus à la question du pardon, certains la qualifieront de "délire".  -  Dans sa passion de transformer la vie, il laisse voir jusqu'où va son ambition sur l'homme : il demande d'aimer même ses ennemis (Mt 5,44) pour "être les fils du Père qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons".

Et souvent, en petits groupes ou dans les églises, quand on rappelle la parole de Jésus : "Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait", les prédicateurs invitent souvent à une "sainteté" - disons - imprécise, un peu nuageuse, alors qu'il s'agit de l'amour onéreux des ennemis ! Il s’agit de se laisser aller à cette contagion de ce Dieu-Père qui veut bousculer les instincts, les atavismes, les rigidités sociales, les étroitesses morales, les impasses religieuses, pour faire une humanité de fils et de frères. Ce sont des paroles vertigineuses !

 "Soixante-dix fois sept fois..." ! La formule n'est pourtant pas l'hyperbole d'un sage : Car Jésus exprimait ce qu'il vivait. Dans les villages et les villes, il distribuait le pardon : "Tes péchés te sont remis". Scandale : alors qu'il existait des rites de purification au temple, Jésus pardonnait les péchés dans la rue, sur le tas, sans surplis ni confessionnal ! Ses ennemis vont lui reprocher de se faire l'égal de Dieu, de gaspiller la miséricorde divine, si je puis dire.

Dans ce raz de marée du pardon, on ne savait plus où étaient les bons et les méchants, le pur et l'impur, les gestes sacrés et l'existence banale. Pire encore : le prophète de Nazareth faisait de la réconciliation le préalable à tout sacrifice : "Si tu présentes ton offrande à l'autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande et va d'abord te réconcilier avec ton frère..." (Mt 5,23-24). Comme les prophètes - tel Jérémie surtout -, Jésus se méfie du culte où les hommes croient se réconcilier Dieu sans le laisser changer leurs vies. Désormais, il faudra reprendre sans cesse le tissu de la réconciliation avant de se tourner vers Dieu.

Et Jésus lui-même a balbutié dans l'abîme de l'agonie, au moment de son sacrifice suprême : "Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font !". Les bourreaux et les juges ne savaient pas qu'on ne résout rien en tuant un homme.
La violence qui semble décharger les tensions des collectivités n'est finalement qu'une maladie épidémique de l'enfance interminable des groupes humains. Depuis que Jésus l'a laissée se fixer sur lui pour en épuiser le venin, nous n'avons pas d'autre "sacrifice" que de "faire mémoire" vivante de celui qui a donné sa vie et sa mort pour la multitude, en "alliance nouvelle et éternelle". Depuis lors, le mot "sacrifice" n'a plus le même sens. L'a-t-on suffisamment perçu ?

Avec Jésus, la spirale de la violence qui défait les cœurs et les sociétés se mue en arc-en-ciel de paix. Comment a-t-on pu dire que sa mort apaisait le courroux divin, comme si Dieu était incapable de pardonner "soixante-dix fois sept fois", c'est-à-dire à l'infini ? Comme il faut se méfier de la brutalité des logiques humaines ! Jésus mettait fin à la suite dix fois millénaire des sacrifices sensés apaiser la colère divine. Il voulait être le premier-né d'une humanité nouvelle, celle du pardon de Dieu et des hommes, celle du pari sur l'amour seul.

Alors, à la suite du Christ, une seule question : Ai-je dû jamais pardonner ?  Quelqu'un m'a-t-il vraiment fait du mal ? Peut-être ne m'en suis-je pas aperçu ? Je ne sais... En tous les cas, serais-je capable de pardonner ? Admirons ceux qui en ont la générosité. Ceux qui pardonnent vraiment sont souvent des êtres blessés. Plutôt que d'étendre la contagion du mal, ils l'arrêtent à eux-mêmes. Ils en épuisent le venin. Plus étonnant encore, parfois : alors qu'ils pourraient garder le poing serré, les voilà qui ouvrent des mains généreuses. Singulière puissance des êtres magnanimes : au creuset de leurs cœurs, dans le bouillonnement des sentiments, la souffrance et la rancune finissent par être submergées par la bonté.

Cette transmutation, souvent crucifiante, qui s'accomplit dans le secret, est l'acte le plus humain, le plus puissant qu'il soit donné aux hommes d'accomplir, à la suite du Christ. L'événement qui aurait pu faire grandir la brutalité dans le monde sert à la croissance de l'amour. Ceux qui pardonnent transfigurent leur propre blessure ; et ils guérissent, là où ils sont, cette plaie qui court sur le visage de l'humanité et qui la défigure depuis ses origines en tout lieu de la terre, cette plaie de la violence rancunière.

Nous avons fêté dernièrement la "Croix glorieuse" du Christ et Marie, "Notre Dame des douleurs". Que Marie qui était au pied de la croix nous aide à toujours regarder son Fils qui sans cesse répète éternellement : "Père, pardonnez-leur !".

dimanche 10 septembre 2017

le Guetteur !

23ème  Dimanche du T.O. 17/A 

C'est la rentrée !
Depuis deux mois, nous étions dispersés aux quatre coins de la France et même du monde, peut-être ! Tous les groupes dont nous faisons partie avaient pour ainsi dire éclaté : paroisse, milieu de travail, associations diverses…, famille peut-être également. Etc.

C'est la rentrée ! Nous allons réintégrer famille, paroisse, travail, collège ou lycée, nos différents groupements.
Oui, il s'agit de "rentrer", de rentrer dans ces diverses communautés, d'y jouer notre rôle, de nous en sentir responsables !

Comme par hasard, c'est le thème des textes que  nous venons d'entendre : tous, ils nous rappellent que nous ne sommes pas faits pour vivre chacun pour soi, mais ensemble et chacun pour les autres : tous responsables les uns des autres.

«Je fais de toi un guetteur !», disait Dieu au prophète Ezéchiel. Chacun de nous doit être un guetteur, c'est-à-dire
un homme clairvoyant sur ce qui se passe autour de lui,
un homme attentif à toute souffrance à soulager,
un homme attentif au voisin qui a besoin d'aide ou au collègue de travail en difficulté,
un homme qui "guette" pour discerner les pièges où l'on risque si facilement de se laisser prendre !

«Je fais de toi un guetteur !». Il y a tant d'occasions de se laisser piéger,
quand on prend comme parole d'évangile toute information médiatique,
quand on accepte trop facilement les mentalités de notre milieu en oubliant de les confronter avec l'Evangile, avec la Parole de Dieu,
quand on manque de l'esprit critique le plus élémentaire à propos de tout ce qui peut se dire, à propos, par exemple, des voisins ou étrangers, des patrons ou ouvriers, des marginaux ou victimes de tous les fléaux répandus en notre société… etc.
Autrement dit, être guetteur, c'est avoir le regard de Jésus sur tout évènement, sur toute personne !
Oui, nous avons tous à "guetter" pour chasser cette mentalité individualiste qui nous pousse au "chacun pour soi".

«Je fais de toi un guetteur !». Etre guetteur, c'est savoir discerner tout cela, et avoir le courage d'avertir, d'exhorter, de rappeler la direction à prendre, d'apporter un peu de lumière à ceux qui n'y voient plus. Oh ! Avec grande discrétion, bien sûr ! Avec immense humilité qui est la seule manière de faire !

Car vous le savez bien : quand nous-mêmes, après avoir réfléchi et prié, nous ne voyons pas très clair - et cela arrive, évidemment -, il n'y a pas de honte à reconnaître notre insuffisance.
Je me souviens : lors d'un pèlerinage en Terre Sainte, nous posions des questions diverses à notre guide très féru en Ecriture Sainte, homme très religieux et savant. Et parfois, il faisait bien quelques réponses, mais il lui arrivait d'ajouter humblement : «Je ne sais pas. Je me pose la question moi aussi !». Cette humilité d'un savant fut pour moi une lumière.
Etre guetteur, c'est bien essayer de discerner pour apercevoir a travers le brouillard et la nuit; mais c'est d'abord reconnaître ce brouillard et cette nuit !

Quoi qu'il en soit de la lumière qui peut nous être donnée, être guetteur, c'est se sentir en tous les cas responsable des autres dans toutes les communautés ou groupements dont nous faisons partie : famille, milieu de travail, commune, paroisse, associations dans lesquelles nous sommes engagés !

Et ce n'est pas facultatif pour un chrétien, car nous sommes tous étroitement liés les uns avec les autres, et tout ensemble avec le Christ, même ceux qui l'ignorent ou qui n'y croient pas.
« Nul n'est un île !», a-t-on dit. Et j'aime bien cette image, cette réflexion de Péguy : « Le pécheur, disait-il, donne la main au saint, et le saint donne la main au pécheur. Et tous ensemble, l'un tirant l'autre, ils remontent jusqu'à Jésus ! ».
Celui qui ne donne pas la main n'est pas chrétien. Il ne faut pas sauver son âme comme on sauve un trésor, il faut se sauver ensemble.

Oui, notre rôle, n'est pas de juger nos frères, encore moins de les condamner, mais de leur tendre la main.
Un jour, le Seigneur nous demandera : « Qu'as-tu fait de ton frère ? Qu'as-tu fais pour ton frère ? ». - L'Evangile nous dit : « S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère ! ». Tu l'auras gagné, non pas pour toi, mais pour le Seigneur, ce frère que Dieu aime et pour lequel le Christ a donné sa vie !

Oui, ce rôle n'est pas facultatif pour un chrétien. "C'est une dette", nous dit St Paul ; c'est même la seule dette que nous devons avoir envers les autres. « Ne gardez aucune dette envers personne, sauf la dette de l'amour mutuel, car l'accomplissement parfait de la loi chrétienne, c'est l'amour ».
Et l'amour,
ce n'est pas simplement être gentil avec les autres, c'est les aimer
en s'engageant pour eux avec courage,
en leur consacrant un peu de notre temps,
en les aidant de multiples manières !

Mais cet amour, il faut qu'il soit délicat et désintéressé. Et c'est encore là une autre difficulté !
Cela suppose de notre part une véritable conversion. Trop souvent, comme disait encore Péguy, les « mécréants, les infidèles… comment voulez-vous qu'ils se fassent fidèles quand ils nous voient, quand ils nous voient lâches et tremblants… Cela ne les encourage pas à se faire chrétiens ! C'est de notre faute s'ils sont infidèles ! ».
St Paul ne disait pas autre chose, lui qui voulait rendre "jaloux" ses compatriotes juifs, de son appartenance au Christ ! Rendre "jaloux" nos frères, de notre vie chrétienne ! Quelle exigence pour nous !

Vous voyez : à l'occasion de la rentrée, le Seigneur nous invite une fois de plus à réfléchir, à nous convertir, à reprendre conscience de nos responsabilités de chrétiens dans tous ces groupements où nous allons, à nouveau, nous réintégrer…

A chacun aujourd'hui de décider quelque chose de précis : « Ne fermons pas notre cœur, mais écoutons la voix du Seigneur », comme dit le psaume.
Oui écoutons la voix du Seigneur
qui nous appelle,
qui a besoin de nous,
qui espère en chacun de nous

qui attend notre réponse.