lundi 9 janvier 2017

Baptême et consécration religieuse

Baptême de Notre Seigneur 2017/A

Le Baptême du Seigneur est un événement capital dans l’histoire de la vie de Jésus, dans la compréhension de son identité et de son mystère. Si trois évangélistes racontent la scène, si l’Eglise en a fait une fête spéciale, cela veut bien dire que cet événement est essentiel (pour notre vie spirituelle) !
Nous y trouvons, en effet, et fortement manifestés,
- l’abaissement de Jésus jusqu’à notre nature humaine pécheresse,
- et la révélation de sa nature divine.

Pour les gens qui se trouvaient auprès du Baptiste, la venue de Jésus au bord du Jourdain, passa probablement presque inaperçue.
Mais pour nous, chrétiens qui bénéficions de l’annonce de la résurrection du Seigneur, lorsque nous relisons cette scène, nous en demeurons confondus : Le Fils de Dieu, l’auteur de la création, le “Trois fois Saint”, l’Éternel, le voici, pre­nant humblement rang au milieu de la foule pour solliciter un baptême de pénitence et de conversion : “Repentez-vous et faites pénitence”, criait Jean. Et Jésus, le Fils de Dieu incarné, entre dans les eaux du Jourdain comme tous ceux qui reconnaissaient la misère de leurs fautes. Mais “c’était nos péchés qu’il portait…”, avait annoncé Isaïe. La prophétie se réalise déjà. Dieu est vraiment venu au milieu des pécheurs. Il s’est fait péché pour nous.

Cependant, lorsque Jésus remonta du Jourdain, une voix se fit entendre : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé; en lui j’ai mis tout mon amour”. Ainsi, aussitôt après la manifestation du réalisme de l’Incarnation, est proclamée la nature divine de Jésus. Ce que les disciples découvriront après la résurrection, cela était vrai depuis les origines humaines de Jésus. Ce Jésus qu’ils ont accompagné trois ans durant, ce Jésus qui s’est fait l’un d’entre eux, partageant leurs souffrances, leurs misères, prenant sur lui les erreurs des hommes, ce Jésus était celui qui se manifestera, au jour de Pâques, Fils bien-aimé de Dieu sur lequel repose l’Esprit Saint.

C’est ce lien étroit, intime, entre la divinité et l’humanité qui constitue la véritable identité de Jésus. Tout au long des dimanches de l’Avent et des fêtes de Noël, c’est ce mystère que nous avons contemplé. La foi chrétienne se redit encore aujourd’hui autour de cet événement du Baptême du Seigneur. Nous ne le répéterons jamais suffisamment : la foi chrétienne n’est rien si elle n’est pas l’affirmation de la divinité de cet homme qu’est Jésus qui a partagé notre condition, qui, non pécheur, a pris sur lui le péché de l’homme ! St Paul le dira explicitement : “Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu”  (II Cor 5/21).

 “Afin que, par lui, nous devenions Justice de Dieu” : Voilà bien le sens de notre propre baptême, à la suite de celui du Christ, baptême que nous renouvelons par les sacrements, par la consécration religieuse. On doit, nous aussi, descendre dans l’eau purificatrice en se reconnaissant pécheurs. Et, du même coup, se reconnaître pécheur, c’est reconnaître Dieu, s’approcher de Dieu qui nous accueille comme des fils : “Tu es mon fils bien-aimé”.

Si l’Evangile mène à Dieu, c’est parce qu’il exige que nous nous reconnaissions pécheurs. Et c’est bien cela le plus difficile. Que veut l’homme spontanément ? Réussir ! Pour cela, il cherche à s’évaluer, à se justifier, à s’estimer. Cette entreprise de justification paraît indispensable, ne serait-ce que pour l’acquisition du minimum de confiance en soi-même, sans lequel l’homme ne peut pas vivre. Or cette entreprise est humainement désespérée : Trop souvent, ou c’est l’orgueil qui surévalue, ou c’est le désespoir qui décourage.
Par contre, sous le regard du Christ, “par lui, en lui, avec lui”, on découvre deux choses, deux choses qui ont été manifestées au baptême du Christ, qui se manifestent lors du baptême chrétien :
- la vérité de notre misère
- la puissance de la miséricorde divine

Deux choses qui n'en font qu’une. Car la révélation du péché ne peut être qu'intérieure à celle de la miséricorde divine. Le Dieu qui se révèle en Jésus - Dieu fait homme - me révèle à moi-même et me révèle sa sainteté et son amour de Père envers moi-même, pécheur. Le péché donne au salut sa grandeur. Dieu est un Dieu de salut ; le christianisme est une religion de salut. Celui qui est cette Lumière qui me met à nu est aussi Lumière de Vie qui nous réanime. St Augustin ne disait-il pas : “Tu as déjà commencé à être envahi par la Lumière, puisque tu confesses ton péché”.

Dieu n’est plus le juge menaçant, il est le “Dieu avec nous” qui vient se charger du péché du monde, péché qu’il a englouti dans les eaux du Jourdain et totalement supprimé du haut de la croix.
Dès lors, si le pécheur ressent parfaitement la distance infinie qui le sépare de Dieu, s’il reconnaît qu’il ne peut s’approcher de Dieu, il confesse en même temps que Dieu s’est rendu proche de l’homme, qu’il aime les hommes, et donc les pécheurs que nous sommes. Le Christ de Noël, le Christ du Jourdain, le Christ de Pâques est ce Dieu qui nous veut du bien, et qui fait la lumière sur notre condition de pécheur pour mieux nous en libérer. -
De quoi est faite la Création ? A partir de rien. - De quoi est faite la sanctification ? A partir du rien du pécheur. Le pécheur, loin de toute crainte, peut alors accéder à la conscience de l’amour miséricordieux de Dieu.
Un amour qui nous fait passer d'esclave à fils. ET nous entendons alors au plus intime de nous-mêmes cette affirmation qui nous est adressée également : "Celui-ci est mon fils bien-aimé !".
Pensons à Matthieu, à tous les apôtres, à Zachée, plus tard, et à Paul etc… Dieu qui nous révèle si bien ce que nous sommes (des pécheurs), nous donne en même temps une force pour être véritablement “à son image et ressemblance”. Il y a passage du moi pécheur au moi “enfant de Dieu”. St Augustin, encore, avait bien raison de s’écrier dans un élan de foi, d’espérance et d’amour : “Tout sert à celui qui aime Dieu, même le péché” - Et Luther qui avait grande conscience de ses fautes, d’ajouter : “surtout le péché !”.

Et je me permets d'ajouter, ici, en ce monastère, que la consécration religieuse - renouvelée particulièrement en certaines circonstances (60 ans de vie religieuse par exemple) -, si elle n'est pas un sacrement, veut répondre cependant à l'engagement du sacrement du baptême. Notre grand Bossuet le souligne en son panégyrique sur St Benoît.
Le baptême est un sacrement, un signe d'amour du Christ qui fait de l'homme pécheur un "fils de Dieu" ! Plénitude de vie !
La consécration religieuse est un sacramental, un signe que l'homme pose comme parfaite réponse - "totaliter", dit St Thomas d'Aquin - au signe d'amour du Christ pour l'homme. Ainsi, la vie religieuse doit manifester cette finalité : vivre le mieux possible l'engagement sacramentel du baptême : être fils, fille de Dieu !

Aussi, la vie religieuse est une manière particulière de vivre la vocation baptismale - être "fils de Dieu" ! - afin d'encourager tout baptisé à en vivre lui-même dans le contexte de vie qui est le sien.
Le pape Jean-Paul II le soulignait naguère (26 Oct. 94) en reprenant l'enseignement de St Thomas d'Aquin. On ne peut parler, disait-il, de consécration religieuse qu'en tant que développement de la consécration baptismale. Elle est, disait-il, comme un nouveau baptême, un "baptismus flaminis", un baptême "d'un souffle", le Souffle de l'Esprit-Saint qui nous pousse à croire en Dieu, à l'aimer pleinement, "totaliter", du mieux de tout notre être, "tel que l'on est et là où l'on en est", car la sainteté de vie est une marche qui n'aura sa plénitude que dans l'Eternité, au jour de notre plénière naissance en Dieu.

En cette fête du baptême de Notre Seigneur, puissions-nous mieux prendre conscience de notre vocation baptismale.

Et merci aux Moniales de nous y encourager par toute leur vie consacrée à répondre à l'amour du Christ pour nous.

Merci tout particulièrement et très vivement à Mère Sous-Prieure qui nous donne l'exemple de 60 ans de fidélité au Seigneur.
Et en m'adressant à elle, je me permets de terminer par un mot d'humour. Aux souhaits et félicitations que l'on adressait - pour la même raison - à mon prédécesseur comme curé de Solesmes, celui-ci répondit avec un humour humble et malicieux : "Oh! Vous savez, je n'ai aucun mérite ; il suffit d'attendre !".

Oui, mais il y a attente et attente ! Pour décrire l'attente chrétienne, St Paul utilise un mot qu'il a forgé lui-même : "apokaradokia". C'est une attente qui nous fait sans cesse nous dresser (kara) pour mieux voir (dokein) le Seigneur qui vient au loin (apo) - "Apokaradokia" !

Rendons grâce avec Mère Sous-Prieure
Et avec elle, que toute notre vie soit une attente active du Seigneur qui est venu, qui vient en nos vies et qui reviendra en sa gloire divine !

dimanche 1 janvier 2017

Bonne Année 2017

1er Janvier 2017                    "Bonne année !"…

Aujourd'hui et demain, qui ne prononcera pas ou n’entendra pas ce souhait : "bonne année" ? Mais un souhait, aussi sincère soit-il, n'est pas une formule magique, toujours efficace. Et bon nombre d'esprit-chagrin veulent se libérer de cette coutume des vœux qu'ils qualifient de formalisme vide de sens et parfois hypocrite. Pourquoi formuler ces sortes de souhaits et bénédictions ?

Mais, justement, au temps de Jésus et pour tous ses disciples, "bénir" ne se réduit pas seulement à un "bien-dire" selon l'étymologie latine : "bene-dicere". Lorsque Dieu bénit ses créatures, il ne dit pas seulement de belles phrases ; mais Il leur communique sa puissance de Vie pour les rendre actives, fécondes.

Remarquons d'ailleurs les nuances du texte de la première lecture  : sa bénédiction, Dieu charge les prêtres de la transmettre seulement, car Dieu seul peut bénir véritablement !
En répétant trois fois le Nom trois fois Saint - "Que le Seigneur te bénisse..." -, en prononçant la formule consacrée, en étendant les mains sur leurs frères et sœurs, ils signifient l’acte efficace de protection : puisses-tu être convaincu que ton Dieu ne te fixe pas d’un œil sévère, ne comptabilise pas tes fautes, ne te confond pas avec ton "sur-moi" vaniteux, ou avec ton complexe de culpabilité. Sache surtout que, comme un Père, il te regarde avec amour, compatit à ta faiblesse, craint pour tes épreuves. Son visage, c’est-à-dire tout son être, n’est que bonté et tendresse, joie et sérénité. Sa bénédiction entend exorciser tes peurs, écarter tes craintes, chasser tes scrupules, consoler tes tristesses..

C'est alors que la bénédiction biblique joue dans les deux sens : de haut en bas, Dieu répand sa grâce et, en retour, de bas en haut, l’homme "bénit" son Dieu ; il lui exprime sa reconnaissance, sa gratitude, sa joie d’être connu et sauvé. En somme, la bénédiction, dans son "aller-retour", est révélation d’un Dieu bon et exultation de l’homme à sa juste place. N'est-ce pas ce que nous avons chanté à Noël : Dieu se fait "Emmanuel" - Dieu parmi nous - pour nous entraîner à aller vers Lui !

Aussi, en pensant à la Communauté des Religieuses, à vous tous et vos familles, je vous transmets cette bénédiction divine au seuil de 2017. - une bénédiction qui souligne la générosité de Dieu à tous les âges,
 - une bénédiction qui perdure malgré nos ingratitudes et nos reniements divers,
- une bénédiction dont toute l'histoire du salut porte la marque :
Depuis les balbutiements de l’univers où Dieu bénit toute la création, - depuis les jours d'Abraham en qui furent bénies "toutes les familles de la terre", depuis qu'il y a 2000 ans, Marie entendit Élisabeth la proclamer "bénie entre toutes les femmes", cette bénédiction divine s'est pleinement manifestée par l'incarnation du Fils unique de Dieu, le fils de Marie, mère de Dieu que nous fêtons aujourd'hui. St Paul le souligne dans sa lettre aux Galates (2ème lecture)

C'est à la lumière de cette bénédiction divine que nous voulons entrer ensemble en l'an 2017. Nous ne nous faisons pas illusion pour autant. Comme tous les ans, il faudra faire face à l’imprévisible et peut-être au douloureux, mais aussi à l’inattendu, à l’inouï que Dieu nous réserve.
D'ailleurs, nous pouvons d’autant plus facilement aborder l’année nouvelle si nous prenons le temps de jeter un regard en arrière
- pour discerner combien Dieu nous a été présents même au travers soucis et difficultés,
- pour reconnaître tout ce qu’il nous a donné à vivre de bon et pour la force qu’il nous a envoyée dans les situations pénibles !
Ne pas le faire ne serait qu'ingratitude.

Aussi, redisons-le en ce temps de Noël : Le Sauveur du monde est venu et vient toujours pour se faire participant de notre nature humaine ; nous ne sommes plus seuls ni abandonnés. La Vierge nous offre son Fils comme principe d’une vie nouvelle. Aujourd’hui, avec Marie, découvrons qui nous sommes : des "Bénis" de Dieu!

Et, si nos vœux de nouvel an devenaient en même temps des prières, ils ne seraient rien d'autre alors que l'expression de la confiance que nous mettons en ce fol amour de Dieu pour les hommes. Dieu veut leur bonheur, notre bonheur.
Mais peut-être pas le bonheur tel que nous l'imaginons, avec une somme de petits plaisirs quotidiens. Le bonheur que Dieu désire pour nous est, dès ici-bas, en perspective d'éternité.
Marie, la Mère de Dieu, la "Bénie entre toutes les femmes", a dû fuir les envoyés d'Hérode qui en voulaient à l'enfant de Noël ; et elle vécut, au pied de la Croix, l'épreuve la plus cruelle qui soit pour une mère. Mystère d'une bénédiction dont la plénitude ne se révélera que dans la gloire de l'Assomption.

Oui, les bénédictions, les souhaits de Dieu pour son peuple et pour chacun d'entre nous doivent traverser l’espace de notre liberté soumise à bien des aléas contradictoires. Et c’est à chacun de nous que Dieu confie la réalisation de ses souhaits, à nos intelligences, à nos cœurs, à nos mains.
- L'harmonie d'un couple, la paix dans nos familles est œuvre patiente de chaque jour ; le respect de tout homme, l'attention aux plus petits, aux plus fragiles, le recours au dialogue pour régler les conflits entre les hommes, entre les peuples, tout cela est tâche humaine à laquelle Dieu nous convie et pour laquelle il nous bénit.
- Dans une société souvent éprise de consommation et de plaisir, d’abondance et de luxe, d’apparence et de narcissisme, Dieu nous bénit pour acquérir un comportement sobre et cohérent, capable de saisir et de vivre l’essentiel.
- Dans un monde qui est trop souvent dur avec le pécheur et mou avec le péché, Dieu nous bénit pour savoir cultiver un fort sens de la justice, de la recherche et de la mise en pratique de sa volonté.
- Dans une culture de l’indifférence qui finit souvent par être impitoyable, Dieu bénit notre style de vie qui se veut plein de piété, d’empathie, de compassion, de miséricorde...

Chacun de nous sait, dans le secret de son cœur, à quoi il est appelé et le "pour quoi" il est le "Béni" de Dieu-Père !
"L'Esprit de Jésus est dans nos cœurs" nous dit l'Apôtre Paul. Qu'il renouvelle nos forces aujourd'hui et tout au long de l'année pour que, selon le vœu du psalmiste, "le salut de Dieu soit connu sur la terre".

Et surtout, sachons-le : les bénédictions de Dieu se réaliseront pleinement, en finale. C’est Dieu qui aura le dernier mot. Il l’a prouvé puisque son amour a vaincu la mort elle-même !

Aussi, bonne et sainte année à tous !