dimanche 26 mars 2017

Voir véritablement !

4ème  Dimanche de Carême 17 - A 

Il y a des gens qui semblent destinés au malheur ! Ainsi le mendiant que Jésus rencontre un jour sur l’esplanade du temple de Jérusalem.
Aveugle de naissance, le malheureux n’était pas très aidé par son entourage.
Certains l’accusaient d’avoir gravement péché, car son infirmité ne pouvait être qu’une malédiction méritée ! Evidemment ! Evidemment, pense-t-on aujourd'hui encore, plus ou moins consciemment !

Cependant, guéri par Jésus - la chance de sa vie ! -,
- il est en proie à une suspicion, à une méchante polémique.
- Les voisins ne veulent pas reconnaître sa guérison.
- Les pharisiens - c’est-à-dire les meilleurs pratiquants - se servent de lui pour chercher querelle à Jésus au sujet du sabbat. Le voilà soumis à une pénible inquisition qui aboutit à un jugement sans appel : “Tu n’es que péché depuis ta naissance”.
- Même ses parents l’ont laissé tomber par peur des notables juifs. Que ne ferait-on pas pour ne pas avoir d’histoires ? Que ne ferait-on pas, en cas semblable, n'est-ce pas ?
- Innocent et triste, l’ex-aveugle est finalement chassé de l’enceinte du temple comme un vulgaire pestiféré.

Alors ? Alors, valait la peine de recouvrer la vue pour devenir un paria méprisé de tous ?

Mais Jésus allait le consoler magnifiquement. C’était encore trop peu d’avoir retrouvé la lumière du soleil, car il y a en l’homme des obscurités plus tragiques que la cécité. On peut être totalement désespéré par une existence sans signification et sans amour que la clarté du jour devienne insupportable aux meilleurs voyants !

“Crois-tu au Fils de l’homme ?”, lui demande Jésus.
Par cette question, il proposait la vraie lumière pour la vraie vie ; il invitait à la foi - cette foi qui éclaire véritablement la route humaine - ! Il invitait autant ceux dont les yeux de chair sont éteints que ceux qui se contentent seulement de regarder les couleurs de ce monde.

“Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ?”.
Il y a dans cette question tout le désir brûlant d’un homme qui - guéri de sa cécité depuis quelques minutes seulement - cherche déjà une autre clarté plus essentielle, plus intérieure, celle qui fait passer à la joie de l’espérance.

“Et bien, tu l’as vu ; c’est lui qui te parle”.
Seul le face à face avec Jésus peut nous arracher à toutes nos ténèbres et nous faire accéder à la clarté divine.
Voilà le bonheur auquel Jésus voulait conduire le pauvre aveugle de Jérusalem. Plus que jamais mendiant (mendiant de Dieu), l’homme l’a compris car en se prosternant aux genoux de Jésus, il déclare : “Je crois, Seigneur”. Enfin, il voyait !

Il faut le reconnaître : l’un des grands thèmes de l’évangile selon St Jean est celui de la connaissance, de la lumière. Dans notre récit, il établit un fort contraste entre la connaissance surnaturelle qu’acquiert peu à peu l’infirme guéri et celle de son entourage, parents, voisins, pharisiens qui ont tous peur de la lumière !

Et nous, nous pouvons nous interroger, en ce temps qui nous prépare à la lumière que le Christ de Pâques veut nous donner :
- Sommes-nous comme les parents de l’infirme qui refusent de se poser des questions dont les réponses pourraient les compromettre ? Notre foi est-elle cachée ou est-elle comme une lumière afin qu’elle éclaire tous ceux qui entre dans notre maison ?
- Sommes-nous comme les voisins de l’infirme qui parlent facilement de religion, non pour eux-mêmes, mais seulement pour les autres ? Evidement !
- Pire, sommes-nous du clan des pharisiens. On veut se présenter comme des connaisseurs ; on raffole de discussions. On ne présente parfois non une foi à déplacer les montagnes, mais une connaissance livresque. On se croit l’intelligentsia et l’on est que des éteignoirs de l’Esprit, de l’Esprit-Saint.
Toute la Bible le crie : le grand péché n’est souvent que la suffisance, l'orgueil humain qui empêche la lumière de la foi.

Ainsi, alors que les pharisiens s’enfoncent dans la nuit, l’aveugle monte vers la lumière progressivement. Nous le voyons suivre les étapes de la foi.
- Pour lui, au début, Jésus n’est qu’un inconnu. Il ne sait qu’une chose de lui : il s’appelle Jésus : “l’homme qu’on appelle Jésus” !
- A peine guéri, il adhère à son bienfaiteur, mais sans plus. Aussi, sa foi naissante est mise à l’épreuve par la hargne des pharisiens.
- Mais cela ne l’empêche pas de progresser. Il découvre que Jésus est un prophète, un envoyé de Dieu, le “Fils de l’homme”.
- Enfin, ayant rencontré Jésus, l’ayant vu de ses yeux neufs, il fait sa “profession de foi chrétienne”. - “Je crois, Seigneur !” ; et il se prosterne devant lui.

Ainsi, devons-nous faire comme cet aveugle qui s’est laissé illuminer par Jésus :
- il est “passé” (c'est le sens du mot "Pâques", n'est-ce pas !)de la religion des observances à la religion de la communion avec Dieu.
- il est “passé” d’une connaissance livresque, intellectuelle à une adhésion de toute sa personne…
- il est “passé” - déjà - du Jésus de l’histoire au Christ de la gloire !

Oui, Jésus est vraiment la “lumière du monde”. Une lumière divine !

Et l’ancien aveugle, illuminé par la clarté de la foi a encore quelque chose à nous dire : nous nous affirmons croyants, chrétiens. Et c’est bien. Mais ne pleurnichons-nous pas trop facilement sur nos petits malheurs… que nous engendrons nous-mêmes souvent par nos manières de vivre ?
Au lieu de gémir, peut-être parviendrions-nous à mettre du soleil dans nos nuits et dans celle des autres
si nous nous laissions parfaitement ouvrir les yeux par Jésus dans l’obéissance - dans l’abandon - à sa Parole,
si nous revenions plus facilement aux pieds de Jésus pour l’adorer, pour le prier et toujours dans une action de grâces joyeuse : "Je crois, Seigneur". Et un Juif ajouterait facilement comme Jésus le faisait : "Toda" - "Yehuda" - "MERCI !" !

samedi 25 mars 2017

Marie écoute !

Annonciation 2017

Croyez-vous qu’elle ait vraiment compris ce qui lui arrivait…, cette toute jeune fille, cette femme simple, humble, cette campagnarde peu instruite ? Croyez-vous qu'elle ait vraiment compris, Marie ? D'ailleurs, elle ose demander : "Comment ? Comment cela va-t-il se faire ?".
Et pensez-vous que la réponse à sa question lui soit plus compréhensible : "L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi l’enfant qui va naître sera saint et il sera appelé le Fils de Dieu" ?
Oh ! Certes, comme ses camarades d'école, nourrie, dès son plus jeune âge, de la Parole de Dieu dispensée à travers les les siècles, Marie a dû reconnaître certaines allusions : l'"ombre", la nuée qui recouvrait l'arche d'alliance au cours de l'exode..., la naissance d'enfants qui furent "saints", de la sainteté de Dieu... ! Mais enfin quelle réponse !

Bien sûr, c’est un ange qui lui porte le message et l’un des plus grands. Mais, pour autant, ce messager céleste rend-il plus claire la réponse, plus évident, compréhensible, l’évènement annoncé ?

Non, elle n’a pas dû pardaitement comprendre, la jeune fille de Nazareth. Mais elle a écouté !

Et c’est dans cette écoute qu’elle est grande. Elle écoute et elle entend : "Je te salue comblée de grâce. Le Seigneur est avec toi !". Elle écoute encore et elle entend : "Ne crains pas, Marie, tu as trouvé grâce auprès de Dieu".

Elle écoute ! Et parce qu'elle écoute, elle reconnait : c’est son Dieu qui est là, présent, dans ces paroles : "ne crains pas" -"avec toi" - "auprès de Dieu" - "comblée de grâce". Ce sont les mots, ce sont les pas de Dieu, lorsqu’il vient frapper à la porte du cœur de l’homme. Elle ne comprend peut-être pas bien, mais elle sait que ce sont les paroles de son Dieu et que ces paroles sont pour elles et que ces paroles sont vraies.

Elle écoute ! Elle écoute avec grande attention, avec avidité même ! Et parce qu'elle écoute, qu'elle aime cette Parole divine, elle accueille le Dieu vivant. Et c’est alors que du fond de son cœur, de tout son être, elle s’écrie : "Je suis la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole".

Elle prononce cette réponse comme tant d’autres avant elle : Abraham, Moïse, Samuel, Jérémie... ont dit de mille et une manière : "me voici !" - "Parle Seigneur, ton serviteur écoute". - "Me voici, je viens, pour faire ta volonté".

Et nous, savons-nous reconnaître les mots, les pas, l’appel de notre Dieu, dans nos vies ? Savons-nous formuler l'unique réponse qui vaille, même si c’est à chacun la sienne : "Me voici" - "Ce que tu veux, Seigneur".

La foi de Marie est le modèle de notre foi. Elle ne comprend pas bien. Elle croit parfaitement. Et sa foi n’est pas lointaine. Elle nous montre le chemin : écouter, écouter pour entendre le Seigneur nous dire les mots de l’appel, les mots de l’amour, les mots de l’envoi

Et le récit de l’Annonciation nous enseigne encore quelque chose de très important : Marie était vierge. Elle était promise en mariage à Joseph. Le contrat de mariage était "signé", même si, selon la coutume de l’époque, il y avait un temps entre le mariage contracté et la cohabitation. Marie était vierge. Elle n’attendait donc pas, n’espérait donc pas un enfant, pas encore… Celui qui lui est promis et qu’elle va mettre au monde est un don inattendu, une surprise plutôt embarrassante au point de vue humain et social, une surprise qui va bien embarrasser Joseph.

Oui, les surprises de Dieu ne sont pas toujours confortables. Elles bousculent. Elles exigent plus que nous voudrions donner. Et les surprises de Dieu demandent toujours notre participation, notre collaboration.

Alors, si tout vient de Dieu, tout vient aussi de Marie qui va porter l’enfant. Et c’est en cela qu’elle est bienheureuse,
bienheureuse parce qu’elle a été choisie et qu’elle a été comblée de grâce,
bienheureuse parce qu’elle a cru,
bienheureuse par ce qu’elle a fait : elle a porté l’enfant, elle l’a mis au monde, elle l’a éduqué.

Et nous, devons-nous nous hisser à cette hauteur de grâce, de foi, d’amour qui fut celle de Marie ? Non, il ne s’agit pas de se hisser, mais de se recueillir, comme Marie, pour accueillir le nouveau, le "nouveau-né", l'éternel et permanent "nouveau-né" qui vient à nous, qui veut venir en nous.

Toute naissance est la promesse d’un renouveau. Toute naissance est la promesse d’une liberté, une liberté qui, au lieu de répéter les mêmes attitudes, les mêmes comportements, les mêmes rancunes, les mêmes médiocrités, les mêmes cercles infernaux de violence, de souffrance, de culpabilité..., une liberté qui, au lieu de répéter tout cela, pourra dire et faire le neuf que seul l’amour est capable d’inventer., le "neuf" qui sera toujours l'"enfant de Noël" qui vient toujours en nos vies d'homme.

Au jour de l’Annonciation, aujourd’hui, le "neuf", le nouveau, c’est le "oui" de Marie. Voici qu’il permet à Dieu de faire "toutes choses nouvelles" (Ap 21.5).

Sans doute, est-ce cela, pour chacun de nous, le "neuf", le nouveau dans nos vies : un "oui" à donner, alors que nous négligeons, alors que nous résistons. Marie a dit "oui" ! Cela veut dire qu’elle aurait pu dire "non". Dire non, nous le savons, c’est possible. D’ailleurs il vaut mieux dire "oui" ou "non" plutôt que ne rien dire, ni oui, ni non, ce qui est une manière de ne pas s’engager, de laisser les choses suivre leur cours sans y prendre part, sans se "mouiller" comme l'on dit. Souvenons-nous de la parole de Dieu transmise par St Jean : "Parce que tu es tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche" (Ap. 3.16).

S’il est donc quelque chose que nous pouvons encore faire d’ici Pâques, c’est de nous préparer à dire "oui", oui à Dieu ! Dire un mot, faire un pas, faire un choix, faire quelque chose qui produise du "neuf" avec la naissance de Dieu en nous.

Le "oui" de Marie est un appel. Quel est le "oui" qui, aujourd'hui même, fera du "neuf" en ma vie ? Quel est-il, ce "oui" ? A chacun de le dire !

samedi 18 mars 2017

La Samaritaine

3ème  Dimanche de Carême 17 - A 

Dans l'évangile, St Jean nous décrit la rencontre de Jésus et de la Samaritaine avec un mouvement, une pénétration des sentiments, une émotion discrète, qui donnent à cette page un charme incomparable.

Le récit se divise en deux parties très marquées centrées,
l’une sur l'eau vive
et l'autre sur le culte nouveau, l'adoration en esprit et en vérité.
Et ces deux thèmes aboutissent à la révélation de la personne de Jésus : "Si tu savais le don de Dieu, et celui qui te parle", et finalement en fin de récit : "Je suis le Messie, moi qui te parle".

Arrêtons-nous seulement sur quelques mots.
"Jésus fatigué par la route, s'était assis près d'un puits".
“Déjà commence le mystère, dit St Augustin. Car
- ce n'est pas sans raison qu'est fatigué le Fils de Dieu qui est aussi la Force de Dieu ;
- ce n'est pas sans raison qu'est fatigué celui qui refait la force des fatigués;
- ce n'est pas sans raison qu'est fatigué celui dont l'abandon cause nos fatigues, dont la présence nous réconforte.
C'est pour nous que Jésus est fatigué par la route”.

Ainsi nous trouvons Jésus qui est la Force même ; et nous le trouvons fatigué. Jésus faible et fort.
- Fort, car "au commencement, avait dit St Jean dès le début, était le Verbe et le Verbe était Dieu ; et tout, par lui, a été fait, et sans lui rien n'a été fait".
+ Faible, car "le Verbe s'est fait chair et il a habité parmi nous".
- La Force de Christ a donné l'existence à ce qui n’était pas.
+ La faiblesse du Christ a préservé de la mort ce qui était.
- Il nous a créés par sa Force.
+ Il nous a rachetés par sa faiblesse.

Oui, Jésus est venu ; et c'est en s'humiliant qu'il est venu au puits. Il est venu fatigué parce qu'il a porté la faiblesse de la chair.
Car le Fils de Dieu incarné est à la fois Dieu et homme, parfaitement Dieu et parfaitement homme. Dieu n'est pas diminué en lui ; et l'homme qu'il est n'est pas incomplet : "Il s'est fait en tout semblable à nous hormis le péché", dira Paul (Cf hil 2.7 - I Co 5.21).

Et en même temps que la divinité du Christ, St Jean aime, dans son évangile, souligner cette humanité du Christ, semblable à la notre :
- Jésus pleure à la mort de Lazare, son ami.
- Jésus fut tenté comme tout un chacun.
- Jésus fut fatigué, accessible à la tristesse, au trouble.
- Jésus supporte la pauvreté de la crèche à la croix
- Et finalement, il mourut

Et cette faiblesse, cette fatigue, cette souffrance du Christ sont pour nous une immense leçon. Car, nous aussi, comme Jésus, nous sommes fatigués, fatigués de notre condition de pauvres pécheurs. La route est longue, semée d'embûches, de tentations, de peines, de souffrances. Et pour nous aussi, elle aboutit a la mort, la mort de notre corps et parfois la mort lente et non moins cruelle de nos aspirations simplement humaines.

Mais ces souffrances nous font participer aux souffrances, aux fatigues, à la passion de Jésus. Et dans cette participation, dans l’adhésion par la foi à la passion de Jésus, nous trouvons la vie, la vie véritable. "Nos souffrances a-t-on dit (1) nous pouvons les offrir au Christ. Une fois offertes, elles ne nous appartiennent plus ; elles sont siennes. Et mêlées aux souffrances du Christ, elles participent alors à la Rédemption du monde...".
En ce temps de Carême où nous commémorons les souffrances, les fatigues du Christ endurées pour nous, présentons lui nos propres peines, fatigues, souffrances, épreuves - si lourdes, soient-elles ! -. Présentons-les à son côté ouvert par la lance du soldat d'où est sortie de l’eau, cette eau vive dont parle Jésus à la Samaritaine. Et lui, homme et Dieu, les présentera à son Père qui, par lui, augmentera en nous cette eau vive qui nous a déjà ressuscités, depuis le baptême, à la vraie vie, sa vie divine.

Jésus est donc fatigué au bord du puits.
Et une femme de Samarie vint pour tirer de l’eau. Et Jésus lui dit : "Donne-moi à boire". Et la conversation se poursuit. C'est l'exemple du dialogue éternel entre Dieu et l'homme !
Remarquons bien que c’est Jésus qui commence le dialogue. Parce que, comme son Père, il est celui qui aime le premier, il prend l'initiative d'un dialogue de salut. Il aurait pu attendre que cette femme lui parle ; mais son amour le "presse". Prenons conscience que toutes les démarches que nous pouvons faire pour rencontrer Dieu ne sont qu’une réponse a une première démarche de Dieu lui-même. C’est toujours Dieu qui vient chercher l'homme, parce qu'il est celui qui aime le premier. Toute la Bible porte ce témoignage.

Dieu nous connaît ! Toujours, il nous aime, "tel que l'on est et là où l'on en est", a-t-on dit ! "Il m'a dit tout ce que j'avais fait", dira la Samaritaine. Elle avoue que sa vie n'a pas été, sans doute, très morale avec ses cinq maris. Mais Jésus, lui en premier, l'a regardée et aimée telle qu'elle était !

A propos, ces cinq maris dont il est question dans le récit font probablement allusion aux cinq divinités dont les Assyriens avaient introduit le culte en venant remplacer les Hébreux du Royaume du Nord déportés en 722. Ces divinités sont nommées au 2ème livre des Rois (17,29). Et ce peuple nouveau composé d'Assyriens qui devint "peuple Samaritain" adoptera également le culte au Dieu d'Israël. Ce syncrétisme - honni par les croyants de Jérusalem - est aussi et même plus épouvantable que les infidélités conjugales de la Samaritaine. - Ne sourions pas, car nous aussi, nous avons nos syncrétismes : une foi en Dieu qui tolère le culte de l'argent, du pouvoir, du plaisir et que sais-je encore, le culte de soi-même ! Mais Jésus, lui en premier, nous regarde et nous aime comme il a regardé et aimé la Samaritaine. C'est lui qui fait toujours le premier pas !

Et de même, lorsque nous portons en nous le désir du salut de nos frères, c’est à nous également de faire le premier pas. N’attendons jamais que l'on vienne à nous ; mais allons vers nos frères. Comme le Christ, nous sommes des envoyés. "L'amour du Christ nous presse, dira St Paul. Car il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux". (2 Co. 5.14). Et remarquons bien que ce doit être le Christ lui-même qui doit nous pousser vers nos frères. Tant que la démarche vient de nous seuls, nous qui sommes pécheurs, elle n’a pas toute sa perfection. C'est le Christ qui doit agir en nous et que nous devons laisser agir. St Augustin avait raison en déclarant : "Moi, je ne suis que le répétiteur extérieur (et parfois pécheur) du Maître intérieur qui seul instruit les cœurs" !

L’apostolat, comme l'on dit, c'est laisser transparaître le Christ en nos pensées, nos paroles, nos actes, laisser transparaître le Christ qui, malgré nos fatigues, nos faiblesses, nos limites, voire nos fautes, veut et peut s'adresser à chacun de ceux que nous rencontrons, comme lui-même a rencontré la Samaritaine. C'est l'humble condition de tout apostolat !

Retenons surtout : Jésus vînt au puits ; et il y vint fatigué. C’est dans la faiblesse que le Fils de Dieu qui est la Force de Dieu engage la conversation avec la Samaritaine.
Que cette attitude de Notre Seigneur soit pour nous une leçon et un encouragement. Car, nous dit St Paul, "ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort" (I CO. 1.27). "Ma grâce te suffit, lui avait dit le Christ, ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse" (2 Co. 12.9). Aussi Paul ira jusqu’à dire : "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort" (Id v/10).
Nous aussi, c'est dans la faiblesse de notre condition d'homme et de pécheur, que notre foi peut soulever des montagnes.

Et ne cessons pas d’implorer Notre-Dame, la très humble servante du Seigneur de nous obtenir cette force divine qui nous fera engendrer nos frères à la vie divine.


(1) Mgr Vladimir Ghika, prêtre et prince roumain, mort martyrisé par les Nazis durant la dernière guerre

samedi 11 mars 2017

Gloire du Christ à partager

2ème  Dimanche de Carême 17 - A 

Jésus emmène avec lui trois de ses disciples. Il les conduit sur une montagne, note St Matthieu pour rappeler certainement la montagne du Sinaï, montagne de la manifestation de Dieu, montagne de l’Alliance avec Dieu !
Et là, Jésus, perdant son aspect habituel, apparaît transformé : une lumière l'enveloppe, son visage est rayonnant, ses vêtements éblouissants.

De la splendeur de cette vision, seuls, trois disciples en ont été témoins. Et pourtant, cette vision attire, ravit secrètement les âmes qui cherchent Dieu. Nous-mêmes, nous cherchons Dieu…, et tout spécialement durent ce temps de Carême. Et nous le savons : beaucoup d'hommes cherchent Dieu plus ou moins consciemment, avec nous.
Or, cette scène de la Transfiguration ne nous présente-t-elle pas l'objet de notre désir, de notre attente, de notre espérance : Voir le Seigneur, dans sa gloireVoir son visage ! “C'est ta face que je cherche”, s'écriait le psalmiste.  C'est le cri, le vœu ardent de tout vrai disciple du Christ.

Et nous savons que Jésus a affirmé vouloir satisfaire ce désir, le nôtre : “Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi pour qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée” (Jn 17.22-24).

C'est déjà un rayon de cette gloire que le Seigneur a laissé transparaître à ses trois Apôtres. Avant d'être défiguré dans sa Passion, il apparaît transfiguré à ces trois privilégiés, ceux-là mêmes qui connaîtront quelque chose de sa détresse infinie à Gethsémani. Evénement bref de la vie de Jésus, mais capital, puisqu'il est la manifestation (épiphanie) de Dieu dans le Christ.

Et cette manifestation de Dieu dans le Christ, mais c’est tout l'Evangile qui la proclame, qui proclame l'incarnation de Dieu, la présence de Dieu parmi les hommes ! "Emmanou-El", prophétisait le prophète Isaïe, "Dieu avec nous" ! Aussi, cette clarté de la Transfiguration doit accompagner les disciples de tous les temps, éclairer notre foi, animer notre espérance, fortifier notre courage.

Et nous trouvons aussi dans cet événement la voie à suivre, les conditions à remplir pour voir, nous aussi, un jour, pour voir le Christ transfiguré !
Car Jésus, dit l'Evangile, prit avec lui trois disciples ; et il les conduisit, il les emmena sur une haute montagne. Ils étaient seuls avec lui.

Nous aussi, nous devons nous laisser conduire et guider par le Christ. Nous devons, avec lui, gravir la montagne, nous élever au-dessus de notre médiocrité, si je puis dire.
- Ascension vers Dieu qui entraîne tous ceux dont nous nous préoccupons en même temps.
- Ascension difficile et parfois pénible à poursuivre chaque jour et pendant toute la vie.
- Ascension qui suppose beaucoup d'abnégation, de patience, d'obscure fidélité, de solitude avec le Christ.
Pendant ces semaines Carême, prenons le temps de cette solitude avec le Christ, par la prière, par la lecture de l'Evangile.

De plus, cette manifestation glorieuse de Dieu dans le Christ, du Christ qui nous entraîne à le suivre, n'est possible que si nous nous nous efforçons de l’écouter !
“Ecoutez-le !” Telle est la seule consigne donnée aux apôtres par la voix du Père. Et, de fait, en cette consigne, tout est contenu.
Accueillir le Fils bien aimé du Père, dans l'acte d'une foi qui écoute !
Accueillir tout ce qu'il dit, d'un cœur disponible et toujours prêt à répondre !
“Ayez un cœur qui écoute”, dira St Luc.
“Ecoutez-le !”, disait également Notre Dame aux serviteurs de Cana ! Tout est là !
“Tu désires voir, disait St Bernard, écoute d'abord  !”.

Le Fils a tout dit pour nous manifester Dieu.
Il suffit de l'écouter de toute son âme. Ecouter, c’est-à-dire aussi obéir ! “Ecouter-obéir” – “Audire-obaudire” : c’est presque le même mot en latin. “Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel”, disons-nous souvent !
Obéir à la volonté du Seigneur, obéir à toutes ses volontés qui peuvent nous paraître parfois déconcertantes. Car, souvent, nous comprenons mal ce qui nous convient. Pierre lui-même nous en donne un exemple ! Il désirait que cette vision se prolongeât : “Seigneur, il nous est bon d'être ici !”. Pouvait-il penser autrement ? Et pourtant le Christ n'a pas exaucé sa demande. St Luc commente : “Pierre ne savait pas ce qu'il disait”. Et nous non plus, souvent !

Ce qui était bon pour lui, ce n'était pas de continuer à voir Jésus en gloire,
Ce qui était bon,
- C'était d'assister à la Passion de son Maître ; c'est aussi pour nous de nous pencher sur les humiliations de nos frères - Corps du Christ - que nous pouvons rencontrer !
- C'était l'humiliation de son reniement et son repentir ; c'est l'occasion, pour nous aussi, de reconnaître notre faiblesse durant ce temps de Carême en profitant, par exemple, du Sacrement de Réconciliation ?
- C'était les ténèbres du Calvaire et l'anxiété des trois jours qui suivirent. - Savons-nous supporter les diverses épreuves et souffrances de notre vie, en union avec le Christ en croix ?
- C'était la joie de la résurrection. - Dans la foi, nous savons que toute notre vie aboutira à cette gloire du Christ ressuscité, Pour toujours, nous serons vivants avec Lui. Telle est notre destinée joyeuse ! "Je voudrais bien m'en aller (c'est-à-dire mourir), disait St Paul à la fin de sa vie, pour être avec le Christ en gloire !".
- Et puis, après toute une vie de travail au service de l'Evangile, une vie de prédication et de persécutions, c'était finalement pour Pierre (et bien d’autres) son martyre. - Le Seigneur nous demande également de témoigner (c'est le sens du mot "martyre") de Lui, fusse au mépris de nous-mêmes !

Souvent, le Seigneur nous conduit par des voies imprévisibles où la souffrance, la croix sont présentes ; et ces voies, nous devons les parcourir dans la foi en son mystère pascal que nous célèbrerons prochainement,
La foi, finalement, c'est la grande leçon de la Transfiguration. C'est par la foi que nous suivrons le Seigneur, que nous l'écouterons, que nous le suivrons.
N'est-ce pas là tout le programme de toute vie chrétienne ?

Voici qu'en ce temps de Carême, dans la lumière de Jésus transfiguré, nous avons à réaffirmer notre fidélité à cet appel du Seigneur qui veut nous emmener comme ses trois disciples.
La Profession de foi que nous proclamons chaque dimanche est un acte de charité, un don de soi, mais c'est aussi une humble prière, une demande d'être reçus,

d'être accueillis par le Père qui nous aime et ne peut décevoir notre attente, d'être accueillis par le Père en son Fils transfiguré, ressuscité, sous l'action de leur Esprit commun !

samedi 4 mars 2017

Tentations !

1er Dimanche de Carême 17.A 

Parler du carême, comme c’est difficile !
Certains pensent et même disent : “Le carême..., à quoi bon ? C’est une habitude des anciens temps ! Et puis, c'est, chaque année, pareil... De plus, ce n'est pas drôle du tout !”. C'est vrai que le carême n'a pas bonne réputation. Il évoque six semaines interminables, placées sous le signe de l'austérité.

Peut-être que l’évangile d’aujourd’hui peut nous éclairer. Mais, c’est un texte selon St Matthieu, d’une lecture toujours plus ardue pour nous. Pourtant, comme un bon scribe, “il sait tirer de son trésor du neuf et de l’ancien”. Oui, c’est un récit qui nous semble bien étrange, étranger à notre vie, loin de nous. Pourtant, ce récit des trois tentations de Jésus au désert contient un enseignement essentiel pour chacun de nous.

D’abord, il faut bien remarquer : Jésus a vraiment été tenté, comme nous. Ce texte nous le raconte ; et à bien des reprises, l'évangile nous en reparle.
Comprenons bien : Il s'agissait pour Jésus de faire advenir le Règne de Dieu, de créer un monde nouveau. Le plus efficace n'était-il pas de prendre le pouvoir
- en donnant du pain à manger, de quoi vivre facilement : “Ordonne que ces pierres deviennent du pain !”,
- en donnant des exploits à admirer – c’est de tous les temps ! - : “Jette-toi en bas, on croira en toi !”,
- en donnant un roi universel : “Tous les royaumes de la terre, je te les donnerai”.

Beaucoup attendaient cela du Messie !
Ils attendaient que l'Envoyé de Dieu subvienne aux besoins matériels du peuple, qu'il fasse des prodiges, qu'il étende un pouvoir irrésistible sur la terre. Jésus a refusé. Dans ce grand vent d'orgueil qu'on lui soufflait, il reste impassible. Il n’a qu’une chose en tête : la volonté de son Père !

Il a résisté à la tentation, ce jour-là, comme il a résisté en bien d'autres occasions que l'évangile rapporte :
*quand il a été tenté par la foule qui voulait le faire roi,
*tenté par les Juifs qui réclamaient des grands signes dans le ciel,
*tenté par son ami Pierre qui le poussait à renoncer à la folie d'être arrêté et mis à mort,
*tenté par ceux qui lui ont crié, le dernier jour : “Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix... !”.

Oui, Jésus a réellement été tenté, mais il est resté fidèle jusqu'au bout à son Père et à sa mission. Et c'est cette victoire sur la tentation qui nous est proposée au début de ce carême.

Et ne disons pas que ces trois tentations ne sont pas les nôtres ; elles sont les tentations de tout homme :
- la tentation du pain quotidien ou l'appétit de posséder,
- la tentation de la réussite ou le goût de paraître,
- la tentation du pouvoir ou l'ambition de dominer.

D'abord la tentation du pain quotidien ou l'appétit de posséder. Le pain quotidien, c'est la nourriture sans doute, mais aussi notre argent, notre profession, nos occupations quotidiennes, ce que nous possédons... Mais on dira : “Tout cela n'est pas un mal !”.  Non, certes ! Au jour de la création - jour permanent -, Dieu dit, en regardant son œuvre faite pour l’homme, que “tout était bon… et même très bon !”. Alors où est la tentation ? Jésus le rappelle simplement : “L'homme ne vit pas seulement de pain”.

Notre tentation, c'est de vivre seulement de ce pain-là, et de n'avoir plus ni le temps ni le goût pour toute parole qui sort de la bouche de Dieu.
Quelques exemples bien connus :
- Pour les Jeunes... après le collège ou le lycée, après le sport, les jeux et la télévision..., y-a-t-il un petit reste de temps pour réfléchir, pour prier ?
- Pour les étudiants..., après les partiels, les révisions, les examens… - choses si importantes évidemment - y-a-t-il un tout petit reste de temps et de goût pour la prière, la réflexion spirituelle afin de mieux insérer tout savoir dans la science même de Dieu en vue d’un avenir meilleur.
- Et pour nous, adultes : tout nous sollicite, le travail, la promotion professionnelle, la construction d'une maison, la réalisation d’une retraite pour mieux “profiter de la vie” (quel mot affreux !)… etc…  Et tout cela est important ! Bien sûr ! Mais Jésus nous dit qu’un chrétien, une chrétienne…  ne mangent pas seulement de ce pain-là !
- Et pour nous prêtres, religieux, religieuses, nous ne sommes pas à l'abri de ces mêmes tentations. Même une activité très spirituelle - préparer et prononcer une homélie, par exemple - peut être occasion de possession, alors qu'il s'agit non pas de se prévaloir de son savoir, mais de faire prévaloir la connaissance de Dieu lui-même, son alliance, sa bonté, sa présence... !

Oui, tous, riches ou pauvres, jeunes ou anciens, prêtres ou laïcs, nous avons à tirer avantage de cette parole de Jésus : “L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu”. Car tous (même dans la vie monastique), nous sommes tentés de vivre au ras de nos occupations quotidiennes, de nos désirs immédiats, sans jamais relever la tête... ou joindre les mains. Et le carême est un rappel.

La tentation du pain quotidien ou l'appétit de posséder ; et il y a cette deuxième tentation du Christ : la tentation de la réussite ou le goût de paraître. Pourtant, réussir, ça n'est pas un mal. Celui qui ne réussit pas... qui ne réussit rien est très malheureux. C'est vrai, ce n'est pas un mal. Alors, où est la tentation ?
La tentation c'est de ne vivre que pour réussir, réussir à tout prix, courir après son petit succès, briller, “agir pour la galerie”, jouer son personnage…
Jésus nous dit au début de ce carême : “Otez vos masques... n'agissez pas pour paraître ; n’ayez aucune hypocrisie... Que votre main droite ignore ce que donne votre main gauche... Dieu voit dans le secret”.
Le carême nous donne occasion de jeûner de cet appétit de toujours paraître… de briller d'une manière ou d'une autre aux yeux des hommes et non sous le regard de Dieu seul !

Enfin, la tentation du pouvoir ou l'ambition de dominer. On dit que c'est la plus redoutable. Tous, nous exerçons un pouvoir. Oh ! Pas “sur tous les royaumes de la terre” ! En ce domaine, on a l’impression plutôt de subir que de dominer ! Et il est vrai que le pouvoir est plus évident en l’exercice de certaines professions…
Cependant, les parents exercent un pouvoir sur leurs enfants. Moi, qui suis prêtre, j'exerce un certain pouvoir. Et les jeunes qui poursuivent de longues études... exerceront demain - et ils le savent - un pouvoir dans la société. Là encore, le pouvoir, avoir des responsabilités, ce n'est pas un mal...  Alors, où est la tentation ?

La tentation, c'est de confondre le pouvoir avec l'ambition de dominer ; la tentation, c'est oublier que le pouvoir donne le devoir de servir. Que de choses seraient changées si tous ceux qui exercent un pouvoir l'exerçaient, non pas en volonté de puissance, mais comme un service ! Il y a un jeu de mot en hébreu - "advout - avoda" - que l'on retrouve en français : non pas "servitude", mais "service" ! Nous qui exerçons un pouvoir, nous sommes tentés de nous en servir pour asservir, au lieu simplement de servir. Au cours de ce carême, saurons-nous jeûner de cet appétit du pouvoir, de l'ambition de dominer, ne serait-ce simplement qu'auprès de ceux qui nous entourent ?

Voilà... où peut nous conduire le récit des trois tentations de Jésus... Tentations de tout homme.
L’abondance, l'apparence, la puissance, ce sont des maladies mortelles pour nous et pour le monde... Le Christ en a été victorieux... ! Il nous propose de participer à sa victoire, en le suivant sur son chemin...

Et n'est-ce pas cela, avant tout, le Carême ?