5e Dimanche de Carême 18/B
Quelques
Grecs, sympathisants à l'égard de la religion juive, étaient montés à Jérusalem
pour participer au pèlerinage pascal.
Ils
demandent à "voir Jésus".
C'était
la démarche des Mages : "Nous
voudrions voir le Messie" (Cf. Mth 2). Ce sera celle de
Zachée qui monte sur un arbre pour mieux "voir
Jésus qui allait passer" (Cf Lc 19).
Et
celui qui a vu - "ce que nous
avons vu, ce que nous avons contemplé du Verbe de vie…", dira
St Jean (I
Jn 1.1-4) - invite
toujours son frère à venir voir : "Viens
et vois" (Jn
1.46), dira Philippe à
Nathanaël auquel Jésus fera cette promesse : "Tu verras des choses bien plus grandes encore" (Jn 1.50).
"Voir",
"Voir Jésus" !
Pour
St Jean, ce n'est pas simplement "regarder" une personne.
C'est,
pour lui, une perception plus profonde : parvenir, sous les apparences
changeantes de l'existence, à une communion profonde avec Dieu, qui, un
jour, sera parfaite : "Ce que nous
serons n'a pas encore été manifesté, dira-t-il : nous serons semblables à Dieu puisque nous le
verrons tel qu'il est" (I Jn 3.2).
Mais
comment verrons-nous ?
Ecoutez
St Paul : "Aujourd'hui, nous voyons
comme dans un miroir… Mais alors, je connaîtrai comme je suis connu"
(I
Co. 13.12).
Quand
on sait comment Dieu nous connait, au dedans, à l'intérieur de notre être - parce
qu'il est le Créateur - ...,
quand
on sait que Lui seul voit au plus profond de nous, beaucoup mieux que nous - car
Lui seul sait ce qu'il y a dans le cœur de l'homme - (Cf. Prov 19.21 - Lc
16.15)..., a
lors
nous imaginons ce que St Paul veut dire : Je connaîtrai Dieu "au dedans
même" de Dieu, comme lui-même me connaît au plus profond de moi-même.
Je
verrai Dieu comme il se voit !
Dieu
se voit éternellement en son Fils. Et déjà, il nous donne le pouvoir de
le recevoir en nous-mêmes : "Ce
n'est plus moi qui vis, disait l'Apôtre, c'est le Christ qui vit en moi" (Gal 2.20).
Le
Père engendre son Fils éternellement. Et ce "Fils nous a été donné" ! (Cf. Is 9.6 ; Lc 2.11).
Ainsi,
nous participons, déjà et un jour parfaitement, à la génération du Fils de Dieu
en nous-mêmes. "Je veux, dira
Jésus, qu'ils soient avec moi, pour
qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, parce tu m'as aimé avant la
création du monde" (Jn 17.24).
Dès notre baptême, Dieu brille déjà dans nos
cœurs de la gloire qui est sur la face de son Fils… !
Aussi,
dès que l'on entrevoit cette lumière divine, on comprend ce cri de Ste Thérèse
d'Avila : "Je veux voir
Dieu".
On
comprend cet envie du paradis que St Augustin voulait communiquer : "Nous verrons un spectacle, frères,
que l'œil n'a pas vu, que l'oreille n'a pas entendu, qui n'est pas monté au
cœur de l'homme… , un spectacle qui surpasse tout ce qu'il a de beau sur
la terre."
Et
tous les Saints exulteront à cette phrase de St Jean : "Le voyant, nous lui serons semblables" ! -
"Nous le
reconnaîtrons,
méditera St Jean de la Croix, et en le
reconnaissant, nous connaîtrons en même temps ce qu'il a fait de nous. Nous
saurons que nous sommes en Dieu :
Allons nous voir
en votre beauté, Seigneur.
Efforçons-nous de nous
voir en vous, en votre beauté.
Cela aura parfaitement
lieu quand vous m'aurez transformé en votre beauté.
Alors, je vous verrai
vous-même en votre beauté; et vous me verrez en votre beauté. La mienne
sera la vôtre; et la vôtre sera la
mienne.
En elle, je serai vous
; et en elle, vous serez moi, parce que votre beauté même sera mienne.
Telle est l'adoption
des enfants de Dieu qui diront ce que le Fils lui-même déclare à son Père : « Père,
tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi »".
Pour
le moment, nous ne pouvons voir : que toute notre fonction soit donc de désirer
! La vie entière du véritable chrétien est un saint désir : le désir de voir
Dieu.
Ce
que nous désirons, nous ne le voyons pas encore parfaitement. Mais le désir
nous rend capables, lorsque viendra la vision, d'être comblés. Dieu, en
différent le moment de la vision, tend le désir ; et, par le désir, étire
l'âme, et, en étirant le désir, agrandit sa capacité.
Voyez
St Paul : oubliant le chemin parcouru, dira-t-il, il va droit de l'avant, tendu
de tout son être ; et il court vers le but en vue du prix de la vocation
céleste (Cf
Phil 3.13). C'est qu'il
se sent encore trop petit pour contenir ce que l'œil n'a pas vu, ce que
l'oreille n'a pas entendu, ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme !
Voilà
notre vie : nous exercer par le désir. Et le désir nous exerce dans la
mesure où nous élaguons nos désirs en y retranchant notre amour propre, notre
amour de nous-mêmes.
Nous devons être remplis de Dieu ; alors, il
nous faut nous vider de tout ce qui n'est pas Dieu !
"S'aimer
soi-même, c'est se perdre",
nous dit Jésus aujourd'hui, "se détacher
de soi-même en ce monde, c'est se garder pour la vie éternelle". Se détacher de soi-même, c'est se sacrifier
pour Dieu et pour ses frères.
C'est
suivre l'exemple du Christ. Aussi, aux Grecs qui désirent le voir, Jésus
répond : "Elle est venue l'heure où
le Fils de l'homme doit être glorifié". Jésus signifie qu'il entre
dans sa Passion, dans cette "heure
qui fait voir" : On ne saurait véritablement "voir
Jésus" qu'à la lumière de cette heure !
Tout
chrétien est appelé à vivre l'heure de Jésus. Nous le ferons plus intensément
et avec amour, dans les jours qui vont venir : le chrétien ne saurait se
dispenser de faire mourir en lui ce qui s'oppose à la vraie vie. Son baptême
l'engage dans un mystère de mort. "Nous
sommes ensevelis avec le Christ", nous dit St Paul (Col 2.12).
Le
disciple n'est pas au-dessus de son Maître. Il est voué à une mort physique,
mais surtout à une certaine mort spirituelle qui se nomme le renoncement à
soi-même en vue d'un don de nous-mêmes à Dieu et à nos frères : "Si le grain tombé en terre meurt, il
donne beaucoup de fruits !" (Jn 12.24).
C'est
ainsi que nous tendrons nous aussi vers la glorification : "l'heure est venue pour le Fils de l'Homme d'être glorifié".
C'est
dans cette mesure qu'au jour de Pâques, nous serons unis au Christ, il vivra en
nous ; nous lui serons semblables, et alors - nous en avons la certitude -, un
jour, nous le verrons tel qu'il est, toute notre vie, vécue dans le
Christ, ayant exprimé ce cri de St Thérèse : "je veux voir Dieu".